Le 9 octobre, le Conseil national de sécurité kurde, dirigé par Masrour Barzani (qui est aussi à la tête des Asayish) annonçait l’arrestation de trois hommes, tous trois arabes et membres présumés de l’organisation djihadiste État islamique en Irak et en Syrie (ou au Levant), soupçonnés d’être impliqués dans l’attentat. Les noms et leurs portraits ont été rapidement dévoilés aux media : Samir Bakr Yunis, Mohammed Khalil Qaddusg et Hashem Saleh Mohammed. Ils sont tous originaires de Mossoul.
Selon un responsable des Asayish, Tariq Nuri, les suspects, membres d’ISIS, ont acheté les deux voitures ayant servi à l’attaque à Kirkouk, province en dehors du GRK, et les ont amenées à Mossoul. Ils ont aussi équipé en armes et en explosifs les trois kamikazes et Sami Bakr Yunis aurait même avoué avoir déclenché lui-même, à distance, l’explosion d’un des véhicules. L’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) aurait posté une déclaration, dans un forum djihadiste, revendiquant l’attentat en accusant le GRK de soutenir les forces kurdes qui, en Syrie, se battent contre les islamistes.
Une autre hypothèse a été soumise au journal arabe Asharaq Al Aswat, par une source kurde anonyme : la libération des membres de l’organisation terroriste, détenus dans les prisons des Asayish. Les terroristes auraient essayé de s’emparer des bâtiments pour en libérer les prisonniers et auraient échoué à passer le barrage des gardes.
Le président Massoud Barzani a menacé de frapper les terroristes partout où ils se trouvent, même en Syrie.
Pour le moment, les seules mesures ont été de boucler la Région et surtout de filtrer de façon drastique l’entrée des Arabes irakiens au Kurdistan d’Irak, alors qu’en cette période de fête, les touristes affluaient. Beaucoup ont été refoulés par les forces de sécurité kurdes surtout les hommes seuls. Mais bien que les revenus du tourisme aient chuté de 50% par rapport aux années précédentes, les Kurdes vivant du tourisme n’ont pas manifesté de mauvaise humeur devant ces mesures, le principal souci de toute la Région est avant tout de rester cet « autre Irak », c’est-à-dire une enclave sûre pour ses habitants, qu’ils soient natifs ou réfugiés dans les provinces d’Erbil, de Sulaymanieh ou de Duhok, ce qui aura pour effet, de toute façon, de voir rapidement les affaires reprendre. L’attentat assez similaire de mai 2007 n’avait ainsi pas fait chuter le sentiment de sécurité que connaissent tout ceux qui voyagent à l’intérieur du GRK. Les réactions les plus amères ou désappointés, sont venus des vacanciers irakiens refoulés. Il est à noter cependant que les Arabes ayant un emploi au Kurdistan, ou disposant d’un permis de résident valide, n’ont pas été interdits d’entrée. Mais les Asayish ont réexaminé toutes les fiches des résidents étrangers au GRK et tous ceux dépourvus d’emploi ou qui ne figurent pas dans les dossiers des services ont été expulsés.
EIIL est très actif en Irak, notamment à Mossoul, et menace régulièrement la Région kurde. Cette attaque peut annoncer une suite d'agressions visant les Asayish, puisque le directeur général de la Sécurité du GRK annonçait en fin de mois après l'arrestation de deux terroristes porteurs de ceintures d'explosifs, membres de cette même organisation, qui projetaient d'attaquer les forces de la petite ville d'Akre, province de Duhok. L'un des deux hommes, Guetbah Ahmed Qassem Khatteb, portant le nom de guerre d'Abu Qataba, est originaire de Syrie et est né en 1966 à Alep. Le second, Qader Nasser Khdaier, nom de guerre Abu Abdullah, est né en 1967, à Mossoul, et a la nationalité irakienne.
