Les tentatives diplomatiques pour rétablir la paix en Syrie continuent à piétiner. Ouverte le 28 novembre, la 8e session de pourparlers de Genève s’est interrompue le 1er décembre avec le départ de la délégation du régime, qui a refusé de poursuivre les discussions tant que l’opposition ne retirerait pas son exigence de départ de Bachar el-Assad, dont elle fait un préalable à toute discussion. Bien que l'envoyé des Nations Unies Staffan de Mistura ait prolongé les pourparlers jusqu'au 15 décembre, ce qui a permis au gouvernement de regagner Genève le 12 (mais sans rencontrer de nouveau l’opposition), la session s’est achevée le 15 sans résultat. Comme Mistura, les diplomates occidentaux doutent de l’intérêt du régime, proche d’une victoire militaire, pour une négociation qui ne se réduirait pas à une simple reddition de ses adversaires. Par ailleurs, la Fédération du nord syrien, dominée par les Kurdes du PYD, qui contrôle pourtant près de 28% du pays, n’avait pas été invitée en raison de la farouche opposition turque…
Si, avec la défaite annoncée de Daech, la Turquie s’inquiète toujours du «corridor kurde» dans le nord syrien, Israël s’inquiète pour sa part de l’installation près de son territoire du «corridor chiite» vers la Méditerranée souhaité par l’Iran – au point de tirer le 2 décembre plusieurs missiles sur un site militaire au sud de Damas, peut-être un dépôt d'armes. Prémisses du conflit suivant? En tout cas, Poutine a annoncé le 11 un nouveau retrait russe depuis la base aérienne de Khmeimim, déclarant ensuite que le temps était maintenant à la diplomatie. Après sa 7e rencontre de l’année avec Erdoğan, le président russe a annoncé dans sa conférence de presse commune avec celui-ci la mise en application prochaine des décisions prises le 22 novembre à Sotchi entre présidents russe, iranien et turc, mettant notamment l’accent sur le «Congrès national de dialogue syrien» qu’il souhaite organiser à Sotchi début 2018. Selon Poutine, «les participants […] analyseront les problèmes [...] comme la future structure de l'État, l'adoption d'une constitution et la tenue d'élections sur la base de la Constitution et sous la supervision des Nations Unies». Les choses sont probablement plus complexes que Poutine veut le croire: le Congrès a été plusieurs fois retardé, la Turquie s’opposant à la présence du PYD que les Russes souhaitent inviter. D’autre part, le régime durcit ses opérations militaires pour arriver à Sotchi en vainqueur: il a notamment bombardé durant 20 jours l’une des dernières zones tenues par les rebelles, la Ghouta orientale de Damas, pourtant estampillée «zone de désescalade» après les pourparlers d’Astana, et où seraient piégés 400.000 civils. Selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), au moins 192 personnes, dont 43 enfants, 21 femmes et quatre membres de la défense civile, y ont été tuées depuis le 14 novembre, et Amnesty International accuse Damas d’y avoir lancé des bombes à sous-munitions d’époque soviétique, interdites dans 100 pays.
Concernant la lutte anti-Daech, les Forces démocratiques syriennes (FDS), alliance kurdo-arabe dont la principale composante demeure la milice kurde YPG, affiliée au PYD (Parti de l’unité démocratique), ont déclaré le 3 la fin de leurs opérations dans la province de Deir Ezzor, affirmant avoir avec l’aide de tribus arabes chassé les djihadistes de leur zone d'opérations à l’Est de l’Euphrate. L’armée gouvernementale continue quant à elle à combattre Daech sur la rive Ouest du fleuve. Mais ce qui a surpris les observateurs, c’est que dans leur communiqué, les FDS ont remercié non seulement la coalition internationale dirigée par Washington, qui les soutient depuis longtemps, mais aussi «les forces russes», pour leur «soutien aérien et logistique» et leur «coordination sur le terrain». Selon l'agence kurde ANHA, une délégation militaire russe dirigée par un général était même présente lors de l’annonce, et le Ministère russe de la défense a confirmé le 4 que «l’aviation russe [avait] mené 672 sorties et a bombardé 1.450 cibles en soutien à l'offensive des milices tribales de l'est de l'Euphrate et des milices kurdes». Le 4, le Général Eugeny, représentant de l’armée russe en Syrie, a annoncé après avoir rencontré les YPG l’établissement d’une salle conjointe de commandement avec eux contre Daech. Le 5, les États-Unis, qui ont environ 2.000 militaires sur place, ont annoncé qu'ils maintiendraient une présence militaire en Syrie «aussi longtemps que nécessaire».
Il est probable que Daech conservera un moment une capacité de nuisance. Son agence de presse, Amaq, a revendiqué le 10 une contre-attaque près des champs de pétrole d'Omari, où 14 combattants des FDS auraient été tués… Cette persistance d’un danger djihadiste comporte paradoxalement des aspects positifs pour les FDS, toujours confrontées à l’hostilité persistante du voisin turc. Le maintien d’une présence américaine, même minimale, et de relations de coordination militaire avec les Russes pourraient contribuer à limiter le danger turc comme celui d’une attaque du régime, et peut-être à obtenir l’acceptation par ces deux acteurs d’une autonomie kurde de facto dans un cadre constitutionnel? M. Erdoğan, qui depuis quelques mois, centre son discours belliqueux sur la région d’Afrîn, ne semble pas prêt à accepter une telle perspective, ayant même déclaré contre toute évidence le 3 dans un meeting AKP qu’il n’y avait «aucune différence entre Daech et les YPG»… Et le 17, le journal pro-AKP Yeni Şafak fulminait en ligne: «Malgré l'engagement du président Donald Trump, les États-Unis ont recommencé à envoyer des armes aux terroristes de la branche syrienne du PKK à Afrîn, incluant des missiles anti-tank TOW» («US sends anti-tank TOW missiles to PKK terrorists in Afrin»).
Même si cela ne doit pas faire oublier que c’est l’ensemble du Rojava qui est menacé, c’est bien Afrîn et ses environs qui sont depuis un an les cibles principales des bombardements des Turcs et de leurs supplétifs syriens – islamistes considérés par les YPG comme des mercenaires. Rien qu’en novembre, les YPG ont dénombré 44 attaques, 13 violations aériennes (avions et drones militaires), 12 échanges de tirs, 3 civils tués, 2 autres blessés. Les YPG-YPJ ont mené 24 ripostes, blessant 7 mercenaires et au moins un soldat turc. Le 4, selon l’agence kurde ANHA, l’armée turque a été repoussée du district de Bulbul, près d'Afrîn, où elle déclarait vouloir établir des points d'observation comme à Idlib. Le 9, un important convoi militaire comprenant près de 20 véhicules blindés et des dizaines de militaires est entré en Syrie par le poste-frontière de Kafr Losen pour se diriger vers le Mont Sheikh Al-Aqel à l’ouest du gouvernorat d'Alep. Le 13, les YPG ont déclaré avoir tué à l’ouest de Kobanê deux soldats turcs et blessé plusieurs autres qui tentaient de traverser la frontière en faisant exploser l’un de leurs véhicules. Le 16, toujours selon l’ANHA, l'armée turque est entrée dans la ville de Bailya, dans le canton d'Afrin, cherchant à ouvrir un couloir d’invasion à ses troupes.
