Deux mois après sa fulgurante conquête des provinces arabes sunnites de l’Irak, l’État islamique (EI) a lancé, en août, une vaste offensive contre le Kurdistan. Surpris par la soudaineté et l’ampleur de ces attaques sur plusieurs fronts, les Peshmergas, dans un premier temps, ont subi des revers, notamment la chute de Şingal (Sinjar) et de Qaraqosh, qui a provoqué l’exode de dizaine de milliers de yézidis et de chrétiens dont le sort a fortement ému l’opinion publique internationale.
À l’initiative de Washington et de Paris, la communauté internationale s’est progressivement mobilisée pour venir en aide aux Kurdes sous-équipés, manquant d’armes et de munitions face aux troupes djihadistes surarmées grâce, notamment, au gigantesque arsenal irakien d’une valeur de plusieurs centaines de millions d’euros, tombé en leur possession.
Voici une chronique des principaux événements de ce mois d’août dramatique :
Le 1er août, en visite à Khanaqin, le président Massoud Barzani annonçait aux peshmergas l’arrivée imminente d’armes plus performantes que celles dont ils étaient équipés, afin d’être en mesure de lutter contre l’État islamique, lui-même en possession d'un armement sophistiqué de provenance américaine, laissé par l’armée irakienne lors de sa fuite de Mossoul, en juin dernier.
Dès le lendemain, 2 août, des combats éclataient entre l'État islamique et les Peshmergas autour des villes de Zummar (à l'ouest du barrage de Mossoul, au nord de Tell Afar), jusqu’à ce que ces derniers se retirent, que ce soit parce qu’ils étaient à court de munitions ou pour laisser l’aviation irakienne bombarder les positions ennemies. Dans le même temps, un convoyage de renforts militaires kurdes faisait route vers la zone des combats. Les habitants avaient déjà commencé de fuir vers des régions sécurisées.
Les attaques d’EI au début d’août, avaient, semble-t-il, deux objectifs :
D'abord la possession des puits de pétrole et de l’oléoduc de Mossoul. C’est ainsi que les champs d’Ain Zala et de Batma al Murtafa ont été conquis, et que le contrôle total de l’oléoduc reliant le nord de l’Irak à la Turquie est tombé dans leurs mains.
Le second objectif était le barrage de Mossoul, tenu par les Peshmergas, auxquels l’EI donna un ultimatum de 2 h pour l’évacuer, dans le même temps où ses assauts commençaient. La perte du barrage de Mossoul soulevait, dans tout l’Irak, la crainte d’une noyade massive de Mossoul jusqu'à Bagdad, au cas où l'EI déciderait, dans un geste suicidaire, certes, de lâcher les eaux, ou bien s’ils s’avéraient incapables d’en assurer la maintenance.
Mais EI lança une autre attaque surprise à Şingal (Sindjar en arabe), région historique et sacrée des yézidis kurdes, mais située très à l’ouest de Mossoul, dans une zone sans réelle frontière commune avec le Kurdistan d’Irak, plus proche de la Syrie, et facilement encerclée par l'EI au fur et à mesure qu’il prenait le contrôle de la province de Ninive-Mossoul.
Le 3 août, des unités djihadistes foncèrent soudain en direction de la ville de Şingal, surprenant les Peshmergas sur place, dont certains officiers et responsables s’enfuirent sans résistance, d’après des témoins oculaires. En quelques heures, le drapeau d’EI flottait sur le bâtiment anciennement occupé par les militaires kurdes. Immédiatement, des milliers de Yézidis et de Shabaks partirent, soit vers la province de Duhok, soit dans la direction des montagnes de Şingal, où ils se retrouvèrent très vite piégés, sans eau, ni vivres ni secours, et totalement assiégés par EI, alors que les djihadistes s’occupaient à détruire les lieux et bâtiments sacrés des yézidis, comme ils avaient fait aux monuments musulmans et chrétiens de Mossoul.
Les forces kurdes restés sur places (unités régulières de Peshmergas et forces spéciales de Zeravani) se retrouvèrent eux aussi encerclées sur trois côtés dans cette région, alors que les forces YPG passaient la frontière syrienne pour participer au combat, du côté est.
Le 4 août, il était certain que Zummar et Shingal avaient été conquis par l'EI, tandis qu’au sujet du barrage de Mossoul, des rapports contradictoires faisaient tour à tour état de son contrôle par les Peshmergas et de sa prise par EI, jusqu’à ce que, le 8 août, le chef du cabinet présidentiel du Kurdistan, Fouad Hussein, annonce la prise effective du barrage.
Dès le 5 août, de source officielle kurde, des renforts de Peshmergas étaient revenus dans la ville de Şingal et un correspondant de Rudaw indiquait qu’environ 10 000 hommes encerclaient la ville, et en avaient atteint le centre, en essayant d’en repousser les djihadistes. D’autres unités faisaient aussi route vers les monts pour essayer de briser le siège subi par les yézidis.
Le 8 août, à l'est de Shingal, les YPG du PKK syrien, passant la frontière, parvenaient à établir un corridor de sécurité et assuraient l’évacuation vers la Syrie de milliers de yézidis coincés dans les montagnes, alors que les largages humanitaires, américains, anglais ou irakiens, de vivres et d’eau, s'avéraient insuffisants en raison du terrain, du nombre des assiégés et de leur dispersion dans une vaste zone montagneuse. Les tirs d’EI contre les hélicoptères et les avions irakiens rendaient aussi difficile l’accès aux réfugiés et empêchaient les avions de descendre trop bas pour larguer les kit de survie, ce qui entraînait la destruction importante de beaucoup d’entre eux quand ils touchaient le sol. Les premières évacuations des réfugiés par hélicoptères eurent aussi lieu autour du 11 août mais furent rendus difficiles en raison du très grand nombre de personnes dans la montagnes et des tirs d’EI, contre les hélicoptères.
Des violents accrochages avaient aussi lieu pour défendre la frontière de Rabia dans des actions conjointes avec les YPG (qui tiennent le côté syrien de Yaroubia), comme aux premiers jours de juin.
Le 6 août, de Qandil, le commandant militaire du PKK, Murat Karayilan, appelait, dans le journal turc Radikal, « tous les groupes armés kurdes » à s’unir contre EI et souhaitait un « commandement conjoint », tandis que le Parti démocratique du Kurdistan d’Iran préparait aussi ses unités de combat pour venir assister les Peshmergas.
Dans un discours où il s’adressait à toute la nation kurde, le président Massoud Barzani avait, avant ces revers, annoncé une tactique offensive et non plus défensive, si bien que les Peshmergas se sont mis à attaquer plusieurs positions d’EI, que ce soit à Mossoul, dans la région de Kirkouk ou de Khanaqin. Mais l’importance de la ligne de front (plus de 1000 km) et les manques en armes et en munitions des Kurdes eurent pour conséquence, dans un premier temps, le recul des Peshmergas de leurs positions initiales.
Les habitants des localités avoisinant Mossoul, (dont beaucoup de chrétiens) avaient commencé de fuir eux aussi vers les régions plus au nord, comme Sheikhan, tant en raison des bombardements de l’armée irakienne que par crainte des avancées de l’EI, notamment dans la région d’al-Hamdaniya et Tell Kayf, où les Peshmergas et l’EI s’affrontaient durement sur le terrain, alors qu’EI s’emparait peu à peu de ces régions habitées par les chrétiens, yézidis et shabaks, ce qui entraîna une autre vague massive de réfugiés vers les régions d’Erbil et de Duhok.
