L’actualité du Rojava a été dominée ce mois-ci par l’annonce le 23 de la prise par les Forces démocratiques syriennes (FDS) du dernier village tenu par Daech en Syrie, Baghouz. Si cette chute met formellement fin à l’existence territoriale du «Califat», on ne peut en dire autant pour Daech, dont la reconversion en organisation clandestine non-territorialisée est entamée...
À Afrîn, les attaques contre les djihadistes et mercenaires pro-turcs se sont poursuivies. Al-Monitor s’est fait l’écho le 4 des investigations menées par le média en ligne Bellingcat sur l’«insurrection de basse intensité» en cours dans le canton (->). Outre les YPG eux-mêmes, moins actifs, et avec de nombreuses attaques non revendiquées, 2 groupes apparaissent: «Colère des Olives» (Ghadab al-Zaytoun) et «Forces de libération d’Afrîn» (HRE, Hêzên Rizgariya Efrînê), qui ensemble sont les auteurs depuis l’invasion de plus de 220 attaques, dont Bellingcat estime le bilan à au moins 10 soldats turcs et plus de 100 djihadistes tués… Le 1er du mois, une bombe artisanale déclenchée au passage de combattants de l’Armée syrienne libre a fait 3 morts près d’Al-Bab, une embuscade revendiquée par les HRE (Hawar). Inversement, des tirs turcs ont visé sans faire de pertes les positions du conseil militaire d’Al-Bab, affilié aux FDS. Selon des sources locales, quelque 70 véhicules militaires turcs ont été déployés dans cette zone face aux lignes FDS. Le 4, les HRE ont revendiqué plusieurs actions, dont la mort de 8 djihadistes dans un échange de tirs le 1er mars près d’Azaz, puis celle de 4 autres dans l’explosion d’un véhicule qui a aussi fait 3 blessés. Le même communiqué a aussi revendiqué la mort le 2 mars au nord d’Alep de 6 combattants de l’«Armée nationale syrienne» (malgré son nom une création de la Turquie). Le 9, l’explosion d’une moto, non revendiquée, a fait 3 morts et 1 blessé à Jerablous, contrôlée par des factions pro-turques de l’ASL.
Le 18, «Colère des Olives» a revendiqué la mort de 3 militaires turcs à Ajil, un village près d’al-Bab, dans l’explosion d’une bombe déclenchée au passage de leur convoi (ANF). Le 19, date anniversaire de l’invasion turque, des milliers de manifestants sont descendus dans la rue en Syrie et à l’étranger en signe de protestation. Le 19, selon des sources locales, les autorités pro-turques d’Afrîn ont distribué des tracts en turc et en arabe interdisant la célébration de Newrouz. Le 20, les HRE ont annoncé avoir mené 3 attaques dans Afrîn, dont l’une, avec une demi-douzaine de djihadistes tués, pourrait être la plus meurtrière depuis l’invasion (AMN). Dans une autre, un sniper a tué au moins un combattant de l’ASL sur un checkpoint. Le 31, le ministère de la Défense turc a confirmé la mort d’un militaire dans le district de Shera lors d’échanges de tirs avec des «terroristes». Selon l’OSDH, l’attaque, qui a aussi blessé un autre soldat, était menée par les YPG. L’armée turque a riposté avec plus de 150 projectiles (Rûdaw). À noter que plusieurs attaques non revendiquées ayant entraîné la mort de civils et des enlèvements suivis d’exécutions de civils accusées d’être des collaborateurs des occupants ont été condamnées par les YPG, qui ont pointé du doigt le MIT (services secrets) turc.
Après la publication fin février d’un rapport de la Commission d’enquête des Nations-Unies sur la Syrie documentant les exactions des djihadistes à Afrîn (détention arbitraire, enlèvements, torture etc), le Département d’État américain a à son tour documenté des violations commises à Afrîn par l’armée turque et ses supplétifs djihadistes. Le Rapport 2018 sur les Droits de l’Homme, publié le 14 (->), documente des violations extrêmement sérieuses du droit international, comme le meurtre de plusieurs civils dans le quartier d’al-Mahmoudiya au moment de la prise de la ville le 16 mars 2018, tués dans une frappe sur un marché, puis durant son occupation, le pillage et la confiscation de résidences de familles kurdes et le déplacement forcé de nombreux civils. Selon plusieurs témoignages, les militaires turcs, souvent présents, n’ont rien fait pour empêcher pillages ou des confiscations de résidences, églises, et temples yézidis, et les plaintes déposées ensuite auprès de la police militaire pro-turque n’ont pas abouti (Kurdistan 24). Selon un rapport publié le 21 par l’Asia Times, Afrîn, auparavant totalement kurde, après les expulsions ou la fuite d’une partie de ses habitants et leur remplacement par des rebelles arabes, ne serait plus qu’à moitié kurde. Ceux qui sont restés ont peur et n’ont pas le droit de vendre leurs olives en Syrie (Ahval).
La Turquie poursuit par ailleurs ses pressions sur les États-Unis à propos de leurs relations avec le PYD. Le 2, l’agence étatique Anatolie a accusé les Américains d’avoir organisé entre PYD et Daech à Baghouz un accord d’échange permettant aux djihadistes et leurs familles de demeurer dans des camps contrôlés par les Kurdes, où, s’ils le souhaitent, de gagner des zones syriennes sous contrôle turc, comme Afrîn, Azaz ou Jerablous, voire d’entrer en Turquie avec de faux passeports (Ahval)! À Manbij, la Sécurité de la ville a annoncé avoir démantelé une cellule djihadiste soutenue par la Turquie, découvrant explosifs et autres équipements (WKI). Malgré cela, une attaque-suicide a visé le 9 près de la ville une patrouille commune entre GIs et combattants du Conseil militaire de Manbij (CMM), faisant selon celui-ci 8 blessés, dont 7 civils (Spoutnik).
La discussion turco-américaine à propos de l’éventuelle «zone de sécurité» du Nord syrien semble toujours aussi difficile. Le 6, le président turc a déclaré dans une interview sur Kanal-24 qu’il ne pourrait accepter de zone de sécurité dans le Nord syrien si celle-ci n’était pas confiée à la Turquie: celle-ci veut la contrôler elle-même pour en expulser les YPG. Le 25, selon l’agence turque Anatolie, l’envoyé spécial américain pour la Syrie James Jeffrey a indiqué que les YPG ne seraient pas autorisés à y maintenir une présence, tout en assurant que les États-Unis protégeraient leurs partenaires des FDS...
La menace d’une attaque turque plane cependant toujours sur le Rojava. Le 12, Mustafa Shawrash, un responsable des pechmergas de l’UPK irakien, a indiqué dans une interview au Defense Post que son parti était prêt à apporter une aide matérielle et logistique aux YPG si cette menace se matérialisait. Shawrash a précisé qu’en raison de l’appartenance de ces troupes à l’État irakien il ne serait pas possible d’envoyer de combattants mais qu’une assistance matérielle et médicale était possible. Des blessés des YPG sont d’ailleurs déjà soignés dans des hôpitaux de Suleimaniyeh.
Après l’annonce de retrait de Donald Trump en décembre dernier, le Conseil démocratique syrien aurait refusé l’assistance proposée par les «Roj Pechmergas», qui sont eux des Syriens, mais affiliés au Parti démocratique du Kurdistan de Syrie, proche du PDK irakien. La complexité des relations entre partis kurdes du Rojava rend cette information vraisemblable. Ainsi le 12, lorsque 27 partis proches du Mouvement pour une société démocratique (TEV-DEM), dirigeant la Fédération du Nord syrien, se sont réunis le 12, ceux appartenant à l’opposition du Comité kurde ENKS, proche du PDK irakien, ont déclaré ne pas avoir été invités, tout en indiquant qu’ils refuseraient de participer tant que leurs prisonniers politiques ne seraient pas libérés. Jadan Ali, représentant de l’ENKS à Erbil, a déclaré à Rûdaw que la levée en janvier de l’interdiction de certains partis d’opposition n’était toujours pas effective.
