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Bulletin N° 374 | Mai 2016

 

 

TURQUIE: EN ROUTE VERS L’AUTOCRATIE?

La Turquie continue à avancer à marche forcée vers le régime «hyperprésidentiel», les pouvoirs renforcés du président que M. Erdoğan appelle de ses vœux.

Pour éliminer tout obstacle à cette transition dans son propre camp, M. Erdoğan n’a pas hésité à se débarrasser de l’un de ses plus fidèles soutiens depuis août 2014 en orchestrant le renvoi du premier ministre turc Ahmet Davutoğlu, annoncé le 5 mai lors d’un congrès extraordinaire de l’AKP et effectif dès le 7. Premier ministre depuis que M. Erdoğan avait été élu président, Davutoğlu aurait eu plusieurs torts  aux yeux de celui-ci: avoir négocié avec l’UE sans suffisamment consulter le Président turc (notamment l’acceptation du renvoi vers la Turquie des migrants déjà parvenus en Grèce), s’être opposé au procès des journalistes de Cumhuriyet Can Dundar et Erdem Gül ainsi qu’à la criminalisation des universitaires signataires de la pétition «Nous ne serons pas complices de ce crime»… mais surtout il aurait largement manqué d’enthousiasme pour le projet «hyperprésidentiel». M. Erdoğan a donc «poussé en avant» quelqu’un de plus docile: le 22, Binali Yıldırım, connu pour n’avoir jamais exprimé un avis politique différent de son mentor, a été élu président de l’AKP par 1405 voix sur 1470 délégués présents, ce qui lui ouvre automatiquement la voie à la fonction de Premier ministre…

Deuxième obstacle aux projets de M. Erdoğan, la présence d’une opposition pro-kurde au Parlement turc. Qu’à cela ne tienne, le 20 du mois, ledit parlement a approuvé par 376 voix sur 550 la «loi anti-immunité» sur laquelle la discussion avait commencé le 17. Il n’y a eu que 140 députés pour voter contre. Le nouveau texte, proposé et soutenu par un parti AKP à présent totalement aux ordres du président turc, permettra de lever l’immunité parlementaire pour les députés soumis à une accusation judiciaire. Satisfait, le Président Erdoğan a immédiatement qualifié à la télévision cette décision d’ «historique», déclarant entre autres: «Mon peuple ne veut pas de députés coupables dans ce parlement, et spécialement pas les soutiens de l’organisation terroriste séparatiste». On aura donc compris qu’il ne s’agit aucunement de viser les membres de l’AKP soupçonnés de corruption (un «club» auquel on dit que le nouveau Premier ministre appartiendrait…). Le but est plutôt de chasser du parlement le HDP en accusant au moins 51 de ses 59 élus de complicité avec le PKK. C’est ce qu’ont déclaré après le vote les co-présidents du HDP, Selahattin Demirtaş et Figen Yüksekdağ. Demirtaş a exprimé ses craintes que cette loi ne constitue «une étape cruciale dans le remplacement de la démocratie parlementaire […] par un système présidentiel absolutiste». Il est vrai qu’en Turquie, il est à présent très facile d’être accusé de complicité avec le PKK, donc de terrorisme: comme l’ont appris à leurs dépends 1 128 universitaires signataires de la pétition «Nous ne serons pas complices de ce crime», il suffit d’oser critiquer publiquement la politique guerrière de M. Erdoğan dans les régions kurdes du pays…

Eyyup Doru, représentant du HDP en Europe, pense également que M. Erdoğan vise essentiellement avec ce texte à obtenir l’invalidation des députés HDP – voire des élections partielles organisées dans les provinces kurdes du pays qui permettraient de les remplacer par des pro-AKP – pour faire passer «sa» réforme constitutionnelle. On ne peut s’empêcher de remarquer  que la plupart des villes en état de siège ou détruites par les forces de sécurité sont précisément celles où le HDP a fait ses meilleurs scores…

La loi «anti-immunité» n’est cependant pas passée sans lutte, y compris physique. De véritables bagarres ont éclaté le 2 mai entre députés AKP et HDP lors de la réunion du Comité constitutionnel chargé de discuter la proposition, faisant suite elles-mêmes à des affrontements qui s’étaient déclenchés le 28 avril. Dès le lendemain de l’adoption de la loi, les députés kurdes ont annoncé leur intention d’en faire appel devant la Cour constitutionnelle – une des rares instances officielles dans le pays non encore contrôlée par M. Erdoğan et ses supporters. Pour ce faire, ils ont besoin du soutien de 52 députés d’autres partis.

On peut se demander quel espoir mettre à présent dans la justice turque. En effet, M. Erdoğan a su la mettre à son service quasiment personnel pour bâillonner tous les critiques. A côté des inculpations des signataires de la pétition déjà mentionnée, ont été aussi poursuivis ceux qui mettent de trop près leur nez dans les combinaisons politiques de l’Etat. Ainsi le 6 mai, Erdem Gül  et Can Dündar, membres de la rédaction du quotidien Cumhuriyet, ont été condamnés à respectivement 5 ans et 5 ans et 10 mois de prison pour « divulgation de secrets d’Etat » suite à la publication d’un article, appuyé de vidéos, dans lequel ils rendaient publique l’implication des services secrets turcs dans la fourniture d’armes à des rebelles islamistes syriens. Le président Erdoğan a d’ailleurs finalement reconnu que les camions d’armes en question appartenaient bien aux services secrets turcs, expliquant qu’ils portaient de l’aide aux Turkmènes de Syrie. A l’annonce de ces verdicts, le Département d’Etat américain a exprimé son inquiétude et a appelé le gouvernement turc à davantage de respect des médias, «élément essentiel de toute société démocratique et ouverte». Les deux journalistes ont annoncé leur décision de faire appel. Par ailleurs, un homme armé d’un pistolet a tenté sans succès d’assassiner Can Dündar devant le tribunal juste avant l’annonce du verdict, en plein cœur d’Istanbul et en plein jour !

