Les prochaines élections présidentielles dans la Région du Kurdistan d’Irak, ont été fixés par la Haute Commission électorale irakienne à la date du 21 septembre 2013. Ces élections interviennent dans une période politique où se posent, de tous côtés, des questions de vacance du pouvoir et de succession. Le parti kurde dont la situation est la plus incertaine, concernant son leadership, est, bien sûr, celui de Jalal Talabani qui n’a pas fait de réapparition publique depuis son accident cérébral, survenu en décembre dernier. Une agence de presse iranienne a même parlé de sortie seulement « toute récente de coma », ce qu’un de ses médecins, le docteur Najmaddin Karim a démenti, affirmant que le président irakien avait repris conscience depuis des mois. Voulant également couper court aux rumeurs de mort « dissimulée », son entourage a diffusé dans les media kurdes quelques photographies montrant le président d’Irak dans son centre de soins en Allemagne, assis à une table, dans un jardin, en costume de ville, entouré de ses médecins.
Mais s’il ne fait aucun doute que Jalal Talabani est encore en vie, l’absence de toute vidéo ou interview en direct n'a fait que relancer les questions sur son état réel de santé et sur ses capacités à continuer d’assumer la charge de président d’Irak et de chef de l’UPK. Tout semble être, pour le moment, dans les mains de son politburo qui a décidé, cette fois, de participer de façon indépendante aux futures élections législatives au Kurdistan, se détachant de son allié le Parti démocratique du Kurdistan, mené par Massoud Barzani. L’UPK espère peut-être reconquérir des voix qui, jusqu’ici allaient à Gorran, en estimant que cette alliance avec le parti de Massoud Barzani avait détourné de lui une partie de ses électeurs. C’est ce qu’affirme Muhammad Rauf, qui dirige le parti de l'Union islamique du Kurdistan. Muhammad Raouf laisse aussi entendre qu’en coulisses, plusieurs tentatives secrètes ont lieu pour tenter de réunifier les dissidents de Gorran et l’UPK ou, à tout le moins, de former une alliance électorale contre le PDK.
Mais il est certain que, dans la région du Behdinan, traditionnellement acquise aux Barzani, ni l’UPK ni Gorran ne peuvent menacer l’hégémonie du PDK, le parti arrivant en second dans la province de Duhok étant l'Union islamique du Kurdistan. Dans la province de Sulaïmanieh, soit l’UPK et Gorran se disputeront la région, ou bien, s’ils font alliance, la remporteront haut la main. Il n'y a qu'Erbil, à la frontière entre les deux zones politiques, qui présente une incertitude électorale.
Qui est l'opposition kurde et que représente-t-elle en terme de sièges au Parlement ?
Le Mouvement pour le Changement (Gorran) est le plus puissant et le plus populaire, mais uniquement dans les fiefs de l’UPK, puisqu’il est composé d’anciens membres dissidents. Gorran a une ligne politique laïque et de gauche.
Viennent ensuite les deux principaux partis religieux, le Groupe islamique du Kurdistan, qui s'est allié, en 2009, avec deux petits partis laïques de gauche pour former la liste du Service et de la Réforme (13 sièges) et l’Union islamique du Kurdistan qui a deux sièges à lui seul car il n’a pu s’accorder avec le Groupe islamique. En tout, l’opposition détient 34 sièges sur 111 au Parlement du Kurdistan.
Les deux partis au gouvernement ont 59 sièges. Onze sièges sont alloués d’office à des chrétiens (assyriens, chaldéens ou arméniens) ou des Turkmènes. Vient enfin le peloton des tous petits partis de gauche, communistes ou sociaux-démocrates, qui sont obligés, pour avoir des députés élus, de s’allier à d'autres formations, formant ainsi des listes très hétéroclites, comme celle du Service et de la Réforme.
Le débat le plus vif de ce début de campagne porte sur la possible réélection de Massoud Barzani, l’actuel président de la Région du Kurdistan. Dans la première semaine d'avril, des rencontres ont eu lieu avec des responsables du PDK et de l'UPK pour discuter de la teneur des élections, présidentielles, provinciales et législatives, mais l’opposition a très vite émis des accusations « d’arrangement » entre les deux grands partis pour permettre à Massoud Barzani de se représenter, ou d’allonger le mandat présidentiel d’un ou deux ans (il est actuellement de 4 ans).
