Mardi 5 juillet la ville de Qamishlo a été déclarée capitale de la nouvelle Région fédérale proclamée dans le nord de la Syrie par les Kurdes du PYD (Parti de l’unité démocratique) et leurs alliés des Forces démocratiques syriennes (FDS) le 17 mars dernier. Les représentants des autorités de la Région fédérale ont justifié le choix de cette ville par sa population multi ethnique et multi confessionnelle, bien représentative de celle de l’ensemble de la Région, qui comprend entre autres Kurdes, Arabes, Turkmènes et chrétiens. Le vendredi précédent 1er juillet, avait été publié le projet de « contrat social » proposé comme future Constitution pour la Région fédérale. Ce document mentionne tous les groupes ethniques vivant au Rojava et leur accorde des droits culturels, politiques et linguistiques. Il doit encore être discuté dans l’ensemble du Rojava avant d’être approuvé. Après quoi, des élections générales auront lieu dans les trois mois, élections dont des comités électoraux ont déjà commencé la préparation.
Le 13, Hediye Yusuf, co-présidente de l’Assemblée constituante du « système fédéral du Rojava », a réitéré la position des autorités de la Région fédérale par rapport à la Syrie en déclarant que l’instauration de cette Région ne vise nullement à diviser le pays, mais tout d’abord à assurer l’autonomie de celle-ci, tout en proposant une bonne solution pour la gouvernance de l’ensemble du pays: «Nous pensons que le système fédéral est la meilleure forme de gouvernement pour la Syrie», a-t-elle déclaré. «Nous voyons que dans de nombreuses régions du monde, un cadre fédéral permet aux gens de vivre en paix et librement à l'intérieur des frontières territoriales du pays. Les habitants de la Syrie peuvent aussi vivre librement en Syrie. Nous ne permettrons pas que la Syrie soit divisée; tout ce que nous voulons est la démocratisation de la Syrie ; ses citoyens doivent vivre en paix, et jouir et chérir la diversité ethnique des groupes nationaux qui habitent le pays». Hediye Yusuf a également fait remarquer que si les États-Unis et d’autres membres de la coalition anti-Daech coopéraient militairement avec les FDS, aucun n’avait politiquement soutenu l’établissement de leur région fédérale. Les autorités prévoient donc de poursuivre l’action diplomatique en ce sens – dans le cadre de celle-ci, est ainsi prévue d’ici trois mois l’ouverture d’un bureau de représentation du Rojava aux États-Unis.
La nécessité de mieux faire connaître la situation des Kurdes en Syrie a été démontrée par la teneur des déclarations faites le 29 juin dernier lors d’une conférence de presse par l’envoyé spécial des Nations Unies, Staffan de Mistura, à propos de la population kurde de Syrie: celui-ci a en effet publiquement déclaré que les Kurdes représentaient 5% de la population du pays, un chiffre manifestement très sous-évalué, puisque malgré l’absence de statistiques récentes, experts et géographes s’accordent à l’estimer à environ 15%. Les responsables kurdes n’ont pu que manifester leur étonnement et faire état de leur espoir que l’envoyé spécial des Nations Unies prendrait soin à l’avenir de recueillir les données nécessaires à l’accomplissement dans de bonnes conditions de sa mission…
Ces avancées institutionnelles dans l’établissement concret de la Région fédérale se poursuivent en parallèle avec la guerre contre les djihadistes de Daech. Depuis le début du mois et suite à l’opération lancée sur Manbij début juin, de violents combats se sont déroulés à l’intérieur de cette ville, dont le contrôle est toujours âprement disputé entre les FDS et les djihadistes. Le 3, Daech avait avancé dans un quartier du sud de la ville et repris un village au Nord-ouest de celle-ci, et les combats étaient intenses autour du silo de la ville. Les FDS affirment ne pas avoir reculé, mais il est clair que les combats sont très durs. Le 31, les FDS ont annoncé contrôler 40% de la ville et poursuivre leur avancée.
Comme cela était déjà clair après les différents attentats qui ont eu lieu récemment en Europe, le fait que les djihadistes perdent du terrain sur le plan militaire ne signifie malheureusement pas qu’ils ne constituent plus un danger hors des territoires qu’ils contrôlent. Cela a été encore démontré à Qamishlo avec l’attentat suicide le plus meurtrier dans la ville depuis le début de la guerre civile en Syrie en mars 2011. Revendiqué par Daech, il a fait le 27 au moins 48 victimes et plus de 140 blessés.