Au 1er mars, après 2 semaines de suspension, les FDS ont repris leur offensive sur le réduit de Baghouz où sont retranchés les derniers combattants de Daech, estimés à quelques milliers d’«irréductibles». Cette reprise fait suite à l’évacuation fin février de milliers de femmes et d’enfants. Les FDS, qui contrôlent déjà une partie du village, ont mené le 2 des combats très violents pour les quelques pâtés de maisons accolés à un camp informel constituant maintenant le «Califat», totalement encerclé puisque l’armée de Damas tient l’autre rive de l’Euphrate… Le 3, l’administration de la Fédération du Nord Syrien a annoncé avoir libéré dans plusieurs des régions qu’elle contrôle quelque 300 djihadistes «n’ayant pas de sang sur les mains». Ce même jour, après une courte pause nocturne, les combats ont repris à Baghouz et se sont poursuivis le 4. Après de nouvelles évacuations de familles de djihadistes, environ 150 combattants se sont rendus. Le 6, les FDS en ont capturé 400 autres qui tentaient de s’échapper. Le 8, selon un autre porte-parole des FDS, Adnan Afrîn, les combats s’étaient réduits à des heurts intermittents (AFP). L’offensive a redémarré le 10, et le 12, 2.000, puis 3.000 personnes se sont rendues. Le 15, comme les redditions ses poursuivaient, les combattants de Daech ont mené contre leurs propres «déserteurs» des attaques-suicides qui ont fait au moins 6 victimes (Kurdistan-24, AFP). Les FDS ont poursuivi leur lente avance dans Baghouz et le camp, où selon l’estimation des FDS, il restait environ 5.000 personnes. Le 20, jour où ils ont libéré 5 femmes et 2 enfants yézidis (WKI), ils ont fait une pause pour consolider leur contrôle du terrain conquis, reprenant l’offensive le 22.
C’est finalement le 23 que les FDS ont annoncé officiellement dans un communiqué la fin du «califat» proclamé en 2014. Des célébrations ont été organisées dans plusieurs villes de la Fédération du Nord syrien, dont Qamishli et Kobanê. Durant la cérémonie de victoire tenue avec des représentants de la Coalition, Mazloum Kobanê, le Commandant général des FDS, a indiqué que celles-ci avaient depuis 2014 libéré 55.000 km² et 5 millions de civils. Les FDS ont perdu dans cette lutte le chiffre terrible de 11.000 combattants et eu plus de 21.000 blessés. Durant la cérémonie de victoire, le co-président du PYD, Shaho Hussein, a déclaré: «Sans résoudre la question d’Afrîn et du retour chez eux de ses habitants, il n’y aura pas de réelle solution sur le terrain en Syrie» (WKI).
La chute de Baghouz n’a cependant pas mis fin aux activités de Daech. Le lendemain, des dizaines de djihadistes encore cachés dans des tunnels de Baghouz se sont rendus, et la nuit du 25, des hommes armés ont attaqué un checkpoint à Manbij, tuant 7 combattants du CMM et en blessant 3 autres. L’attaque a été revendiquée par Daech le lendemain… (AFP) Le 28, des frappes aériennes sur Baghouz ont encore tué 50 djihadistes cachés dans des tunnels, et le 29, un combattant FDS (2 selon l’OSDH) a été tué dans la province de Deir Ezzor par une voiture piégée probablement préparée par une cellule dormante.
La question des djihadistes étrangers prisonniers des FDS, en particulier dans le camp d’Al-Hol, n’a toujours pas trouvé de solution. Selon Fabrizio Carboni, directeur Moyen-Orient du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), les FDS, qui ont déjà remis en février 150 djihadistes irakiens aux autorités de ce pays, envisagent d’y transférer 20.000 prisonniers, dont des femmes et des enfants. Le gouvernement irakien a exprimé son accord (Rûdaw, Reuters). Le 18, la Fédération du Nord syrien, qui tire depuis des mois la sonnette d’alarme à propos du surpeuplement du camp d’Al-Hol, a de nouveau demandé l’aide de la communauté internationale pour gérer les 5.000 djihadistes dernièrement capturés à Baghouz. Mais les pays occidentaux ne se montrent guère favorables au rapatriement de leurs ressortissants. En France, le Premier ministre Edouard Philippe a expliqué le 6 qu’un tel rapatriement devrait être nécessité par «une modification de l'équilibre des forces sur le terrain» augmentant le risque de fuite (Reuters), et le 13, le Président français a réitéré que la décision serait prise «au cas par cas». La France étant signataire de la Convention internationale des droits de l’enfant, des avocats de familles ont commencé à saisir les tribunaux administratifs pour contraindre l’État à accepter des rapatriements d’orphelins mis en danger de mort par les conditions de détention. Le 15, cinq d’entre eux, âgés de moins de 5 ans ont atterri à la base aérienne de Villacoublay (L’Express). Le 21, d’autres avocats ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme pour violation du droit international (CEDH). Le 25, la Fédération du Nord syrien a appelé à la constitution d’un tribunal international spécial basé sur son territoire, ce qui permettrait de juger les djihadistes «dans le pays où les crimes ont été commis». La communauté internationale n'ayant pas assumé ses responsabilités, «nous lui demandons maintenant de coopérer en nous fournissant un soutien légal et logistique pour établir et protéger une telle cour», a indiqué un responsable. Si les criminels doivent théoriquement être jugés par les autorités judiciaires des États où ils ont commis des crimes, la situation est rendue compliquée en Syrie où la Fédération du Nord syrien n’a pas de reconnaissance internationale. De plus, pour la majorité des États concernés, il n’est pas imaginable de confier ces procès au régime de Damas…
Le 28, une ONG belge, Child Focus, annonçant la mort récente dans des camps ou suite à des balles perdues de plusieurs enfants nés de parents belges, a demandé un «rapatriement rapide» (AFP). En fin de mois, le Danemark a annoncé refuser la nationalité danoise aux enfants nés en Syrie de parents danois (WKI).
La fin annoncée de la campagne militaire anti-Daech a relancé les tractations autour du conflit syrien. Dès le 4, les chefs d’état-major russe et américain s’étaient rencontrés à Vienne pour se coordonner… Le 26, le ministère turc de la Défense a annoncé que Turquie et Russie avaient commencé des patrouilles coordonnées (mais non conjointes) dans la région de Tell Rifaat, au nord d’Alep. Les unités turques remplacent maintenant les combattants de l’Armée Syrienne libre face aux lignes des YPG. Ankara a plusieurs fois menacé d’attaquer cette ville tenue par les YPG, mais Moscou s'y oppose. Turquie et Russie coordonnaient déjà depuis le début du mois leurs patrouilles de part et d'autre de la limite de la province d'Idlib. Ces mouvements interviennent alors que militaires turcs et russes se préparent à rouvrir l’autoroute Gaziantep-Alep et à assurer sa sécurité (AFP, AMN).
L’évolution du contexte pose clairement la question du devenir de la Fédération du Nord syrien et de ses relations avec Damas, qui continue à souffler le chaud et le froid. Le 18, le ministre syrien de la Défense, Ali Abdallah Ayoub, a averti que l’armée pourrait à défaut d’accord «libérer par la force» les zones tenues par les FDS, qui ont dénoncé ces «propos menaçants» et défendu la nécessité d’un dialogue et d’une solution pacifique à la question de leur autonomie (AFP). Pour la Fédération, l’acceptation de l’autonomie par Damas demeure le préalable à une intégration éventuelle des FDS dans l’armée syrienne, comme l’a exprimé le 25 leur représentant à Moscou, Reshad Bienav. La situation est compliquée par le fait que certains leaders tribaux arabes jusqu’à présent alliés aux FDS, et qui tentent maintenant de jouer les médiateurs entre celles-ci et le régime, comme le chef des Shammar, pourraient être tentés de négocier séparément avec Damas pour assurer leur propre futur… (Al-Monitor)
Parallèlement, le «Comité constitutionnel syrien», né des accords de Sotchi en janvier 2018, est sensé travailler sur une Constitution décentralisée. Mais jusqu’à présent, il est impossible d’évaluer l’impact que ses travaux auront sur le terrain...
