La Cour suprême fédérale irakienne a pris le 30 juillet une décision extrêmement importante en tranchant sur une requête qui lui avait été soumise par le parlement à propos de l’article 140 de la constitution de 2005. Cet article concerne l’ensemble des territoires disputés entre le gouvernement fédéral irakien et celui de la Région du Kurdistan, qui s’étendent des provinces de Diyala et Kirkouk à l’Est jusqu’à la province de Ninewa (Ninive) à la frontière syrienne. Il stipule que l’autorité exécutive irakienne élue conformément à la Constitution de 2005 hérite de la responsabilité de mettre en œuvre les éléments du paragraphe 58 de la Loi administrative de transition (mise en place par les Autorités d’occupation américaines), qui prévoit qu’une fois accomplie dans ces territoires la normalisation de la situation (c’est-à-dire le retour des résidents d’origine et le départ des personnes installées de force) et qu’un recensement y a été tenu (permettant d’établir le corps électoral), un référendum devra y être organisé «pas plus tard que le 31 décembre 2007» pour permettre aux résidents de ces territoires d’exprimer leur volonté, rattachement à la Région du Kurdistan ou maintien sous administration fédérale.
Normalisation, recensement et référendum n’ayant en fait jamais connu même de commencement d’exécution, la Cour suprême était interrogée quant à savoir si l’article conservait maintenant sa validité. Les partis arabes et turkmènes de Kirkouk maintiennent que, la date de 2007 étant dépassée, il a perdu toute validité. Les Kurdes sont évidemment d’un avis inverse. La Cour vient de leur donner raison: le fait que l’Autorité administrative irakienne n’ait pas mis en œuvre les provisions de l’article 140 avant la date prévue ne la libère pas pour autant de son obligation. Le porte-parole de la Cour suprême, Ayas al-Samuk, a précisé que la date spécifiée dans la mise en œuvre de l'article 140 de la Constitution avait été fixée en «manière de régulation» et que son dépassement n'affectait ni l'essence ni l'objectif de l'article. Il a exhorté les parties concernées à mettre celui-ci en œuvre: «La Cour fédérale suprême a donc décidé [a-t-il déclaré] que l'article 140 demeure en vigueur jusqu'à présent et jusqu'à la mise en œuvre de ses exigences», une mise en œuvre qui «permettrait d'atteindre l’objectif législatif visé, conformément aux mesures énoncées à l'article 58 […]» de la Loi transitoire (Kurdistan-24). À noter qu’en janvier dernier, le Bureau irakien des statistiques a annoncé qu'un recensement national devrait être lancé d'ici fin 2020…
Comme on pouvait s’y attendre, les partis arabes et turkmène de Kirkouk ont dès le lendemain rejeté la décision de la Cour, sans pour autant proposer de solution alternative. Déjà le 12, après que PDK et UPK avaient la veille annoncé leur accord sur la personne de Tayib Jabar Amîn comme candidat commun au poste de gouverneur de Kirkouk, des résidents arabes et turkmènes s’étaient rassemblés en ville avec des drapeaux irakiens pour lancer des slogans soutenant l’actuel gouverneur intérimaire Rakan Said al-Jabouri, un Arabe sunnite accusé par les Kurdes d’avoir relancé la politique d’arabisation de Saddam Hussein. Les forces de sécurité irakiennes avaient été déployées pour protéger le bureau de l’UPK. Certains manifestants avaient admis avoir été incités à défiler par le Majlis al-Arabi, un groupe opposé à la domination kurde. Certaines banderoles anti-kurdes comparaient les «séparatistes» à Daech, et une manifestante qui avait été filmée scandant «Nous sommes des ba’thistes, des gens de Saddam» (Rûdaw) avait été visée le lendemain par un mandat d’arrêt: la constitution interdit en effet toute apologie de l’ancien régime (WKI). Plus que jamais, les opposants à toute solution constitutionnelle de la question des territoires disputés apparaissent purement et simplement défendre la reprise de la politique d’arabisation de Saddam Hussein.
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Ce 10 juillet, le Kurdistan irakien s’est enfin doté d’un Gouvernement régional (GRK), près de neuf mois après les élections législatives du 30 septembre 2018 qui avaient donné 45 sièges sur 111 au Parti démocratique du Kurdistan (PDK), 21 à l’Union Patriotique du Kurdistan (UPK) et 12 au «Mouvement du changement» (Goran). Le PDK avait immédiatement indiqué souhaiter une coalition avec l’UPK et Goran, mais si les négociations avec Goran avaient assez rapidement abouti, celles avec l’UPK ont été laborieuses et ponctuées de brouilles: ce parti voulait inclure dans l’accord la nomination d’un gouverneur UPK à Kirkouk, le PDK jugeant que cette question devait être abordée après l’accord… Le 1er juillet, le PDK avait annoncé qu’un accord avait été obtenu avec l’UPK sur le nom d’un candidat commun (qui n’a pas été précisé), ce qui ouvrait la voie à la formation du nouveau cabinet. Pour laisser plus de temps à celle-ci, la session parlementaire, qui aurait dû prendre fin au 1er juillet, avait été prolongée jusqu’au 15…
Finalement, ce sont bien ces trois partis qui se partagent la majorité des portefeuilles: neuf pour le PDK, parti du Premier ministre Masrour Barzani (en plus du poste de Président de la Région), six pour l’UPK, quatre pour Goran. Un siège va au Parti socialiste démocratique du Kurdistan (PSDK), ainsi qu’un chacun aux minorités turkmène et chrétienne. Le ministre chrétien a d’ailleurs prêté serment sur une Bible ayant échappé de justesse à la destruction par Daech. Faute de candidat, le ministère des Ressources naturelles (essentiellement le pétrole) reste provisoirement aux mains du Premier ministre. Par ailleurs, le nouveau gouvernement compte trois femmes: Mme Begard Talabani (UPK), Agriculture et ressources hydrauliques; Mme Kwestan Mohammad (Goran), Travail et Affaires sociales, tandis que Mme Vala Farid (PDK), Présidente sortante du Parlement, devient Ministre chargée des relations avec le Parlement. Elle est remplacée à la présidence du Parlement par Mme Rewaz Fayak (UPK), élue par les députés le 11, secondée par une vice-Présidente turkmène, Mme Mouna Qahwachi.
Le nouveau Gouvernement régional du Kurdistan (GRK)
Présidence
Nechirvan Barzani (PDK), Président
Mustafa Said Qadir (Goran), Premier vice-président
Jafâr Sheikh Mustafa (UPK), Second vice-président
Parlement
Présidente: Rewaz Fayak (UPK)
Vice-présidente: Mouna Qahwachi (Turkmène)
Cabinet
Masrour Barzani (PDK), Premier ministre
Qubad Talabani (UPK), Vice-premier ministre
Firsat Ahmed Abdulla (PDK), ministre de la Justice
Reber Ahmed (PDK), ministre de l’Intérieur
Saman Barzinji (PDK), ministre de la Santé
Alan Hama Said (PDK), ministre de l’Éducation
Sasan Awni (PDK), ministre des Municipalités et du Tourisme
Pishtiwan Sadiq (PDK), ministre des Affaires religieuses (Awqaf)
Kamal Mohammed Salih (PDK), ministre de l’Électricité
Vala Farid (PDK), ministre de la Région chargée des relations avec le Parlement
Safîn Dizayî (PDK), Chef du Département des relations internationales
Shoresh Ismail (UPK), ministre des Peshmerga
Aram Mohammed (UPK), ministre de l’Enseignement supérieur
Dara Rashid (UPK), ministre de la Planification
Begard Talabani (UPK), ministre de l’Agriculture et des ressources hydrauliques
Mohammed Said Ali (UPK), ministre de la Jeunesse et de la culture
Khalid Salam Said (UPK), ministre de la Région
Awat Sheikh Janab (Goran), ministre de l’Économie et des finances
Dana Abdulkarim (Goran), ministre de la Construction and du logement
Kwestan Mohammed (Goran), ministre du Travail et des affaires sociales
Kamal Muslim (Goran), ministre du Commerce et de l’industrie
Abdulla Mahmoud (PSDK), ministre des Martyrs et des affaires de l’Anfal
Ano Jawhar (Chrétien), ministre des Communications et des transports
Aydin Maruf (Turkmène), ministre de la Région
Le Parlement d’Erbil a approuvé à une large majorité la liste soumise par le Premier ministre, qui a lors du vote de confiance personnellement obtenu 88 voix, tandis que son vice-Premier Ministre Qubad Talabani (UPK), qui occupait déjà ce poste dans le Cabinet sortant, en a obtenu 73.
Le Premier ministre est ensuite intervenu devant les députés, promettant que son gouvernement donnerait la priorité à l’amélioration des services et aux réformes économiques et administratives. Il a aussi indiqué qu’une délégation se rendrait rapidement à Bagdad pour renforcer les relations (et probablement discuter de la question du pétrole, éternelle pomme de discorde avec Erbil). Il a également promis de lutter contre la corruption et de s’attaquer à la grave crise financière où se trouve le Kurdistan, avec, a-t-il précisé, «quatorze milliards de dollars de dettes».
Le Conseil des ministres a tenu sa première réunion le 15, publiant plusieurs décrets parmi lesquels celui ordonnant aux ministres de respecter les horaires de travail en usage dans leur ministère… Dès le lendemain, une délégation du GRK s’est rendue à Bagdad pour discuter la situation dans les territoires disputés et la question des revenus du pétrole.
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Le 11 juillet, ont été publiés les résultats officiels de l’élection d’Istanbul, confirmant la défaite de l’AKP avec 806.014 voix d’écart. Mais le gouvernement n’avait même pas attendu cette date pour mettre fin à sa «pseudo-ouverture»: il a rejeté le 2 juillet les demandes de visite des avocats d’Abdullah Öcalan, puis une autre la semaine suivante. Mais M. Erdoğan peut s’inquiéter, car la situation économique poursuit sa dégradation: le 11, l’agence pour l’emploi İŞKUR a annoncé une augmentation du chômage de 8,1% en juin, 69% en un an, et la Turquie flirte avec la récession…
Alors le pouvoir s’enferme dans l’autoritarisme et réprime tous azimuts. Après avoir tenté sans succès d’interdire les défilés LGBTI en juin, il vient de retirer leurs bourses aux étudiants y ayant participé, notamment à Ankara, pour «implication dans des incidents de terreur ou d’anarchie». Le 6, la police d’Istanbul a de nouveau empêché le rassemblement des «Mères du samedi» en barrant tous les accès à la place Galatasaray (TIHV). Parallèlement, la police a réprimé ce mois-ci tous les rassemblements du mouvement «Rendez-moi mon travail» (I Want My Job Back) formé par les fonctionnaires licenciés par décret d’urgence (TIHV). Les tentatives pour commémorer l’attentat de Suruç, qui avait fait 33 morts et des centaines de blessés le 20 juillet 2015 parmi des jeunes du HDP rassemblés en soutien à Kobanê, ont également été férocement attaquées. Les députés Erol Katırcıoğlu (HDP) et Ali Şeker (CHP), blessés, ont dû être hôpitalisés; à Ankara, huit membres d’un groupe tentant de lire une déclaration place Sakarya ont été tabassés puis incarcérés; à Urfa, le rassemblement a aussi été interdit. Alors que le remplissage de la retenue d’Ilisu aurait débuté, les manifestations en défense du site d’Hasankeyf ont également été réprimées. Le 21 un incendie a éclaté dans la ville; les activistes ont accusé les autorités de l’avoir laissé se développer, notamment en n’envoyant pas d’hélicoptères.