Omêd Sabah, un porte-parole de la présidence, avait amorcé la polémique, dès le 30 mars, en déclarant, sur la chaîne indépendante kurde NRT, que « Massoud Barzani avait demandé ou allait demander une extension de son mandat. » Il n’en fallait pas davantage pour enflammer les opposants de Gorran, qui a trouvé là son principal cheval de bataille, d’autant que la dynamique de campagne du renouvellement de la classe politique et du combat anti-corruption, lancée par ce parti en 2009, commence de s’essouffler un peu.
Cependant, l'opposition n’est pas unanime sur cette question. Si Mohammad Tewfiq Rahim, parlant au nom du parti Gorran dans le Monitor, a immédiatement condamné toute extension éventuelle du mandat présidentiel, Salah Al-Din Bakir, le secrétaire général adjoint de l’Union islamique, indiquait que son parti se réunirait afin d’étudier la possibilité de l’allongement du mandat présidentiel ; même prise de position prudente et « attentiste » de la part d'Amar Qadir, du Groupe islamique.
Si le Parti démocratique du Kurdistan est, bien sûr, en faveur d’un prolongement ou d'un renouvellement du mandat de son président, qu’en est-il de l’Union patriotique du Kurdistan qui, cette fois, fera campagne indépendamment, au moins pour les législatives ? Pour le moment, le politburo n’a émis aucune objection et ne s’est pas, en fait, prononcé franchement sur la question, ce qui peut signifier qu'il ne s’y opposera pas. Mais il pourrait être assez délicat pour l’UPK de demander à son électorat, et surtout à ses militants, de s’engager dans une campagne qui, de la part du PDK, sera forcément axée sur le troisième mandat présidentiel de Massoud Barzani et aura sûrement des allures de plébiscite. Or certains responsables de l’UPK estiment que cette alliance fait, depuis des années, la part belle à leurs anciens ennemis, en raison des déchirements internes de leur propre parti, division accrue avec une certaine vacance du pouvoir commencée avec les prises de fonctions de Jalal Talabani à Bagdad et aggravée à présent par sa maladie et son retrait, temporaire ou définitif, de la vie politique. Pris entre deux feux, avec un électorat peu enclin à soutenir envers Massoud Barzani, et le bénéfice que l’UPK tire de son alliance au pouvoir avec le PDK, les responsables de ce parti, qui jouissent du partage du pouvoir depuis 2005, pourraient ne pas s‘opposer à une nouvelle présidence de Barzani, peut-être de façon plus neutre ou plus en retrait dans ce débat. Et même si l’UPK a décidé de faire élire ses propres députés au Parlement (en faisant le calcul de reprendre des voix à Gorran), il pourrait former une fois encore un gouvernement de coalition avec le PDK.
Répliquant à Gorran, le PDK a précisé, à la mi-avril, que le débat ne portait pas sur une extension de mandat mais du droit – ou non – qu'a le président en exercice de participer pour la troisième fois aux élections présidentielles.
De fait, une ambiguïté pèse sur le statut du premier mandat de Massoud Barzani qui n'avait pas alors été élu au suffrage direct, mais par vote parlementaire, en 2005. C'est seulement dans le projet de constitution approuvé par le parlement en 2009 qu'il a été énoncé que le président de la Région du Kurdistan est élu au suffrage universel, mais ne peut se présenter que pour deux mandats. Les opposants tiennent le premier mandat (voté par le Parlement) pour valable tandis que les pro-Barzani considèrent que seule la première élection faite au suffrage direct doit être comptabilisée, ce qui lui donnerait le droit de remporter un troisième mandat.
Massoud Barzani a, finalement, dans un communiqué officiel, rejeté la plupart des accusations qui fleurissaient dans la presse d’opposition : « Je n’ai pas demandé à faire modifier la loi sur la présidence de la Région, je n’ai pas demandé à prolonger mon mandat présidentiel ni permis l’amendement de la loi pour me permettre de briguer encore les fonctions de président de la Région. »
Aussitôt, une foule de commentaires et d’analystes, dans la presse classique ou sur Internet, ont décortiqué tous les sens possibles de cette déclaration, ainsi que les sens qu’elle n’avait pas. Le fait que Massoud Barzani n’ait rien « demandé » ne signifie pas, selon certains, qu’il n'accepterait pas de se représenter, au cas où son parti ou une majorité d’électeurs lui en ferait la demande pressante. D'autres ont fait remarquer que le président n'avait pas besoin de changer la loi, puisqu'il suffit que le premier mandat ne rentre pas en ligne de compte. Mais ce qui a le plus conforté l’opposition dans ses doutes a été la seconde partie du message présidentiel, qui porte sur la légitimité du projet de constitution lui-même, adopté en 2009 par le Parlement, dans des circonstances que déjà, l’opposition jugeait illégale, puisque le mandat des parlementaires avait lui-même expiré.
