Le 16 novembre 2013, Massoud Barzani, le président de la Région du Kurdistan d’Irak, se rendait dans la ville de Diyarbakir (capitale politique du Kurdistan de Turquie) invité par le Premier ministre turc, Recep Tayyup Erdoğan, invitation que le chef du gouvernement turc a lui-même qualifiée d’ « historique ».
Alors que le déroulé du processus de paix avec le PKK, initié en mars 2013, marque le pas, que le PKK a annoncé le gel du retrait de ses troupes de Turquie et que les réformes promises par le gouvernement d’Ankara se sont avérées décevantes, la volonté de Recep Tayyip Erdoğan était peut-être de « prouver sa volonté de mettre fin au conflit kurde au moment où les choses ne vont pas très bien » comme l’a déclaré à l’AFP une source anonyme qualifiée de « proche du gouvernement », qui a ajouté que le choix de Diyarbakir, ce « berceau des Kurdes » était évidemment intentionnel et « symbolique ».
Par ailleurs, cette visite est survenue quelques jours après la déclaration unilatérale d’autonomie du Parti de l’union démocratique (PYD) kurde syrien, branche du PKK, déclaration qui a encouru la désapprobation conjointe de la Turquie et du gouvernement kurde d’Erbil. Plusieurs observateurs politiques ont émis l’hypothèse que la situation au Kurdistan syrien serait un des grands sujets abordés lors de cette rencontre, en plus des tensions récurrentes entre Erbil et Bagdad, des accords pétroliers avec Ankara et des attaques terroristes de l’organisation djihadiste État islamique en Irak et au Levant (EIIL), qui lutte à la fois contre le gouvernement de Bagdad, les Kurdes de la Région du Kurdistan d’Irak et les forces du PYD en Syrie.
Cengiz Candar, éditorialiste au journal turc Radikal estime, pour sa part, que si, d’un côté, Erdogan a besoin du « renfort de Barzani pour régler son propre problème kurde », Massoud Barzani, lui, a besoin du soutien de la Turquie contre l’axe de l’Iran, de la Syrie et de Baghdad.
Le Parti pour la paix et la démocratie (BDP), principale force pro-kurde en Turquie, était, pour sa part, assez divisé sur l’événement, que certains, comme le président du BDP de Diyarbakir, Mehmet Emin Yilmaz (à la tête d’une contre-manifestation devant le siège local de son parti) voyait comme un soutien apporté à R. T. Erdoğan en vue des élections prochaines. D’autres, comme la députée Leyla Zana ou le maire de Diyarbakir, Osman Baydemir, ont voulu y voir avant tout un « signe d’espoir » et ont assisté à la cérémonie. Osman Baydemir, qui a donné ensuite une conférence de presse conjointe avec Massoud Barzani, a déclaré que cette rencontre « contribuait à une paix fondée sur une loi de fraternité nécessaire pour tous. »
Mais Hugh Pope, directeur de l’International Crisis Group (ICG) Turkish Project, voit, lui, cette visite comme un « défi » adressé au PKK, plus encore qu’une manœuvre électorale d’Erdogan :
« Cette visite souligne de façon spectaculaire la poussée nouvelle de deux lignes progressistes majeures au sein du Parti du la justice et du développement (AKP) : la normalisation [des relations] avec le GRK et ses efforts pour trouver un récit national plus inclusif en Turquie, surtout concernant les Kurdes. C’est un défi pour le PKK au sens où Massoud Barzani (vêtu en tenue traditionnelle kurde et faisant son discours dans sa langue) représente une idéologie « kurdiste » très différente de celle du PKK. Il est cependant intéressant de noter que tenir un tel meeting à Diyarbakir consacre cette ville comme principale ville kurde de Turquie ».