À Mossoul, les mêmes djihadistes menacent régulièrement les minorités religieuses kurdes (shabaks, yézidis) et chrétiennes et, de façon générale, tout ce qui leur parait contraire à leur vision étroite de l'islam. Récemment, ils ont ainsi délivré une fatwa à l'encontre des professeurs d'anglais de la ville, accusés d'enseigner une langue étrangère que les musulmans ne doivent pas apprendre. Le chef de la sécurité de Mossoul a indiqué au journal kurde BasNews que depuis le début du mois d'octobre, 9 professeurs d'anglais avaient été assassinés.
La nouvelle présidence n’a pas adouci le sort réservé aux prisonniers politiques kurdes et les pendaisons se sont même accélérées de façon très inquiétante si l’on considère le nombre de Kurdes qui attendent dans les couloirs de la mort. Si l’année 2012 avait vu une baisse des exécutions, 2013 a vu au contraire ce nombre s’accroître, avec 304 pendaisons connues et 234 autres exécutions secrètes selon des sources indiquées comme fiables par Amnesty International.
Le 4 octobre, dans son sermon du Vendredi, un imam de la ville kurde de Sine (Sanandadj), Mollah Husamaddin Mudjtahidj, a appelé à l’exécution rapide de la sentence de mort prononcée contre quatre jeunes Kurdes, condamnés pour le meurtre d’un autre imam de la ville, Sheikh Al-Islam Burhani A’ali, en déclarant que retarder plus longtemps leur pendaison serait « une insulte à l’islam et aux musulmans » (BasNews). Djamshid et Djihangir Dehghani, Hamid Ahmedi et Kamal Mawlayi se trouvaient pourtant déjà en détention au moment du meurtre, selon Amnesty International. Mais cette absurdité n’a pas troublé les juges qui supposent aux Kurdes de Sine un don singulier d’ubiquité.
Amesty International a aussi alerté sur le sort de deux autres Kurdes, Hamid Ahmadi et Sedigh Mohammadi, également condamnés à la peine capitale, ont été transférés en cellule d’isolement le 26 septembre, ce qui est souvent le préalable à une exécution. Ils ont été convaincus pour des raisons assez floues d’être des « ennemis de Dieu » et de répandre « la corruption sur terre ». Les imams sont décidément en ce moment bien avides d’exécution.
Le 25 octobre, les autorités judiciaires et de la sécurité de la province du Kurdistan ont essayé de faire appliquer la peine de mort prononcée contre Zanyar et Loqman Moradi, actuellement détenus à la prison Radjayi Shahr à Karaj, selon la Campagne internationale pour les droits de l’homme en Iran, conjointement avec la partie civile, l’imam de la ville kurde de Mariwan. Loqman et Zanyar Moradi ont été arrêté le 2 août 2009 et condamnés pour implication dans le meurtre du fils de l’imam et pour être des ennemis de Dieu et avoir participé à des actions armées du Komala (un mouvement kurde) alors qu’ils ont toujours clamé leur innocence, affirmant que toute l’accusation a été montée par les services secrets et qu’ils n’avaient « avoué » qu’après de sévères tortures.
L’organisation Campagne internationale pour les droits de l’homme en Iran a depuis fait état d’une source de Mariwan qui leur aurait révélé que peu de temps après le meurtre du fils de l’imam, de hauts gradés parmi les Gardiens de la Révolution, impliqués dans le meurtre de dizaines de civils kurdes, avaient été arrêtés par leur propre service. Il a été ensuite établi que ce groupe au sein des Gardiens de la Révolution avait assassiné de nombreux civils qu’ils avaient ensuite revêtus de vêtements militaires, en les faisant passer pour des membres du PJAK ce qui leur permettait de toucher les primes allouées par les Gardiens pour chaque combattant du PJAK tué. Selon cette source locale, le fils de l’imam aurait pu faire partie de ces infortunés civils. Mais l’affaire n’a pas été révélée publiquement par les autorités et le chef de ce groupe, Hiya Tab, qui était commandant des Gardiens dans la province du Kurdistan a été secrètement exécuté il y a quelques semaines. Selon l’agence Tadbir News, Hiya Tab était fortement soupçonné d’être responsable de ce meurtre comme de tant d’autres.