Le 7 août, les Peshmergas de la grosse ville chrétienne de Qaraqosh (Baghdida) (environ 50 000 habitants), en danger d’être encerclés et de voir se répéter la catastrophe de Shingal, reçurent subitement l’ordre de se retirer de la ville. Cette fois, ils ont pu avertir – même si très soudainement – les habitants, qui durent quitter les lieux en pleine nuit et marcher des heures jusqu’à Erbil, s’entassant dans la bourgade chrétienne d’Ankawa. Tell Kayf, Bartella, Al-Qosh ont été de même évacués et, finalement, des dizaines de milliers de chrétiens sont venus s’ajouter aux réfugiés yézidis et shabaks, entre les provinces d’Erbil et de Duhok.
Plus au sud, le 6, des attaques d’EI avaient commencé de menacer Makhmour, dans la région d’Erbil, et des accrochages lourds eurent lieu avec les Peshmergas, ainsi qu'avec les unités du PKK venues en renforts (Makhmour abrite un camp de réfugiés kurdes de Turquie, plus ou moins encadré par le PKK). Les femmes et les enfants furent évacués du camp et les conbattants du PKK s’y déployèrent.
Le 8 août, Makhmour n’étant qu’à 40 km d’Erbil, les USA invoquant la menace encourue par leurs ressortissants vivant dans la capitale kurde, commencèrent à frapper EI dans cette zone, ainsi qu’à Shingal où la population était menacée de génocide.
Touz Khurmatou, une des positions les plus au sud de Kirkouk, tenue par les Peshmergas, a essuyé aussi des attaques. Le 11 août, à Djalawla, près de Khanaqin, les avances d’EI provoquèrent là aussi la fuite des habitants, alors que le drapeau d’EI flottait déjà sur plusieurs quartiers.
Gwer (al-Quwayr en arabe), à 30 km d’Erbil a été le siège de combats violents, comme à Khanaqin. Des renforts de Peshmergas sont arrivés de Suleimanieh, mais le 14, des mouvements importants de troupes d’EI en direction de Gwer, notamment en traversant le Petit Zab, amena l’armée irakienne à accroître le débit du cours d’eau à partir du barrage de Dokan pour gêner leur progression (le débit passa de 70 m cubes à 300 m3 par seconde).
À la mi août, les frappes américaines permettant aux troupes kurdes de reprendre du terrain, des régions près de Mossoul et Tell Kayf sont reprises, ce qui permet d’entreprendre la reconquête totale du barrage, ainsi que des champs de pétrole (auxquels les djihadistes ont mis le feu avant de les évacuer).
Dès le 18, les Peshmergas annonçaient que le barrage avait été « nettoyé » des combattants d’EI mais que ces derniers avaient piégé les bâtiments à l’explosif, ce qui ralentissait leur avance. Mais le 19, le président américain Barack Obama pouvait assurer que le barrage était à nouveau sous le contrôle des Peshmergas et de l’armée irakienne. Une opération conjointe entre forces irakiennes et kurdes entreprenait alors de reprendre Zummar, tombée le 2 août, alors que les frappes américaines se poursuivaient dans la région de Mossoul et non loin d’Erbil. Le 20, les Kurdes avaient avancé jusqu’à Rabia, près de la frontière syrienne, où les affrontements avec EI ont incité des villageois à passer la frontière pour se réfugier dans les zones tenues par le PYD, à Hassaké.
La retraite désastreuse de Shingal et les conséquences dramatiques qu’ont eu à subir les yézidis ont été un choc humiliant pour les Kurdes d’Irak (le PKK et le PYD ne se sont pas privés d’opposer ironiquement leurs prouesses militaires et leur action salutaire à Shingal aux revers des Peshmergas). Les responsables administratifs, policiers et militaires en charge de Shingal, coupables de fuite devant l’ennemi, ont été relevés de leurs fonctions par un Massoud Barzani furieux, et font l’objet d’une enquête. Il est à noter que tous les Peshmergas n'ont pas déserté Shingal, que d’autres commandants ont tenu sur place, mais ont dû tout de même attendre que des renforts et des munitions leur parviennent, comme Ismail Mullah Ahmad ou Qasim Shesho. Même si très vite, les unités de Peshmergas venues en renforts, ont repris et dégagé une grande partie de Shingal, il était trop tard pour les milliers de yézidis coincés dans les montagnes ou dans les localités investies par EI. L’évacuation de Qaraqosh, au contraire, même tardive et précipitée, a empêché une tragédie équivalente à celle de Shingal de se reproduire.
Car paradoxalement, ce conflit, qui voit les Kurdes se battre pour la première fois comme une armée régulière, les oppose, aussi pour la première fois, à des combattants qui ne sont ni l’armée turque, ni l’armée irakienne, ni l’armée iranienne, mais des forces rebelles, non-étatiques, affranchies de toutes règles internationales modernes (règles déjà largement bafouées par tous les États qui ont fait la guerre aux Kurdes). Chaque localité perdue ou temporairement laissée à l'ennemi voit sa population soumise au sort prévu par le Coran dans son application la plus archaïque : les hommes capturés se soumettent à l'islam ou sont tués, les femmes, les enfants et les non-combattants sont butin de guerre et de ce butin, seulement un-cinquième revient au calife (c'est la part de Dieu, des pauvres, de l'État), le reste est distribué entre les armées du djihad qui, actuellement, se répartissent les femmes et les enfants yézidis à Mossoul ou à Raqqa. Pas besoin, pour cela, d'une fatwa (qui est un avis juridique énoncé uniquement quand le droit islamique n'est pas clair) ; tout est dans la sourate VIII. Anfal (le Butin), dont s'est déjà servi Saddam, pourtant contre une population majoritairement sunnite.
Défendre le Kurdistan (très agrandi depuis juin dernier) oblige ses armées à une guerre de position, ce qui nécessite de prévoir, en cas de recul sur le terrain, une évacuation par précaution des populations, devant un ennemi qui n’a aucunement l'intention de respecter les vies des civils puisque les djihadistes se livrent à une guerre d’extermination. D’un autre côté, la tactique d’ « offensive » contre l'EI et la reconquête de Mossoul, initiée par Barzanî, lance les troupes kurdes dans une guerre de mouvements, étirée entre Ninive et la Diyala, ce qui nécessite plus encore un commandement extrêmement unifié et une stratégie de surveillance globale des déplacements de l’ennemi pour éviter le danger de se faire encercler comme à Shingal ou Qaraqosh.
Aussi, la refonte ou la « réforme » des forces Peshmergas a été annoncée par Massoud Barzani après que les premiers déboires de l’armée kurde ont fait apparaître ses points faibles. Un rapport de la commission parlementaire kurde chargée d'enquêter sur les dysfonctionnements du ministère des Peshmergas pointe particulièrement le caractère partisan et décentralisé des unités armées, leur mésentente ou leur manque de coordination internes, source de problèmes logistiques et tactiques.
D'après ce rapport, les carences en munitions, en approvisionnement et en équipement, dont se plaignent les combattants, ne sont pas les seuls facteurs minant la capacité de résistance ou d’offensive des Peshmergas et des autres unités kurdes. Bahar Abdurrahman, une des députés ayant participé à la commission d’enquête, a livré au journal Rudaw les grandes lignes du rapport. Un des faiblesses cruciales est que le ministère des Peshmergas n’a pas toujours une autorité entière sur la totalité des troupes, et que, même au sein de ce ministère, différentes « sources de décision » sont un obstacle à une efficacité et une réactivité des ordres transmis sur le terrain. La commission recommande ainsi l’instauration d'un « haut-conseil de commandement sous la supervision du Président et du ministre des Peshmergas ». À côté de cela, le caractère politisé des unités combattantes, toutes issues de partis politiques se disputant le pouvoir dans des chèfferies locales, est dénoncé depuis des années, même dans la société civile kurde. Massoud Barzani a ordonné, ce mois dernier, que serait prohibée toute exhibition de drapeaux et d’insignes de partis politiques par les troupes, qui devraient n’arborer que le drapeau du Kurdistan. Il est difficile de savoir si ces mesures peuvent être respectées dans l’immédiat, et si elles suffiront à empêcher les Peshmergas et les autres de camoufler leurs appartenances politiques.
