Le principal événement du mois demeure l’entrée de l’armée turque et de ses auxiliaires syriens dans Afrîn le dimanche 18, après presque deux mois de durs combats et de bombardements aériens intensifs. Les miliciens syriens se sont immédiatement lancés dans le pillage à grande échelle des maisons abandonnées par les résidents kurdes…
Lancée le 20 janvier, l’invasion turque avait longtemps piétiné, les YPG reprenant systématiquement les localités tombées, avant que l’avance ne s’accélère à partir de début mars. Le 6, les Turcs et leurs alliés contrôlaient environ 30% des villages de la région d’Afrîn, et la prise le 8 du bourg de Jandairis leur a ouvert la route d’Afrîn par la vallée de la rivière du même nom. Le 10, les agresseurs affrontaient violemment les YPG à 4 km d’Afrîn, provoquant la fuite de 2.000 civils vers le sud et les villes de Nobol et Zahraa, contrôlées par Damas. Du 14 au 17, cette route incessamment bombardée, la seule encore ouverte, était empruntée par plus de 200.000 civils, dont 20.000 Yézidis du Sindjar ayant trouvé refuge dans la région après le génocide de 2014… Lorsque les YPG se sont retirés, les Turcs et leurs supplétifs djihadistes sont entrés dans une ville où ne restaient plus que quelques milliers d’habitants.
Se laissant complaisamment photographier l’index levé dans le signe djihadiste de Daech, les combattants pro-turcs ont inauguré leur contrôle en détruisant la statue de Kawa le Forgeron (Kawa Asingêr), le héros révolutionnaire du Newrouz kurde qui renversa le malfaisant tyran Zohak. On ne saurait mieux poser symboliquement l’équivalence entre M. Erdoğan, leur maître, et Zohak. Le Zohak mythique avait deux serpents sur les épaules, qui lui réclamaient sans cesse les cerveaux de nouvelles victimes; le Zohak turc moderne, quant à lui, préfère s’assurer le contrôle des cerveaux en mêlant devant ses partisans références islamistes et fascistes: il appelle au djihad contre les «mécréants» des YPG, vante le martyre aux fillettes, fait en meeting le signe des Loups Gris… Sous ses ordres, la Turquie, profitant de l’inaction internationale, a fait fi de toutes ses obligations juridiques: invasion illégale d’un État souverain voisin sans aucune preuve d’une menace anti-turque, non-respect de la décision du 24 février du Conseil de sécurité de l'ONU pour un cessez-le-feu humanitaire «sans délai» en Syrie, bombardements d’installations sanitaires et civiles: l'armée turque a fermé les vannes du principal barrage de la région d'Afrîn, tandis que ses bombardements privaient la ville d'électricité et de communications, visant hôpitaux et stations de pompage, et parfois même directement civils en fuite – tout en continuant à nier l’existence de victimes civiles! Le 5, au moins 13 civils, dont deux enfants, ont été tués et de nombreux autres blessés dans les bombardements sur Jandairis; le 16, seize civils, dont deux femmes enceintes, ont été tués dans une frappe sur l’unique hôpital fonctionnel d’Afrîn, et le lendemain, une autre frappe a tué 11 civils qui fuyaient Afrîn en tracteur... Cette politique de terreur vise clairement à pousser à la fuite les habitants, majoritairement Kurdes, pour faciliter le projet de nettoyage ethnique devant les remplacer par une population plus conforme aux intérêts turcs.
Le régime de Damas s’est borné à des condamnations verbales de l’«agression» et de «l’occupation» turques, envoyant dans la région assiégée quelques centaines de miliciens, ce qui ne pouvait arrêter l’invasion. Seule une intervention de l’aviation syrienne aurait pu imposer un arrêt, et le régime n’y avait guère intérêt…
Enfin, la soi-disant «Armée Syrienne Libre» (ASL), ressuscitée, financée et équipée par Ankara pour ses propres besoins, a montré sa vraie nature, entamant même des combats internes en ville le 22… A l’origine composée de civils encadrés par des déserteurs de l’armée, maintenant formée d’islamistes et de djihadistes, elle n’est que la caution syrienne de l’invasion turque: coupable d’exactions au combat, de pillages, de destructions et d’exactions anti-Yézidis, elle est maintenant accusée de viols et de réduction de femmes en esclavage sexuel. Des personnalités kurdes originaires d’Afrîn et vivant en Europe, fondatrices du «Comité de soutien pour Afrîn» ont appelé dans Le Monde à éviter la constitution d’un nouveau foyer djihadiste, un «second Raqqa».
Le bilan diverge selon les estimations. Selon l'OSDH, plus de 1.500 combattants kurdes ont été tués dans l'offensive turque depuis son lancement il y a deux mois, «la majorité d'entre eux […] dans des frappes aériennes et des tirs d'artillerie», ainsi que 400 rebelles alliés à la Turquie, et plus de 280 civils. L'armée turque a fait état de 46 soldats turcs tués. Le 20, les autorités kurdes ont estimé qu'environ 800 combattants YPG et 500 civils avaient été tués. Le 23, les Nations Unies ont publié une estimation de 167.000 personnes déplacées.
La perte d’Afrîn est certes une défaite des Kurdes du Rojava, mais ils n’en ont pas moins résisté trois mois à la seconde armée de l’OTAN, confrontant l’aviation sans défense antiaérienne, puis se retirant en bon ordre, contrairement aux déclarations turques de «terroristes fuyant la queue entre les jambes» ou «sans se retourner». Après de violents affrontements le 17 au soir au nord de la ville, l’administration kurde a décidé d’un repli tactique face à la puissance de feu turque, et la ville est tombée le lendemain matin presque sans combats. Comme l’a déclaré un porte-parole des YPG, Birusk Hasakeh: «Nous avons vu le poids que représentaient les bombardements intensifs pour les civils […]. Nous avons décidé qu'il était urgent de faire sortir les habitants et de redéployer nos combattants». Par ailleurs, les autorités kurdes ont refusé de céder au chantage des Russes, qui proposaient leur protection contre le retour d’Assad. Alors que FDS et Régime demeurent les deux forces principales face-à-face dans la Syrie d’après-Daech, cette position claire pourrait revêtir une grande importance dans la suite.
