L’annonce le 19 décembre par le président américain du retrait de ses troupes de Syrie a provoqué des consultations diplomatiques tous azimuths impliquant toutes les parties concernées, membres de la coalition anti-Daech, Turcs, Russes, et bien entendu les autorités de la Fédération du Nord-Syrien, qui craignent tout simplement pour sa survie. Tandis que M. Erdoğan multipliait menaces et rodomontades, ils ont poursuivi leurs négociations avec le régime de Damas et son protecteur russe, tout en appelant à réagir leurs alliés occidentaux de la coalition anti-Daech. Dans cette situation de menace existentielle, les combattants des FDS ont pourtant courageusement poursuivi leur traque des djihadistes de Daech,réduisant encore leur territoire.
La Turquie prétend maintenant occuper tout le nord syrien, de Kobanê jusqu’à la frontière irakienne, pour y «assurer la sécurité». On a vu à Afrîn depuis un an en quoi consiste cette «sécurité»: exactions, pillages, bnettoyage ethnique...
À Afrîn, le 5 janvier, selon l’OSDH, les djihadistes ont même demandé à la Turquie l’autorisation d’expulser totalement les résidents kurdes originels pour s’approprier tous leurs biens. Craignant les réactions internationales, laTurquiea rejeté la demande, mais de nombreux témoignages diffusés notamment sur Kurdistan 24 montrent que le nettoyage ethnique est déjà en cours. Tout en tentant de forcer les Kurdes à partir par la terreur, les occupants continuent à attribuer des permis de résidence à des familles arabes, modifiant rapidement l’équilibre démographique, même si certains avocats ont tenté de plaider l’illégalité des documents émis par des moukhtars (chefs de village) nommés par les Turcs… (Ahval, Rûdaw). Ibrahim Biro, l’ancien dirigeant du Conseil national kurde de Syrie (ENKS), dans l’opposition aux autorités du Rojava, a confirmé à Kurdistan 24 l’aggravation de la situation et a déclaré tenter d’empêcher par la diplomatie une nouvelle invasion à l’Est de l’Euphrate. Le 10, après que l’administration du Rojava, répondant à un appel de l’ENKS, a annoncé le 6 lever l’interdiction des partis politiques non enregistrés, une délégation de l’ENKS a demandé à Massoud Barzani de se faire l’écho de ses inquiétudes à l’international… tout en déclarant attendre la libération de ses cadres toujours incarcérés au Rojava.
Parmi les pillages reprochés à la Turquie, celui des oliveraies et de l’huile d’olive, principales richesses d’Afrîn et cause de combats féroces entre différentes factions djihadistes, a fait l’objet d’une enquête conjointe du journal en ligne espagnol El Público et de l’agence de presse kurde Firat, publiée le 16. Selon les sources, la Turquie a vendu sur le marché européen depuis l’Espagne de l’huile d’olive volée à Afrîn, les bénéfices, 90 millions de dollars, revenant aux milices djihadistes…
La résistance se poursuit aussi militairement. Le 17, les «Forces de libération d’Afrîn» ont annoncé la mort de 3 combattants pro-turcs de l’«Armée syrienne libre». Puis une bombe artisanale déclenchée au passage de djihadistes a fait au moins 9 morts, dont 5 civils (AFP). Le 19, a été annoncée la mort d’au moins 16 djihadistes dans 2 opérations distinctes les 18 et 19. Une des attaques a tué 4 combattants en pleine ville (AMN). Le 30, l’agence kurde Hawar a rapporté la mort de 2 soldats turcs et 4 djihadistes dans une nouvelle attaque. Parallèlement, le quartier général de Ahrar al-Sham dans le village de Deir Moushmoush a été détruit et 2 miliciens tués. Le 20, une bombe a explosé dans un bus d’Afrîn, tuant 3 civils et blessant 9 autres personnes, dont des miliciens (OSDH). En ce jour anniversaire du lancement de l’invasion turque, des milliers d'habitants kurdes de Qamichli et de déplacés d’Afrîn ont manifesté contre l’occupation (AFP).
Autre point cristallisant les tensions, Manbij, près de laquelle l’armée syrienne s’était déployée fin décembre, au grand déplaisir du président turc, les militaires américains demeurant présents en ville. Le ministère syrien de la Défense a annoncé le 2 le départ de la ville de «près de 400 combattants kurdes», quelque 30 véhicules partis vers l’Est de l’Euphrate, emportant selon l’OSDH non pas des YPG mais des membres de milices alliées aux FDS. Malgré les discussions turco-russes ayant suivi l’annonce du retrait américain, rien ne semblait avoir évolué dans cette région début janvier, même si la Turquie a continué à concentrer des blindés à la frontière, et que des rebelles pro-turcs ont attaqué le 3 les YPG au nord d’Alep. Tout comme la Turquie, l’administration fédérale du Nord syrien a envoyé une délégation à Moscou, cherchant à obtenir la garantie russe pour poursuivre avec Damas des négociations entamées cet été mais vite arrêtées devant les exigences du régime. Le 5, le journal Ashark al-Awsat a rapporté que le commandant des YPG, Sipan Hemo, avait visité Moscou et Damas pour proposer le retour de l’État syrien à la frontière nord en échange du maintien, sous garantie russe, d’une administration locale. Le 6, le commandant des FDS Redur Khalil a déclaré à l’AFP qu’un accord avec le régime de Damas était «inévitable», et qu’une fois trouvé pour Manbij, il pourrait être ensuite étendu à tout l’Est de l’Euphrate. Khalil a même déclaré que les FDS pourraient être intégrées dans l’armée syrienne…
Le 8, la police militaire russe a entamé des patrouilles autour de Manbij en soutien de l’armée syrienne, déjà présente. Le 11, le Conseil militaire de Manbij (CMM) a indiqué que les patrouilles conjointes entre ses combattants et les Américains se poursuivaient près de la ville, mais qu’en ville même, seuls les combattants du CMM étaient présents (Kurdistan 24). Le 18, la Turquie se permettra de dénoncer l’entrée de l’armée syrienne à Manbij au nom de la «feuille de route» américano-turque (AFP).
Toujours le 11, les YPG ont annoncé avoir abattu dans la première semaine du mois un drone de surveillance turc qui survolait la région d’Aïn-Diwar, près de Derîk (AMN).