Le 25 octobre, Habibullah Gulperipour était exécuté dans un lieu inconnu après avoir été transféré le même jour de sa cellule d’isolement à Ourmiah. Il était emprisonné depuis 2007 et avait subi de graves tortures. Sa famille a été avertie au dernier moment et quand ils sont arrivés au centre de détention, Habibullah était déjà mort. Ils n’ont pu voir le corps et encore moins le récupérer pour des funérailles. Habibullah Gulperipur avait été arrêté le 27 septembre 2007 à Mahabad. Le 14 mars 2010 il avait été condamné à mort en tant qu’« ennemi de Dieu » et appartenance au PJAK, après un procès qui a duré cinq minutes. Il a toujours nié avoir eu une quelconque activité armée et déclaré avoir été torturé durant ses interrogatoires. Une agence de presse kurde clandestine, Mukiran News affirme, pour sa part, que le 29 octobre, ce sont onze prisonniers détenus dans la prison d’Ourmiah qui ont été exécutés, six d’entre eux, Kurdes, étaient condamnés pour « trafic de drogue ».
Deux jours plus tard, le 31 octobre, la Haute Cour d’Iran a approuvé la peine de mort prononcée à l’encontre de Mansour Arwend, détenu dans la prison d’Ourmiah et arrêté deux ans auparavant à Mahabad pour activisme politique. Ismail Arwand, son frère, a indiqué à l’agence Kurdistan Press que les Gardiens de la Révolution avaient eux-mêmes averti sa famille que Mansour allait être prochainement exécuté. Fait troublant, son avocat a changé à la fois de numéro de portable et de domicile, les laissant sans nouvelle depuis le 2 novembre. Un autre frère de Mansour, Sirwand Arwand, a lancé une vidéo sur YouTube appelant à suspendre l’application de la sentence ( http://youtu.be/YyfCvnrFf5c )
Quand les prisonniers n’encourent pas la mort par pendaison, ils risquent de graves atteintes à leur intégrité physique pour raisons de santé. Ainsi la militante kurde Zeinab Djalalian, âgée de 31 ans et détenue dans la prison de Kermanshah depuis 2008, pourrait perdre la vue en prison, selon l’agence Hrana News. Ces lésions résulteraient des tortures et des agressions diverses qu’elle a subies en prison. Elle est privée de tout traitement médical et sa famille n’a pu lui rendre visite début octobre. Déjà en juin 2012, un rapport des médecins de la prison Dizel Abad de Kermanshah, mentionnait que Zeinab Djalalian souffrait d’hémorragies internes et d’une infection intestinale toujours suite à des séances de torture.
Zeinab Djalalian avait été arrêtée à Kermanshah, accusée d’être liée au Parti de la Vie libre (PJAK), la branche iranienne du PKK. Elle avait été condamnée à mort le 14 janvier 2009, par le Tribunal islamique révolutionnaire, après un procès qui avait duré 7 minutes, sans avocat de la défense. Sa peine avait été ensuite commuée en emprisonnement à perpétuité en décembre 2011.
Devant cette vague de pendaisons, un certain nombre de prisonniers politiques kurdes ont entamé une grève dans la faim dans les villes de Sine, Kermanshah, Oiurmiah et Tabas. À Mariwan, une manifestation de protestation, avec des habitants de la ville brandissant des pancartes en persan, anglais et kurde : « N’exécutez pas le Kurdistan » a été immédiatement attaquée par les Gardiens de la Révolution, qui ont arrêté plusieurs personnes. Des soldats ont aussi été envoyés dans les rues pour disperser les plus petits rassemblements. Des protestations publiques ont eu lieu aussi en dehors d’Iran, comme dans la ville de Van (Kurdistan de Turquie), à l’initiative du parti BDP.