Si le danger semble moins pressant du côté de Damas, les relations restent tendues. Le 12, le responsable de la défense du Rojava, Rezan Gilo, a réitéré sur Kurdistan 24 que les FDS étaient prêts à rejoindre l’armée syrienne si «une nouvelle constitution [était] rédigée sur une base fédérale et les droits de toutes les composantes syriennes préservés», mais le 18, devant des médias russes et officiels syriens, Bachar el-Assad a qualifié les FDS de «traîtres», car «travaillant pour le compte d’un pays étranger». Les FDS ont rétorqué n’avoir aucune leçon à recevoir d’Assad, qui avait lui-même ouvert les frontières du pays aux jihadistes étrangers et «libéré les terroristes de ses prisons pour qu'ils versent le sang des Syriens». Le 29, le Secrétaire américain à la Défense, Jim Mattis, a averti le président syrien de ne pas attaquer les FDS, mais la meilleure assurance des FDS contre une telle attaque est probablement le développement des relations avec les Russes, déjà mentionné au niveau militaire. Sur le plan politique, le 8e round des pourparlers d'Astana entre Russie, Turquie et Iran a abouti le 22 à la convocation à Sotchi d’un «Congrès des peuples syriens» pour les 29 et 30 janvier 2018. Le PYD n’y sera pas officiellement invité, a expliqué le 22 à Interfax l'envoyé spécial de Poutine en Syrie, Alexandre Lavrentiev: «Nous avons essayé d'assurer la plus large présence possible des Kurdes sans encourir le rejet de nos collègues turcs». Pour la Turquie, le PYD ne représente pas les Kurdes, et une liste de représentants «autorisés» des Kurdes syriens a été remise à la Russie…
Le 26, un groupe de partis kurdes, arabes et assyriens du Nord syrien (incluant le PYD au pouvoir), a dans un communiqué commun demandé à participer non comme groupes séparés mais sous l’ombrelle de la Région fédérale, cette entité autoproclamée en mars 2016 qui a permis l’intégration de régions à majorité arabe à un projet originaire du Rojava, arguant que «[La Région] représente la volonté des groupes et forces sociales [du Nord Syrien]». Cela éviterait une présence officielle PYD-YPG, mais il est trop tôt pour dire si cela surmonterait l’opposition de M. Erdoğan, en grande partie motivée par sa politique d’alliance avec les ultranationalistes du MHP en vue des présidentielles. Quoi qu’il en soit, le Commandement général des YPG a déclaré le 27 que la Région fédérale serait bien invitée, précisant: «Malgré les objections de la Turquie, pas moins de 155 délégués de la Région Nord-Est de la Syrie, peuplée principalement de Kurdes, seront présents à ce forum» (Tass). De son côté, l’opposition a objecté au rôle d’hôte de la Russie, considérée comme un agresseur.
Malgré ces incertitudes sur l’avenir, le 1er décembre se sont tenues les élections aux Conseils locaux dans les trois «Cantons» (Afrîn, Euphrate, et Cizre) de la «Fédération démocratique du Nord-Syrien», 2e phase d’élections ayant commencé le 12 septembre dernier à l’échelle du quartier («Commune»), et concernant les districts ou les villes. Bien que Damas ne reconnaisse pas la Fédération et ait qualifié ces élections d’«action unilatérale», celles-ci se sont déroulées dans le calme, un réel accomplissement dans la situation actuelle de la Syrie et du Moyen Orient. La Commission électorale en a annoncé les résultats dès le 5: avec une participation de 69 %, la «Liste pour une Nation démocratique» (Lîsta Netewa demokratîk, LND), comprenant le PYD, a remporté 4.621 sièges locaux, et l'Alliance nationale kurde (Hevbendiya nîştimanî a Kurdî li Surîyê, HNKS) et les candidats indépendants 339 sièges. Selon les chiffres de la Commission, la LND a obtenu à Cizre 93,6% des voix et 2.718 élus (sur 2.902 sièges), 88,7% et 847 élus (sur 954 sièges) pour l’Euphrate, et 89,8% et 1.056 élus (sur 1.176 sièges) à Afrîn. A Cizre, la liste HNKS a remporté 40 sièges et les candidats indépendants 144, l’Euphrate, le HNKS a obtenu 40 sièges et les indépendants 67, et à Afrîn les chiffres s’établissent respectivement à 8 (HNKS) et 40 sièges (indépendants). L’ENKS (Encûmena Niştimanî ya Kurdî li Sûriyê) avait fait le choix de boycotter la consultation.
La dernière phase de ces élections prendra place le 19 janvier, quand seront élus les Conseils législatifs de chaque canton et une Assemblée législative de la Fédération.
A côté de la mise en place progressive d’une gouvernance régionale, le Rojava travaille aussi à la réhabilitation des services: ainsi après 8 mois, malgré les pénuries d’électricité et d’eau, ses ingénieurs ont réussi à remettre en service le train Hassakeh–Qamishlo-Al-Ya’rubiyah (Tell Kocher en Kurde), une ville frontière avec l’Irak. Cette ligne de 80 km, qui n’avait pas fonctionné depuis 2005, a redémarré avec 2 trains et bientôt 3.
A New York, le procès de Mehmet Hakan Atilla, l’ancien dirigeant de la banque publique turque Halkbank accusé d'avoir violé les sanctions américaines contre l'Iran éclabousse les cercles dirigeants de l’AKP et notamment le Président turc et ses proches. Les deux principaux témoins, l’homme d’affaires turco-iranien Reza Zarrab, et son ancien adversaire Huseyin Korkmaz, policier d’Istanbul, chargé en 2014 de le pister, livrent paradoxalement des témoignages concordants et explosifs sur le système de contournement turc des sanctions américaines, évidemment utilisé pour générer de gros profits. Arrêté à Miami en mars 2016, Zarrab, sous protection du FBI, a commencé à parler pour éviter une condamnation, et Korkmaz, démis puis incarcéré 2 ans pour avoir arrêté Zarrab et surtout les fils de 3 ministres, est venu aux États-Unis avec sa famille… et des documents incriminant Erdoğan.
En démettant policiers et procureurs, celui-ci était parvenu à stopper l’enquête et à étouffer l’affaire, mais ce procès la fait ressurgir et les conséquences politiques pourraient être dévastatrices: sont impliqués le fils cadet d’Erdoğan, son gendre, 4 ministres du gouvernement de l’époque… Malgré d’énormes pressions sur la justice américaine, la Turquie n’a obtenu ni la libération de Zarrab ni le report du procès. Le 2 décembre, sans crainte du ridicule, le ministre des Affaires étrangères Mevlut Çavuşoğlu a accusé la magistrature américaine de gülénisme et le parquet d’Istanbul a annoncé l’ouverture d’une enquête sur les deux procureurs suivant l’affaire! Un mandat a même été émis le 20 contre les proches et l’avocat de Korkmaz, sans pouvoir le faire taire, puisque la police n’a pu les trouver…
La liste des hauts responsables mis en cause par Zarrab est longue. Mehmet Hakan Atilla, l’accusé, était directeur adjoint de la Halkbank: documents comptables à l’appui, Zarrab démontre sa complicité pour dissimuler les transactions. À Zafer Çağlayan, ministre de l’Économie de l’époque: entre mars 2012 et mars 2013, Zarrab aurait versé 60 millions d’US$ et promis «50-50» sur les profits! Egemen Bağış, ministre des Affaires européennes, a forcé une autre banque turque aux États-Unis à ouvrir un compte à Zarrab. Berat Albayrak, gendre d’Erdoğan (et actuel ministre de l’Énergie!), servait d’intermédiaire avec celui-ci. Selon Zarrab, le Président turc, alors Premier ministre, a, une fois Korkmaz limogé, ordonné personnellement la reprise des achats illégaux de pétrole iranien… Korkmaz, lui, a désigné Erdoğan et Bilal, son fils cadet, comme les principaux corrompus de son enquête de 2014.