En Irak comme en Syrie, les Kurdes sont en première ligne contre Daech. Les pechmergas ne cessent de repousser des attaques des djihadistes : à Makhmour le 2, à l’ouest de Kirkouk deux jours plus tard, puis encore le 23. Le 21, c’est à Tell Afar, à l’ouest de Mossoul, que Daech a utilisé des obus de mortier au chlore et que plusieurs pechmergas ont dû être hospitalisés. Mais il semble que la grande opération pour reprendre Mossoul s’approche : le 31, l’ancien gouverneur de Mossoul a déclaré qu’elle pourrait être lancée en septembre. Dès le 12 juillet, en préparation, un accord militaire (Memorandum of Understanding) avait été signé avec l’approbation de Bagdad entre les États-Unis et la Région du Kurdistan d’Irak. Il prévoit la participation des pechmergas et le paiement de leur solde par les Américains pour la durée de l’opération, et spécifie qu’ils se retireront des territoires repris à Daech une fois celle-ci terminée. Cependant, ce dernier point étant très sensible, le ministre des pechmergas a précisé le 23 que ce retrait ne concernerait bien que l’opération et la région de Mossoul, et en aucun cas l’ensemble des territoires repris à Daech depuis 2014 – ni ceux dont les pechmergas avaient pris le contrôle à cette date pour empêcher Daech de s’en emparer : on pense évidemment à la région de Kirkouk…
Alors que Massoud Barzani a proposé un référendum d’autodétermination pour la Région du Kurdistan, la question du devenir de la province de Kirkouk est revenue sur le devant de l’actualité. Si le Kurdistan devait se séparer de l’Irak, qu’adviendrait-il de Kirkouk ? Les Kurdes souhaitent intégrer la province à leur Région et voient la ville, qu’ils appellent la « Jérusalem kurde », comme sa « capitale naturelle », mais les autres composantes de la population, Turkmènes et Arabes, sont d’avis plus partagés. Le gouvernement régional du Kurdistan (GRK) ne cesse de répéter que les droits des populations turkmènes et arabes sunnites seraient mieux respectés dans la région du Kurdistan que dans un Irak chiite, espérant que la province décidera majoritairement de s'intégrer au GRK. Et, alors que l’on craint que l’attaque sur Mossoul ne provoque un nouvel afflux de déplacés, jusqu’à deux millions, les autorités de la province se préocuppent du demi-million de déplacés ayant fui Daech et qui se trouvent toujours sur leur territoire, en majorité des Arabes sunnites des régions de Tikrit, Baiji, et Al-Anbar. Bien que ces zones aient été depuis libérées des djihadistes, seulement 20.000 familles sont jusqu’à présent rentrées chez elles. De nombreux déplacés se plaignent du manque d’assistance du gouvernement central pour les réinstaller, et les autorités provinciales accusent à demi-mot Bagdad d’utiliser la situation pour poursuivre la politique d’arabisation engagée par Saddam Hussein – d’autant plus que le Ministre de l’intérieur irakien leur a déjà demandé deux fois d’attribuer des cartes de résidents locaux aux déplacés. La province a fini par lancer le 5 un ultimatum au gouvernement central pour qu’il «rapatrie» les déplacés sous un mois. Si la constitution de 2005 statue qu’un Irakien déménageant dans une autre province peut y obtenir la résidence (et donc y voter), son article 140 prévoit un processus particulier dans les régions arabisées de force sous le régime baathiste, comme Kirkouk : les ex-«colons» arabes doivent regagner leur région d’origine avec une indemnité puis un référendum doit décider du devenir de la région. Cependant, ce processus, qui aurait dû se terminer en 2007, n’est toujours pas arrivé à son terme, et le référendum n’a jamais été organisé. On comprend donc la méfiance des autorités de Kirkouk, qui indiquent par ailleurs qu’un accord avec Bagdad prévoyait bien que les déplacés regagnent leurs régions d’origine une fois Daech chassé. La corruption pourrait aussi être en cause : alors que l’Union Européenne vient d’attribuer à l’Irak une aide de 104 millions d’euros pour les déplacés, et qu’une réunion de donateurs à Washington a promis 5,2 milliards de dollars pour aider à la reconstruction des zones reprises à Daech, le dirigeant sunnite Mashaan Al-Juburi a été jusqu’à recommander aux donateurs internationaux d’éviter de verser leur aide au gouvernement mais de contacter directement les autorités locales concernées ! Peut-être en réponse, le ministre irakien drs Déplacements et des migrations a déclaré le 26 à l’agence turque Anatolie qu’environ un million de déplacés avaient regagné leur domicile… mais qu’il en restait plus de 3,7 millions.
En prévision du référendum, chacun prend ses positions de départ: ainsi Massoud Barzani a-t-il reçu à Erbil le 7 juillet – pour la première fois depuis 16 ans ! – les dirigeants du Front turkmène irakien (FTI), avec lequel les relations étaient jusqu’à présent plutôt tendues. Cette formation politique de Kirkouk qui regroupe six partis turkmènes défend officiellement (comme le gouverneur kurde de la province, Najmaddin Karim) la création d’une région semi-indépendante, même si certains de ses membres sont en faveur d’un rattachement au Kurdistan. Une semaine plus tard, le 13, ce sont les groupes politiques arabes de Kirkouk réunis au sein du «Conseil de la République arabe d’Irak», qui ont rendu publique une feuille de route pour la province qui donnerait des pouvoirs administratifs égaux à ses trois principaux groupes ethniques et lui apporterait aussi une autonomie élargie par rapport à Bagdad… mais dans le cadre d’un maintien en Irak. Cette position du Conseil pourrait avoir un impact important sur le résultat de toute consultation: si la ville de Kirkouk elle-même compte 50% de Kurdes, sa population comprend aussi 20% d’Arabes. Est-ce un hasard ? Le 26, le Parlement irakien a approuvé un projet de loi augmentant les compétences des provinces et leur donnant les moyens légaux de créer des régions semi-autonomes dotés de pouvoirs politiques et administratifs importants, une décision qui pourrait permettre aux sunnites de créer une Région similaire à celle du GRK. Le député kurde Arafat Karim a déclaré à ce propos qu’il s’agissait du premier pas vers «un système post-fédéral, c’est-à-dire une confédération». L’Irak pourrait-il ainsi tenter de proposer aux Kurdes une alternative «confédérale» à l’indépendance?
