Séparé depuis presque un mois de l'Irak dont il se trouve coupé par l'État islamique, le Kurdistan tente d'assurer son émancipation économique, de contenir les assauts d'EI à Ninive et Kirkouk et de s'organiser politiquement en vue de sa future indépendance.
Le 3 juillet, le président Massoud Barzani a demandé au parlement kurde de préparer un projet de loi et de former une commission électorale indépendante en vue d’un référendum par lequel la population du Kurdistan d’Irak se prononcerait sur sa volonté d’indépendance. Massoud Barzani a aussi demandé aux parlementaires de choisir une date pour le scrutin.
Auparavant, le président kurde a exposé devant les députés le résumé des événements qui se sont bousculés après la prise de Mossoul par l’EI : il ainsi relaté les différents échanges qu'il avait eu avec Bagdad auparavant, répétant ce qu’il avait dit à la presse étrangère, à savoir que le GRK avait averti Nouri Maliki, quelques mois avant la chute de Mossoul, des dangers que faisaient courir à l’Irak les menées de l´État islamique et que le Premier Ministre irakien lui avait assuré contrôler la situation, en lui conseillant de « s’occuper plutôt des affaires du Kurdistan ». Il est aussi revenu sur tous les griefs que son gouvernement a envers Bagdad, notamment le non-versement depuis janvier de la dotation budgétaire due au Kurdistan.
Au sujet d’une possible indépendance, Massoud Barzani a assuré qu’elle bénéficiait d’un certain soutien international et que « ceux qui ne nous soutiennent pas ne s’opposent pas à nous ». Il a également réaffirmé que les territoires cités dans l’article 140 de la constitution irakienne, et notamment Kirkouk, maintenant défendus par les seuls Peshmergas après la fuite de l’armée irakienne, resteraient dans la Région kurde.
Le 9 juillet, Massoud Barzani recevait dans sa résidence de Salahaddin les consuls étrangers et les représentants d'ONG internationales pour revenir sur les dernières évolutions de la situation sécuritaire et politique au Kurdistan et en Irak et les a avertis que les puissances étrangères ne devaient pas rester inactives devant l'État islamique (EI) et la menace qu’il représente « pour l’ensemble de la région au Moyen Orient » et qu’une « coopération internationale » devait se mettre en place.
Le président kurde est revenu sur la « politique de division dangereuse » menée par Nouri Maliki et que son maintien au pouvoir pourrait entraîner la « destruction complète du pays ». Il a redit que les Peshmergas et autres forces de sécurité kurdes déployés dans les régions de Ninive, Kirkouk et dans la Diyala protégeaient les populations des groupes terroristes et ne se retireraient pas mais que les populations y vivant décideraient de leur destin par référendum, celui prévu par l'article 140 de la Constitution irakienne.
Enfin, le 11, Massoud Barzani s’est adressé à l’ensemble du peuple irakien, dans une lettre ouverte, où, tenant à peu près les mêmes propos, il rappelle l’ensemble des conflits opposant les Kurdes au gouvernement central, et ayant amené ces derniers à souhaiter voter pour leur auto-détermination. Il appelle aussi à un « nouvel Irak », avec une « nouvelle administration » et une « vision nouvelle » pour gérer le pays dans le futur.
Quelques jours auparavant, au moment où Massoud Barzani demandait aux parlementaires de préparer une loi sur un référendum, son chef de cabinet, Fouad Hussein était aux États-Unis avec Falah Moustafa Bakir,le ministre kurde des Affaires étrangères, pour expliquer et défendre la position kurde. Fouad Hussein avait ainsi expliqué à la presse qu’une confédération avec un Irak pacifié, démocratique et ayant réglé ses conflits internes était envisageable. La confédération nécessitant l’indépendance et la souveraineté des États-parties, le référendum pour l’indépendance était ainsi présenté comme un premier pas vers un « nouvel Irak ».
Interviewé pour Al-Monitor par Mustafa Al-Kadhimi, un analyste irakien spécialisé dans les questions politiques et des droits de l’homme, Massoud Barzani confirme son refus de toute participation kurde à un troisième « cabinet Maliki » au cas où ce dernier parviendrait à se faire reconduire dans ses fonctions : « Le problème avec M. Maliki n’est pas personnel, mais plutôt conceptuel et relié à ce qui forme le cœur de la philosophie et de la culture de l’administration publique qui a en charge les intérêts irakiens. »
Interrogé sur le référendum promis aux Kurdes, Massoud Barzani rappelle que la chute de Mossoul et des régions sunnites a entraîné une situation nouvelle pour le Kurdistan, qui se trouve maintenant séparé physiquement du reste de l’Irak par un EI avec qui il partage plus de mille kilomètres de frontière. Mais au sujet d’une coopération militaire éventuelle de l’armée kurde avec les États-Unis, l’Irak, voire d’autres forces régionales pour chasser EI, Massoud Barzani répond que le problème est « politique par excellence », et que d’une résolution politique de la crise irakienne dépend le succès militaire des actions contre EI, et notamment la résolution du conflit entre chiites et sunnites irakiens : « Il faudrait songer sérieusement à résoudre pacifiquement la question des droits légitimes des sunnites dans cette région et isoler ainsi les terroristes de ceux qui demandent leurs droits légitimes. C’est alors que les sunnites parviendront à chasser les terroristes de leurs régions et nous les y aideront certainement. »
Le président kurde confirme qu’un autre référendum sera proposé aux habitants des régions rattachées pour leur demander leur avis, tel que le prévoyait l’article 140 et leur permettre ainsi de « choisir leur identité ».