Ce scandale a maintenant un impact politique. Fin novembre, lors d’une réunion du groupe parlementaire du parti kémaliste d’opposition CHP, son leader Kemal Kılıçdaroğlu a brandi des documents bancaires détaillant les transactions financières du beau-frère d'Erdoğan Ziya İlgen, de son frère Mustafa Erdoğan, de son fils Burak Erdoğan, du beau-père de celui-ci, Osman Ketenci, et de l'homme d'affaires Mustafa Gündoğan, avec les dates et montants de virements de millions de dollars effectués en 2011 et 2012 vers la compagnie Bellway Ltd, ouverte en 2011 sur l’île de Man. L’avocat du Président turc a dénoncé des faux, et Erdoğan a menacé publiquement à plusieurs reprises Kiliçdaroğlu de lui «faire payer le prix» de ses accusations. La répression s’est accrue sur le CHP, parti laïc accusé contre toute vraisemblance de «rouler pour Gülen»: parmi les 60 députés dont le Premier ministre a demandé le 29 novembre la levée de l’immunité, à côté des «cibles habituelles» HDP, on trouve Kılıçdaroğlu et plusieurs députés CHP. Le 13, la police a convoqué le représentant du FBI à Ankara à propos de l’audition de Korkmaz.
Est-ce pour faire oublier ces accusations? Le Président turc poursuit sa fuite en avant répressive, accroissant encore son isolement international. Ce mois-ci ont débuté dans tout le pays les procès des universitaires accusés de «propagande terroriste» pour leur pétition du 11 janvier 2016 dénonçant le massacre de civils kurdes par les forces de sécurité et appelant au retour de la paix. Signée par plus de 2.000 intellectuels turcs et étrangers, elle avait suscité la fureur du président Erdoğan, qui l’avait qualifiée de «trahison». Les premières audiences, visant 147 universitaires, et d’abord des enseignants de Galatasaray, Marmara et Istanbul, ont débuté le 5 décembre. Pour isoler les accusés, les procureurs poursuivent chacun d’eux individuellement, quasiment «à la sauvette», en une audience de quelques minutes, prévoyant 147 procès devant 7 tribunaux différents. Plusieurs diplomates, dont l'ambassadeur de France, ont assisté à la première audience où comparaissaient notamment 25 enseignants de l’université franco-turque de Galatasaray. Jugement renvoyé au 12 avril, les prévenus risquent plus de 7 ans de prison. Une 2e audience s’est tenue le 7 pour une trentaine d'autres signataires.
Les attaques contre le HDP ont continué. Le 1er, 66 personnes ont été arrêtées pour liens présumés avec le PKK ou Daech lors de raids policiers dans 2 provinces, dont Istanbul. Le 4, le procureur d'Ankara a demandé au ministère de la Justice la levée de l'immunité de 19 députés HDP, accusés de «propagande pour le PKK» en raison de slogans soutenant son leader emprisonné, Abdullah Öcalan. Le 7, après un an de détention préventive, s’est enfin tenue la première audience du co-président du HDP, Selahattin Demirtaş, dans un complexe pénitentiaire d’Ankara, et sans sa présence, refusée pour «raison de sécurité». Accusé de «direction d’une organisation terroriste», «propagande terroriste» et «incitation à la haine et au crime», Demirtaş risque 142 ans de prison. Alors que 1.250 avocats voulaient participer, la salle était limitée à 20 personnes, et les observateurs étrangers interdits d’entrée. Le tribunal a prolongé sa détention et renvoyé l’audience au 14 février… Petite victoire, il a accepté que l’accusé comparaisse en personne au tribunal régional d'Ankara, et non dans la salle pénitentiaire. Sa co-présidente, Figen Yüksekdağ, a comparu le 12 dans des conditions similaires pour une nouvelle audience, après avoir été condamnée à un an de prison deux semaines auparavant. Là encore, les observateurs internationaux ont été refoulés. Nouvelle mesure vexatoire, l’obligation faite aux accusés d’«infraction à l'ordre constitutionnel» de comparaître en combinaison orange et grise. Demirtaş a déclaré le 24 «préférer porter un linceul que [cet] uniforme et plier devant le fascisme». En fin de mois, il a annoncé qu’il ne serait pas candidat aux élections de 2019, dont les présidentielles.
On revient aussi aux interdictions linguistiques des années 80, des livres pour enfants au parlement: ainsi la médiathèque pour enfants handicapés de Diyarbakir, ouverte en 2014, a été fermée le 3 pour «terrorisme» par l’administrateur nommé après l’arrestation des élus, ses employés licenciés: les enregistrements étaient en kurde. Le 13, Osman Baydemir, député HDP de Şanlıurfa, a été banni de deux sessions du Parlement et condamné à une amende de 3.100 $ pour avoir prononcé le mot «Kurdistan» lors d’une intervention. Les députés AKP et MHP ont soutenu la sanction, les autres législateurs HDP sont sortis avec Baydemir en protestation. Le même jour, le procureur de Diyarbakir a demandé une enquête pour «propagande PKK» contre le site web d'information 1HaberVar créé par des journalistes de médias fermés par le gouvernement, suite à des reportages sur les prisonniers en grève de la faim et… l'utilisation du mot «Kurdistan» par les commentateurs (Turkeypurge). Le 14, la police a mené de nouveaux raids contre des membres du HDP et d’une plate-forme d’avocats (ÖHP). Le 27, le sociologue turc Ismail Besikçi (79 ans) a été brièvement arrêté et interrogé à Ankara et son domicile perquisitionné: suite à un «tweet» posté sous son nom, un mandat avait été émis contre lui pour «appartenance à une organisation terroriste armée». Le compte Twitter incriminé ne lui appartenait pas, et Besikçi (qui a déjà passé 17 ans en prison pour ses recherches et son soutien aux Kurdes) a été relâché après quelques heures. Ce même jour, Hurriyet Daily News a rapporté que les forces de sécurité étaient maintenant autorisées à ouvrir des lettres suspectes sur demande d’un procureur, sans autorisation d'un juge. Le 29, la police a arrêté 18 personnes soupçonnées de liens PKK dans les trois provinces d'Izmir, Mersin et Igdir (Yeni Safak).
La Turquie continue aussi à condamner des étrangers accusés de coopérer avec les YPG, la bête noire du Président, tels Marketa Vselichova et Miroslav Farkas, deux travailleurs humanitaires médicaux tchèques condamnés en août dernier à 6 ans et 3 mois de prison et emprisonnés à Van, qui ont vu leur peine confirmée en appel le 4. La défense va en appeler à la Cour suprême turque, ce qui pourrait prendre jusqu’à 9 mois (Prague Daily Monitor). Parallèlement, les menaces d’assassinat planent toujours sur la diaspora kurde en Europe et notamment en Allemagne: le député HDP Garo Paylan a déclaré posséder des informations à ce propos (Turkish Minute), ce qui a contraint le 22 le parquet d'Ankara à ouvrir une enquête qui risque peu d’aboutir. La veille aux États-Unis, deux accusés dans l’affaire de l’agression des manifestants pro-kurdes de mai dernier à Washington, qui avaient plaidé coupable en seconde instance, ont été condamnés à 1 an et 1 jour de prison.