A côté des journalistes, les avocats sont aussi visés, dans un cycle apparemment sans fin de procédures judiciaires: le 16 mars, 9 avocats ont été arrêtés parce qu’ils avaient accepté de défendre… 46 de leurs confrères, eux-mêmes poursuivis pour avoir défendu Abdullah Öcalan, le leader emprisonné du PKK! Parallèlement, les inculpations de dirigeants politiques kurdes se poursuivent. Le 11 mai, le co-président du Parti des régions démocratiques (BDP), Kamuran Yuksek, a été mis en détention à Diyarbakir sur décision du procureur local. Un certain nombre de dirigeants du DBP avaient déjà été arrêtés à Diyarbakir le 9 avril après un raid de la police sur les locaux du parti, qui a aussi arrêté plusieurs membres du KJA (Congrès des femmes libres).

De manière plus triviale, les procureurs aux ordres ont également commencé à «s’occuper» des cas d’«insultes» ou d’«injures» à la personne du président. Entre l’élection de M. Erdoğan à la magistrature suprême en août 2014 et le mois de mars dernier, selon les propres chiffres du ministre de la Justice, Bekir Bozdag, ils ont initié des procédures contre 1 845 personnes! Bien qu’insulter le président ait toujours été en Turquie un crime passible de quatre ans de prison, jamais l’usage de ce motif n’avait été aussi répandu qu’aujourd’hui… Parfois les faits sont tels que l’accusation apparait dérisoire ou ridicule. Ainsi le 1er mai, l’écrivain Murat Belge est-t-il passé en jugement pour «insulte» à M. Erdoğan à cause d’un article dans lequel il écrivait que le président avait relancé le conflit avec les Kurdes pour des raisons électoralistes. Si exprimer cette opinion est une insulte, alors dénoncer l’évidence devient passible de prison… Le Prix Nobel de littérature Orhan Pamuk, venu assister au procès en soutien de Belge, a déclaré «en avoir assez de se rendre au tribunal pour tous les procès qu’on lui fait ou à ses amis»…

Quant aux exactions commises par les forces de sécurité dans la région kurde du pays il ne faut évidemment pas s’attendre à ce que la justice turque s’en inquiète. Et au cas où cela arriverait, le gouvernement serait déjà en train de préparer une loi permettant de les protéger contre des poursuites pour les actes commis dans le cadre des opérations militaires…

L’ONU VEUT ENQUÊTER SUR LA SITUATION DES DROITS DE L’HOMME AU KURDISTAN DE TURQUIE

Face à la dégradation manifeste du respect des droits fondamentaux en Turquie, les réactions de l’Union européenne sont demeurées singulièrement tièdes. Tout au plus la chancelière allemande Angela Merkel a-t-elle déclaré le 22, quelques jours avant une visite officielle en Turquie, qu’elle était soucieuse de ce que «le retrait de l’immunité aux députés risquerait d’avoir de sérieuses conséquences» pour les hommes et femmes politiques kurdes, exprimant également ses regrets que «le processus de rapprochement et de réconciliation avec les Kurdes ait été interrompu l’année dernière»…  Mais celui qui a crié le plus fort dans la discussion n’est autre que M. Erdoğan lui-même: le 7, il a lancé une violente attaque verbale contre l’Union Européenne qui demandait que, pour obtenir l’accès sans visas à l’Europe pour les citoyens turcs, la Turquie restreigne le champ d’action de sa loi anti-terrorisme. M. Erdoğan a déclaré qu’il fallait au contraire durcir la loi, et faisant référence à un stand d’une organisation proche du PKK installé près du parlement européen, a ajouté: «Vous autorisez des terroristes à planter leur tente près du parlement européen, et vous nous demandez de modifier notre loi?». Après que, durant sa visite en Turquie, Angela Merkel ait réitéré ses remarques, le conseiller économique du président turc, Yigit Bulut, a menacé de «prendre des mesures drastiques», par exemple «mettre fin à l’union douanière avec l’UE si celle-ci ne respecte pas les promesses faites aux citoyens turcs», ajoutant: «Tous les accords peuvent être suspendus, y compris l’union douanière».

Le 11, Volkan Bozkir, Ministre des relations avec l’UE, avait déjà déclaré qu’aucun accord préalable n’avait prévu un tel changement et que la loi incriminée «était déjà aux standards européens». Les dirigeants de l’UE, déjà inquiets du départ du Premier ministre Davutoğlu, considéré comme plus flexible, ne peuvent que s’inquiéter de ces déclarations. Par ailleurs, certains membres de l’AKP ont clairement menacé d’«envoyer les réfugiés» si l’UE prenait «la mauvaise décision».