Selon Hugh Pope, cette visite a pour but de maintenir les Kurdes au sein de la Turquie, en voulant donner une impulsion au processus de paix :
« Il est évident que l’AKP espère que cela va les aider dans le futur cycle électoral. Mais pour gagner véritablement la majorité des Kurdes de Turquie, Erdoğan va devoir aller de l’avant dans un projet structuré, avec pour objectif le plein droit à l’éducation des Kurdes dans leur langue maternelle, un débat ouvert et une action de décentralisation, l’abrogation de toute discrimination dans la constitution, rendre la loi anti-terrorisme conforme aux normes européennes et abaisser le seuil électoral de 10 à 5%, permettant ainsi au principal parti kurde de Turquie un accès équitable à la politique. »
Dans son discours, le Premier ministre turc a assuré que « le processus de paix ira de l’avant avec le soutien de « ses frères de Diyarbakir », et a demandé leur « soutien » :
« Comment Turcs et Kurdes ont-ils pu s’entre-déchirer ? Les Turcs et les Kurdes ne doivent plus jamais s’entre-déchirer. »
Quant à Massoud Barzani, son discours a appelé de même à la poursuite du processus de paix :
« Je suis heureux d’être parmi vous, dans cette chère ville de Diyarbakir. Je voudrais remercier chaleureusement le Premier Ministre Erdogan pour son invitation. Pour moi, c’est une visite historique. J’emporte avec moi les salutations chaleureuses du Kurdistan de Turquie, et je porte les salutations chaleureuses d’Erbil à Diyarbakir qui est si chère.
Mesdames et Messieurs, aujourd’hui est un jour historique ; c’est un jour où nous commençons de fonder une coexistence et à nous accepter les uns les autres.
Une des étapes en a été le jour où M. Erdoğan est venu à Diyarbakir en disant que le temps de négation des Kurdes était révolu. Pour moi, en tant que Kurde, je me suis réjoui qu’un leader ait surgi en Turquie, pour la mettre sur la bonne voie, la voie de la fraternité.
Mesdames et Messieurs, les gens du Moyen-Orient doivent coexister et vivre en paix entre eux, en s’acceptant mutuellement. Par la coexistence, nous pouvons rendre nos pays plus prospères. Nous avons essayé la guerre et aucun d’entre nous n’en a bénéficié. Le sang d'un jeune Kurde ne doit plus être versé par un jeune Turc et le sang d'un jeune Turc ne doit plus être versé par un jeune Kurde .
Les bases du processus de paix ont été posées, merci à M. Erdoğan, pour l’avoir initié, et j’appelle tous mes frères kurdes et turcs à soutenir ce processus de paix. La lutte pour la paix est difficile et cette lutte ne peut être poursuivie que par des hommes courageux .
Je vous annonce ici que nous, Kurdes et Turcs, sommes parties prenantes de ce processus de paix et nous l'appuyons. Je désirais depuis près de deux décennies de me rendre à Diyarbakir et de vous parler de cette manière. Ce jour est clairement le résultat de la paix et de la fraternité.
Pour finir, je tiens à réaffirmer que je suis très heureux d'être parmi vous aujourd'hui. Je vous souhaite succès et prospérité .
Et maintenant, je voudrais dire quelque chose en turc , même si je ne sais pas le turc : « Vive la fraternité des Kurdes et des Turcs , Vive la liberté , Vive la paix ! »
Les discours des deux hommes politiques ont été précédés d’une prestation conjointe des chanteurs très populaires Şivan Perwer et Ibrahim Tatlises. Le retour de Şivan Perwer sur sa terre natale, après 37 ans d’exil en Europe, a été un moment fort de cette journée chargée d’émotion. La cérémonie s’est conclue par un mariage collectif de plusieurs centaines de jeunes couples, auquel présidaient Recep Tayyip Erdogan et son épouse, Massoud Barzani et la députée Leyla Zana.