Le mouvement de grève de la faim s’est poursuivi durant tout le mois de mars, regroupant finalement plus de 400 jeûneurs, majoritairement des prisonniers politiques, mais aussi des membres ou des dirigeants du parti «pro-kurde» HDP. Il a aussi été suivi à l’étranger. À Bristol (Royaume-Uni), une manifestation de soutien à un réfugié kurde en grève de la faim depuis 2 mois, Ilhan Şiş, s’est tenue le 5 mars devant la mairie, les protestataires en appelant au Parlement britannique. À Montpellier le 8 – journée des femmes – des femmes kurdes de la diaspora se sont réunies en musique et en chansons, en solidarité avec leurs consœurs en Turquie (Le Midi libre). À Erbil, au Kurdistan d’Irak, Nasir Yagiz, a poursuivi son jeûne, entamé fin novembre, refusant tout traitement médical malgré son état de plus en plus critique, puisqu’il est devenu quasiment aveugle… Depuis Gaza, l’écrivain Nayrouz Qarmout, prenant ses distances avec la «solidarité palestinienne» affichée par M. Erdoğan, a exprimé le 23 sa propre solidarité avec Leyla Güven, initiatrice du mouvement, qui libérée, poursuit le jeûne chez elle.
En une seule semaine, 4 prisonniers politiques kurdes se sont suicidés dans leur cellule. Le 17, Zülküf Gezen s’est pendu à Tekirdağ, le 23, Ayten Beçet s'est suicidée dans la prison pour femmes de Kocaeli. Le 24, Zehra Sağlam a mis fin à ses jours à Erzurum, et le lendemain, c’est Medya Çınar qui s’est suicidée à Mardin, où elle venait d’être transférée de Van pour son procès. Comme Sağlam, elle était détenue pour «liens avec le PKK». Leyla Güven a appelé à la fin des suicides politiques, comme les coprésidents de 4 partis kurdes réunis à Diyarbakir le 26. Les autorités turques ont tenté d’empêcher que les funérailles des suicidés ne deviennent des rassemblements politiques: pour Zülküf Gezen, alors que le HDP avait appelé à une participation massive aux obsèques, le corps a été transféré de nuit vers Diyarbakir sans l’accord de la famille, et l’enterrement organisé avant l’aube sous un blocus massif de la police anti-émeutes avec blindés et canons à eau. L’interdiction faite aux participants d’entrer au cimetière a provoqué de violents affrontements…
Les autorités ont poursuivi leur répression contre le HDP afin de l’empêcher de mener campagne pour les municipales du 31. Le 3, la police a lancé un raid sur son bureau de Diyarbakir, arrêtant 5 personnes qui venaient d’y commencer une grève de la faim (Ahval) et endommageant le bâtiment. Déjà fin février, un raid similaire avait visé le bureau du HDP à Nazilli (Aydın), dont le responsable local, Sinan Bayrak, avait été arrêté. À Istanbul, le bureau électoral du HDP à Esenler a été attaqué par des inconnus. Le 5 à Kiziltepe (province de Mardin), après que le HDP y ait ouvert un bureau électoral, la police turque a arrêté 7 jeunes de 12 à 16 ans pour avoir scandé des slogans kurdes interdits. Le même jour, la police d’Ağrı a arrêté un membre du HDP, Zelal Yerlikaya, pour «propagande terroriste» en raison de ses publications sur les réseaux sociaux (WKI). Le 8, journée des femmes, la police a arrêté 9 personnes dans des raids sur les maisons de militants kurdes à Cizre (Şırnak), dont deux dirigeants du HDP et DBP (Parti des régions démocratiques, expression régionale du HDP), et 9 autres à Varto (Muş). Le soir, la police d’Istanbul a utilisé des gaz lacrymogènes, des pulvérisateurs au poivre et des balles en caoutchouc contre une marche rassemblant à l’appel d’organisations féministes des milliers de personnes au centre d’Istanbul. Les participants demandaient l’égalité des droits et la fin de la répression politique. Le HDP a pour l’occasion rappelé que la Turquie est placée par la Banque mondiale au 85e rang des États membres de l'ONU en matière d'égalité des chances pour les femmes (Kurdistan 24).
L’intimidation des journalistes et universitaires continue aussi: le 6, Semra Turan, correspondante de Mezopotamya à Tunceli (Dersim), a été arrêtée dans un raid à son domicile et son appareil photo confisqué (Ahval). Relâchée le lendemain, elle a été convoquée de nouveau par la police le 19 à l’aube soi-disant pour «récupérer l’appareil». Mais à son arrivée au commissariat, elle a été de nouveau arrêtée et transférée à Ankara suite à une nouvelle enquête lancée contre elle… (Ahval) Le 25, Füsun Üstel, professeure émérite de science politique de l’Université de Galatasaray (Istanbul) et signataire de la pétition «Nous ne serons pas complices de ce crime», a été condamnée à 15 mois de prison après le rejet de son appel du 1er mars. Trente autres signataires attendent leur verdict (L’Humanité).
Le HDP a mené campagne dans des conditions très difficiles, sous des attaques incessantes et une censure médiatique implacable. Plus de 7.000 de ses membres, dont plusieurs de ses candidats, ses anciens dirigeants Selahattin Demirtaş et Figen Yuksekdağ, une douzaine de députés et plus de 60 maires, sont incarcérés. Le 13, un motocycliste a tiré 5 balles sur le local électoral du HDP à Siirt (WKI), et le lendemain, Pervin Buldan, sa co-présidente a indiqué qu’aucune chaîne de télévision ne voulait diffuser une annonce électorale mettant en avant la diversité du pays, ajoutant ironiquement que «la seule télévision acceptant de parler du HDP est Tayyip-TV»: le Président turc adore en effet montrer dans ses propres meetings les vidéos des partis adverses pour les attaquer… Ainsi d’un clip vidéo où Sezai Temelli avait utilisé le mot «Kurdistan», dont M. Erdoğan a ensuite déclaré: «Si vous l’aimez tant, allez dans le Nord de l’Irak, le Kurdistan est là».
Certains médias appartenant au groupe Demirören, proche de l’AKP, déforment systématiquement les paroles des candidats HDP (Ahval), et dans au moins 2 provinces, les tribunaux ont ordonné l’enlèvement par la police d’affiches électorales en kurde: à Şanlıurfa, des affiches du HDP portant les mots «Li dijî şer aşitî» (la paix contre la guerre) ont été retirées comme «propagande terroriste» après que selon le HDP, le procureur ait volontairement traduit le slogan par «La paix nous appartient après la guerre». A Edirne, une affiche portant les mots «Azadî bi xwerêverbirinê destpê dike» («La liberté commence avec l’autonomie») a aussi été retirée comme «propagande terroriste». Le 16, selon le site Bianet, une enquête a été ouverte contre le co-président du HDP, Sezai Temelli. Il est accusé de «propagande terroriste» (pro-PKK) dans un de ses discours de campagne, une accusation déjà portée contre lui pour un discours du 19 décembre 2018 à Van, et il risque la levée de son immunité parlementaire. Le 17, selon le site Diken, la députée HDP Ayşe Sürücü a été condamnée à un an et 8 mois de prison pour avoir violé la loi sur les manifestations. D’abord accusée, comme Temelli, de propagande pro-PKK pour un discours prononcé en novembre 2016, elle a été finalement condamnée pour participation à une manifestation interdite à Urfa en mars 2016 (Ahval).
Le 21, une semaine avant le vote, les festivités de Newrouz sont devenus des meetings politiques. Défiant les restrictions imposées par le pouvoir, des millions de participants et des responsables du HDP se sont rassemblés dans de nombreuses villes du pays, Istanbul, Diyarbakir, mais aussi Mardin, Van, Cizre… lançant des appels à voter contre l’AKP. Les rassemblements avaient été autorisés au Kurdistan, mais la police, massivement présente, a arrêté de nombreux participants, notamment 28 à Istanbul, et 110 à Diyarbakir, où 100.000 personnes s’étaient rassemblées.