Le 24 juillet, le Parlement kurde d’Erbil a approuvé une loi décidant la formation d’une commission électorale indépendante. Cette commission est autorisée à tenir des élections, des referenda et à fixer les dates de scrutin, sans avoir à en référer à Bagdad et à la Haute Commission électorale irakienne.
Autre pas vers une émancipation, il est fait référence, dans le texte, au « Kurdistan » et non plus à la Région du Kurdistan, nom porté par la région fédérale dans la constitution irakienne. Cette loi s’applique ainsi aussi bien aux trois provinces de Duhok, Erbil, Suleïmanieh qu’à Kirkouk et aux autres territoires kurdes mentionnés dans l’article 140.
La loi demande au GRK de former cette commission dans les 90 jours à compter du vote d’approbation. La commission sera formée de 9 représentants des différents partis politiques du Kurdistan, plus 2 sièges réservés aux minorités.
Les réactions à cette annonce vont d’une forte opposition (l’Iran et Bagdad), à une désapprobation contenue mais sans réelle menace (USA) et une neutralité affichée de la Turquie, entre le « ni pour ni contre, bien au contraire » qui, dans les faits, se traduit plutôt par un accroissement des importations de Turquie au Kurdistan, au fur et à mesure que les liens se distendent avec Bagdad : Dès le mois de juin, le ministère des Finances au Kurdistan avait annoncé que, cette fois, les revenus de la vente du pétrole kurde ne seraient pas envoyés à Bagdad mais reviendraient directement à Erbil. L’adjoint du ministre, Rashid Tahir, a ainsi expliqué à l’agence Basnews que l’argent serait transféré d’Europe vers un compte ouvert auprès de la Halk Bank en Turquie, d’où il serait envoyé à la banque centrale du Kurdistan, puisque le gouvernement central refusant de payer, depuis janvier 2014, les fonctionnaires kurdes, « il n’y a aucune raison de leur retourner une partie de ces revenus ».
Le Kurdistan a même prévu, pour cela, de s’appuyer sur une loi que son parlement a votée en 2013, qui énonce que si le conflit entre Erbil et Bagdad dépasse les 90 jours, alors le gouvernement kurde est libre d’employer tout moyen à sa disposition pour obtenir les financements auxquels il a droit, comme le confirme au même journal Dilshad Sahban, s’exprimant au nom de la Commission parlementaire des ressources naturelles : « Si Bagdad n’envoie pas les 17% de son budget total à la Région du Kurdistan, ils n’obtiendront pas un penny de notre part, seuls 5% iront au Koweït à titre de compensation » [l’Irak doit dédommager le Koweït des dégâts causés par l’invasion de 1991 en prélevant un pourcentage de ses revenus pétroliers].
Selon Sadiq Aytekin, conseiller-adjoint au ministère turc de l’Énergie, 1. 480 000 barils de pétrole kurde ont été exportés sur les marchés mondiaux via le port de Ceyhan, avec un prix de 110 $ le baril. Près de 93 millions de $ auraient été ainsi déposés chez la Halk Bank. Une partie de cet argent devant être utilisé pour payer enfin le traitement des fonctionnaires, ce sera en dollars qu’ils pourraient être directement payés.
La création de ce compte a été officialisée lors de la visite en Turquie du vice-Premier ministre kurde Qubad Talabani, du ministre des Ressources naturelles Ashti Hawrami et du ministre des Finances Rebaz Mohammad. D’après le porte-parole du GRK, ces trois responsables seraient les seuls à disposer de la signature et du droit de retrait de ce compte.
Le gouvernement kurde espère, avec ces revenus, atténuer ou faire cesser la « crise des salaires » impayés par Bagdad. Le budget du ministère des Finances ne peut, pour le moment, couvrir que 10% des traitements de plus d’un million quatre cent mille fonctionnaires, dont une partie serait des « employés fantômes », selon des enquêtes internes.
L’effondrement de Mossoul et le désordre général en Irak n’ont pas empêché les exportations kurdes de se dérouler comme prévu et le 17 juin, un autre pétrolier avait quitté Ceyhan chargé du pétrole de la Région kurde (le premier était parti le 2 mai).
Le 7 juillet, Ashti Hawrami, le ministre kurde des Ressources naturelles s’exprimait au Parlement pour rendre compte de la crise provoquée par le front entre l’armée irakienne et l’EI, qui a privé le Kurdistan de l’accès à la raffinerie de Baidji et a provoqué une pénurie générale de carburant dans le pays. Ashti Hawrami a rappelé qu’avant les événements, la Région du Kurdistan consommait 7, 5 millions de litres de carburant par jour et qu’à présent, après restrictions, les besoins étaient tombés à 6 millions de litres par jour. Deux cent mille concessions de carburant avaient été délivrées. Le gouvernement projette de construire une raffinerie à Duhok et une à Garmiyan et le ministre a affirmé que ces deux raffineries suffiraient largement à résoudre la crise, mais il fallait attendre deux ans pour qu’elles soient opérationnelles.
D’un autre côté, deux vastes champs de pétrole à Kirkouk sont tombés sous le contrôle des Peshmergas qui en ont chassé, le 13 juillet, l’État islamique. Ces deux champs ont une capacité de production de 300 000 barils par jour.
Le Kurdistan espère accroître ses exportations jusqu’à 250 000 barils par jour dans les prochains mois, et même 500 000 à la fin de l’année, avec le pétrole de Kirkuk qui viendra gonfler les exportations. Pour 2015, le gouvernement kurde espère relier les champs de Kirkouk aux oléoducs de Khurmala et Makhmur, pour une exportation en Turquie via l’oléoduc du Kurdistan.
Alors que les échanges s’accroissent avec la Turquie, ils se sont effondrés entre l’Irak et le Kurdistan, le président de la chambre de commerce d’Erbil estimant que 90% des échanges avaient cessé, en raison de la présence de l'EI au centre de l’Irak.