Alors que, début novembre, les forces aériennes et terrestres syriennes poursuivaient leurs attaques contre les quartiers de Damas tenus par l’Armée syrienne de libération, les forces kurdes du PYD (YPG) continuaient de repousser les milices djihadistes de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) au nord-est syrien, dans la province à majorité kurde de Hassaké. Plusieurs villages autour de Serê Kaniyê (Ras Al Ayn, en arabe) ont été repris aux islamistes par les Kurdes du PYD qui contrôle maintenant, selon L’Observatoire syrien des droits de l’homme, une bande de 25 km le long de la frontière turque. En tout, selon cette organisation indépendante basée à Londres, c’est 19 villages, arabes ou kurdes, qui ont été repris aux djihadistes aux premiers jours de novembre, ainsi qu’une station d’essence à Sefrani et un silo à grains à Al-Sefih. Avec l’ultime reprise de la zone de Manajdir, c’est toute la région autour de Serê Kaniyê qui est maintenant tenue par les Kurdes, l’État islamique en Irak et au Levant se repliant sur Raqqa et le sud-ouest de la vallée de l’Euphrate.
Les YPG ont annoncé de leur côté de nombreuses pertes et blessés chez les djihadistes, et que des munitions et des armes anti-aériennes avaient été saisies. Sur le terrain politique, c’est la tenue de la seconde conférence de Genève qui occupe les esprits et le 8 novembre, 9 partis kurdes tenaient à Hassaké une réunion pour décider de la condition de leur participation à cette conférence et de la teneur de leurs revendications. Les 9 partis présents étaient le Parti de l’union démocratique (PYD), le Parti de l’union démocratique des Kurdes syriens, le Parti kurde démocratique de Syrie, le Parti de la liberté des Kurdes syriens, le Parti démocratique syrien pour l’égalité, le Parti de l’union kurde syrienne, le Parti de l’union syrienne démocratique et le Parti de la démocratie progressiste des Kurdes syriens. Les partis kurdes membres du Conseil national kurde syrien ont indiqué, durant cette rencontre, leur intention de se rendre à Genève avec la Coalition nationale syrienne, tandis que le représentant du PYD, Şêxmûs Ehmed, maintenait que les Kurdes devaient figurer à Genève en tant que tierce partie. Aucune position commune n’a pu ainsi être trouvée.
Presque aussitôt après, le PYD et ses partis alliés ou affiliés, annonçaient, à Qamishlo, la formation d’un « gouvernement autonome kurde de transition », de façon unilatérale, en se passant des Kurdes du Conseil national kurde (CNK). Une « Assemblée constituante » composée de 82 Kurdes, Arabes, chrétiens et Tchétchènes a été formée et le « Kurdistan occidental » divisé en trois régions administratives : Afrin, Kobanê et Djézireh (suivant en cela, la distance géographique qui les sépare entre elles), qui auront chacune leur assemblée cantonale, dont les représentants siégeront à l’Assemblée générale et auront aussi des responsables à la tête de l’exécutif.
Cette annonce n’a pas eu le soutien des 15 partis kurdes du CNK, écartés de cette décision, et n’en ayant pas même pas été informés, selon eux, et ses responsables ne se sont pas privés de la critiquer. L’un d’eux, Nuri Brimo, a qualifié ce pas de « hâtif et unilatéral », et juge que le PYD « va dans la mauvaise direction ». L’opposition du Conseil national syrien (CNS) a accusé le PYD et ses affiliés d’être un « groupe hostile à la révolution syrienne » et, par cet acte « séparatiste », de porter atteinte au combat du peuple syrien.