Le 23, le leader emprisonné du HDP, Selahattin Demirtaş, a mis en perspective le mouvement de grève de la faim, déclarant notamment: «Le système d’isolement [de l’île-prison] d’Imralı n’est pas simplement que M. Öcalan n’est pas autorisé à rencontrer sa famille et ses avocats. «Isolement» est le nom du vicieux système autoritaire imposé à toute la société. À moins que cet isolement ne soit brisé, il est impossible d'avancer vers la liberté, la démocratie ou la paix». Demirtaş a ensuite exhorté les électeurs du HDP à repousser la tentation du boycott, et à placer leur «précieux vote», quitte à soutenir des candidats du CHP ou de IYI pour «envoyer [l’AKP] aux poubelles de l’Histoire». En effet, si le HDP n’a conclu aucune alliance formelle avec le reste de l’opposition contre le tandem du pouvoir, AKP-MHP (extrême-droite nationaliste), il a décidé de ne pas présenter de candidats à Istanbul et Ankara, ce qui constitue un soutien indirect au CHP. Par ailleurs, les derniers sondages avant le scrutin ont montré un effritement de la popularité d’Erdoğan dû à la situation économique (la livre turque a perdu 30% de sa valeur) qui pourrait lui faire perdre ces deux villes. La manière quasi-frénétique dont le Président turc a mené campagne, attribuant de manière de moins en moins convaincante la crise à un complot anti-turc de l’Occident, montre qu’il prend ce risque très au sérieux…
Alors que s’approchait la date du scrutin, les exactions anti-kurdes s’amplifiaient. Dans le district de Karsiyaka (Izmir), des maisons d’activistes kurdes et de membres du HDP ont été marquées d’une croix par des ultranationalistes. À Sapanca (Sakarya), le bureau du HDP a été attaqué le 24. A Kadiköy (Istanbul), une patrouille de police a attaqué un stand de campagne du HDP, arrêtant 5 personnes et confisquant les tracts électoraux (WKI). La veille des élections, le samedi 30, la police a lancé des raids sur 127 maisons à Istanbul et a arrêté au moins 53 personnes, des candidats HDP au Conseil municipal. À Şanlıurfa, 11 personnes faisant campagne pour les élections ont été arrêtées, selon le HDP. A Adana, Van et İğdir, 31 personnes ont été incarcérées sur des accusations de terrorisme. La porte-parole du parti, Ayşe Acar Basaran, a indiqué dans un communiqué que depuis le début de la campagne, les autorités avaient arrêté 713 de ses membres, dont des assesseurs de bureaux de vote, dont 107 étaient toujours en détention. La violence s’est aussi invitée le jour même des élections, quand après une dispute dans un bureau de vote à Pütürge (Malatya), le neveu du candidat AKP local a tué à bout portant deux membres du Parti (islamiste) de la Félicité (Saadet Partisi). Selon la direction de ce parti, la dispute a débuté quand le meurtrier (qui a été ensuite appréhendé) a refusé d’utiliser l’isoloir.
Les autorités ont également cherché à empêcher la présence d’étrangers venus soutenir les Kurdes pour Newrouz ou les élections. Le 20, le site Arti Gerçek a indiqué qu’un groupe de l’association norvégienne Solidarity with Kurdistan avait été expulsé après avoir participé aux obsèques de Zülküf Gezen (Ahval). Le 19, une délégation de l’Association France-Kurdistan, dont sa présidente Sylvie Jan, et Michel Laurent, a été retenue dans l’aéroport d’Istanbul, puis expulsée. Sylvie Jan devait remettre de la part des Éditions Emmanuelle Collas le prix Montluc «Résistance et Liberté» à l’épouse de Selahattin Demirtas pour son roman, Aurore (Seher). Le 23, Maryvonne Mathéoud, présidente de l’Association iséroise des amis des Kurdes, venue soutenir les candidats HDP aux municipales, a été arrêtée à son arrivée à Istanbul. Retenue toute la nuit, elle a été expulsée au matin (Le Dauphiné Libéré).
Les relations de la Turquie avec l’étranger sont toujours tendues. Le 11, le ministère turc des Affaires étrangères a convoqué l’ambassadeur de Belgique à Ankara pour protester contre la décision de la chambre des mises en accusation de Bruxelles, le 8, de ne pas poursuivre 36 personnes et groupes accusés de liens avec le PKK. C’est la 3e décision identique en Belgique (AFP). Le 12, la Cour européenne des Droits de l’homme (CEDH) a ordonné à la Turquie de verser une compensation financière au propriétaire du quotidien «pro-kurde» Ozgur Gundem, fermé en 2016 sous l’accusation de propagande terroriste après un véritable harcèlement judiciaire débuté dès 2014. Dans son jugement, la CEDH accuse la Turquie d’avoir ouvert des poursuites «systématiques» contre le journal, sans rapport avec son contenu. Si c’est le cas, pourquoi une compensation aussi ridicule, 3.500 €? (Reuters). Le 16 mars, des provocateurs partisans d’Erdoğan ont tenté d’empêcher une conférence publique sur le Rojava organisée à Châtillon-sur-Chalaronne, dans l’Ain, en menaçant le journaliste français Raphael Lebrujah. Le consulat turc a de son côté appelé les gendarmes pour avertir d’un «danger à l’ordre public», ce qui a obligé à transformer la conférence en réunion privée. Si cela a permis d’interdire l’entrée aux perturbateurs, cela constitue une atteinte inacceptable au droit d’expression et de réunion… Le 20, l’ambassadeur de Turquie à Prague a qualifié d’«inacceptables» les déclarations du président tchèque Milos Zeman. Celui-ci avait déclaré la veille dans un débat public que la Turquie s’en prenait aux Kurdes parce qu’elle était «une alliée de fait» de Daech, qu’elle aidait notamment en acceptant ses exportations de pétrole (Le Figaro).
Sur le plan militaire, l’armée turque a poursuivi ses opérations anti-PKK, notamment au Kurdistan d’Irak, où elle est toujours présente jusqu’à 30 km à l’intérieur du territoire irakien. Le 6 mars, alors qu’elle y menait des bombardements aériens, le ministre de l’Intérieur turc Süleyman Soylu a annoncé le prochain lancement d’une opération transfrontalière anti-PKK en coopération avec l’Iran. Parallèlement, la Turquie poursuit l’édification d'un mur à sa frontière avec l'Iran pour fermer celle-ci aux combattants du PKK comme à ceux de son parti-frère iranien, le PJAK (AFP). Soylu a également annoncé qu’à partir de mi-mai, l’armée turque pourrait utiliser des drones contre le PKK, grâce à un nouveau logiciel (Yeni Safak). Le 7 au matin, de nouveaux bombardements turcs ont touché la région de Haftanin, suite auxquels la Turquie a annoncé avoir détruit des abris et des dépôts de munitions du PKK. Le 16, selon l’agence d’État Anadolu, des combats ont opposé des militaires turcs et des combattants du PKK dans la région de Bradost, au cours desquels 2 soldats turcs ont été tués. En face, l’engagement, ayant fait suite à l’attaque d’une base turque très tôt le matin par le PKK, aurait fait 6 morts et 8 blessés. Une source locale a indiqué à la chaîne Rûdaw estimer que l’armée turque avait perdu une douzaine de soldats. Le 18, Anadolu a annoncé le lancement effectif à 8 h du matin d’une opération militaire commune avec l’Iran contre le PKK, une annonce rapidement démentie d’abord par un responsable iranien, puis de nouveau le soir par l’agence officielle IRNA (AFP), et enfin le 20, selon l’agence iranienne Tasnim, par un porte-parole de l’armée iranienne, Abolfazl Shekarchi… Le 19, deux obus d’artillerie turcs sont tombés au Kurdistan d’Irak à midi en plein centre-ville à Kani Masi (Dohouk), près de la frontière turque. Selon le maire, 3 maisons de familles chrétiennes ont été endommagées, mais il n’y a pas eu de victime (Rûdaw). Le 23 à 5 heures du matin, de nouvelles frappes aériennes ont fortement endommagé plusieurs maisons et des véhicules dans le village de Sharanshi (Zakho), de nouveau sans victimes (Kurdistan 24). Le 30, alors que la Turquie annonçait avoir encore mené des frappes sur des installations du PKK à Qandil, les élus locaux ont demandé au gouverneur de la province de Dohouk et au ministère de l’Intérieur du Gouvernement kurde d’appeler officiellement à l’arrêt des «bombardements aveugles» (Rûdaw).