Cette répression tous azimuts commence à provoquer des réactions même à l’AKP, témoin les critiques voilées d’Abdullah Gül contre un décret d’Erdoğan exemptant de toute poursuite pénale les civils s’étant opposés aux soldats rebelles de la tentative de putsch de juillet 2016. Gül a qualifié d’«inquiétant» pour la primauté du droit le fait qu’il protège aussi ceux qui prennent la justice entre leurs propres mains contre les activités «putschistes» et «terroristes». Sans même nommer Gül, Erdoğan l’a vertement remis à sa place.
Enfin, les accrochages militaires ont été nombreux, en Turquie comme au Kurdistan irakien. En Turquie, découverte troublante, un garde de village de Şırnak arrêté à Mardin le 8 a été trouvé en possession d’explosifs identiques à ceux utilisés le 10 décembre 2016 pour perpétrer l’attentat de Beşiktaş, revendiqué par les TAK, qui avait tué 46 personnes (Hürriyet). Le 13, le gouverneur de Diyarbakir a mis sous couvre-feu plusieurs zones près de Batman et Mardin et 4 villages près de Hasankeyf en raison d’opérations militaires, et le lendemain plusieurs autres villages. Le 14, les Forces spéciales, appuyées par des hélicoptères, ont mené des opérations contre les militants kurdes près du mont Ararat. Le 28, selon le bureau du gouverneur de Hakkari, 6 soldats ont été blessés par des roquettes visant deux bases militaires de Çukurca, Zer Tepe et Kırmızıkaya, ce qui a déclenché une opération aérienne. Les militaires s’attaquent même aux cimetières: selon plusieurs députés HDP de Bitlis, ils ont démoli au bulldozer le 22 sur l’ordre du gouverneur provincial un cimetière où étaient enterrés 267 combattants du PKK, transférant les restes à l’institut médico-légal d’Istanbul. Le 29, le HDP a accusé militaires ou policiers d’avoir détruit au moins 13 cimetières.
Au Kurdistan irakien, les frappes aériennes se sont succédé: la région d'Asos, dans la province de Sulaimaniyeh, déjà frappée fin novembre, a été prise pour cible plus d'une douzaine de fois; le 6, un avion a tiré un missile sur le camp de réfugiés de Makhmour, dans la province de Mossoul, tuant 6 gardes, sans réaction du gouvernement irakien. Le 11, l’armée de l’air turque a déclaré avoir éliminé 29 militants kurdes, et le 14 au soir, c’est le district de Soran, près de Sidakan, qui a été visé par des frappes aériennes et des tirs d’artillerie. Le lendemain, l’armée a annoncé avoir neutralisé 5 combattants du PKK (Anadolu). Puis le 23, l’armée turque a annoncé une opération terrestre anti-PKK, en accord avec Bagdad, sans donner de précisions. Le 26, d’autres frappes ont visé les les régions de Garê et Avashin, puis le soir des villages dans la région de Xakurke, contrôlée par le PKK.
Samedi 2 décembre, le président français Emmanuel Macron a reçu à l’Elysée une délégation du Gouvernement régional du Kurdistan, arrivée à Paris la veille sur son invitation officielle. Il s’agissait de la première visite officielle du GRK à l’étranger depuis le référendum du 25 septembre dernier.
Le Premier ministre de la Région du Kurdistan, Nechirvan Barzani, et le Vice-premier ministre, Qubad Talabani, dirigeaient la délégation. Après les entretiens, une conférence de presse commune s’est tenue devant les drapeaux français, européen, irakien et kurde. Emmanuel Macron, rendant hommage à la lutte des pechmergas contre Daech, et jugeant positif le cessez-le-feu kurdo-irakien décrété fin octobre, a réaffirmé «l'attachement de la France à la pleine mise en œuvre des droits constitutionnels des Kurdes d'Irak». Il a également rappelé que si «la France est attachée à un Irak fort», à «une intégrité territoriale essentielle dans la région», elle l’est aussi à «un plein respect du pluralisme dans la région comme en Irak». Il a notamment demandé «le plein respect des processus prévus par la constitution de 2005» et a réitéré son appel au lancement d’un «dialogue national […] constructif en Irak».
Si le Président français a pris position pour «la légitimité d'un contrôle fédéral des frontières extérieures», alors que le GRK défend plutôt l’idée d’un contrôle conjoint, il a aussi appelé à «des […] transferts financiers justes dans l'esprit de la constitution pour permettre à l'ensemble des régions de vivre», pointant là les tentatives du gouvernement central pour diminuer la dotation du Kurdistan. Il a aussi appelé à «une démilitarisation progressive en particulier de la mobilisation populaire», appelant au démantèlement des milices Hashd al-Shaabi, ce qui a provoqué la colère des dirigeants chiites. Il a aussi lancé un appel au «plein respect des éléments territoriaux prévus par la constitution, en particulier l'article 140» [selon lequel les populations des territoires disputés auraient dû décider elles-mêmes de leur devenir par référendum avant 2007], appelant par ailleurs à l’unité des Kurdes pour mieux faire valoir leurs droits. Le Premier ministre du GRK a répondu que son gouvernement était prêt à des négociations avec Bagdad «pour régler tous les problèmes», ajoutant que la France pouvait «jouer un rôle très important» dans ce processus. Le président français a indiqué qu'il ferait part à Haydar al-Abadi de son échange avec la délégation kurde et qu'il lui rendrait compte des concessions qu'était prête à faire la Région du Kurdistan pour renouer le dialogue.
Rappelons que dès le 27 septembre dernier, Emmanuel Macron avait téléphoné au premier ministre irakien pour proposer sa médiation entre Bagdad et Erbil – une proposition à l’époque sèchement repoussée par Abadi, que le Président français avait ensuite invité le 5 octobre à Paris, avant de lui téléphoner de nouveau le 28 octobre.
La délégation kurde partait ensuite pour Berlin, où elle avait été également invitée officiellement. Elle y a été reçue par la chancelière allemande Angela Merkel et son ministre des Affaires étrangères qui ont promis que l’Allemagne continuerait à former les pechmergas et à intervenir auprès de Bagdad pour une reprise de dialogue avec le GRK.
Les confrontations militaires kurdo-irakiennes se sont apaisées, mais la tension demeure vive par endroits, comme près de Kalar, ou une milice chiite a tenté le 2 décembre de prendre 2 checkpoints tenus par les pechmergas depuis 2003. Le 26, quand les Irakiens ont tenté de prendre le contrôle d'une route entre Jalawla et Kalar, l’affrontement n’a été évité que sur intervention du Ministre de l’intérieur irakien, Qasim al-Araji, qui a ordonné leur arrêt – il a été accusé le lendemain par Abadi d’«interférence dans les affaires militaires». A Touz Khourmatou, les Irakiens ont riposté le 12 à des tirs de mortier en bombardant des villages kurdes, et le 19, Le Conseil de sécurité du Kurdistan s’est alarmé de mouvements irakiens à Makhmour (Sud-Ouest d’Erbil).