Pour Daech, l’invasion turque est arrivée à point nommé, en perturbant les opérations de la coalition internationale, dont l’épine dorsale au sol demeure les Forces démocratiques syriennes (FDS), dont quelque 1.700 combattants ont annoncé le 6 leur retrait du front Est et leur redéploiement vers Afrîn. Abou Omar al-Idlebi, un responsable militaire des FDS, a déclaré: «Nos proches à Afrîn sont une priorité, leur protection est plus importante que les décisions de la coalition». Le Pentagone a admis que l’opération turque avait provoqué «une pause opérationnelle» contre Daech, et le chef du Centcom (Commandement US pour le Moyen Orient) a déclaré au Congrès que les États-Unis et la Turquie avaient des «intérêts divergents»…
L’invasion et la prise d’Afrîn ont suscité de nombreuses expressions de solidarité à l’étranger. Le 3, des milliers de manifestants ont défilé à Berlin; le 6, la responsable du Mouvement des femmes kurdes en Europe, Nursel Kilic, dans une conférence de presse tenue aux côtés de députés communistes, dont l’ancienne ministre Marie-Georges Buffet, a appelé à l’envoi à Afrîn d’une délégation parlementaire française. Le 10, une seconde délégation du Kurdistan irakien, comprenant chrétiens, yézidis, zoroastriens et kakaïs et des représentants de plusieurs partis dont l’UPK et le Parti communiste, est arrivée à Qamishlo pour rejoindre Afrîn (une première délégation du Parlement d’Erbil avait visité Afrîn mi-février pour évaluer sa situation sanitaire). Le week-end des 10-11, de nombreuses manifestations pro-kurdes se sont tenues en Allemagne et en Angleterre, où elles ont entraîné la fermeture des gares Piccadilly à Manchester et King's Cross à Londres. Ce même week-end, plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées à Carhaix, en Bretagne, pour rendre hommage au combattant breton Kendal Breizh (pseudonyme d’Olivier Le Clainche) tué le 10 février à Afrîn lors d’une frappe turque. En Grande Bretagne, le père d’une combattante de 27 ans, Anna Campbell, tombée le 15 mars, a critiqué l’absence d’assistance du gouvernement pour faire rapatrier sa dépouille. Le 12, l’ancien président français François Hollande est sorti du silence qu’il respectait depuis l’élection de son successeur pour rappeler le «rôle déterminant» joué par les Kurdes dans la lutte anti-Daech. Par ailleurs, plusieurs attaques anti-turques visant mosquées, locaux associatifs ou commerces ont eu lieu en Allemagne, provoquant le 12 une convocation par les Affaires étrangères turques de l'ambassadeur allemand à Ankara. A Paris, les manifestations kurdes se sont succédé quotidiennement, menant même à quelques débordements le 14 en soirée devant l’ambassade des États-Unis. Après la prise de la ville, un collectif de Kurdes d'Afrîn établis en Europe a publié le 20 dans Le Monde une tribune dénonçant les condamnations formelles ne menant à aucune action concrète de la communauté internationale: «Le silence de la communauté internationale participe au plan macabre planifié par Erdoğan» ont-ils écrit. «Silence vaut acceptation». Le Représentant du Rojava en France, Khaled Issa, a accusé le même jour: «Les mêmes combattants qui luttaient courageusement contre Daech sont aujourd'hui laissés à la merci de l'armée turque», dénonçant «un nettoyage ethnique» dont «les grandes puissances restent spectatrices». Le 24, des milliers de manifestants ont de nouveau défilé à Paris pour dénoncer le nettoyage ethnique en cours, et d'autres rassemblements se sont tenus en Allemagne (notamment à Hambourg), en Grande-Bretagne et en Suède. Rezan Hedo, un responsable média des YPG a Afrîn a résumé le sentiment général des Kurdes: «La coalition internationale nous a utilisés comme outil» pour la lutte anti-Daech, [puis…] nous a laissé tomber».
De nombreux gouvernements ont été critiqués par leur opposition pour leur inaction. En France, le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a déclaré le 13 devant l'Assemblée nationale que les inquiétudes «légitimes» de la Turquie concernant la sécurité de sa frontière ne justifiaient «absolument pas l'opération en cours dans le canton kurde d'Afrin» (AFP); le lendemain, le secrétaire du Parti communiste et sénateur Pierre Laurent a demandé que le Président français reçoive une délégation parlementaire «transpartisane» pour discuter de la situation à Afrîn. Le 20, M. Le Drian a critiqué l’«implantation militaire [turque] dans la profondeur du territoire syrien»; le 21, Bruno Retailleau, président du groupe «Les Républicains» au Sénat, a accusé Emmanuel Macron d'«abandonner» les Kurdes face à la Turquie, ajoutant même que «François Hollande avait été plus courageux». Le même jour en Allemagne, Angela Merkel a qualifié d’«inacceptable» au Bundestag que des milliers de civils d’Afrîn souffrent des combats, condamnant aussi les bombardements de la Ghouta par Damas.
Le 29, après avoir exprimé au téléphone le 24 sa «préoccupation» à son homologue turc, M. Macron a reçu à l’Élysée une délégation des FDS, l’assurant du «soutien de la France» pour la stabilisation du Nord-Est syrien et la prévention d’une résurgence de Daech. Réitérant l’engagement de la France contre le PKK, le Président français a proposé la médiation française pour «un dialogue […] entre les FDS et la Turquie» – une proposition rejetée le lendemain avec colère par le président turc («Qui es-tu pour parler de médiation entre la Turquie et une organisation terroriste? Ne te mêle pas des affaires qui te dépassent!»), qui a par ailleurs renvoyé la France à son passé colonial…
La colère de M. Erdoğan s’explique par le problème qui lui pose la présence au Rojava de plusieurs centaines de militaires américains et français soutenant au sol les FDS, partenaires de la Coalition anti-Daech… Le Président turc n’a cessé de répéter qu’après la prise d’Afrîn, il visait, dans une plus vaste offensive, le contrôle du Rojava «jusqu’à la frontière irakienne», incluant «Manbij, Aïn al-Arab [Kobanê], Tal Abyad, Ras al-Aïn et Qamichli». Mais jusqu’à présent, pressions et même menaces de frappes turques sur les militaires américains pour qu’ils «lâchent» leurs alliés kurdes à Manbij n’ont guère eu d’effet: selon l’OSDH, les quelque 350 militaires américains et français (ceux-ci stationnées dans une base aux abords de la ville), ont plutôt reçu des renforts, les forces kurdes locales recevant de leur côté équipement et artillerie lourde… Daech conservant un pouvoir de nuisance dans cette zone, la France a annoncé qu’elle pourrait même réajuster l’échelle de sa présence dans le cadre de la coalition. Dans ce contexte, la réception d’une délégation des FDS à l’Élysée et l’annonce du soutien français dont elle a été l’occasion, même s’il s’agit de gestes minimaux, ont touché un point sensible pour le Président turc.
Le niveau de répression en Turquie parait difficile à encore augmenter, et pourtant, M. Erdoğan et son gouvernement y parviennent… Pour faire taire toute critique sur son invasion d’Afrîn, le gouvernement a encore amplifié la répression, visant opposants, journalistes et ONGs. Cependant, le plus inquiétant demeure probablement l’image du Président en meeting le 10 mars faisant le signe des Loups Gris. Cette mise en scène publique du signe de ralliement à l’extrême-droite fascisante indique le futur que M. Erdoğan prépare au pays s’il est réélu… Le 12, Raci Bilici, responsable de l’Association des droits de l’homme (İHD) à Diyarbakir, a qualifié la situation de pire que durant la «sale guerre» des années 90, avec un système judiciaire «totalement arbitraire» où «on peut garder quelqu’un en prison plus d’un an sans accusation» (Ahval).