Pourquoi M. Erdoğan attache-t-il autant d’importance à l’obtention de l’entrée sans visa des citoyens turcs en Union Européenne ? Serait-ce, comme se le demande ironiquement Robert Fisk dans The Independant du 29 mai, parce que tous les Turcs rêvent de prendre des vacances en Europe… ou bien plutôt parce qu’il espère résoudre la question kurde en Turquie en poussant à l’exil vers l’UE des millions de Kurdes ?

Dans la situation actuelle de la région kurde du pays, il est pour le moins choquant que ce soit en Turquie, à Istanbul, que se soit tenu sous l'égide de l'Onu les 23 et 24 mai  le premier Sommet mondial sur l'action humanitaire. Dès le 20, les deux co-présidents du parti «pro-kurde» HDP ont adressé une lettre à ce propos au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, Ban Ki-moon (consultable en anglais à : https://hdpenglish.wordpress.com/2016/05/23/letter-by-hdps-co-chairs-to-un-secretary-general-ban-ki-moon/). Ils y caractérisent le contexte dans lequel se tient ce sommet comme «un moment où les fondements de la démocratie et de la paix sociale sont fortement compromis par la violence de l’État autoritaire en Turquie; alors que la guerre et la situation humanitaire dans la région kurde du pays atteignent une gravité extrême […]». Ils pointent également la responsabilité dans la crise humanitaire actuelle de la politique turque vis-à-vis de la Syrie, tout en exprimant l’espoir qu’un sommet, organisé comme celui-ci autour du slogan «Une humanité, responsabilité partagée», se préoccupera également des violations inquiétantes des droits de l'homme et du droit humanitaire qui prennent place dans le pays même où le sommet est organisé. Enfin, les signataires font part de leur préoccupation que «la tenue d'une réunion aussi importante puisse servir au régime Erdoğan pour couvrir les violations flagrantes des droits de l’homme et les crimes qu'il a commis en Turquie au mépris total de toute responsabilité humanitaire ou juridique».

Aucune information n’a été publiée à ce jour quant à une éventuelle réponse du Secrétaire général des Nations unies, mais l'ambassadeur de bonne volonté de l'Unicef, le musicien, romancier et metteur en scène turc Zülfü Livaneli, n’a pas attendu celle-ci pour dénoncer l'organisation de ce sommet à Istanbul et claquer la porte de sa fonction tout en envoyant une lettre ouverte à la Directrice générale de l'Unesco, Irina Bokova. «La Turquie est le dernier endroit pour organiser le Sommet humanitaire» a-t-il expliqué; «Les organisations internationales devraient dénoncer les actions des autorités turques au lieu de les promouvoir en tenant le sommet à Istanbul». Dans sa lettre à Mme. Bokova, M. Livaneli écrit: «Après la destruction du patrimoine historique de Sur [centre historique de Diyarbakir], l'hypocrisie a régné lors du Sommet humanitaire mondial à Istanbul. Parler de la paix et rester silencieux quand il s'agit de telles violations contredit les idéaux de l'Unesco».

Le gouvernement turc, qui espérait certainement utiliser le sommet pour se redonner bonne figure face aux critiques dont il est l’objet, n’a finalement fait qu’alimenter les préoccupations causées par sa politique quand il  a finalement refusé de signer la déclaration conjointe de la fin du sommet qu’il hébergeait, déclaration dans laquelle les pays participants réaffirmaient leur attachement au droit international humanitaire!!

Malheureusement, les destructions récentes du patrimoine historique kurde pointées dans sa lettre par Zülfü Livaneli ne sont guère que les dernières d’une longue série. On peut même parler de volonté systématique avérée depuis longtemps en Turquie républicaine de faire disparaître les éléments de patrimoine non-turcs, et au premier chef kurdes, la destruction intervenant lorsque la négligence organisée ne suffit pas. Quand il ne s’agit pas d’actions des forces de sécurité comme en ce moment, c’est la politique globale de l’Etat qui en est cause. C’est ce qu’a tenté de rappeler la municipalité de la ville kurde de Batman en organisant le week-end des 7 et 8 mai un important colloque sur la ville d’Hasankeyf, auquel ont participé l’ancien ministre de la Culture et du Tourisme Ertuğrul Günay, des universitaires, des avocats, des parlementaires, des représentants d'ONG et d'autres notables de la ville. Il s’agissait de remettre sur la place publique les risques de destruction courus par cette cité historique du fait de la construction toujours programmée du barrage d’Ilisu, qui fait partie de l’immense projet du GAP (Güneydoğu Anadolu Projesi – Projet del’Anatolie du Sud-est) qui a déjà eu un impact important sur la partie sud du Kurdistan de Turquie.

Le colloque était organisé en deux parties, la première intitulée «Hasankeyf et la vallée du Tigre» et la seconde «Hasankeyf et l'UNESCO». Dans cette dernière a été rappelée la richesse historique et culturelle de cette ville où se sont succédé Hourrites, Mitanniens, Assyriens, Ourartiens, Mèdes, Perses, Romains, Byzantins, Omeyyades, Abbassides, Seldjoukides, Artukides et Ayyoubides… Si l’on ajoute les richesses naturelles, Hasankeyf remplit 9 des 10 critères pour devenir patrimoine de l'UNESCO – une demande que l’Etat turc s’est bien gardé de faire avant de préparer l’engloutissement de la ville dans le lac de retenue du barrage, qui détruira ou endommagera également au moins 300 sites archéologiques situés en amont. D’autre part, si l’Etat turc a mis en avant au début de ce projet des années 50 des objectifs d’hydroélectricité, avant de tenter de le «vendre» comme projet d’irrigation et de mise en valeur locale, une lettre du président Özal rendue publique à la fin des années 90 a mis en évidence que le principal objectif caché derrière ces barrages était en fait de «sécuriser» la région kurde – c’est-à-dire d’en faire assurer le contrôle par les militaires.