Cette situation très nouvelle d'une stratégie offensive, voire de conquête (les mouvements des Peshmergas, Zeravani etc, les amènent à opérer à Mossoul ou à Djalawla, dans des zones soient mixtes, soit arabes, dont les populations soutiennent parfois l’EI) apparaît aussi comme la première guerre nationale kurde, puisque c'est la première fois, dans son histoire, que toutes les forces armées de tout le Kurdistan se sont retrouvées à combattre le même ennemi. C'est aussi sa première guerre classique menée par un gouvernement kurde qui agit, sur la scène internationale, presque comme un État souverain et qui reçoit une aide militaire officielle pour une guerre jugée « légitime », puisque son issue engage bien plus que le destin des Kurdes, mais tout l'avenir du Moyen-Orient.
Car la gravité de la crise irakienne et les dangers encourus par les populations civiles, ainsi que par la région kurde, jusqu’ici la seule zone stable d’Irak et terre d’accueil de centaines de milliers de réfugiés, a obligé la communauté internationale à se mobiliser et à fournir aux Kurdes une assistance non seulement humanitaire, mais aussi militaire, les Kurdes réclamant instamment, non pas l’envoi de troupes occidentales, mais celui d’un armement aussi sophistiqué que les armes américaines dont s’est emparé l‘EI après la chute de Mossoul (le manque d’armes appropriées et de munitions est un problème qui revient constamment lorsque les correspondants de presse interrogent les Peshmergas, sur le front ou dans les hôpitaux où ils sont soignés).
La difficulté ou le « tabou » de la livraison d’armes au Kurdistan tenait au fait que ce dernier n’étant pas un État indépendant, il fallait, en principe, en passer par Bagdad, mais les récents déboires de l’armée irakienne avaient fait que les demandes de réarmement adressées aux États-Unis par Nouri Maliki pour sa propre armée s’étaient heurtées à un refus. De plus, le Premier Ministre honni par les Kurdes étant toujours en place au pire moment de la crise, les relations entre Bagdad et Erbil pouvaient faire craindre que cette aide – humanitaire et militaire – ne parvienne pas aux forces kurdes, alors que le même Nouri Maliki n’avait pas hésité à geler, depuis février 2014, le traitement des fonctionnaires, comme la solde des Peshmergas, en représailles contre la politique d’indépendance énergétique du Kurdistan.
Si Barack Obama se montre, depuis le début de la crise, hésitant et, de son propre aveu « sans stratégie » contre l’EI, la France est apparue comme un des pays les plus réactifs et les plus déterminés à secourir le Kurdistan, entraînant toute l’Union européenne derrière elle. Le 7 août, elle appelait une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU afin de déclencher une mobilisation internationale contre le danger terroriste de l’EI. Le 8 août, le président François Hollande déclarait que son pays était prêt à « soutenir les forces engagées contre l’EI », sans d’abord préciser la nature de ce soutien. Il indiquait aussi avoir téléphoné personnellement à Massoud Barzani pour lui faire part de sa volonté de « coopérer » avec les Kurdes dans cette guerre.
Le 10 août, le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, se rendait personnellement à Bagdad où il a tenu une conférence de presse avec Hussein Sharistani, en appelant de ses vœux un gouvernement irakien de réconciliation et incluant tous les éléments de l’Irak. Le même jour, il s’est envolé pour Erbil, apportant 18 tonnes d’aide humanitaire accompagnée d’équipes de la Croix-Rouge. S’exprimant sur France 2 en direct de l’aéroport d’Erbil, il a qualifié de « génocide » les actions de l’EI contre les populations chrétiennes et yézidies, et a réclamé une mobilisation immédiate de l’Union européenne, tant sur le plan humanitaire que militaire. Dans une lettre à Catherine Ashton, haut-représentant de l’UE pour les affaires étrangères, il expose les besoins cruciaux de la Région kurde :
« Je rentre d’Erbil, où j’ai pu vérifier de visu le caractère totalement dramatique de la situation dans le nord de l’Irak. Face aux avancées de l’Etat islamique, les populations civiles menacées doivent fuir chaque jour plus nombreuses et les autorités locales affronter une situation humanitaire tragique, dont l’ampleur dépasse leurs moyens de réponse.
Devant le drame qui se joue à ses portes, l’Europe ne peut rester inactive. C’est un impératif moral de solidarité avec les communautés persécutées. C’est aussi ce qu’exigent l’intérêt stratégique européen et la défense des libertés.
Le Président Massoud Barzani du Gouvernement régional du Kurdistan m’a demandé la mise en place en extrême urgence d’un pont aérien d’aide humanitaire de l’Europe vers le Nord de l’Irak, ainsi que le déploiement de moyens de construction provisoire, pour aider les autorités locales à répondre aux besoins des centaines de milliers de déplacés qui fuient la barbarie de l’Etat Islamique.
Il a aussi insisté sur la nécessité impérieuse de disposer d’armements et de munitions lui permettant d’affronter et de battre le groupe terroriste de l’Etat islamique.
Il est indispensable que l’Union Européenne se mobilise dès aujourd’hui pour répondre à cet appel à l’aide. Je vous serais donc très reconnaissant de bien vouloir d’urgence mobiliser les Etats membres ainsi que les institutions européennes pour y répondre. Une réunion spéciale du Conseil des Ministres des affaires étrangères m’apparaît souhaitable.
La France, dont j’ai supervisé hier la première livraison d’aide humanitaire, sera au rendez-vous. »
La ministre italienne des Affaires étrangères, Federica Mogherini, que Massoud Barzani avait rencontrée en mai dernier, lors de son tour européen, a appelé de même à une réunion spéciale de ce conseil des ministres pour discuter des crises de Gaza, de l’Irak et de la Lybie, « qui concernent directement l’Europe » et a souhaité aussi la livraison d’armes au Kurdistan. Dès le 13 août, sans attendre la réunion des ministres européens, la France annonçait un nouvel envoi d’aide humanitaire (20 tonnes) ainsi que sa décision d’armer les Kurdes contre l’EI. Les Britanniques se disaient aussi prêts à envoyer du matériel militaire à Erbil, et finalement, le 25 août, l’Allemagne, un des pays les plus opposés, avec la Suède, à la livraison d’armes à des pays en guerre, a annoncé qu’elle allait, elle aussi, envoyer du matériel militaire au Kurdistan. La chancelière Angela Merkel a justifié cette décision très inhabituelle de la part d’un gouvernement allemand, en invoquant le « génocide » en cours en Irak et une menace « directe » contre l’Europe. Hormis les États-Unis et huit pays d’Europe (l’Albanie, l’Allemagne, le Canada, la Croatie, le Danemark, la France, l’Italie et le Royaume-Uni), l’Iran, directement visé par la politique très anti-chiite de l’EI, a également fourni des armes aux Kurdes, tout en niant l’existence de forces iraniennes opérant à Bagdad et dans d’autres régions irakiennes. L’Australie, elle, fournit une aide au transport des armes et du matériel humanitaire organisé par les États-Unis.
En représailles contre « l’alliance américano-kurde », l'État islamique a commencé un chantage à l'exécution d'otages qui peut concerner tous les États ayant décidé de soutenir les Kurdes, les Irakiens et les Syriens. Les États les plus réticents à « retourner sur le champ de bataille irakien », ainsi qu’en Syrie, se trouvent, ainsi, malgré eux, entraînés dans une action militaire directe dont les Kurdes, longtemps les éternels laissés pour compte du Moyen-Orient, seraient l'avant-garde et l’infanterie.