Après l’annonce du Premier Ministre turc, Recep Tayyip par Erdogan de réformes constitutionnelles qui se sont avérés décevantes et quasi-inexistantes, le parti kurde BDP et le PKK ont fait part de leurs critiques et de leurs frustrations mais il fallait attendre la réaction d’Abdullah Öcalan pour savoir quelle suite serait donnée au « processus de paix » qu’il a initié conjointement avec le gouvernement AKP.
Le 8 octobre, le leader du PKK a reçu la visite de son frère Mehmet qui a rapporté ses propos à l’agence de presse DIHA, précisant qu’Abdullah Öcalan avait l’intention de faire part publiquement de son opinion le 15 octobre, date qu’il avait déjà donnée comme « ultimatum » à la Turquie pour qu’elle avance concrètement dans le processus de paix. Mais, selon Mehmet Öcalan, il aurait commenté le paquet de réformes comme n’ayant « aucun rapport avec les Kurdes, que depuis le début du processus de paix, il a été préparé et annoncé par l’État et le gouvernement, et laisse la question kurde de côté ». Öcalan se serait par ailleurs dit « satisfait » devant la trêve instaurée et le fait qu’aucune mort n’ait été à déplorer « dans les deux camps » ; cependant, le gouvernement turc devrait paver le chemin afin de permettre l’avancée du processus de paix, lequel ne peut se faire de façon unilatérale. Il s’exonère au passage des difficultés et points morts qui bloquent la situation, expliquant qu’il a été tenu à l’écart de tout ces derniers mois et envisageant son retrait éventuel du processus : « Je ferai part de mes réflexions à la délégation du BDP et de l’État dont j’attends la visite dans les semaines qui vont suivre. Le reste – si le processus avance ou non – est au-delà de ma portée car je n’ai pu faire ma part dans ce processus. Sans cela, nous aurions assisté à des développements et mes conditions en auraient été améliorées. Si l’État et le gouvernement ne parviennent pas à ouvrir le chemin de ma future implication dans le processus, ce sera tout, et je pourrais me retirer des négociations si le processus prend ce chemin. Je ne sais qui prendra part alors aux négociations, peut-être le BDP et Qandil devraient-ils accepter de continuer. »
Au sujet des prochaines élections, au moins locales et législatives (la Turquie pourrait aussi organiser ses présidentielles en plus du référendum sur la constitution) Abdullah Öcalan donne sa vision de ce que devrait être la future gouvernance locale: « Les décisions doivent être prises tous ensemble, et non par les seuls maires ou conseils municipaux. Il doit y avoir une organisation de base commune et les gens doivent réguler les municipalités dont l’administration doit reposer sur un système de co-présidence et la participation du public. »
Le 15 octobre, une délégation du BDP composée de Pervin Buldan et d’Iris Baluken rencontrait à son tour Abdullah Öcalan à Imrali et il fut confirmé que le mécontentement conjoint du BDP et du PKK/KCK allait être modéré par la vision modérément optimiste de leur leader. Öcalan a répété qu’il espérait toujours en la réussite de ce processus de paix, mais que la Turquie devait faire passer ce processus « de grande portée » « à la vitesse supérieure » : « J’ai présenté mes propositions à l’État par écrit et verbalement. J’attends la réponse de l’État pour des négociations sérieuses et profondes. » Selon Pervin Buldan, s’exprimant auprès de l’AFP, le leader du PKK estime que ce processus de résolution n’a cependant connu ni avancée ni établissement d’une base juridique, mais qu’il ne désespérait pas encore. Abdullah Öcalan a confirmé aussi son appel du pied aux Kurdes plus religieux que révolutionnaires (son discours de mars était une exaltation de la fraternité musulmane que n’eût pas reniée l’AKP) en souhaitant la tenue d’un « congrès islamique démocratique à Diyarbakir, afin de contrer l’influence de « cercles qui trahissent l’islam comme Al-Qaeda et Al-Nusra », qui essaient, tout autant que le PYD, de recruter des jeunes Kurdes pour le front syrien.