Bien évidemment, la Turquie s’est aussi élevée contre ce gouvernement autonome. « Il est impossible d’accepter une quelconque déclaration de facto d’une entité autonome en Syrie, et cela ne peut mener qu’à une nouvelle crise » a déclaré, le 19 novembre, le ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu. Le président turc Abdullah Gul a aussi désapprouvé ce « fait accompli » : « Nous ne pouvons permettre que la Syrie, qui fait face à un chaos majeur, se désintègre. »
Principal soutien du Conseil national kurde, le président du Gouvernement régional du Kurdistan d’Irak, Massoud Barzani, a de même condamné immédiatement la tentative du PYD , qu’il a accusé « d’autocratie » et de « marginaliser les autres partis kurdes dans le Rojava (Kurdistan de Syrie dit « occidental ») » : « Avec les événements de Syrie, nous pensions qu’une bonne occasion se présentait aux Kurdes du Kurdistan occidental, et qu’après des décennies de négation de leurs droits, dont le droit à une citoyenneté, on pouvait entrevoir la fin de l’oppression du peuple kurde et une garantie définitive de leurs droits. Je suis inquiet de l’avenir du Kurdistan occidental et il y a un danger que cette occasion en or soit perdue pour ces Kurdes. Ces jours derniers, le PYD a unilatéralement proclamé sa propre administration au Kurdistan occidental. Nous réitérons notre position qui est que nous ne soutenons que les efforts venant des deux côtés. Nous ne négocierons aucune décision unilatérale. Si le PYD continue d’ignorer les autres, il est certain qu’il ne pourra faire face, seul, aux prochains défis et dangers, ce qui aura pour résultat de mettre gravement en péril le destin des Kurdes. Si toutes les parties ne reviennent pas aux accords d’Erbil… le PYD portera la responsabilité de la perte de cette occasion historique.
Le régime syrien n’a offert aucun droit aux Kurdes pour le soutien du PYD au régime. Vient le moment où l’opposition syrienne considère aussi les Kurdes comme étant les alliés de ce régime et cela apportera des problèmes majeurs à notre peuple dans le futur. Le fait que le PYD se joigne aux combats a eu pour conséquence que dix mille Kurdes sont devenus des réfugiés. »
En réponse à ces multiples critiques, le PYD a, le 15 novembre, fait une nouvelle déclaration, dans laquelle il répond principalement aux accusations de la Coalition nationale syrienne, dont il critique à son tour, l’attitude « hostile ». Il rappelle les propos récents d’Abdullah Öcalan sur la question syrienne, pour lequel « la fraternité des peuples kurde et arabe ne peut se faire sous l’influence de l’actuel régime » et souligne que plusieurs groupes au sein du Conseil national syrien sont politiquement influencés par l’AKP. Le PYD reproche aussi au CNS son silence devant les attaques récentes du Front al Nusra et de l’État islamique en Irak et au Levant contre les Kurdes.
Afin sans doute de montrer l’assise populaire apportée à cette décision, le PYD a aussi, le 20 novembre, rassemblé plusieurs milliers de ses supporters dans la ville d’Afrin, qui ont manifesté contre les déclarations de Massoud Barzani.
Behçet Berekat, vice-président de l’Assemblée du peuple d’Afrin, la toute nouvelle administration au niveau local de ce gouvernement autonome, a dénoncé l’attitude du Kurdistan d’Irak, en affirmant qu’ils « niaient la révolution teinte du sang de centaines de nos jeunes gens. Ce déni est le déni du sang versé par ces jeunes et le déni du travail de notre peuple. » Behçet Berekat a aussi jugé que ce message était « un soutien aux organisations agissant de concert avec des gangs, tel Al Parti et Azadi (deux partis kurdes syriens du CNK, hostile au PYD) et une promesse de poursuivre les attaques contre le Kurdistan syrien ».
Le 25 novembre, le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon donnait enfin la date de la seconde conférence de Genève, qui doit, selon lui, se tenir le 25 janvier 2014.