Plusieurs manifestations de solidarité avec les réfugiés syriens ont aussi été attaquées. La position du pouvoir vis-à-vis des réfugiés a radicalement changé, toujours pour des raisons électorales. Après les avoir longtemps utilisés comme moyen de pression sur l’Union européenne et l’opposition «pro-kurde», les autorités parlent maintenant de les renvoyer dans la Syrie en guerre: avec la dégradation de l’économie, l’AKP ne veut pas perdre le soutien du MHP… Le 23, le ministre de l’Intérieur a annoncé la déportation de 80.000 Syriens avant fin 2019. La veille, le gouverneur d’Istanbul avait donné jusqu’au 20 août aux réfugiés enregistrés ailleurs en Turquie pour quitter la ville (Bianet). Le 27 à Fatih (Istanbul), un rassemblement de solidarité pourtant légal et soi-disant protégé par la police a été attaqué par des ultra-nationalistes…
Le HDP est toujours visé par une campagne d’arrestations, souvent initiée par des raids policiers aux domiciles de responsables. Déjà le 27 juin, Dilan Ablay, un conseiller municipal d’Urfa avait été arrêté avec toute sa famille. À Cizre, huit personnes ont été arrêtées tandis que des couvre-feux étaient proclamés au Dersim et à Hakkari (WKI). À un checkpoint d’Ağrı, les deux co-maires de Diyadin, ayant tenté de protéger des brutalités policières un chauffeur de la municipalité, ont eux-mêmes été agressés. L’un d’eux, frappé à la tête, a été hôpitalisé; les vidéos de surveillance de la mairie ont été saisies illégalement. Le 4, un membre de l’Assemblée des jeunes du HDP de Kadiköy (Istanbul), İkram Doğan, a témoigné avoir été emmené en forêt par des personnes se présentant comme des agents du MIT, torturé et menacé de mort (TIHV). Le 5, neuf personnes ont été arrêtées à Şırnak. Le lendemain la police d’Ankara a mené de nouveaux raids chez deux membres du HDP (WKI). Le 8 à Diyarbakir, la police a interdit un rassemblement du HDP, empêché la députée Dersim Dağ de gagner son bureau, et l’a incarcérée avec deux de ses collaborateurs. La députée HDP Saliha Aydeniz qui protestait, a été brutalisée. Le même jour, Mithat Kayan, conseiller municipal de Dersim (Tunceli), et Hüseyin Can ont été incarcérés après des raids chez eux. Des raids ont aussi visé les domiciles de trois autres responsables HDP d’Antalya. Chez Safiye Dalgıç, des membres des Forces spéciales ont posé leurs pistolets sur la tempe de ses proches. Toujours le 8, on a appris qu’à Dersim, cinq personnes, dont le père d’un militant du parti d’extrême-gauche TKP/ML-TİKKO, ÖzgüçYalçın, avaient été inculpées de «propagande pour une organisation illégale» pour avoir assisté à ses obsèques en 2015: il était mort dans un affrontement avec la police. Les prévenus ont reçu dix mois de prison, mais le verdict a été suspendu. Le 10, les anciens maires d’Uludere et Şırnak ont été incarcérés, en même temps que dix personnes à Erzurum, dont le co-maire de Karayazı; à Diyarbakir, le responsable de la branche locale du DBP a été arrêté. C’est aussi le 10 qu’a redémarré le procès de l’ancien leader du HDP, Selahattin Demirtaş, maintenant emprisonné depuis presque trois ans…
Moins visée que le HDP, l’opposition kémaliste n’est pourtant pas épargnée. Ainsi de Canan Kaftancıoğlu, responsable CHP d’Istanbul: accusée pour ses messages sur les réseaux sociaux entre autres d’«insultes au président» et «propagande pour une organisation terroriste», elle risque 17 ans d’emprisonnement (Bianet). En fin de mois, nouvelle vague d’arrestations: à Kars, huit personnes ont été incarcérées, et à Diyarbakir, la police a tué une personne, décrite comme un «membre du PKK» et en a blessé une autre. À Mardin et Diyarbakir, cinq personnalités politiques ont été incarcérées, dont les co-maires des districts de Nusaybin et Bismil. À Izmir, douze membres du HDP ont été incarcérés pour «propagande pour une organisation interdite» (WKI).
Quelques rares semi-bonnes nouvelles: toujours le 10, la députée Leyla Güven a pu enfin prêter serment au parlement et prendre son siège conquis en juin 2018. Incarcérée pour dix mois après son élection, Güven avait lancé une grève de la faim pour protester contre l’isolement des prisonniers politiques. Sa première intervention au parlement a été pour demander une amélioration du traitement des prisonniers ayant participé à des grèves de la faim. Le 19, le tribunal régional de Gaziantep est revenu pour des raisons de procédure sur les condamnations de l’ancienne co-maire métropolitaine de Diyarbakir Gültan Kışanak et de l’ancienne députée et co-présidente du BDP Sebahat Tuncel, condamnés respectivement à quatorze et quinze ans de prison pour «appartenance à une organisation terroriste». Cependant, la Cour a rejeté leurs demandes de remise en liberté…
Fait divers significatif, le 15, le député CHP de Mersin, Ali Mahir Başarır, a soumis au ministre des Finances une question parlementaire concernant une femme de Batman, Tenzire Çetin. En 2015, celle-ci, ne parlant pas turc et ne sachant ni lire ni écrire, avait indiqué ne pouvoir répondre aux questions des statisticiens de TurkStat. Elle vient de se voir réclamer par courrier une amende administrative de 55.000 livres turques (9.000 €). Başarır a notamment demandé s’il y avait eu d’autres cas semblables et si les employés de TurkStat impliqués seraient poursuivis… (Bianet)
Autre campagne de répression qui dure depuis des mois, celle visant les «Universitaires pour la Paix» (Academics for Peace), accusés de «propagande pour une organisation terroriste» pour avoir signé en 2015 une pétition condamnant les violences des forces de sécurité au Kurdistan de Turquie. Selon l’agence indépendante Bianet (elle-même menacée de fermeture), entre décembre 2017 et fin juin, 636 universitaires étaient passés en procès, et tous ceux dont les cas avaient été jugés, soit 200, avaient été condamnés à de la prison. Sur ces 200, 36 verdicts n’ont pas été suspendus, pour 29 car leurs peines étaient supérieures à 2 ans, et pour 7 parce qu’ils ont eux-mêmes refusé la suspension. Le 1er juillet se sont tenues plusieurs audiences pour ces affaires. Deux enseignants de l’Université culturelle d’Istanbul, Umut Azak et Erdem Üngür, et un troisième, de l’université İşık, ont reçu chacun un an et trois mois, avec verdict suspendu (Bianet). Le 11, l’Association des instructeurs d’université (ÜNİVDER) a appelé à libérer Füsun Üstel et Tuna Altınel. Le 12, jour où se déroulaient de nouvelles audiences, Sibel Bekiroğlu a à son tour été condamnée à un an et trois mois de prison, verdict suspendu.
Cependant, ce même jour, une autre Cour d’Istanbul a indiqué attendre la décision de la Cour constitutionnelle pour prononcer un verdict contre trois autres universitaires. Le 18, la Cour constitutionnelle, suivant une requête de députés CHP, a retiré au Conseil de l’enseignement supérieur l’autorisation de lancer des enquêtes contre des universitaires, argumentant que cela «[sapait] l'autonomie scientifique et [outrepassait] les pouvoirs d'inspection» (Bianet). Emprisonnée depuis le 8 mai, Füsun Üstel a finalement été libérée le 22 juillet suite à la décision de la Cour suprême d’Appel selon laquelle «les personnes reconnues coupables de propagande terroriste ne peuvent être considérées comme membres d'une organisation terroriste» et qu’elles peuvent être transférées dans un établissement pénitentiaire ouvert ou mises en liberté surveillée. Le 29, c’est Tuna Altınel, enseignant-chercheur en mathématiques à Lyon, arrêté le 11 mai, qui a été libéré sans contrôle judiciaire. Son incarcération avait provoqué de nombreuses réactions, dont celles du Conseil de la métropole de Lyon (à l’exclusion du Rassemblement national), de la Société européenne de mathématiques, du ministère français des Affaires étrangères, du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), et en Turquie, des étudiants de l’université franco-turque de Galatasaray, dont Altınel est issu.
Le 30, la Cour constitutionnelle a jugé que la liberté d’expression de dix universitaires avait été violée par leur condamnation pour «propagande terroriste». Certains dirigeants d’universités, mis en rage par ce verdict, comme à l’Université İbrahim Çeçen d’Ağrı ou les universités Aydın, Altınbaş et Medeniyet d’Istanbul, ont lancé une campagne de signatures pour dénoncer celui-ci, envoyant à leur personnel une déclaration condamnant ouvertement la décision de la Cour constitutionnelle comme «scandaleuse». C’est un délit, puisque selon l’article 138 de la constitution, les décisions de la Cour constitutionnelle s’imposent à tous, et aussi une pression sur les employés universitaires. Le texte a été diffusé avec 1071 signatures, une référence nationaliste à la bataille de Mantzikiert (Malazgirt) qui vit les Seldjoukides pénétrer en Anatolie suite à leur victoire sur les Byzantins en 1071… mais selon plusieurs soi-disant signataires, leur nom a été porté sans même qu’ils en aient été informés! Tout ceci laisse présager que, malgré le verdict de la Cour constitutionnelle, les universitaires condamnés, dont beaucoup ont perdu leur poste, devront lutter pour obtenir réintégration et indemnisation…
Autre procès en cours, celui des protestations du Parc Gezi à Istanbul en 2013. Sur les seize accusés, le seul incarcéré est maintenant le défenseur des droits civils et homme d’affaires Osman Kavala, depuis plus de vingt mois. Durant la seconde audience, le 18, la Cour a décidé à la majorité de son maintien en détention. L’acte d’accusation ayant été rédigé six ans après les faits, l’avocat de la défense Evren İşler a demandé: «S’il y avait vraiment eu un crime commis contre le gouvernement, les procureurs auraient-ils attendu six ans pour agir?»… Le 31, le Conseil des juges et procureurs (HSK) a changé le Bureau de la Cour, retirant de fait l’affaire au Président Mahmut Başbuğ, qui avait voté le 18 pour la libération de Kavala…
Le 11, la députée HDP de Siirt Meral Danış Beştaş a demandé la constitution d’une Commission d’enquête sur le nombre croissant d’allégations de torture (Bianet). Notamment, le 3, les proches d’İrfan Kılıç ont été informés qu’il s’était suicidé dans la prison de type F de Kandıra, mais les traces sur le corps pointent vers une mort sous la torture, et la famille compte demander une enquête… (TIHV)
Quant aux amis du pouvoir, même récents, ils ne sont pas inquiétés: le 1er juillet, se tenait l’audience finale du procès «Ergenekon», ouvert il y a 12 ans par des procureurs depuis accusés de gulénisme. 235 accusés sur 239 ont été libérés (TIHV). Même en sachant l’arbitraire ayant présidé aux inculpations, cet acquittement collectif est tout aussi scandaleux que les inculpations de masse actuellement en cours. Par ailleurs, l’ancien responsable de la Halkbank aux États-Unis, Hakan Atilla, condamné dans l’affaire des sanctions contre l’Iran, renvoyé en Turquie après sa libération, il a été accueilli le 24 à l’aéroport d’Istanbul par le ministre des Finances Berat Albayrak, gendre de M. Erdoğan…
L’intolérance nationaliste atteint des sommets dans le pays: le 19 à Trabzon, après l’attentat dans lequel le vice-consul turc à Erbil a trouvé la mort, neuf touristes du Kurdistan d’Irak ont failli être lynchés, simplement parce qu’ils portaient des écharpes aux couleurs de la Région du Kurdistan… Ils ont finalement été expulsés.