Quoi qu’il en soit, la tenue même d’un référendum d’autodétermination n’est toujours pas assurée. A l’occasion de l’Aïd (fête de fin de Ramadan) le 6, Massoud Barzani a renouvelé son appel aux partis politiques kurdes à se réunir pour en discuter, exprimant aussi l’espoir d’une avancée vers une solution au blocage politique et institutionnel interne de la Région, qui dure depuis octobre 2015. C’est que, comme vient de le rappeler la Commission électorale du Kurdistan, si elle peut techniquement organiser une telle consultation sous quatre mois, elle ne peut juridiquement lancer le processus avant que le Parlement ne le lui ait officiellement ordonné par le vote d’une loi: tant que le Parlement n’est pas remis en fonction, l’organisation du référendum est donc impossible. C’est ainsi que, le 12 juillet, le Gouvernement n’a pu prolonger comme il l’aurait souhaité la loi anti terroriste qu’il utilise dans sa lutte contre Daech. Votée en 2006 et déjà renouvelée pour deux ans, cette loi expirait le 16. Consulté, le Conseil de la Choura (sorte de Conseil d’Etat consultatif), a finalement rendu une décision de non-renouvellement, proposant comme substitut l’usage d’autres lois du Code pénal. Six partis de la Région kurde avaient publié une position commune pour s’opposer à toute prolongation sans passage par le Parlement.
Alors que les Kurdes sont confrontés à des opportunités politiques qui sont autant de défis, l’unité intra-kurde apparaît plus que jamais comme une nécessité. Prenant la parole à Erbil samedi 30 juillet durant une visite au MERI (Middle East Research Institute), Mustafa Hijri, secrétaire général du Parti Démocratique du Kurdistan d’Iran (PDKI), l’a rappelé pour ce qui est du Kurdistan oriental (Kurdistan d’Iran ou Rojhelat): «Nous avons besoin de l’unité kurde pour nous battre pour les droits civils et humains des Kurdes en Iran». Pourtant, cette unité apparaît d’autant plus difficile à trouver que les enjeux politiques sont élevés. En cause bien sûr d’importants désaccords internes entre forces politiques kurdes, mais aussi des acteurs extérieurs qui n’hésitent pas à les utiliser pour leurs intérêts, et ce d’autant plus que le rôle des Kurdes s’accroît dans un Moyen Orient de plus en plus instable. L’appel à un référendum d’autodétermination lancé en février dernier par le président Massoud Barzani a probablement inquiété de nombreux pays, et amplifié ces manœuvres visant à diviser les Kurdes. Le Premier ministre irakien, Hayder Al-Abadi, a déclaré que le moment choisi était «inopportun», le consul iranien a exprimé l’opposition de son pays, et les Etats-Unis ont réaffirmé leur soutien à un Irak fédéral… Et il est caractéristique que l’ancien Premier ministre irakien Nouri Al-Maliki, membre du parti chiite Da’wa, ait le 17 juillet choisi de visiter non pas Erbil, mais Sulaimaniya, pour y rencontrer des représentants de l’UPK et du parti d’opposition Gorran.
Si les politiques sont divisés, l’opinion publique est claire dans son soutien à l’indépendance: lors de la consultation de 2005, 99% des votants s’étaient prononcés pour le «Kurdexit». Une enquête menée récemment par le chercheur Deniz Ciftci sur les intentions de vote dans la Région montre que les différences portent essentiellement sur la résolution des problèmes politiques internes: 92% des votants se prononceraient pour l’indépendance en cas de nouveau référendum, mais à Sulaimaniya, un nombre plus important des personnes interrogées souhaite que les problèmes politiques internes soient résolus d’abord, en particulier la réactivation du parlement et la question de la présidence. Sinon, ils ne se rendraient pas aux urnes.