En effet, la constitution a été votée au Parlement le 24 juin 2009, par 96 voix sur 111 députés, mais avec seulement 97 parlementaires présents. Gorran avait boycotté ce vote alléguant que la légalité du Parlement avait expiré depuis le 4 juin 2009. De fait, les législatives, initialement prévues en mai 2009, avaient été reportées au 25 juillet pour des problèmes techniques et budgétaires qui dépendaient de l'Irak et de sa Haute Commission électorale. Jusqu’ici, les deux partis au pouvoir n’avaient pas jugé de la nécessité d'une approbation populaire, et c'est seulement cinq ans plus tard que Massoud Barzani sent l’urgence de régler cette question en lançant l’idée d'un référendum, comme pour la constitution irakienne en 2005 :
« La constitution n’a pas été votée par référendum pour plusieurs raisons Le processus de rédaction de la constitution s’est déroulé normalement et toutes les étapes ont été suivies. Maintenant, c’est le peuple qui a le droit de décider s’il approuve cette constitution ou non. Demander que ce soit les partis politiques qui décident de la constitution n’a aucun fondement juridique [les 3 partis d’opposition ont effectivement demandé un réexamen du texte, mais par voie parlementaire]. Cette demande s'oppose à la foi en la volonté du peuple et heurte le concept de démocratie. »
Faire approuver la constitution par référendum serait lui donner une forte légitimité devant les demandes de révision qui émanent de l’opposition (qui pourrait plus difficilement s'élever contre la volonté du peuple) et aussi parce qu'une constitution approuvée par référendum entérinerait aussi plus facilement la légalité du troisième mandat de Barzani. En effet, si le Gouvernement régional du Kurdistan était un État indépendant, on parlerait de « Troisième » République (après celles de 1992 et celle de 2005), ce qui induit, du coup, la possibilité à Massoud Barzani de briguer ce qui serait, son « second mandat » dans le cadre d’un régime plus présidentiel que parlementaire (contrairement aux précédentes périodes), qui a commencé en 2009 et non en 2005.
Dans une perspective plus « politique », si la constitution est approuvée à une large majorité par les citoyens du Kurdistan, cela apparaitra comme un vote de confiance accordé à l'actuel président, et annoncera sans incertitude sa réélection. Le Parti Gorran ne s’y est pas trompé et Yusuf Muhammad, un de ses membres, a déclaré publiquement, dans les heures qui ont suivi la déclaration présidentielle, que ce projet de constitution avait été rédigé dans le dessein de prolonger « le pouvoir absolu de Barzani et de sa famille, et de leur permettre ainsi de monopoliser pour eux-mêmes et leurs subordonnés, les postes essentiels de l’exécutif, du judiciaire, de la sécurité et des Peshmergas, de l’administration et de l’économie du Kurdistan. »
Mais d’autres partis d’opposition ne sont pas opposés aux propositions du PDK. Ainsi, le leader du Parti socialiste du Kurdistan, Mohammed Haj Mahmoud explique qu’en plus de soutenir la proposition du PDK de faire approuver la constitution par référendum, il est contre le souhait de Gorran de revenir à un régime plus parlementaire, dans lequel les députés désigneraient le président, comme en 2005. Et ce, en raison de la domination écrasante de l'UPK et du PDK, qui ne ferait , selon lui, que coopter la présidence, en vertu d'accords internes, pour désigner un candidat ou un autre :
« Ainsi les chances d’une compétition démocratique seraient ramenées à zéro. Lors des précédentes élections présidentielles, qui ont eu lieu avec le vote direct du peuple, il y avait une chance de concourir, et un certain nombre de concurrents sont apparus, dans diverses régions du Kurdistan, à Kefri, Koy Sanjaq et Erbil, chacun obtenant une part des votes. C’est cela la véritable démocratie qui donne des chances égales à tous les citoyens, sans exception et nous sommes favorables à cette formule démocratique, parce que la présidence n’est pas réservée à un parti ou à une alliance de partis en particulier, c’est un poste qui concerne tous les membres du public.»