L’État islamique continue sa guerre de terrain pour unifier et sécuriser ses territoires de Raqqa à Mossoul, ce qui l’amène à tenter une offensive de conquête dans les provinces voisines de Hassaké et de Ninive, luttant à la fois contre l’armée kurde des Peshmergas et les YPG du PYD-PKK. Si l’EI réussissait à faire tomber Serê Kaniyê et Qamishlo, la carte de cet État, sur sa frontière nord, ressemblerait fort à ce Rojava rêvé du PYD et d'autres Kurdes syriens, qui couvrirait l’ensemble des territoires kurdes comme arabes, bordant la Turquie. Jusqu’au 20 août, il s’agissait surtout d’une guerre de harcèlement dans les localités avoisinantes, contre les Kurdes, en tentant, à Hassaké comme à Ninive, de rallier des tribus arabes sunnites hostiles à un pouvoir kurde. Les places emportées par l’EI, comme Tell Hamis et Al-Shadadi n’ont pu être reprises par les YPG, mais ses tentatives d’attaquer et d’isoler Qamishlo et Hassaké, ou d’assiéger Serê Kaniyê n’ont pas abouti non plus à des avancées susceptibles de faire tomber les deux cantons de Cizîrê et Kobanî, même si la poussée d’EI doit logiquement le mener au nord de Hassaké et ses puits de pétrole. Les attaques militaires sont accompagnées d’attentats suicides et d’enlèvements dans ces zones. Pour le moment, les positions tenues par les YPG et EI sont restées, depuis janvier, finalement, assez stables en Syrie du nord-est, les assauts des milices djihadistes s’étant surtout lancées sur Shingal-Sindjar et Mossoul (avec la prise temporaire du barrage et de puits de pétrole). Il faut voir la prise de Shingal comme la continuité de ce « nettoyage » de Hassaké-Ninive, la région kurde se trouvant isolée en plein territoire de l’EI depuis juin, avec pour seul couloir « kurde » le poste-frontière séparant les villes de Rabia-Yaroubiah, relativement loin de la ville de Shingal (et entre, les montagnes).
Il semble que ce soit à la fois des milices venues de Mossoul (celles qui ont pris la ville en juin) et d’autres du sud de Hassaké qui se soient simultanément lancées à l’assaut de Shingal, pris en tenailles. Après avoir saisi Shingal, ce fut logiquement Rabia-Yaroubiah, le seul poste frontière syro-irakien (avec Pesh Khabour) tenu par les Kurdes, YPG et Peshmergas, et qui a servi de couloir de repli pour les Peshmergas et d’évacuation des yézidis ayant réussi à fuir par l’ouest vers la Syrie. Mais entre le 3 et le 4 août, sous les attaques conjointes des YPG et des Peshmergas, l’EI a dû renoncer à prendre ce poste, même si la guerre de position continue dans ses environs. L’autre front syrien de l’EI a été Raqqa et trois bases tenues par le régime sont tombées entre juillet et août, dont celle de Tabaqa, dont l’aéroport militaire, la dernière place-forte du régime dans la province, le 24 août. Autour de 250 soldats syriens capturés ont été emmenés dans le désert pour y être exécutés en masse. La férocité de cette répression peut s’expliquer à la fois par les pertes qu’a subies lui-même l’EI, car la bataille fut longue et rude, et par le fait que combattant pour le régime alaouite, ces soldats sont considérés comme infidèles ou hérétiques, quelle que soit leur confession. Par ailleurs, il a pu être établi dans l'identification de corps de miliciens que certains avaient été recrutés de force par l’EI au sein de la population locale, sommée de donner un fils au combat ou une fille aux combattants.
Des raids de représailles avec enlèvements d’hommes ont eu lieu dans la province de Kirkouk, dans des villages occupés par EI, même contre des populations arabes sunnites. Sur l’autre front d’EI, le sud, entre Kirkouk et l’Irak sunnite, l’EI tente de même d’unifier et de sécuriser ses territoires afin de former une bande continue entre Diyala-Anbar et Mossoul et le plus grand massacre de soldats (800) a été perpétré en juin, en Irak, et vient d’être révélé, notamment par Human Rights Watch, avec le récit d’un des 20 survivants. 1500 soldats fraîchement recrutés et envoyés au camp d’entraînement Speicher, à Tikrit, auraient été trahis par leur haut commandement (ce que les officiers concernés nient) qui leur aurait assuré qu’un accord avait été conclu avec l’EI leur assurant une retraite sauve, s’ils quittaient la base sans armes. Ils ont été en fait livrés par des tribus sunnites hostiles à ces troupes majoritairement chiites. L’EI affirme, sur ses sites, en avoir exécuté 1700, et HRW peut confirmer la mort d’environ 700 soldats, en estimant que ce chiffre sera revu à la hausse.
Le traitement des minorités tombées aux mains des combattants d’Al-Baghdadi continue à se conformer à une interprétation tout à fait littérale du Coran en ses sourates guerrières (surtout issues de la période médinoise, par exemple celle qui frappa de mort ou d’esclavage les juifs Banu Qurayza). En principe, les chrétiens refusant de se convertir ou de partir doivent se conformer à un statut inférieur et payer tribut, les religions non reconnues comme « révélées » ou les dissidences musulmanes « hérétiques (surtout les chiites) doivent se soumettre à l’islam ou mourir. Mais toute population, protégée ou non par la dhimmiya, qui a combattu les armées musulmanes, tombe d’emblée dans le statut de « captifs », c’est-à-dire d’esclaves de guerre, comptés comme butin. Les combattants sont exécutés, les femmes emmenées comme concubines ou esclaves promises à la vente, les enfants, étant de même propriétés des vainqueurs, peuvent être séparés de leurs mères, vendus à part, et bien sûr élevés dans l’islam. Les biens des captifs de droit reviennent aux djihadistes. Il est à noter que la conversion à l’islam des esclaves n’implique pas nécessairement leur affranchissement.
Les yézidis sont le groupe le plus frappé par cette répression « politico-religieuses » dont tous les aspects sont énumérés dans la définition du génocide, telle que l’énonce l’article 2 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (9 décembre 1948), à savoir : a) Meurtre de membres du groupe ; b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe. »
C’est ainsi que le 15 août, les djihadistes ont tué au moins 80 hommes du village yézidi de Kotcho, près de Shingal, (d’autres chiffres feraient état de plus de 300) dans un raid meurtrier qui semble avoir pour but la prise d’esclaves, femmes (plusieurs centaines) et enfants, emmenés à Tell Afar, ainsi que le pillage. Un survivant de ces massacres, sauvé, caché et nourri par un voisin musulman, a pu s'évader vers le Kurdistan et son témoignage a été recueilli par Amnesty International, qui a estimé que les minorités du nord de l’Irak subissaient un « nettoyage ethnique ». D’autres tueries sont probablement restées pour le moment ignorées, comme peut le laisser penser la découverte, le 10 septembre, d’une fosse commune contenant les corps de 35 yézidis, parmi eux des femmes et des enfants, à Zummar. Un rapport du Haut Conseil des affaires féminines de la Région du Kurdistan a, le 30 août, indiqué un chiffre de 700 femmes yézidies tombées dans l’esclavage, ou forcées d’épouser légalement des musulmans. Certaines ont pu téléphoner à leur famille, avec des téléphones portables fournis par les djihadistes eux-mêmes. De leurs récits, il ressort que le sort de la majorité, séquestrée, violée et maltraitée, relève plus de celui des « femmes de réconfort » enlevées par l’armée japonaise durant la dernière guerre, que des captives-concubines ou épouses mentionnées dans le Coran. Le mariage légal avec un musulman implique de toute façon leur conversion « volontaire ». Toutes ne sont pas reléguées à Mossoul, une partie d’entre elles a été envoyée à Raqqa, Alep ou Hassaké. De très rares victimes ont pu s’échapper et regagner le Kurdistan, certaines ont eu la chance, lors de leur vente, d’être « achetées » par des Arabes dans le but de les sauver et de les rendre à leurs familles. Tous les enfants nés en captivité ont été enlevés à leurs mères. On estime que le prix d’une femme yézidie tourne autour de 1000 $, et varie bien sûr selon son âge, sa beauté et sa virginité, les vierges étant souvent réservées pour défloration par les commandants et données ensuite aux miliciens de base. D’autres fois, les hommes yézidis ont été épargnés mais obligés d’apostasier publiquement leur religion et la cérémonie de « conversion » a été filmée et diffusée sur les réseaux sociaux de l’EI, afin d’inciter l’ensemble des yézidis (surtout ceux restés bloqués dans la montagne de Shingal) et des autres « infidèles » d’embrasser l’islam.