En ce qui concerne les échanges avec l’Iran, les chiffres du commerce et du tourisme ont chuté de 80% depuis le début du mois de juillet. Le 23 juillet, Ahmed Ali Kalari, du Conseil du commerce et de l’Industrie de Suleïmanieh a, dans une conférence de presse, indiqué qu’actuellement, c’est environ 180 camions par jour qui entraient au Kurdistan via la frontière de Parwezkhan, alors qu’auparavant, le nombre de camions amenant quotidiennement des marchandises d’Iran s’élevait à 900 par jour. L’Iran a ainsi fermé sa frontière aux camions-citerne irakiens et kurdes et ne laisse circuler que les iraniens.
Mais alors que le GRK vient de renouveler un contrat de fourniture d’électricité avec la Turquie, un autre contrat est en pourparlers avec l’Iran, ce qui indiquerait que des mesures « anti-indépendance » de la part de Téhéran contre Erbil n’auront peut-être pas lieu. Le Kurdistan d’Irak a toujours essayé, depuis 1992, de garder un certain équilibre dans ses relations entre la Turquie et l’Iran et la poursuite, voire l’accroissement des échanges commerciaux avec son voisin oriental lui permettraient de ne pas dépendre entièrement de la Turquie tout en apaisant les craintes de l’Iran.
Le 27 juillet, un pétrolier transportant une cargaison kurde a atteint le port de Galveston, au Texas. Un million de barils de brut devait être vendu pour un montant d'environ 100 millions de dollars. Mais le 28 juillet, la cargaison était saisie, sur décision d’un juge de Galveston après plainte du ministère du Pétrole irakien auprès de la cour fédérale de Houston. La magistrate Nancy Johnson n’a pas tranché sur le litige en lui-même, mais a ordonné au marshall de Galveston de confisquer le brut et de le garder en dépôt à terre, en attendant que la question juridique soit résolue.
Réagissant immédiatement, le 29 juillet, le ministère kurde du Pétrole publiait sur son site la lettre que les avocats du Gouvernement kurde ont envoyé au juge Nancy Miller, en critiquant d’abord le fait que la plainte et la décision du juge ne lui ont à aucun moment été signifiés et qu’il conteste les faits tels qu’ils ont été présentés par la gouvernement fédéral ainsi que la compétence de la juridiction texane (le cargo ne se trouve pas dans la zone territoriale américaine). Après un exposé du contentieux juridique et constitutionnel avec l’Irak, ainsi que l’embargo illégal auquel les soumet le gouvernement fédéral, les avocats du GRK joignent au courrier des pièces appuyant leur défense, telle qu’une traduction anglaise complète de la constitution irakienne de 2005 et celle de la loi sur le Pétrole et le Gaz de la Région du Kurdistan, des lettres adressées au ministère du pétrole irakien par le ministre des Ressources naturelles, l’avis d’experts internationaux tels que le professeur James Crawford sur la compétence des autorités kurdes sur leurs hydrocarbures, et d’autres documents établissant la cessation des paiements dus à la Région par le gouvernement fédéral. Le ministre des Ressources naturelles kurdes conclut en déniant la compétence des autorités américaines de trancher dans ce conflit interne irako-kurde et laisse entrevoir la possibilité de porter plainte à son tour contre l’Irak.
La lettre complète est publiée sur le site du ministère kurde :
http://mnr.krg.org/images/pdfs/29_July_2014_Letter_from_KRG_to_Judge_Miller.pdf
Sur le front, les Peshmergas contiennent toujours l'EI que ce soit à Djalawla ou Ninive, avec des pertes qui doivent s'élever maintenant, depuis début juin à près de 90 tués, plus de 200 blessés et quelques prisonniers. La journée du 26 juillet fut la plus lourde, quand les Peshmergas ont temporairement pris le contrôle de deux positions à Djalawla mais ont dû s'en retirer, faute de munitions, annonçant 13 des leurs tués, 40 blessés, contre 38 combattants d'EI tués.
Enfin, le retour au Kurdistan de l’ancien président irakien Jalal Talabani, qui reste aussi le leader symbolique de l’UPK a été salué par l’ensemble de la classe politique kurde. Accueilli avec tous les honneurs officiels par la présidence kurde, Jalal Talabani a reçu la visite de nombre de personnalités politiques kurdes, allant de tous les hauts responsables de l’UPK jusqu’à Leyla Zana en visite au GRK, ainsi qu’irakiennes, avec nombre de figures religieuses shiites, et même la figure plus que controversée au Kurdistan de Nouri Maliki, persona non grata à Erbil, et dont la visite à son ancien président a été présentée comme semi-privée.
Alors que l’Irak se trouve amputé de facto de ses territoires sunnites, conquis par l’État islamique, Bagdad peine à former un nouveau gouvernement issu des dernières élections législatives, au terme desquelles devait être élu par les nouveaux parlementaires le président irakien, qui doit lui-même nommer son Premier Ministre.
La première étape était d’élire un président du Parlement, dans une assemblée nationale qui a peiné à atteindre son quorum et à procéder à cette première élection. L’ancien président du Parlement, Osama Al-Nudjaïfi, a retiré assez vite sa candidature. Le 12 juin, deux jours après la chute de Mossoul, seuls 128 députés sur 328 avaient pu gagner le Parlement dont la session n’avait donc pu avoir lieu. Le 1er juillet, dans une nouvelle tentative, la session a de même tourné court, après que des députés kurdes et des membres du groupe État de droit (liste de Nouri Maliki) se soient violemment querellés, ce qui a occasionné le départ des Kurdes, suivis par certains députés sunnites : une fois encore, le quorum a fait défaut.