Au début du mois d’avril, le premier cargo de brut (30 000 tonnes) en provenance du Gouvernement régional du Kurdistan et exporté via la Turquie était vendu sur les marchés internationaux, pour environ 22 millions de $. Dans le même temps, une délégation kurde s’envolait pour Washington afin de discuter avec des responsables américains de la situation conflictuelle en Irak. Cette délégation était composée de Fuad Hussein, directeur du cabinet présidentiel de Massoud Barzani, d’Ashti Hawrami, ministre des Ressources naturelles, et de Falah Mustafa, ministre des Affaires étrangères du Kurdistan.
De ce qui a filtré, une semaine plus tard, de ces entrevues, laisse entendre que les Kurdes ont surtout insisté auprès des États-Unis pour que ceux-ci restent « neutres » dans le conflit les opposant à Bagdad, neutralité toute aussi souhaitée et réclamée par la Turquie : Le 19 avril, son Premier Ministre, donnant une interview au journal turc Yeni Safak, a réaffirmé qu’Ankara avait le droit d’établir « toute sorte de relations avec le nord de l’Irak [la Région kurde] dans les limites de la constitution. Nos démarches actuelles restent dans ce cadre ». Alors que John Kerry, le Secrétaire d’État américain, aurait personnellement insisté auprès de Barzani pour que de tels accords énergétiques ne soient pas conclus, Erdogan a rétorqué à la fois à John Kerry et à Barack Obama, « qu’ils [les Turcs] avaient des intérêts mutuels en Irak [comprendre avec les Kurdes] tout comme eux [les USA].»
Vers la fin d’avril, le climat politique entre Kurdes et Arabes ne s’était pas amélioré et Nouri Maliki remplaçait de « façon provisoire » les deux ministres kurdes qui boycottaient, depuis mars, le conseil des ministres : Hoshyar Zebari (aux Affaires étrangères) par Hussein Sharistani, tandis que l’actuel ministre de la Justice prenait aussi en charge le ministère du Commerce, tenu par Khayrullah Hassan Babaker. Le 29 avril, la chaine kurde NRT annonçait que 14 officiers supérieurs kurdes étaient relevés de leurs fonctions sur le terrain (4ème, 5ème et 12ème divisions) par ordre direct du Premier Ministre Nouri Maliki, et étaient mutés à Bagdad, au ministère de la Défense. Selon NRT, citant une source anonyme, alors que les régions sunnites s’enflamment à leur tour, Maliki ne ferait pas confiance aux officiers kurdes de sa propre armée.
Car l’Irak fait à nouveau face à une menace de guerre civile, après les événements de Hawija, une ville arabe sunnite, dans laquelle 53 manifestants qui demandaient la démission de Nouri Maliki ont été tués par les forces irakiennes, le 23 avril. Les troubles se sont étendus ensuite dans les régions de Qara Tapa, Jalawla, Suleiman Beg, Tuz Khormato, et Mossoul. Quatre jours plus tard, les Peshmergas kurdes se déployaient un peu plus dans la région de Kirkouk, tandis que les hôpitaux de la ville de Kirkouk et du Gouvernement régional du Kurdistan accueillaient les blessés venus des villes quasi-insurgées. Le commandant des forces irakiennes sur le terrain, le général en chef Ali Ghaidan Majeed, a alors accusé les Kurdes de tirer prétexte des événements pour « atteindre les puits et champs de pétrole » de Kirkouk et a mis l’armée irakienne en alerte.
Alors que les événements s’envenimaient donc sérieusement à la fin du mois, le député kurde Mahmoud Othman annonçait la visite du Premier Ministre kurde Nêçirvan Barzanî à Bagdad, le 30, pour débattre de tous les conflits et des derniers affrontements. La délégation kurde que menait Nêçirvan Barzani rassemblait un certain nombre de responsables du gouvernement kurde, et le gouverneur de Kirkouk, le kurde Najmaddin Karim. En plus de Nouri Maliki, la délégation devait rencontrer le président du Parlement irakien, Osama Noujafi, un sunnite originaire de Mossoul, et plusieurs responsables de groupes parlementaires et de partis politiques.