L’autre réaction attendue était celle de Qandil et surtout de son tout nouveau commandant, Cemil Bayik. Le 22 octobre, celui-ci déclarait que ses troupes étaient « prêtes à rentrer en Turquie » si le gouvernement ne faisait pas redémarrer le processus de paix (là encore, le discours est le même que celui tenu durant tout l’été). Cemil Bayik a répété, après Öcalan, qu’il fallait entamer des négociations « sérieuses et profondes » mais en menaçant d’une « guerre civile » en Turquie dans le cas contraire. Les demandes n’ont pas non plus varié : l’amélioration des conditions de détention du président du PKK, des amendements à la constitution (le paquet de réformes étant jugé « vide »), et la participation d’une tierce partie dans le processus. Sur la question syrienne, Cemil Bayik considère que la Turquie a déplacé son front contre les Kurdes et accuse Fethullah Gulen, à la tête d’une puissante confrérie religieuse en Turquie et au Kurdistan, de recruter et d’entraîner des « groupes de bandits » islamistes pour combattre les Kurdes en Syrie. Par contre, Bayik nie tout envoi de combattants du PKK pour renforcer les YPG syriens : « Nous ne voulons pas les envoyer au Kurdistan occidental. Si le gouvernement turc le souhaite, le champ de bataille est au Kurdistan du nord. Cependant, des Kurdes du PKK originaires de Syrie sont retournés se battre dans leur région d’origine, et de nombreux jeunes au Kurdistan de Turquie sont désireux de rejoindre les rangs des YPG. » Enfin Cemil Bayik s’est montré, comme toujours, critique sur la réussite du Kurdistan d’Irak en la qualifiant de fondée sur « le pétrole, le gaz et l’économie » et ne « servant pas la question kurde » : « La Turquie avait l’habitude de combattre au Kurdistan du sud sur le terrain mais maintenant ils veulent gagner la guerre à l’intérieur de la forteresse. »
Hormis ces propos qui ne diffèrent guère des discours de ceux de son prédécesseur Murat Karayilan, il n’y a pas eu, pour le moment, d’actions ou de réactions particulières de la part du PKK. Mais on apprenait quelques jours plus tard, que Cemil Bayik avait procédé à des changements de personnes dans la structure de direction du KCK, remplaçant, par des gens à lui, des responsables en poste du temps de Karayilan, à savoir Ahmet Deniz qui était à la tête du bureau de relations du PKK, son adjoint Roj Welat, qui était aussi rédacteur en chef du site d’informations Firat News, Duyari Qamichlo qui supervisait les media, Heval Demhat, « coordinateur en chef » de Qandil, Hevak Heqi, qui travaillait aussi dans les media. Un responsable du PKK, Zagros Hiwa, membre du comité des relations étrangères du PKK, a déclaré à Basnews qu’il ne s’agissait que d’un remaniement interne normal et non le signe ou l’aboutissement d’un conflit, même si Basnews fait état de « tensions » au sein de leadership de Qandil ».
Enfin, ce mois a vu la formation du Parti démocratique du peuple (HDP), qui regroupe le BDP et plusieurs autres petits partis de gauche turcs, tente de se rapprocher des mouvements citoyens et urbains de Gezi Park qui veulent se différencier du CHP (premier parti d’opposition, avec une idéologie laïque mais très nationaliste). Le HDP se veut donc être une troisième voie pour les opposants à l’AKP (et notamment les Alévis) que la ligne du CHP ne satisfait pas entièrement et qui votent parfois pour ce dernier par défaut, pour barrer la route au parti gouvernemental.
Dans les faits, le BDP et le HDP se partageraient la Turquie lors des futures campagnes électorales : le BDP faisant campagne à l’est, le HDP à l’ouest, visant particulièrement les Alévis qui rassemblent 60% des électeurs du CHP et une bonne partie de la contestation de Gezi Park, peu encline à suivre la ligne nationaliste du CHP ((les gauchistes, les féministes, les LGBT, les Arméniens, etc., même si le BDP et les Kurdes ont peu suivi ce mouvement).