Le 13 juillet, les éléments naturels s’en sont mêlés car, en raison d’une tempête de poussière, 25 députés kurdes qui devaient, d’Erbil, prendre un vol pour Bagdad ont vu leur déplacement annulé, le trafic aérien étant provisoirement suspendu en raison de la tempête. Même si le quorum pouvait être atteint sans eux, leur absence le rendait plus incertain et à la merci d’un éclat entre élus sunnites et chiites. La séance a donc été reportée au 15 juillet.
Cependant, le bloc sunnite avait annoncé le 5 juillet s’être mis d’accord sur un candidat à la présidence du Parlement : Salim Al Jubouri, issu du Parti islamiste irakien, qui a été élu au sein de la liste ‘La Diyala est notre identité’, laquelle a rejoint une large coalition sunnite, dont celle de son prédécesseur à la tête du parlement irakien, Osama Al-Nudjayfi, le frère du gouverneur de Mossoul. Il est vu comme un « islamiste modéré » et a remporté 194 voix sur 272. Les deux vice-présidents du Parlement sont le chiite Haydar al-Abadi (État de droit) et le Kurde Aram Al-Sheikh Mohammed (Goran).
La deuxième étape consistait alors à élire le nouveau président de l’Irak, une fonction que les Kurdes – et surtout ceux de l’UPK – considèrent comme leur revenant de droit. Aussi, les tractations politiques sur le choix du candidat kurde, qui avaient lieu en interne entre Erbil et Sulaïmanieh, ont été suivis attentivement par l’ensemble des Irakiens. Plusieurs noms n’ont cessé d’être cités dans la presse kurde et arabe, tout au long du mois de juillet.
Un des favoris était Barham Salih, ancien Premier Ministre du GRK et qui a aussi exercé les fonctions de Vice-Premier Ministre irakien de 2004 à 2005 mais sa candidature était contestée par une partie de la direction de l’UPK qui a proposé aussi Fuad Massoum, un vétéran du Parti, proche de Jalal Talabani. Cette double candidature s’en est même vu adjoindre une troisième, le très populaire gouverneur de Kirkouk, Nadjm al Din Karim, élu de l’UPK pour sa province, ayant décidé se se porter candidat à la présidentielle, contre l’assentiment de la direction de son propre parti. Finalement, il s’est désisté et les députés du bloc parlementaire kurde à Bagdad n’ont eu à choisir qu’entre Fouad Massoum et Barham Salih. C’est le premier qui a obtenu la majorité des voix (30 contre 23 pour Barham Salih) alors que les députés ont voté à huit-clos dans un hôtel de Bagdad.
Le 24 juillet, Fouad Massoum a donc été élu président de l’Irak par le Parlement de Bagdad avec 175 voix sur 225 des députés présents. Âgé de 76 ans, c’est un des fondateurs de l’Union patriotique du Kurdistan. Ayant fait ses études secondaires dans une école religieuse kurde, en 1958, il part étudier à Al-Azhar, la prestigieuse université islamique du Caire. Il obtient un doctorat en sciences islamiques, mais adhère assez tôt au parti communiste irakien, avant de rejoindre, en 1964, le Parti démocratique du Kurdistan, dirigé par Mustafa Barzani.
De retour en Irak, il enseigne un temps à l’université de Basra, puis gagne la résistance kurde de 1967, où il prend part aux actions militaires. De 1973 à 1975, il représente Barzani dans la capitale égyptienne, avant de suivre Jalal Talabani et de fonder avec lui en 1975 le nouveau parti de l’Union patriotique du Kurdistan. En 1992, il est choisi pour être le Premier Ministre du Kurdistan, avant sa partition temporaire entre gouvernements PDK et UPK. Mais ses liens de longue date avec le PDK lui permettent de jouer un rôle de modération lors du conflit qui oppose les deux partis de 1994 à 1997.
Fuad Massoum est considéré comme un homme politique modéré par les sunnites comme par les chiites. Mais la tâche qui lui incombe, celle de désigner son Premier Ministre, est chose ardue en raison de la vive opposition que rencontre Nouri Maliki dans sa volonté de rester Premier Ministre, malgré le rejet catégorique des Kurdes, des sunnites arabes, d’un nombre conséquent de politiciens et de religieux chiites, et la désaffection de ses principaux soutiens internationaux.
Nouri Maliki n’a effectivement cessé d’affirmer sa détermination à assumer un troisième mandat, même après le désastre militaire devant EI. Le 5 juillet, dix jours avant l’élection d’un nouveau président du Parlement, il assurait, dans un communiqué lu sur la chaîne nationale irakienne, que « jamais il ne renoncerait au poste de Premier Ministre », s’appuyant sur la victoire électorale de sa liste : c’est en effet le candidat en tête de la liste qui a remporté le plus de voix qui est désigné, en principe, à ce poste, même si ce n’est pas une obligation constitutionnelle.
Nouri Maliki a rejeté toutes les accusations d’incompétence et sa responsabilité dans la désagrégation de l’Irak, les qualifiant de « campagne prenant pour cible l’État de droit », émanant de menées internes et externes.
Le Premier Ministre irakien n’a cessé par ailleurs de renforcer la mainmise étroite sur l’État irakien, dont celle qu’il exerce déjà sur les forces de sécurité et de défense puisqu’il en occupe, depuis 2010, le commandement. Alors que, hormis ses partisans, tous le tiennent responsable de la défaite devant EI, il a accusé les généraux irakiens de trahison et en a limogé un certain nombre. Le 6 juillet, il a ainsi mis à la retraite anticipée le commandant suprême de l’armée de terre, Ali Ghedan, et le chef de l’état-major, Farouq Aeradji, le poste de ce dernier étant attribué au propre fils du ministre.