Du côté turc de la frontière, selon une source sécuritaire, un officier a été tué le 20 près de Silopi dans une attaque du PKK utilisant une bombe improvisée contre un groupe militaire en opération. Un autre officier a été blessé et hospitalisé.
Les relations entre le gouvernement régional du Kurdistan (GRK) et le gouvernement fédéral irakien continuent de s’améliorer progressivement. Entre autres parce que la persistance des attaques de Daech montre la nécessité d’une meilleure coopération sécuritaire. Le 15, sous l’égide du président du PDK, Massoud Barzani, le Conseiller irakien à la sécurité Falih al-Fayyadhet et le responsable du Conseil de la sécurité du Kurdistan, Masrour Barzani, se sont rencontrés à Erbil pour discuter de la sécurité du pays, mais aussi de la manière d’améliorer la situation des territoires disputés (Kurdistan 24). Le GRK, qui considère cependant que Bagdad n’applique pas totalement la Constitution de 2005, envisagerait de créer un portefeuille de «ministre des Affaires fédérales» afin d’imposer un meilleur respect de celle-ci (Rûdaw).
Concernant la situation économique du Kurdistan, c’est certainement l’annonce faite le 8 par le Premier ministre du GRK qui a le plus marqué les esprits localement: Nechirvan Barzani, se tenant à côté du Vice-premier ministre Qubad Talabani, a annoncé la fin du système de retenues sur salaires des fonctionnaires. Ce système très impopulaire, créé début 2016 à cause de l’arrêt du versement du budget fédéral en 2014, avait provoqué de nombreux troubles sociaux. «Cela avait été la décision la plus désagréable et la plus difficile de notre vie politique», a mentionné Nechirvan Barzani. Cette décision fait suite au doublement de l’allocation mensuelle versée par Bagdad (Iraq Oil Report) et à l’envoi pour les fonctionnaires du GRK de 512 milliards de dinars (environ 383 millions d’Euros). Qubad Talabani s’est ensuite engagé sur les réseaux sociaux à ce que le GRK rembourse progressivement les montants retenus, considérés comme une «dette» (Rûdaw).
Au plan politique, faute d’accord PDK-UPK sur la répartition des postes, la Région du Kurdistan n’avait toujours pas de Gouvernement fin mars. Six mois, c’est le plus long délai jamais enregistré pour la formation d’un GRK… Si les 2 partis sont d’accord pour que l’UPK prenne les postes de Vice-président de Région et de Vice-premier ministre, le PDK refuse de donner à son partenaire l’un des portefeuilles de Ministre des ressources naturelles, de l’Intérieur ou des Finances que celui-ci réclame, se déclarant tout au plus disposé à lui laisser celui de Vice-ministre de l’Intérieur… (Rûdaw) Autre point de tension, l’UPK souhaite inclure dans l’accord de gouvernement les questions des postes à Bagdad et de la gouvernance de Kirkouk, le PDK voulant limiter celui-ci au GRK proprement dit. Mais les 2 partis kurdes semblent condamnés à s’entendre: arrivé premier, mais avec seulement 45 députés sur 111, le PDK ne peut gouverner seul, et l’UPK, bien qu’affaiblie par la scission de Goran, domine toujours la province de Suleimaniyeh, ce qui en fait un partenaire obligé si le GRK doit y exercer son autorité. Par ailleurs, l’UPK ayant demandé à Bagdad le poste de gouverneur de Kirkouk et le Ministère de la justice, le Premier ministre irakien a répondu que si ces 2 postes pouvaient en effet aller à des Kurdes, ceux-ci devaient d’abord choisir un candidat commun…
Les réunions PDK-UPK se sont succédé tout le mois. Le 4, a été annoncé un accord de quatre ans remplaçant l’«Accord stratégique» de 2005. Sans autres précisions, il comprenait une position commune dans les négociations avec Bagdad, notamment sur la normalisation à Kirkouk, et devait être mis en œuvre par une Commission mixte. L’UPK a alors arrêté son boycott des sessions parlementaires. Rûdaw notait le 11 que l’UPK, avant de pouvoir communiquer au PDK les noms de ses candidats aux postes prévus, devait d’abord les répartir entre ses 2 principales factions, le clan Talabani et celui de Kosrat Rassoul, et indiquait qu’au sein de l’UPK, certains voulaient demander la Vice-présidence de la Région et le ministère de l’Intérieur plutôt que la Présidence du Parlement… C’est ce que l’UPK a effectivement demandé le 12 au PDK dans la rencontre suivante, plus le poste de Vice-premier ministre – actuellement occupé par Qubad Talabani (Kurdistan 24). Par ailleurs, l’UPK n’a pas pris part à la session parlementaire du 12, dont il avait demandé le report jusqu’à ce qu’un accord de répartition des postes au sein du GRK ait été obtenu… Le 13, Hoshyar Zêbarî a indiqué sur Rûdaw que le PDK avait imposé une date-butoir à l’UPK pour que le GRK soit formé avant la fin du mois. Le 17, le responsable des relations de l’UPK, Saadi Pira, a déclaré que son parti n’accepterait pas de se trouver relégué à la position de «spectateur» mais voulait être un partenaire à part entière, notamment en matière de sécurité. Le 21, après une nouvelle rencontre et un nouveau communiqué commun réitérant la volonté d’accord, une autre réunion a été annoncée… En parallèle, le PDK continuait les discussions avec Goran, arrivé en troisième position, pour élaborer un amendement remplaçant provisoirement l’élection au suffrage universel du Président de Région par un vote au Parlement, qui devait être soumis au vote des députés une fois l’accord PDK-UPK obtenu.
Le 27, après que le PDK ait refusé à l’UPK le poste de «Chancelier» (responsable du Conseil de sécurité du Kurdistan), l’UPK, réitérant son refus d’un contrôle exclusif de la sécurité par le PDK, a demandé le ministère de l’Intérieur. Un des dirigeants du PDK, Nouri Hama Ali, a menacé à demi-mot l’UPK d’avancer sans lui, déclarant sur Rûdaw: «[Si nous n’arrivons pas à un accord], je ne pense pas que nous pouvons attendre plus longtemps, alors le Parlement modifiera la loi présidentielle […] et élira le Président de Région, [qui] confiera la formation du nouveau cabinet à la liste la mieux placée». La dernière réunion n’a pu trouver d’accord, ni fixé une date pour la suivante. Une source informée a indiqué à Rûdaw que l’UPK avait déclaré que si elle devait renoncer aux ministères importants comme l'Intérieur, les Ressources naturelles ou les Relations extérieures, elle demandait en échange six ministères: Peshmerga, Enseignement supérieur, Planification, Agriculture, Éducation et Santé. Le PDK a accepté seulement cinq ministères…
Après cet échec, le PDK et Goran ont soumis au parlement le 28 un projet de loi signé de 28 députés pour réactiver le poste de Président de Région, vacant depuis novembre 2017, tout en modifiant son mode de désignation. En attendant qu’une nouvelle Constitution Régionale ne statue sur ce point, le Président serait transitoirement élu par les députés à la majorité absolue. Si aucun candidat n’émergeait au premier tour, un second tour opposerait les 2 candidats arrivés premiers. Le PDK a déjà choisi comme candidat le Premier ministre sortant, Nechirvan Barzani. Une fois élu, le Président désignerait un Premier ministre chargé de constituer le cabinet; le candidat du PDK est l’actuel Chancelier, Masrour Barzani. Le projet de loi propose que le mandat du Président prenne fin en même temps que celui du Parlement. L’UPK, «Nouvelle Génération», le Groupe Islamique du Kurdistan (Komal) et l’Union islamique du Kurdistan (Yekgirtû) n’ont pas signé la proposition, et les députés UPK ont quitté la session…
Dans les autres événements politiques du mois, le 3, le dirigeant de «Nouvelle Génération», Shaswar Abdulwahid, a comparu devant un tribunal de Suleimaniyeh pour «diffamation et insulte à des fonctionnaires». Il a accusé PDK et UPK d’être derrière une «arrestation motivée politiquement».