Il est vrai que les différends se sont accumulés depuis un an, lorsque la question de la prolongation du mandat présidentiel n’a pu être résolue par la discussion entre partis politiques. Le mandat du président Massoud Barzani, déjà prolongé de deux ans par le parlement en 2013, est arrivé de nouveau à expiration le 19 août 2015. La région se trouvait alors en pleine guerre contre Daech, alors que le parlement d’Erbil devait réviser la constitution qui seule permettrait de décider la marche à suivre. Le Conseil de la Choura a émis l’avis que le président actuel devrait rester en fonction jusqu’à de prochaines élections. Alors que la force de loi de cet avis consultatif était mise en cause par l’UPK et Gorran, le PDK a fait valoir qu’un vide politique juste à ce moment mettrait la Région en danger, d’autant plus qu’il y avait désaccord sur le type de régime à adopter : UPK et Gorran (surtout puissants dans la province de Sulaimaniya) veulent un président aux pouvoirs restreints désigné par le parlement, alors que le PDK (plutôt implanté dans les provinces d’Erbil et de Dohouk) défend l’élection au suffrage universel – que, majoritaire, il était certain de remporter – d’un président aux pouvoirs importants. Aucun des deux camps ne disposant d’assez de sièges au parlement pour faire valoir son point de vue, le status quo s’est imposé, mais au prix d’importantes tensions politiques internes, encore attisées par la grave crise financière causée par le non-versement par Bagdad de sa dotation budgétaire au Kurdistan, prévue par la Constitution. Suite à des manifestations et attaques de ses locaux où certains de ses cadres ont trouvé la mort, le PDK a accusé le mouvement Gorran d’avoir instigué les violences et, le 11 octobre 2015, a interdit à Yusuf Mohammed Sadiq, Président du parlement et membre de ce parti, de regagner son poste à Erbil. Deux jours plus tard, le Premier ministre Nechirvan Barzani (PDK) a suspendu de son gouvernement les ministres Gorran, les remplaçant par la suite par des membres de son parti. Le parlement d’Erbil est donc hors session depuis 10 mois, sans que les nombreuses réunions des différents partis politiques aient pu dégager un compromis. Le PDK voulait un nouveau cabinet excluant Gorran, tandis que le président du parlement refusait de démissionner, l’UPK tentant de jouer les médiateurs. Le 17 mai dernier, après un rapprochement UPK-Gorran officialisé par une cérémonie, les deux partis ont annoncé la fusion prochaine de leurs groupes parlementaires. Le 22 juin, ils ont annoncé former un nouveau comité avec leurs membres pour créer des blocs de coalition dans les parlements d'Irak et du Kurdistan, et le 11 juillet, ils ont annoncé la création à l’assemblée provinciale de Sulaimaniya d’une coalition nommée «Hiwa» (Espoir). Les désaccords concernent aussi le contenu du référendum: le PDK a annoncé le 18 souhaiter y inclure, en même temps que la question de l’indépendance, la constitution provisoire. Gorran a déclaré lors d’une réunion avec l’Union Islamique du Kurdistan (Yekgirtû-î Islamî) que son leader, Nawshirwan Mustafa, était d’accord pour remplacer le Président du parlement et soutenir le référendum. Mais quid de la constitution ? Le PDK souhaite qu’elle donne beaucoup de pouvoirs au Président, Gorran y est opposé…
Ces tensions internes à la Région du Kurdistan vont de pair avec des orientations différentes au niveau régional, notamment pour les relations avec le «Rojava» (Kurdistan de Syrie): contrairement au PDK, l’UPK reconnait l’administration PYD du Rojava, qui a un bureau à Sulaimaniya, tandis que le PDK conserve des liens privilégiés avec le Conseil National Kurde de Syrie (CNK), formé en octobre 2014 et comprenant 15 partis, qui est dans l’opposition au PYD. Conséquence, si les relations avec la Turquie sont bonnes pour le PDK, installé au nord du Kurdistan irakien, elles sont plus tendues avec l’UPK et Gorran, dont la zone d’implantation est adossée à la frontière iranienne…
Nul n’est plus conscient de la nécessité de l’unité que les pechmergas actuellement en lutte contre Daech sur un front de plus de 1000 km: le 7 juillet, certains d’entre eux postés sur le front de Kirkouk ont déclaré à la chaîne de télévision kurde NRT qu'ils souhaitaient que les responsables politiques mettent fin à leurs luttes internes et s’asseyent à une même table pour résoudre leurs différences, comme cela s’est fait sur le champ de bataille: «Nous sommes Kurdes de Jalawla [près de Khanaqîn, à la frontière iranienne] à Kobanê», a déclaré l’un d’entre eux. Le même jour, plusieurs partis de la Région du Kurdistan d’Irak ont aussi lancé un appel à un retour aux négociations pour résoudre les différends politiques au Kurdistan irakien: «[Les partis politiques] doivent être unis et solidaires» a déclaré Mahmoud Sangawi, un membre du Bureau politique de l’UPK. Ali Hussein, membre de la direction du PDK, a déclaré de son côté: «Nous espérons que tous les [partis] tiendront compte des intérêts du peuple du Kurdistan », alors que Karwan Hashim, un membre du Conseil national de Gorran, déclarait: «La seule façon de résoudre les problèmes est de s'asseoir et négocier, mais cela n’aura pas de résultats sans préparation».
Signe positif? Durant le mois de juillet, les positions semblent s’être quelque peu assouplies de part et d’autre: dès le 4, l’UPK, jouant les médiateurs, indiquait que Gorran était prêt au compromis avec le PDK, notamment pour sur la question du Président du parlement. A la fin du mois, le chef de cabinet de la Présidence du Kurdistan, le Dr. Fouad Hussein, a rencontré à Sulaimaniya le secrétaire général du bureau politique de l’UPK, Mala Bakhtyar, puis par deux fois le coordinateur général de Gorran, Nawchirwan Mustafa. Le samedi 30, le Président du parlement a annoncé qu’il était prêt à quitter son poste si cela pouvait faire baisser les tensions et ramener un système de gouvernance plus stable et démocratique. De son côté, Sarbast Lezgin, un dirigeant du PDK, déclarait que son parti était prêt à négocier un nouvel accord inter-partis qui permettrait de réactiver le Parlement. Dans l’intérêt de la Région du Kurdistan, on ne peut qu’espérer que ces déclarations seront rapidement suivies d’effets concrets.