De même, alors que les États-Unis et les Nations Unies ne cessent d’exhorter Bagdad et Erbil de parvenir à s’entendre pour former un gouvernement pluraliste et unifié, Nouri Maliki a accusé la Région kurde d’être « le quartier général d’ÉI, du Baath et d’Al-Qaïda » et d’y abriter toutes les organisations à l’origine des opérations terroristes. Le président Massoud Barzani a répliqué, dans un communiqué, en qualifiant le Premier Ministre d’ « hystérique », tandis que les ministres kurdes du cabinet irakien en boycottaient les réunions en signe de protestation. Le ministre des Affaires étrangères irakiennes, le Kurde Hoshyar Zebari a ainsi expliqué à Reuters que les députés du bloc kurde continuaient de siéger au Parlement mais que les responsables kurdes de son ministère, des ministères du Commerce, des Migration et de la Santé cessaient leurs activités. En réponse, Nouri Maliki a nommé à titre intérimaire Hussein Al Sharistani aux Affaires étrangères pour remplacer Hoshyar Zebari. Hussein Al Sharistani étant l’adversaire le plus constant et le plus virulent des Kurdes sur la question des ressources naturelles, ce n’est évidemment pas une nomination propre à préparer un terrain d’apaisement pour un gouvernement uni, comme le souhaite Washington. Pour le moment, il semble qu’aucun allié ni aucune instance internationale ne puisse faire fléchir Nouri Maliki qui, aussi isolé et critiqué qu’il soit, tient en concentrant de plus en plus de pouvoirs au sein de l’État.
Pourra-t-il toujours compter sur le soutien iranien, alors qu’il semble que Téhéran tente aussi de décider le Premier Ministre à renoncer à sa candidature ? Des confidences émanant de deux personnalités politiques irakiennes haut placées ont en effet confié à l’AP, sous couvert d’anonymat, que Téhéran avait essayé de persuader le Premier Ministre irakien de se retirer, ce que celui-ci avait rejeté. Selon eux, le général Qassim Soleimani, à la tête des forces Al-Qods (Jérusalem) des Gardiens de la Révolution, qui organise les milices chiites de défense au sein de ce qu’il reste de l’armée et des milices para-militaires, a eu récemment un entretien avec Nouri Maliki et aurait tenté, en vain, de l’inciter à se retirer. Il a reçu, en retour, les mêmes arguments répétés mécaniquement depuis mai, à savoir qu’en raison du score de son bloc parlementaire, ses fonctions lui revenaient de « plein droit ».
Les succès de l’État islamique en Irak ne l’ont pas détourné du front syrien et les attaques continuent avec une grande intensité sur Deir ez Zour, où EI tente d’asseoir son pouvoir de façon aussi complète que dans les régions de Ninive et Tikrit. Il y affronte, cette fois, les autres mouvements djihadistes, avec une tactique qui alterne attaques, attaques-suicides et incitations à la défection et au ralliement sous sa bannière, affichant un discours pro-sunnite rassurant, promettant le pardon aux combattants qui déposeraient les armes et feraient leur allégeance au « calife ». Si le nombre des effectifs d’EI est limité, leur cohésion est un avantage par rapport à la désorganisation et à la confusion qui règnent parfois parmi les milices armées de l’ASL et des Djihadistes. Le prestige que lui confèrent ses succès foudroyants en Irak n’est pas non plus étranger au recul de Jabhat al Nusra sur le terrain militaire et en terme de popularité, au palmarès mondial du Djihad. Malgré les résistances locales, il semble que l’EI parvienne à se consolider entre Raqqa et Deir ez Zour, ce qui, en plus des champs pétroliers syriens (adjoints à ceux de Mossoul) lui permet de contrôler son nouvel État sans interruption jusqu’à Anbar (province sunnite d’Irak).
Dans cette optique, Kobanî, qui a subi des assauts continuels tout le mois de juillet, a une importance secondaire par rapport à la Syrie centrale, mais la prise de cette « poche kurde » qui coupe ses propres territoires entre Ras al ‘Ayn et la Djezireh lui permettrait de conjoindre sa frontière nord (turque), ce qui lui permettrait de pousser plus avant vers les positions de l’ASL autour d’Alep. Mais au contraire du front « arabe syrien » de Deir ez Zour et Raqqa, EI ne peut espérer l’emporter par des défections de la part des YPG qui se rallieraient subitement au Djihad. Dès le 5 juillet, le gouvernement du « canton de Kobanî » a appelé à une mobilisation générale, les villages du canton étant soumis à des bombardements assez soutenus. Ainsi, durant les trois premiers jours de juillet, le village de Zor Mexar (à 35 km de Kobanî) a subi pas loin de 3000 tirs de mortiers. Les communiqués des YPG publient régulièrement des chiffres mentionnant de « lourdes pertes » dans les rangs d’EI (même si les communiqués militaires sont toujours à lire avec une certaine précaution). Ce qui semble ressortir, c’est que des villages ne cessent d’être pris, perdus, reconquis, de part et d’autre.
Plus récemment, une offensive d'EI a lieu contre Hassaké, de source YPG, et la présence de l'armée syrienne dans la ville est peu claire. Des informations locales mentionnent aussi bien une coordination entre l'armée syrienne et les YPG contre EI, qu'un retrait total des troupes syriennes de Hassaké, qui rappellerait celui de 2012, peut-être pour se concentrer sur la future offensive d'Alep, que l'on croit proche.