Le 1er du mois, Dilek Öcalan, députée du parti «pro-kurde» HDP et nièce d'Abdullah Öcalan, le leader emprisonné du PKK, a été condamnée à deux ans et demi de prison pour «propagande terroriste» (Anadolu). Une autre députée du HDP, Selma Irmak, a été condamnée à 10 ans pour «appartenance à un groupe terroriste». Le même jour, selon le site de gauche Gazete Duvar, le procès du meurtre des 2 policiers que le gouvernement turc avait utilisé en juillet 2015 pour mettre fin au processus de paix avec le PKK s’est conclu par une série d’acquittements. Les 2 policiers avaient été tués juste après un attentat à la bombe contre des militants progressistes et Kurdes solidaires du combat anti-Daech de Kobanê. De nombreux leaders de partis kurdes avaient accusé le gouvernement de n’avoir cherché ni à empêcher ni à punir l’attentat, tandis que le gouvernement avait utilisé l’affaire pour reprendre la guerre. Dans la dernière audience du procès, 9 suspects ont été innocentés et 4 autres condamnés à des peines de 18 mois pour «propagande terroriste». Le 2, le HDP a alerté dans un communiqué de presse les Nations Unies, le Parlement européen et la Commission européenne sur la pratique de la torture dans les prisons turques, mentionnant l’exemple d’Ulas Yurdakul, prisonnier battu à mort, et des vidéos où les meurtriers se vantent de leurs crimes. Et les chiffres de la Direction des Prisons pour février démontrent la surpopulation carcérale: 235.888 détenus (dont 50.000 «politiques») pour 208.330 places.
Le 5, le HDP a dénoncé le projet du gouvernement de réinstaller à Afrîn des centaines de milliers de réfugiés syriens comme crime de guerre contrevenant au droit international. Le 7 des députés HDP dénonçant ce plan comme nettoyage ethnique ont été attaqués en plein Parlement par une quarantaine de députés AKP. Le député HDP de Gaziantep Mahmut Toğrul a eu le bras gauche cassé, et son collègue d’Izmir Muslum Doğan et le député arménien Garo Paylan ont été frappés avant que des députés CHP ne parviennent à stopper l’agression. Le 12, le Parlement a rejeté une motion du HDP demandant une enquête sur les victimes civiles d’Afrîn, le Président du Parlement empêchant la députée d’Istanbul Huda Kaya de terminer son intervention. Le gouvernement a lancé des enquêtes criminelles contre les députés critiquant l’invasion d’Afrîn sur les réseaux sociaux. Le 16, l’ancienne co-présidente du HDP Aysel Tuğluk, arrêtée le 28 décembre 2016, a été condamnée à 10 ans de prison comme «dirigeante d’une organisation terroriste» – le Congrès pour une Société Démocratique. Parallèlement, les arrestations suite au Coup d’État se poursuivent: le 9, 154 personnes supplémentaires, dont 16 officiers de Marine, 66 enseignants et 72 syndicalistes…
Le 22, la responsable HDP Gülsüm Ağaoğlu a été placée en garde à vue pour «insulte» au Président durant son discours de Newrouz à Tekirdağ. Le 23, c’est la députée HDP Lezgin Botan qui a été condamnée à 18 ans de prison pour «propagande terroriste» ou «atteinte à l’intégrité de l’État» dans des discours prononcés durant ses activités politiques… Le député Adam Geveri a été quant à lui acquitté des mêmes charges.
Quant aux journalistes, ils ont été invités à «tenir compte des intérêts nationaux de la Turquie » – concrètement, à ne rien publier de critique sur Afrîn (The Economist). Et avec un millier de leurs confrères en prison, l’invitation était pressante… Ils devaient mentionner le soin pris par l'armée à ne faire aucune victime civile, son combat anti-Daech autant que contre les Kurdes – alors que les seuls djihadistes à Afrîn sont ceux que la Turquie y a elle-même amenés! L’alternative à l’autocensure: se voir accuser de «propagande terroriste», comme les responsables de la chaîne de gauche Hayatın Sesi, fermée par décret après le coup d’État, qui risquent jusqu’à 13 ans de prison (Evrensel) pour propagande (simultanée) pour le PKK, les TAK (Faucons du Kurdistan), et Daech! Leur crime: la diffusion de témoignages d’habitants sur les opérations militaires à Cizre. Prochaine audience au 24 avril…
Autre exemple d’acharnement répressif, le nouveau procès, démarré le 7, du journaliste Hidayet Karaca. Ancien responsable de diverses associations de médias, ancien responsable du bureau du journal Zaman à Izmir et Ankara, directeur exécutif durant 17 ans du groupe audiovisuel Samanyolu (14 chaînes en turc, anglais, arabe et kurde), Karaca a été arrêté en décembre 2014 puis maintenu 4 ans en détention «provisoire» à cause des dialogues d'une série diffusée 5 ans auparavant. Un de ses avocats, lui-même arrêté, a dû témoigner contre son client (ce qui est illégal) contre une réduction de peine de 10 à 5 ans, le faisant condamner à 31 ans de prison: il avait entre autres rencontré Fethullah Gülen! Le juge Mustafa Baser, qui avait prononcé sa relaxe en avril 2015 a été lui-même limogé, arrêté et condamné en avril 2017 à 10 ans pour abus de pouvoir judiciaire et gülénisme; son épouse a été condamnée le 17 mars à 7 ans de prison (Turkey Purge).
Le 8, une Cour criminelle d’Istanbul a condamné comme gülenistes 25 journalistes à des peines allant de 25 mois à 7 ans et 6 mois (Stockholm Center for Freedom). Le 9, 2 journalistes kurdes ont été condamnés à Adana à 3 ans de prison (ANF) pour avoir distribué le magazine Özgür Toplum («Société libre»). Le même jour, 7 personnes ont été arrêtées à Izmir pour «propagande pro-PKK» sur les réseaux sociaux. Selon le ministère de l'Intérieur, entre le 26 février et le 5 mars, 169 personnes ont été poursuivies pour des publications sur les médias sociaux, et 845 personnes critiquant l’opération sur Afrîn incarcérées.
Le 28, la police a mené un raid contre le journal Özgürlükçü Demokrasi, le dernier quotidien kurde d’Istanbul (et l’une des dernières sources indépendantes d’information kurde en Turquie). Les administrateurs désignés pour contrôler le journal et son imprimerie ont refusé le lendemain d’imprimer le dernier quotidien en kurde du pays, Azadiya Welat, qui a dû interrompre définitivement son édition papier…
L’attaque contre la langue et la culture kurdes apparaît globale. Un des cas relevés dans la presse, celui d’un prisonnier interdit de parler au téléphone à sa mère en kurde, sous prétexte que les policiers devaient comprendre ce qu’il disait – alors que des prisonniers étrangers pouvaient parler leur langue… Parallèlement, comme l’a révélé le 1er du mois le député CHP Atilla Sertel, sur 200 chansons placées sur liste noire par la Télévision turque (TRT) pour «propagande terroriste» ou «violation de la moralité publique», 66 sont kurdes: le chanteur syrien Ciwan Haco, Mihemed Shexo, le chanteur arménien de musique dengbêj Karapete Xaco, Hozan Dino, Rojda, Mem Ararat, Seyda Perincek, et le groupe Agire Jiyan… Le 6, un procureur de Diyarbakir aurait requis contre 12 étudiants arrêtés pour avoir sifflé un air kurde 7 ans de prison pour «propagande terroriste» (Ahval). Le week-end précédent, 2 musiciens de mariage avaient été arrêtés à Istanbul pour avoir chanté en kurde. Le 30 enfin, un scandale a impliqué une compagnie de construction d’Istanbul, Yapı & Yapı Construction, qui aurait interdit sur ses chantiers toute langue autre que le turc (Diken News)…
La fête la plus symbolique de la culture kurde, celle du Newrouz le 21 mars, a bien entendu été visée. Le 20, la police a arrêté une centaine de militants kurdes accusés de préparer des manifestations illégales ou des attaques, les services de sécurité ont annoncé l’arrestation de 76 personnes à Şırnak, et le BDP (branche kurde du HDP) a annoncé l’arrestation de 27 personnes à Hatay (Reuters). Mais les pressions n’ont pu empêcher des centaines de milliers de participants de rejoindre la fête dans tout le pays, expression d’une identité partagée et, particulièrement cette année, alors qu’Afrîn venait de tomber, d’un esprit collectif de résistance à l’oppression. Le principal rassemblement était à Diyarbakir, en présence de représentants des quatre parties du Kurdistan, avec des centaines de milliers de participants, venus malgré l’omniprésence et les contrôles de la police. Pervin Buldan, la co-présidente du HDP, a prononcé un discours condamnant l’invasion turque d’Afrîn et demandant au gouvernement de reprendre le processus de paix interrompu en 2015. Des rassemblements se sont aussi tenus à Van (plus de cent mille participants), Nusaybin, Mardin, Cizre, Şirnak et Yuksekova… ainsi qu’à Istanbul.