Le commandant en second des Gardiens de la Révolution iraniens, le brigadier général Hossein Salami, a le 2 juillet lancé un avertissement apparemment destiné aux responsables politiques du Kurdistan irakien, pour qu’ils «respectent leurs engagements à l’égard de la sécurité de l’Ouest de l’Iran», menaçant dans le cas contraire de lancer des opérations sur le territoire du Gouvernement régional du Kurdistan (GRK). Cette déclaration intervient quelques jours après que le GRK a demandé la fin des bombardements iraniens sur son sol. Le GRK a réagi avec force en condamnant ces remarques et menaces, «contraires aux relations amicales» entre Iran et Kurdistan d’Irak. Deux jours plus tard, les consuls iraniens au Kurdistan ont tenté de désamorcer les tensions en réduisant ces échanges acerbes à un «malentendu», ajoutant que «le gouvernement iranien ne menacerait jamais la Région du Kurdistan». Parallèlement, le représentant du GRK à Téhéran, Nazim Dabbagh, a déclaré avoir été informé par les autorités iraniennes que ces déclarations ne visaient pas la Région du Kurdistan mais les groupes menant des attaques contre l’Iran. Cet incident s’est produit au moment où des discussions reprenaient entre le GRK et la République islamique à propos d’un projet de pipeline qui permettra à la Région du Kurdistan d’exporter vers l’Iran 250.000 barils par jour. Le pétrole parti de Koya sera raffiné à Kermanshah, au Kurdistan d’Iran. Bien que ce projet ait été lancé en 2014, après que le gouvernement central ait cessé de payer le budget fédéral au GRK, Bagdad y a exprimé son soutien, à condition que le pétrole de Kirkouk soit inclus dans le «deal». Du point de vue du GRK, ce pipeline permettrait de diversifier les voies d’exportation par rapport à Ceyhan en Turquie, et peut-être d’obtenir des paiements plus rapides : les paiements de Ceyhan passent par Bagdad d’où des délais très importants. Un autre point devant être discuté entre Kurdes et Iraniens est la gestion de leur frontière commune.
Suite à ces échanges, le Parti démocratique du Kurdistan d’Iran (PDKI) a annoncé dès le 3 qu’il allait renforcer la sécurité de ses bases au Kurdistan d’irak, et répondrait à toute attaque iranienne. Il a également annoncé qu’il allait rencontrer le KCK (une organisation fondée par le PKK pour coordonner les partis suivant les propositions de «confédéralisme démocratique» d’Abdullah Öcalan) pour renforcer leur coopération. Celle-ci pourrait suivre avec le PJAK (Parti pour une vie libre au Kurdistan), membre du KCK, qui compte environ 3000 combattants, dont la moitié sont des femmes. Le 6, diverses sources ont fait état d’un renforcement du dispositif militaire frontalier iranien face à la ville kurde irakienne d’Haji Omran. L’Iran a remplacé la police des frontières par des troupes d’infanterie des Gardiens de la révolution, lourdement armées de tanks, de missiles et d’artillerie. Selon l’agence Kurdpa, des unités de la brigade Al Qods ont également repris la pose de mines au Kurdistan iranien près de la ville de Meriwan. Il s’agit de mines russes, petites mais très dangereuses, qui viennent s’ajouter aux centaines d’engins non explosés datant de la guerre Iran-Irak. Le dimanche 10, le PDKI a appelé par des tracts distribués dans plusieurs villes du Kurdistan d’Iran et sur les médias et réseaux sociaux les commerçants à baisser leur rideau toute la journée du 13 en signe de protestation contre la politique de terreur de l’Etat. Le PDKI a indiqué que de nombreuses arrestations de civils innocents – estimés à une trentaine – avaient eu lieu durant les derniers jours, et que des Gardiens de la révolution lourdement armés avaient été déployés en nombre dans toutes les villes du Kurdistan. Cette journée de grève correspond également à l’anniversaire de l’assassinat en 1989 par des envoyés de la République islamique du leader du PDKI Abdulrahman Ghassemlou.
Parmi les exemples de la répression vécue au quotidien par les résidents du Kurdistan d’Iran, on peut citer le problème récurrent des kolbars. Il s’agit de porteurs kurdes transportant pour vivre des charges entre Iran et Irak. Considérés par les policiers iraniens comme des contrebandiers, ils sont régulièrement arrêtés et parfois exécutés. Selon l’agence HRANA (Human Rights Activists News Agency), deux kolbars de la région de Sardasht ont été tués par la police en milieu de mois, et deux autres le 24 près de Chaldoran (Chaldiran) par des garde-frontière, tandis que 3 autres étaient gravement blessés. Parallèlement, la répression des intellectuels se poursuit : le 27, le lettré sunnite kurde Shahram Ahmadi a été condamné à mort lors d’un procès qui n’a duré que quelques minutes et a confirmé la sentence rendue en 2012 par la Cour révolutionnaire. Ahmadi avait été arrêté en 2009 durant la visite au Kurdistan d’Iran du Guide suprême Ali Khamenei, et avait été blessé par arme à feu lors de son arrestation. Le 18, le Président iranien Rouhani s’est à son tour rendu en visite officielle au Kurdistan d’Iran, où il a été accueilli par un très petit nombre d’habitants et par… des slogans de protestation. Sa visite a été ponctuée d’affrontements entre protestataires et forces de sécurité dans plusieurs villes du Kurdistan, mais aussi du Balouchistan et d’Ahwaz.