Au-delà de la question du patrimoine, les droits de l’homme sont clairement en jeu dans l’orientation prise récemment par la Turquie, et au moins une instance internationale a montré dernièrement un peu de courage pour critiquer celle-ci. Il ne s’agit pas de l’Union Européenne, qui n’a guère abordé la question des droits fondamentaux dans ses récentes discussions avec Ankara, mais du Haut commissariat des Droits de l’homme des Nations unies. Le 10, son responsable Zeyd Ra’ad Al-Hussein a demandé à la Turquie d’accepter la venue d’enquêteurs chargés de vérifier les accusations de violations commises par les forces de sécurité, déclarant qu’elles provenaient « de sources diverses et crédibles ». Parmi les violations considérées, des tirs sur des civils désarmés. Tout en condamnant les violences commises par des acteurs non-étatiques liés au PKK, Zeyd a qualifié les données concernant les actions des forces de sécurité turques comme «extrêmement alarmantes» et a insisté sur le devoir des autorités de respecter les droits de l’homme, déclarant entre autres:«Le plus inquiétant ce sont les rapports citant des témoins et des proches [de victimes] de la ville de Cizre qui laissent penser que plus de 100 personnes sont mortes brûlées vives alors qu’elles s’abritaient dans trois caves d’immeubles différentes encerclées par les forces de sécurité». Il a également dénoncé le black-out sur les nouvelles de la région kurde de Turquie, qui «alimente les soupçons sur ce qui s’y est passé».

Le parti «pro-kurde» HDP a publié deux jours plus tard une déclaration signée par Çağlar Demirel et İdris Baluken, vices Co-présidents du parti et députés de Diyarbakir, exprimant sa satisfaction après les déclarations de Zeyd Raad Al-Hussein et appelant la Turquie à autoriser des enquêteurs de l’ONU à rechercher des informations sur les violations des Droits de l’homme. La déclaration rappelle également qu’aucun homme politique local ni observateur indépendant n’a été autorisé à pénétrer dans les zones sous couvre-feu.

Pourtant, depuis juillet dernier, selon les propres chiffres cités le 30 mai par le Vice-Premier Ministre turc Numan Kurtulmus, les combats dans les villes de Sur, Silopi, Cizre, Idil et Yuksekova ont provoqué des dommages à 6320 bâtiments comprenant quelque 11000 appartements, pour un coût estimé à 855 millions de livres turques (289 millions de dollars). La situation de guerre aurait par ailleurs provoqué la fuite de 355000 personnes déplacées, et la Fondation des Droits de l’homme turque estime que 338 civils, dont 78 enfants ont été tués dans ces opérations, tandis que les partis kurdes parlent de 500 à 1000 victimes civiles. Par ailleurs, 500 membres des forces de sécurité ont été tués. Une enquête internationale s’impose bel et bien sur la politique turque au Kurdistan de Turquie.

DES MISSILES RUSSES POUR LE PKK?

Malgré la promesse cent fois répétée du gouvernement d’«éradiquer les terroristes», les actions de guérilla du PKK prenant pour cibles des militaires ou des policiers se sont poursuivies tout au long de ce mois. Dès le 1er mai, une attaque à la roquette du PKK dans le district de Nusaybin a fait 3 morts et 14 blessés parmi les soldats d’une unité de déminage. Le même soir tard, dans la région de Dicle, une explosion a fait 23 blessés, dont 20 soldats et 3 membres de leurs familles, près d’un bâtiment de commandement militaire. Le lendemain après-midi, une attaque à la roquette et aux armes légères sur un poste militaire de la région  de Şemdinli, dans la province d’Hakkari, a fait deux morts chez les militaires. Selon l’armée, cinq militants kurdes ont été tués. Le surlendemain, le 4, une gendarmerie de la région de Derik, dans la province de Mardin, a été attaquée, les militaires ayant un mort et quatre blessés, plus un blessé civil. D’autres attaques ont eu lieu tout le long du mois, notamment à Nusaybin le 8 (3 soldats tués), dans un lieu non indiqué le 10 (2 policiers tués en tentant de désamorcer une bombe), le même jour à Diyarbakir (un minibus de police visé par une bombe qui a tué au loins trois officiers et blessé 23 personnes dont de nombreux civils), à Dağlica (province de Hakkari) le 14, (1 soldat et 2 combattants kurdes tués), le 25 à Van (6 soldats tués et 2 blessés dans une embuscade contre un convoi militaire). Des unités de Gardes de village ont également été la cible d’attaques, de même que des bases turques, qui avaient été installées en Irak précisément pour empêcher le passage vers la Turquie de combattants kurdes!

L’une des explosions les plus meurtrières s’est produite le 10 mai à Dürümlu, un village de la province de Diyarbakir, quand un camion chargé de sans doute 15 tonnes d’explosif (visant selon les sources un poste de gendarmerie local ou le bureau du gouverneur à Diyarbakir) a explosé suite à des accrochages avec des résidents locaux. L’énorme explosion a fait au moins 16 morts et 23 blessés, tous civils. Le 17, le co-président du HDP Selahettin Demirtaş a déclaré lors d’une réunion de son groupe parlementaire que le PKK devrait s’excuser pour cette explosion: «Le HDP n’est jamais resté silencieux quand des civils sont tués de cette manière et ne le restera pas. […]». Demirtaş  a ajouté que c’était précisément «pour éviter les morts civiles que le HDP avait tenté de promouvoir la politique de la démocratie», et que son parti n’avait pas voulu la guerre urbaine où se trouve maintenant le Kurdistan de Turquie.