La « mobilisation générale » appelant la jeunesse kurde à se joindre aux YPG a coïncidé avec l’annonce, par le PYD, de la démobilisation de ses combattants mineurs, après engagement pris auprès de l’Appel de Genève, qui lutte, entre autres, contre l’utilisation « d’enfants-soldats », celle des mines anti-personnelles et les violences sexuelles. Le PYD et les YPG se sont donc solennellement engagés à prohiber ces pratiques (à vrai dire, seul le premier point les concernait vraiment) et a annoncé le retrait de ses troupes de combat des garçons et filles âgées de moins de 18 ans (l’âge des combattants mineurs des YPG doit aller au minimum de 14-15 ans à 16-17, il ne s’agit « d’enfants » qu’au sens de « mineurs »). Les jeunes gens démobilisés seraient envoyés dans des « écoles », qui doivent être en fait les académies militaires et politiques du PYD où ils vont suivre une éducation militaire et idéologique.
Elisabeth Decrey, à la tête de l’ONG Appel de Genève parle de 149 jeunes concernés par cette mesure, mais il est difficile d’estimer le nombre réel des mineurs combattants dans les rangs des YPG. Tous les reportages et les photos des forces du PYD montrent volontiers des adolescents des deux sexes, armes à la main, mais avant la signature de cet appel, cela faisait partie de la tactique de communication du PYD mettant en avant le soutien de la « jeunesse kurde » (et encore plus ses éléments féminins) face aux djihadistes, mais une sur-représentation médiatique n’est pas une statistique sûre.
Quoiqu’il en soit, coïncidence ou conséquence, après la démobilisation des mineurs, le PYD a annoncé son intention de soumettre le « canton de Djézireh » (Hassaké) à un service militaire obligatoire, quelles que soient leurs sympathies ou leurs antipathies politiques pour ce parti. Selon le projet de loi sur la conscription, toutes les familles vivant dans les zones relevant de « l’auto-administration démocratique » doivent fournir au moins un de ses membres de sexe masculin, âgé de 18 à 30 ans à ce service d’auto-défense de six mois (en continu ou de façon interrompue au long d’une année), au terme duquel les enrôlés pourront « décider » s’ils sont partant pour combattre en première ligne. Les hommes invalides, les malades en seront dispensés, ainsi que les familles dont un des membres a déjà rejoint les rangs des YPG (forces armées), des Asayish (sécurité), du Mouvement de libération du Kurdistan, les Unités de protection populaire, ou les Unités de protection des femmes (YPJ). En cas de refus, la loi prévoit des sanctions.
Le Conseil national kurde (rassemblant tous les partis kurdes syriens hostiles au PKK) a immédiatement protesté et refusé cette conscription forcée, en même temps qu’il a rappelé la teneur des accords d’Erbil signés en juillet 2012, renégociés en décembre 2012, qui prévoient que ce même Conseil national kurde et le Parlement du Kurdistan occidental (émanation du PYD) doivent unifier leurs forces administratives et armées pour une défense et une gestion communes des régions kurdes en Syrie.
S’exprimant à Aras News, Mustafa Misto, un des membres du CNK, s’il ne conteste pas en lui-même le principe du « devoir de défense nationale » rappelle que l’autorité du PYD est « illégitime » et que par conséquent, sont tout aussi illégitimes les lois qu’il promulgue : « Le PYD a reçu son pouvoir au nord-est de la Syrie des mains du régime syrien et use les armes pour s’imposer, en traitant avec les autres partis kurdes de façon totalitaire … Le PYD refuse d’inclure les autres dans la vie politique pour garder l’entier bénéfice de la situation actuelle. » Selon Mustafa Misto, ce recrutement ne vise qu’à servir « l’agenda du PYD et n’a rien à voir avec le problème kurde en Syrie. »
Jusqu’ici, les mouvements de combattants kurdes ont toujours été alimentés par le volontariat, car ils étaient l’expression d’un engagement politique, et ce, dans toutes les parties du Kurdistan. Même le Kurdistan d’Irak, de plus en plus proche du statut d’un État conventionnel, n’a pas recours au service militaire obligatoire et ses Peshmergas sont une armée de métier. Comment un tel recrutement sera-t-il perçu par la population des cantons du Rojava ?
Un reportage de Vladimir Van Wilgenbourg pour Middle East Eye montre des réactions assez mitigées. Certains refusent d’être incorporés dans ce qu’ils considèrent être une milice politique : « Je ne rejoindrai aucune des forces qui existent actuellement, ni les YPG, ni l’ASL, ni Daash (EI), ni Assad, ni Jabhat al Nusra. Je ne rejoindrai pas les YPG parce qu’ils ne vous laissent pas vous battre librement, vous devez vous battre au nom des YPG ou d’Abdullah Öcalan » (Alan Qamishlo, 26 ans, employé dans une boulangerie de Qamishlo).
Rodi Hesen, journaliste pour Wishe, estime « plus juste que tous participent à la protection et à la défense du pays » au lieu que cela incombe à une seule fraction, mais il craint que cela n’apporte des arguments au CNK dans sa critique du PYD. Un autre effet « pervers », selon lui, serait qu’une telle loi permettrait à beaucoup de jeunes Kurdes syriens de demander l’asile en Europe pour fuir ce recrutement forcé (de même que beaucoup refusent d’être appelés sous les drapeaux syriens).
Le PYD fait peu de cas des critiques du CNK, mais un tel dispositif serait-il vraiment applicable et efficace en terme de défense, ou bien les YPG et Asayish vont devoir consacrer une partie de leur énergie à surveiller et discipliner des recrues peut-être peu enclines à leur obéir ? Dans le même temps, c’est aussi un risque de susciter ou d’accroître un mécontentement parmi la population et ce pour un gain d’effectifs qui n’en vaudra peut-être pas la peine.