A Idlib, dernière région de Syrie encore contrôlée par des groupes de l’opposition armée, les combats entre djihadistes de Hayat Tahrir al-Cham (ancien Front al-Nosra, branche syrienne de al-Qaïda) et les groupes rebelles pro-turcs ont fait 120 morts en 4 jours en début de mois… C’est Tahrir al-Cham qui l’a emporté, accroissant son contrôle au détriment des groupes pro-turcs à Idlib, mais aussi dans plusieurs districts des provinces voisines de Hama, Lattaquié et Alep. Le 14, le dirigeant de ce groupe, Abou Mohamad al-Joulani, recherché depuis mai 2017 par le FBI américain contre une récompense de 10 millions de dollars (->), a exprimé son soutien à une offensive turque contre les Kurdes à l’Est de l’Euphrate, qui permettrait de «libérer du PKK», un des «ennemis de la révolution syrienne», des «régions où vivent de nombreux Arabes sunnites» (AFP)…
Dans le «jeu ambigu» des relations américano-turques, Donald Trump a encore ajouté à la confusion en déclarant le 2 qu’il «protégerait ses alliés kurdes de Syrie», récusant (sans le nommer) le Washington Post qui avait annoncé un retrait sous 4 mois… Durant le mois, plusieurs responsables américains, comme Mike Pompeo puis John Bolton, ont réitéré ces assurances, qui ont suscité la colère turque sans réellement rassurer les Kurdes, d’autant que le 4, plus de 100 véhicules de matériel et de troupes américaines ont quitté la Syrie vers l’Irak (Roya News). Yézidis comme chrétiens du Nord syrien ont exprimé leurs inquiétudes devant un retrait «prématuré» face aux risques de résurgence de Daech, les chrétiens rappelant aussi que leurs parents avaient fui la Turquie lors du génocide de 1915, et qu’être rattrapés par leurs bourreaux 100 ans plus tard ne leur souriait guère (Rûdaw). Le 7, le secrétaire d'État américain Mike Pompeo a déclaré que le Président turc s’était engagé à «protéger les combattants kurdes en Syrie» (une annonce assurément aussi crédible que le conte où le loup promet de protéger l’agneau…); le porte-parole de la Présidence turque İbrahim Kalın a fermement démenti l’information dès le lendemain (AFP). D’ailleurs, le jour de cette annonce de Pompeo, quelques heures à peine après qu’un attentat-suicide revendiqué par Daech ait tué 4 civils et un combattant des YPG dans une base militaire de Raqqa, le président turc Erdoğan qualifiait la lutte des FDS contre Daech d’«énorme mensonge», et déclarait «inacceptables» le lendemain les déclarations de soutien aux FDS de John Bolton (AFP). Il a même refusé de recevoir celui-ci à Ankara, İbrahim Kalın n’en demandant pas moins aux États-Unis de reprendre les armes fournies aux FDS et de… céder à la Turquie leurs 16 bases militaires en Syrie!
Le 14, Trump a menacé dans un tweet la Turquie de «dévaster son économie» si elle attaquait les Kurdes, tout en appelant, mais sans en préciser les conditions, à la création d’une «zone de sécurité» de 30 km de profondeur dans le Nord syrien. La Turquie a rétorqué ne pas être intimidée par ces menaces, tout en s’empressant de reprendre l’idée de la «zone de sécurité». Après un entretien téléphonique avec son homologue américain, M. Erdoğan s’est dit le 15 prêt à l’établir… sous son contrôle. Damas, appuyé par son protecteur russe, a réagi en demandant le retour de ces territoires. La Fédération du Nord Syrien a rapidement rejeté l’idée d’un contrôle turc. Un de ses responsables, Aldar Khalil, a déclaré à l’AFP que la Turquie, partie prenante au conflit, ne pouvait être garant de la sécurité, et a réitéré que le «seul choix acceptable» serait de déployer des «forces de maintien de la paix de l'ONU». Kino Gabriel, porte-parole des FDS, a précisé que le premier objectif d’une telle zone devrait être de protéger les civils (Rûdaw). Le 18, Redur Khalil, commandant des FDS, a déclaré sur Al-Arabiya qu’une zone de sécurité sous contrôle turc ne serait qu’une «occupation militaire», et le 19, Salih Muslim a déclaré dans Yeni Özgür Politika que les Turcs «installeront les gens qu’ils veulent dans les zones qu’ils occuperont», pratiquant le nettoyage ethnique à grande échelle (ANF). M. Erdoğan a largement confirmé ces craintes le 28 en dévoilant dans un discours à Istanbul son projet de réinstaller dans le Nord syrien 4 millions de Syriens réfugiés en Turquie…
Le 22, après que les Autorités de la Fédération du Nord Syrien aient réitéré leur soutien à une zone de sécurité établie par les Nations-Unies, leur Secrétaire général Antonio Gutteres a déclaré qu’il n’y avait pas de projet en ce sens. Le diplomate norvégien Geir Pedersen, qui a succédé le 8 janvier à Damas à Staffan de Mistura comme envoyé spécial de l’ONU en Syrie, ne s’est pas exprimé à ce propos.
Les 23-24-25, les forces turques ont pilonné continuellement les positions des YPG dans la région de Tell Rifaat, à 20 km à l’est d’Afrîn. Cette ville est au centre d’une poche contrôlée par les YPG, coincée entre les Turcs au nord et des zones au sud sous le contrôle de Damas ou des rebelles. Le ministère turc de la Défense a déclaré avoir répliqué à des tirs visant des militaires turcs dans la région d'Afrin (Reuters).
Les discussions entre les Kurdes et Damas demeurent difficiles. Une source pro-gouvernementale a déclaré le 15 que le régime était prêt à accepter une gouvernance commune du Nord syrien, mais pas la fédéralisation réclamée par les Kurdes… (AMN) Le 19, ceux-ci ont annoncé avoir transmis aux Russes une «feuille de route» en 10 points prévoyant finalement une autonomie interne de l’Administration du Nord syrien, qui enverrait des représentants au parlement syrien. Les FDS deviendraient une force de protection frontalière intégrée à l’armée nationale, l’arabe demeurerait langue officielle, les langues locales pouvant être utilisées dans l’éducation, y compris à l’université (Kurdistan 24). Le 25, Mazloum Kobani, commandant en chef des FDS, a réitéré à l’AFP l’exigence d’un «statut spécial» pour cette force, qui a «protégé le nord-est de la Syrie. Elle a libéré ces régions [de Daech] et c'est son droit de continuer à en assurer la protection».
À l’international, France comme Allemagne ont également discuté avec la Russie de la situation en Syrie. Le président français a rencontré son homologue russe le 2, insistant que les opérations contre Daech n’étaient pas terminées. En Allemagne, le président du Comité des Affaires étrangères du Bundestag, Roderich Kiesewetter, a suggéré une demande conjointe franco-allemande aux Nations-Unies de création d’une zone de sécurité sous contrôle international pour protéger les Kurdes de Syrie (AFP, Kurdistan 24). C’était précisément la demande du représentant de la Fédération en Allemagne, Ibrahim Mourad, ainsi qu’une zone d’exclusion aérienne (Kurdistan 24). Le 10, le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a déclaré qu’il pensait que la sécurité des Kurdes après le retrait américain devrait être assurée au niveau international. Le 22, le gouvernement néerlandais a accepté 2 motions de parlementaires demandant de rechercher des moyens de faire pression sur la Turquie pour qu’elle n’attaque pas les FDS en Syrie. L’une des motions appelle à travailler en ce sens «avec d’autres pays de l’Otan ou de l’Union européenne», l’autre à obtenir le soutien de la France et du Royaume-Uni (Kurdistan 24).
Malgré les lourdes incertitudes pesant sur leur avenir, les FDS ont poursuivi leur campagne contre Daech. Après la prise le 14 décembre de la ville de Hajin, les djihadistes, acculés à la frontière irakienne, ne contrôlaient plus début janvier que les villages de Soussa et Chaafa et quelques petits hameaux (une autre poche dans le désert syrien, plus au sud, est encerclée par l’armée syrienne). Le 2, un missile tiré par les djihadistes a tué 1 FDS et 2 militaires britanniques près de Chaafa. Le 5, les FDS ont pris aux djihadistes le village de Chaafa. Le 6 au soir, Daech a lancé des contre-attaques-suicides meurtrières, mais après une nuit de combats, les FDS ont repris les positions perdues, capturant 8 djihadistes, dont un adolescent américain et un Allemand (AFP). Le 7, jour de l’attaque-suicide déjà mentionnée contre une base de Raqqa, les FDS ont annoncé avoir arrêté le 30 décembre 5 djihadistes étrangers, dont 2 Américains et 1 Irlandais, qui préparaient une attaque contre les civils fuyant leur dernier bastion. Le lendemain, les djihadistes ont encore profité d’une tempête de sable pour tuer 23 combattants FDS dans un raid (AFP).