Le 13, le PKK a annoncé avoir abattu un hélicoptère militaire Cobra à 4 h 30 du matin dans le district de Cukurca (province de Hakkari), tuant deux militaires. Six autres soldats avaient déjà perdu la vie dans les combats suite auxquels l’hélicoptère avait été envoyé sur place. L’armée turque a annoncé la mort de 6 combattants kurdes dans la suite des opérations, ainsi que de 15 autres dans la région de Şırnak, attribuant tout d’abord la chute de l’hélicoptère à des problèmes techniques. Cependant, cette version est devenue intenable lorsque le 15 le PKK a diffusé une vidéo montrant ses combattants utilisant un lance-missile sol-air russe Manpads pour abattre l’appareil en plein vol. L’armée turque a fini par admettre le 19 du bout des lèvres que l’hélicoptère «aurait pu être abattu par une arme non spécifiée, qui aurait pu être un missile»… c’est-à-dire abattu par le PKK. Le 30, le président turc Erdoğan a dans l’avion de retour d’une visite à Diyarbakir accusé devant des journalistes la Russie de fournir des armes anti-aériennes aux combattants du PKK, qui leur seraient transférées par la voie de la Syrie et de l’Irak. Ce même jour, a été annoncé que le 18, 4 soldats avaient été tués et 9 autres blessés dans une attaque du PKK contre un convoi militaire. 4 des 9 blessés sont dans une condition très sérieuse.

Le 25 et le 26 à Nusaybîn, des sources militaires ont annoncé que respectivement 25 et 42 militants kurdes s’étaient rendus aux forces de sécurité, tandis que le PKK annonçait quant à lui avoir retiré ses militants de Nusaybîn, ne laissant en ville que des civils désarmés.

Le 30 les combattants du PKK ont mené tout au long de la journée plusieurs attaques contre les forces de sécurité qui ont fait au total 5 morts. Selon des sources proches des forces de sécurité, une bombe télécommandée a explosé lundi près de Van au passage d’un convoi de la police, tuant deux officiers et en blessant un autre. Ces mêmes sources ont aussi diffusé des informations sur d’autres attaques. Des snipers du PKK ont aussi tué un lieutenant dimanche lors d’une attaque contre la base militaire turque de Kani Masi en Irak. Une autre base turque a été attaquée près de Siirt, et un officier de police tué dans la région de Şırnak. Dans la province de Diyarbakir, un civil et 5 membres d’une unité de Gardes de village du village de Kulp ont été blessés par une bombe.

Selon l'armée 500 membres de la sécurité environ ont été tués dans les opérations, et 4 900 combattants du PKK. Les partis politiques pro-kurde chiffrent à environ 1 000 civils les victimes des combats. L'accès limité aux zones de conflit dans le sud-est rend difficile toute vérification de ces chiffres.

Enfin, mentionnons que le 2 mai, le TAK (Teyrênbazê Azadiya Kurdistan, les Faucons de la liberté du Kurdistan, un groupe qui serait issu d’une dissidence du PKK en 2004) a revendiqué l’attentat suicide du 27 avril à la Grande mosquée de Bursa, perpétré par une femme, indiquant que celle-ci n’avait pu atteindre son objectif originel. Le TAK a déjà revendiqué deux attentats à la voiture piégée à Ankara, les 17 février et 13 mars, et une attaque au mortier en décembre 2015 à l’aéroport Sabiha Gökçen d’Istanbul.

EN SYRIE COMME EN IRAK, DAECH PERD DU TERRAIN

En Syrie comme en Irak, les Kurdes continuent à augmenter leur pression contre les djihadistes de Daech. En Syrie, la cible annoncée des Kurdes du PYD et de leurs alliés au sein des Forces démocratiques Syriennes (FDS) est la ville de Raqqa, capitale auto-proclamée de l’Organisation de l’Etat islamique (Daech). Malgré l’opposition féroce de la Turquie voisine, ils paraissent avoir obtenu le soutien effectif des États-Unis pour une offensive de grande envergure contre cette ville. Un succès permettrait de couper en deux les territoires tenus par Daech. Le 16 mai, le porte-parole des FDS, Tajir Kobani, a annoncé qu’une attaque sur Raqqa était en préparation, dont, selon d’autres sources,  les FDS ne se trouvaient plus qu’à 30 km. Le 24, Rojda Felat, la commandante des YPJ (combattantes affiliées au PYD) a expliqué dans un communiqué que cette action sur Raqqa comprenait aussi un aspect défensif: il s’agit de prévenir toute attaque de Daech contre les zones contrôlées par les Kurdes et leurs alliés, Djézireh ou villes de Gire Spî et Kobane. En effet, le Rojava, bande de territoire divisé en deux zones, peu montagneux et peu profond, et de sucroît adossé à une frontière hostile, celle de la Turquie, est stratégiquement fragile et une avancée vers le sud constituerait une protection précieuse.