La Turquie a poursuivi en juillet ses opérations militaires anti-PKK, notamment l’opération «Griffes» au Kurdistan d’Irak. Fin juin, une frappe turque ayant provoqué la mort de quatre personnes avait suscité une condamnation du ministère irakien des Affaires étrangères qui l’avait qualifiée d’«acte unilatéral de guerre». Le 30 juin, Ankara, jugeant cette déclaration «inacceptable», a convoqué l’ambassadeur irakien, et le ministre turc des Affaires étrangères a déclaré que ces opérations se «poursuivraient résolument». En fin de mois, Kurdistan 24 a rapporté une estimation du commandant de la patrouille frontalière du Kurdistan, Sherko Zangana, selon lequel 400 villages avaient été évacués par leurs habitants en raison du conflit entre l’armée turque et le PKK…
Le 4, les médias turcs ont annoncé la mort de deux militants kurdes la veille dans une frappe aérienne sur la région du Zab, et le 5, de quatre autres à Xwakurk et de trois autres à Qandîl. Le 7, le PKK a confirmé la mort le 5 d’un membre du Conseil exécutif du KCK (Union des communautés kurdes), Diyar Gharib Mohammed, avec deux autres militants, dans une frappe près des Monts Qandîl (l’agence Anatolie avait daté sa mort d’une frappe du 27 juin) (Kurdistan 24). Le 10, de nouvelles frappes ont été annoncées dans lesquelles auraient été tués 15 combattants du PKK. Puis le 12, l’armée turque a lancé au Kurdistan d’Irak l’opération Griffes-2 pour «détruire les grottes et les abris» du PKK dans la région de Xwakurk (AP). Le 16, un soldat turc a été tué par une bombe artisanale au Kurdistan d’Irak (TIHV). Le 18, un caporal turc a été tué près de Xwakurk.
Mais l’attaque la plus marquante du mois s’est produite le 17 à Erbil, où le vice-consul turc a été abattu avec deux autres personnes dans un restaurant du quartier chrétien d’Ainkawa. C’est la première attaque de ce type. L’auteur des tirs mortels, muni de deux pistolets, s’est enfui immédiatement. Le PKK a nié être impliqué dans l’attentat, mais Ankara a riposté le lendemain par une opération aérienne contre Qandîl qui aurait selon le ministre turc de la Défense permis de détruire plusieurs abris du PKK (AFP). Le 19, un suspect a été identifié par la Sécurité du Kurdistan: un Kurde de Diyarbakir de 27 ans du nom de Mazlum Dağ, frère de la députée HDP Dersim Dağ (un parti qui a dénoncé l’attaque). Mazlum Dağ a été arrêté le lendemain en compagnie d’un homme accusé de complicité. La nuit suivante, l’aviation turque a blessé cinq civils dans les environs du camp de Makhmour, qui héberge des Kurdes de Turquie ayant dû fuir le pays au début des années 90. Le ministère turc de la Défense a annoncé la mort de deux membres du PKK et d’un soldat turc, dont six autres ont été blessés. Les frappes aériennes se sont poursuivies du 21 au 25, notamment près de Dohouk, faisant ce dernier jour deux morts, qui seraient des militants du PKK. Le 27, le ministère turc de la Défense a annoncé avoir «neutralisé» 34 militants du PKK dans des frappes les 17 et 19 juillet, seize le 17 à Qandîl et dix-huit le 19 à Karaçok, des revendications invérifiables indépendamment. Le 30, au moins sept autres frappes ont endommagé plusieurs fermes dans le nord du Kurdistan d’Irak, notamment près d’Amêdî.
Des combats ont aussi eu lieu du côté turc de la frontière, notamment près de Siirt: le 3, un soldat a été tué et un autre blessé près d’Eruh; le 9, deux autres ont été blessés près de Pervari dans l’explosion d’une bombe déclenchée au passage de leur véhicule. Le 7, les médias ont rapporté avec retard la mort le 22 juin de trois combattants kurdes dans un bombardement près de Tatvan (Bitlis). Un autre a été tué le 7 dans une frappe sur Şırnak. Le 9, une bombe a tué deux soldats à Hakkari (TIHV). Le 10, cinq militants MLKP et PKK ont été tués lors d’un accrochage avec l’armée turque dans la vallée du Munzur (Dersim). Le 14, trois militaires ont été tués et un autre blessé, encore à Hakkari, et trois combattants kurdes tués (AFP). Le 15, a été diffusée la vidéo de la destruction d’un système antichar et d’un dôme radar à Şırnak dans une attaque datée par le PKK du 5 (AMN). Le 16, le ministère de la Défense a revendiqué la «neutralisation» de 174 combattants PKK, mais celui-ci a nié toute perte (Rûdaw). Le 19, un major turc a été tué près de Çalıdüzü (Bitlis). Le 29, seize villages de Tatvan (Bitlis) ont été mis sous couvre-feu durant une opération anti-PKK. Une mesure identique avait été imposée la semaine précédente au Dersim.
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Le 1er juillet, les Forces démocratiques syriennes (FDS), après des discussions ayant duré plusieurs mois, ont signé avec les Nations-Unies au Palais des Nations à Genève un accord mettant fin à l’incorporation dans leurs rangs de combattants mineurs. Le document, dont la signature a été annoncée sur le site web de l’ONU, prévoit que les enfants de moins de 18 devront quitter les unités combattantes et que des mesures disciplinaires seront prises pour empêcher tout futur recrutement.
Par ailleurs, les territoires contrôlés par les FDS et l’Administration Autonome du Nord-Est Syrien sont toujours en butte aux attentats attribués aux cellules dormantes de Daech, incluant de nombreux incendies de récoltes, et à la menace d’une invasion militaire de la Turquie. Celle-ci poursuit en effet ses menaces, continuant à s’appuyer en Syrie sur des groupes djihadistes comme ceux qu’elle utilise comme supplétifs à Afrîn.
Pourtant, comme le montrent les deux rapports publiés récemment par le centre Reach sur la situation humanitaire en mars dernier dans le Nord-Ouest et le Nord-Est de la Syrie, les zones contrôlées par l’Administration autonome sont demeurées plus sûres et ont connu beaucoup moins de déplacements de population que celles tenues par l’opposition, la situation la pire, avec 75 à 100% de déplacés, revenant aux régions occupées par la Turquie, et en particulier la région d’Afrîn, contrôlée par les djihadistes soutenus par ce pays! (Rapport REACH sur le Nord-Ouest syrien, Rapport REACH sur le NE Syrien).
Par ailleurs, les tensions montent autour de la région d’Idlib, la dernière tenue par l’opposition, contrôlée majoritairement par l’ancienne branche locale d’al-Qaïda, Hayat Tahrir al-Sham, où le régime et son allié russe poursuivent leur offensive. Le 2, le commandement américain a annoncé y avoir frappé Tahrir al-Sham. Le 5, des bombardements y ont fait quatorze morts civils dont sept enfants. Depuis fin avril, plus de 520 civils ont été tués selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). Le 11, l’OSDH a estimé que plus de cent combattants des deux camps, 57 du régime et 44 rebelles, avaient été tués en une seule journée. La région abrite trois millions de civils dont beaucoup y avaient trouvé refuge après la reprise par le régime de zones tenues par les rebelles, comme la Ghouta orientale (AFP).
Dans le Nord-Est syrien, la tension s’est aussi accrue entre les FDS et les forces du régime après que les Asayish (sécurité kurde) de Qamishli ont arrêté plusieurs soldats du régime. L’armée syrienne a en représailles arrêté quatre membres des Asayish. Les FDS ont aussi arrêté récemment un journaliste pro-Damas dans la province d’Hassaké (AMN).
À Afrîn, les exactions des djihadistes pro-turcs se sont poursuivies. Al-Monitor a rapporté le 3 qu’un Kurde, Aslan Brim Sino, avait été tué dans une prison contrôlée par la Brigade al-Moutasem. Il y était détenu depuis dix mois après avoir été enlevé dans le village de Baadalni par une autre faction, Ahfad al-Rasoul. Déjà le 24 juin, le corps d’une autre Kurde, Rashid Khalil, avait été retrouvé près d’un village, portant des traces de torture. Il avait été enlevé avec son fils handicapé de 11 ans et les ravisseurs réclamaient pour les libérer une rançon de 100.000 $ pour chacun (OSDH). Le 11, au moins 13 personnes, dont huit civils, six adultes et deux enfants, ont été tuées dans l’explosion d’une voiture piégée devant un barrage rebelle à l’entrée d’Afrîn, et vingt-cinq autres blessées. Une seconde explosion a touché le centre-ville. La police a attribué ces attaques aux YPG. À Qamishli, un attentat à la voiture piégée ayant fait le 11 une dizaine de blessés près d’une église a été revendiqué par Daech, ainsi qu’une attaque à la voiture suicide le lendemain après-midi contre le QG des Forces spéciales des FDS à Tayyana (Deir Ezzor). Les autorités ont condamné fermement ces trois attentats (AFP). En fin de mois, treize membres des FDS ont été blessés par une autre bombe dans un village d’Hassaké.