Cette fois, les négociations n’ont pas traîné en longueur et en allers-retours infructueux, Kurdes et Irakiens étant désireux de ne pas embraser un terrain militaire devenu très brûlant : Aussi, un accord, – un de plus – a été très vite signé, Mahmoud Othman , le chef de la liste kurde au Parlement de Bagdad annonçant dans la foulée le retour des deux ministres kurdes dans leurs fonctions, ainsi que celui des députés kurdes qui boycottaient de même l'assemblée nationale irakienne.
L’accord semble surtout se fonder sur la création d'organes et de commissions chargés de résoudre les points litigieux de l’article 140 (qui porte sur le retour des régions détachées du Kurdistan par Saddam Hussein), du salaire des Peshmergas, que les Kurdes veulent voir payés par le gouvernement fédéral, de la gestion des hydrocarbures, et tous les conflits en souffrance depuis des années entre Erbil et Bagdad.
La question se pose de savoir si cet accord sera plus efficient que celui signé entre les mêmes parties à Erbil, il y a 3 ans. Cette fois, le Premier ministre kurde, Nêçirvan Barzani, affirme avoir obtenu de Nouri Maliki l’assurance que plusieurs lois « importantes » seraient votées pour résoudre tous les contentieux, y compris celui du budget 2013. Mais sur le fond, il ne s'agit que de mettre des commissions en place, comme cela avait été déjà proposé, en décembre dernier, pour tenter de parvenir, une fois plus, à un compromis sur des questions au sujet desquelles Kurdes et Arabes s'obstinent à ne rien céder.
En attendant, le gouvernement d'Erbil vient, par le biais d'une loi approuvée par son parlement, de s'autoriser à lever lui-même des fonds tirés des revenus de ses exportations de brut et de gaz, jusqu’à ce que le gouvernement central se décide à payer ses dettes à la Région kurde, dans un délai de 90 jours, comme vient de l’annoncer Ashti Hawrami. Le but de cette loi, est comme le dit tout à fait clairement le ministre des Ressources naturelles de donner aux Kurdes « un levier politique et juridique dans [leur] combat constitutionnel contre Bagdad ».
Dans la foulée, la même loi exige que le gouvernement central verse des indemnisations aux victimes kurdes des crimes de Saddam. Cette demande a été relayée par Nêçirvan Barzani qui rappelle au passage que « Bagdad a l‘obligation légale d’appliquer la décision de la Haute Cour criminelle irakienne sur le dédommagement des victimes de crimes de génocide commis par l'ancien régime. Dans son double aspect, cette nouvelle loi kurde se fonde sur des articles existant dans la Constitution irakienne, qui prévoit qu'une « allocation pour une durée déterminée » soit versée à des régions lésées sous le gouvernement de Saddam, ou ayant subi des dommages de guerre. » Selon le Premier ministre kurde, les destructions infligées à l’agriculture et aux infrastructures du Kurdistan s’élèvent à 9 milliards de $, qui viendraient s’ajouter aux 6 milliards devant revenir au budget des Peshmergas, et aux 4 milliards dus aux compagnies pétrolières actives dans la Région qui fournissent le pétrole au reste de l’Irak, ce qui fait un total de plus de 20 milliards réclamés par Erbil.
Comme il est peu probable que Bagdad obtempère, cette loi peut avoir pour but principal de permettre aux Kurdes de continuer leur avancée vers une autonomie financière, ce que le député kurde à Bagdad, Muhsin Al-Saadoun, prévoyait déjà en mars, et ce dont se cache à peine Ashti Hawrami, le ministre kurde des ressources et de l’énergie, répondant aux critiques dune partie de l’opposition kurde l’accusant de jeter de l’huile sur le feu : « Tous les jours, Bagdad menace de nous priver de notre part du budget fédéral. Nous essayons de créer notre propre politique fiscale. »
Au début de l’année 2013, Mahmoud Othman se montrait déjà peu optimiste sur la viabilité de négociations qui n’impliquerait pas une rencontre entre le Premier Ministre irakien et le président kurde : « On ne peut résoudre le problème que d’une seule façon, c’est en faisant se rencontrer le Premier Ministe Nouri Maliki et le président kurde Massoud Barzani à la même table ». Une rencontre entre les deux leaders a bel et bien été envisagée, au retour de Nêçirvan Barzani à Erbil. Mais pour le moment, l'accord de Bagdad version 2013 ne semble guère moins fragile et moins incertain dans son application que celui d'Erbil 2010.