Bagdad a aussi poursuivi ses mesures punitives. Des voyageurs contraints par la fermeture des aéroports kurdes de transiter par Bagdad ont dû payer jusqu’à 430 US$ de «frais administratifs». Le 13, 77 ONG ont appelé Abadi à stopper ce blocage qui empêche l’aide humanitaire aux déplacés. Alors que le 26, le ministre irakien de l'Intérieur avait promis à une délégation kurde (la première à Bagdad depuis le référendum) qu'il demanderait la réouverture des aéroports, l’interdiction, qui expirait le 29, a été prolongée de 2 mois le lendemain. Bagdad a aussi cessé depuis 3 mois tout envoi de fournitures médicales sous prétexte du «manque de sécurité des routes», et, exhumant une loi de 1998, demande maintenant aux sociétés kurdes voulant investir ou vendre des produits dans le reste de l’Irak d’obtenir d’abord une autorisation… Petite bouffée d’air, l’Iran a annoncé le 18 la réouverture des 2 postes-frontières de Haji Omran et Parwezkhan.
Le 26, le Premier ministre irakien a annoncé l’ouverture de «discussions techniques» avec Erbil sur les aéroports et les postes-frontières, réitérant son exigence qu’ils soient placés sous contrôle fédéral. Inflexible, il a rejeté le 30 une tentative de médiation du président turc qui suggérait une gestion conjointe kurdo-irakienne, ainsi que tous les appels au dialogue et au respect de la Constitution lancés tardivement par différents dirigeants étrangers qui avaient abandonné le Kurdistan en octobre: celui, après sa rencontre avec le Nechirvan Barzani le 2, du Président français, ceux du secrétaire d'Etat américain Rex Tillerson le 13, du Premier ministre néerlandais Mark Rutte le 15, du Ministre allemand des Affaires étrangères le 18 (qui a exprimé son soutien aux «droits constitutionnels du GRK et du peuple kurde au sein d'un Irak unifié»), de la Secrétaire générale adjointe de l'OTAN (qui a appelé à un «statut spécial» pour les Kurdes), des députés européens dans un courrier daté du 20. Il a aussi ignoré les appels au dialogue venus d’Irak même, comme celui le 26 du Vice-président Iyad Allawi, qui a appelé à cesser les mesures punitives et exprimé son inquiétude à propos de Kirkouk.
En effet, la situation des «territoires disputés» maintenant contrôlés par Bagdad apparaît dramatique. A Touz Khourmatou, 17 policiers kurdes ont été arrêtés le 4 et envoyés à Tikrit pour avoir participé au référendum, après 12 de leurs collègues arrêtés le 18 octobre puis libérés. Le 12, le maire de la ville a appelé le GRK, le gouvernement irakien et les agences internationales à faciliter le retour des habitants déplacés et a appelé à la création d’une force conjointe kurdo-irakienne, accusant Bagdad d’avoir empêché le déploiement de la Garde présidentielle. Le 16, la Mission d'assistance des Nations Unies pour l'Irak (UNAMI), venue en ville les 7 et 13 décembre, a confirmé que des centaines de maisons kurdes ou turkmènes avaient été incendiées ou bombardées. Pourtant, affirme un responsable local de l’UPK, l’UNAMI, guidée par les Hashd chiites, n’a pas visité les quartiers kurdes les plus touchés: Rûdaw avait montré le 26 novembre des milliers de maisons pillées, brûlées, bombardées ou confisquées… Depuis, seuls les médias pro-Bagdad peuvent entrer en ville. Le 17, l'UNAMI appelait l'Irak à juger les auteurs des crimes de Khourmatou, mais le gouverneur intérimaire nommé par Bagdad, le sunnite Said al-Jabouri a qualifié la situation sécuritaire de «normale», engageant les déplacés à revenir.
Al-Jabouri, justement, a été accusé le 11 par plusieurs membres du Conseil provincial de gouverner en autocrate, tandis que la situation locale rend difficile la réunion du Conseil nécessaire à l’élection d’un nouveau gouverneur, comme le souhaiterait l’UPK. Le président du Conseil, Rebwar Talabani (Union islamique, Yekgirtû) et les élus du PDK refusent toute réunion en ville. De nombreux locaux de partis kurdes ont été pillés et confisqués par les milices et forces irakiennes, et les employés kurdes subissent limogeages et pressions: le 9, trois responsables kurdes du Département de la santé ont été remplacés par des Turkmènes, le 24, plusieurs employés municipaux ont reçu des questionnaires demandant s’ils avaient participé à l’organisation du référendum d’indépendance. Le Directeur de l’agriculture pour Kirkouk s’est réfugié à Erbil et le 27, celui de Daquq a été remplacé par un turkmène… Les Kurdes en général sont réprimés: le 17, «Journée du drapeau» au Kurdistan, puis le 19, les Hashd ont mené de véritables raids à l’université pour appréhender des étudiants portant leur costume traditionnel, qui ont subi des heures d’insultes avant d’être libérés. La nuit suivante, des groupes armés circulant dans des véhicules militaires au drapeau irakien ont taggé des menaces de mort sur des maisons kurdes. Enfin, des villageois kurdes de la région de Dibis ont témoigné de raids dirigés par un officier du renseignement accompagné de forces de police et de centaines de membres de tribus arabes, munis d’ordres d’expulsion signés du gouverneur: on leur a donné 72 heurs pour quitter leurs maisons. Informé, le ministre de l'Intérieur irakien a le 29 fait transférer et sanctionner l’officier responsable.
Dans la province voisine de Mossoul, les villageois chrétiens de la plaine de Ninive continuent à demander une protection internationale et se montrent de plus en plus alarmés par l’action de l’Iran, qui a même récemment suscité la création d’une milice chrétienne liée à l’organisation Badr, la «Brigade de Babylone»…
La colère des Kurdes a aussi été suscitée par la proclamation officielle le 9 par M. Abadi de la défaite de Daech en Irak, dans une allocution télévisée où les pechmergas, qui ont subi 2.000 morts et 10.000 blessés, n’ont été ni remerciés ni même mentionnés. Le Bureau du Premier ministre a ensuite corrigé sa déclaration écrite pour inclure les peshmergas, et le 12, le porte-parole du gouvernement a attribué cette omission à une… «erreur d’impression». De plus, Daech a lancé le 19 une nouvelle attaque à Makhmour, que les pechmergas, en alerte face aux Irakiens, ont repoussée. En fin de mois, d’autres attaques djihadistes dans la province d’Al-Anbar ont même fait craindre pour Hawija…
Le bras de fer Bagdad-Erbil concerne aussi le budget du Kurdistan, qu’Abadi prétend réduire de 17% à 12,6%. De plus, le projet de loi de finances parle de «Provinces du Nord» et non de «Région du Kurdistan», pourtant reconnue constitutionnellement. Abadi a promis à plusieurs reprises de payer les salaires des fonctionnaires du GRK, annonçant le 6 avoir commencé un audit de leur liste, mais le porte-parole du GRK, Safîn Dizayî, a déclaré que Bagdad n’avait même pas encore demandé les listes… Le 11, la discussion sur le budget fédéral à Bagdad avait déjà été repoussée deux fois en raison de l’opposition des députés kurdes et sunnites. Le 21, le FMI a déclaré le budget proposé insuffisant pour «couvrir les besoins du GRK» et suggéré une augmentation de 5,56 à 8,43 milliards de dollars. Le 27, Bagdad a envoyé leurs salaires de novembre aux 400 employés des 17 barrages du Kurdistan, qui fournissent une grande partie de l'eau de l'Irak, et Abadi a déclaré que les listes des ministères GRK de l’Education et de la Santé étaient en cours d’audit. Ces 2 ministères l’ont confirmé le 29, précisant qu’avant de les envoyer à Bagdad, ils les vérifiaient sur la base du système biométrique introduit en octobre.