Le 8, s’est conclu à Qamishli le «Forum International» de trois jours consacré à Daech, au cours duquel des victimes de l’organisation djihadiste ont pu témoigner. Le lendemain, le Centre Moyen-Orient de la London School of Economics (LSE) a publié un rapport documentant l’attaque par Daech du village yézidi de Kocho (->). Il s’agit de la première publication du Yazidi Victims Demographic Documentation Project, dont l’objectif est d’identifier toutes les victimes de l’attaque de Daech sur le Sinjar, en suivant une approche similaire à celle en son temps de la section «Démographie» du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Ce projet permettra de créer une base de données qui facilitera l’identification des victimes exhumées des fosses communes trouvées en Irak et en Syrie et le jugement des auteurs de ces crimes contre l’humanité.
Au camp d’al-Hol, où se trouvent de nombreux prisonniers djihadistes, des mesures de sécurité renforcées ont été prises le 3 après qu’une femme qui avait été autorisée à sortir du camp pour faire des courses a poignardé un garde avant de s’enfuir. Une couvre-feu a été imposé et toute sortie du camp suspendue jusqu’à ce que la prisonnière soit reprise.
Le devenir de l’Administration autonome demeure toujours incertain, le gouvernement turc continuant à se montrer menaçant. Le 9, après que le gouvernement allemand ait rejeté la veille une demande américaine de déployer des troupes au sol, Washington a annoncé que le Royaume-Uni et la France avaient quant à eux donné leur accord, sans donner de précisions quant au nombre de militaires envisagé (WKI). Après que les médias trucs ont annoncé qu’une opération militaire de grande envergure était en préparation en Syrie sur l’Est de l’Euphrate, les YPG ont renforcé leur présence à la frontière turque, tandis que Washington avisait Ankara de ne pas se lancer dans une opération unilatérale : le porte-parole du Pentagone, Sean Robertson, a déclaré sur Kurdistan 24 que Washington «considérerait comme inacceptable» toute «action militaire unilatérale dans le Nord-Est de la Syrie par qui que ce soit, en particulier lorsque du personnel américain pourrait être présent ou proche»…
Les 14 et 15, cependant, l’armée turque, poursuivant son déploiement à sa frontière Sud-Est, a lancé de nombreuses attaques indirectes sur les zones tenues par les FDS en Syrie, des roquettes visant la ville de Tell Rifaat et la base aérienne de Minagh, récemment qualifiées par les médias nationalistes comme des «extensions naturelles de l’opération sur Afrîn» (WKI). Le 22 au soir, la tension est de nouveau montée d’un cran après qu’une roquette tirée depuis la ville de Serê Kaniyê (Raq al-Ayn) en territoire syrien (entre Qamishli et Kobanê) ait blessé cinq civils côté turc à Ceylanpınar. Les FDS ont qualifié l’incident d’«action provocatrice menée par des personnes inconnues cherchant à semer la discorde et nuire à la stabilité de la région» et ont annoncé mener une enquête. Un suspect a été arrêté le lendemain. En réponse, cependant, l’armée turque a lancé une attaque contre plusieurs positions frontalières des FDS près de Serê Kaniyê, attaque qui aurait coûté la vie à cinq combattants. Le ministère turc de la Défense annoncé la destruction de sept sites des YPG (AMN).
Le même jour, des discussions ont pris place à Ankara entre le ministre turc de la Défense Hulusi Akar et l’envoyé américain pour la Syrie James Jeffrey à propos de l’établissement d’une zone de sécurité dans le Nord syrien. Le lendemain, le chef de la diplomatie turque Mevlüt Çavuşoğlu a exprimé son mécontentement devant les propositions américaines, accusant les États-Unis de chercher à gagner du temps: «Nous sommes à bout de patience», a-t-il déclaré, menaçant de nouveau d’une opération militaire. Le 26, les autorités à Damas ont dénoncé ces pourparlers américano-turcs, les qualifiant d’«ingérence» (AFP), tandis que le président turc réitérait ses menaces d’invasion… Les FDS ont répliqué qu’elles résisteraient à toute invasion turque, tandis que des manifestations de protestation contre les menaces turques se tenaient dans plusieurs villes du Nord syrien (WKI).
Après sa réunion du 30, le Conseil national de sécurité turc a publié un communiqué où n’est plus fait mention d’une «zone de sécurité» côté syrien, mais qui évoque le travail en cours pour établir un «corridor de paix» à la frontière turco-syrienne… Le communiqué spécifie: «Compte tenu des menaces croissantes que fait peser sur notre pays le vide d’autorité à la frontière avec la Syrie, il a été confirmé que la région sera débarrassée de tout risque terroriste dans le cadre de notre sécurité frontalière et que nos efforts déterminés pour former un ‘corridor de paix’ seront poursuivis. Quant au ‘corridor de paix’, il n’est pas encore clair s’il sera soutenu par les garants d’Astana ou s’il s’agira d’une ligne formée par la Turquie» (Bianet).
Concernant les relations intra-kurdes en Syrie, la France a offert sa médiation pour des discussions entre le TEV-DEM (Mouvement pour une société démocratique), auquel est affilié le PYD, parti dirigeant l’Administration autonome, et le Conseil national kurde (Encûmena Niştimanî ya Kurdî li Sûriyê, ENKS), regroupant une dizaine de partis kurdes, dont le parti démocratique du Kurdistan de Syrie, fondé en 1957 et prédominant jusqu’en 2012. Dans le passé, ces deux entités avaient conclu des accords mais ceux-ci n’avaient pas été réellement appliqués. Il se pourrait que la situation se détende, puisqu’un responsable du TEV-DEM a déclaré le 9 à Rûdaw être en faveur de la réouverture de leurs bureaux par les partis d'opposition kurdes, qu’il a invités à participer aux futures élections. Les efforts de médiations français ont été rapportés avec désapprobation le 10 par l’Agence d’État Anatolie, qui reproche à ce pays son «soutien au groupe terroriste PYD/PKK».
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Depuis la défaite militaire de Daech, un millier d’étrangers présumés jihadistes sont emprisonnés et 13.000 de leurs proches, dont femmes et enfants, vivent en Syrie dans des camps de déplacés sous contrôle kurde, avec des conditions de vie jugées «apocalyptiques» par la Croix-Rouge.
Le 2 juillet, les avocats de plusieurs familles de ces femmes et enfants ont déposé plainte contre X à Paris pour détention arbitraire et séquestration. Ils estiment que les autorités françaises sont responsables par leur inaction de la situation de leurs clients, et espèrent par leurs plaintes obtenir qu’un juge judiciaire, garant des libertés fondamentales, soit saisi. Malgré plusieurs recours tentés depuis un an devant la justice administrative française pour contraindre l’État à rapatrier ses ressortissants, les familles n’ont pu obtenir gain de cause, la justice administrative française, dont sa plus haute juridiction, le Conseil d’État, s’étant déclarée incompétente. Puis plusieurs associations de défense des droits de l’homme ont publié une tribune commune demandant le rapatriement des enfants français et le jugement en France des djihadistes français: la Fédération internationale des droits de l’Homme, la Ligue des droits de l’Homme, le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature, plusieurs universitaires et avocats y demandent aux autorités françaises de «faire rapatrier au plus vite et sans condition l’ensemble des enfants français actuellement retenus sur les territoires irakien et syrien» et d’«adopter une position diplomatique forte visant, dans le respect de la souveraineté des États concernés, à ce que les ressortissants français mis en cause en raison de leur appartenance à l’organisation État islamique soient remis à la justice française pour être jugés».
L’Association française des Victimes du Terrorisme a lancé le même appel: «Nous tenons à rappeler l’article 37 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 20 novembre 1989. Les États parties veillent à ce que nul enfant ne soit privé de liberté de façon illégale ou arbitraire».
Jusqu’à présent, dans un contexte de forte hostilité de l’opinion au rapatriement, l’État français, campe sur ses positions, celles d’un rapatriement d’enfants uniquement, et «au cas par cas»: le 14 juin, le Premier ministre Édouard Philippe avait déjà rejeté par courrier les demandes appelant l’État à rapatrier ou améliorer la prise en charge d’enfants de jihadistes français détenus en Syrie qui lui avaient été adressées par le Défenseur des Droits, l’ancien ministre Jacques Toubon, et le président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), Jean-Marie Delarue. Il argumentait que ces mineurs sont placés sous le contrôle des Forces démocratiques syriennes (FDS), et la France n’a pas de «contrôle effectif» qui lui imposerait l’application des conventions internationales par une juridiction française…
Le transfert de nombreux prisonniers français vers l’Irak où onze d’entre eux ont été condamnés à mort après des procès jugés expéditifs a provoqué un nouveau scandale. «Un Etat européen ne peut pas livrer quelqu’un qui peut risquer la peine de mort, a rappelé dans Le Monde Raphaël Chenuil-Hazan, directeur général d’Ensemble contre la peine de mort (ECPM).
En Syrie, plusieurs dizaines d’experts internationaux se sont réunis le 6 à Amouda, près de Qamishli, pour un Forum impliquant 200 participants venus à la demande des autorités de l’Administration autonome pour examiner la création sur place d’un éventuel tribunal international pour juger les crimes commis par les djihadistes. Les autorités, qui appellent à la création de cette Cour, demandent aussi aux pays étrangers de rapatrier leurs ressortissants… «Idéalement, un tribunal devrait être établi dans la région où les crimes ont été commis pour que la population elle-même participe au processus» de justice, plaide un des participants, Mahmoud Patel, expert sud-africain en droit international. Stephen Rapp, ex-ambassadeur des États-Unis chargé des crimes de guerre, également ex-procureur du procès pour crimes de guerre de l’ancien président libérien Charles Taylor, estime que l’option la plus réaliste serait d’établir un tribunal kurde bénéficiant d’une «assistance internationale conditionnée au respect du droit international». Les autorités locales seraient prêtes à juger les djihadistes étrangers en échange d’une assistance juridique et d’une aide financière.