Le 12, plus de 600 personnes ont été évacuées des zones encore tenues par Daech, venant s’ajouter aux quelque 16.000 personnes ayant fui ces zones depuis début décembre. Selon l’ONU, 25.000 personnes ont fui les combats depuis 6 mois.Le 15, les FDS ont pris le contrôle de Soussa, ne laissant aux djihadistes qu’un territoire de 15 km² avec le village de Baghouz et quelques hameaux… 120 djihadistes se sont rendus – une première. Le 16, tandis que les combats se poursuivaient, plus de 2.000 civils, en majorité des femmes et des enfants, étaient évacués de la zone. Ce même jour, un nouvel attentat-suicide, cette fois-ci près d’un restaurant de Manbij, faisait 16 morts: 4 Américains, 5 combattants FDS et 7 civils, les pertes américaines les plus importantes en une seule attaque depuis 2014 (AFP). Après l’explosion, les FDS ont démantelé 2 cellules de Daech dans la ville. Le 21, une voiture piégée a percuté entre Hassaké et Chaddadi un véhicule d’un convoi militaire des FDS (selon d’autres sources, c’est un point de contrôle qui a été visé). L’explosion aurait tué 5 combattants FDS et blessé 2 militaires américains.
En 2 jours, du 21 au 22, quelque 4.900 personnes, majoritairement des femmes et des enfants, dont 470 combattants, ont fui la dernière poche djihadiste du Nord syrien (10 km²), selon l’OSDH. Au total, ce sont 27.000 personnes, dont 18.000 combattants, qui ont fui depuis début décembre… Le 23, les FDS ont pris Baghouz, le dernier village tenu par Daech, ne laissant plus que 2 hameaux aux djihadistes. Une contre-attaque lancée le lendemain par Daech a échoué, laissant 16 FDS et 34 djihadistes tués. Les FDS ont par ailleurs capturé 21 combattants ennemis qui tentaient de passer en Irak. Le 28, les FDS ont annoncé que le territoire contrôlé par Daech était réduit à 4 km². Le chef local des opérations, Haval Ronî, a cependant précisé que même si Daech perdait tous ses territoires, il ne disparaîtrait pas pour autant, mais redeviendrait une organisation clandestine et demeurerait dangereux: «Ils essayent d'en finir avec Al-Qaïda depuis 20 ans, et ils n'ont pas réussi. Ce sera la même chose avec Daech», a-t-il averti (AFP). Le 30, les FDS ont annoncé avoir démantelé dans un raid mené de concert avec les militaires américains une nouvelle cellule de Daech à Manbij, soupçonnée d’avoir préparé l’attentat du restaurant 2 semaines plus tôt (WKI). Le 31, les FDS ont refusé la reddition de combattants qui demandaient en échange un passage sûr vers la Turquie ou Idlib (The Times).
Les FDS ont également interné des combattants qui s’étaient mêlés aux civils ayant fui les combats. Par ailleurs, selon la chaîne française BFM-TV, quelque 130 djihadistes français capturés par les FDS devraient finalement être rapatriés dans les prochaines semaines pour être interpellés à leur arrivée.
Les grèves de la faim en soutien de Leyla Güven se sont poursuivies en janvier, tandis qu’en parallèle le parti progressiste et «pro-kurde» HDP poursuivait la préparation de sa campagne pour les élections municipales du 31 mars. Le gouvernement a quant à lui poursuivi sa campagne… de répression, pour tenter d’empêcher ce parti de se présenter devant les électeurs.
Leyla Güven a cessé de s’alimenter le 8 novembre dernier pour protester contre l'isolement imposé au leader du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) Abdullah Öcalan, emprisonné sur l'île d'Imralı, et plus généralement contre la répression impitoyable qui s’est abattue depuis 2015 sur la population kurde et les membres du HDP. Le 9, la députée HDP Meral Danis Bestas a annoncé que sa collègue emprisonnée était dans un «état critique», et a demandé à la Commission parlementaire turque des Droits de l’homme d’intervenir, indiquant que 162 prisonniers dans 36 prisons de Turquie, dont 27 femmes, étaient maintenant en grève de la faim. Le lendemain, le HDP a confirmé dans un communiqué que la vie de Güven était en danger:ayant perdu 15 kg, elle «ne peut plus subvenir à ses besoins ou marcher seule», son rythme cardiaque et sa pression artérielle sont très bas et «elle ne peut plus consommer de liquides, y compris de l'eau». Le communiqué a également compté 171 prisonniers politiques en grève de la faimen Turquie (AFP).
Le 12, la co-présidente du HDP, Pervin Buldan, a annoncé sur Twitter que pour la première fois depuis plus de 2 ans, Öcalan avait pu recevoir la visite de son frère Mehmet et qu’il apparaissait «en bonne santé». Son neveu, le parlementaire Omer Öcalan, a confirmé cette visite à l’AFP, déclarant: «En tant que famille, nous demandons qu'Öcalan soit soumis aux mêmes règles que les autres prisonniers [...]. Il a le droit de rencontrer sa famille chaque semaine». Durant cette période, Öcalan s’est vu aussi refuser toute visite de ses avocats.
Le lendemain, des députés européens, des avocats (dont Margaret Owen, qui suit depuis des mois le procès de Selahattin Demirtaş) et d’autres défenseurs des Droits de l’homme se sont vus refuser l’accès à la prison de Diyarbakir où ils étaient venus pour rencontrer Leyla Güven. La délégation a ensuite tenu une conférence de presse au Barreau de Diyarbakir (ANF). Le 14, les jeûneurs de Strasbourg ont annoncé poursuivre leur mouvement pour «la levée totale de l’isolement et la liberté» pour Öcalan, ajoutant qu’une visite ne signifiait nullement la fin de l’isolement, mais était bien plutôt une «tactique de guerre» visant à faire stopper le mouvement (RojInfo). À Batman, la police a attaqué des membres du HDP qui protestaient contre la poursuite de l’isolement d’Öcalan (WKI). Le 15, alors que Güven entamait son 70e jour de jeûne, une conférence de presse sur les grèves de la faim s’est tenue au Parlement européen; Dilek Öcalan y a lu un message des jeûneurs de Strasbourg (ANF), et le lendemain, 300 Kurdes ont manifesté devant le bâtiment (Dernières Nouvelles d’Alsace). Toujours le 15, en Suisse, devant le Grand conseil de Lausanne (parlement du canton), une cinquantaine de membres du Centre culturel kurde (CCKL) se sont rassemblés pour interpeller les députés. En Turquie, de nouveaux élus municipaux kurdes emprisonnés ont rejoint le mouvement, portant le nombre de jeûneurs à 262, élus locaux et parlementaires, dont la co-présidente du DBP (Parti démocratique des régions, parti-frère régional du HDP) Sebahat Tuncel. Le 19, une manifestation de soutien à Leyla Güven appelée par le HDP a rassemblé plusieurs milliers de personnes à Diyarbakir (AFP). Dersim Dağ, députée HDP de Diyarbakir de 22 ans élue en juin dernier, a lu aux participants une lettre de Leyla Güven, où elle exalte l’esprit de résistance et se déclare prête à mourir.
Le 25, un tribunal de Diyarbakir a décidé de sa remise en liberté sous contrôle judiciaire, avec interdiction de quitter le territoire, et a ajourné son procès au 29 mai. Leyla Güven, qui a dû être reconduite chez elle en ambulance, a fait savoir qu’elle comptait poursuivre sa grève de la faim. PervinBuldan lui a rendu visite (AFP).
