Pour la première fois depuis l’instauration, en 1983, du seuil de 10% de voix remportées au niveau national lors des législatives, un parti pro-kurde peut siéger au parlement turc. Le HDP a en effet obtenu 13,12 %, ce qui lui permet de remporter 80 sièges. Autre conséquence politique de taille, l’AKP perd la majorité absolue qu’il détenait depuis 2000, ce qui mettra un frein sérieux aux ambitions d’Erdoğan, qui espérait, à la faveur de réformes constitutionnelles, instaurer un régime présidentiel lui octroyant davantage de pouvoirs, ce que ses opposants dénoncent comme une dérive « sultanesque », le leader le plus charismatique de l’AKP n’ayant cessé, au cours de sa campagne, de se référer à un passé ottoman aussi mythique que folklorique.
N’ayant remporté que 40, 87 % des voix, l’AKP ne pourra se maintenir au pouvoir qu’en formant une coalition, à moins de céder la place à un gouvernement composé de ministres tous issus des partis d’opposition. Mais la polarisation extrême de cette opposition, principalement composée du MHP (parti ultra-nationaliste, 16, 29%, 80 sièges) et du CHP (parti laïque et nationaliste de gauche, 132 sièges) tous deux idéologiquement très opposés à la ligne politique du HDP (pro-kurde, féministe, pro-minorités religieuses, ethniques et sexuelles) rend problématique l’élaboration d’un gouvernement commun. De plus, les deux premiers partis se montrent hostiles au processus de paix initié entre le chef du PKK. Abdullah Öcalan, et le chef des services secrets (MIT) mandaté dans ces négociations par l’AKP.
Une coalition HDP-AKP semble tout aussi difficile, même si, a priori, le programme électoral de l’un et l’autre en ce qui concerne la question kurde, les éloigne moins que le HDP ne l’est des partis nationalistes. Certes, le HDP soutient le processus de paix, mais durant toute la campagne, c’est surtout à un bras de fer entre les ténors de ces deux partis que l’on a assisté, le HDP accusant l’AKP d’avoir un agenda islamiste, Erdoğan stigmatisant Demirtaş de « zoroastrien » ou de « marxiste ». Figen Yüksekdağ la co-présidente du HDP a déclaré que son parti restait « ouvert » aux propositions de coalition, mais sans préciser avec qui.
Malgré un dernier week-end de campagne endeuillé, à Diyarbakir, par un attentat, probablement islamiste, ayant causé, le 5 juin, 3 morts (une 4ème victime décédant le 13 juin) et une centaine de blessés, dont certains très grièvement, la « rue kurde » a laissé éclaté sa joie, devant une victoire vue comme « historique » dans la lutte des Kurdes pour la reconnaissance de leur identité.
D’autres voix de la gauche turque, surtout issues du mouvement de Gezi Park, ont célébré ces résultats, y voyant surtout un camouflet adressé à la politique autoritariste tout autant qu’affairiste d’Erdogan. De plus, sa complaisance envers des courants islamistes et ses incitations à une politique familiale et féministe très conservatrices, ont crispé une partie de l’opinion turque.
Mais c’est cette même attitude conservatrice qui avait jusqu’ici permis à l’AKP de s’implanter confortablement au sein de l’électorat kurde, dont une partie reste attachée à un mode de vie et des valeurs très traditionnelles, dans une société provinciale très éloignée des mouvements urbains d’Istanbul. La guerre syrienne, le siège de Kobanî et les prises de position anti-« Rojava syrien » ont sans doute pesé très lourd dans le vote des Kurdes, outrés, quelles que soient leurs propres opinions politiques, du « deux poids deux mesures » appliqué par Ankara, entre l’État islamique et le PYD kurde.
Le 10 juin, le cabinet gouvernemental dirigé par le Premier Ministre Ahmet Davutoğlu a remis sa démission au président, lequel l’a acceptée, tout en demandant au conseil des ministres de rester en place le temps que se forme un autre gouvernement, dans un délai maximal de 45 jours après l’élection du bureau du Parlement. Au bout de ce temps, si aucun cabinet n’a pu être formé, de nouvelles élections devront avoir lieu.
La composition du nouveau parlement est celle-ci :
L’AKP domine toujours avec 258 sièges (40, 87%), mais a perdu 69 députés par rapport aux élections de 2011. C’est, de toute façon, son plus mauvais résultat depuis son accession au pouvoir en 2001 (Ahmet Davutoğlu avait promis de démissionner si l’AKP n’obtenait pas 55% des voix, soit 330 sièges sur 550).