Au chapitre des relations avec l’étranger, celles-ci ont continué à se dégrader. Les partenaires de la Turquie dans l’OTAN s’inquiètent de plus en plus de son récent achat de missiles russes, qui risque de mettre en danger le secret des dispositifs opérationnels de l’Alliance (Kurdistan-24), et les activités criminelles des services secrets turcs en Europe suscitent des réactions (Le Monde du 15/03). D’autre part, la «diplomatie des otages» pratiquée par la Turquie lui aliène de plus en plus de pays. De quoi s’agit-il? D’une part le gouvernement turc demande systématiquement l’extradition de tous ses opposants politiques (principalement des Kurdes et des Gulénistes) en utilisant les «bulletins rouges» (mandats internationaux) d’Interpol, dont le quotidien progouvernemental Sabah déplorait récemment que plus de 50 aient été suspendus par Interpol. Concernant l’ex-coprésident du PYD Salih Muslim, Ankara, n’ayant pas réussi à obtenir son extradition de République Tchèque, a renvoyé la même demande à l’Allemagne, et le journal pro-AKP Yeni Safak s’est «vengé» en dénonçant la fourniture d’armes tchèques au PKK… D’autre part, la Turquie arrête sur son sol des ressortissants étrangers pouvant servir de monnaie d’échange, comme le pasteur américain Andrew Brunson, installé en Turquie depuis plus de 20 ans, accusé simultanément d’espionnage, d’être pro-Gülen et pro-PKK, ou plus récemment deux garde-frontières grecs. Est-ce pour cela que les autorités américaines ont abandonné discrètement les poursuites contre 11 agents de sécurité du président turc, pourtant accusés vidéos à l’appui d'avoir attaqué à Washington des manifestants kurdes et blessé 12 personnes dont un policier américain?
Autre facteur de tension, les multiples discours où M. Erdoğan remet en cause les frontières, alors que les incidents maritimes avec la Grèce et Chypre se multiplient, provoquant le 14 une mise en garde grecque et le 22 une condamnation de l’Union européenne (qui n’a malheureusement pas mentionné l’invasion d’Afrîn…). Le 17, le Premier ministre turc Binali Yildirim avait qualifié la motion du Parlement européen demandant le retrait turc d’Afrîn de «moment de folie»…
Durant mars, l’armée turque a mené une série d’opérations au Kurdistan d’Irak, faisant de nombreuses annonces impossibles à confirmer indépendamment. Le 2, elle a imposé un couvre-feu sur 114 villages des districts de Lice, Hani, et Kocakoy (Diyarbakir). Le 11, elle a annoncé avoir détruit au Kurdistan irakien le week-end précédent au moins 118 objectifs du PKK. Du 13 au 15, elle a bombardé 4 villages de la région de Sidakan et le Mont Khwakurk (dans le district de Soran, à 90 km au Nord-Est d’Erbil), où ont aussi pénétré des troupes au sol, avant d’annoncer le 16 avoir éliminé 13 combattants du PKK. Le déploiement turc en Irak s’est poursuivi le 18 avec l’établissement de camps permanents. Le 20, l’armée a annoncé avoir éliminé en Turquie 23 combattants kurdes ayant attaqué un cantonnement de gardes de village à Şanlıurfa. Le 21, l’armée a annoncé sur Twitter avoir neutralisé 12 autres combattants kurdes par des frappes aériennes sur Khwakurk, et le 22, l’agence gouvernementale Anatolie a rapporté de nouvelles frappes aériennes sur Khwakurk, Bradost et Choman, qui ont causé près de Choman la mort de 4 personnes dont 2 pechmergas, provoquant une condamnation de Bagdad. Le 24, l’armée turque a annoncé l’élimination de 91 militants la semaine précédente. Le 25, des tirs d’artillerie ont encore blessé un civil dans le district d’Amêdî, et le 26, ce sont des zones montagneuses de ce même district qui ont subi des frappes aériennes, obligeant des civils à évacuer leurs habitations, tandis qu’une autre frappe aérienne à Amêdî détruisait un pont reliant plusieurs villages. Le 27, côté turc, l’armée a annoncé avoir neutralisé dans la nuit 11 combattants kurdes à Hatay, alors que 2 soldats turcs ont été tués par une explosion à Afrîn. Le 30, 6 gardes de village protégeant un chantier à Siirt ont été tués dans une attaque, et 3 autres avec 4 soldats ont été blessés.
Le 23, le KCK (expression politique du PKK) a annoncé dans un communiqué le retrait de ses combattants du Sindjar, alors que la Turquie avait récemment menacé d’une attaque: «Sindjar et ses environs sont devenus sûrs [avec le retrait de Daech] et le gouvernement irakien semble prêt à répondre aux demandes des Yézidis».
La «guerre contre les morts» des forces de sécurité turques s’est aussi poursuivie, avec l’annonce le 23 de nouvelles destructions de tombes de combattants kurdes dans le district de Diyadin (Ağrı). De telles profanations avaient déjà eu lieu dans les provinces de Bitlis, Mardin et Diyarbakir.