Ce même jour, Amnesty International a lancé un avertissement à l’Iran à propos de sa politique à l’égard des prisonniers, accusant le régime de profiter des problèmes de santé des prisonniers politiques pour les contraindre au silence en leur déniant les soins médicaux. Dans son rapport intitulé «La santé en otage: déni de soins médicaux dans les prisons iraniennes» (Health taken hostage: Cruel denial of medical care in Iran's prisons, accessible en ligne), l’organisation rend compte de nombreux cas d’abus intentionnels à l’égard de prisonniers politiques et de conscience.
La tentative de coup d’État qui s’est produite dans la nuit du 16 au 17 juillet n’a pas ralenti le train des mesures de contrôle prises en continu par le gouvernement AKP sur les ordres du président Erdoğan. Bien au contraire, les événements ont fourni à celui-ci une parfaite opportunité pour accélérer encore sa marche vers un pouvoir toujours plus total. En rendant compte des événements du mois, il importe donc de ne pas oublier ce qui s’est passé avant cette fameuse nuit du 16 au 17, car cela montre que le chemin suivi par le gouvernement après l’échec des militaires putschistes avait déjà été engagé durant les quinze jours précédents.
Ainsi, tard le soir du jeudi 30 juin, le parlement turc a voté une loi restructurant le système judiciaire, dont le contenu a fait craindre aux opposants à Erdoğan qu’il n’aggrave encore sa mainmise sur celui-ci: la nouvelle loi révoquait en effet la plupart des 711 juges de la Cour suprême d’appel et du Conseil d’Etat (instance compétente pour les plaintes des citoyens contre le gouvernement), donnant aussi à Erdoğan le pouvoir de nommer un quart des juges de ce Conseil. Ce vote faisait suite aux importants changements apportés le mois précédent à la composition du Haut Conseil des juges et procureurs, qui nomme également une partie des juges du Conseil d’Etat, avec le transfert de 3.700 juges et procureurs. Le CHP (Parti républicain du peuple, opposition kémaliste) a annoncé qu’il allait lancer un appel contre cette loi devant la Cour constitutionnelle, mais il a peu de temps pour le faire, car une fois les nouvelles nominations effectuées par le Haut Conseil, même un appel recevant une réponse positive ne pourra les annuler. Pourtant, la justice fonctionne déjà bien dans le sens souhaité par le Président turc. Pour ne prendre qu’un exemple, six enseignants de l’université de Mersin ont vu le 8 leur contrat supprimé, certains inculpés des charges devenues habituelles de «insulte au président» ou «propagande terroriste» simplement pour des messages sur les médias sociaux critiquant la politique du gouvernement! L’un d’eux a été inculpé comme président d’une ONG soutenue par la municipalité HDP d’Akdeniz. Les accusés risquent de 15 à 20 ans de prison…
Toujours le 8, deux jours avant l’ouverture à Istanbul de la 40ème session du Comité du Patrimoine Mondial, l’organisation Europa Nostra, Fédération européenne des organisations du patrimoine culturel basée à La Hague, a écrit à Mme Irina Bokova, Directrice générale de l’UNESCO, pour attirer son attention sur les destructions provoquées par les opérations militaires au Kurdistan de Turquie. Signée par son président Denis de Kergolay, la lettre déclare notamment: «Un exemple important concerne la ville fortifiée de Sur, centre historique de Diyarbakir, déclaré site de conservation historique depuis 2012 et […] site du patrimoine mondial par l'UNESCO depuis 2015, [où] selon une loi adoptée fin mars 2016, la grande majorité (plus de 80%) des bâtiments doit être expropriée. […] Des zones importantes ont été rasées au bulldozer et transformées en terrains vagues et en rues vides, dans des quartiers où se trouvaient des centaines de sites du patrimoine culturel. Plus de vingt-cinq mille personnes ont dû trouver refuge en dehors de la ville. Des dizaines de monuments historiques ont été endommagés ou détruits, y compris l'église St. Guiragos, dont la restauration exemplaire avait reçu en 2015 un Prix européen du patrimoine attribué conjointement par l'Union européenne et Europa Nostra». Les auteurs demandent à l’UNESCO de rappeler à ses obligations le pays hôte du Comité du patrimoine mondial et invitent les autorités compétentes en Turquie à respecter les droits de l'homme des habitants et les normes de réhabilitation du patrimoine en adoptant «une approche participative et d’étroite coopération avec les municipalités concernées, les organisations professionnelles et les habitants». Malheureusement, la Turquie n’est guère connue pour son approche participative vis-à-vis de ses citoyens. Le 11, l’organisation Human Rights Watch a rappelé que le pays n’avait toujours pas autorisé l’accès des enquêteurs des Nations Unies à sa région kurde. Par contre, la Turquie a vivement réagi le 12 à une exposition photographique sur les YPJ et YPG (combattants kurdes de Syrie, femmes et hommes) organisée au Parlement européen, le porte-parole présidentiel Ibrahim Kalin ayant déclaré: «Il est inacceptable que le Parlement européen se livre à la propagande pour une organisation terroriste qui prend pour cibles quotidiennement des citoyens turcs».