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Le nouveau Gouvernement régional du Kurdistan (GRK), dirigé par Masrour Barzani, a clairement centré son action sur l’établissement de relations constructives avec le gouvernement irakien. Le 10 juillet, dans son intervention au Parlement d’Erbil juste après l’annonce de son gouvernement, le nouveau Premier ministre a indiqué que l’un de ses objectifs principaux serait de renforcer les relations avec Bagdad et résoudre les différends pendants entre GRK et gouvernement fédéral. Dès le 16, il a mené à Bagdad une délégation de haut niveau pour discuter de la mise en œuvre de l’article 140 de la Constitution et de la coopération sécuritaire: Daech n’a cessé en effet d’intensifier ses attaques dans les territoires disputés. Si le nouveau Président de la Région du Kurdistan, Nechirvan Barzani, a inauguré son action diplomatique à l’international en se rendant le 12 juillet en France, où il a été reçu chaleureusement par le président Macron, le Premier ministre quant à lui, a fait son premier déplacement à Bagdad…
Le 22, Bagdad et Erbil ont formé un Comité conjoint pour tenter de résoudre leurs différends sur les obligations pétrolières du GRK dans le cadre du budget 2019 (ISHM). Le 25 au soir, une délégation fédérale comprenant les ministres des Finances Fouad Hussein et du Pétrole Thamir Ghadhban est arrivée à Erbil pour rencontrer une Commission dirigée par les Premier et Vice-premier ministres, Masrour Barzani et Qubad Talabani. Le lendemain, a été annoncée la formation, sous l’égide du Comité conjoint, de plusieurs groupes de travail techniques devant rechercher des solutions pragmatiques et conformes à la constitution aux différends concernant les territoires disputés, les questions budgétaires et le pétrole. Ces groupes commenceront à travailler à Bagdad début août (NRT, WKI). Le 31, la Commission des finances du parlement de Bagdad a demandé à questionner le ministre des Finances sur les paiements faits au GRK alors que celui-ci n’a toujours pas déféré à ses obligations de livraison de pétrole (ISHM).
Le 23, ont commencé selon le chef de la médecine légale irakienne, le docteur Zaid al-Youssef, les exhumations de plus de 70 corps, dont ceux de femmes, d'enfants – de la naissance à 10 ans – découverts dans le sud désertique de la province de Mouthanna, près de Tell al-Cheikhiya (300 km au sud de Bagdad). Ce sont des victimes kurdes du régime de Saddam Hussein, amenées de Germiyan et exécutées durant les opérations Anfal en 1987-88. Le médecin a indiqué que sous les restes en cours d’exhumation pourrait se trouver «une seconde couche plus profonde» avec des corps supplémentaires… Une soixantaine de fosses communes ont déjà été découvertes dans cette province et il est possible qu’il en reste autant. Interrompu durant le week-end après une requête du seul survivant de ces exécutions, Teymour Abdullah, le processus d’exhumation a repris le 29. Mais un scandale a éclaté le 30 lorsque des proches de victimes souhaitant pénétrer sur le site pour identifier des membres de leur famille en ont été empêchés par un officier en raison du drapeau kurde drapé autour de leur cou. L’officier responsable a été incarcéré et le gouverneur de la province a présenté des excuses officielles; les partis kurdes au Parlement irakien ont condamné un manque de respect envers le drapeau kurde pourtant officiellement reconnu dans la Constitution, et le 31, le Président irakien Barham Salih a reçu les familles à Bagdad. Mais un parlementaire irakien de Bassora, Oday Awad (coalition Fatih) a au contraire soutenu l’officier incriminé, qualifiant les excuses de «honte» devant «le manque de respect montré pour le drapeau irakien chaque jour dans la Région du Kurdistan» (Rûdaw). Le 17, le ministre kurde des Affaires de l’Anfal avait appelé le gouvernement fédéral à signer le Statut de Rome de la Cour pénale internationale afin de permettre les poursuites des auteurs de génocide…
Concernant les territoires disputés, le 4 juillet, après que de nombreux incendies ont touché la province de Kirkouk, la Commission du parlement d’Erbil récemment créée pour suivre la situation des «Territoires kurdes hors de la Région» s’est rendue dans la province pour la première fois depuis qu’elle est repassée sous le contrôle de Bagdad en octobre 2017. Ses membres ne sont pas entrés en ville mais ont visité le sous-district de Qarahanjir. Elle devrait soumettre prochainement son rapport à la Présidence du parlement kurde, qui décrira avoir constaté l’augmentation des violations des droits des résidents kurdes. Son rapporteur, Mala Nasr, a indiqué : «Nous essayons d'œuvrer pour le retour des Peshmergas par l'intermédiaire du GRK et des députés kurdes à Bagdad, afin de mettre un terme à la situation actuelle à Kirkouk». Le 3, le Vice-président du parlement de Bagdad, Bashir Hadad avait annoncé la formation de sa propre Commission sur les territoires disputés, dont les travaux seront suivis par les Nations Unies. Le 6, une autre commission du parlement fédéral, celle sur la sécurité, après avoir visité début juin Kirkouk et les villes à majorité sunnite des provinces de Kirkouk, Mossoul, Diyala, Salahaddin et Anbar, a publié son rapport: elle y demande le transfert rapide de la sécurité à la police fédérale, argumentant que les nombreuses violations des forces de sécurité, par ailleurs incapables d’arrêter les attaques djihadistes, ont exacerbé les tensions. Mais la police fédérale n’est pas non plus sans tache: des villageois kurdes de Daqouq l’accusent d’avoir illégalement incendié cinq maisons. Certains députés ont soutenu le rapport, mais ont aussi demandé que soient formées de nouvelles unités de police issues de la population locale, manière de rendre le contrôle aux habitants.
Par ailleurs, Daech a profité du «vide sécuritaire» de 40 km séparant forces irakiennes et peshmergas pour reprendre ses activités, et ce mois-ci, attentats et affrontements ont littéralement été incessants. À Diyala, une bombe a blessé deux soldats le 1er juillet, une grenade a tué une personne dans un marché le 3, et une nouvelle explosion a blessé un civil le 7, deux policiers arrivés sur les lieux ayant été blessés dans une embuscade. Ce même jour, l’Irak a annoncé une importante opération anti-Daech intitulée «Volonté de victoire» à Ninive (Ninewa), Salahaddin, et Anbar, près de la frontière syrienne (ISHM), impliquant 20.000 combattants de l’armée et de milices Hashd al-Shaabi ou tribales.
Le 9, le Premier ministre irakien a annoncé un accord entre le ministère de la Défense et celui des Peshmergas à Erbil pour assurer en commun la sécurité de 500 km de la frontière syrienne. Concernant la sécurité des territoires disputés et notamment de Kirkouk, rappelant la complexité de la situation, il a indiqué que son gouvernement continuait à discuter avec le GRK. Selon le Chef d’état-major du ministère des peshmerga, Jabar Yabar, la sécurité dans les villes pourrait être assurée par la police fédérale, l’accord Bagdad-Erbil s’appliquant hors des zones urbaines…
Le 12, quelques heures après le lancement d’une autre opération anti-Daech à Diyala, quatre membres des Hashd, ont été tués par une bombe près de Sa’diya. Le 16, les djihadistes ont attaqué un village au sud de Kirkouk, tuant deux résidents (ISHM). Le 17, sept habitants de Diyala ont été blessés par une bombe. La Coalition internationale anti-Daech a repris ses bombardements: le 13, une frappe aérienne a tué quatre djihadistes dans la province de Ninive (Kurdistan-24); entre le 15 et le 17, trois autres ont tué sept djihadistes à Salahaddin et huit à Diyala, et le 19, une frappe sur un camp de Daech a tué dix djihadistes à Ninive. À Khanaqin (Diyala), une organisation de la société civile, protestant contre la dégradation de la situation sécuritaire, a lancé une pétition demandant la mise en œuvre de l’article 140 de la Constitution; elle a recueilli 3.000 signatures en une journée (Kurdistan-24).
Le 20, a été lancée la deuxième phase de «Volonté de victoire». Le lendemain, l’armée irakienne a tué sept djihadistes à Ninive. Le même jour, des tirs de mortier puis une bombe ont fait un mort et deux blessés civils dans un village de Diyala. Le 23, les djihadistes ont attaqué un village au sud de Mossoul et tué deux résidents, puis le 25 un autre village à Daqouq (Ninive), faisant un mort et trois blessés civils. Le 24, neuf membres d’une même famille ont été tués à Daqouq quand la police fédérale a pris leur véhicule pour une voiture piégée. Une enquête sur l’incident a été ouverte. De nombreux villageois kurdes de la région de Daqouq quittent leurs maisons en raison du nombre croissant d'attaques terroristes et de la détérioration de la situation sécuritaire. Au Sindjar, cinq djihadistes qui tentaient de s’infiltrer dans un village le 24 ont été interceptés par des peshmergas et les combattants Yézidis Ezidkhan de Haider Shesho, qui ont tué quatre d’entre eux, deux autres se faisant exploser (Kurdistan-24). Le 25, des djihadistes ont exécuté deux Yézidis avant d’être pris en chasse par les militaires irakiens qui ont tué trois d’entre eux. Le même jour, des «tirs amis» entre Irakiens ont causé la mort d’un policier et de plusieurs civils. Le 26, une dizaine de tirs de mortier ont frappé le village Kakaï de Topzawa, au sud de Kirkouk. D’autres tirs sur des villages proches ont fait un mort et deux blessés, tous civils.
Le 28, le ministère irakien de l’Intérieur a annoncé avoir déjoué en coordination avec le GRK un «complot terroriste de grande ampleur» visant à mener de nombreuses attaques dans tout le pays, incluant Bagdad et la Région du Kurdistan, durant le mois de Ramadan en mai et juin prochains. 160 djihadistes ont été arrêtés à Ninive et 40 autres à Bagdad. Le 29, les forces de sécurité ont annoncé avoir fait échouer une attaque visant les forces de sécurité du champ pétrolier d’Olas (Salahaddin), dans les Monts Hamrin, 200 km au nord de Bagdad. Des attaques sur le même site avaient déjà été repoussées en mai (Kurdistan-24). Le même jour, une nouvelle explosion à Diyala a tué deux civils. Le 31, les djihadistes ont attaqué un checkpoint à Salahaddin, tuant trois miliciens et deux policiers, et un autre groupe a attaqué la sécurité kurde à Kifri (Diyala), l’affrontement faisant au moins cinq morts et huit blessés (ISHM). Le même jour, une délégation militaire américaine a visité Erbil pour discuter de la situation sécuritaire. Ont été abordés l’accroissement de l’activité de Daech, l’aide américaine, la coordination entre Erbil et Bagdad, et la nécessité d’unifier les 240.000 peshmergas de la Région, toujours en majorité soumis aux chaînes de commandements séparées des deux principaux partis kurdes (Kurdistan-24).