Le 25, les FDS ont annoncé qu’ils avaient entamé leur avancée vers Raqqa et commencé la veille à «nettoyer» des djihadistes les zones rurales au nord de la ville, précisant qu’il ne s’agissait pas encore de lancer une attaque sur la ville elle-même, mais déjà d’augmenter la pression  sur Daech. Le 28, le co-président du PYD, Salih Muslim, a déclaré dans une interview à l’agence russe Sputnik que la libération de Raqqa des mains de Daech était d’une importance vitale pour le PYD. Muslim a de nouveau insisté l’importance stratégique et militaire de la ville, qui fait de son contrôle par les djihadistes une grave menace pour l’ensemble de la région fédérale créée autour du Rojava. Interrogé sur l’éventuelle incorporation de Raqqa dans la région fédérale du nord de la Syrie déclarée par le CDS en mars dernier, une incorporation mentionnée quelques jours auparavant par un autre responsable du PYD, Muslim a répondu qu’il n’y avait pas eu  de discussions à ce propos, mais que la gestion de la cité libérée serait transférée aux civils et que ceux-ci décideraient du sort de la ville. Muslim a cependant rappelé que le projet de fédération ne concerne pas seulement le Rojava, mais a la vocation de s’étendre à tout le pays, et qu’il nécessiterait à un moment l’élaboration d'une nouvelle constitution. Il a également caractérisé les interférences de la Turquie ou de tout autre pays dans les affaires internes de la Syrie comme «inacceptables», avant de déclarer qu’il y avait toujours la menace d’une intervention commune au sol de la Turquie et de l’Arabie saoudite, des pays qu’il a caractérisés comme «ayant des contacts et [apportant] un soutien aux terroristes de Daech». Il a ensuite exprimé l’espoir que les négociations de Genève, qui ne sont pas selon lui stoppés mais seulement retardés, pourraient redémarrer à un moment après le Ramadan.

Le 31, un responsable de l’OSDH a déclaré que durant les 2 derniers jours les FDS avaient repris à Daech 12 villages au nord-ouest de Raqqa, à environ 80 km de la ville elle-même. Daech est en fait pris en tenaille entre l’offensive des FDS au nord et une avancée des troupes du régime de Damas au sud. Plus au sud, la garnison de l’armée syrienne présente dans la ville de Deir-el-Zor est encerclée par Daech, mais le siège pourrait être brisé si l’armée syrienne poursuit son avancée. Dans ce cas, les communications entre les deux grandes villes tenues par Daech en Syrie et en Irak, Raqqa et Mossoul, pourraient être rompues en un nouveau point.

Du côté irakien, justement, c’est Mossoul qui apparait à présent comme le prochain objectif militaire des pechmergas kurdes du Gouvernement régional du Kurdistan (GRK), même si Daech continue à résister et se bat aussi dans la région de Kirkouk. Le 1er du mois, les djihadistes ont lancé une nouvelle attaque au mortier utilisant des obus chimiques sur les pechmergas à Khazir, dans la région de Kirkouk. Les pechmergas et les miliciens turkmènes chiites des Unités de mobilisation populaire ont repris à Daech la petite ville de Bashir. C’est de cette ville que Daech avait lancé en mars dernier vers la ville de Taza plusieurs attaques chimiques qui avaient notamment tué trois enfants. Le lendemain, les pechmergas ont repoussé une attaque nocturne de Daech sur Bashir, après des combats qui ont duré de 2 à 4 heures du matin. Le 3, Daech a lancé une nouvelle attaque au gaz moutarde sur Bashir, blessant 13 miliciens chiites, et en parallèle une importante attaque coordonnée depuis plusieurs directions sur le front tenu  par les pechmergas, utilisant de nombreuses voitures-suicides. Plusieurs attaques ont concerné le front de Bashiqa, 40 km à l’ouest d’Erbil, et d’autres ont visé des combattants chrétiens au nord de Mossoul. Des frappes de la coalition ont eu lieu. Un soldat américain a été tué et deux pechmergas blessés, une ville tenue par les Kurdes a été brièvement prise. Une autre attaque des djihadistes au mortier et à la roquette a été repoussée le 4 très tôt contre la région de Tell Afar, dans l’est de la province de Mossoul. Puis le 5, Daech a lancé une attaque surprise vers Tell Skuf, dans la région de Sheikhan, quelques kilomètres au nord de Mossoul. Il s’agit d’une région contrôlée par les pechmergas et les combattants assyriens des NPU. Réussissant à prendre une partie de la ville, Daech a provoqué la fuite vers le nord des yezidis des villages alentours, qui sont parfois seulement à quelques minutes de marche de celle-ci.   

Le 15, Daech a de nouveau utilisé samedi des armes chimiques dans ses attaques contre les pechmergas. L’usage de telles armes avait déjà été rapporté le 9 mai. Puis le samedi 25, les peshmergas ont repoussé une attaque massive des militants de Daech près de Kirkouk, a déclaré le colonel Tariq Ahmed Jaf: «L'attaque des djihadistes sur nos positions a été lancée dans la nuit. Ils ont attaqué les fortifications des peshmergas près de la ville de Tel Rabaa [environ 40 km au sud de Kirkouk]. Mais les peshmergas ont envoyé des renforts et ont réussi à repousser l'attaque». Ce même jour, les pechmergas ont abattu deux attaquants suicides qui tentaient d’approcher de leurs défenses autour de Mossoul en se mêlant aux civils qui fuient la zone. Le lendemain, les pechmergas ont annoncé avoir abattu un drone de surveillance de Daech dans la province de Kirkouk, près de Bashiqa. Selon Sirwan Barzani, commandant du front de Gwer, au sud-ouest d’Erbil, les pechmergas ont repoussé ce même jour à 14h30 une attaque suicide à la bombe par cinq djihadistes de Daech sur le front de Gwer.