Quoi qu’il en soit, ce service obligatoire n’est pas encore en place, et l’appel du PKK aux jeunesses du Kurdistan de Turquie à rallier les YPG pour défendre Kobanî semble avoir plus de succès. Alors que la relance du processus de paix entre la Turquie et le PKK a été annoncée au début de l’été, et que le retrait de la guerilla doit être relancé, verra-t-on un redéploiement de certains effectifs du PKK dans les cantons du Rojava ? Apparemment, la frontière turco-syrienne, très perméable pour les recrues d’EI et autres djihadistes, comme ne cesse de le faire remarquer le co-président du PYD, l’est tout autant pour les Kurdes venant gonfler les rangs des YPG.
Le 4 juillet, premier vendredi du mois Ramadan, le calife auto-proclamé de Mossoul, Abu Bakr Al-Baghdadi, a fait sa première apparition publique, dirigeant la prière dans la mosquée Al-Nuriyya de Mossoul, et y prononçant son premier prêche, dans lequel, dans la pure tradition de l’islam politique du temps des califes, il expose aussi son programme politique, en s’adressant à l’ensemble de « l’Oumma », c’est-à-dire de la communauté musulmane dont il requiert l’allégeance.
Après un préambule portant sur le caractère religieux du Ramadan et de ses pratiques pieuses, le « calife » rappelle que ce mois fut aussi celui pendant lequel « le Prophète lança ses armées pour combattre les ennemis d’Allah. Le mois durant lequel il a mené le Djihad contre les polythéistes ! » et citant des versets coraniques appelant au Djihad, disant, entre autres, « Allah aime que nous tuions ses ennemis et menions le Djihad en son nom » ; « Il vous est enjoint de combattre ce qui vous est haïssable » ; « Et combattez-les jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de fitnah (sédition) et que la religion de tous soit pour Allah » ; ainsi que des versets recommandant l’application de la chari’a et les châtiments (hudud) en cas de manquements à cette loi. Allusion à ses succès militaires, signe, selon lui, qu’Allah « a donné victoires et conquêtes » à ses mudjaïdin, « fermes devant les ennemis d’Allah », qu’il a rendu « puissants dans le pays jusqu’à la proclamation du Califat et le choix d’un imam ». La lutte contre les « ennemis d’Allah » est qualifié de « waadjib », le plus haut degré d’obligation concernant les devoirs religieux des croyants, et « concerne toute la Terre ».
Ramenant ensuite ses propos à un niveau plus personnel, Abu Bakr Al-Baghdadi se présente comme un élu d’Allah, sur le registre de la modestie : « J’ai été éprouvé par Allah dans mon élection en tant que calife. C’est un lourd fardeau. Je ne suis pas meilleur que vous. Conseillez-moi quand j’erre et suivez-moi si je réussis. Et assistez-moi contre l’idolatrie (tawagheet). »
S’ensuit une série de citations coraniques promettant la victoire aux adorateurs d’Allah et revenant sur l’exaltation du Djihad.
Le sermon a été filmé par les fidèles du « calife » et diffusé très rapidement sur les réseaux Internet, d’abord sur les réseaux pro-EI et puis est devenu viral, tant dans les sites de presse que dans les réseaux des particuliers. Les réactions ont été évidemment radicalement différentes selon qu’elles émanaient des partisans du Djihad ou du reste de la toile, les premiers louant la maîtrise de la langue arabe et la « belle voix » d’Al-Baghdadi quand ils psalmodiaient, les autres se moquant plutôt de certains détails, comme la montre de prix que le « calife » avait gardée à son poignet et qui lui a valu tout le mois le surnom de « calife bling bling » ou « calife rolex ».
Sur le plan pratique, si les populations sunnites arabes se sont senties un temps soulagées du départ de l’armée irakienne à qui ils reprochaient de se comporter en troupes d’occupation, les minorités religieuses ont senti immédiatement les effets du programme religieux de l’État islamique. Contrairement à ce qui a été présenté très souvent dans la presse internationale, les chrétiens n’ont pas été la première cible des djihadistes, les groupes religieux non comptés parmi les « gens du Livre », c’est-à-dire les yézidis et les shabaks, stigmatisés comme polythéistes et apostats, ont été plus tôt et plus radicalement visés par l’épuration du Djihad et ne se voient offerts d’autres choix que la conversion ou la mort. Les chiites (beaucoup de Turkmènes dans les régions conquises par l’EI sont chiites) sont enfin vus comme l’ennemi majeur, source de ‘fitna’ (sédition) ou hérétiques, et ont aussi fait face, dès le mois de juin, à des menaces, enlèvements, tortures et assassinats. C’est ainsi que 83 Shabaks ont été enlevés et 7 d’entre eux ont été retrouvés assassinés (source Human Rights Watch).
Quant aux chrétiens, leur répit relatif n’a été que de courte durée et le 19 juillet, l’État islamique a commencé d’appliquer la loi de la chari’a sur les dhimmi (juifs et chrétiens) devant faire soumission à l’Islam soit en payant une capitation (la djiziya), 200 à 250 $ par mois, soit en se convertissant, soit en quittant le ‘dar al Islam’ (territoire musulman où ne s’appliquent pas les lois de la guerre).
Geste d’intimidation plus sinistre encore, les maisons des chrétiens de Mossoul ont vu leurs portes marquées de la lettre Nûn en arabe, le ’N’ désignant les ‘Nasrani’ soit ‘Nazaréens’ en arabe, qui est un terme d’opprobre utilisé par les juifs pour désigner les premières communautés judéo-chrétiennes et qui est ensuite passé dans la langue arabe.