Le 23, le parlement irakien a approuvé un amendement à la loi électorale fixant la date des prochaines élections provinciales au 1er avril 2020. Cette décision ne s’applique pas à la Région du Kurdistan, qui déterminera sa date indépendamment, mais elle concerne la province de Kirkouk, toujours soumise de fait à la loi martiale, la sécurité étant confiée aux forces de sécurité irakiennes… Opposés à cette décision, le PDK et l’UPK ont boycotté la session: ils souhaitent que la situation soit normalisée avant la tenue de l’élection, craignant que dans la situation actuelle, les Kurdes ne soient privés de leurs droits électoraux. Kirkouk n’a pas connu d’élection provinciale depuis 2005. Le parlement avait échoué une première fois le 10 juillet à amender la loi, justement en raison des dissensions concernant Kirkouk…
Autre élément ayant marqué l’actualité du mois, la tension croissante due aux opérations militaires turques. Avec le lancement en mai dernier par Ankara d’une importante offensive anti-PKK sur le territoire du Kurdistan irakien, ce sont quatre-cents villages qui ont dû être évacués en raison des frappes turques, et les morts civiles causées par ces frappes se multiplient. L’opinion locale commence à remettre en cause la présence militaire turque. Le 2 juillet, des peshmergas supplémentaires ont même dû être envoyés à Dohouk après qu’un groupe a menacé de s’en prendre aux militaires turcs (ISHM). Le 6, le parlement kurde a dénoncé les frappes aériennes turques et sommé Bagdad d’accomplir son devoir constitutionnel de protection des citoyens et frontières kurdes. La Turquie n’est pas seule en cause: le 10, le GRK a également demandé à l’Iran de mettre fin à ses bombardements sur ses zones frontalières après qu’une adolescente a été tuée et deux de ses frères blessés au Bradost (Kurdistan-24).
Mais les relations avec la Turquie se sont encore compliquées après le 17, lorsque, dans l’attaque la plus grave perpétrée à Erbil depuis des années, le vice-consul turc au Kurdistan, Osman Kose, a été abattu dans un restaurant d’Erbil par un homme armé de deux pistolets qui a pu s’enfuir… Le PKK a nié toute implication, mais le GRK l’a accusé d’être derrière l’attaque. Le 24, la Sécurité du GRK a annoncé la capture du principal suspect dans cette affaire, un Kurde de Turquie. Le même jour, le GRK a dénoncé l’attaque de sept touristes du Kurdistan par des nationalistes turcs à Trabzon, simplement parce qu’ils portaient des écharpes reproduisant le drapeau kurde. Ces événements interviennent quelques semaines après l’annonce de l’ouverture prochaine de deux nouveaux points de passage frontaliers avec l’Iran et la Turquie: dans un contexte de difficultés économiques croissantes pour ces deux pays, la Région du Kurdistan, enclavée, demeure plus que jamais marquée par l’interdépendance économique avec ses voisins…
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Les sanctions américaines continuent à asphyxier l’économie iranienne. En juin, le pays n’a exporté que 300.000 barils par jour, contre 2,5 millions en avril 2018. Le 24 juillet, le Bureau statistique a annoncé que les prix avaient augmenté de 48% par rapport à juillet dernier – le taux le plus élevé depuis 1975. Mais ce n’est qu’une moyenne, fruits et légumes ayant connu une augmentation supérieure, avec un record pour la viande: 95% (Radio Farda). De plus en plus de Kurdes d’Iran choisissent d’aller travailler au Kurdistan d’Irak, où la situation économique est meilleure. Sans visa de longue durée, ils rentrent régulièrement en Iran une semaine puis reviennent… (AFP)
À l’international, après les attaques de navires étrangers dans le Golfe en juin, la situation commence à prendre des allures de «guerre des tankers»: le 4 juillet, le pétrolier iranien Grace-1, accusé, en contravention des sanctions de l’Union européenne contre la Syrie, de transporter du pétrole vers la raffinerie de Banyas, a été retenu à Gibraltar par les autorités britanniques. L’Iran a démenti une destination syrienne, et le 10, le président Rohani a lancé au Royaume-Uni un avertissement sur les «conséquences» de son action. Quelques heures plus tard, des vedettes iraniennes tentaient d’arraisonner un pétrolier britannique dans le détroit d’Hormuz. Elles ont dû abandonner quand la frégate HMS Montrose, qui escortait celui-ci, a pointé ses canons vers eux… Le 13, le Foreign Office a indiqué que le Grace-1 pourrait être autorisé à reprendre la mer si l’Iran garantissait qu’il n’irait pas en Syrie. Le 14, l'Iran a intercepté un pétrolier panaméen, le Riah, accusé de transporter du pétrole de contrebande (ce que le Panama a confirmé), et le 19, un pétrolier suédois battant pavillon britannique, le Stena Impero, pour «non-respect du code maritime international»…
Cette situation internationale délétère accroît les tensions internes: inquiet, le régime intensifie sa répression. Au Kurdistan, les affrontements armés avec les partis kurdes d’opposition se multiplient. Déjà, le 30 juin à Choman, côté irakien, des combats avaient opposé des peshmergas du PDKI aux pasdaran (Gardiens de la révolution), qui avaient utilisé l’artillerie lourde (WKI). Le 2, près de Chaldiran (Azerbaïdjan Occidental), deux pasdaran sont morts dans un combat contre un «groupe contre-révolutionnaire» (Rûdaw). Selon l’agence semi-officielle Fars, deux combattants kurdes ont aussi été tués et d’autres blessés; armes, explosifs et moyens de communication ont été saisis. Le parti kurde impliqué n’a pas été précisé (NRT). Plus tôt le même jour, des sources kurdes avaient mentionné un affrontement entre pasdaran et membres du PJAK, parti iranien de la mouvance PKK, et d’autres rapports parlaient d’une attaque des pasdaran contre des kolbars (porteurs) entre Piranshahr et Choman.
Le 9, l’agence Mehr a annoncé que trois pasdaran avaient été tués et un autre blessé dans une attaque sur leur véhicule, toujours à Piranshahr. Le 10, le PDKI a revendiqué l’attaque et rapporté que des bombardements de représailles sur ses sites près de Choman (Erbil) avaient fait trois morts (ISHM). Le même jour, le Gouvernement régional du Kurdistan (GRK), après la mort d’une adolescente près de Sidakan (Bradost) a demandé que l’Iran cesse ses bombardements. Puis de nouveaux affrontements ont été rapportés côté iranien plus au sud près de Javanrud (Jwanro), où deux militaires iraniens ont été tués (Kurdistan 24). Confirmant le 12 avoir frappé durant trois jours, notamment avec des drones, des «camps et centres d'entraînements de terroristes», les pasdaran ont recommandé aux habitants de «rester à distance» (AFP). Ces frappes ont obligé à évacuer cinq villages et rendu inaccessibles de nombreux champs. Le 26, de nouveaux combats ont éclaté près de Sarvabad (au Sud-Est de Marivan), où un pasdar a été tué et deux autres blessés. Les pertes kurdes n’ont pas été indiquées (WKI).
Outre les combats, les provinces kurdes d’Iran ont été touchées par de nombreux incendies d’origine criminelle. Certains s’étaient déjà produits fin juin, près de Sanandaj (le 29) et de Saqqez où des habitants avaient pu maîtriser le feu (WKI). Un autre feu a démarré le 6, à Ravansar (entre Kermanshah et Paveh), qui selon l’Association des droits d’homme du Kurdistan (KMMK) a blessé trois Kurdes. À Saqqez, 128 incendies volontaires ont été démarrés en un mois (WKI). Ces attaques se sont poursuivies jusqu’à la fin du mois, touchant la région forestière de Qorveh, près de Sanandaj, de même que le district de Chardavol (Ilam).
Le régime a aussi poursuivi ses embuscades meurtrières contre les porteurs transfrontaliers kurdes, les kolbars. Déjà, dans la dernière semaine de juin, au moins l’un d’entre eux avait été tué et deux autres blessés à Baneh, et un autre blessé au Hawraman. La première semaine de juillet, trois autres ont été tués et quatre blessés: entre autres, le 4, un kolbar de Piranshahr blessé en début de mois a succombé à ses blessures, et le 6, un autre a été tué près de Sardasht. Depuis début 2019, le régime a tué 43 kolbars et en a blessé 79… Le 13, un kolbar a été grièvement blessé près de Khoy, et le 15 une embuscade contre un groupe près de Sardasht a fait un mort et trois blessés. L’organisation de défense des droits de l’homme Hengaw a rapporté qu’un autre avait été tué près du village de Gawalani (WKI). Selon Hengaw, un autre kolbar a été tué et six autres blessés le 20 près de Chaldiran (ou Siyah Cheshmeh). Le 21, selon l’organisation de défense des droits de l’homme Hengaw, les pasdaran ont même pénétré de 4 km en Irak près de Haji Omran. Confisquant 440 moutons appartenant à des nomades, ils ont arrêté onze personnes, majoritairement des bergers venus rechercher leurs bêtes. Ceux-ci ont été libérés sur intervention du GRK, mais les moutons n’ont pas été restitués (Kurdistan 24).
Le 22, un autre kolbar a été blessé près de Nowsud. Le KMMK a accusé les garde-frontières de s’être emparés après l’attaque des marchandises transportées (WKI). Puis le 28, les garde-frontières iraniens ont capturé côté irakien deux vendeurs de fruits et légumes venus en voiture vendre leurs produits à Bradost, et qui s’étaient ensuite approchés de la frontière pour chercher de la glace. Le 27, après une nouvelle embuscade contre des kolbars, les Iraniens ont abattu vingt de leurs chevaux et confisqué les chargements. Selon le KMMK, le régime détient à Sanandaj pour douze millions d’euros de marchandises confisquées à des kolbars…
Parallèlement, arrestations et condamnations d’activistes se sont poursuivies. À Kamyaran, l’Etelaat (Service de renseignement) a arrêté fin juin lors d’un raid chez lui l’activiste kurde Sirwan Ibrahimi, confisquant son téléphone portable et son laptop, ainsi que Minat Rahmani, une enseignante de kurde de l’Association culturelle Nozhen (KMMK). À Kermanshah, onze Kurdes ont été incarcérés, principalement des défenseurs de l’environnement. À Sanandaj, un tribunal révolutionnaire a condamné à quatre ans d’emprisonnement l’activiste kurde Madeh Fatihi, qui avait déjà fait vingt mois de détention d’une condamnation précédente (WKI). Le 8 juillet, Maryam Mohammadi, une activiste des droits des femmes, membre de l’association Nedaye Zanane Iran («Appel des femmes iraniennes») a été mise au secret par les forces de sécurité. Elle avait déjà été convoquée au bureau du procureur de la prison d’Evin, avec deux autres femmes de cette association, Asrîn Darkaleh et Nergis Khorrami, ensuite arrêtées à Téhéran lors des cérémonies de la Journée de la femme. D’autres membres de Nedaye Zanane Iran sont en liberté conditionnelle… (HRANA) À Dehgolan, l’Etelaat a arrêté un Kurde appelé Mohammed Karawnan pour «liens avec un parti kurde d’opposition». À Marivan, des agents de l’Ettelaat ont arrêté cinq membres kurdes d'une initiative environnementale nommée «Conseil vert». L’Ettela'at a également arrêté dix Kurdes pour activisme politique à Mahabad, Saqqez, Oshnavieh (Shno) et Bokan. À Ourmia, le tribunal révolutionnaire a confirmé la peine de sept ans de prison d’un Kurde appelé Mohammed Hanoka pour «appartenance à un parti kurde d'opposition». Le KMMK chiffre à 210 le nombre de Kurdes politiquement actifs détenus depuis début 2019. À Sanandaj, la Sécurité a arrêté le 12 un autre Kurde, Ramadan Sultanian, sans accusation officielle. À Mahabad, des officiers de l’Etelaat ont mis au secret deux frères, sans non plus spécifier d’accusations.