Le mois a aussi été marqué par la commémoration le 16 du bombardement chimique de la ville d’Halabja, qui avait fait 5.000 victimes en 1988, majoritairement des femmes et des enfants. 31 ans plus tard, de nombreux survivants souffrent encore de problèmes respiratoires… La mémoire d’un autre génocide, celui des Yézidis par Daech en 2014, a aussi été réactivée, puisque le 15, les Nations-Unies, le GRK et le gouvernement fédéral ont officiellement participé à la cérémonie marquant le début des recherches dans la première fosse commune de Yézidis, parmi les dizaines mises au jour au fur et à mesure de la reprise des territoires un temps contrôlés par l’organisation djihadiste… Onze de ces fosses se trouvent dans le petit village de Kojo, dont est originaire la survivante yézidie et Prix Nobel Nadia Mourad, qui était présente pour l’occasion (Kurdistan 24).
La situation sécuritaire du pays reste tendue. Non seulement dans les territoires disputés, mais même près de Bagdad: ainsi le 19 mars, à Tarmiyah (Salahaddin), 35 km à peine au nord de la capitale, 3 militaires, dont un officier supérieur, ont été tués dans une embuscade… Fin février, alors qu’une bombe avait fait 2 morts et 24 blessés à Mossoul, Al-Monitor avait annoncé un accord entre les Premiers ministres irakien et kurde selon lequel les pechmergas pourraient regagner Kirkouk, mais en demeurant hors des villes, où la sécurité reviendrait aux forces de police locales. Selon des rapports locaux, ils auraient déjà regagné Touz Khourmatou, d’où des inquiétudes des partis arabes et turkmènes. Le 3, la commission mixte pechmergas-militaires irakiens s’est réunie pour poursuivre les discussions…
Le 6, une bombe improvisée déclenchée au passage d’une patrouille de police à Diyala a tué un officier de la Sécurité et fait 3 blessés. Le soir du même jour, l’attaque d’un bus transportant de Mossoul à Kirkouk des miliciens Hashd al-Shaabi a fait 6 morts et 31 blessés près de Makhmour, au Sud-Ouest d’Erbil. Le 8, une voiture piégée a explosé dans le quartier Al-Mouthanna de Mossoul, faisant 2 morts. Le 13, un tir de mortier a fait 1 mort et 5 blessés à leurs domiciles dans le district de Qara Tabbah de Diyala (ISHM). Le 20, la Sécurité a annoncé avoir arrêté 5 membres de Daech dans les quartiers Est de Mossoul (Kurdistan 24). Le 24 au Sindjar, des affrontements ont opposé la Sécurité à un groupe de 6 djihadistes dont 3 se sont fait exploser. Le 25, les djihadistes ont attaqué le champ pétrolier d’Alas (Salahaddin). Le 26, un officier irakien a de nouveau été tué à Diyala.
À Kirkouk, le PDK et l’UPK ont annoncé le 5 un accord pour négocier ensemble avec Bagdad le retour des peshmergas, puis désigner un candidat commun au poste de gouverneur. Inquiètes, les factions arabes du Conseil provincial ont accusé les 2 partis kurdes de chercher à imposer leur volonté aux autres communautés et ont appelé Bagdad à suspendre le Conseil. Le 10, proclamé «Jour du costume Kurde» en 2010 par le ministère de l’Éducation du GRK, des milliers de Kurdes de Kirkouk ont revêtu leur habit traditionnel, dont des étudiants de l’Université, qui avait pourtant interdit les activités (Rûdaw). Pour Newrouz, qui coïncide en Irak avec l’anniversaire du soulèvement de 1991 (Raparîn) contre le régime ba’thiste, les partis kurdes de Kirkouk ont organisé ensemble une cérémonie comprenant le lever du drapeau kurde. Pour éviter les tensions, elle a été préparée en concertation avec les forces de sécurité. La fête n’a cependant été autorisée que pour deux heures, à l’issue desquelles des points de contrôle installés en ville ont retiré les drapeaux kurdes des véhicules.
A Khanaqin, des agriculteurs kurdes se sont rassemblés devant la mairie pour protester contre les derniers décrets prononçant leur expulsion au profit d’Arabes, réactivation d’une politique de spoliation initiée il y a 44 ans et annulée à la chute du régime ba’thiste. Le maire, Mohammed Mala Hasan, leur a promis de les soutenir devant la Direction provinciale de l’agriculture, déclarant qu’il n’appliquerait pas ces décisions et veillerait à ce que la situation soit réglée «selon l’article 140 de la Constitution» (Rûdaw).
Par ailleurs, la fête de Newrouz a été endeuillée par un terrible accident ayant fait plus de 100 morts à Mossoul, dont au moins 19 enfants: un ferry emmenant des familles sur une île du Tigre où se trouvent des attractions a chaviré avec 250 passagers, près de 5 fois sa capacité officielle. 55 personnes ont pu être repêchées, mais 3 jours après on comptait toujours 60 à 85 disparus; des corps ont été retrouvés jusqu’à 20 km en aval. Le Premier ministre irakien, arrivé sur les lieux, a ordonné une enquête. Neuf personnes travaillant sur le ferry ont été arrêtées. Le lendemain, Erbil s’est joint à Bagdad pour déclarer 3 jours de deuil, demandant un arrêt des festivités. Sur les lieux de l’accident, la foule a caillassé la voiture du gouverneur, Nawfal Hamadi, qui a renversé 2 personnes dont l’une a dû être hospitalisée. Le 24, seize personnes ont été arrêtées, et après réception d’une lettre du Premier ministre, le parlement irakien a limogé Hamadi et ses deux adjoints. Puis un tribunal de Mossoul a lancé des poursuites contre lui pour corruption, une procédure sans lien direct avec l’accident, mais certainement accélérée après celui-ci… Le 30, alors que les recherches des corps se poursuivaient, les propriétaires de l’île et gestionnaires du ferry, qui s’étaient enfuis à Erbil, ont été arrêtés et renvoyés à Mossoul.
Au Sindjar, des tensions ont persisté tout le mois. Après les récents affrontements entre militaires irakiens et miliciens Hashd al-Shaabi, et milices yézidies des YBŞ (Unités de résistance du Sindjar), proches du PKK, une délégation conduite par le Conseiller national à la sécurité Falih al-Fayyadh est arrivée le 2 de Bagdad pour tenter de mettre en place une force yézidie unique et ainsi faire baisser les tensions. Mais le soir du 17, des affrontements ont de nouveau opposé les YBŞ aux soldats irakiens. Les heurts, qui ont fait 2 morts dans chaque camp et 6 blessés (WKI), auraient éclaté quand un militaire d’un point de contrôle aurait demandé un laisser-passer de la Sécurité irakienne à un convoi des YBŞ (AFP). Suite à ces incidents, alors que de nouveaux heurts se produisaient le 19, Bagdad a déployé 3 brigades au Sindjar, demandant aux YBŞ de rendre leurs armes, d’évacuer la région en remettant leurs bases à l’armée irakienne. Suite au refus des YBŞ, les militaires irakiens ont attaqué leurs bases, provoquant de nouveaux combats qui ont fait des blessés dans les deux camps et un mort irakien. Des heurts ont aussi eu lieu près de la frontière syrienne, semble-t-il pour le contrôle du point de passage vers la Syrie. Le 20 au soir, le Premier ministre irakien a déclaré, prenant un ton apaisant, que la situation au Sindjar était désormais «sous contrôle». Pour évaluer la situation et faire baisser la tension, le chef d'état-major irakien, Othman al-Ghanimi, a conduit une délégation militaire au Sindjar pour rencontrer les dirigeants locaux, dont ceux des YBŞ, ainsi que les représentants du gouvernement dans la région (Kurdistan 24). Le 24, le Parlement irakien a voté une résolution appelant au redéploiement dans la province de Ninive, à laquelle appartient le Sindjar, des Forces de sécurité sous commandement unifié.