Mais le handicap du HDP est de paraître, aux yeux de l’opposition turque, comme un mouvement pro-Öcalan, même si cela est nié par ses responsables (mais certains, comme Tuncel et Kurkcu, sont tout simplement des figures du BDP qui ont démissionné pour rejoindre leurs nouvelles fonctions). D’un autre côté, les déclarations « islamophiles » d’Öcalan dans sa déclaration de mars 2013 peuvent refroidir les Alévis, tout comme le caractère « progressiste », pro alévis, pro LGBT et de gauche affiché par le HDP n’est pas fait pour séduire une partie de l’électorat kurde qui reste conservateur et vote pour cela l’AKP, comme le fait remarquer le député kurde plutôt religieux Altan Tan : « Une grande partie de cette gauche marginale est en contradiction avec la religion et l’islam. Et ni les Kurdes islamistes ni les musulmans turcs ne leur sont favorables en général. Même certains milieux libéraux sont en opposition avec cette gauche marginale. Si bien que le projet HDP, qui était supposé rassembler tous les libéraux démocrates, les musulmans démocrates et la majorité du peuple kurde, s’est rétréci à un projet limité à la gauche marginale turque. » (Al-Monitor).
Le HDP peut rencontrer un certain succès à Istanbul : Sirri Sureyya Onder, parlementaire affilié au BDP s’y portera certainement candidat pour le HDP, car il y est populaire, et donc y contrer le CHP. Le HDP peut ainsi avoir ses chances dans toutes les municipalités turques où le mouvement de Gezi Park a eu un écho, et (peut-être) à Dersim où le CHP barre le plus souvent la route au BDP. Le reste de l’électorat kurde dans ses provinces, se partage depuis des années entre BDP et AKP, oscillant au gré des espoirs et des promesses tenues et (surtout) non tenues par l’AKP. La dernière fois, la politique de surplace d'Erdogan concernant la question kurde avait bénéficié au BDP. Mais pour mars 2014, le même surplace politique peut amener une défaveur envers le BDP puisque c’est Öcalan qui est apparu comme son artisan et initiateur principal, avec le discours du 21 mars 2013.
Au début du mois d’octobre, quatre partis kurdes syriens, membres du Conseil national kurde et proches du Parti démocratique du Kurdistan d’Irak ont annoncé leur unification, dans une tentative (il y a eu des précédents) de reformer le Parti démocratique du Kurdistan de Syrie tel qu’il a été fondé en 1957 qui était aussi proche du mouvement de Mustafa Barzani, sous la bannière du PDK-Syrie (ou Al Parti)d’Abdulhakim Bashar : le Parti de la liberté (Azadî) de Mustafa Cuma, le Parti de la liberté (Azadî) de Mustafa Osso, le Parti uni kurdistanî et le PDK-Syrien.
Sipan Hemo, un commandant des Unités de défenses du peuple (forces de sécurité du PYD) a immédiatement attaqué ce regroupement en l’accusant de « travailler à ouvrir un front kurde, de stopper les progrès des Kurdes de Syrie et de conspirer contre le cas kurde », d'être plus nuisible que les ennemis (du PYD), puisque le frappant dans le dos.
Le 18 octobre, dans un entretien accordé à Rudaw, Abdulhakim Bashar, le dirigeant du Parti démocratique kurde en Syrie, ripostait à ces attaques du PYD, en se plaignant que « même le régime du Baath ne faisait pas ce que le PYD fait. Le régime du Baath a donné plus de liberté aux politiciens et aux intellectuels que le PYD… Sous le régime du Baath, il y avait seulement une prison dans chaque ville. Maintenant, sous le PYD, il y a plusieurs prisons dans chaque ville et tous les prisonniers sont kurdes. » Le dirigeant du PDK-Syrie, explique, par exemple, que le PYD empêche la distribution du journal de son parti, Rojava et qu’il ne pouvait retourner en Syrie de peur d’être tué. Contestant au PYD d’être le parti le plus puissant au Kurdistan de Syrie, Abdulhakim Bashar affirme que ce titre revient à son propre parti : « Il est vrai que le PYD a plus de forces armées, mais nous avons des organisations sociales plus fortes et plus de supporters ».