Le jeudi 14, le gouverneur provincial a imposé un couvre-feu continu sur 16 villages de la région de Silvan, tandis que le ministère de l'Intérieur ordonnait de démettre les deux co-maires de la ville de Mazıdağı dans la province de Mardin, accusés de soutenir les rebelles kurdes. Un procureur a lancé une enquête après qu’un véhicule municipal aurait été utilisé le 9 juillet dans une attaque à la voiture piégée sur une gendarmerie qui avait tué deux soldats et blessé 12 autres. Durant les 12 derniers mois, 22 maires, tous membres du Parti démocratique des régions (DBP), ont été emprisonnés et 31 autres démis pour leur soutien présumé au PKK – avec lequel le DBP nie toute collaboration.
Dans la nuit du 15 au 16 juillet, une partie de l’armée turque a lancé une tentative de coup d’Etat militaire contre le gouvernement élu de M. Erdoğan. Les forces aériennes semblent y avoir joué un rôle important, les événements ayant commencé vers 22h par des survols d’hélicoptères et d’avions militaires à Ankara et Istanbul. Des tanks sont également apparus dans les rues et des soldats ont pris position à Taksim et sur les ponts du Bosphore à Istanbul. Les militaires putschistes ont pris le contrôle de la télévision publique jusqu’à 2h du matin, diffusant un communiqué proclamant la loi martiale et un couvre-feu sur tout le territoire. À Ankara le parlement turc, le palais présidentiel et la résidence du Premier ministre ont été bombardés par plusieurs avons de chasse, ainsi que le quartier général des Forces spéciales à Gölbaşı par un hélicoptère qui a tué 57 policiers. Cependant le président Erdoğan, en vacances dans un hôtel de la station balnéaire de Marmaris, a échappé (semble-t-il de justesse) à l’arrestation et probablement à la mort, réussissant finalement à regagner Istanbul en avion vers 4h30 malgré deux tentatives d’interception par des avions putschistes. Depuis l’aéroport, il a appelé sur son téléphone portable ses partisans à descendre dans la rue, accusant du putsch le réseau des partisans du prédicateur Fetullah Gülen, son ancien allié en exil aux Etats-Unis depuis 1999. À Istanbul et Ankara des affrontements ont opposé militaires putschistes et loyaux et partisans d’Erdoğan. Vers 5h30, des F-16 loyalistes ont bombardé des chars rebelles aux abords du palais présidentiel.
Au petit matin, 200 militaires putschistes se sont rendus aux forces loyalistes. D’après des chiffres donnés dès le lendemain par le chef d’état major des armées, 104 putschistes ont été abattus et plus de 2.800 militaires arrêtés, dont le général Erdal Özturk, commandant de la 3e armée. Le Premier ministre Binali Yildirim a de son côté chiffré le bilan des affrontements à 265 morts et 1.440 blessés, dont un nombre indéterminé de civils, et a annoncé l'arrestation de 2.839 militaires. Le 27 juillet, l'état-major des forces armées a établi le compte de personnel militaire impliqué dans le putsch à 8.651 militaires (soit 1,5% environ des effectifs) disposant de 35 avions dont 24 avions de combat, 37 hélicoptères, 37 chars, 246 véhicules blindés et trois navires de la marine. La cause principale de l’échec des putschistes est clairement que l’ensemble de l’armée ne les a pas suivis. Les autorités judiciaires ont annoncé que 2.745 juges dans tout le pays allaient être démis de leurs fonctions. D’après la chaîne de télévision turque NTV, Alparslan Altan, l’un des 17 juges de la Cour constitutionnelle, a été placé en détention.
Aucun des partis d’opposition ne s’est solidarisé avec les putschistes. Dès le lendemain de la tentative, les deux co-présidents du HDP, Figen Yüksekdağ et Selahattin Demirtaş, ont publié une déclaration intitulée «La seule solution est une politique de démocratie!»: «Dans ces journées difficiles et critiques que traverse la Turquie, quelle que puisse en être la raison, personne ne doit se substituer à la volonté du peuple. Le HDP est opposé à toute forme de coup d'État en toutes circonstances et par principe. La Turquie doit immédiatement adopter une démocratie pluraliste et libérale, la paix intérieure et extérieure, les valeurs et conventions démocratiques universelles. Il n'y a pas d’autre chemin que celui d’une politique de démocratie». Mais Erdoğan ne semble pas avoir choisi cette voie. Dès le 17, il a parlé de réintroduire la peine de mort – le HDP précisant qu’il s’y opposerait. Puis le 20, le Conseil des ministres a instauré pour trois mois un état d'urgence qualifié par le président Erdoğan de «nécessaire pour éradiquer rapidement tous les éléments de l'organisation terroriste impliquée dans la tentative de coup d’État», qui permettra au président de suspendre les droits élémentaires et de légiférer par décrets sans passer par le parlement. Le vice-Premier ministre turc, Numan Kurtulmuş, a annoncé que la Turquie, en application de son article 15, dérogerait durant cet état d'urgence à la Convention européenne des droits de l'homme.