Enfin, alors que les Forces démocratiques syriennes ont récemment transféré vers l’Irak 407 combattants de Daech, dont 14 Français, l’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch a accusé aussi bien Bagdad qu’Erbil de pratiquer une justice expéditive à l’égard des suspects accusés d’appartenance à l’organisation: dans un rapport publié le 6, l’ONG chiffre à 1.500 le nombre d’enfants détenus fin 2018, souvent sur des accusations douteuses ou des aveux extorqués par la torture. Le 13, un second rapport a fait état d’améliorations apportées par le tribunal antiterroriste de la province de Ninive pour remédier aux poursuites injustifiées… À noter que l’on s’attend au transfert prochain de peut-être 20.000 Irakiens depuis la Syrie suite à la chute du dernier bastion de Daech dans ce pays, le village de Baghouz… Le 15, a commencé le procès des 14 djihadistes français (ISHM).
La répression s’est encore intensifiée au Kurdistan d’Iran ce mois-ci, visant tant les défenseurs de l’environnement que tous ceux qui osent protester contre la mauvaise situation économique, les porteurs transfrontaliers (kolbars) ou encore les activistes défendant les droits des Kurdes… Selon l’Association kurde de défense des droits de l’homme KMMK, fin mars, 96 Kurdes avaient été arrêtés depuis le début de l’année.
Dans un communiqué daté du 2 mars, le Haut conseil iranien pour les droits de l’homme s’en est pris violemment au Rapporteur spécial des Nations-Unies auteur du rapport sur l’état des droits de l’homme dans le pays, soumis le 27 février dernier au Conseil des droits de l’homme. Le document rédigé par Javaid Rehman exprime des inquiétudes sur les violations commises par l’Iran, notamment les condamnations à mort d’enfants. Il demande aux autorités d’interdire d’urgence l'exécution de personnes condamnées pour des crimes commis durant leur minorité, de commuer les condamnations à mort déjà prononcées, et de faire parvenir au secrétariat du Haut-commissaire aux Droits de l’homme et au Rapporteur spécial la liste des mineurs actuellement en attente d’exécution (Radio Farda). Téhéran a «répondu» en s’en prenant comme d’habitude personnellement à l’auteur, dénonçant notamment ses interviews avec divers médias (incluant la BBC britannique) «bien connus pour leur présentation des événements hostile à l’Iran», dénoncées comme des «violations flagrantes du cadre des Nations-Unies»…
Le 5 mars, la sœur d’Afshin Sheikholeslami Vatani, 40 ans, ingénieur civil et défenseur de l’environnement résidant aux États-Unis, venu visiter sa famille à Sanandadj, a informé le Centre pour les droits de l'homme en Iran (CDHI) que son frère avait été arrêté chez son père à Sanandadj le 17 février. Vatani avait depuis plusieurs années arrêté tout activisme politique, se concentrant sur la défense de l’environnement. Arrêté en 2003, il avait été condamné à un an de prison avec sursis pour «propagande contre l’État». Arrêté de nouveau 2 ans plus tard, il avait accompli sa peine. En 2011, il avait été de nouveau arrêté après avoir participé devant la prison centrale de Sanandadj à un rassemblement de protestation contre la condamnation à mort de l’activiste kurde Habibollah Latifi. Accusé de «trouble à l’ordre public», il avait été retenu 3 semaines dans une cellule du ministère du Renseignement avant d’être remis en liberté conditionnelle. Le communiqué du CDHI indique aussi que des dizaines de défenseurs de l’environnement ont été arrêtés en Iran depuis le début de l’année, certains même menacés d’exécution…
Toujours le 5, alors que les services de renseignement (Etelaat) arrêtaient 2 autres défenseurs de l’environnement, Jamal Assadi et Armin Esparlos, Amnesty international lançait un appel pour la libération de 7 scientifiques membres de la «Fondation iranienne pour la protection de la faune sauvage» (Persian Wildlife Heritage Foundation, PWHF), incarcérés pour espionnage depuis le 24 janvier (->). La situation est d’autant plus inquiétante pour les personnes incarcérées que la famille du fondateur et directeur de la Fondation, Kavous Seyed Emami, 63 ans, enseignant de sociologie canado-iranien, arrêté en même temps, a été informée le 9 février qu’il s’était suicidé. Faisant suite à la mort de plusieurs autres prisonniers, cette annonce était d’autant plus suspecte que les autorités n’ont accepté de rendre son corps à la famille que si elle l’enterrait immédiatement, sans demander d’autopsie. Les experts de l’ONU, tout comme Amnesty, ont demandé une enquête indépendante pour déterminer les circonstances de sa mort. Par ailleurs, les deux organisations ont demandé la libération immédiate et l'abandon des charges d’espionnage «scandaleuses» contre les 7 environnementalistes toujours emprisonnés et dénoncé l’usage de la torture et d’autres mauvais traitements, notamment un maintien prolongé à l’isolement, en vue de leur extorquer des «aveux». Du groupe d’Emami demeurent emprisonnés Taher Ghadirian, Amir Hossein Khaleghi, Houman Jowkar, Sepideh Kashani, Abdolreza Kouhpayeh, Sam Rajabi, Morad Tahbaz et Niloufar Bayani. Cette dernière, ancienne étudiante de la prestigieuse université McGill de Montréal, est responsable du projet de conservation du guépard asiatique (Conservation of Asiatic Cheetah Project, CACP) et ancien conseiller auprès du programme des Nations-Unies pour l’environnement. La veuve de M. Emami, ayant aussi la double nationalité, a été empêchée de sortir du pays. Le 17 mars, un autre défenseur de l’environnement kurde, Celal Rostamî, a été arrêté à Kamyaran par des officiers de l’Etelaat et transféré deux jours plus tard à Sanandadj (WKI).
Comment comprendre cette répression ciblée qui fait passer les questions environnementales au-devant de la scène politique? D’abord, les défenseurs de l’environnement interviennent dans des zones frontalières sensibles sur lesquelles les forces de répression exercent un contrôle extra-judiciaire quasi-exclusif: en particulier les pasdaran (Gardiens de la révolution), qui y répriment la population, y testent des missiles, voire s’y enrichissent à coups de projets douteux, et ne veulent pas de témoins gênants. Les chercheurs, qui utilisaient des caméras pour surveiller les déplacements d’espèces en voie de disparition (notamment guépard asiatique et léopard persan), ont ainsi été accusés d’espionnage.
Plus largement, les problèmes environnementaux du pays deviennent sensibles pour le régime car les protestations de plus en plus nombreuses qu’ils provoquent mettent en lumière, à l’intérieur comme à l’étranger, son indifférence et son irresponsabilité. Ainsi le 25 février, Ardeshir Nourial, un député du Majlis (parlement iranien) a révélé fortuitement en se plaignant que les autorités d’Ispahan ne respectaient pas la consigne, que le Conseil national suprême de sécurité avait instauré une censure sur la publication de rapports concernant le manque d’eau ou le gaspillage des ressources (Radio Farda, IRNA).
Enfin, comme cela s’était déjà produit pour la dégradation du lac d’Ouroumieh, les revendications environnementales régionales deviennent une source de mobilisation supplémentaire pour les minorités: les Kurdes s’opposent à la dégradation de leur environnement par le régime.
Le 23, l’agence IRNA a annoncé que le procès des 7 environnementalistes avait été remis à une date non spécifiée. La dépêche ajoutait que le procureur de Téhéran avait inculpé 3 accusés d’«espionnage», un autre de «complicité avec un gouvernement hostile», et 4 d’entre eux de «répandre la corruption sur terre» (mofsed-e-filarz), une accusation passible de mort, similaire à celle d’«inimitié avec Dieu» (moharebeh) et volontiers utilisée par le système judiciaire de la République islamique pour suppléer à un dossier vide et terrifier les dissidents… Le 26, le KMMK signalait que, 4 mois après son arrestation, le sort du défenseur de l’environnement Homayoun Bahmani était toujours inconnu, les forces de sécurité n’ayant toujours pas reconnu son arrestation.