Dans la seconde partie de décembre, d’importantes manifestations anti-corruption et anti-austérité ayant dégénéré en émeutes ont éclipsé les autres nouvelles, dont la demande de Nechirvan Barzani au Parlement le 17 d’entamer la préparation des élections parlementaires et présidentielles, à tenir sous 3 mois. L’annonce du GRK le 11 d’une priorité 2018 aux salaires et aux services de base n’a pas suffi à calmer la colère de la population. Considérant que le GRK, incapable de payer les salaires comme d’entamer des négociations avec Bagdad, a perdu toute légitimité, Goran a décidé le 14 de s’en retirer. Le 16, des centaines de personnes sont descendues dans la rue à Chamchamal, protestant notamment contre les coupures d’eau et d’électricité. Le 18, des milliers de manifestants exigeant leurs salaires et la démission du GRK, lui reprochant sa corruption et son incapacité à défendre les territoires disputés, ont défilé à Souleimaniyeh et dans sa province, dans des villes de la province d’Erbil et à Kalar, Ranya, Taqtaq, Chamchamal, Koya, Rawanduz, Halabja, Said Sadiq, et Qala Dize. À Piramagroun, à 30 km au Nord-Ouest de Souleimaniyeh, ils ont incendié les sièges des 5 principaux partis kurdes; à Souleimaniyeh, les policiers ont utilisé des gaz lacrymogènes pour protéger les sièges des partis. Les manifestations ont repris le lendemain à Souleimaniyeh, Ranya, Kifri et Halabja, ainsi qu’à Koysinjaq, où la mairie et le bureau du PDK ont été incendiés. A Souleimaniyeh, la police a établi des barrages sur les axes principaux et tiré en l’air pour disperser les manifestants; à Halabja, les manifestants ont attaqué le bureau de l’UPK. L'incident le plus grave s’est déroulé à Ranya (130 km au Nord de Souleimaniyeh), où les sièges du PDK et de l’UPK ont été incendiés, et où les forces de sécurité ont ouvert le feu, faisant 5 morts et au moins 70 blessés. De source médicale, le bilan global s’établit à 12 morts et près de 200 blessés, dont de nombreux policiers. Le même jour, Shashwar Abdulwahid, l’ex-propriétaire de la chaîne de télévision NRT, fondateur du mouvement New Generation, accusé d'incitation à manifester «pour renverser le gouvernement», a été arrêté avec sa femme à son arrivée de Londres à l’aéroport de Souleimaniyeh. Il avait publié la veille un communiqué appelant à manifester, mais de manière pacifique, ajoutant qu’il revenait pour lui-même participer. Le soir, la Sécurité a investi le siège de la NRT et interrompu ses émissions. Le lendemain, Souleimaniyeh était quadrillée par la Sécurité en un dispositif impressionnant. A Ranya, les manifestants, défiant la police, ont jeté des pierres sur le siège de Goran. Au 26, on comptait au moins 600 arrestations depuis le 18, alors qu’Abdulwahid était remis en liberté sous caution.
Face à cette grave crise, Goran a retiré ses 10 ministres du GRK (dont la plupart ne siégeaient plus depuis plus d’un an), comme le Groupe islamique (Komal, 2 ministres), avant d’appeler sur KNN à la grève générale. Le 21, Barham Salih, ancien Premier ministre du GRK ayant quitté l’UPK en septembre pour lancer sa «Coalition pour la démocratie et la justice», alertant contre toute intervention irakienne dans les affaires internes du Kurdistan, a appelé à manifester pacifiquement et à un gouvernement intérimaire de «Salut national» – demande rejetée par le GRK. Le 24, à l’issue de 2 jours de réunions, l’Union islamique (Yekgirtû) a décidé de constituer une commission d’enquête parlementaire sur les violences et de demeurer au GRK, mais sous conditions, notamment le paiement des salaires. Le 26, le Président du Parlement, Youssef Mohammed (Goran), annonçait sa démission; le même jour, le ministère de la Culture du GRK prolongeait d'une semaine la suspension de la NRT pour maintenir le calme à Suleimaniyeh, une décision annulée par décret le lendemain par le Vice-premier ministre Qubad Talabani – sous condition que NRT déclare son respect des lois. Le 28, New Generation a reçu l’aval de la Commission électorale du Kurdistan pour participer aux élections.
Le Kurdistan a été de nouveau frappé par plusieurs secousses sismiques ce mois-ci: les 7 et 8 décembre, deux séismes de magnitude 4,2 et 4,1 ont frappé les régions frontalières entre la ville de Halabja au Kurdistan d’Irak et le Kurdistan d’Iran. Puis quelques jours plus tard, le 11, un autre séisme de magnitude 5,4 a frappé Halabja vers 17 h, suivi une demi-heure plus par une autre secousse de magnitude 4,9. Onze personnes ont été blessées côté irakien et il y a eu des dommages matériels. Près de 50 personnes souffrant de traumatismes psychologiques ont également été hospitalisées. Le 12, le Kurdistan iranien a été frappé par une autre secousse.
Mais ces tremblements de terre apparaissent mineurs comparés à celui du 12 novembre au matin, qui avait fait des centaines de morts et de blessés en Irak et en Iran. La population du Kurdistan d’Iran, et en particulier de la région de Kermanshah, s’est sentie abandonnée par les autorités et 15 jours après le séisme, le 30 novembre, des personnes interviewées demandaient ouvertement pourquoi celles-ci «envoyaient de l'aide au Liban, en Palestine, en Syrie, mais pas à nous?». Les critiques du gouvernement iranien se sont intensifiées sur les réseaux sociaux, certains accusant celui-ci de ne pas apporter d’aide «parce que nous sommes Kurdes»… Particuliers et organisations à but non lucratif se sont mobilisés pour suppléer au manque d’action publique. Ainsi un professeur de l'Université de Téhéran, a entamé dès qu’il a appris la catastrophe une récolte de fonds par le financement participatif, parvenant à lever plus de 300.000 US$ en moins de 2 jours. De manière significative, il n’a pas fait confiance aux organismes publics pour distribuer l’aide et a décidé de se rendre sur place lui-même pour superviser la distribution… Tout aussi significativement, ce n’est que le 9, près de 3 semaines après la secousse, que de nombreuses nouvelles victimes ont pu être identifiées et que le bilan a été revu à la hausse pour s’établir à 579 morts. Cela en dit long sur le manque de réactivité des autorités...
De plus, dans cette zone frontalière très montagneuse, les températures hivernales peuvent être très sévères. Le 11, le temps s’est brusquement aggravé, amenant d’importantes chutes de neige alors que de nombreux habitants de la région de Kermanshah victimes des secousses en étaient toujours réduits à vivre dehors près des décombres de leur maison. Ceci est venu rendre leurs conditions de vie encore plus difficiles. Le nombre élevé de morts est aussi en grande partie dû à la mauvaise qualité de construction des logements sociaux attribués à la population des zones kurdes, parmi les plus pauvres du pays. Enfin, quinze personnes désespérées de leur propre situation et du manque d’assistance des autorités se seraient suicidées dans le mois qui a suivi le séisme…
Au total, le tremblement de terre du 12 novembre apparaît comme le plus meurtrier du monde en 2017.