Dans le même temps, malgré leurs différends et les déclarations acerbes qui ont fusé de part et d’autre, le Parti démocratique du Kurdistan de Massoud Barzani et le PYD ont tout de même entamé à nouveau des pourparlers, le 30 novembre. Au programme de ces rencontres, en plus de la situation au Kurdistan syrien, le processus de paix entre la Turquie et le PKK ainsi que la tenue d’une conférence nationale kurde à Erbil figuraient parmi les sujets abordés. Contrastant avec la vivacité des propos tenus tout le mois, le représentant du PYD dans la Région du Kurdistan d’Irak, Jafar Hanan, a estimé que ces tensions n’étaient pas suffisantes pour entraver les négociations en cours et enterrer définitivement la conférence nationale kurde, dont la date a pourtant été reportée sine die, et ce pour la troisième fois consécutive.
Durant les 3 premiers mois de la présidence de Hassan Rouhani, 200 détenus, dont deux prisonniers politiques kurdes ont été exécutés et 7 autres récemment condamnés à mort. Depuis que le président iranien a pris ses fonctions en août dernier, on assiste à une spectaculaire augmentation des exécutions (200 depuis août 2013 et 278 depuis son élection en juin 2013).
Déjà, en octobre dernier, l’organisation International Campaign for Human Rights in Iran et le Iran Human Rights Documentation Center ont appelé ensemble à un memorandum d’urgence au sujet de l’accroissement dramatique de l’application des peines de mort : « Il est paradoxal que, dans le même temps où les relations entre l’Iran et la communauté internationale s’améliorent, le nombre des exécutions augmente en Iran. Beaucoup de ces prisonniers qui sont dans les couloirs de la mort sont soumis à des tortures, des confessions forcées et des procès irréguliers. Exiger l’arrêt de ces exécutions et le respect de la loi devrait être au sommet de l’ordre du jour dans le dialogue entre la communauté internationale et l’Iran. » (Mahmood Amiry-Moghaddam, porte-parole de Iran Human Rights.
Le 8 novembre, la Coalition mondiale contre la peine de mort a publié une déclaration condamnant ces exécutions « arbitraires » et appelé aussi la communauté internationale à inscrire en priorité dans leur agenda la question de la peine de mort en Iran.
En dehors des détenus condamnés pour « trafic de drogue »( la plupart étant tous, comme par hasard, ressortissants de minorités ethniques persécutées, comme les Baloutches ou les Arabes de l’Ahwaz), la majorité est composée de militants et de prisonniers politiques kurdes. Dans la dernière décade d’octobre, 40 personnes ont été ainsi pendues dans plusieurs villes du pays, et durant les seuls jours du 3 et 4 novembre, 12 prisonniers ont été exécutés. Parmi eux, Shirko Moarefi, un prisonnier politique kurde âgé de 34 ans, a été pendu le 4 novembre dans la prison de Saghez. Il avait été convaincu d’être un « ennemi de Dieu » le 1er novembre 2007 et, en raison des pressions internationales avait jusqu’ici échappé à l’application de sa sentence, confirmée le 14 novembre 2009 et le 1er mai 2011.
Dans la même prison de Saghez, un autre prisonnier politique, Mutelib Ehmedi aurait pris place à son tour dans la cellule qui prélude aux exécutions. Cinq détenus accusés de meurtre ont été de même exécutés à Kermanshah. La Haute Cour iranienne a récemment approuvé la condamnation à mort d’un autre Kurde, Mansur Arwend, détenu dans la prison d’Ourmia. Il avait été arrêté deux ans auparavant à Mahabad, et accusé d’appartenance à une organisation kurde. Son frère, Ismail Arwend, a confirmé que l’application de sa sentence pouvait survenir à tout moment, en indiquant aussi que l’avocat de son frère se trouvait subitement injoignable, avait changé le numéro de son portable et n’avait plus aucun contact avec la famille du détenu.
Revenant ainsi sur la pendaison simultanée de plusieurs Baloutches, le 26 octobre dernier, Florence Bellivier, la présidente de la Coalition mondiale contre la peine de mort, juge que « la peine de mort en Iran est souvent prononcée en violation des lois internationales ; dans ce cas (l’exécution des Baloutchis), aucune des garanties n’a été respectées, pas plus celles prévues par le droit international que celles ressortant des réglementations internes. » Quatre prisonniers arabes de la province de l’Ahwaz ont aussi été emmenés dans un lieu de détention secret, ce qui est toujours l’annonce d’une exécution imminente.