Les yézidis ne sont pas la seule minorité religieuse kurde promise à la mort. Les kakay (ou yarsans) sont tout autant polythéistes, apostats ou hérétiques aux yeux des djihadistes, mais jusqu’ici, ils ont pu échapper aux massacres de masse subis par les yézidis. Par contre, des lieux saints leur appartenant ont été détruits dans le district de Hamdania (province de Ninive), comme cela a été le cas pour tous les monuments jugés non conformes à la sharia, qu’ils soient ou non musulmans.
L’autre front de l’EI, la Diyala, a été marqué par la résistance farouche des 12 000 chiites turkmènes de la ville d’Amerli, au sud de Touz Khourmatou, encerclée et assiégée par l’EI depuis juin dernier et à court d’eau et de vivres, sans électricité, n’ayant pour forces de défense que des milices locales, recrutées parmi la population. Finalement, l’aviation américaine a été autorisée, le 27 août, par Barack Obama, à frapper les assiégeants, en même temps qu’elle larguait des secours et des vivres aux habitants. Des hélicoptères irakiens ont aussi largué des vivres et des munitions en bravant les tirs de l’EI, dans des missions qualifiées de « suicides » par le colonel irakien Mustafa Al-Bayati. Mais l’aide humanitaire ne pouvait protéger les Turkmènes du massacre qui les menaçait si la ville tombait et Nickolay Mladenov, le représentant des Nations Unies pour l’Irak, a appelé à une intervention d’urgence pour sauver la ville, sous peine de lui voir connaître le même sort que Shingal. Finalement, le 31 août, à la faveur du soutien des bombardements américains, les armées kurdes et irakiennes ont pu briser le siège au nord de la ville, l’avance étant rendue difficile par les mines posées sur les routes par EI.
La résistance héroïque des Turkmènes d’Amerli indique un des effets contraires de la stratégie de terreur adoptée par l’État islamique : si dans un premier temps, les populations, terrorisées par la férocité des djihadistes, peuvent céder à la panique, fuir ou se soumettre sans combat, le sort implacable promis aux « infidèles » et largement médiatisé dans les réseaux sociaux, peut pousser les populations visées à une résistance désespérée afin d’échapper à un sort conçu comme pire que la mort. Quant à Abu Bakr al-Baghdadi, il aurait déjà fui Mossoul, via un convoi de 30 Hummer, pour regagner son fief plus sûr du nord-syrien, selon un responsable kurde, le porte-parole du PDK, Saeed Mammo, interrogé par Asharq al-Awsat, par crainte des frappes américaines.
Les attaques d'EI sont motivées à la fois par la volonté politique d'installer sa juridiction sur un territoire cohérent et homogène, avec des voies de communication sûres, ainsi que celle de mettre la main (en tout cas de le tenter) sur les puits de pétrole ou par exemple le barrage de Mossoul, qui lui permettraient de contrôler les besoins énergétiques de ses territoires (et de ceux de l'ennemi). Quant aux attaques ciblant particulièrement les minorités, elles obéissent aussi à un autre impératif économique et politique : rallier des combattants par la promesse d'un butin humain et matériel, mais aussi entretenir ses troupes en leur réservant la part qui leur est dévolue par le Coran lors des conquêtes sur le Dar al-Harb (territoire de la guerre), soit les 4/5e, ce qui dispense le calife de verser une solde. L'État islamique ne peut donc être économiquement viable sans ses « dhimmis" soumis à la taxation et sans Dar al-Harb ou « territoire de la guerre ». C'est ce qui occasionna, entre autres problèmes internes, la chute des Omeyyades : si l'État islamique prenait modèle sur les premiers temps de l'organisation politique de l'Islam, il aurait paradoxalement besoin de l'existence des chrétiens (soumis à l'impôt des non-musulmans) car il n'était pas d'usage, alors, de taxer les musulmans en dehors de l'aumône légale. Les chrétiens ayant fui, les yézidis n'étant pas éligibles à la dhimmia, restent, si les puits de pétrole lui sont repris ou sont insuffisants, les ressources de l'Anfal, le butin en esclaves et en bien confisqués sur l'ennemi impie, dont il a tout autant besoin de perpétrer l'existence, pour s'assurer cet source d’approvisionnement d’esclaves et de pillages. Ce qui fait que cet État s'apparente assez à la structure politique et religieuse des ghazi, ces « combattants de la foi », s'illustrant par des raids tenant autant de l'expédition militaire que du brigandage, aux frontières du Dar al-Islam : ainsi les mercenaires employés par les Samanides dans le Khorassan encore non converti, ou bien par Mahmoud de Ghazna en Inde, ou plus proche géographiquement, les troupes utilisées par les Seldjoukides pour harceler les marches byzantines. Il s'agissait à la fois d'actes de pirateries qui permettait aussi aux souverains de se débarrasser d'éléments guerriers séditieux, en les attirant sur des terres ennemies, comme d'actes de Djihad visant à accroître le territoire des croyants. Pour assurer sa survie interne, le Dawlat al-Islam a besoin du Dar al-Harb, car c'est de la guerre qu'il tire sa justification et son existence.
Sur le front du « Rojava » (Kurdistan de Syrie) le combat contre l’État islamique mené par les YPG s’est fait, dans la ville de Hassaké, en coopération avec l’armée syrienne, et sur le terrain de Tell Hamis ( lieu d’une défaite sévère des YPG en janvier dernier), avec l’Armée syrienne de Libération, une illustration du grand écart des alliances auquel doit se livrer le PYD sur le terrain. La ville de Hassaké est, pour le moment, divisée en bases militaires prises par l’EI, d’autres contrôlées par le régime syrien, et les quartiers kurdes tenus par le PYD. En plus des milices djihadistes de l’EI, les YPG ont parfois, comme les Peshmergas du Kurdistan d’Irak, à lutter contre des tribus arabes sunnites (ou la population locale) tout en s’appuyant sur la collaboration d’autres Arabes, notamment en incorporant à leurs forces des milices sunnites, qui rejoignent, avec les milices chrétiennes et yézidies, les forces non-kurdes assistant les YPG ou les Asayish.
La montée en puissance de l’EI à Raqqa et Hassaké a donc mené les YPG et l’ASL à une trêve de plus et une alliance contre l’ennemi commun, pour ne pas non plus laisser tomber des places d'Alep aux mains des armées du « Calife ». Un accord a été conclu le 22 août (source ANHA) à l’issue d’une réunion entre Abdo Ibrahim, le président du Conseil de défense du « canton d’Afrin » et des commandants YPG, et le général de l’Armée syrienne libre d’Alep, Abdul Jabbar Agidi, et d’autres commandants de l’ASL. L’accord porte sur une défense commune d’Alep et de ses environs. Abdo Ibrahim, dans son communiqué à ANHA, a indiqué que la contre-partie demandée par le PYD pour cette défense commune était que l’ASL devait accepter la « particularité des régions kurdes » et du « Rojava ». Cet accord sera étendu à la région « Euphrate » en septembre, entre les YPG, l’ASL et d’autres forces de « l’opposition » qui aboutit à un commandement de forces conjointes, unies contre EI.