Sur l’application (ou plutôt la non-application des accords d’Erbil), Bashar indique qu’il y a concrètement peu de désaccords pratiques entre la ligne politique du Conseil National Kurde et celle du PYD, mais que ce dernier fait en sorte de bloquer tout le processus, afin de conserver sa suprématie politique et son monopole du terrain armé : « Le PYD refuse d’accepter une force unie et a insisté pour que nos combattants rallient leurs forces en tant que simples combattants et que toute décision de déclencher ou de stopper une guerre reposerait sur le PYD. Je crois qu’une révolution civile au Rojava commencera contre le PYD… En 25 jours, nous avons eu six rencontres avec le PYD et nous avions seulement deux points de désaccord. Mais après chaque rencontre, le PYD revenait avec un nouveau paquet de conditions. Nous en avons déduit que le PYD ne voulait pas vraiment parlementer. »
Si les relations entre le PDK syrien et le PYD ne sont donc guère au beau fixe, celles avec le PDK irakien ne se sont pas non plus améliorées. Alors que Salih Muslim, le dirigeant du PYD, voulait gagner l’Europe via le Kurdistan d'Irak, il s'en serait vu refuser l’entrée, le 23 octobre. Selon ses dires, il aurait attendu 5-6 jours au nouveau poste-frontière de Pêsh Khabour. Salih Muslim a accusé les hommes du PDK de ce fait, tout en affirmant d'abord que Massoud Barzani n’était pas au courant, mais en laissant entendre que, dorénavant, il ne serait plus persona grata au Kurdistan d’Irak. Du côté des Peshmergas de Pêsh Khabour, on nie avoir vu Salih Muslim se présenter au poste frontière, comme l’a déclaré leur commandant, Shawkat Barbahari au site d’informations BasNews.
Salih Muslim prétend y voir une manœuvre pour l’empêcher d’être présent à la conférence de Genève et y favoriser au contraire la position du PDK-S nouvellement renforcé, qui veut rallier les partis kurdes à la Coalition syrienne. Les media du PKK et du PYD ont entamé une campagne indignée, en accusant le Gouvernement du Kurdistan d’Irak de vouloir complaire à la Turquie. Le BDP (parti kurde de Turquie) s’en est aussi mêlé et Pervin Buldan, sa vice-présidente a dénoncé une « barrière à l’unité et au rassemblement des Kurdes ». Gorran, le principal parti d’opposition au Kurdistan d'Irak, en meilleurs termes avec le PKK, a déploré aussi le refus du gouvernement kurde, de même Yekgirtu le principal parti islamiste qui soutient que la frontière du GRK devrait être ouverte à « tous les patriotes ».
Plus modéré, Mahmoud Osman, le vétéran de la politique kurde, chef de file des députés kurdes au Parlement de Bagdad a appelé une fois de plus au « dialogue » entre les PYD, le PKK et le PDK.