Tous ces combats se sont déroulés dans le contexte de la préparation de l’attaque coordonnée entre pechmergas kurdes et soldats irakiens sur la ville de Mossoul. Le 4, le HCR a d’ailleurs exprimé son inquiétude que l’attaque sur Mossoul ne provoque le déplacement de jusqu’à 30 000 personnes. Un million de civils vivraient encore dans la ville qui est tenue par Daech depuis juillet 2014. Le 17, le GRK a annoncé sur son site web que les pechmergas contrôlaient à présent 60% de la ligne entourant Mossoul, et ont pris le contrôle d’une voie de communication importante joignant Mossoul à Raqqa. Le 20, des avions de l’armée de l’air irakienne ont largué des tracts sur Mossoul, appelant les habitants à se préparer à l’attaque visant à libérer la ville de Daech et à éviter les abords des bases de l’organisation djihadiste. Rappelons que le 23, le Premier ministre irakien Haider Al-Abadi a annoncé que l’armée irakienne avait commencé l’opération pour reprendre la ville de Fallouja, à 50 km à l’ouest de Bagdad, et première ville en Irak a avoir été prise par Daech, en  janvier 2014. La pression sur Daech vient donc également du sud.

Le 30, les pechmergas ont repris le contrôle de 9 villages dans l’est de la province de Mossoul. Le Conseil de sécurité du Kurdistan a déclaré que 5 500 pechmergas avaient pris part à l’offensive débutée lundi 27. Deux ont été tués dans les combats. Les offensives dans cette région visent aussi à libérer Qaraqoch, ville chrétienne qui avait 75 000 habitants avant d’être évacuée et prise par Daech début août 2014. Elle pourrait être reprise à Daech d’ici un mois, estiment les pechmergas. D’autres villages, originellement habités par des Kurdes appartenant aux minorités religieuses kakaï et shabak, ont été aussi libérés. Les autorités kurdes ont annoncé que lors du référendum d’autodétermination  de la Région du Kurdistan, ces régions, qui dépendaient avant la guerre du gouvernement central, seraient interrogées sur leur volonté: rattachement au Kurdistan ou maintien du statut antérieur. Ce sera également le cas de la ville de Kirkouk.

Pour le sort ultérieur de la ville de Mossoul, les responsables kurdes demeurent beaucoup plus prudents. Ils expliquent que s’ils peuvent participer à sa reprise, ils n’envisagent pas de participer à son contrôle, qui devrait revenir à des forces issues de la région, ce qui signifie des Arabes sunnites.

ROJAVA: OUVERTURE DE NOUVELLES REPRÉSENTATIONS À L’ÉTRANGER

Le 6 mai, la région kurde du Rojava (Kurdistan de Syrie) a ouvert une représentation à Berlin. La cérémonie d’ouverture s’est faite en présence de Sinem Mohammed, co-présidente des FDS (Forces démocratiques syriennes) et représentante du Rojava en Europe, du représentant en Allemagne de l’UPK, Siyamen Hariki , et de plusieurs députés allemands. Le responsable de la nouvelle représentation est Sipan Ibrahim.

La première représentation du Rojava a ouvert à Sulaimaniya, dans la Région du  Kurdistan d’Irak, puis à Moscou en Russie le 10 février dernier, et enfin à Stockholm le 18 avril. Ces représentations sans statut diplomatique formel permettent au Rojava de mener une action «diplomatique parallèle» dans un contexte où son administration continue à être ignorée officiellement des acteurs régionaux. Ainsi les FDS n’avaient toujours pas reçu d’invitation le 11 du mois pour les discussions du Groupe international de soutien à la Syrie, prévues à Vienne pour le début de la semaine suivante. L’alliance majoritairement kurde avait déjà été exclue des discussions d’avril à Genève… L’émanation politique des FDS, le CDS (Conseil démocratique de Syrie) a proclamé le 17 mars dernier dans le nord de la Syrie une Région fédérale regroupant notamment les trois «cantons» du Rojava, la Djézireh, Kobanê et Afrîn, mais celle-ci n’a évidemment pas été reconnue par le régime de Damas. Elle n’a pas non plus été reconnue par l’opposition «officielle», en grande partie en raison de l’hostilité  de la Turquie.

Le 23, le Rojava a ouvert une cinquième représentation à l’étranger, cette fois-ci en France. Situé Rue de Rivoli, non loin de l’Hôtel de ville de Paris, le Bureau de représentation a été inauguré en présence entre autres de Bernard Kouchner. Sinem Mohammed était présente en tant que représentante du Rojava en Europe. Elle a déclaré que la priorité des autorités du Rojava était de « défaire le terrorisme et créer de la stabilité en Syrie ».

Le responsable de la nouvelle représentation du Rojava en France, Issa Khaled, a déclaré qu’il estimait nécessaire que l’administration du Rojava – à ce jour non reconnue officiellement par la France – et les autorités françaises se coordonnent pour lutter contre leur ennemi commun, le terrorisme [de Daech]. Il a rappelé que c’est à l’époque où la France était la puissance mandataire sur la Syrie que le territoire actuel du Rojava  avait été annexé à l’État syrien, impliquant ainsi que l’ancienne puissance mandataire conservait une certaine responsabilité sur le devenir de cette région.