L’offensive sur Shingal, qui se trouve sur le chemin entre Raqqa et Mossoul, mais est aussi la directe voisine de Hassaké, a immédiatement incité les YPG à franchir la frontière à Yaroubia pour défendre Rabia (comme en juin) tandis qu’une déclaration officielle des YPG annonçait une coopération « au plus haut niveau » avec les peshmergas dont 700 s’étaient retirés du côté syrien après la chute de Shingal, certains pour être soignés à l’hôpital de Dêrik (Malikiyah). Les YPG ont aussi ouvert des routes pour permettre aux Yézidis coincés dans la montagne de passer du côté est et 20 000 seraient passés en Syrie. Les media pro-PKK parlent même de 100 000 réfugiés, et ont annoncé la création d’un nouveau camp de réfugiés, Rubarî, à Afrin, pour accueillir 30 000 yézidis (en plus de celui de Hassaké) qui vient s’ajouter au camp Newroz dans ce même canton. En tout cas, des forces militaires yézidies, sur le modèle des Sutoro (les combattants chrétiens du PYD) ont commencé d’être entraînées par les YPG pour la reconquête de Shingal. Les combattants seraient quelques centaines, selon Reuters, majoritairement issus du côté irakien mais il peut aussi y avoir des yézidis syriens. I est fort possible que Shingal, dans sa partie orientale, fasse désormais partie du « front du Rojava », même si le PYD nie toute vélléité d’en faire un 4ème « canton ». Les YPG ont aussi affirmé avoir combattu à Zummar et Kaské, dans la province de Ninive, ces deux localités ayant été les premières à avoir subi l’assaut d’EI, avant la prise du barrage de Mossoul. Le 19 août, la localité de Djazaa, près de Yaroubia est attaquée par EI, qui tente ainsi de couper l’accès des YPG à Shingal et traverser la frontière librement. Les combats autour de Djazaa continuent tout le mois d’août et les YPG ne font pas état de la prise de la localité, parlant de combats acharnés, de lourdes pertes du côté d’EI, jusqu’à la fin août, où ils annoncent avoir repoussé tous les combattants EI de Djazaa, mais les opérations militaires se poursuivent encore.
À Kobanî (‘Ayn al Arab) ce fut aussi une succession de collines et de villages pris et repris. Les YPG annoncèrent régulièrement, tout l’été, de « lourdes pertes » dans les rangs d’EI (en général 100 tués EI pour une dizaine d’YPG, dont certains sont de Turquie). Mais EI a attaqué des villages à l’est autour du 19 août, avec des armes lourdes et des tirs mortiers. Si les frappes d’une coalition internationale menée par les USA, contre les bases de l'EI en Syrie, peuvent les YPG en desserrant l’étau, cela ne contribuera peut-être pas à les rapprocher de l’ASL (une fois le danger commun écarté, les alliances de circonstances peuvent tomber) ni les éloigner du régime syrien, dont ils dépendent trop à Qamishlo et Hassaké. Or l’appartenance au Conseil national syrien est une condition sine qua non pour faire partie des représentants reconnus comme légitime par l’Occident des Syriens de l’opposition (ce qui fait que des membres du Conseil national kurde, même méfiants en grande partie envers les Syriens arabes, y sont représentés). D’un autre côté, la valeur militaire des YPG et le fait que ce soit, à l’est de la Syrie, le seul groupe armé capable de repousser EI, peut être pris en considération, nonobstant l’hostilité de la Turquie, de plus en plus déconsidérée dans sa politique syrienne et au Kurdistan d’Irak.
Malgré des pressions internationales et nationale quasi-unanimes pour inciter le Premier Ministre irakien, Nouri Maliki, à ne pas exercer de troisième mandat, ce dernier a campé sur ses positions depuis avril, arguant du droit « constitutionnel » à être reconduit dans ses fonctions, en raison de la victoire aux législatives de sa liste, État de droit. Mais la politique de Nouri Maliki lui ayant aliéné une large majorité des Irakiens, même les chiites, et étant responsable du désastre de Mossoul et de l’actuelle situation irakienne, plus aucun soutien politique sérieux ne pouvait plaider en sa faveur. Les chiites ont tenté durant plusieurs semaines de trouver une alternative à Nouri Maliki, qui serait acceptée par les Arabes sunnites et les Kurdes, ces deux groupes étant en rupture avec Bagdad. Il fallait d’abord faire consensus au sein de leur coalition, et persuader le Premier Ministre de céder la place.
Entre temps, le président irakien avait été élu le 24 juillet : le Kurde Fouad Massum avait, selon la constitution, 15 jours à partir de son élection pour choisir un Premier Ministre qui formerait son gouvernement. Dès sa prise de fonction, Fuad Massoum avait d’abord indiqué que le 7 août serait une ligne rouge à ne pas dépasser, avant de rallonger ce délai jusqu’au 10. Finalement, devant les difficultés, l’assemblée nationale irakienne prolongea encore la nomination au 19 août, les négociations n’étant pas « achevées ». Quand Fouad Massoun réunit l’Alliance nationale, la principale coalition parlementaire après celle de Maliki, afin de se mettre d’accord sur un nom, on put remarquer la présence de membres de la coalition de Maliki, État de droit, ce qui montrait que le parti du Premier Ministre ne soutenait pas unanimement son leader. Dans le même temps, le compte twitter officiel d’État de droit, publiait plusieurs avertissements s’opposant à tout « recours à la violence », ces allusions visant clairement Maliki, toujours à la tête de la Défense, des forces de sécurité et de l’armée, et qui était soupçonné d’avoir prévu le recours à un coup d’État pour garder son poste.
Car Nouri Maliki, jusqu’ici, ne désarmait pas, et le 10 août, avait, déclaré son intention de porter plainte devant la Cour fédérale contre la présidence irakienne, pour violation de la constitution sur deux points : 1/ avoir étendu le délai de 15 jours jusqu’au 10 août pour la désignation d’un Premier Ministre, qui devait être la tête de la liste ayant remporté les législatives, et 2/ avoir à nouveau étendu ce délai après le 10 août. Arguant avec un certain aplomb de la « situation dangereuse » dans laquelle se trouvait l’Irak face au danger d’EI et les politiciens « proches d’EI » (Maliki désigne volontiers ainsi tout opposant), il avait, très exactement 90 mn avant son intervention télévisée, soit à 22 h 30 GMT + 2, ordonné le déploiement des Forces de sécurité irakiennes et des Forces d’opération spéciale irakiennes pour « sécuriser » les entrées de Bagdad et la Zone verte, tout en bloquant un certain nombre de rues et de ponts à l’intérieur de la ville. Une source (anonyme) présente dans la Zone verte indiquait à la presse que les bâtiments de la Présidence étaient cernés par ces mêmes forces mais cela a été démenti par d’autres sources, émanant de la Présidence, qui aurait en fait déployé ses propres gardes pour assurer sa sécurité. La veille, le 9 août, une manifestation avait rassemblé au centre de Bagdad les supporters du Premier Ministre, qui avait aussi enjoint le grand Ayatollah Sistani (un de ses farouches adversaires) de ne pas « se mêler de politique » et ce message a été diffusé publiquement dans la manifestation.
Les Irakiens et les Kurdes ont immédiatement interprété ce déploiement de forces comme une menace de coup d’État. Les USA s’en sont aussi inquiétés et la porte-parole du Département d’État, Jen Psaki a déclaré que son pays « rejetait tout effort de parvenir à ses fins par la coercition et la manipulation du processus constitutionnel et judiciaire », rappelant que Washington était prêt à « soutenir un nouveau gouvernement, inclusif » dans le combat contre EI. John Kerry alla même jusqu’à envisager une rupture du soutien international à l’Irak dans cette crise.