Côté irakien, la chaîne kurde Rûdaw a lancé le 15 décembre une souscription pour aider les habitants de Derbandikhan victimes du séisme de novembre à retourner dans la ville et y reconstruire leur maison. La ministre irakienne de la Santé, Adila Hamud, a exprimé le 21 son soutien à cette campagne, qui avait au 28 décembre permis de collecter, en deux semaines, 270.000 US$ et des tonnes d’aide en nature provenant de personnes privées kurdes. A noter que l’aide envoyée par la milice chiite Asa'ib Ahl al-Haqq dans les villes kurdes de Darbandikhan et Sartaki Bamo, consistant en tentes et autres fournitures de première nécessité, avait été refusée le 17 novembre par Sartaki Bamo, qui a accusé le groupe d’être responsable de violations des droits de l'homme à Touz Khourmatou.
Les nouvelles en provenance du Kurdistan d’Iran concernent toujours hélas les abus des forces de sécurité contre la population et en particulier contre les porteurs de marchandises appelés kolbars, que pasdaran (Gardiens de la révolution) et gardes-frontières, qui les considèrent comme des contrebandiers, prennent régulièrement pour cible. Le 6 décembre, trois d’entre eux ont encore été abattus dans la province d'Ourmia, selon l'agence kurde Hawar News, qui rapporte aussi que dans le village de Kaiman Bahurman, 1 kolbar a été blessé, plusieurs autres arrêtés et leurs marchandises confisquées. A Zanjan, un autre porteur a été grièvement blessé. Près de Sardasht, des porteurs ne transportant pourtant aucune marchandise ont été arrêtés sur le chemin du retour et battus par les gardes-frontières. Le 17, toujours près de Sardasht, les gardes-frontières ont tué par balles deux autres porteurs.
Le 19, Ali Shamkhani, secrétaire du Conseil national de sécurité iranien, en visite dans la province du Kurdistan, a déclaré que le gouvernement entendait développer l’économie de la province pour mettre fin au commerce des kolbars. C’est qu’en effet, l’état de l’économie du Kurdistan d’Iran, déjà gravement sinistrée, a encore été aggravé par la fermeture des postes-frontières avec le Kurdistan irakien suite au référendum d’indépendance du 25 septembre. Cette fermeture a contraint de nombreux commerçants kurdes d’Iran à se tourner vers la contrebande, principalement d’alcool et de cigarettes. De plus, malgré l'annonce par le ministère de l'Intérieur le 18 de la réouverture «dans les 48 heures» du poste-frontière de Parvizkhan, dans la province de Kermanshah, le 26 la frontière était selon le directeur de la Chambre de Commerce de cette ville toujours fermée, ce qui a entraîné la perte de 3 000 emplois. Côté irakien, le maire du district de Haji Omran a déclaré le même jour qu’il en était de même pour le point de passage donnant sur cette ville, et le député kurde iranien Heshmatollah Falahatpisheh a même évalué les pertes causées par la fermeture des postes-frontières à 2,5 milliards de dollars (Financial tribune en ligne du 30/12 ->).
Dans ce contexte socialement tendu, les forces de sécurité ont encore resserré leur contrôle et leur répression, et emprisonnements et condamnations abusives se sont succédé, visant activistes politiques, intellectuels ou même personnes du commun ayant osé manifester leur soutien au référendum d’indépendance organisé le 25 septembre de l’autre côté de la frontière. Selon l’organisation Iran Human Rights Monitor, elles ont le 2 décembre arrêté et emmené dans un endroit inconnu deux citoyens kurdes de Marivan, puis sévèrement battu un autre qui a subi des fractures au visage, à la tête et aux côtes. Le 3, l'activiste Mohammad Karimi a été arrêté à Bokan, et 6 autres convoqués et interrogés par l'Agence de renseignement de Sanandaj. La police a également arrêté deux activistes politiques kurdes, Tahsin Dadrasy et Aram Nickpayee, dans la ville de Mariwan (WKI).
Ces abus ont aussi touché des Kurdes de la province de Khorasan. Le 5, la police a arrêté Eli Reza Spahi, un écrivain kurde populaire de la ville de Meshhed. Auteur de nombreux livres, Spahi est connu comme très critique du régime.
Le 7, le frère du prisonnier politique Afshin Hossein Panahi, Amjad Hussein Panahi, a déclaré que des agents du ministère du Renseignement avaient torturé son frère à coups de décharges électriques et lui arrachant les ongles à la prison de Sanandaj pour le forcer à avouer avoir communiqué avec des groupes politiques kurdes. Les chocs électriques ont été si violents que la tête du prisonnier a été brûlée, et il a été aussi blessé au genou et au dos. Malgré cela, on lui a refusé tout traitement médical. Le 13, une femme, Soheila Zobeiri, 46 ans, et sa fille, Safa Hassanpour, 18 ans, ont été emprisonnées à Sardasht pour avoir participé en mai 2015 à des rassemblements de protestation contre la mort à Mahabad d'une jeune femme kurde, Farinaz Khosravani, 26 ans, travaillant à l'hôtel Tara de Mahabad, qui s’était défenestrée du 4 étage le 4 mai 2015 pour échapper à un viol par un agent du ministère du Renseignement. Sa mort avait provoqué des manifestations massives dans tout le Kurdistan iranien. Les deux femmes ont été condamnées respectivement à 24 et 6 mois de prison pour «trouble à l'ordre public» (NCRI Women Committee). Le 17, 3 militants kurdes ont été condamnés respectivement à 7, 7 et 4 ans de prison pour leur activisme politique.
Par ailleurs, depuis le 25 septembre, les pasdaran orchestrent une campagne d'arrestations massives contre les personnes accusées d’avoir soutenu le référendum d'indépendance du Kurdistan irakien (WKI). Ainsi Zamana Zewiya, étudiante à l'Université Payam Noor de Saqqez, qui avait participé à un rassemblement de soutien au référendum, accusée les 4 et 5 novembre d’«actes contre la sécurité nationale», «participation à des rassemblements illégaux» et «trouble à l'ordre public», déjà condamnée à Saqqez le 15 novembre à une peine de prison, puis libérée sous caution, a été le 12 décembre condamnée à 50 coups de fouet. Le 27, 3 autres Kurdes ont reçu la même peine pour la même raison, augmentée de 1.800.000 tomans d’amende.
Selon l'Association pour les droits de l'homme au Kurdistan d'Iran à Genève (KMMK-G), l'Iran a exécuté durant les 10 premiers mois de 2017 au moins 64 prisonniers kurdes, tué 57 kolbars et en a blessé 120 (mais Rûdaw parle de 165 kolbars tués et 150 blessés en 2017). Par ailleurs, 23 journalistes et activistes ont été arrêtés au Kurdistan, et 5 journalistes kurdes condamnés à 12 ans et 6 mois de prison. Par ailleurs, des actions ont été menées à l’étranger contre des cibles désignées comme les membres du parti kurde iranien Komala réfugiés dans un camp près de Sulaimaniyeh, au Kurdistan d’Irak, où 3 bombes ont été découvertes le 30 décembre et désamorcées. Rappelons qu’après un an, aucune conclusion n’a encore été apportée à l’enquête concernant l’attaque meurtrière contre le siège du PDKI près de Koysandjak, qui avait le 20 décembre 2016 fait 5 victimes parmi les membres de ce parti et 2 autres chez les forces de sécurité du GRK… L'Iran, soupçonné de se trouver derrière cet attentat, n'a jamais confirmé, ni nié sa participation.