Le même jour, une délégation du HDP a été reçue à Strasbourg par la présidente de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), Liliane Maury Pasquier, et son Secrétaire général Thorbjørn Jagland. L’APCE avait tenu la veille un débat d’urgence sur la Turquie à l’issue duquel elle avait adopté une résolution très critique, appelant les autorités à libérer les élus kurdes emprisonnés et à appliquer les recommandations du Comité pour la prévention de la torture concernant Abdullah Öcalan. Rappelant les inquiétudes de l’Assemblée quant à la détérioration de la situation démocratique en Turquie, la résolution dénonce la loi anti-terroriste et sa large interprétation, «la levée de l’immunité de 154 parlementaires en mai 2016», visant «d’abord le HDP», l’usage de décrets-lois d’urgence depuis le 16 juillet 2016 et les changements constitutionnels de 2017, ainsi que l’impact extrêmement négatif sur la démocratie locale, «particulièrement dans le Sud-Est de la Turquie», de l’arrestation de plus de 90 maires du HDP et du BDP. L’APCE dénonce aussi les mesures visant à réduire au silence journalistes, juges, procureurs, avocats, universitaires et toutes les autres voix dissidentes, et appelle à libérer Leyla Güven en raison de son immunité parlementaire ainsi que les parlementaires et anciens parlementaires privés de leur immunité en 2016, en particulier Selahattin Demirtaş, en application de l’arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (Rojinfo).
Parallèlement, le HDP et plus généralement les partis kurdes démarrent courageusement la préparation des élections municipales du 31 mars. Le 7 janvier, 8 partis kurdes de gauche et de centre-droit ont annoncé un front électoral commun, l’«Alliance électorale du Kurdistan»visant à reprendre plus de 100 municipalités dont les maires ont été démis et remplacés par des «administrateurs» pro-AKP non-élus. Ce nom sonnera certainement comme une provocation pour l’AKP mais surtout pour le MHP, son allié d’extrême-droite. L’Alliance a insisté sur l’importance nouvelle des élus locaux après les modifications constitutionnelles qui ont diminué les pouvoirs du parlement au profit du Président. Les partis participant à ce front sont, outre le HDP et le BDP, le PDK-T (Parti démocratique du Kurdistan – Turquie, proche du PDK irakien), la Plateforme des Démocrates du Kurdistan, le Parti Communiste du Kurdistan, le parti Liberté et Humanité, le Mouvement islamique du Kurdistan (Azadî), et l’Association révolutionnaire démocratique kurde (Kurdistan 24). Le 15, l’Alliance a annoncé ses candidats pour 41 villes.
L’adoption de cette stratégie de rassemblement entre «mouvement de libération kurde» et «mouvement révolutionnaire turc», pour reprendre les termes du co-président du HDP, survient dans un contexte d’intensification de la répression du gouvernement, qui depuis décembre dernier poursuit sa tactique d’arrestations massives d’activistes kurdes pour les empêcher de mener campagne et décourager leurs électeurs. Le 16, le HDP a appelé à la présence d’observateurs internationaux durant le scrutin, dans une lettre où ses co-présidents, Pervin Buldan et Sezai Temelli, expriment leur crainte qu’il «ne se déroule dans des conditions extrêmement antidémocratiques», «comme ce fut le cas des élections présidentielles de juin 2018 et du référendum d’avril 2017» (Rojinfo).
Concernant Selahattin Demirtaş, l’ancien co-président du HDP, toujours incarcéré, le site d’information T24 a rapporté le 1er janvier que ses avocats avaient de nouveau soumis son cas à la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH), qui avait en novembre demandé sa libération d’une «détention préventive» de 2 ans! La confirmation en appel le 4 décembre de sa condamnation à 4 ans et 8 mois de prison pour «propagande terroriste», en mettant techniquement fin à la détention préventive, avait permis à la Turquie d’éviter d’appliquer ce jugement. Cette condamnation apparaît scandaleuse à plus d’un titre, d’abord parce qu’elle se base sur des déclarations faites en plein processus de paix, lors du Newrouz 2013, ensuite parce qu’elle repose sur des preuves fabriquées à partir de «transcriptions» fausses des déclarations du prévenu. Selon T24, les avocats ont déposé une plainte pour violation du principe d’un procès équitable, violation de la présomption d’innocence, de la liberté d’expression et du droit à des élections libres. Dans les divers cas fabriqués contre lui, Demirtaş risque au total plus de 100 ans de prison (Ahval). Ses avocats ont également déposé devant la Cour constitutionnelle turque un dossier d’appel aux mêmes motifs faisant référence à l’arrêt de la CEDH (Bianet).
De nombreux activistes ou membres de partis kurdes ont été arrêtés durant la première semaine du mois: à Istanbul,la police a arrêté 5 membres du BDP, et le 3 janvier, 10 Kurdes dont des mineurs dans le district Yenişehir de Diyarbakir. En fin de mois, le 29, la police a arrêté 22 femmes militantes dans des raids sur leurs domiciles, notamment la candidate HDP à la mairie de Cizre, Berivan Kutlu, et la co-présidente régionale du BDP pour Şırnak, AyşeAltay, mais aussi de nombreuses autres militantes du BDP, et la co-présidente régionale du syndicat DİSK, Zeynep İdin. Les femmes sont selon les médias turcs accusées d’«activités terroristes» ou d’«appartenance terroriste» pour leurs liens avec une organisation féministe, le «Mouvement des femmes libres» que les autorités accusent d’être liée au PKK. Au moins 10 autres personnes sont visées par des mandats d’arrêt dans la même enquête (Rojinfo, Kurdistan 24).
Pour empêcher le HDP de faire campagne, l’intimidation a aussi été utilisée. Le 6, la députée Ayşe Acar Başaran a révélé que plusieurs responsables du parti avaient reçu le 3 janvier par mail des menaces de mort anonymes signées de «L’équipe vengeresse» du type: «Ce pays nous appartient. Dernier avertissement (…)», et contenant également obscénités et insultes. Acar Başaran a déclaré que les personnes visées ne céderaient pas et déposeraient plainte (Ahval). À chaque élection, permanences et candidats HDP subissent menaces et attaques…
Au chapitre des procès, Bianet a indiqué le 8 que le procureur de Diyarbakir avait obtenu que soient combinées trois inculpations différentes visant Ertuğrul Kürkçü, Président honoraire du HDP et ancien député de Mersin et d’Izmir. Celui-ci risque 20 ans de prison pour «appartenance à une organisation terroriste armée», «apologie de crime», «participation non-armée à des réunions et manifestations interdites et refus de dispersion», «incitation à la haine» ou encore «incitation à désobéir aux lois» etc. L’accusation se fonde entre autres sur plusieurs discours prononcés à Nusaybîn en 2012 et à Diyarbakir en 2015-2016… Le 16, l’ancienne co-présidente du HDP Figen Yuksekdağ, arrêtée en novembre 2016 en même temps que Selahattin Demirtaş, a comparu à Ankara pour la dernière audience de son affaire. Elle est accusée d’activités et de propagande terroristes pour son rôle dans la direction du HDP et pour des discours prononcés lors des obsèques d’un activiste kurde. La Cour a décidé de la maintenir en prison (ANF).
Ont également été visés par la répression des journalistes, comme Pelin Ünker, condamné pour diffamation à l’encontre de l’ancien Premier ministre Binali Yıldırım et de de 2 de ses fils: dans un article publié dans Cumhuriyet, il avait rapporté qu’ils possédaient des sociétés à Malte. Ünker a déclaré s’être attendu à ce jugement, mais l’a qualifié de «première mondiale»: c’est bien la première fois que la diffamation est retenue alors que les personnes concernées ont admis que le contenu de l’article était véridique! Cela ne les a pas empêchées de déposer plainte, ni le journaliste d’être jugé coupable. Le journal où a été publié l’article a également été condamné à une amende. L’une des compagnies citées a remporté un appel d’offre du gouvernement turc (ICIJ, International Consortium of Investigative Journalists).