Vient ensuite le Parti républicain du peuple (CHP), avec 132 députés (3 de moins qu’en 2011, en baisse de 1%). Malgré son objectif affiché de passer les 35%, il ne parvient même pas à 25%.
Le Mouvement nationaliste (MHP) remporte 80 sièges, autant que le HDP, avec 16, 29% des voix. Il est, lui aussi en hausse, mais de façon moins spectaculaire (+ de 27 sièges).
Le HDP est évidemment celui dont le succès est le plus spectaculaire, puisque ses 13, 12 % de voix le font passer de 0 à 80 députés.
Aucun des 17 autres petits partis ne franchit cette barre des 10% des suffrages (beaucoup sont au dessous de 1%) et ne sont donc pas représentés. Il faut signaler tout de même le score du Parti de la Félicité (SP), mouvement de conservateurs religieux, notamment dirigé de 2004 à 2010 par l’ancien Premier Ministre islamiste Erbakan, qui parvient à un score de 4-5%, peut-être en gagnant des électeurs qui, auparavant, votaient AKP.
Le vote dans les provinces à majorité kurde ou avec une population kurde conséquente :
À Adana (14 sièges), dont la population est mixte (kurde, turque, arabe), l’AKP arrive en tête, avec 5 députés, juste devant le CHP (4) et le MHP(3), le HDP arrivant en dernier avec 2 députés.
À Adyaman (5 sièges), dont la population est également mixte entre Turcs et Kurdes, l’AKP remporte 4 sièges, le HDP, 1.
Les 4 sièges d’Agri (Ararat) reviennent tous au HDP.
À Ankara (32 députés), le HDP parvient à décrocher un siège, l’avantage revenant à l’AKP (15), talonné par le CHP (11).
À Batman (4 sièges), le HDP l’emporte sur l’AKP, 3 pour 1.
À Bingöl (3 sièges), l’AKP a 2 députés pour un député HDP.
Bursa (18 sièges) est dominé par l’AKP (9), mais le HDP réussit à élire un député.
Sur les 11 sièges de Diyarbakir, le HDP en remporte 10 et l’AKP un.
À Elazig, peuplée de Turcs et de Kurdes mais traditionnellement très nationalistes pro-Turcs, l’AKP remporte 3 sièges sur 4, un siège revenant au MHP, de même Erzincan et Erzurum, où l’AKP gagne respectivement un député sur 2 (l’autre étant CHP) et 4 sur 5 (l’autre étant MHP).
Gaziantepe vote majoritairement AKP (6 députés), le reste des 12 sièges se répartissant équitablement, 2 chacun pour le CHP, le MHP et le HDP.
Le HDP réussit le grand chelem à Hakkari, en remportant les 3 sièges de la province, de même à Igdir, 2 sur 2.
À Istanbul (88 sièges), l’AKP emporte 39 sièges, le CHP 28, et le HDP (11) passe devant le MHP (10).
À Izmir (26 sièges), c’est le CHP (12) qui vient en tête devant l’AKP (8) , mais le HDP décroche tout de même 2 sièges.
Le HDP bat l’AKP à Kars, avec 2 sièges sur 3, mais n’élit aucun député à Malatya, dont les 6 sièges se répartissent entre l’AKP (5) et le CHP (1).
Mersin (11 sièges), dont la situation est très proche d’Adana, avec une nombreuse population kurde réfugiée, répartit ses voix de façon assez égalitaire entre tous les partis, l’AKP, le CHP et le MHP obtenant 3 députés, le HDP, 2.
À Muş (3 sièges) le HDP remporte 2 sièges contre un pour l’AKP, tandis qu’à Siirt (3 sièges) c’est le résultat inverse.
À Urfa (12 sièges), une des provinces mixtes kurde, arabe, turque, et fief de l’AKP, le parti au pouvoir l’emporte avec 7 députés mais le HDP réussit un bon score avec 5 sièges.
Autre province totalement acquise au HDP : Şirnak, 4 sièges sur 4 et un score encore plus significatif pour Tunceli-Dersim, souvent partagé entre CHP et parti pro-kurde, qui donne, cette fois, ses 2 députés au HDP.
Enfin à Van, le HDP remporte 7 sièges sur 8 devant l’AKP.
Les élections ont connu aussi une large participation dans la diaspora turque et kurde. Les résultats à l’étranger voient le HDP vainqueur au Canada, en Finlande, en Italie, au Japon, en Macédonie, en Pologne, en Suède, Suisse, Thailande, Ukraine et Royaume-Uni. Il arrive à égalité en Grèce avec le CHP.