Des rapports émanant d’ONG locales indiquent que 12 prisonniers politiques kurdes sont actuellement menacés d’exécution imminente. Amnesty International insiste particulièrement sur le sort des deux Kurdes Zanyar et Loghman Moradi, dont la condamnation à la peine capitale a été prononcée en s’appuyant sur des confessions extorquées sous la torture, pour faire avouer aux deux prisonniers le meurtre du fils d’un imam de Mariwan, 2009, et la participation à de prétendues actions armées au sein d’une organisation kurde.
Ces exécutions ont provoqué l’indignation de l’opinion publique kurde et dans plusieurs villes du Kurdistan d’Iran, des manifestations ont eu lieu, toutes réprimées dans la violence. Ainsi, à Mariwan, le Corps des gardiens de la révolution islamique (IRGC) a attaqué, le 5 novembre, plusieurs personnes qui manifestaient dans le district de Sheirengewe et a procédé à des arrestations. Les manifestants portaient des pancartes rédigées en persan, en anglais et en kurde : « N’exécutez pas le Kurdistan ! ». Selon des témoins, l’armée s’est ensuite déployée dans les rues principales de la ville en empêchant les regroupements.
Des manifestations ont aussi eu lieu en dehors de l’Iran, d’abord à Van (Kurdistan de Turquie) et le 9 novembre au Kurdistan d’Irak, où le consulat iranien a été attaqué à coups de pierre à Erbil par un groupe de personnes qui s’étaient rassemblées devant le bâtiment pour protester contre les pendaisons. La police d’Erbil est rapidement intervenue. « La manifestation devait avoir lieu devant un parc, mais certains des protestataires ont changé le trajet du cortège et sont venus attaquer le consulat » a expliqué le chef de la police d’Erbil, Abdul Khaliq Tala’at au journal Basnews. « Nous avons arrêté un certain nombre de manifestants qui ont attaqué le consulat. »
Les 13 et 14 novembre, un colloque, organisé conjointement par l’Institut français des relations internationales (IFRI) et l’Institut du monde arabe (IMA), s’est tenu à Paris, au siège de l’IFRI, pour la journée du 13, puis à l’IMA, le 14. Intitulé la « Nouvelle Dynamique kurde », la thématique du colloque était ainsi présentée :
« La « question kurde » s’impose de nouveau sur le devant de la scène proche et moyen-orientale. La consolidation de l’entité kurde irakienne donne un nouvel élan à des revendications restées ailleurs confinées jusque-là dans le domaine des droits sociaux, culturels et politiques. En Syrie, l’aggravation de la guerre qui y sévit depuis mars 2011 donne lieu à des projections et des scénarios ouverts qu’on pouvait à peine envisager il y a peu. De même, en Turquie les fractures intervenues dans la vieille équation nationale lèvent le tabou historique de la diversité ethnique et culturelle, suggérant la perspective d’une réforme de la citoyenneté turque. Les Kurdes, en tant que peuple, entité politique ou acteur économique, ont désormais leur destin en main, ils pèseront lourd dans toute reconfiguration de la région du Moyen-Orient. »
Thomas Gomart et Dorothée Schmidt (IFRI) et François Zabbal (IMA) ont accueilli les participants et le public au matin du 13 novembre, pour la première session « Les Kurdes : rêves et projets », et c’est l’ancien ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner qui a ouvert la premiere journée de débat, avec une intervention intitulée « La force de la nouvelle dynamique kurde »
La première table ronde, « Les Kurdes face aux États : entre oppression et stratégies d’autonomisation » était modérée par Jean-Christophe Ploquin, rédacteur en chef au journal La Croix, et animée par Michiel Leezenberg, de l’université de Leyde, dont l’intervention portait sur « La fédération irakienne en équilibre instable » ; lui a succédé Kadri Gürsel, journaliste au quotidien turc Milliyet, à propos des «Aléas du ‘processus de paix’ turco-kurde » ; Abbas Vali, de l’université de Boğaziçi, s’est penché, lui, sur « Les Kurdes dans la crise syrienne », tandis que Clément Therme, de l’université de Genève, abordait le cas des « Kurdes iraniens : entre intégration et revendications ethniques ».