Le 18 avril, le Parlement européen a adopté par 451 voix pour, 105 contre et 45 abstentions, une résolution déposée par la Commission des affaires étrangères sur le rapport de suivi 2012 sur les progrès accomplis par la Turquie.
Le Parlement estime qu'un engagement réciproque renouvelé, sur fond de négociations, est nécessaire afin de préserver une relation et un dialogue constructifs reposant sur les valeurs communes que sont la démocratie, l'État de droit et le respect des droits de l'homme. Les députés soulignent le rôle stratégique que joue la Turquie, sur le plan politique et géographique et demandent le renforcement du dialogue politique entre l'Union européenne et la Turquie sur les choix et les objectifs en matière de politique étrangère. Ils déplorent que l'alignement de la Turquie sur les déclarations sur la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) reste faible en 2012 et encouragent la Turquie à développer sa politique étrangère dans le cadre d'un dialogue et d'une coordination avec l'Union européenne.
Critères de Copenhague : le Parlement soutient la Commission dans sa nouvelle approche consistant à ouvrir le chapitre 23 ayant trait à l'appareil judiciaire et aux droits fondamentaux ainsi que le chapitre 24 sur la justice, la liberté et la sécurité à un stade précoce du processus de négociation et à fermer lesdits chapitres en tout dernier lieu. Il appelle, par conséquent, le Conseil à des efforts renouvelés en vue de l'ouverture de ces chapitres. Le Parlement félicite la Commission de consultation constitutionnelle pour son engagement en faveur d'une nouvelle constitution et pour le processus de consultation de l'ensemble de la société civile, mais reste préoccupé par les progrès visiblement lents accomplis par la commission jusqu'à présent. Il encourage la Commission à poursuivre ses travaux et à se pencher sur des questions fondamentales comme la séparation des pouvoirs et un système approprié d'équilibre des pouvoirs, les relations entre l'État, la société et la religion, un système de gouvernance inclusif garantissant les droits fondamentaux de tous les citoyens et iv) un concept inclusif de la citoyenneté. La résolution insiste sur le fait que la réforme du système judiciaire turc est essentielle pour le renforcement de la démocratie et rappelle que la liberté d'expression et le pluralisme des médias, dont l'internet, sont au cœur des valeurs européennes. Elle souligne en outre la nécessité de réaliser davantage de progrès en matière de droit du travail et de droit syndical. Les députés saluent les efforts déployés par la Turquie à tous les niveaux dans la lutte contre les «crimes d'honneur», les violences domestiques et le phénomène des mariages forcés et des mineures promises en mariage, mais restent cependant préoccupés par le fait que, malgré ces efforts, des violences continuent d'être régulièrement perpétrées à l'encontre des femmes. Ils relèvent également le fait que le projet de loi sur la lutte contre les discriminations ne porte pas sur les discriminations fondées sur l'orientation et l'identité sexuelles. Le Parlement se félicite du dialogue politique direct que le gouvernement turc a récemment noué avec Abdullah Öcalan et encourage les parties au conflit à convertir dès que possible les pourparlers en négociations structurées qui pourraient déboucher sur un accord historique réglant de manière pacifique et démocratique le conflit kurde. Il condamne les actes de violence terroriste perpétrés par le PKK et demande aux États membres, en étroite coordination avec le coordonnateur de l'Union européenne pour la lutte contre le terrorisme et Europol, de renforcer la coopération avec la Turquie dans la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée en tant que source de financement du terrorisme.
Développer des relations de bon voisinage : de l’avis des députés, la Turquie a laissé échapper une chance importante d'amorcer un processus traduisant l'engagement et la normalisation des relations avec Chypre à l'occasion de la Présidence chypriote du Conseil de l'Union européenne. Or, des progrès en vue de la normalisation des relations de la Turquie avec Chypre sont urgents afin d'insuffler un nouvel élan aux négociations d'adhésion de la Turquie. La résolution invite le gouvernement turc à signer et à ratifier la convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM), signée par l'Union européenne, tout en rappelant la pleine légitimité de la zone économique exclusive de la République de Chypre.