Le 16, le CHRI (Center for Human Rights in Iran) a mis en ligne son rapport (en anglais) concernant le non-respect des droits des enfants en Iran (->). Parmi les données répertoriées, les exécutions de mineurs (7 à ce jour, et 90 mineurs se trouvent actuellement en Iran dans le «couloir de la mort», ce qui fait que l’Iran détient le triste record en la matière), les mariages d’enfants (l’âge légal pour les filles est 13 ans avec l’assentiment du père et d’un juge), les enfants travailleurs (il y en aurait trois millions), ceux qui vivent dans la rue (estimés à 200.000), les enfants migrants… À noter qu’à côté de ce rapport particulier, la page des rapports du CHRI (->) contient quatre autres rapports dont l’un concerne les droits de l’homme en général, et un autre les morts de prisonniers politiques en détention…
Le 16, quatre Kurdes condamnés pour meurtre ont été pendus à Ourmia (Hengaw). Le même jour, le tribunal révolutionnaire d’Ourmia a condamné un Kurde de Mako, Mohammed Mirzai, à cinq ans de prison pour «atteinte à la sécurité nationale» et «appartenance à un parti kurde». Le 22, le ministère iranien du Renseignement a annoncé selon l’agence ISNA avoir arrêté dix-sept personnes «espionnant pour la CIA», dont certaines risquent la peine de mort pour «propagation de la corruption sur terre» (mofsed-e fil arz). Le 29, le prisonnier politique Mohammad Nazari, détenu à Ourmia, s’est vu refuser l’autorisation de se rendre à l’hôpital pour subir des examens concernant son cancer à l’estomac, découvert un mois plus tôt. Nazari, membre de la communauté turcophone azérie, avait été condamné à mort en 1994 pour «appartenance à un parti kurde d’opposition». Sa peine a été en 1999 commuée en prison à vie, mais il n’a jamais obtenu d’autorisation de sortie, même pour assister aux funérailles lors des décès de son père, sa mère, et de ses frère et sœur (Iran HRM). À Sanandaj en fin de mois, l’activiste Khalil Karimi, condamné à un an de prison pour «propagande contre la République islamique» après avoir mené des grèves et des protestations pour défendre les droits de travailleurs, a vu sa peine réduite à deux mois. À Ourmia, le chanteur kurde Peyman Mirzazadeh, condamné le 20 à deux ans de prison pour «propagande contre la République islamique» après avoir chanté des chants nationalistes kurdes dans un concert, et cent coups de fouet (80 pour «blasphème» et 20 pour «consommation d’alcool»), est entré en grève de la faim le 29, le lendemain du jour où il a reçu les coups de fouet, qui ont laissé son dos et ses jambes dans un état effroyable (Iran HRM).
Deux autres nouvelles concernent les crimes commis par le régime dans le passé. Le 9 juillet, le PDKI a organisé à Bruxelles une manifestation pour le trentième anniversaire de l’assassinat à Vienne de son secrétaire général Abdulrahman Ghassemlou en juillet 1989, qui a rassemblé plusieurs centaines de personnes. La députée européenne récemment élue Evin Incir, elle-même d’origine kurde, a indiqué à cette occasion qu’elle souhaitait soulever la question kurde au parlement de Bruxelles.
Enfin, le 18 juillet, l’organisation HRANA a mis en ligne (en anglais) son rapport «Identifier et faire connaître les charniers des massacres des années 1980 à Kazerun», Identifying and introducing the mass graves of executed in 1980’s massacres in Kazerun (->). Il s’agit des exécutions de masse perpétrées contre des dizaines de milliers de prisonniers politiques dans tout l’Iran entre 1981 et 1988, dont les victimes ont été enterrées dans des fosses communes gardées secrètes. Celle présentée dans le rapport a été découverte à Kazerun (Fars), après d’autres, trouvées à Bandar-e Gaz et Ahvaz. Le document, basé sur des recherches de terrain et des interviews de témoins, estime qu’elle recèle quarante à cinquante victimes.
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Depuis 1908, fin annoncée, mais restée éphémère, de la censure sur la presse ottomane, la «Journée de la presse et des journalistes» est célébrée en Turquie le 24 juillet. Mais cette année, les organisations professionnelles ont publié un communiqué (->) rappelant que le pays compte actuellement 134 journalistes emprisonnés, des centaines dont la carte de presse a été annulée, plus de 10.000 ayant perdu leur emploi, et que, avec 95% des médias contrôlés par le gouvernement, la Turquie est classée 157e pour la liberté de la presse… Dans un tel contexte, elles considèrent donc qu’il n’y a rien à célébrer… (Bianet)
De plus, les autorités ont lancé le 6 une nouvelle attaque contre la presse et les journalistes, sous couvert de la «Fondation turque pour les Recherches politiques, économiques et sociales» (sigle turc SETA). Dans un document de 200 pages présenté comme une «étude scientifique», intitulé Extensions des médias internationaux en Turquie (Uluslararasi medya kuruluşlarinin Türkiye uzantilari), le SETA publie un véritable fichage nominatif des journalistes travaillant pour des médias étrangers. Soi-disant «indépendant, sans but lucratif et non-partisan», le SETA a été fondé en 2006 par… İbrahim Kalın, maintenant porte-parole de la présidence turque! Déjà, en mars dernier, l’organisation avait publié un rapport de 666 pages intitulé «Les structures du PKK en Europe» (Avrupa’da PKK yapilanmasi), où étaient mentionnées pêle-mêle diverses structures, dont des associations de solidarité avec les Kurdes (et l’Institut kurde de Paris). Faute d’argumentation, des photos sans rapport avec le texte étaient parfois insérées «au bon endroit»… Le nouveau rapport dresse la liste des antécédents professionnels et des messages sur les réseaux sociaux de journalistes travaillant dans les programmes turcs de la BBC, Deutsche Welle, Voice of America, Spoutnik, Euronews etc. Il aborde également Reporters sans frontières (RSF) et plusieurs journaux ou sites web turcs critiques comme BirGün, T24, Bianet, Evrensel, Cumhuriyet et Diken, qu’il accuse de «faire leur une avec des informations anti-gouvernementales».
Ce document a suscité indignation et inquiétude. Le 8, l’Union des journalistes de Turquie (TGS) a déposé plainte pour «enregistrement de données personnelles» et «provocation à l’animosité et à la haine», suivie le 9 par l’Association des études juridiques des médias (Media and Law Studies Association, MLSA), qui accuse aussi le SETA d’«incitation à commettre des crimes» par la diffusion publique (et illégale) des données personnelles des journalistes. Le coprésident de l'Association, le juriste Veysel Ok, a déclaré qu’en cherchant à associer les journalistes indépendants au terrorisme, le document met leur vie en danger, et évoque «plutôt un rapport de police qu’une étude scientifique». Le même jour, le TGS, l'Association des journalistes de Turquie (TGC), le Centre PEN Turquie, la Confédération des syndicats progressistes de Turquie (DİSK), le Syndicat de la presse, le Syndicat des écrivains de Turquie (TYS), l'Association turque des éditeurs (TÜRKYAYBİR), le Syndicat des actualités (HABER-SEN) et l'Association contemporaine des journalistes (ÇGD) ont dénoncé le rapport dans une conférence de presse conjointe et averti qu’elles tiendraient le SETA pour responsable s’il arrivait quoi que ce soit à l'un de leurs collègues (Bianet).
Le 10, vingt-et-une organisations internationales ont à leur tour publié une déclaration commune avec Reporters sans Frontières. Constatant que le rapport cherche à intimider les journalistes en assimilant l’exercice de leur profession à des liens avec des organisations terroristes, elles avertissent du danger d’une telle «chasse aux sorcières» dans le contexte turc actuel de «tension et polarisation politique». Le même jour, le député CHP et ancien journaliste Utku Çakırözer a ajouté à l’indignation en révélant que le SETA avait été exempté d’impôts en 2013 par le Conseil des ministres. Remarquant que l’exemption fiscale concerne normalement des activités «d’intérêt public», Çakırözer a ironisé en demandant si harceler les journalistes entrait maintenant dans cette catégorie... Le 12, c’est la ministre d’État allemande pour la Culture et les médias, Monika Grütters, qui a condamné le rapport du SETA, «[rejetant] fermement les accusations d’informations biaisées portées contre Deutsche Welle», rappelant que «les libertés d'expression et de la presse sont des conditions préalables indispensables à toute démocratie».
Juste avant ces événements, le 1er juillet, l’Initiative des journalistes libres (Özgür Gazeteciler İnisiyatifi, ÖGİ) avait publié son rapport chiffré sur les violations des droits des journalistes pour janvier-juin 2019: 154 journalistes emprisonnés, 34 incarcérés dont 11 ensuite arrêtés; 29 faisant l'objet d'enquêtes et 8 de poursuites… 287 ont été jugés et 41 condamnés, au total à 119 ans et 3 mois d’emprisonnement. Enfin, 22 journalistes ont été libérés et 1 organe de presse a fait l'objet d'un raid de police (TIHV). Presque au même moment, l’Association turque pour la liberté d’expression (İfade Özgürlüğü Derneği, IFÖD, fondée en 2017) a diffusé la version anglaise de son propre rapport, EngelliWeb 2018, qui concerne plus largement les blocages instaurés en 2018 contre les sites internet, articles d’actualités et médias sociaux en Turquie: en 2018, le nombre à peine croyable de 54.903 sites ont été bloqués. Pourtant, il ne constitue que le dernier ajout aux 190.922 domaines cumulés bloqués avant 2018. Au total on compte donc 245.825 domaines bloqués… Le rapport de l’IFÖD reprend également certaines données de source Twitter: en 2018, la firme a reçu de Turquie 1.105 injonctions de tribunaux, 12.897 demandes de retraits de «posts» et 22.998 demandes de suppressions de comptes… (rapport en turc (->), en anglais (->). Si jamais le site turc était bloqué (sait-on jamais ?) la version anglaise est aussi téléchargeable des États-Unis (->)). À propos de sites web bloqués, le 16 juillet, le site http://geziyisavunuyoruz.org qui informe depuis le 20 mai le public sur l’évolution du procès Gezi a été victime d’un ordre de blocage (Bianet).