La deuxième table ronde s’est ouverte dans l’après-midi du 13 novembre, et avait Marc Semo, journaliste à Libération pour modérateur. Le thème en était « Les effets régionaux et internationaux de la dynamique kurde ». Y participaient Arthur Quesnay, de l’université de Paris I, avec « L’insertion des guerillas kurde dans les conflits du Moyen-Orient », Denise Natali, de la National Defense University, au sujet des « Kurdes dans la stratégie nationale américaine », Gareth Winrow, de l’université d’Oxford, avec « Les Kurdes dans la donne énergétique » et enfin Ofra Bengio, de l’université de Tel Aviv, dont l’intervention s’intitulait « Israël et les Kurdes ».
Cette première journée a été clôturée par Falah Mustafa, ministre des Relations extérieures du Gouvernement régional du Kurdistan d’Irak (GRK), qui a exposé « Les objectifs de la diplomatie du Gouvernement régional du Kurdistan ».
La seconde session, « Les nouveaux Kurdes » s’est déroulée à l’Institut du monde arabe. Elle a été ouverte par Jack Lang, ancien ministre de la Culture et président de l’Institut du monde arabe, et Denis Bauchard, de l’IFRI.
La troisième séance, « Kurdité, arabité, turcité : les identités meurtrières, ou comment les nationalismes se nourrissent de leur opposition », était modérée par Dorothée Schmidt (IFRI). Djene Bajalan (université d’Oxford) a retracé « La construction de la kurdité et la question kurde : De la société segmentaire à la nation » ; Jordi Tejel (Graduate Institute de Genève) a exposé « La formation de l'identité politique kurde dans la Syrie baathiste (1963-2013) : entre intégration nationale et opposition par procuration », tandis qu’Olivier Grosjean (Institut français du Proche-Orient, Amman), revenait sur « La construction des identités et politiques d’hostilité entre Kurdes et Turcs » ; enfin Cyril Roussel (Institut français du Proche-Orient, Amman) traitait de «L’intégration régionale du Kurdistan d’Irak avec ses voisins : Syrie, Turquie, Iran ».
La quatrième session s’intitulait : « La difficile unification des Kurdes par l’histoire, la langue et la culture » et était présidée par François Zabbal, de l’Institut du monde arabe, et rédacteur en chef de la revue culturelle Qantara. Boris James, de l’Institut français du Proche-Orient, a abordé « La construction de la mémoire historique kurde », et Joyce Blau, de l’Institut kurde de Paris, la question du kurde en tant qu’ « enjeu linguistique ». L’intervention de Salih Akin, de l’université de Rouen, s’intitulait « Culture fragmentée et aspiration unitaire » et le poète Seyhmus Dagtekin concluait cette table-ronde avec « Cet autre, condition même de mon existence ».
La seconde journée était clôturée par Kendal Nezan, président de l’Institut kurde de Paris, et dont l’intervention portait sur « La diaspora d’Europe et la dynamique kurde ».
Le 5 novembre, le groupe de musiciens kurdes Nishtiman (Patrie) sortait, chez Accords Croisés - Harmonia Mundi, un album remarqué par les critiques musicaux, en même temps qu’il entamait une série de concerts en France.