Enfin, le 1er janvier, le journal allemand Süddeutsche Zeitung a indiqué qu’un Allemand d’origine kurde, Adnan Sutcu, 56 ans, arrivé à Ankara le 27 décembre pour les obsèques de sa mère, avait été retenu pour interrogatoire par la police avant d’être relâché avec interdiction de quitter le pays en attendant son procès. Sutcu est accusé de «propagande terroriste» suite à ses publications sur Facebook appelant à un Kurdistan indépendant. Le ministère allemand des Affaires étrangères a déclaré suivre l’affaire, indiquant que 49 autres ressortissants allemands étaient incarcérés en Turquie, dont au moins 5 pour raisons «apparemment politiques»…
À l’étranger, six ans après l’assassinat des trois militantes kurdes Sakine Cansiz, Fidan Dogan et Leyla Saylemez, commandité en plein Paris par le MIT (services secrets turcs), une marche entamée près du lieu de l’assassinat a réuni 15.000 personnes exigeant la poursuite de l’enquête: «Nous souhaitons que la justice française travaille à identifier précisément les commanditaires, à les poursuivre et à les condamner », a déclaré Sylvie Jan, présidente de l’association France-Kurdistan. Le MIT dépendait à l’époque directement du Premier ministre… M. Erdoğan. L’action judiciaire, entamée tardivement, s’est arrêtée à la mort opportune de l’assassin présumé juste avant son procès (L’Humanité).
Aux États-Unis, un groupe de manifestants kurdes pacifiques attaqués à Washington en mai 2017 par la sécurité du Président turc a déposé plainte contre le gouvernement turc (Ahval); par ailleurs, le Département du Trésor pourrait condamner Halkbank à une amende pour lobbying non déclaré: la banque turque avait payé une société américaine spécialiste des médias pour tenter d’orienter l’enquête sur le non-respect des interdictions de commerce avec l’Iran (Al-Monitor, Lobbying updates).
Les opérations militaires turques se sont poursuivies, en particulier au Kurdistan d’Irak, où elles ont provoqué des protestations des habitants. Leur colère est compréhensible. D’après la chaîne kurde d’Irak Rûdaw, rien que dans le district d’Amêdî (70 km au Nord d’Erbil), l’aviation turque a en 2018 effectué 98 frappes, tuant 12 personnes… Mi-décembre, les autorités irakiennes avaient convoqué l'ambassadeur turc à Bagdad pour protester contre la «violation de souveraineté», mais cela n’a pas empêché l’aviation turque de frapper de nouveau la province de Dohouk le 2 janvier, bombardant plusieurs villages de la région de Metina, puis le 5 au soir, d’autres villages près d’Amêdî (Rûdaw).
Le côté turc a aussi connu des opérations. Le 4, après une embuscade contre un convoi militaire, les militaires turcs ont attaqué un village à la frontière arménienne, provoquant des échanges de tirs qui ont fait 1 mort et 2 blessés parmi les soldats, les pertes kurdes n’ayant pas été indiquées (Nouvelles d’Arménie). Le 3, les militaires ont imposé un couvre-feu sur plusieurs districts de la province de Diyarbakir, Lice, Hani et Kocaköy (WKI). Le 18, les autorités ont annoncé l’imposition d’un couvre-feu jusqu’au 21 sur 43 villages de la région de Bitlis.
Le 20, de nouvelles frappes aériennes au Kurdistan d’Irak ont visé le district de Saddian, près de la frontière iranienne. Mais la colère a éclaté le 23, lorsque quatre habitants de Cheladzî, petite ville proche de Dohouk, ont été tués par une frappe turque alors qu’ils pêchaient, 2 autres étant portés disparus. Les protestations contre frappes et présence militaires turques ont pris pour cible une base installée près du village de Cheladzî (Dohouk). Les militaires turcs ont tiré sur les manifestants (AFP), faisant selon la presse irakienne 1 mort et 10 blessés. Deux tanks turcs ont été incendiés. Le ministère turc de la Défense a accusé les protestataires d’être des membres du PKK… Le lendemain, le ministère irakien des Affaires étrangères a condamné ces tirs turcs sur des citoyens irakiens, annonçant convoquer de nouveau l’ambassadeur turc à Bagdad pour lui remettre une note de protestation (AFP). La Commission des affaires étrangères du parlement irakien a appelé le Gouvernement fédéral et le Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) à obtenir le retrait des forces étrangères du sol irakien (ISHM). Le même jour, un officiel du GRK, Dindar Zêbarî, déclarant que les bombardements turcs avaient détruit de nombreuses zones agricoles et forestières, a chiffré les frappes turques sur les zones frontalières entre 2015 et 2018 à 398 bombardements aériens et 425 tirs de mortier (Kurdistan 24), soit 823 frappes en 4 ans, exactement le chiffre communiqué par le ministère des Pechmergas à Voice of America. Selon des témoignages locaux, ces frappes ont causé 23 morts civils durant les 2 dernières années, notamment dans des pique-niques familiaux (seyran) traditionnellement organisés en montagne (RFI). Le 29, le GRK a demandé au PKK de se retirer des villages frontaliers, sa présence servant à la Turquie de prétexte à des bombardements où meurent des innocents. Des arrestations ont été effectuées parmi les participants à la manifestation de Chêladzî, et la chaîne de télévision NRT, la seule présente, s’est plainte d’avoir été empêchée de couvrir les événements: certains de ses journalistes ont été arrêtés alors qu’ils tentaient de filmer l’arrivée à l’hôpital d’un manifestant blessé, et son bureau à Dohouk a été fermé et son directeur incarcéré. Face aux protestations des associations de journalistes, les autorités ont argué de la nécessité d’assurer «la sécurité des citoyens» (RFI).
Ces événements n’ont pourtant pas mis fin aux frappes turques sur le Kurdistan, puisque l’armée de l’air turque en a mené de nouvelles le 31, alors qu’émergeaient des détails sur les morts précédents: selon l’Institut kurde de Washington (WKI), après les 4 premiers morts, alors que la famille de 2 des victimes tentait de récupérer les corps, une seconde frappe aérienne turque a tué l'équipe de recherche, faisant 2 nouveaux morts.
Fait marquant de janvier, l’obtention «à l’arraché» d’un accord Erbil-Bagdad sur le budget 2019, finalement voté le 24. Par contre, à Bagdad comme au Kurdistan le mois s’est terminé sans que de nouveaux gouvernements ne soient formés. Enfin, Kirkouk a de nouveau connu des tensions autour du lever du drapeau kurde par l’UPK au-dessus de ses bureaux…
À Bassora, même si les manifestations sont moins fréquentes, la police a dû le 18 utiliser les gaz lacrymogènes pour disperser les manifestants rassemblés devant le gouvernorat pour dénoncer le manque de travail et de services de base. Ils demandaient aussi la libération d’une quinzaine de personnes arrêtées lors d’une manifestation précédente. Obligés de s’éloigner du bâtiment, les manifestants ont incendié un poste de garde puis un véhicule de police et blessé un officier à coups de pierres. Le 21, le Premier ministre Adel Abdul Mahdi a fait une visite surprise en ville, questionnant les autorités provinciales et promettant la construction de 2 nouvelles centrales électriques devant générer ensemble 1.600 MW (ISHM, Kurdistan 24).