La dernière semaine du mois, des inondations faisant suite à des pluies continues ont touché deux provinces kurdes du pays, Kermanshah et Ilam, faisant au moins 3 victimes et des centaines de sans-abris. À Mahabad, l’organisation kurde «Restaurer la nature à Mahabad» a entrepris de collecter des dons pour venir en assistance aux victimes, mais elle a dû cesser toute activité après avoir été menacée par le Croissant Rouge iranien qui n’accepte aucune autre collecte. Lors des tremblements de terre qui ont touché le Kurdistan récemment, le régime avait été accusé de discrimination suite au peu d’aide reçu par les victimes…
La répression continue aussi à toucher les activistes kurdes. Le 3 mars, un tribunal révolutionnaire de Sanandadj a condamné Mokhtar Zarey, 46 ans, à 3 ans de prison pour avoir diffusé l’an dernier une vidéo faisant suite à l’exécution des 3 activistes kurdes Ramin Panahi et ses 2 cousins. Zarey, déjà incarcéré à plusieurs reprises, a été condamné pour «rassemblement et conspiration contre la sécurité nationale». Il avait fait l’objet récemment d’une autre condamnation à 3 ans de prison pour «propagande contre les institutions et insulte au Leader Suprême» (Rûdaw). Un autre activiste de Sanandadj, Khaled Husseini, a également reçu une peine de 3 ans de prison pour «incitation à la grève». Il avait aussi participé aux protestations après l’exécution des 3 activistes. Le 9, Zanyar Badaghi a été condamné à 1 an de prison pour «propagande contre la République islamique», et Madjîd Awar, aussi de Sanandadj, a été arrêté pour des charges non précisées. À Ouroumieh, le Tribunal révolutionnaire a condamné Farshad Abbasi à 5 ans de prison pour «appartenance à un parti kurde d’opposition», au terme d’un procès tenu en mai où un avocat lui avait été refusé. À Kermanshah, l’Etelaat a arrêté un chanteur kurde, Saman Jarjis, pour ses chants concernant le Kurdistan et les régions kurdes.
Le 12, le Réseau des droits de l’homme du Kurdistan (Kurdistan Human Rights Network, KHRN) a annoncé que l’Etelaat avait organisé dans les jours précédents une vaste opération de ratissage dans plusieurs villages d’Ouroumieh, arrêtant au moins 15 personnes accusées d’intelligence avec des partis kurdes interdits (KurdPa). Le même jour, la Cour d’appel d’Ouroumieh a approuvé le verdict rendu 2 semaines plus tôt contre Farshad Abbasi par le Tribunal révolutionnaire. Malgré ses multiples demandes, Abbasi, qui nie toute appartenance à un parti politique, n’est toujours pas reconnu comme prisonnier politique et demeure incarcéré dans le quartier des prisonniers de «droit commun». A Kermanshah, la Cour d’appel a confirmé la sentence de 10 ans de prison infligée à Massoud Kiyani pour «espionnage au profit d’Israël». Kiyani, qui étudiait en Ukraine, avait été arrêté en avril 2018 à l’aéroport de Téhéran alors qu’il rentrait visiter sa famille. Le 15, un Kurde du nom de Zanko Amerî a été arrêté près de Saqqez par les pasdaran pour «assistance à des partis kurdes d’opposition» (WKI).
Le 17, l’agence KurdPa a indiqué que 2 prisonniers politiques kurdes de Sarvabad (en kurde Sawlawa, province de Sanandadj), Barzan Mohammadi et Alireza Shiremohammadi étaient entrés en grève de la faim le 14 pour protester contre leurs conditions de détention. Arrêté en août pour ses messages sur les réseaux sociaux, Mohammadi avait été condamné à 6 ans d’emprisonnement pour «actions mettant en danger la sécurité nationale» et «propagande contre le régime».
La fête du Newrouz a été cette année l’occasion pour le régime de déployer d’importants contingents des forces de sécurité au Kurdistan, notamment à Marivan. Celles-ci, Etelaat ou pasdaran, ont lancé des raids sur des groupes tentant de célébrer la fête, comme à Nûrewe (Lorestan), Malekshani (Ilam), Hassan Noran (Oshnavieh, Shino), et plusieurs participants ont été arrêtés. Dans d’autres cas, les forces de sécurité ont menacé les organisateurs d’arrestation en cas de rassemblements. Le 23, le Tribunal islamique de Marivan a condamné un Kurde de 22 ans, Salman Afra, à 5 ans d’emprisonnement pour assistance à un parti interdit (WKI). D’autres arrestations ont suivi la dernière semaine du mois, comme à Sanandadj celle de Wali Naser, mis au secret, et d’un activiste syndical, et à Marivan, de 6 personnes arrêtées sans mandats lors de raids de l’Etelaat en ville et dans les villages proches (KMMK).
La dégradation de la situation économique dans les provinces kurdes d’Iran a également provoqué des mouvements sociaux, vite réprimés par le régime. Le 3, des enseignants des villes de Marivan, Sanandadj et Saqqez ont manifesté pour demander le paiement de leurs salaires, non reçus depuis des mois. Par ailleurs, les salaires des enseignants sont à deux tiers en dessous du seuil de pauvreté dans le pays… (Radio Farda) Au Lorestan, ce sont des ouvriers d’une cimenterie qui ont protesté après 3 mois de non-paiement (WKI). Du 3 au 5, les enseignants se sont mis en grève dans tout le pays pour demander de meilleurs salaires, le respect des droits syndicaux et la libération des enseignants emprisonnés. Selon le Conseil de coordination des syndicats d’enseignants, des enseignants de plus de 1000 établissements primaires et secondaires de 100 villes ont participé au mouvement, dont au Kurdistan particulièrement Kermanshah, Marivan, Sanandaj et Saqqez, et dans le reste du pays Téhéran, Hamadan, Isfahan, Karaj, Khomeinishahr, Qazvin, Shiraz, Takestan et Yazd. Les médias officiels n’ont pas rendu compte du mouvement, mais le Conseil a noté le changement d’attitude des forces de sécurité, qui ont évité les affrontements des mouvements précédents, le dernier en octobre-novembre (Radio Farda). Le 5, un enseignant kurde, Peyman Naqshabandi, a été arrêté à Ouroumieh pour «propagande contre la République islamique». À Sarableh (Ilam), un groupe d'employés et de travailleurs a manifesté devant la municipalité pour exiger le paiement des salaires. Les autorités semblent incapables de régler le problème des retards de paiement des salaires, ce qui a provoqué l’an dernier plus de 50 manifestations de protestation…
Les kolbars, ces porteurs kurdes transfrontaliers, continuent à payer un lourd tribut à la machine de répression du régime et à leurs conditions de travail désastreuses. Le 1er du mois, l’un est mort gelé après avoir passé plusieurs jours bloqué dans la montagne près de Chaldiran, et 2 autres ont été gravement atteints. Le même jour, 2 autres ont été blessés par des tirs de gardes-frontières face à Haji Omran (Kurdistan d’Irak). Le 3, un autre a été tué près de Piranshahr, et le 8, toujours à Piranshahr, un autre a été blessé et 2 arrêtés à Pawa (Paveh). Selon l’organisation de défense des droits de l’homme Hengaw, ils ont ensuite été battus. Le 17, un autre kolbar est mort de froid à Sardasht, tandis qu’un autre était gravement blessé par balles à Nowsoud. Un autre est mort de crise cardiaque dans la même région, et 3 autres ont été blessés par balles dans 3 incidents différents, près d’Ouroumieh, Kermanshah et dans la province du Kurdistan. En fin de mois, un autre encore a été blessé dans une embuscade tendue par les gardes-frontières près de Nowsoud. Hengaw a estimé que depuis le début de l’année, environ 60 kolbars avaient été blessés et 18 tués, majoritairement par des tirs des forces de sécurité.
Enfin, le 15, des affrontements ont opposé près de Marivan des combattants kurdes et des gardes-frontières, à l’issue desquels plusieurs ambulances ont été appelées, sans qu’un chiffre de pertes ait été annoncé. Un nouvel incident s’est produit le 17 à Baneh, dans lequel un garde-frontière a été tué. Au 18, aucun groupe kurde n’avait revendiqué la participation à ces 2 incidents, dont on ne sait pas s’ils sont reliés (Kurdistan 24).