Le 2, Tuma Çelik, député HDP de Mardin, a demandé une enquête parlementaire sur l’impartialité de la télévision d’État TRT: selon un rapport d’İsmet Demirdögen, membre du RTÜK (Conseil supérieur turc de l’audiovisuel), elle a accordé avant les dernières élections 53 heures de diffusion au tandem AKP-MHP, contre 14 heures au CHP, et… rien au HDP (Bianet)…
Parallèlement, procès et condamnations de journalistes se sont poursuivis. Le 2, le directeur du site de nouvelles OdaTV Barış Pehlivan a reçu cinq mois d’emprisonnement pour des commentaires sur Fethullah Gülen laissés par des lecteurs suite à une plainte déposée par les avocats de celui-ci. Le 3, le caméraman Kamil Murat Demir, arrêté le 3 juillet à son hôtel de Çorum où il venait faire un reportage, a appris à l’audience le chef d’accusation retenu contre lui: «propagande pour une organisation illégale». Il a été remis en liberté provisoire.
Rare bonne nouvelle, le 5 juillet, la Cour constitutionnelle a cassé les condamnations à la perpétuité pour «violation de la constitution» des journalistes Ahmet Altan, son frère Mehmet Altan et Nazli Ilicak; mais retenant l’autre chef d’accusation, le soutien à l’organisation guléniste que le pouvoir accuse de la tentative de coup d’État de juillet 2016, elle a refusé la remise en liberté des prévenus… (Bianet) Par ailleurs, elle a condamné l’État à indemniser plusieurs condamnés pour la «violation de leur liberté de parole». Ainsi trois journalistes doivent-ils recevoir 95.207 livres turques (environ 15.000 €), et quinze autres condamnés chacun 7.500 livres… Mais les requêtes de six anciens directeurs et journalistes du journal Cumhuriyet ont été rejetées.
Le 7 s’est tenue l’audience finale pour Aslı Ceren Aslan, ancien directeur exécutif du journal Özgür Gelecek, fermé par décret d’urgence en octobre 2016. Arrêté en février 2017, il a reçu six ans, dix mois et quinze jours de prison ferme pour «propagande pour une organisation illégale».
Le 9 s’est tenu à Ankara l’audience du cas de Çiğdem Toker. Après qu’elle a publié dans Cumhuriyet en octobre 2017 un article intitulé: «Si vous cherchez l’austérité vérifiez les appels d’offres pour le métro», la Şenbay Mining Corporation avait demandé 1,5 millions de livres de dommages et intérêts. Le 4 s’est tenue à Şırnak l’audience finale pour 19 journalistes de l’agence Dicle, fermée par décret d’urgence. L’un des témoins, Aytaç Yalman, a indiqué avoir signé sa déclaration sous la torture sans l’avoir lue. Le reporter Ziya Ataman n’a pas présenté sa défense en raison de l’absence de traducteur kurde à l’audience. Le procureur a requis des peines contre neuf des accusés, notamment pour «dommage à l'unité et l'intégrité de l'État», «assassinat délibéré et prémédité d'un agent public en raison de ses fonctions», «dommage délibéré de biens publics par explosifs». Les neuf accusés ont été maintenus en détention et le procès ajourné au 24 septembre. Le même jour, la journaliste Işıl Özgentürk a reçu pour son article paru dans Cumhuriyet en janvier dernier, «La nouvelle génération des femmes voilées», dix-huit mois d’emprisonnement ferme pour «incitation à la haine et à l'hostilité du public et insulte au public» (TIHV). Le 9, le journaliste du quotidien local Silvan Mücadele (La lutte de Silvan) Ferhat Parlak, incarcéré depuis quinze mois à Diyarbakir suite à l’accusation portée par un témoin anonyme d’«appartenance à une organisation illégale», a été libéré à sa première audience. Le témoin, Bilal Cesur, enfin apparu à visage découvert par le système vidéo SEGBIS, a déclaré «ne pas connaître Parlak» et ne pas savoir s'il avait des liens avec l'organisation ou non… (Bianet) Quid d’une inculpation pour faux témoignage après une déclaration qui a jeté un innocent en prison pour quinze mois??
Le 11, Hüseyin Aykol, ex-«co-Rédacteur en chef» du quotidien Özgür Gündem, a été incarcéré. Il avait fait appel de sa condamnation à trois ans et neuf mois de prison ferme pour avoir participé à la campagne de soutien du journal. Son appel ayant été rejeté, il devrait être emprisonné à Sincan (Ankara). Aykol n’est qu’un des trente-huit accusés poursuivis pour avoir par solidarité accepté de devenir symboliquement rédacteur en chef du journal pour une journée…
Le 16 s’est tenue la quatrième audience de Deniz Yücel, l’ancien correspondant en Turquie de Die Welt, accusé de «propagande pour une organisation terroriste» pour avoir publié en 2015 une interview de Cemil Bayik, l’un des fondateurs du PKK. Malgré l’arrêt de la Cour constitutionnelle concluant que son arrestation avait violé ses droits, Yücel n’a pas été acquitté. La déclaration de l’accusé, revenu en Allemagne après un an d’emprisonnement préventif, n’étant pas encore parvenue à la Cour, celle-ci a ajourné l’audience au 17 octobre en attente de sa réception. Le Président turc avait personnellement qualifié le journaliste de terroriste… (Bianet).
Le 18, les deux documentaristes Ertuğrul Mavioğlu et Çayan Demirel ont été condamnés à Batman à quatre ans et six mois de prison pour «propagande pour une organisation terroriste» suite à leur documentaire Bakur («Nord») consacré au PKK. Le directeur du Committee to protect journalists à New York, Carlos Martinez de la Serna, a déclaré que ces lourdes condamnations n’étaient «que le dernier exemple de l'utilisation de la loi antiterroriste turque pour écraser la liberté d'expression», appelant les autorités turques à «abandonner les poursuites et à arrêter la confusion entre la couverture du terrorisme par les médias et le terrorisme lui-même».
Rare bonne nouvelle, le 17, Erol Önderoglu, représentant de Reporters Sans Frontières (RSF) en Turquie, accusé de «propagande terroriste» pour avoir participé à la campagne de solidarité avec Özgür Gündem, a finalement été acquitté après un long procès. Il risquait plus de quatorze ans de prison. L'écrivain-journaliste Ahmet Nesin et la présidente de la Fondation des Droits de l'Homme, Sebnem Korur Fincanci, jugés dans le même procès, ont également été acquittés. RSF s’est déclaré soulagé, tout en dénonçant «trois ans de procédures absurdes». Mais Önderoglu, actuellement à l'étranger, n’en a pas fini avec la justice turque: poursuivi, toujours pour «propagande terroriste», pour avoir soutenu les «Universitaires pour la paix», il sera jugé le 7 novembre (AFP, Bianet).
Être blanchi d’une accusation ne signifie pas la fin des ennuis: le 24, Ahmet Nesin, pourtant acquitté le 17 dans l’affaire Özgür Gündem, confronté au refus de l’administration de lui rendre son passeport confisqué ou de lui en délivrer un nouveau, a fini par déposer une demande de renonciation à la nationalité turque. Selon son avocat, 22 personnes sont dans le même cas, certaines n’ayant jamais été poursuivies.
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Les relations internationales de la Turquie continuent à se détériorer. Avec les États-Unis, le président Erdoğan refuse toujours de céder sur l’achat du système de défense russe S-400, ayant même déclaré après le G-20 que le Président américain le soutenait! Le 12, le ministre turc de la défense a annoncé la réception des premiers éléments du système, retransmise à la télévision. Alors que des diplomates américains visitaient Ankara, le ministre des Affaires étrangères Mevlut Çavuşoğlu a indiqué le 22 que la Turquie n’hésiterait pas à riposter si les États-Unis maintiennent leur décision d’exclure la Turquie du projet d'avions furtifs F-35. Si la Turquie ne reçoit pas les cent avions commandés, a-t-il précisé, elle «se tournera vers d'autres sources» en attendant d’être capable de «produire ses propres avions».
La situation n’est guère meilleure avec l’Union européenne. Le 3 juillet, la délégation de l’Union au Conseil de l’Europe a publié sur son site web une déclaration (en anglais) sur les Droits de l’homme en Turquie qui exprime ses inquiétudes sur la situation, notamment pour le procès des manifestations de Gezi (->, rapport complet au format PDF ici ->). On y lit notamment: «L'UE déplore que le fait d'avoir bénéficié d'un financement étranger légitime pour la société civile ait été utilisé comme facteur incriminant dans cette affaire». L’UE avertit par ailleurs que «des améliorations concrètes et durables dans le domaine des droits de l'homme et de l'État de droit, l'indépendance de la justice, y compris le respect du principe de la présomption d'innocence et l'application régulière de la loi demeurent des points essentiels pour le développement des relations UE-Turquie».
Le 9, la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a jugé que la Turquie avait violé la liberté d'expression de SelahattinDemirtaş en le condamnant pénalement pour avoir exprimé en 2010 son point de vue lors d'une émission de télévision. La CEDH estime que les déclarations de Demirtaş «ne peuvent être regardées comme contenant un appel à l'usage de la violence, à la résistance armée ou au soulèvement, ni comme constituant un discours de haine». S’exprimant à l’époque comme président de l'Association des droits de l'Homme de Diyarbakir, Demirtaş appelait à prendre en compte le rôle possible du leader emprisonné du PKK, Abdullah Öcalan, dans la recherche d’une solution pacifique à la question kurde dans le pays. Cependant, on ne peut qu’être choqué de la condamnation ridiculement faible prononcée par la CEDH à l’encontre de la Turquie: 2.500 € pour dommage moral à Demirtaş et 1.000 pour frais de justice (AFP). Pas de quoi dissuader le gouvernement turc de poursuivre la persécution de ses opposants.
Le 15, la réunion des ministres des Affaires étrangères de l’UE a décidé » d’imposer des sanctions à la Turquie suite à ses activités de forage dans les eaux territoriales chypriotes (celles de la République turque de Chypre, reconnue uniquement par la Turquie). À la demande turque, l’UE a retardé l’annonce de cette décision de plusieurs heures, afin d’éviter une collision avec la commémoration de la tentative de coup d’État de juillet 2016. Le 24, conformément à ces sanctions, la Banque européenne d’investissement (BEI), le principal créancier étranger de la Turquie, a décidé de suspendre les prêts au gouvernement turc. Ces sanctions restent symboliques, et Ankara n’a pas tardé à les tourner en dérision.
En raison de la répression subie par les défenseurs des droits de l’homme en Turquie, trois ONG ont créé le site Keep the Volume up for Rights Defenders in Turkey, que l’on pourrait traduire par «Restons à l’écoute des défenseurs des Droits de l’homme en Turquie» (https://www.sessizkalma.org/en/). Le site contient sous l’item «News» une information à jour sur les procès en cours. Rappelons qu’une organisation comme İHD, fondée en juillet 1987, a vu en 33 ans 15 de ses directeurs et membres assassinés. Le premier, Vedat Aydın a été assassiné en 1991 alors qu'il était président provincial du HEP à Diyarbakır, et le dernier, Tahir Elçi, bâtonnier de Diyarbakır, a été abattu en pleine rue en 2015… Ses assassins courent toujours.
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