À Bagdad, la question du budget a finalement été résolue après de longues négociations. Le parlement a échoué à plusieurs reprises à l’adopter, notamment les 8 et 10 du mois, en raison de désaccords concernant les parts de la Région du Kurdistan et plusieurs autres provinces. Le 20, plusieurs médias kurdes ont fait état de l’accord de «commandants militaires irakiens de haut rang» pour réserver 68 milliards de dinars (50 millions d’Euros) du budget du ministère de la Défense aux salaires des pechmergas kurdes ayant combattu Daech (ISHM, Kurdistan 24). Le 22, un parlementaire kurde a donné un chiffre plus élevé, 168 milliards de dinars (132 millions d’Euros) (WKI), mais le vote du budget a été de nouveau retardé en raison des conditions d’attribution des fonds: le GRK devait en échange exporter 250.000 barils par jour au travers de la société d’État SOMO. Les Kurdes ont refusé, n’étant pas certains de parvenir à remplir cette condition en raison des paiements dus aux compagnies opérant dans leurs champs pétroliers (Rûdaw). Puis le 23, les députés kurdes à Bagdad ont annoncé avoir obtenu la garantie du paiement des salaires: selon le second Vice-président du Parlement, Bachîr Haddad (PDK), il a été convenu qu’en cas de non-respect de la clause d’exportation du pétrole, Bagdad ferait des coupes budgétaires non sur les salaires mais sur les investissements. Cet accord devrait permettre un paiement régulier des fonctionnaires et surtout la fin du système impopulaire des retenues sur salaires mis en place par le GRK; les montants retenus antérieurement seront progressivement reversés…
Le parlement a adopté le budget le 24. C’est l'un des plus élevés de l’histoire du pays, en hausse de 45% par rapport à 2018, avec 111,8 milliards de dollars de recettes et un déficit de 23,1 milliards. Le 30, les députés kurdes ont annoncé que le Kurdistan avait reçu 12,67% du budget fédéral, sans compter les salaires des pechmergas, versés directement par le ministère de la Défense (ISHM). Si les Kurdes se sont déclarés globalement satisfaits, les députés des provinces détruites dans la lutte contre Daech s’estiment lésés…
Concernant le gouvernement fédéral, toujours incomplet, le Premier ministre Adel Abdul Mahdia de nouveau soumis le 8 ses candidats aux portefeuilles de l’Intérieur, de la Justice et de la Défense. Alors qu’il proposait pour ce dernier poste Salim Jubouri, le bloc sunnite «Axis» a annoncé soutenir l’ancien ministre de l’Intérieur Qasim al-Araji (ISHM). Le vote prévu au Parlement le 24 pour nommer de nouveaux ministresn'a finalement pas eu lieu…
Le 13, le Vice-président du parlement Hassan Ka’abi a annoncé que la Commission électorale avait fixé au 16 novembre la date suggérée pour les élections provinciales (prévues pour décembre dernier, elles n’ont pas eu lieu, le parlement n’ayant pas réussi à légiférer pour attribuer les fonds nécessaires). Cette date ne concerne pas la Région du Kurdistan qui dispose de sa propre Commission électorale, mais concerne bien la province de Kirkouk, qui n’a connu qu’une élection régionale (2005) depuis la chute du régime précédent. Les députés kurdes, qui tenaient particulièrement à ce que l’élection y ait enfin lieu, ont selon Kurdistan 24 réussi à empêcher un nouveau report.
Autre point d’intérêt pour les Kurdes, le Conseil des ministres a décidé le 18 que tous les postes-frontières, incluant ceux du Kurdistan, devraient être contrôlés par le Bureau fédéral des douanes. Au Kurdistan, les employés seront «des résidents de la Région possédant les compétences nécessaires». A également été décidée la suppression de tous les points de contrôle intérieurs, dont les 3 installés à Kirkouk (Rûdaw).
Concernant Daech, la Mission d’assistance des Nations-Unies (UNAMI) a publié le 3 les chiffres des pertes civiles dues aux actes de terrorisme et de violence pour décembre: 32 civils tués et 32 blessés; les chiffres les plus élevés sont ceux de la province de Ninive (Mossoul) où il y a eu 7 morts et 19 blessés, et de Bagdad, avec 17 morts et 3 blessés (ISHM). Malgré la proclamation de la victoire sur Daech le 9 décembre 2017, attaques, attentats, enlèvements et assassinats de responsables politiques locauxse poursuivent. Les forces de sécurité ont d’ailleurs annoncé le 4 avoir détruit 8 tunnels utilisés par Daech dans les provinces de Ninive et Salahaddine, dont 4 dans les montagnes au nord de Tikrit (Kurdistan 24). Le 8, la Coalition anti-Daech a mené près de Hawija, ancienne place-forte de Daech au sud de Kirkouk,une frappe aérienne où 2 commandants djihadistes ont été tués (WKI). Le même jour, l’association de défense des Droits de l’homme Human Rights Watch (HRW), après avoir recueilli les témoignages de plusieurs enfants, a publié un rapport accusant les forces de sécurité du Kurdistan de torturer des mineurs se trouvant dans des centres de détention pour leur faire avouer leur appartenance à Daech. Le Conseiller pour les affaires internationales du GRK, Dindar Zêbarî, a rejeté ces accusations (AFP).
Le 13, un milicien des Hashd al-Shaabi a été tué dans une attaque djihadiste à Kirkouk. Le 16, la Sécurité de Suleimaniyeh a annoncé l’arrestation d’un dangereux djihadiste arrivé au Kurdistan après la chute de Mossoul. Le 17, après une série d’attaques, les habitants de plusieurs villages de Diyala, près de Jalawla et Khanaqîn, ont préféré partir (ISHM). Le même jour, l’anti-terrorisme d’Erbil a annoncé l’arrestation de 8 personnes la veille, 2 membres de Daech et 6 suspects (Rûdaw).
Le 22, des représentants des communautés arabe et turkmène de Kirkouk ont demandé la formation d’une nouvelle force de sécurité régionale pour lutter plus efficacement contre Daech. Le même jour à Bagdad, des représentants du GRK et du gouvernement fédéral ont annoncé la formation rapide sous supervision américaine d’un Comité militaire conjoint qui coordonnera les opérations de sécurité dans les territoires disputés, en particulier Kirkouk. Le Comité précédent avait cessé de fonctionner en octobre 2017 après l’entrée dans Kirkouk des forces fédérales et des milices chiites, mais l’ambassade américaine a joué les médiateurs pour permettre son redémarrage (ISHM).
Le 23, une attaque à la voiture piégée a eu lieu à Hawija (ISHM). Le 26, les milices Hashd al-Shaabi ont annoncé avoir intercepté des djihadistes tentant de s’infiltrer depuis la Syrie. La nuit suivante, les djihadistes ont attaqué un point de contrôle de Khanaqîn, blessant 2 policiers et 3 membres de la Sécurité. Des échanges de tirs de plus d’une heure ont provoqué la panique en ville. Le 27, plusieurs attaques au sud de Mossoul ont fait 6 morts et 12 blessés;une bombe improvisée a explosé au passage d’une voiture de police, une seconde explosant alors qu’un groupe d’officiers arrivait sur les lieux. Dans une autre attaque, un groupe en uniforme a assassiné par balles un couple chez lui. Non revendiquées, ces attaques évoquent les méthodes de Daech (Kurdistan 24).