Dans le reste du monde, l’AKP « remporte » 23 pays, dont la France, le CHP 19, et les Turcs d’Albanie sont les seuls à voter majoritairement pour le MHP.
Depuis février 2015, l’Institut kurde de Paris, menacé de fermeture en raison de la suppression de ses subventions par l’État français, fait campagne pour sa survie.
Avec un appel signé par Kendal Nezan, président de l’Institut kurde, Bernard Kouchner, ancien ministre des Affaires étrangères et fondateur de Médecins dans frontières, et Christophe Girard, maire du IVe arrondissement de Paris, une campagne de dons a aussi été mise en place sur le site de l’Institut kurde : www.institutkurde.org, intitulée « Pour que l’Institut kurde de Paris vive !
« L’Institut Kurde de Paris risque de fermer ses portes, faute de financements. C’est une triste nouvelle pour la France, pour la communauté internationale, et pour ceux qui sont comme nous animés par un espoir de paix dans un Moyen-Orient éclaté dont les déchirures nous concernent tous.
Lorsque nous avons ouvert les portes de l’Institut en 1983, grâce à la mobilisation de quelques intellectuels et d’hommes politiques, nous avons offert au peuple kurde un lieu unique où pouvaient s’exprimer librement sa très ancienne culture, sa parole et son identité.
Ce fut un acte d’engagement fort envers tous les Kurdes, le plus grand peuple au monde sans Etat. Opprimé sans cesse à travers l’Histoire sous le regard indifférent de la communauté internationale, ce peuple dont la culture et la langue sont interdites sur la majorité de son propre territoire, vaste enclave embrassant les frontières de la Syrie, de l’Irak, de la Turquie et de l’Iran, se bat aujourd’hui pour notre liberté, contre le terrorisme.
Faut-il raconter comment ce peuple écartelé, en exil sur ses propres terres, fuyant sans cesse les exactions et les massacres sanglants, propose inlassablement des solutions pacifiques face à l’oppression dont il est victime ? Faut-il rappeler la campagne d’extermination orchestrée par Saddam Hussein qui donna lieu à l’effroyable massacre chimique d’Hallabja ?
Dramatique et édifiante, l’histoire du peuple kurde est une telle leçon de vie et de tolérance, malgré les persécutions qu’il est indispensable de rappeler sans cesse à notre mémoire.
Depuis plus de trente années, l’Institut Kurde de Paris est notre fierté. Organisme laïc et indépendant, ouvert à tous, il bénéficie du statut de fondation reconnue d’utilité publique dès 1993. Refuge d’humanité, c’est un espace de liberté, dans toutes les dimensions constitutives de cette valeur que nous revendiquons tant.
La liberté de parole et celle des idées : ce sont des centaines de conférences et de rencontres qui ont été organisées, prônant la solidarité entre les peuples, faisant jouer à l’Institut un rôle majeur pour tous ceux qui portent un intérêt à la paix et à la tolérance au Moyen-Orient.
C’est aussi un havre de culture, abritant la plus grande bibliothèque kurde du monde occidental, témoin d’une histoire millénaire, un centre de ressources unique pour les chercheurs et journalistes du monde entier.
Mais l’Institut Kurde n’est pas seulement dépositaire d’une culture menacée, il est également l’affirmation de ce que signifie la liberté quotidienne en France, un lieu de vie, d’accueil, d’entraide et d’échanges, où sont conseillées et orientées chaque année 10 000 personnes, symboles d’un véritable modèle d’intégration laïc dans notre société.
Grâce à nous, pendant plus de trente années, au cœur de Paris, derrière ces portes ouvertes sur le monde, s’est exprimé et s’est défini le Kurdistan.
Aujourd’hui, en raison du désengagement des pouvoirs publics et de la diminution draconienne des subventions, l’Institut doit fermer. Une aberration alors que la reconnaissance internationale commence enfin à se dessiner, les Kurdes se révélant aux yeux du monde comme des combattants et combattantes héroïques et efficaces face à l’avancée des djihadistes de l’Etat Islamique au Moyen-Orient.
Guerriers de la paix, les Kurdes se battent en première ligne et donnent leur vie pour défendre des idéaux démocratiques. Au moment où le monde s’éveille aux réalités du Moyen-Orient, ils apparaissent comme notre unique source d’espoir en un avenir serein. Là où les frontières géographiques et politiques et celles de la barbarie ont éclaté, laissant place au chaos et aux pires horreurs ; ils font émerger un véritable ilot de stabilité, défendant des valeurs que nous partageons. Ils accueillent tous les réfugiés, prônent et appliquent l’égalité entre les hommes et les femmes, la défense des droits humains, mais aussi la séparation entre la foi et le gouvernement des peuples.