Devant les critiques et la tempête médiatiques émanant du PKK-PYD, le PDK a fait front et a même maintenu ses positions. Un responsable de ce parti a même conseillé à Salih Muslim de s'adresser à ses « bons amis » de Damas, de Téhéran, et même d’Ankara où il venait de se rendre, s'il voulait voyager hors de Syrie. Pour finir, le ministre de l’Intérieur du GRK, dans un communiqué officiel, a confirmé, le 27 octobre, soit 4 jours après le début de l’affaire, que Salih Muslim devrait passer par un autre pays pour ses déplacements, expliquant que « au cours des années passées, les frontières du Kurdistan ont été ouvertes pour toute personne comme Salih Muslim, et qu’en raison de cela, il (le GRK) a subi problèmes et menaces (de la Turquie, probablement) mais qu’en dépit de cela, Salih Muslim et consorts ont bénéficié de « facilités illimitées » ; que le président de la Région du Kurdistan n’a pas ménagé ses efforts pour soutenir les forces du « Kurdistan occidental sous le parapluie d’une seule nationalité et ce dans le cadre des accords d’Erbil ; qu’en contre-partie, le PYD, profitant de cet accord et des « facilités » (octroyées par le GRK), a imposé sa « domination » sur le Kurdistan occidental par la force des armes, l’intimidation, le meurtre et en empêchant les autres forces kurdes de jouer leur rôle » ; que jusqu’ici Salih Muslim avait pu entrer et sortir du Kurdistan d'Irak mais que ses déclarations et attitudes impropres allaient à l’encontre du calendrier kurde et de l’unité des Kurdes, et montrent clairement qu’il sert le régime syrien et sa violence, en plus de violer tous les pactes et chartes conclus » ; enfin, le ministre a invité le PYD à se « laver de ses crimes contre le peuple kurde et s’éduquer lui-même avant de faire des leçons de morale au Kurdistan du Sud. »
C'est donc via Bagdad que Salih Muslim s’est envolé pour l’Europe. Dès le lendemain du communiqué ministériel, les bureaux du parti PÇKD (branche irakienne du PKK, qui n’a guère obtenu que 3000 voix aux dernières élections, auxquelles il était admis à participer après avoir été interdit pendant des années) étaient fermés d'autorité à Zakho. Derya Khalil Ahmed responsable de l’exécutif de ce parti, a rapporté avoir été sommée par les autorités de fermer les locaux en 24 h et s’est plainte de harcèlement policier.
Sur le terrain, les forces du PYD, les YPG, ont remporté plusieurs batailles contre les islamistes qu’ils ont balayés de plusieurs localités autour de Seriyê Kaniyê et se sont emparés d’un poste frontière ouvrant sur l’Irak (essayant peut-être de se désenclaver de la Turquie et du Kurdistan d’Irak). Jabhat Al Nusra et l’État islamique en Irak et en Syrie ont affirmé qu’ils chercheraient à regagner le terrain perdu, mais pour le moment, et depuis le début des hostilités entre les YPG kurdes et les islamistes, ces derniers ne font pas le poids et ont donc reculé sur Raqqa (ils s’affrontent aussi avec des groupes de l’Armée Syrienne de Libération dans les régions arabes au sud ce qui ajoute à la confusion du front syrien).
La célèbre kurdologue et iranisante Olga Ivanonva Jigalina, est décédée le mercredi 23 octobre, à son bureau de l’Institut oriental de l’Académie des Sciences de Moscou suite à un arrêt cardiaque foudroyant. Kendal Nezan, Joyce Blau ainsi que tout le personnel de l’Institut kurde de Paris, ont présenté leurs condoléances très attristées à la famille d’Olga Jigalina ainsi qu’à tous ses collègues et amis.
Olga Jigalina est née en 1946 à Krasnovosk, en Russie. En 1964, elle s’inscrit à la section de philologie de l’Université Lomonosov, à Moscou. Après avoir obtenu sa maîtrise en Histoire (en 1966), elle soutient un Doctorat en 1973. En 1974, elle est en poste à l’ambassade de Moscou à Téhéran où elle restera cinq ans, jusqu’en 1979. Elle y étudie le persan et s’intéresse à la question kurde en Iran qui deviendra l’un de ses centres d’intérêt majeur.
De retour à Moscou, elle est alors nommée professeur à l’Institut oriental de l’Académie des Sciences de Russie. A partir de cette époque, elle publie de nombreux ouvrages et études sur le problème kurde en Iran qui seront pour la plupart traduits en kurde. Lorsque le professeur M.S. Lazarev prend sa retraite en 2004, Olga est nommée présidente de la section kurde de l’Institut oriental de l’Académie des Sciences de Moscou.