Alors même qu’un nouveau Premier Ministre, Hayder Al Abadi, un chiite issu de la liste État de droit, a fini par être désigné et approuvé par le Parlement, Nouri Maliki ne semblait toujours pas prêt à renoncer, en dépit du soutien des États-Unis et de l’Union européenne apporté à cette nomination, et le vote de 127 parlementaires dont presque la moitié de la liste État de droit (38) et 12 venant du bloc Mustaqilun, mené par Hussein Sharistani, qui fut pourtant le principal exécutant de la politique de Nouri Maliki contre les Kurdes en matière de gestion des ressources. Le reste du bloc État de droit s’est abstenu. Nouri Maliki a commencé par refuser de reconnaître Hayder Al-Abadi comme son successeur, écrivant à la Cour fédérale que le bloc État de droit étant enregistré sous son nom, ses députés n’avaient pas le droit d’exprimer une position contraire à la sienne et qu’Al Abadi en tant que responsable de son parti, ne pouvait agir sans son autorisation. Le 11 août, Nouri Maliki, de plus en plus désavoué, ne put rassembler autour de lui que 29 membres d’État de droit, quand il a donné une seconde allocution filmée, critiquant le caractère inconstitutionnel de son évincement.
Cela n’empêcha pas le président Fouad Massoun de désigner enfin officiellement son Premier Ministre, dans une cérémonie officielle en présence de Hussein Al Sharistani, AL Jafari (leader de l’Alliance irakienne), Baqir Jabur, (Alliance des citoyens ou Mowatin, une coalition religieuse chiite) Dhia Al Assad (sadriste) et un autre représentant d’une branche sadriste, Fadhila. Les milices chiites irakiennes soutenues par l’Iran ont aussi retiré leur soutien à l’ancien Premier Ministre en le reportant sur Al Abadi, ce qui indique une désaffection de Téhéran envers son principal « pion » politique sur le terrain bagdadi. Mais cet isolement et ces désistements successifs n’ont pas empêché Nouri Maliki d’appeler ses supporters à manifester contre Al Abadi le 13 août. Cette fois, les rangs des manifestants s’étaient considérablement raréfiés.
Sur le plan international, les puissances occidentales comme les États voisins, dont l’Arabie saoudite et la Turquie, ont salué la nomination d’Al Abadi, qui a appelé le 12, jour de la cérémonie de sa désignation, à un « Irak unifié », tout en ménageant son prédécesseur, Nouri Maliki, dont il a loué « l’action contre le terrorisme ». Le lendemain, 13 août, plusieurs explosions mortelles secouaient Bagdad et Karbala, que cela vienne des cellules de l’EI ou de factions inconnues, qu’elles soient sunnites ou chiites et une amélioration des conditions de sécurité les villes du sud semble incertaine.
Hayder Al Abadi est né à Bagdad en 1952 où il a fait des études d’ingénieur, avant de partir à Manchester pour compléter son cursus. Membre du parti religieux chiite Al-Dawa dès 1967, il en occupe assez rapidement une position de leadership à la fin des années 70, notamment en tant que membre de l’exécutif, alors qu’il est à Londres, où il restera en exil jusqu’en 2003. En 1983, l’Irak lui confisque son passeport pour « conspiration contre le Parti Baath », et dans cette même décennie, trois de ses frères sont arrêtés pour appartenance à Dawa. Revenu en Irak, il est ministre des Communications entre 2003 et 2004. Au début de 2005, il est conseiller auprès du Premier Ministre Iyad Allawi et à la fin de cette même année est élu au parlement, où il a présidé la commission de l'économie, de l'investissement et de la reconstruction, puis celle des finances. En juillet dernier, il a été élu vice-président du Parlement. Dès 2010, il avait été régulièrement mis en avant comme une alternative à Nouri Maliki, dont il est un des proches. Décrit comme un homme d’abord « ouvert, amical », il a la réputation d’être « accessible » ce qui peut trancher avec l’isolement et la défiance frôlant la paranoïa dans lequel s’est enfermé son prédécesseur, lui aliénant une bonne partie des milieux politiques irakiens et kurdes.
Le 10 août ont eu lieu les élections présidentielles turques, qui se tenaient pour la première fois au suffrage universel. le Premier Ministre Recep Tayyip Erdoğan était candidat pour l’AKP à la succession d’Abdullah Gül, lui-même issu de ce parti. Sans surprise, il a été élu au premier tour, avec 51. 79% des voix, face à son principal adversaire, Ekmeleddin Ihsanoğlu, ancien secrétaire de l’Organisation de coopération islamique, à la tête d’une coalition improbable de 13 partis, allant de mouvements religieux au très laïque CHP et jusqu’au parti d’extrême-droite, le MHP, qui n’a remporté que 38.44%, entérinant la déroute d’une opposition turque totalement morcelée et qui peine à trouver un électorat face à la « machine à gagner les élections » qu’est l’AKP depuis. Le troisième candidat, l’avocat kurde Selahattin Demirtaş, se présentait à la tête du Parti démocratique des peuples (HDP), un parti pro-minorités et féministe, ayant formé une alliance avec le parti kurde du BDP lors des municipales de mars 2014, avec qui il a fusionné depuis avril dernier.
Selahattin Demirtaş a obtenu 9.76, ce qui fit considéré comme un score très honorable pour le candidat « kurde » de Turquie. Il l’emporte dans les provinces kurdes de Şırnak (83%), Hakkari (81%), Diyarbakır (64%), Ağrı, Muş et Mardin (61%), Batman (60%, Siirt et Van (54%), Tunceli-Dersim (52%), Iğdir (42%).
Ekmeleddin Ihsanoğlu gagne à Kırklareli (67%) Edirne (64%), Muğla (63%), Izmir (58%), Tekirdağ (57%), Aydın (56%), Çanakkale (55%), Mersin (54%), Antalya (53%), Hatay (52%), Eskişehir (51%), Adana (50%), Balıkesir et Denizli (49%), Manisa et Osmaniye (48%).
Recep Tayyip Erdoğan remporte la victoire à Rize et Bayburt (80%), Gümüşhane (75%), Konya et Aksaray (74%), Çankırı et Düzce (73%), Maraş (71%), Elazığ, Trabzon et Malatya (70%), Adıyaman, Sivas et Sakarya (69%), Erzurum, Urfa et Niğde (68%), Bolu, Kayseri , Ordu, Karaman et Giresun (66%), Bingöl, Yozgat et Samsun (65%), Afyonkarahisar, Karabük, Kilis et Nevşehir (64%), Çorum et Kırıkkale (63%), Tokat (62%), Sinop (61%), Gaziantepe (60%), Erzincan et Kocaeli (58%), Bartın (57%), Amasya (56%), Isparta (55%), Artvin, Kirşehır et Bitlis et Zonguldak (52%), Ankara (51%), Bilecik, Yalova et Uşak (50%), Istanbul (49%), Kars (42%), Ardahan (40%).