Ils sont notre rempart contre la barbarie et ils sont nos amis.
Maintenir l'Institut kurde à Paris, c'est se battre ici pour ceux qui se battent pour nous là-bas. C’est faire bloc ensemble contre toutes les formes d’inhumanité. C’est mener la bataille des idées dans laquelle l’Institut a toujours joué un rôle de premier plan, comme lors de la création d’un organisme des Droits de l’Homme au Kurdistan irakien ou encore la diffusion ici et là-bas à plus de cent mille exemplaires d’une traduction kurde de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme.
Nous devons nous faire les porte-paroles d'un peuple dont la voix est une voix de paix, et ne pas trahir la promesse faite il y a plus de trente ans, celle de nous élever face au déni d’existence infligé au peuple kurde.
Mais s'offusquer ne suffit pas. Nous devons agir pour que les portes de l’Institut ne ferment pas.
Votre don est essentiel, utile, urgent, concret. Il garantit que la voix kurde va continuer d’être entendue, elle qui a tant à nous dire, sur l’histoire d’une humanité que nous partageons, sur les enjeux actuels d’un terrain qu’il nous est indispensable de mieux connaître, et sur un avenir aux frontières redessinées que nous avons la charge de transmettre aux générations futures.
Kendal Nezan, dans une tribune publiée dans Le Monde du 10 février, portait cette question sur la place publique :
« On aurait pu espérer qu’à défaut de venir en aide aux Kurdes dans l’épreuve, le gouvernement français ferait preuve de solidarité en assurant sur son sol la pérennité de l’Institut kurde. Il n’en est malheureusement rien. Des démarches que nous avons entreprises depuis deux ans auprès de l’Elysée et de Matignon pour le rétablissement de nos subventions n’ont pas abouti. L’argument invoqué: les contraintes budgétaires. A géométrie variable, celles-ci n’empêchent pas le gouvernement de continuer de subventionner des écoles et des centres culturels d’autres communautés, d’accorder un financement de 12,8 millions d’euros à l’Institut du Monde arabe. Et c’est tant mieux. Mais il affirme avoir du mal à trouver 4% de cette somme pour l’unique institution en France des 40 millions de Kurdes du Proche-Orient.
Naguère être de gauche signifiait partager, défendre les plus démunis, les plus fragiles, les plus modestes, privilégier la culture et le tissu associatif qui crée du lien social, qui donne de l’espoir, voire un idéal de vie.
La gestion comptable court-termiste semble depuis avoir pris le dessus sur toute vision politique avec des conséquences lourdes pour notre vie collective. Le monde associatif est sinistré. Les associations d’intégration disparaissent et avec elles des dizaines de milliers d’emplois. Les réseaux islamistes richement dotés investissent le terrain socio-culturel délaissé.
Face à la position injuste et absurde du gouvernement français envers les Kurdes, en ultime recours nous appelons à nos concitoyens français qui tout au long de ces trois décennies ont, dans des moments difficiles, fait preuve d’une magnifique solidarité avec le peuple kurde. »
À son tour, le rédacteur en chef du Monde, Alain Frachon, dans un éditorial publié à la une du Monde du 17 avril 2015, intitulé « La fin d’une belle histoire franco-kurde, s’étonnait :
« Faut-il se priver d’une pareille institution au moment du réveil kurde ? Les Kurdes sont nos alliés dans la lutte contre l’Etat islamique. Le gouvernement régional du Kurdistan d’Irak incarne un modèle d’autonomie fédérale qui pourrait, dans le cadre des frontières actuelles, servir d’exemple pour la recomposition des Etats de la région. Dans un monde kurde volontiers divisé, l’institut a réussi la performance d’entretenir de bonnes relations avec toutes les tribus d’une famille déchirée par l’Histoire. »
TV5 Monde constate que « dans les milieux universitaires, la mobilisation dépasse largement les frontières de la France, car l'IKP possède la plus grande bibliothèque kurde du monde occidental. "Les chercheurs sont catastrophés à l’idée d’être privés de notre fonds documentaire, qui draine des étudiants en doctorat d’Allemagne, du Japon, des Etats-Unis. Avant l'apparition d'Internet, nous recevions aussi des délégations de l’Académie des sciences sociales de Chine et d’Union soviétique qui venaient se documenter sur les Kurdes," explique Kendal Nezan. Et puis il y a aussi les citoyens de base qui nous envoient de petits dons et des messages très touchants. D'autres nous parviennent aussi d’Allemagne, de Suède, nous avons lancé des appels jusqu’aux Etats-Unis. "En 1986, dans une situation similaire, c’est le gouvernement suédois qui nous était venu en aide et nous avait permis de tenir en attendant le retour de la gauche en France. Mais à l’époque, personne ne connaissait l’IKP, aujourd’hui tout le monde connaît les services diplomatiques et culturels que nous avons rendus à la France. »