Au Kurdistan, les discussions se sont poursuivies pour former le nouveau gouvernement. Le PDK, visiblement inquiet de la perte de crédibilité du GRK auprès de ses administrés, a appelé à une accélération du processus en excluant de la discussion les questions non indispensables à un accord, comme la répartition des postes à Bagdad et la gouvernance des territoires disputés. L’UPK veut au contraire discuter ces sujets, de peur qu’un accord incomplet ne provoque la paralysie ensuite (Kurdistan 24). Début janvier, un nouveau différend a envenimé les relations entre les deux partenaires: la sécurité (Asayish) de Garmiyan, en zone UPK, avait arrêté fin décembre un fils d’un chef tribal proche du PDK, Akbar Haji Rostam, accusé d’implication dans des activités criminelles. En représailles, les Asayish d’Erbil, dépendant du PDK, ont arrêté le 2 au soir un responsable de l’UPK, Peshraw Waisi, liant sa libération à celle de Rostam… Le 9, selon la chaîne Rûdaw, 5 membres de l’UPK étaient détenus par le PDK et les négociations étaient bloquées jusqu’à leur libération…
Le 14, après une nouvelle rencontre entre le Premier ministre sortant Nechirvan Barzani et son successeur désigné Masrour Barzani (PDK), et Kosrat Rasoul (UPK), a été annoncée la création d’un Comité commun pour résoudre les différends. Le 20 a été annoncée la conclusion prochaine d’un accord sur 4 ans portant sur tous les points concernés, ainsi que sur les relations du GRK avec les pays étrangers, incluant l’Iran et la Turquie (Rûdaw). Puis a été annoncée pour le 26 une réunion devant mettre l’accord par écrit. Mais le 29, une source politique a indiqué à Kurdistan 24 qu’à la demande de l’UPK, une réunion avec le PDK prévue le 25 avait été annulée sans que soit fixée de date de remplacement, stoppant de fait le processus. Malgré d’autres discussions parallèles impliquant PDK, Goran et partis islamistes Komal et Yekgirtû, une réunion rassemblant PDK, UPK et Goran étant même annoncée le 30, le mois s’est achevé sur la constatation d’un blocage… et sans gouvernement.
À Suleimaniyeh, les tensions entre autorités UPK et parti Tevgerî Azadî, proche du PKK, se sont poursuivies, avec la fermeture le 8 par la sécurité de la ville du cinéma Salim, où devait être projeté le 11 un film consacré à Sakine Censiz, co-fondatrice du PKK (et l’une des 3 militantes kurdes assassinées à Paris en janvier 2013). Le lendemain, la sécurité a arrêté à Garmiyan 9 membres de Tevgerî Azadî employés d’une structure culturelle. Le parti a accusé le 12 en conférence de presse l’UPK de plier devant les pressions de la Turquie (Rûdaw). Ces tensions arrivaient une semaine après la réception du Président irakien Barham Salih, appartenant à l’UPK, par son homologue turc à Ankara.
Le 14, le directeur de l’aéroport international de Suleimaniyeh, Tahir Abdullah, a annoncé que les liaisons aériennes avec la Turquie redémarreraient le 24. La Turquie les avait suspendues après le référendum d’indépendance du 25 septembre 2017, rouvrant celles avec Erbil, mais maintenant son embargo sur Suleimaniyeh en raison du «soutien au PKK» des autorités de la province, rendues responsable de la capture par ce parti de 4 agents du MIT en août 2017. Le 1er avion de Turkish Airlines s’est posé à Suleimaniyeh le 26 (AFP).
D’autres tensions impliquant la Turquie, cette fois à Dohouk, contrôlée par le PDK, ont suivi la mort de 4 civils dans des frappes aériennes turques: des manifestants protestant contre la présence militaire turque devant une base établie sur le sol du Kurdistan d’Irak ont été visés par des tirs des militaires turcs qui ont fait 1 mort et une dizaine de blessés. La chaîne de télévision NRT, seule présente lors de ces événements, s’est plainte d’avoir été empêchée de les couvrir par la Sécurité qui a aussi fermé son bureau de Dohouk. Le Directeur du Centre Metro pour les droits des journalistes, Diyar Muhammad, a dénoncé le 27 cette fermeture comme illégale car n’ayant pas suivi la procédure réglementaire.
Dans les territoires disputés, et notamment à Kirkouk, les tensions, cette fois avec Bagdad, sont remontées durant plusieurs jours. Janvier avait pourtant commencé positivement, avec l’annonce le 3 d’un processus de normalisation prévoyant le retrait graduel des milices chiites Hashd al-Shaabi et le retour éventuel du PDK (Rûdaw). Mais le 8 au soir, bravant l’interdiction des forces de sécurité fédérales, l’UPK a hissé le drapeau kurde à côté du drapeau irakien sur ses différents bureaux en ville. Le gouverneur intérimaire de la province, Rakan al-Jubouri, a déployé la sécurité pour disperser les Kurdes qui célébraient le lever de leur drapeau. Le Front Turkmène a publié un communiqué de condamnation. Le 9, les tensions étaient telles que le Premier ministre irakien a pris contact avec le président Barham Salih, en visite officielle au Qatar, avant de demander à l’UPK d’abaisser le drapeau kurde, dont le lever constituait selon lui «une violation de la constitution». Il a proposé de soumettre la question à la Cour suprême. La sécurité a posé un ultimatum à l’UPK, lui laissant jusqu’au 11 à midi pour abaisser les drapeaux .Avant son expiration, l’UPK a annoncé avoir obtempéré pour plusieurs de ses bureaux, sauf son siège principal, jusqu’à la décision de la Cour. Le gouvernement irakien a déposé plainte contre l’UPK, et le 16, plusieurs députés kurdes ont fait de même contre le gouverneur intérimaire pour avoir fait retirer le drapeau par la force (Asharq Al-Awsat).
Confronté à de nouvelles sanctions américaines, l’Iran connait des problèmes économiques qui ont récemment provoqué une augmentation importante de son taux de chômage. Selon Radio Farda, le Président du Centre statistique iranien, Omid Ali Parsai, a déclaré le 9 que celui-ci avait atteint 27% chez les jeunes et plus de 40% pour les diplômés universitaires. Depuis le début de l’année (le 21 mars en Iran), le pays a créé 550.000 emplois, alors qu’il y a annuellement 900.000 entrants sur le marché de l’emploi. Ces chiffres officiels pourraient bien être inférieurs à la réalité, mais quelle que soit la vérité, il est clair que dans l’ensemble des provinces kurdes de l’Ouest du pays (Rojhelat), où la pauvreté est profonde, la situation économique poursuit sa détérioration. Le 10, les enseignants de la province de Kermanshah ont fait grève pour protester contre le non-paiement de leurs salaires, des dizaines d’entre eux se rassemblant devant les bureaux de la Direction de l’éducation pour réclamer leurs salaires. À Marivan, malgré plusieurs grèves, la dernière fin janvier, les employés municipaux n’ont pas été payés depuis des mois. Certains, selon l’Association de défense des droits de l’homme du Kurdistan (Komeley Mafî Mirovî Kurdistan, KMMK) attendent leurs salaires depuis 21 mois, d’autres «seulement» depuis 10 mois (WKI)…
Dans ce contexte, on comprend que certains agriculteurs kurdes s’inquiètent de la proposition lancée le 5 par le président Hassan Rouhanî, selon laquelle l’Iran devrait louer des terres cultivables à l’étranger pour contourner sa pénurie d’eau! Si le pays choisit cette voie plutôt que de les aider à résoudre leurs problèmes d’irrigation, que deviendront-ils? (Rûdaw)
La situation politique des autres parties du Kurdistan a aussi un impact sur les mouvements des Kurdes d’Iran. Informés des grèves de la faim dans les prisons turques en protestation de l’isolement du chef du PKK Abdullah Öcalan, les prisonniers politiques kurdes détenus dans plusieurs villes d’Iran ont organisé le 5 janvier une grève de la faim de solidarité d’une journée (WKI).