Progression de la coopération UE-Turquie : le Parlement déplore que la Turquie refuse de remplir l'obligation d'appliquer à l'égard de l'ensemble des États membres le protocole additionnel à l'accord d'association de manière intégrale et non discriminatoire. Ils rappellent que ce refus continue d'avoir des répercussions profondes sur les négociations. La résolution soutient l'engagement de la Turquie aux côtés des forces démocratiques en Syrie ainsi que l'aide humanitaire fournie au nombre croissant de Syriens qui fuient leur pays. Elle demande à la Commission, aux États membres et à la communauté internationale de continuer à soutenir la Turquie dans ses efforts pour gérer la dimension humanitaire de plus en plus présente dans la crise syrienne. Au-delà de l'aide humanitaire, les députés estiment que l'Union européenne et la Turquie devraient s'efforcer de parvenir à une vision stratégique commune en vue d'exercer un plus grand effet de levier destiné à mettre un terme à la crise dont souffre la Syrie. Enfin, étant donné le rôle stratégique de la Turquie et les ressources considérables d'énergie renouvelable, les députés demandent qu’une réflexion soit engagée sur l'importance que revêt l'ouverture de négociations sur le chapitre 15 relatif à l'énergie afin d'approfondir le dialogue stratégique entre l'Union européenne et la Turquie dans le domaine de l'énergie.
Un juge de la ville kurde de Mariwan, une ville moyenne (moins de 100 000 habitants) de la province du Kurdistan d'Iran, a déclenché une campagne internationale sur Internet après avoir prononcé un châtiment inhabituel, en guise « d’humiliation publique ».
Le 15 avril, un délinquant condamné pour des faits mineurs a été promené dans toute la ville, sous escorte policière, déguisé avec le tchador rouge des femmes de Mariwan. La ville a immédiatement pris parti contre le juge et l’Association des femmes kurdes de Mariwan a manifesté contre le caractère méprisant et sexiste de la condamnation qui fait du genre féminin un signe d’humiliation et d’infériorité en général, et contre la femme kurde en particulier, puisque les vêtements portés de force par le condamné étaient une tenue traditionnelle. La police est intervenue brutalement pour disperser quelques centaines de manifestants et, selon des témoins, plusieurs femmes ont été sérieusement blessées.
Mais la diffusion, sur le web, de la vidéo montrant le défilé policier encadrant le condamné exhibé en tchador a déclenché l'indignation bien au-delà de Mariwan et même d’Iran, devenant en quelques jours un « buzz » international et donnant naissance à une campagne initiée, cette fois, par des Kurdes de sexe masculin, « Kurd Men For Equality » .
Un Kurde d’Iran, Massoud Fatihpour s’est d’abord fait photographier en portant des vêtements féminins et en brandissant une pancarte : « Être une femme n’est pas un moyen d’humilier ou de punir quiconque » : très vite, des centaines d’autres ont suivi le mouvement et ont posé de la même façon, avec le même slogan, dans leur page facebook ou d’autres déclarations similaires.
Il est vraisemblable que ni les féministes de Mariwan ni le juge n’avaient prévu l’ampleur prise par cette campagne qui a dépassé très vite les milieux kurdes. En quelques jours, près de 10000 photos étaient diffusées sur la page facebook de Kurd Men for Equality et les Kurdes étaient bientôt rejoints par des hommes de tous pays et de toutes origines, se faisant à leur tour photographier avec des vêtements féminins et brandissant le même message. Dans le même temps, alors que toutes les manifestations dans les régions kurdes d’Iran sont extrêmement réprimées par les autorités, des apparitions publiques de jeunes Kurdes vêtus en femmes se poursuivent dans les rues de quelques villes du Kurdistan, comme en témoignent les clichés qu’ils envoient sur les réseaux sociaux.