Dans Arte Journal, Marie Labory déplore : Si rien n’est fait, l’Institut kurde fermera cet été alors que la France accueille la deuxième plus importante communauté kurde d’Europe, 250 000 personnes […] « Beaucoup l’ignorent et pourtant la plus grande bibliothèque kurde du monde occidental se trouve à Paris, commence la responsable du bureau d’Arte Journal à Paris. »
Cette campagne a été relayée dans les grands journaux et a fait l’objet d’une pétition de soutien, initiée par plusieurs personnalités. En mai dernier, un appel a été lancé dans Libération, par Jean-Marc AYRAULT Ancien Premier ministre, Anne HIDALGO Maire de Paris, Bernard KOUCHNER Ancien ministre des Affaires étrangères, Bruno LE ROUX Président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale et Hubert VÉDRINE Ancien ministre des Affaires étrangères :
« La plus ancienne institution culturelle kurde d’Europe, créée en février 1983, avec le soutien du Président et du gouvernement français, risque de bientôt disparaître, faute de budget !
En trente-deux ans d’activité, l’Institut kurde est devenu une référence en Europe. Dans le domaine des droits de l’homme, l’Institut kurde a joué un rôle décisif dans l’information de l’opinion publique occidentale sur la situation de ce peuple sans Etat, privé de représentation politique reconnue. L’Institut kurde a également beaucoup œuvré pour l’intégration laïque et républicaine des Kurdes de France.
En raison de sa contribution à l’intégration républicaine des populations kurdes, et au rayonnement culturel de la France dans le monde kurde, le gouvernement de Pierre Bérégovoy a accordé à l’Institut le statut de fondation reconnue d’utilité publique. Plus tard, le gouvernement Jospin, après un audit financier et d’activité approfondi, a décidé d’un financement public annuel de près de 600 000 euros. Progressivement réduite à partir de 2002, cette subvention fut supprimée sous la présidence de Nicolas Sarkozy.
L’Institut kurde a alors pu survivre grâce à l’effort exceptionnel du gouvernement régional du Kurdistan. Mais depuis janvier 2014, ce gouvernement, privé de sa dotation financière par Bagdad, submergé par l’afflux de 1,5 million de réfugiés et de déplacés, confronté aux attaques de Daech, n’est plus en mesure de venir à l’aide de l’Institut kurde. Les appels au secours lancés auprès des autorités françaises n’ont, pour le moment, pas abouti.
Pour assurer sa survie, l’Institut kurde avait sollicité une subvention annuelle de 650 000 euros (moins de 4% de la subvention française à l’Institut du monde arabe). Faute d’une décision rapide des autorités françaises, l’Institut kurde risque de voir cesser toutes ses activités au moment même où le monde entier salue le courage des Kurdes en Syrie et en Irak. Ce serait un paradoxe incompréhensible, choquant et absurde.
Les signataires demandent aux autorités françaises d’aider l’Institut kurde de Paris à poursuivre ses missions plus nécessaires que jamais et de pérenniser son existence. »
Parmi les signataires de cet appel, figurent Pouria Amirshahi Député Michèle André Sénatrice, présidente de la commission des finances du Sénat Christian Bataille Député Esther Benbassa Sénatrice Michel Billout Sénateur Patrick Bloche Député, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation à l’Assemblée nationale Sergio Coronado Député Bertrand Delanoë Maire honoraire de Paris Cécile Duflot Ancienne ministre, députée Joëlle Garriaud-Maylam Sénatrice Jean-Marc Germain Député, secrétaire international du Parti socialiste Jean Glavany Député Jean-Pierre Godefroy Sénateur Paul Molac Député Aymeri de Montesquiou Sénateur Jean-Christophe Lagarde Député, maire de Drancy Jean Lassalle Député François Loncle Ancien ministre, député Jean-Vincent Placé Sénateur, président du groupe Europe Ecologie-les Verts (EE-LV) au Sénat Jean-Luc Reitzer Député Pierre Serne Vice-président du conseil régional d’Ile-de-France.