Dans son livret, l’album et son groupe éponyme est ainsi présenté par Bertrand Dicale par le journaliste et musicologue Bertrand Dicale : « Nishtiman, une aventure musicale pionnière et audacieuse, qui célèbre l'unité et la diversité du Kurdistan iranien, irakien et turc. Nishtiman signifie patrie, tout simplement. On connait la musique du Kurdistan turque, la musique des Kurdes d’Irak, la musique des Iraniens kurdes, la musique de la Syrie kurde – et toutes les variations syntaxiques que peut inspirer la géographie du peuple kurde, divisé entre quatre pays. Nishtiman est donc une aventure singulière qui réunit des musiciens de plusieurs nationalités autour de la musique, de la langue et de la culture du peuple kurde. Une aventure musicale pionnière et audacieuse, alors que les lois de la politique, les habitudes imposées par l’histoire et la routine des circuits culturels ont toujours séparé les Kurdes, y compris sur les scènes des festivals et dans les rayonnages de disques. Et, pourtant, le Kurdistan existe bel et bien, si l’on parle de musique. Nishtiman fait soudain surgir ce peuple et cette culture dans la vaste arène des musiques du monde, dans une vision à la fois contemporaine et enracinée. »
Dans le journal Télérama, Anne Berthod indique que « certes, il manque la Syrie. Mais trois parties du Kurdistan réunifiées sur un même disque, c'est déjà beaucoup, compte tenu de la rareté des projets célébrant les musiques kurdes. Au-delà du symbole — « nishtiman », en langue kurde, désigne la terre natale, la patrie —, c'est la qualité de la rencontre qui séduit. Celle d'artistes de nationalités et de dialectes différents, désireux de partager un patrimoine commun pour mieux en montrer la diversité. Parmi eux l'Iranien Sohrab Pournazeri, chanteur et prodige du luth tanbur et de la vièle à pique kamantché, sa compatriote Maryam Ebrahimpour, voix magnifique rompue au chant classique, l'oudiste irakien Goran Kamil ou encore le Turc Ertan Tekin, maître des hautbois (zorna, balaban, duduk). En choisissant ces virtuoses de la nouvelle génération, rodés aux collaborations diverses, mais également deux Français, à la contrebasse (Leïla Renault) et aux percussions africaines (Robin Vassy), le percussionniste irakien Hussein Zahawy, à la direction artistique, s'est extrait d'emblée du simple témoignage folklorique. Avec un répertoire original, construit autour des compositions de Pournazeri, qui relit les traditions kurdes en les rendant accessibles à tous. Danses tournoyantes portées par une folle allégresse, plaintes déchirantes et rythmes soufis extatiques, scansions viriles et coeurs blessés... ce florilège de styles permet aussi d'alterner, dans un équilibre parfait, pièces collectives et solos. Le son, dépouillé, est rehaussé par une production très soignée. »
Interviewé par Allan Kaval dans le journal Rudaw, Hussein Zahawy, explique que le but du groupe est de faire connaître à un public étranger la tradition musicale kurde, « dans un voyage musical à travers le Grand Kurdistan », avec des musiciens venus de différents endroits du pays. « Nous voulons promouvoir la culture, représenter une région culturelle en transcendant la notion d’État. Nous ne prenons pas en compte les frontières politiques . » Quant à l’absence de musiciens venus du Kurdistan de Syrie, elle n’est due qu’à la guerre.
Aux cinq Kurdes se sont joints deux musiciens français : Robin Vassy, qui joue des percussions africaines, et Leila Renault, une contrebassiste.
Leur répertoire mêle des musiques mystiques kurdes, comme celle des Yarsans, des airs populaires, chants d’amour ou danses traditionnelles. Enfin, afin de mieux porter la musique kurde à un niveau tant international qu’académique, le souhait de Hussein Zahawy est qu’un enseignement de qualité de la musique classique et traditionnelle kurde commence d’être introduit dans des conservatoires, par exemple dans la Région du Kurdistan d’Irak.