Par ailleurs, après la sanglante année 2018 (71 porteurs kurdes transfrontaliers, ou kolbars, tués, et 231 autres blessés), les forces de répression poursuivent en 2019 leurs tirs pour tuer. Le 3, un premier kolbar a été blessé par balles près de Baneh; le lendemain, 2 autres ont été tués dans des incidents séparés près d’Ouroumieh et 2 autres blessés près de Sardasht (WKI). Le 12, un porteur a de nouveau été blessé près de Sardasht, et l’association de défense des droits de l’homme Hengaw a rapporté des tirs des gardes-frontière sur 4 autres porteurs le 13 près de Baneh, faisant 3 blessés, dont 1 grièvement. De plus, 2 autres kolbars sont morts de froid près de Salmas et 1 s’est noyé dans une rivière près de Sardasht (WKI).
Le 17, selon Hengaw, ce sont 5 membres des forces de sécurité iraniennes qui ont été «sévèrement blessés» dans la province de Kermanshah dans deux affrontements séparés avec des porteurs, dont la nature n’a pas été précisée. Quatre véhicules de police ont également été détruits. Le même jour, près de 100 km plus au nord, un autre affrontement s’est produit à Baneh, à l’issue duquel un militaire a dû être hospitalisé. Kurdistan 24 précise qu’il n’a pas pu vérifier ces nouvelles indépendamment, les médias iraniens n’ayant rien publié sur ces incidents. Le 19, un autre porteur a été blessé par balles près de Piranshahr, tandis que 2 kolbars se blessaient dans une chute le long d’une falaise à Baneh. Un autre encore a été blessé par une mine frontalière à Ravansar. Le 27, un autre porteur s’est de nouveau blessé dans une chute, cette fois dans la région du Hewraman. Le 28 un autre a été blessé selon Hengaw près de Maku par des gardes-frontières, alors qu’il ne transportait pourtant aucune marchandise, et le lendemain, un autre a perdu la jambe suite à ses blessures à Sardasht (WKI).
Le 30, Hengaw a compté 9 morts et des dizaines de blessés parmi les kolbars depuis le début du mois.
Parallèlement, les organismes de répression du régime ont poursuivi leur «travail» au Kurdistan. Le 1er janvier, l’Etelaat (Service de renseignement) a arrêté 3 activistes à Mahabad, et le 2, les forces de sécurité de Bokan ont selon le KMMK lancé un raid sur les locaux de Welat, une organisation de défense de l’environnement, fermant le bureau et emportant le mobilier. Juste avant le raid, les membres de l’organisation avaient déclaré que la municipalité pro-régime cherchait à les faire fermer. Toujours selon KMMC, l’Etelaat a également arrêté le 5 janvier à Kamyaran un défenseur de l’environnement, Essa Faizî, qui a été mis au secret (WKI). Le 15, l’Institut kurde de Washington a annoncé l’arrestation par l’Etelaat de 2 autres activistes du village de Salîn, dans la région du Hewraman, Aram Awdaîn and Burhan Awdîan, qui ont également été mis au secret.
Les défenseurs de l’environnement semblent maintenant particulièrement ciblés par le régime, puisque selon KMMK, des dizaines de membres du Parti de l’unité nationale, qui mène une action régulière en ce sens, ont été arrêtés par l’Etelaat à Sanandaj et Kamyaran. Le 17, la Sécurité a aussi arrêté 2 Kurdes de Sanandaj et un autre d’Oshnavieh (Shino) pour «liens avec des partis interdits». Le 22, plusieurs enseignants de Saqqez qui avaient participé à la grève générale de novembre dernier ont été convoqués pour interrogatoire par les services de sécurité. Ils ont été interrogés plusieurs heures de suite avant d’être relâchés. Le 19, les pompiers de Sanandaj ont fait grève pour protester: ils n’ont pas perçu leurs salaires depuis 3 mois (WKI).
Le 28, l’Etelaat a arrêté à Kermanshah l’éminent historien et chercheur kurde Naser Amenikhwa. Les officiers du renseignement ont fouillé sa maison et confisqué son ordinateur portable, son téléphone, ses carnets de notes et d’autres affaires lui appartenant. A Sanandaj et Piranshahr, 2 Kurdes ont été arrêtés pour «aide à des partis kurdes d’opposition», et un activiste de Sanandaj, Mokhtar Zeraa’y, a été condamné à trois ans de prison pour «insulte au Chef Suprême» (Rahbar-e enqelâb, terme désignant en persan le Guide de la Révolution, l’Ayatollah Ali Khamenei).
En ce début d’année 2019, plusieurs organisations ou instances politiques ont publié des rapports dénonçant la répression continûment exercée par le régime durant 2018. Le 8 janvier, l’Union européenne a imposé de nouvelles sanctions au pays en raison de 4 tentatives d’attaques terroristes récentes de l’Iran au-delà de ses frontières. Ces sanctions sont les premières depuis l’accord concernant le secteur nucléaire iranien. Des agents iraniens auraient en effet tenté d’attaquer à la bombe une réunion de l’opposition en France et d’assassiner un autre membre de l’opposition au Danemark. Ils auraient également assassiné 2 membres de l’opposition au Pays Bas en 2015 et en 2017, selon des révélations du ministre néerlandais des Affaires étrangères. L’Iran a réagi en dénonçant l’abri offert aux «terroristes» de l'Organisation des Moudjahidine du peuple notamment par le Danemark, les Pays-Bas et la France (EU Observer).
Le 16 janvier, le Parti démocratique du Kurdistan d’Iran (PDKI) a aussi publié un rapport (en anglais, accessible sur le site UNPO ->) détaillant les mauvaises conditions économiques et les violations des droits de l’homme subies de la part du régime par la population du Kurdistan d’Iran. Comme on peut s’y attendre, une grande partie de ce document est consacrée à la situation des kolbars. Le rapport ne se borne pas à dénoncer, cependant, il contient aussi des recommandations qui, si elles étaient mises en œuvre, pourraient améliorer la vie des Kurdes en Iran. Le 24, le responsable Moyen-Orient d’Amnesty International, Philip Luther, a également dénoncé dans un rapport une campagne de répression déclenchée suite aux manifestations contre la vie chère, la corruption et l’autoritarisme du régime, qui s’est accompagnée de milliers d’arrestations durant 2018. Le rapport mentionne la répression spécifique qui frappe les Kurdes et les autres minorités ethniques dans le pays (WKI).
Sur un autre plan, les Kurdes d’Iran ont de nouveau souffert d’un séisme, qui a frappé la province de Kermanshah le 6 janvier après 16 h 40, causant l’hospitalisation de dizaines de personnes. Avec une magnitude de 5,9 sur l’échelle ouverte de Richter, il a été ressenti jusque dans la Région voisine du Kurdistan d’Irak et même à Bagdad. Les habitants, effrayés, sont sortis dans la rue par peur de l’effondrement de leur demeure. Il faut dire que c’est le 5e tremblement de terre qui frappe la région depuis et incluant celui de novembre 2017, qui avait fait 630 victimes et laissé des dizaines de milliers de sans-abris. En août dernier, un séisme précédent avait fait plus de 200 morts ou blessés, précédé d’un autre fin juillet ayant fait 150 victimes, et un autre en avril. Les autorités ont été sévèrement critiquées pour leur absence d’assistance aux victimes, et en particulier aux habitants ayant perdu leur demeure, et pour la mauvaise qualité de certains bâtiments, qui pourrait résulter de la corruption.