Le 28 décembre, ont débuté à Mashhad, la 2e ville d’Iran, dans le Nord-Est du pays, des manifestations qui ont d’abord concerné la rapide flambée des prix des produits de base, mais ont rapidement pris un caractère politique et se sont étendues dans d’autres villes, dont la capitale Téhéran et Kermanshah au Kurdistan. Face à la colère populaire, le régime a recouru à la théorie du complot, désignant des «agitateurs étrangers». Des vidéos ont montré des manifestants scandant «Laissez la Syrie tranquille, occupez-vous de nous!», en critique du coûteux soutien militaire apporté au régime syrien alors que les Iraniens sont victimes de difficultés économiques considérables. Malgré de nombreuses arrestations et les menaces des autorités, les appels à la protestation ont continué à circuler sur les médias sociaux, les manifestants reprenant des slogans contre la corruption et pour la démission du Président Rohani, pour la libération des prisonniers politiques et l’arrêt des brutalités de la police.
Le 29, les manifestations ont été massives à Kermanshah, où les slogans appelaient à la libération des prisonniers politiques. Des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux ont montré à Kermanshah les forces de sécurité attaquant les manifestants avec des matraques et utilisant des canons à eau pour disperser la foule, ainsi que des manifestants blessés.
Le 30, de nombreuses forces de sécurité ont été déployées pour empêcher les manifestations. Un manifestant de Kermanshah a témoigné que la police avait mené de violentes attaques «avec des matraques, des coups de poing et des pierres». Le PDKI a rapporté que plusieurs manifestants avaient été tués et 4 blessés dans la province de Kermanshah après que les pasdaran aient ouvert le feu sur la foule, et qu’au moins 6 autres personnes avaient été tuées au Lorestan. Les partis politiques kurdes PDKI et Komala ont exprimé leur soutien aux manifestations dans une déclaration conjointe, appelant les autorités à libérer les personnes arrêtées les jours précécents et caractérisant les manifestations comme «le signe d'une colère collective contre la mauvaise gouvernance, la corruption, l'injustice et la dictature qui ne laisse aucun espace pour exprimer des demandes pacifiques par des moyens pacifiques».
Malgré la violence de la répression, les manifestations se sont poursuivies le 31 pour une quatrième journée. C’est le plus important mouvement populaire dans le pays depuis le «Mouvement vert» de 2009.
Le romancier kurde Bakhtyar Ali a reçu le 10 décembre en Allemagne, à Dortmund, le prestigieux prix littéraire Nelly-Sachs, attribué par la ville tous les deux ans. Deux des romans d’Ali, La Cité des musiciens blancs, et Le dernier fruit de grenade au monde, ont été traduits du kurde soranî en allemand, permettant à l’auteur de devenir le premier lauréat du prix pour des ouvrages écrits dans une autre langue. Le communiqué présentant l’attribution du prix note que «Le fait qu’un auteur kurde ait pu recevoir ce prix alors que seulement deux de ses romans ont été traduits est à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire du prix – mais montre aussi l’étendue du talent de l’auteur».
L’Institut kurde a récemment reçu deux ouvrages concernant la musique kurde, accompagnés de deux DVD. Il s’agit de Şakarên Muzîka Kurdî, en français Les chefs-d ’œuvres de la musique kurde, véritable somme de 900 pages, et produit de plusieurs années de travail par la chercheuse Zeynep Yaş, qui retrace l’histoire des chanteurs et des chansons kurdes, au travers de 142 chansons différentes et 142 artistes, couvrant la période de 1803 à 2015 (le premier volume concerne 52 artistes de la période 1803-1930, le second 58 artistes et 1931-2015). Les chansons présentées couvrent les dialectes kurmancî, soranî et zazakî. Ces deux volumes, qu’on ne peut que recommander, ont pu être publiés avec le soutien de la municipalité métropolitaine de Diyarbakir (Vol.1, Vol. 2).
L’Institut a également reçu deux ouvrages récents (2017) portant sur les événements politiques au Rojava, dont, pour chacun d’entre eux, l’auteur ou les auteurs sont venus faire une présentation dans les locaux de l’Institut. Il s’agit d’une part de La Commune du Rojava. L’alternative kurde à l’Etat-nation, une co-édition Syllepse (Paris) et Critica (Bruxelles), un ouvrage collectif dirigé par Stephen Bouquin, Mireille Court, et Chris den Hond, et de La Révolution kurde. Le PKK et la fabrique d’une utopie, à La Découverte, d’Olivier Grojean.
La Commune du Rojava, résolument engagé aux côtés du Rojava, rassemble des contributions de plus d’une vingtaine d’auteurs différents (dont Immanuel Wallerstein, Michael Löwy ou encore David Graeber) allant d’exposés plutôt théoriques à des entretiens avec des militants kurdes, et tente de replacer les développements récents au Rojava dans un contexte politique plus large, en montrant que les ceux-ci doivent concerner bien au-delà de celles et ceux qui s’intéressent aux Kurdes, comme «enjeu politique de première importance», bien au-delà du Moyen Orient. Les différents chapitres abordent entre autres le confédéralisme démocratique de Murray Bookchin, l’une des bases de la tentative de cette tentative anti-étatique, et la position des femmes au Rojava constitue le thème central de quatre des contributions. L’ouvrage, qui n’élude pas les contradictions de l’expérience en cours, se conclut par la transcription d’une table ronde consacrée à la compréhension et à la manière de soutenir ce «combat des Kurdes pour une société libérée».
La Révolution kurde est, en contraste, le produit de la recherche d’une seule personne, universitaire enseignant en sciences politiques. L’auteur constate d’abord que, si l’utopie du Rojava intéresse largement dans le monde entier, l’organisation politique qui lui donne largement sa structure, le PKK, Parti des travailleurs du Kurdistan, au travers de son «organisation-sœur» kurde syrienne, le PYD, Parti de l’unité démocratique, demeure «largement méconnue». Le livre s’attache donc à retracer l’évolution de ce parti (et de sa mouvance), depuis sa fondation en Turquie dans les années 70, avec son idéologie d’origine marxiste-léniniste tirant aussi des éléments des révoltes kurdes qui l’ont précédé, son passage à la lutte armée qui débouche sur une «sale guerre» impitoyable menée contre lui par l’Etat turc, jusqu’à son changement de paradigme, consécutif à l’incarcération de son leader Abdullah Öcalan, vers le confédéralisme démocratique inspiré du «municipalisme libertaire» du penseur américain Murray Bookchin (dont la veuve, Janet Biehl, signait justement une intervention dans l’ouvrage précédent). Tout en posant la question de l’ambiguïté de l’expérience en cours, entre confédéralisme démocratique et léninisme maintenu de l’organisation, l’auteur conclut que cette ambiguïté lui permet justement de mobiliser largement et rend l’expérience politique en cours porteuse d’une émancipation qui pourra difficilement être remise en cause – si les circonstances géopolitiques régionales le permettent.