Fin juillet, le nombre de personnes suspendues ou arrêtées depuis le coup était estimé à 50.000: soldats, policiers, juges, fonctionnaires, enseignants… 99 généraux (sur les 360 que compte le pays) ont été formellement inculpés pour leur rôle dans la tentative, 14 autres étant toujours en détention. Le Haut Conseil de l’Education turc a suspendu 4 recteurs d’université, ordonné la démission de 1.577 doyens de facultés, dans des universités publiques comme privées, et a interdit les voyages des universitaires à l’étranger «pour éviter la fuite de complices». Continuant et amplifiant les mesures de rétorsion prises avant la tentative de putsch, l’université d’Istanbul a privé de leur poste 95 universitaires. Le 23, le premier décret présidentiel après l’imposition de l’état d’urgence a ordonné la fermeture de 1.043 écoles privées, 1.229 associations caritatives et fondations, 19 syndicats, 15 universités et 35 institutions médicales, toutes suspectées de liens avec les gülénistes. Le décret a aussi fait passer la durée de garde à vue de 4 à 30 jours. M. Erdoğan a indiqué convoquer une réunion du Conseil militaire suprême pour le 28 au palais présidentiel (et non au GQG de l’armée comme d’habitude). Le décret doit être approuvé par le Parlement à la majorité simple (que les députés AKP possèdent) pour prendre force de loi.
Très vite mis en cause par Erdoğan, le prédicateur Fetullah Gülen a nié le 18 toute implication dans la tentative de coup d'État qui, si elle n’a impliqué qu’une minorité de militaires, semble avoir dépassé un groupe unique. Une frange kémaliste de l'armée pourrait s’y être trouvée en complicité objective avec des groupes gülénistes, mais l’organisation brouillonne de l’opération pourrait aussi signifier que les putschistes ont agi pour devancer une purge en préparation contre eux dont ils auraient été informés tardivement. Vu la rapidité et l’ampleur des arrestations lancées dès le lendemain de la tentative ratée, l’hypothèse d’une telle purge paraît vraisemblable. Dès le surlendemain de la tentative de putsch, l’agence d’Etat Anatolie annonçait que les procureurs avaient lancé dans tout le pays des mandats contre 2.745 juges et procureurs. Comme l’ont écrit de nombreux universitaires dans une lettre diffusée par le HDP et adressée le 24 à Federica Mogherini et Thorbjørn Jagland, Secrétaire Général du Conseil de l’Europe: «Les listes de personnes à arrêter étaient prêtes avant même que le Coup d’Etat n’ait été lancé», précisant également: «Certains rapports font état que les personnes emprisonnées ne peuvent trouver d’avocat, personne n’osant accepter de les défendre de peur de se trouver inclus à son tour dans la purge». Le tour pris par les événements est donc extrêmement inquiétant, et comme l’ont écrit plusieurs organes de la presse internationale «peut-être plus préoccupant que la tentative de coup d’Etat elle-même». La réponse d’Erdoğan, très disproportionnée, ressort clairement d’un «putsch civil», faisant aussi appel aux informations les plus délirantes, comme cette circulaire diffusée dans toutes les provinces par le bureau de la sécurité générale accusant les gülenistes d’avoir préparé une attaque sur l’ile d’Imrali où Abdullah Öcalan, le leader du PKK, est détenu depuis 1999, et prévu d’inciter le PKK et les alévis à attaquer les autres Turcs, provoquant une guerre civile dans le pays (le HDP a d’ailleurs demandé l’accès à l’île pour vérifier l’état de santé d’Öcalan, au secret depuis plusieurs mois). Le même document déclare que le PKK devait lancer des attaques contre le HDP. Le co-président du HDP, Selahattin Demirtaş a parlé de «tentative de coup de putschistes contre des putschistes», caractérisant la politique d’Erdoğan comme «un coup d'Etat civil pour gouverner la société par des élections tenues suite à la guerre, à la violence, à des bombardements des villes – tout autant illégal que la tentative des putschistes de prendre le pouvoir par des moyens militaires, avec des chars et des fusils». Il a également relevé que la guérilla kurde s’était abstenue de profiter de la situation pour renforcer ses positions sur le terrain. Demirtaş a également critiqué les émeutiers soutenant l’AKP, dont les plus extrêmistes ont lynché de malheureux conscrits, exprimant son inquiétude que les quartiers alévis, kurdes et de gauche ne deviennent des cibles pour leur violence et déclarant: «La menace de coup d'État ne prendra pas fin aussi longtemps que la question kurde ne sera pas résolue dans la paix, qu’une démocratie institutionnelle et une constitution libérale ne seront pas en action. Mais je pense qu’il y a une très faible probabilité [que cela se produise] parce que l'AKP a toujours utilisé ces opportunités pour consolider son propre pouvoir et non en faveur de la démocratie».
En effet, des mandats d’arrêt ont été émis le 25 contre 42 journalistes, puis de nouveau le 27 contre 47 ex-employés du quotidien Zaman. Le lundi 26, Erdoğan avait reçu les partis d’opposition… à l’exclusion du HDP.