Enfin, le Président turc a poursuivi sa rhétorique guerrière en menaçant de nouveau le 26 d’attaquer le Sindjar si «Bagdad ne [nettoyait] pas la zone du PKK», le 28 d’attaquer la ville syrienne de Manbij et l’Est de l’Euphrate si les combattants kurdes ne les évacuaient pas, et enfin d’attaquer les Forces spéciales françaises si ce pays continuait à coopérer avec les FDS…
Le mois de mars s’est ouvert avec le vote par le Parlement irakien du budget 2018 dans une version violemment contestée par les députés kurdes, qui ont choisi de boycotter la session. En effet, la part de la Région du Kurdistan y est sérieusement réduite: fixée en 2005 à 17% du budget total de l’État irakien sur la base des estimations de population de cette période, elle tombe maintenant à 12,67%. Théoriquement basé selon l'article 9 de la Constitution «sur la population de chaque province», ce nouveau pourcentage n’est en fait justifié par aucun recensement irakien récent (le dernier remonte à 1987). Par ailleurs, la loi de finances soumet son versement effectif à l’exportation par le Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) de «250.000 barils par jour des champs pétroliers se trouvant sur son territoire par l’intermédiaire de la SOMO» (société pétrolière d’État) et le versement du produit de la vente au budget fédéral», sinon, ce montant sera retranché du budget du Kurdistan…
Bagdad a par contre accepté de payer sur le budget de l’armée de terre les soldes des pechmergas, considérés comme appartenant au système de sécurité irakien. Mais le produit des ventes effectuées de manière indépendante par le Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) entre 2014 et 2017, notamment celles du pétrole provenant des champs de Kirkouk, considéré comme un prêt fait par Bagdad au GRK, devra être restitué: son montant sera retranché au budget et versé à la province de Kirkouk. Le GRK doit aussi retourner au budget fédéral les «pétrodollars» de Kirkouk (pourcentage sur les exportations du pétrole de la province) présentement déposés dans ses banques. Il n’est pas prévu que Bagdad verse les années jamais payées au GRK pour la même période…
Le vote du budget a été difficile. Une première session parlementaire le 1er mars en a approuvé 12 articles sur 48, le reste a été voté le 3, toujours en l’absence des Kurdes. Les recettes se montent à 77,5 milliards de dollars, calculées sur des exportations de pétrole de 3,9 millions de baril/jour (dont les 250.000 du Kurdistan) à 46 $ le baril (le Brent au moment de la rédaction de cet article est au-delà des 70 $), avec un déficit de 10,6 milliards et des investissements de 20,8 milliards. Le montant alloué au GRK est seulement de 5,6 milliards de dollars, mais de plus, par le jeu de divers retraits «souverains» comme la Défense, les garde-frontières, les frais de fonctionnement du Parlement, de la Présidence ou des ministères, le pourcentage effectivement perçu pourrait tomber en-dessous des 10%... Le leader du groupe Union islamique du Kurdistan (Yekgirtû) au Parlement, Muthana Amin, a exprimé dès le 3 mars les craintes des députés kurdes à ce propos, indiquant qu’ils demanderaient à rencontrer le Président Fouad Massoum, qui doit approuver le budget. Autre point de désaccord, l’article concernant les peshmergas mentionne seulement le paiement des soldes, sans l’armement ni la formation…
Devant les critiques (et le risque d’une année blanche du système éducatif au Kurdistan), M. Abadi a parlé d’utiliser les fonds d’urgence pour réaugmenter le budget GRK à 14%. Le parlement a voté en ce sens le 5, et le 6, en annonçant le paiement «avant Newrouz» des salaires du 1er trimestre 2018 des fonctionnaires du GRK, en priorité pour les secteurs de l’éducation et de la santé, Abadi a confirmé cet engagement, indiquant une augmentation du budget du Kurdistan de 844 millions de dollars.
Autre opposition inattendue au budget irakien: le Fonds monétaire international (FMI) a annoncé le 9 que, le budget du Kurdistan lui paraissant «d’une faiblesse irréaliste», il gelait ses programmes de prêt à l’Irak, empêchant ainsi l’Irak d’emprunter des milliards sur le marché international. Selon Christian Josz, l’un des responsables du département Moyen-Orient du FMI, «[Ce budget] n'est pas suffisant pour maintenir la stabilité macroéconomique au Kurdistan, une région importante de l'Irak». Pour le GRK, le Kurdistan a besoin d'au moins 8,1 milliards de dollars pour financer un budget d'austérité réduisant ses salaires. Autre reproche du FMI, la réduction des impôts et recettes non pétrolières. Bagdad considère les déclarations du FMI comme de l’ingérence. Pour le FMI, comme il est peu probable que le problème soit corrigé avant les élections le 12 mai prochain, la conclusion logique est que tout prêt devra attendre l’élection d’un nouveau gouvernement…
Le 13, le Président irakien a refusé d’approuver le budget, le renvoyant au Parlement pour révision. Son entourage a parlé de «violations légales, financières et constitutionnelles». Ce n’est que le 29 que Fouad Massoum a finalement ordonné sa publication officielle, non sans indiquer qu’il irait en justice contre plusieurs corps d’État, dont le ministère de la Justice, qui avaient publié le document, violant l’autorité présidentielle.
Le 18, le gouvernement irakien a annoncé que les salaires des fonctionnaires GRK de l’éducation et de la santé seraient payés «dans les deux prochains jours». Le GRK a indiqué cependant que les fonds reçus, 317 milliards de dinars (environ 262 millions de dollars) seraient plutôt répartis avec l’accord de Bagdad entre tous les ministères, une partie allant notamment aux pechmergas et aux agences de sécurité, et que le paiement intégral des fonctionnaires nécessitait 590 milliards, en tenant compte du système de retenue sur salaires (la partie retenue est ajoutée à un compte pour être payée «plus tard»…), très contesté par les fonctionnaires. Le 19, le Premier ministre irakien a annoncé le transfert effectif des fonds, dont les soldes des pechmergas, tandis que l’audit des listes de fonctionnaires GRK se poursuivait. Le porte-parole du gouvernement irakien, Saad al-Hadithi, a précisé que cette somme «sera désormais transférée chaque mois au Kurdistan» – si toutes les conditions posées par Bagdad sont respectées (AFP). Le GRK a publié une déclaration soulignant que ce montant ne couvrait pas les retraites des anciens fonctionnaires…
Au Kurdistan, les retards de paiement de salaires et les mesures d’austérité imposées par le GRK depuis plus de 2 ans ont continué à provoquer des manifestations. Le 7, des enseignants, accompagnés d’étudiants, ont manifesté devant la Direction de l’éducation à Sulaimaniyeh, accusant le GRK de voler les revenus du pétrole. Le 19, les employés du secteur de la santé, dont les médecins, sont entrés en grève à Halabja, Sulaimaniyeh, Ranya et Koya. Le même jour, le parti d’opposition Goran et le Groupe islamique du Kurdistan (Komal) ont dénoncé dans une conférence de presse commune l’accord Bagdad-Erbil basé sur les retenues de salaires, tandis que le gouvernement irakien indiquait que les fonds envoyés au GRK devaient être complétés par le produit de ses ventes de pétrole, et que le total devait suffire à payer l’intégralité des salaires… Le 20, de nouvelles manifestations d’enseignants, travailleurs de la santé et autres fonctionnaires, ont eu lieu à Sulaimaniyeh, Halabja, Koya, Ranya et Kalar (NRT). Les grèves des fonctionnaires de l’éducation (notamment enseignants du primaire) et de la santé se sont poursuivies durant une semaine, et le 25, alors qu’à Sulaimaniyeh, médecins, infirmières et personnel administratif se rassemblaient devant l'hôpital des urgences et que des manifestations se produisaient dans tout le Kurdistan, les enseignants sont pour la première fois entrés en grève à Erbil, demandant le paiement total de leurs salaires. Un groupe de fonctionnaires d’Erbil a formé un Comité appelant à la grève générale et à un rassemblement devant le Parlement. A Dohouk, des enseignants se sont rassemblés devant la Direction de l'éducation (NRT), et des manifestations d’enseignants ont aussi eu lieu à Kirkouk, Garmyan et Raparin. Ce même jour, après une réunion à laquelle ont participé notamment le Premier ministre Nechirvan Barzani et le Vice-premier Qubad Talabani, le GRK a annoncé qu’il reverrait son système de retenue si Bagdad continuait à envoyer mensuellement le même montant de 317 milliards de dinars, et qu’il utiliserait pour compléter recettes fiscales, ventes de pétrole et même l'aide financière américaine aux peshmergas… Cette annonce n’a pas stoppé les manifestations, qui se sont poursuivies jusqu’à la fin du mois à plus petite échelle. Le 28, les employés des barrages de Dokan et Derbandikhan sont à leur tour entrés en grève pour protester contre le non-paiement de leurs salaires. A Erbil, des échauffourées avec les forces de sécurité ont été suivies d’arrestations.