Après l’élection d‘Erdoğan, son ancien ministre des Affaires étrangères, Ahmet Davutoğlu a été élu à la tête de l’AKP le 21 août et devint Premier Ministre, le 28 août, formant alors le 62ème cabinet de la République, qui prêta serment le 29 août. Ce gouvernement devrait rester en place jusqu’aux prochaines élections législatives de 2015. Il y a très peu de nouvelles têtes au sein de ce cabinet, dont beaucoup restent en place depuis les cabinets successifs d’Erdoğan, entre 2007 et 2013. Les vice-Premiers ministres sont Bülent Arinc, Numan Kurtulmuş, deux conservateurs aux idées religieuses assez proches du Parti de la Vertu d’Erbakan, Ali Babacan, ancien ministre de l’Économie puis des Affaires étrangères dans les deux premiers cabinets d’Erdoğan, et Yalçin Akdoğan, ancien journaliste au quotidien conservateur Yeni Şafak. Aux Affaires étrangères, Ahmet Davutoğlu est remplacé par Mevlut Çavusoğlu, qui a surtout une expérience au sein de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Le ministre de l’Intérieur est toujours Efkan Ala, qui a été gouverneur de Diyarbakir et de Batman et occupe ses fonctions ministérielles depuis 2013. Aux Finances, l’économiste kurde Mehmet Şimşek reste en poste (depuis 2009), et à la Justice, le juriste et théologien Bekir Bozdağ (depuis 2013). Taner Yıldız reste à l’Énergie et aux Ressources naturelles (depuis 2009), Mehmet Muezzinoğlu à la Santé (depuis 2013), Nabi Avci à l’Éducation nationale (depuis 2013) et Omer Çelik à la Culture et au Tourisme (idem), Nihat Zeybekçi à l’Économie, ainsi que Lütfi Elvan, aux Transports et à la Communication, et Ayşenur Islam à la Famille et à la Poitique sociale, Idris Güllüce pour l’Environnement et la Plannification urbaine. À l’Agriculture, c’est un ancien parlementaire de Diyarbakir, Mehmet Mehdi Eker qui fait figure de nouvel entrant avec Faruk Çelik au Travail et à la Sécurité sociale, et Avrukan Bozkır pour l’Union européenne, Nurettin Canikli pour les Douanes et le Commerce. Le ministre de la Défense est Ismet Yılmaz (depuis 2011) et celui de la Science, de l’Industrie et de la Technologie, Fikri İşık (2013). Veysel Eroğlu reste ministre des Eaux et Forêt (en poste depuis 2013).
« Schlomo le Kurde », roman de l’écrivain Samir Naqqash a été traduit de l’arabe et vient de paraître aux éditions Galaade, qui présente ainsi son auteur :
« Samir Naqqash est né à Bagdad (Irak) en 1938. Il faisait partie d’une de ces familles juives qui ont été forcées de quitter l’Irak dans les années 1950. Il était adolescent lorsqu’il s’est retrouvé en Israël, mais ne s’est jamais senti chez lui dans ce pays. Il se sentait en effet expulsé du paradis où il avait passé son enfance : Bagdad. Aussi n’a-t-il jamais pardonné aux États irakien et israélien d’avoir abandonné la plus ancienne diaspora juive. Et il a tenté de quitter Israël à plusieurs reprises, pour l’Iran, l’Inde, la Turquie, le Liban, l’Égypte et l’Angleterre. Mais il a fini par rentrer en Israël où il est mort en 2004 dans la banlieue de Tel-Aviv. Samir Naqqash se considérait comme un écrivain irakien en exil.
Sa particularité est d'avoir fait le choix difficile d’écrire en arabe, ce qui en fait un écrivain israélien atypique. Cette décision l’a coupé à la fois d’un lectorat potentiel en Israël et d’un lectorat arabe du fait qu’il soit juif. Aussi son œuvre est-elle restée malheureusement confidentielle : peu lu dans le monde arabe, même s’il est très apprécié de nombreux écrivains irakiens contemporains et de quelques intellectuels arabes et tout aussi peu lu en Israël en dehors de la communauté juive d’origine irakienne, un seul de ses livres ayant été traduit en hébreu. Cependant Naguib Mahfouz, prix Nobel de littérature, le considérait comme « l’un des plus grands auteurs à écrire en arabe aujourd’hui ».
Plusieurs chercheurs ont souligné l’importance de l’arabe dialectal dans l’œuvre de Samir Naqqash, puisque dans ses nouvelles il fait usage tantôt de l’arabe dialectal irakien standard — celui de la communauté musulmane en réalité — tantôt de celui de la communauté juive. Samir Naqqash est l’auteur d’une œuvre importante : une dizaine de titres, dans des genres différents : romans, recueils de nouvelles, pièces de théâtre. Ses livres écrits tous en arabe, publiés en Israël ou en Allemagne (Al-Kamel Verlag, Cologne), ont été écrits après son arrivée en Israël. Il fut aussi traducteur de l’hébreu vers l’arabe. Shlomo le Kurde est son dernier roman. »
Les éditions Galaade exposent les raisons de leur choix de traduction et de publication :
« Pourquoi avoir désiré à tout prix publier ce livre en français depuis 2005 ? Sinon parce que Shlomo le Kurde ou plutôt Shlomo Kattani le Kurde, appelé aussi Abou Salman, balloté par l’Histoire entre le Kurdistan, Téhéran, Bagdad, Bombay et Ramat Gan, de 1914 à 1985, nous raconte, à la manière des Mille et une nuits, les tribulations d’un nouveau Sindbad, dans ces terres d’Orient, où les frontières ont évolué, aux prises avec toutes les influences, courants et opportunités : le commerce et l’exploration, le colonialisme puis le communisme, et alors qu’a lieu en Occident la Grande guerre puis la Seconde guerre mondiale. Parce que ce texte est un roman magnifique sur l’exil et sur la mondialité, tout en s’inscrivant dans l’histoire et la littérature. Parce qu’il explore une langue dialectale née de la communauté musulmane ainsi que de la communauté hébraïque de Bagdad, tout en éclairant les rapports de l’écrivain d’origine irakienne qu’est Samir Naqqash avec l’hébreu moderne, et ainsi pose avec humour la question du rapport entre la langue et l’identité. Parce que j’aime les péripéties de la vie de Shlomo qui parle araméen, kurde, persan, russe, se débrouille en arabe, en hindi et même en anglais, et lit l’hébreu biblique. Car Shlomo est juif, kurde et commerçant. Et qu’il est amoureux. Et, quand je lis Shlomo le Kurde de Samir Naqqash, voix juive et arabe, je pense à Anton Shammas ou Sayed Kashua, qui ont fait eux aussi le choix d’une langue, j’aime la manière dont Samir Naqqash nous embarque dans un monde disparu qui a quelque chose à voir avec ce que raconte Abdulrazak Gurnah à propos de Zanzibar, Yoel Hoffmann avec Bernhard, Hakan Günday avec Ziyan ou Patrick Deville dans Equatoria. »
Quatrième de Couverture : « Voilà ma belle histoire : les mille et une nuits d’Iran. Je voudrais tant retourner dans la capitale de Haroun Al-Rachid. Je me souviens encore de comment on m’a chassé de Bagdad contre mon gré, avec les autres juifs iraniens. » Shlomo le Kurde était écrit en lettres d’or au-dessus de la porte de son échoppe, au marché de Bagdad. Il s’appelle Shlomo Kattani le Kurde, on le nomme aussi Abou Salman. Il parle araméen, kurde, persan, russe, il se débrouille en arabe, en hindi et même en anglais, et il lit l’hébreu biblique. Car Shlomo est juif, kurde et commerçant. De 1914 à 1985, balloté par l’Histoire entre Sablakh-Mahabad, Téhéran, Bagdad, Istanbul, Bombay et Ramat Gan, il connaît la gloire, la réussite, puis la chute, traversant un siècle dont il est le nouveau Sindbad. Shlomo le Kurde, c’est aussi une sublime histoire d’amour liant Shlomo à ses deux femmes, Esmer et Esther ; c’est une incroyable épopée, entre l’Orient et l’Europe, où se succèdent tant de péripéties, dans l'Empire ottoman, sous l'occupation anglaise ou à l'époque soviétique, racontées avec nostalgie, insolence et humour. Dernier roman de Samir Naqqash, « l’un des plus grands auteurs à écrire en arabe aujourd’hui » selon Naguib Mahfouz, Shlomo le Kurde, c’est enfin le récit d'un paradis perdu, où les distances et le temps offraient cet espace indispensable à l’inconnu, à l’aventure et aux rêves les plus fous. Un roman magnifique sur l'exil et sur la mondialité.