Enfin interviewé dans le Figaro du 16 juin, Kendal Nezan rappelle la situation de l’institut kurde et la raison de ses difficultés financières : « Nous avons lancé le 11 juin une campagne qui vise les mécènes privés. C'est la dernière piste que nous explorons avant de mettre la clé sous la porte. Notre Conseil d'administration se réunit le 23 juin pour prendre une décision. Si nous fermons, nous envisageons un déménagement en Suède, un pays qui est prêt à nous accueillir. Nous serions alors contraints de nous expatrier. »
Bernard Kouchner s’est rendu personnellement à l’institut kurde de Paris et a enregistré sur place un message filmé, publié sur le site change.org, introduisant la pétition :
« L’institut kurde de Paris est en voie de disparition, en danger de mort. Il n’y a plus d’argent. Le meilleur, le plus grand institut kurde représentant 25 millions de Kurdes, peut-être trente, le seul peuple sans État. Cet institut est menacé. D’abord il faut signer la pétition pour que les pouvoirs publics redonnent les subventions qui existaient, pour que puisse fonctionner l’Institut kurde de Paris ; deuxièmement, les dons : c’est de vous que cela dépend. Si vous pensez que les valeurs que défendent les Kurdes dans ce Moyen Orient de Barbarie, d’assassinats, de violence extrême – les Kurdes se battent en notre nom, au nom de la démocratie, de l’égalité des hommes et des femmes, des élections, au nom de la séparation de l’islam et du gouvernement. Ce sont nos valeurs, ils sont là, ce sont nos amis, et ils se battent pour nous aussi. Alors, pour cela, il faut que vous donniez des dons, nécessaires pour l’institut kurde qui, symboliquement, représente aussi cette lutte. Si vous pouvez faire plus, si vous pouvez établir des circuits, des contacts, pour qu’on ne laisse pas mourir cet institut, je crois que vous aurez fait vraiment une bonne action. Je vous en remercie. »
La pétition peut être signée sur le site change.org à cette adresse :
Vous pouvez faire un don sur le site de l’Institut (www.institutkurde.org) ou en adressant un chèque à l’ordre de l’« Institut Kurde de Paris » au 106 rue la Fayette 75010 Paris. Merci pour votre soutien.
Le 27 mai, les YPG kurdes et des forces assyriennes ont repris les villages chrétiens de Tell Amer et ceux au sud de Serê Kaniyê (Ras al-Ayn), dont l’État islamique s’était emparé depuis février 2015. La bataille qui a aboutit à la reconquête totale du terrain perdu a duré tout le printemps, engageant à la fois les YPG et les milices chrétiennes soutenus par les bombardements aériens de la coalition.Les YPG se sont en plus avancés jusqu’à la ville de Mabrouka (district de Serê Kaniyê).
Après cette victoire à Tell Amer, les forces kurdes (YPG) et celles de l’Armée syrienne de libération (ASL) ont alors poursuivi, le 28 mai, leur offensive avec pour objectif la ville de Tell Abyad (Girê Spî), un des bastions stratégiques de l’État islamique qui, sur la frontière turque, séparent les deux « cantons kurdes » de Djezireh et de Kobanî. C’est aussi un lieu de passage des djihadistes venant renforcer les troupes de Daesh en passant par la Turquie et c’est aussi par ce point frontalier que l’État islamique peut écouler son pétrole en contrebande. La prise de Tell Abyad est enfin l’étape imposée pour s’enfoncer ensuite plus au sud dans le gouvernorat de Raqqa et atteindre sa ville éponyme, « capitale » syrienne de l’État islamique. Les frappes aériennes ont permis dès le 31 la prise de quatre villages à l’est et le 11 juin, YPG et ASL ont atteint la localité de Suluk, située à une vingtaine de kilomètres de Tell Abyad, tandis que d’autres forces YPG ne sont plus qu’à dix kilomètres de cette ville. Les forces Daesh se sont enfuies de Suluk sans résister, mais en piégeant de nombreuses maisons et rues, comme à leur habitude.
Le 13 juin, l’Observatoire syrien des droits de l’homme estimait que vingt autres villages étaient à présent aux mains des YPG, qui se trouvaient à 5 kilomètres de Tell Abyad. Selon l’OSDH, les djihadistes ont reculé plus qu’ils n’ont résisté et à Tell Abyad même, ils n’étaient plus que 150 combattants pour défendre la ville.