Avec le vote du budget, l’autre événement important du mois a été la décision de Bagdad de rouvrir aux vols internationaux les deux aéroports d’Erbil et de Sulaimaniyeh, le 13. Le 2, premier signe de détente, le GRK avait rouvert la route Erbil-Kirkouk, fermée depuis le 16 octobre, malgré «de dures conditions imposées par Bagdad» (dont le détail n’a pas été précisé). Après l’annonce le 6 par M. Abadi d’une réouverture prochaine, puis celles le 7 et le 8 respectivement par les deux aéroports de premiers vols emmenant des pèlerins vers l’Arabie Saoudite, M. Abadi a annoncé le 13 la levée de l’interdiction, le GRK ayant accepté «le rétablissement de l’autorité fédérale» sur les aéroports, signifiant probablement la gestion des contrôles des passeports et des visas d’entrée. Cependant, ces points paraissaient toujours en négociation une fois les vols redémarrés, les Kurdes poursuivant leur contrôle autonome des entrées comme avant le référendum. La réouverture a été effective le 18, avec les premiers vols internationaux sur Erbil, et le 20 sur Sulaimaniyeh. La Turquie a maintenu son interdiction de vol sur le Kurdistan jusqu’au 23 pour Erbil, faisant attendre Sulaimaniyeh en raison de ses mauvaises relations avec l’UPK, accusée de «soutenir les terroristes» du PKK…
Dans les territoires contestés entre GRK et Bagdad, la tension est demeurée vive en raison des discriminations visant la culture kurde et des positions ambiguës des autorités concernant les territoires disputés. Ainsi le 8, Journée du costume kurde (une célébration introduite par le GRK en 2010), des étudiants de l’Université de Kirkouk en vêtements kurdes se sont vu interdire par la police fédérale l’entrée du campus sur instruction écrite du président de l’université portant qu’«aucun étudiant ne sera admis sur le campus s’il ne porte pas l’uniforme de l’université». Parallèlement, le drapeau kurde continue d’être interdit à Kirkouk, même sur les écoles ou les sièges de partis politiques. Nombreux ont été cependant les Kurdes de Kirkouk à braver l’interdiction et à porter leurs habits ou hisser le drapeau, et des arrestations ont été rapportées dans les quartiers Rezgarî et «16 Août». Le 14, plusieurs partis kurdes ont après une réunion tenue dans les locaux de l’UPK annoncé en conférence de presse qu’ils hisseraient le drapeau kurde pour Newrouz. Le PDK n’a pas participé à cette réunion, jugeant que la situation sécuritaire en ville ne lui permettait pas d’y venir. Après que les Hashd al-Shaabi aient réitéré l’interdiction (des familles de pechmergas tombés contre Daech se sont même vues demander de retirer les drapeaux kurdes placés sur leur tombe…), les dirigeants kurdes ont indiqué vouloir rencontrer les autorités pour en discuter, souhaitant notamment tenir une réunion publique avec le gouverneur intérimaire Rakan Al-Jabouri, un Arabe sunnite (Rûdaw). Celui-ci a récemment ordonné l’expulsion d’environ 200 familles kurdes du quartier d’Arafa et la destruction de leurs habitations, construites sans autorisation. Il s’agit essentiellement de familles expulsées sous Saddam Hussein et revenues après 2003, et qui selon l’article 140 de la Constitution ont droit à un terrain et à une compensation – qu’elles n’ont jamais reçus. Les Arabes de Bassora et Nasiriya installés tout aussi illégalement dans le même quartier n’ont quant à eux pas été inquiétés.
Pour le Newrouz, des centaines de personnes ont défié l’interdiction du drapeau et des vêtements, se rassemblant dans les rues des quartiers kurdes de la ville où s’étaient déployées les unités antiterroristes irakiennes…
Après la reprise de contrôle de la province de Kirkouk par Bagdad le 16 octobre 2017, les Kurdes se sont inquiétés d’un redémarrage de l’arabisation de la province, et un député kurde de Bagdad, Shakawan Abdulla, a demandé au ministère de l’Agriculture de suspendre toute transaction ou décision administrative concernant ces terres contestées, pour protéger leurs propriétaires légitimes. Le ministère l’a fait par décret le 5 février 2018. Mais le 1er mars, une lettre reçue par le Département de l’agriculture de Kirkouk a ravivé les inquiétudes: elle annule non seulement le décret du 5 février 2018 pour les secteurs de Shwan, Dubiz, Qara Hanjir et d’autres de la province, mais aussi toutes les décisions prises par le gouvernement post-Saddam, incluant le décret du 8 février 2012, qui avait révoqué tous les décrets d’arabisation du régime ba’thiste! Abdulla s’inquiète que cette décision ne permette aux colons de l’époque ba’thiste de revenir s’emparer des terres qu’ils avaient dû quitter après 2003. Dans ce contexte, les déclarations le 15 d’un député de la coalition chiite «Etat de Droit», Kahalf Abdulsamad, proposant l’abolition de l’article 140, prennent un relief particulier. Abdulsamad a déclaré à la chaîne kurde Rûdaw qu’il ne pouvait y avoir de «territoires disputés» puisque tous les territoires appartenaient à l’Irak… La cour fédérale irakienne a pourtant rendu le 11 un arrêt prenant acte de leur existence, et décidant de la formation d'un comité pour résoudre cette question conformément à… l'article 140 : «Le GRK est reconnu comme le gouvernement officiel des zones qu'il administrait avant le 19 mars 2003 tombant dans les limites des provinces de Dohouk, Erbil, Sulaimaniyeh, Kirkouk, Ninive et Diyala. La province de Kirkouk et les régions de Diyala et de Ninive demeurent contestées».
Dernier point, le 1er du mois, il a été annoncé que le Conseil des ministres irakien avait décidé le 27 février de la date des prochaines élections provinciales: ce sera le 22 décembre 2018. Pour Kirkouk, ce seront les premières depuis 13 ans…
La situation au Kurdistan d’Iran combine pauvreté endémique, répression des porteurs transfrontaliers et répression plus large de la culture kurde, puisque dans une campagne inédite, les autorités ont tenté d’empêcher cette année le déroulement de la fête kurde de Newrouz, pourtant suivie au-delà des Kurdes par toutes les communautés du pays…
Le 10 mars, un kolbar, porteur transportant des marchandises sur la frontière irano-irakienne, a été tué par une mine dans la région de Piranchar après avoir été pris sous le feu des tirs de garde-frontières. Il appartenait à un groupe de porteurs ayant pénétré dans un champ de mines en tentant d’échapper aux garde-frontières. Trois membres du groupe ont été blessés par l’explosion, dont celui qui est ensuite décédé, un autre qui a perdu une jambe et le troisième, blessé plus légèrement (une autre source parle d’un mort et de quatre blessés dans ce qui apparaît être le même incident). Selon le groupe de défense des droits de l’homme KHRN (Kurdistan Human Rights Network), un autre porteur, père de 3 enfants, avait déjà été blessé les jours précédents dans une chute près du village de Kanî Zerd (Sardacht), et le 13 février, un autre avait été retrouvé mort, mains et jambes attachées, près d’un village frontalier non loin de Baneh. En raison des difficultés économiques, du chômage élevé et de la grande pauvreté touchant le Kurdistan d’Iran, nombreux sont les jeunes hommes à devoir travailler comme porteurs. Considérés comme des contrebandiers par les forces de sécurité, ils sont fréquemment abattus par celles-ci. Depuis le début de l’année, plus de 15 kolbars ont ainsi été assassinés par le régime. Le 27 février, une femme de Mahabad, mère de 4 enfants, avait mis fin à ses jours après que son mari ait été arrêté pour «contrebande». Le nombre de suicides au Kurdistan d’Iran a fortement augmenté en 2017. La situation économique est si tendue que la fermeture d’un point de passage Iran-Irak après le référendum d’indépendance organisé par le GRK avait provoqué fin février des grèves côté iranien.