IRAK: LES DÉPUTÉS KURDES HÉSITENT À REVENIR À BAGDAD

Le 30 avril dernier, des protestataires chiites ont réussi à pénétrer dans le Parlement irakien suite à une déclaration de Muqtada Al-Sadr. Les manifestants n’ont accepté de quitter la Zone Verte de Bagdad que le 2 mai, de nouveau sur les instructions de Sadr. Ces événements ont provoqué l’inquiétude des parlementaires irakiens, et notamment des députés du Kurdistan. Ceux-ci ont décidé de quitter Bagdad, et le 4, Mme Ala Talabani, chef du bloc UPK au parlement de Bagdad, a indiqué que leur retour dépendrait de négociations politiques à mener entre le Kurdistan et le gouvernement central. Déjà le 3, Muhammad Ahmad, leader de l’Union islamique du Kurdistan et ancien député à Bagdad, avait exprimé ses craintes d’un coup d’État militaire à Bagdad en raison du chaos qui y règnait : « Les Kurdes doivent se réorganiser avant que le chaos irakien ne les frappe » avait-t-il déclaré. Au même moment  le Premier ministre du GRK Nechirvan Barzani avait averti dans un discours que des changements pourraient se produire dans la situation politique du pays, insistant sur la nécessité de l’unité des factions kurdes au Parlement irakien.

Le 7, le président du parlement irakien, Salim Al-Jabouri, a visité le Kurdistan pour tenter de persuader les députés kurdes de regagner la capitale. Une délégation de tous les partis politiques du Kurdistan devait aussi se rendre à Bagdad pour discuter les tensions récentes autour du Parlement. Cependant, les députés kurdes ont annoncé que leur position était qu’ils ne reviendraient pas à Bagdad si leur sécurité et leur dignité n’étaient pas assurées. Ce n’est que le 10 mai, après près de 15 jours d’interruption, que le parlement irakien a pu reprendre ses travaux, et la presse n’a pas été autorisée à pénétrer dans l’enceinte du parlement pour en rendre compte.

Cependant, la question du retour des députés kurdes à Bagdad a rapidement pris un tour beaucoup plus politique que sécuritaire. En effet lors de leurs entretiens avec le président du Parlement irakien, les députés kurdes à Bagdad ont posé comme l’une des conditions à leur retour que le gouvernement central accepte le référendum d’autodétermination prévu dans la Région du Kurdistan avant la fin 2016. Selon une source informée, ils auraient également mis en avant d’autres conditions dont la reprise par Bagdad de l’envoi à la Région du budget fédéral, incluant un budget pour payer les pechmergas et la mise en œuvre de l’article 140 de la constitution irakienne. Le 16, après une réunion tenue à Sulaimaniya, les députés kurdes ont inclus dans les conditions pour leur retour à Bagdad la mise en place d’une session parlementaire à laquelle participeraient tous les partis politiques irakiens. Le 18, ce sont les ministres kurdes du gouvernement central qui ont annoncé qu’ils allaient boycotter le Conseil des ministres, tout en continuant à assurer leurs devoirs dans leurs propres ministères.

Cependant, le 21, une nouvelle intrusion a eu lieu, quand les supporters de Moqtada Sadr ont pénétré de force cette fois dans le bureau du Premier ministre, ce qui a évidemment ravivé les inquiétudes quand aux conditions de sécurité dans la capitale ! Après plusieurs autres déclarations parfois contradictoires de chefs de partis kurdes, il n’était pas clair le 27 si les députés kurdes reviendraient dans la capitale irakienne le lendemain pour la session parlementaire prévue pour débuter le 29, et s’ils y revenaient, s’ils participeraient à ladite session ! Le Parlement irakien avait en effet annoncé que la session du 29 mai devrait examiner les propositions de nomination de ministres soumises par le Premier ministre Al-Abadi. Certains députés kurdes ont demandé une réunion préalable avec le premier ministre, alors que d’autres y étaient opposés…

Finalement, le 28, les dirigeants des groupes parlementaires kurdes au parlement de Bagdad se sont rendus dans la capitale pour rencontrer le premier ministre, qui les a exhortés à participer à la session du lendemain. Le Premier ministre irakien a également demandé que le GRK envoie une délégation à Bagdad pour discuter les désaccords entre les deux gouvernements. Durant la discussion, le Premier ministre irakien s’est engagé à ne pas changer les ministres kurdes sans consulter les Kurdes, et a également promis d’envoyer des fonds aux agriculteurs kurdes et de reprendre le dialogue pour résoudre les désaccords entre Bagdad et Erbil. Suite à ces engagements pris par le Premier ministre irakien, une partie des parlementaires kurdes à Bagdad a assisté à la session parlementaire du 29. Le 31, le député kurde du parlement irakien Ashwaq Jaf a indiqué que le premier ministre Haider Al-Abadi avait décidé de former deux délégations qui se rendraient à Erbil pour négocier un règlement des problèmes persistant entre le GRK et le gouvernement central. L’une des délégations comprendrait des membres du gouvernement, tandis que l’autre consisterait en membres de partis politiques, qui rencontreront leurs homologues au Kurdistan.

S’agit-il d’une n-ième promesse de règlement en vue du danger d’un « Kurdexit », une sortie d’Irak de la Région du Kurdistan,  ou bien d’une véritable avancée dans les relations ?