La jonction des forces kurdes de Kobanî et de Djezireh a pu avoir lieu le 14 juin, et les voies de communication entre Tell Abyad et Raqqah ont été enfin coupées. Les YPG ont tenté alors d’entrer dans Tell Abyad et y sont parvenus le 15, malgré l’attaque-suicide d’un véhicule piégé, par le sud-est de la ville. Le soir du 15 juin, les Kurdes contrôlaient 99% de Tell Abyad, quelques foyers de résistance subsistant çà et là et le 16 juin, la ville était entièrement nettoyée.
Les combats pour la prise de Tell Abyad ont provoqué une nouvelle vague de réfugiés et dès le 10 juin, environs 2000 civils se sont réfugiés en Turquie ou dans les cantons kurdes syriens. Mais le nombre de fuyards n’a cessé de grossir et le 12 juin, il a atteint celui de 13 500. La Turquie a décidé alors de fermer sa frontière et de déployer son armée pour repousser les civils. Mais devant les scènes chaotiques de milliers de familles se pressant sur les grillages et tentant à tout prix de passer, le tout sous les caméras et les photographes du monde entier, la frontière a été finalement rouverte et le 14 juin, 7000 civils de plus l’ont franchie.
Le président turc, Recp Tayyip Erdoğan, qui vient de connaître un revers électoral cuisant et digère mal le succès du parti pro kurde HDP, accuse les YPG de nettoyage ethnique à Tell Abyad contre la population arabe et turkmène. Ces accusations sont niées par les YPG et l’Observatoire syrien des droits de l’homme, qui parle de « quelques incidents isolés, comme des maisons d'Arabes incendiées, mais on ne peut pas du tout parler de violences systématiques. »
La jonction des forces kurdes et de l’ASL ou « Volcan de l’Euphrate » a immédiatement poussé son avantage en se dirigeant vers le sud et Raqqa. La première étape était la petite ville de Aïn Issa et une base militaire voisine, Liwa (Brigade) 93 que Daesh abandonne sans combat le 23 juin. « Volcan de l’Euphrate » ne se trouvait plus qu’à 56 kilomètre de Raqqa. Mais l’EI a contre-attaqué le 30 et est parvenu à reprendre un quartier de Tell Abyad.
La contre-offensive de l’EI se traduit aussi par des attentats-suicides dans d’autres villes kurdes, Qamishlo et Hassaké, faisant plus de dix victimes. Hassaké, tenu à la fois par les YPG et l’armée gouvernementale syrienne, s’est trouvé sous le feu des attaques Daesh, entrant temporairement au nord-est de la ville, le 25 juin. Mais la riposte la plus meurtrière des djihadistes a eu lieu à Kobanî, quand, le même jour, à 5 heure du matin, des combattants de l’EI sont rentrés dans cette ville (des témoignages semblent indiquer qu’ils se seraient revêtus d’uniformes de YPG ou de l’ASL) et ont mené plusieurs attaques-suicides avec des véhicules piégés, en faisant de nombreuses victimes civiles (plus de 200 morts).
À Barkh Butan, un village en bordure de la ville, 23 personnes, hommes, femmes et enfants ont été massacrés par les djihadistes. Des centaines de villageois kurdes, qui étaient retourné chez eux après la libération de Kobanî, ont repassé la frontière turque, tandis que de nombreux blessés étaient évacués vers Urfa. Les djihadistes ont été rapidement tués ou capturés par les YPG, le dernier assaut étant lancé sur l’hôpital de la ville, où des membres de Daesh s’étaient retranchés.
Les Kurdes ont dénoncé très vite la « complicité » de la Turquie, en affirmant que ces forces Daesh sont entrées dans Kobanî par la frontière syrienne, via le poste de Mürşitpınar, ce qu’Ankara nie catégoriquement, et le gouverneur d’Urfa a affirmé à l’AFP que Daesh était venu à Kobanî par la ville syrienne de Djarablus.
Mais l’hostilité de la Turquie envers le PYD kurde, en même temps que sa complaisance envers les mouvements djihadistes et notamment Daesh laisse soupçonner que la reprise de Kobanî par l’EI ne déplairait pas au gouvernement AKP. Depuis la chute de Tell Abyad, la presse pro-AKP n’a cessé de dénoncer le soi-disant « nettoyage ethnique » livré par les Kurdes contre les Arabes et les Turkmènes, en affirmant dans leurs gros titres que le PYD était « pire que Daesh » (Sabah) et Yeni Safak a même accusé, les YPG, dans son édition du 30 juin, d’être les auteurs véritables du massacre de Kobanî, tandis que le journal Star invoquait une alliance PYD-Daesh visant directement la Turquie.