Une campagne semblable avait déjà eu lieu sur Internet, en décembre 2009, quand un étudiant iranien, Majid Tavakoli, un des leaders du mouvement de la révolution verte, arrêté le 7 décembre, avait été photographié affublé par les Pasdaran d’un voile féminin, afin de le ridiculiser : les Gardiens de la révolution l’accusaient d’avoir tenté de fuir déguisé en femme, ce que contestaient d’ailleurs les témoins de son arrestation. La photo avait été publiée par l’agence Fars News, proche du gouvernement, qui en faisait un parallèle avec la figure de Banisadr, le premier président de la république islamique, accusé lui aussi, en son temps, d’avoir fui sous des vêtements féminins. Mais loin de discréditer le prestige de Tavakoli, le cliché, montage ou non, avait immédiatement été détourné de son but premier par des centaines d’Iraniens dans le monde, qui se sont fait tous photographier dans leur profil facebook, ou sur Twitter, ou filmés dans des vidéos diffusées sur You Tube, vêtus de tchador, avec le message : « Nous sommes tous Majid ». Parmi eux, des personnalités en vue, tels que Hamid Dabashi, professeur à l’université Columbia, ou Ahmad Batebi, le leader étudiant des révoltes de 1999, qui vit aujourd’hui aux États-Unis. Enfin, des portraits de Khamenei et d’Ahmadinejad avaient également circulé affublés du même tchador.
La spécificité de la campagne Kurd Men For Equality est de protester contre le mépris dans lequel la république iranienne tient les femmes mais aussi ses minorités ethniques, dont les Kurdes, particulièrement réprimés, tout comme les Baloutches ou les Arabes du Khuzistan. Le gouvernement iranien ne s’y est pas trompé, en qualifiant cette action « ridicule » d’être menée par des « séparatistes sous prétexte de défendre les femmes kurdes. »
Les prochaines élections présidentielles en Iran se dérouleront le 14 juin. Les candidats doivent s’inscrire afin que leur candidature soit examinée et agréée par le Conseil des Gardiens de la Constitution. Par défit, une trentaine de femmes iraniennes se sont portées candidates et ont déposé leur demande au ministère de l’Intérieur, même si la république islamique d’Iran ne permet pas aux femmes de briguer la présidence.
L’ethno-musicologue Estelle Amy de la Bretèque spécialiste des Yézidis d’Arménie vient de faire paraître, chez Garnier Classique, l’ouvrage « Paroles mélodisées. Récits épiques et lamentations chez les yézidis », issu de la thèse en ethnologie qu’elle avait soutenue en novembre 2010 à l’université de Paris-Ouest.
« Cet ouvrage porte sur un mode d’énonciation dans lequel l’intonation normale de la parole se voit remplacée par des contours mélodiques. Chez les kurdophones d’Arménie – en particulier les Yézidis – la parole ainsi mélodisée est toujours liée à l’évocation de la nostalgie, de l’exil, du sacrifice de soi et de l’héroïsme. Elle apparaît dans certains contextes rituels, dans les chants épiques, ou simplement au détour d’une phrase dans les conversations quotidiennes. S’appuyant sur des documents de terrain inédits consultables en ligne sur le site de la Société française d’ethnomusicologie, l’auteur montre que la parole mélodisée joue pour les Yézidis un rôle central dans la construction d’un idéal de vie reliant les vivants aux absents et aux défunts. »
Selon Estelle Amy de la Bretèque, « la parole mélodisée des Yézidis d’Arménie décrit un registre particulier d’utilisation du sonore, que les Yézidis nomment « paroles sur » (kilamê ser), et qu'ils situent à la frontière entre musique et langage. Il s'agit en premier lieu d'une manière de mélodiser la parole pour exprimer des sentiments tristes dans des contextes rituels (comme les funérailles), ou dans les conversations quotidiennes. Le terme s'applique également au jeu du hautbois duduk. Ce mode d'énonciation fait l'objet d'un intérêt particulier dans la communauté, et bien que les Yézidis ne le considèrent pas comme « musical », il est fréquent de trouver des « paroles sur » enregistrées sur les disques et cassettes du marché local. L’analyse des caractéristiques formelles et performatives des « kilamê ser » permet de montrer comment cet usage particulier de la parole construit un espace de partage des émotions. En son sein, les conceptions yézidies de l'exil s'articulent à celles du sacrifice, de l'héroïsme et du deuil. Au delà de la catharsis individuelle, les paroles mélodisées sont un pivot grâce auquel l’absence devient présence, et la mort intègre la vie.»
Une présentation-débat de l’ouvrage et de ses travaux sera faite à l’institut kurde de Paris, au mois de juin, par l’auteur.