Les nouvelles parvenant du Kurdistan d’Iran font état mois après mois d’une répression continue, caractérisée par arrestations, procès iniques et exécutions. Le 4 au matin, 3 prisonniers kurdes ont ainsi été pendus dans la prison de Dizelabad (Kermanshah). Deux d’entre eux avaient été accusés de meurtre, dont un musicien kurde, Keyvan Rashkhar, 27 ans, condamné à mort il y a 5 ans pour le meurtre d’un cousin. Le 3e prisonnier, dont le nom n’a pas été rapporté, a été pendu pour des faits liés à la drogue. Même si ces exécutions apparaissent liées à des crimes de droit commun, la manière arbitraire dont sont menées les arrestations et les procès en Iran laisse une grande place au doute quant aux faits réellement reprochés aux personnes exécutées… Après les grandes manifestations des mois précédents contre les difficultés économiques, qui se sont rapidement transformées en contestation du régime, des centaines d’activistes ou simplement de participants aux rassemblements, dont de nombreux étudiants kurdes, demeurent emprisonnés. Le 20 février, deux activistes de Sanandaj avaient été condamnés à 2 et 4 ans de prison pour «propagande» contre le régime. Un jeune garçon de 15 ans avait aussi été condamné à 5 ans pour avoir abaissé le drapeau iranien durant une manifestation. Plusieurs prisonniers sont morts en détention de manière extrêmement suspecte dans ce qui a été décrit aux familles comme des «suicides»… Début mars, un étudiant, Qubad A'dami, est mort sous la torture et sa famille a été menacée au moment où le corps lui a été rendu pour l’empêcher de tenir des funérailles publiques (WKI). Les officiers du renseignement iranien qui l’avaient arrêté ont attribué sa mort à un «suicide par drogue». A Ouroumieh, un autre étudiant kurde, Ibrahim Khalidi, qui avait participé aux manifestations en début d’année a été condamné à 5 ans de prison pour «atteinte à la sécurité nationale» (Kurdistan Human Rights Network).
Le 12, des milliers de Kurdes sont descendus dans les rues en protestation de l’invasion turque d’Afrîn au Rojava, manifestant notamment devant l’ambassade de Turquie à Téhéran, mais aussi dans les villes kurdes de Bokan, Saqqez, Kamyaran, où d’importantes forces de sécurité avaient été déployées. Le soir même, onze activistes kurdes, dont deux femmes, et le journaliste Adnan Hassanpour, ont été arrêtés à Marivan par des agents de la Sécurité en civil pour avoir participé aux manifestations de solidarité avec Afrîn. Déjà condamné à mort en 2007 pour «espionnage» et «collaboration avec des partis politiques illégaux», Hassanpour avait vu sa peine réduite à 10 ans de prison et avait été libéré le 10 septembre 2016 après avoir effectué sa peine. Dans de nombreuses villes, les manifestants pour Afrîn avaient demandé une autorisation de manifester qui leur a été refusée. A Kamyaran, au moins un homme et une femme ont été arrêtés par la police après un rassemblement sur la Place Imam Shafi. Le 20, un autre homme a été arrêté à Sanandaj, ainsi que 8 autres participants à des manifestations pour Afrîn dans le district de Kamirwan, toujours près de Sanandaj. Parallèlement, les Renseignements et la cyberpolice iraniens (FATA), ont convoqué des activistes défendant les droits de l’homme dans toutes les provinces kurdes du pays, Azerbaïdjan Occidental, Kurdistan, Kermanshah et Ilam, les accusant d’avoir protesté contre l’État sur les réseaux sociaux lors des protestations du début 2018, notamment au moyen de la messagerie cryptée Telegram (iranhumanrights.org). Parmi les accusés, plusieurs responsables d’associations. Ainsi, le 25, suite à une plainte déposée par le Basij-e Rasaneh (le bras médiatique des basij, les volontaires des pasdaran ou Gardiens de la Révolution), Ejlal Ghavami, le porte-parole de l'Organisation des droits de l'homme du Kurdistan, a été accusé d'avoir des liens et de coopérer avec des canaux hostiles à l'État et de publier des fausses nouvelles et des documents illégaux, malgré qu’il n’utilise jamais Telegram et fasse connaître ses critiques sous son propre nom… Les personnes convoquées dans les locaux des services de renseignement ont souvent été intimidées en vue de les empêcher d’avoir des activités publiques lors de la fête de Newrouz. Selon une source anonyme: «Chaque année, les défenseurs des droits civiques organisent des cérémonies pour le Newrouz dans plusieurs villes, mais aucun d'entre eux n'a été autorisé à le faire cette année… Les autorités ont décidé de leurs propres lieux pour organiser des cérémonies approuvées par l'État. Nous n'avions jamais eu ce problème auparavant. C'est la première fois». Un autre activiste convoqué au Bureau de la sécurité d’Ilam s’est entendu dire que la fête de Newrouz était «non-islamique». Le Newrouz étant largement célébré en Iran, cette nouvelle attitude est pour le moins surprenante. Dès le début du mois, des personnes susceptibles d’organiser des événements liés au Newrouz, musiciens, responsables locaux, ont été l’objet d’appels téléphoniques menaçants de la part des Forces de sécurité. De leur côté, les partis politiques kurdes ont incité les Kurdes à mettre leurs habits traditionnels pour célébrer la fête, vue comme un moment d’unité et de résistance face à la répression et donc de réactivation de l’identité collective – surtout après les importantes manifestations anti-régime du début de l’année.
Le 17, les agents du gouvernement ont convoqué les chefs de village de la région de Marivan pour leur annoncer qu’ils ne devaient pas organiser d’événements pour le Newrouz et qu’ils seraient tenus pour responsables en cas de débordements (Iran Human Rights Monitor). Les mêmes tentatives d’intimidation ont eu lieu semble-t-il entre le 17 et le 21 dans les villages de Kermanshah, Ilam, Ouroumieh ou Salmas. Les pasdaran ont même mené des raids dans certains villages où des festivités en plein air étaient en cours de préparation, confisquant parfois les instruments de musique. La veille de la Fête, la sécurité a été renforcée dans les principales villes kurdes du pays. Durant la fête, de nombreux Kurdes ont lancé des slogans appelant à un changement de régime ou chanté l’hymne kurde. Des dizaines ont été arrêtés dans les jours suivants.