Si bien que le ton de plus en plus menaçant d’Ankara envers un « possible État kurde » en Syrie, qui ne sera jamais « accepté » par la Turquie, d’après Erdogan, a fini par faire envisager une intervention turque en Syrie, probablement plus dirigée contre les YPG que contre Daesh, scénario soulevé le 27 juin par le journal Hürriyet.
La question de la présidence se repose de nouveau avec acuité au Kurdistan d’Irak, alors que la prolongation de 2 ans ) du mandat de Massoud Barzani touche à sa fin, devant expirer le 19 août. Mais depuis juin 2014, la mainmise de l’État islamique sur une partie de l’Irak et la situation de guerre au Kurdistan d’Irak, ainsi que le grand nombre de réfugiés et de déplacés internes amènent une partie de l’opinion à s’interroger sur l’opportunité et la sécurité d’élections tenues dans la Région kurde. Si bien que le parlement envisage de prolonger une fois encore le mandat présidentiel, ce qui provoque néanmoins les critiques de l’opposition.
Le 13 juin, d’est Massoud Barzani lui-même qui a appelé à la tenue d’élections pour le 20 août, dès le lendemain de l’expiration de son mandat, alors que de l’avis de son propre parti, le PDK, la situation actuelle requiert qu’il reste à son poste, comme l’a déclaré le porte-parole du PDK, Jaffar Ibrahim Eminki. Mais on ignore encore si le président sortant se représentera à cette élection.
L’adoption d’une nouvelle constitution en 2009, qui changeait les modalités de son élection au bout des 4 ans de sa première présidence, lui avait donné au terme d’une élection au suffrage unverselle de rester en fonction pour quatre autre années, jusqu’à ce qu’en 2013, le parlement lui accorde une prolongation de 2 ans afin, entre temps, de rédiger une nouvelle loi électorale. Cette prolongation était soutenue à la fois par le PDK et par l’UPK qui connaissait, à l’époque, des problèmes de leadership, après l’accident de santé qui avait frappé Jalal Talabani et de conflits internes portant sur sa succession.
Quelques jours après l’annonce présidentielle, la Haute Commission électorale indépendante du Kurdistan déclarait, le 20 juin, que les conditions juridiques nécessaires manquaient pour l’organisation de ce scrutin, ainsi que le temps pour cela. Le vice-président de la commission, Sulaiman Mustafa, a rappelé que la décision de ces élections incombait à la commission électorale, et non au président, que la commission avait réclamé de rencontrer ce dernier, une vingtaine de jours auparavant, ainsi que son Premier Ministre, mais n’avait pu le faire jusque-là. La commission souhaite aussi l’assistance du parlement dans cette tâche, indiquant qu’elle ne pouvait être tenue pour responsable si les élections n’avaient pas lieu en août. Sulaiman Mustafa a rappelé qu’il fallait consacrer un budget à cette préparation, afin que la commission ouvre des bureaux dans les différentes provinces, pourvus de personnel et d’observateurs. Des membres du parlement d’Erbil se sont finalement réunis avec des membres de la Commission électorale pour discuter de ces problèmes.
Le PDK soutient bien évidemment l’initiative de Massoud Barzani, mais insiste pour que le président sortant puisse se représenter, en tant que seul candidat envisageable pour le PDK, mais aussi en raison de « la situation économique, politique et sécuritaire dans la Région », ainsi que les « développements internationaux récents ». Le PDK est aussi et surtout opposé à la transformation du système présidentiel actuel, où le président est élu au suffrage universel, en système parlementaire où les députés éliraient le président.
Le 23 juin, alors que le parlement kurde tenait une session ordinaire portant sur la rédaction et de l’amendement d’un certain nombre de lois –dont la loi sur la présidence– les débats ont été boycottés par le groupe du PDK, constitué de 38 députés sur 111, ainsi que d’autres députés de petites formations. Le Parti communiste avait demandé un report des débats, report qui a été refusé. Gorran, lui, tenait à la poursuite des débats. C’est donc l’Union patriotique du Kurdistan, Gorran, l’Union islamique du Kurdistan, le Groupe islamique kurde et le Parti communiste du Kurdistan qui ont tenu la session, à laquelle assistaient plusieurs représentants internationaux, américain, égyptien, allemand, invités par le parlement, ainsi que Mohsen Bawafay, haut conseiller au consulat iranien d’Erbil, ce qui a provoqué la critique d’un parti kurde iranien, le Parti de la liberté au Kurdistan (PAK).
L’UPK, Gorran, les deux partis islamiques ont chacun présenté un projet d’amendement de la loi présidentielle, mais tous souhaitant que le président soit élu par le parlement, s’opposant ainsi au PDK, absent de la séance.