Les effets de ces premières mesures ont été extrêmement rapides, en l’espace de deux jours, entre le 14 et le 21 juillet, des milliers de chrétiens ont fui sur les routes en direction du Kurdistan, venant grossir le flot des autres réfugiés. Actuellement, il ne resterait qu’une vingtaine de chrétiens à Mossoul, certains ayant accepté de payer l’impôt d’infamie, d’autres s’étant peut-être convertis sous la menace. Mais à leur passage, ils se sont vu dépouillés de tout ce qu’ils avaient pu emporter par les milices djihadistes, clamant que ces biens « revenaient à l’Islam » et c’est à pied, sous un soleil torride, que des milliers de familles, exténuées, ont gagné le Kurdistan.
Les shabaks, les Turkmènes chiites de la ville ont aussi vu leurs demeures marquées d’un signe distinctif et leur sort est encore plus menacé. Des centaines d’entre eux ont fui, après des exécutions sommaires précédées d’enlèvement dans plusieurs villages. Les yézidis sont de même menacés et sommés de se convertir à l’islam.
L’État islamique a aussi été très actif ce mois-ci dans son programme de destruction des monuments « offensants » pour l’Islam. Non seulement les monastères, les bâtiments patriarcaux des chrétiens ont été saisis, les tombes et les statues vandalisées, mais c’est aussi aux lieux vénérés par les musulmans que les djihadistes s’en sont pris : appliquant la stricte interprétation de la chari’a qui prohibe les tombes des soufis ou des prophètes, et leur culte, l’État islamique a ainsi détruit à l’explosif les tombeaux les plus symboliques des trois monothéismes de la Mésopotamie : ceux de Jonas, de Seth, en plus de mausolées de cheikhs soufis. En ce qui concerne les chiites, même leurs mosquées ont été détruites en plus des mausolées. Toutes les femmes, quelles que soit leur confession, sont tenues de sortir entièrement voilées et les vêtements jugés « illicites », que ce soit pour les hommes ou les femmes, comme les jeans ou les tenues trop occidentales, sont également interdits. Les vendeurs de narguileh et de cigarettes doivent fermer boutique et il s’établit peu à peu, dans l’État islamique, une société qui est assez proche de ce qu’avaient instauré les Talibans en Afghanistan.
Sur le terrain militaire, EI affronte principalement l’armée irakienne à Tikrit et à Djalawla, ainsi que les Peshmergas kurdes dans cette zone. Des combats sporadiques ont aussi lieu dans la province de Ninive, entre les Peshmergas et les Djihadistes.
Au Kurdistan d’Irak, aux frontières turco-iraniennes, une découverte archéologique majeure a mis au jour les restes d’un temple, des statues et des bases de colonnes, sur un site qui remonterait au plus tôt à l’Âge du Fer, soit au troisième millénaire avant notre ère : il pourrait s’agir de l’antique cité de Musasir, qui fut la capitale d’une principauté au 1er millénaire avant notre ère. La localisation de cette cité, mentionnée dans les textes assyriens et urartéens a été perdue, textes qui permettaient toutefois de la situer dans la région de Rawanduz.
Les premiers sondages archéologiques – sans fouilles – ont été faits par un doctorant kurde de l’université de Leyde, après que des villageois aient mis à jour accidentellement des artefacts, dont une base de pilier et une statuette de bronze, représentant un capridé. Dilshad Marf Zamua a alors commencé à travailler dans la zone, en 2005.
Le site a connu une longue occupation humaine puisque des inscriptions en cunéiforme sur une base de pilier identifient un temple voué au dieu Haldi, un dieu vénéré dans la cité de Musasir ou Ardini. Le temple a été pillé par les Assyriens en -714, sous le règne du roi d’Urartu Rusa I, qui, apprenant la nouvelle, « s’est jeté au sol, a déchiré ses vêtements, et ses bras sont restés sans force. Il a arraché son bandeau, s’est jeté face contre terre… », comme le raconte une chronique.
La localisation de ce temple était restée longtemps inconnue et Dilshad Marf Zamua pense maintenant avoir résolu ce mystère. Un bas-relief assyrien exhumé à Khorsabad au XIXe siècle, représente la cité de Musasir : des maisons à flanc de colline, ouvertes sur trois fenêtres à l’étage, et une porte au rez-de-chaussée, ce qui correspond à l’architecture traditionnelle des demeures de la région, où les étages étaient dévolus à l’habitat et le rez-de-chaussée au stockage des denrées et des biens, ou servaient d’étables ou d’écuries. Des statues de taille conséquente ont aussi été trouvées (environ 2,3 mètres), en calcaire, basalte ou grès, certaines partiellement brisées. Elles représentent des hommes barbus, certains tenant une coupe dans la main droite, la main gauche posée sur l’estomac. L’un d’entre eux tient une dague, un autre une hache. Elles pourraient faire partie d’un complexe funéraire et dateraient du VIIe ou VIe siècle avant notre ère, à l’époque où l’empire assyrien reculait sous l’avancée des Scythes et des Cimmériens. Une statuette de bronze, haute de 8,4 et longue de 8, 3 cm, représente une chèvre sauvage et les chercheurs tentent actuellement de déchiffrer l’inscription cunéiforme qui figure sur l’objet.
Le site, sur trois frontières, n’est pas une zone sûre pour des fouilles, en raison de mines anti-personnelles qui font encore des victimes parmi les bergers. L’armée iranienne se livre encore à des tirs d’artillerie en raison de la présence d’une guerilla sur la frontière et l’aviation turque a plusieurs fois, dans le passé, bombardé la région. L’état de ces découvertes a été présenté récemment par son auteur au Congrès international d’archéologie du Proche Orient antique à Basel, en Suisse. Dilshad Marf Zamua enseigne également à l’université de Salahaddin d’Erbil.