Le 30 du mois, une Cour d’appel a confirmé la condamnation à 8 ans de prison prononcée contre l’activiste des droits civiques Afshin Hossein Panahi, arrêté en juin 2017 pour «propagande contre l’État» et «collaboration avec un groupe d’opposition kurde» (le Komala). En réalité, on lui reprochait surtout ses activités civiles et notamment d’avoir organisé une célébration de Newrouz en 2017…
Par ailleurs, un pechmerga du PDKI (Parti démocratique du Kurdistan d’Iran), Sabah Rahmani, est mort le 1er mars à Binaslawa, tout près d’Erbil, dans l’explosion d’une bombe placée dans la voiture où il se trouvait avec son père, Salah Rahmani, lui aussi pechmerga du PDKI. Le 6, Qadir Qadri, un commandant de l’autre aile du PDKI, devenue après une scission en 2006 un parti sous le nom de PDK (HDK), a été lui aussi assassiné dans la région de Balisan, au Nord-Ouest d’Erbil (district de Ranya). Ces deux événements indiquent que la République islamique n’a pas renoncé à ses actions d’assassinats ciblés d’opposants à l’étranger… D’autant que ces faits surviennent après un congrès du PDKI où cette organisation avait décidé d’étendre sa lutte contre le régime, et plus généralement à un moment où les différents partis kurdes d’opposition tentent de se coordonner davantage…
Les 15 et 16 mars 2018, le Tribunal permanent des peuples (TPP) a tenu à Paris une session concernant les atteintes aux Droits de l’homme de l’État turc contre ses citoyens kurdes. Devant plus de 400 personnes venues du monde entier et surtout de toute l’Europe, ont été abordées les crimes de guerre ayant accompagné les attaques militaires de l’été 2015 à fin 2016 contre des civils dans les provinces kurdes de Turquie, en particulier à Cizre, Şırnak et dans la ville médiévale de Diyarbakir (quartier de Sur). Ont été aussi débattues les opérations des services secrets turcs, sur le sol national (enlèvements et assassinats) et à l’étranger, en particulier l’assassinat en janvier 2013 en plein Paris des trois militantes kurdes Sakine Cansiz, Fidan Dogan et Leyla Saylemez, mais aussi plusieurs tentatives d’assassinats ciblés s’étant produites en Allemagne et en Belgique. Aussi discuté, le massacre de Roboskî, une frappe aérienne dans le district d’Uludere le 28 décembre 2011 au cours de laquelle 34 jeunes contrebandiers kurdes traversant la frontière irako-turque, dont 11 enfants, ont été tués, et d’autres crimes plus anciens, encore impunis, comme l’assassinat de l’écrivain et journaliste Musa Anter à Diyarbakir le 20 septembre 1992.
Au moment où se tenait la session, l’invasion d’Afrîn par la Turquie battait son plein; dans l’incapacité de réunir des preuves de ces nouvelles exactions, le TPP n’a pu les intégrer dans les faits qu’il examinait. Il s’est cependant déclaré saisi de cette situation et prêt à tenir une session sur les Kurdes de Syrie avec les mêmes chefs d’accusation que pour les Kurdes de Turquie.
Comme le rappelle la Ligue des Droits de l’Homme sur son site, le TPP est un «tribunal d’opinion qui agit de manière indépendante des États et répond aux demandes des communautés et des peuples dont les droits ont été violés», en particulier «lorsque les États et les organisations internationales ont échoué à [les] protéger». Les sentences prononcées par le TPP ne peuvent être exécutées, mais elles sont systématiquement remises à des instances officielles comme le Parlement européen, la Cour Européenne des droits de l’Homme et diverses commissions des Nations Unies, afin de les inciter à agir contre les abus dénoncés. Pour cette session, le verdict sera rendu le 24 mai au Parlement européen, dont les membres «seront invités [à] débattre des initiatives politiques découlant de la décision du Tribunal, en particulier des mesures pour lutter contre l’impunité» (Lien).
N’ayant pas statut officiel, le TPP n’en fonctionne pas moins comme un tribunal: ses magistrats sont pour partie des juristes, comme son président pour cette session, juge honoraire de la Cour de cassation, ou comme un autre de ses membres, ancien coordinateur humanitaire de l’ONU en Irak. Après réquisitoire d’un procureur, la Cour auditionne des témoins avant de prononcer son jugement. Côté droits de la défense, l’acte d’accusation avait été déposé au consulat turc à Paris, invité, mais celui-ci n’a pas donné suite…
Les témoins se sont succédé à la barre pour éclairer la situation des Kurdes en Turquie. L’historien et sociologue Hamit Bozarslan a donné lecture d’un exposé resituant le contexte de la lutte des Kurdes pour leurs droits entre Empire ottoman et République de Turquie. Ahmet Yıldırım, ancien député HDP de Muş (privé de son mandat électif le 27 février dernier), a rappelé l’absence de toute reconnaissance donnée au 20e siècle aux Kurdes en Turquie, et les nombreuses arrestations de ses collègues du HDP – et de tous les opposants à la politique de M. Erdoğan, émettant l’espoir d’un changement au cours du siècle suivant. Concernant les exactions et destructions commises par les «forces de sécurité» dans les villes kurdes de Turquie en 2015 et 2016, Faysal Sarıyıldız, ancien député HDP de Şırnak (privé de son mandat électif le 21 juillet 2017), a caractérisé l’action de ces forces à Cizre comme un «massacre» et un «déplacement forcé de population, un acte de terreur et de génocide en termes postmodernes», le tout «planifié à l’avance». L’économiste Ahmed Pelda a présenté la discrimination économique dont sont victimes depuis les années 20 les régions à majorité kurde du pays. D’autres témoins ont été entendus sur la répression culturelle, comme Rojan Hazim, écrivain, journaliste et traducteur kurde, ou la répression spécifique des femmes sous M. Erdoğan, comme Nazan Üstündağ, chercheuse en sociologie de l’Université Boğaziçi d’Istanbul.
Concernant les assassinats de 2013 à Paris, les familles des 3 militantes assassinées ont demandé par l’intermédiaire de leurs avocats qu'un juge d'instruction soit saisi pour identifier d'éventuelles complicités liées aux services secrets turcs dans cette affaire où le seul suspect est décédé. En effet, le meurtrier présumé, Omer Güney, est mort en prison en décembre 2016, ce qui a arrêté les poursuites à son encontre. Mais s’il était selon toute probabilité l’exécutant, il reste encore à identifier d'éventuels complices ou coauteurs, et à examiner la question des commanditaires. C’est ce qu’avaient demandé les familles début 2017. Elles viennent de déposer une nouvelle plainte en se constituant partie civile, afin de provoquer la nomination d’un juge d’instruction. Me Antoine Comte, leur avocat, a déclaré à l’AFP: «Il faut que la justice française ait le courage de continuer l'enquête pour identifier des complices et éviter l'impunité de ces crimes».
L’acte d’accusation de cette session du TPP est un document en anglais de 122 pages, et on ne peut que recommander sa lecture. Il peut être téléchargé intégralement à http://tribunal-turquie-kurdes.org/index.php/accusation/, sur le site du TPP. Ce document très complet n’est pas du tout rédigé en langage juridique, bien au contraire. Comportant transcriptions de communications, traductions de courriers gouvernementaux, témoignages et photos, et même liens vidéo, il documente de manière exhaustive les exactions et crimes de guerre de l’État turc notamment durant la période des couvre-feux de 2015-2016 sur les principales villes kurdes de Turquie.