Après la chanteuse de «Grup Yorum», Helin Bölek, décédée le 3 avril, c’est le bassiste du groupe, Ibrahim Gökçek, qui est mort à l’hôpital le 7 mai, deux jours après avoir arrêté une grève de la faim de 323 jours. Gökçek, qui ne pesait plus que 40 kg, a été inhumé à Kayseri, malgré l’opposition des ultranationalistes. Porte-voix des opprimés et des minorités, le groupe chantait en turc comme en kurde et en arménien, abordant des sujets sociaux comme la catastrophe des mines de Soma en 2014, où 301 mineurs étaient morts faute de mesures de sécurité. Le 11, un des témoins à charge dans le procès du groupe a confessé avoir déposé sous la menace et a indiqué vouloir se rétracter. Après le décès, deux juges, Ayşe Sarısu Pehlivan et Orhan Gazi Ertekin, ont posté sur les réseaux sociaux des messages de tristesse. Le Conseil des juges et procureurs (HSK) les a immédiatement suspendus et a lancé une enquête, accusant Ertekin de «propagande pour une organisation terroriste». Quant au drame de Soma, le 12, le gouverneur d’Ankara a interdit sa commémoration publique «en raison des mesures sanitaires prises contre l’épidémie». Le responsable du syndicat DISK dans la capitale, Tayfun Görgün, a remarqué ironiquement que l’épidémie justifiait l’interdiction d’un regroupement de 25 personnes, mais que dans les mines, le travail se poursuivait dans des conditions de promiscuité déplorables…
Dans un contexte économique catastrophique, le pouvoir s’inquiète clairement de la contestation populaire. Le 1er mai, la police a bouclé le siège du DISK à Istanbul et incarcéré son président Arzu Çerkezoğlu avec 25 de ses membres, interdisant l’accès à Taksim. Le président turc a déclaré : «Nous continuerons à protéger les droits de nos travailleurs», ce qui laisse songeur quand on lit les statistiques de TürkStat: durant les six dernières années, le nombre d’accidents du travail a été multiplié par cinq, avec 1.736 victimes rien qu’en 2019 (Bianet). Quant aux indicateurs économiques, déjà critiques avant l’épidémie, ils se sont encore aggravés: le FMI prévoit pour 2020 une contraction de 5% du PIB et un taux de chômage de 17,2%... Les investisseurs étrangers se retirent massivement, huit milliards de dollars ont quitté le pays depuis janvier, entraînant l’effondrement de la monnaie (–17%) alors qu’en 2021 la Turquie devra rembourser 168 milliards de dollars (Le Monde). Les coûteux projets que M. Erdoğan prise tant sont de plus en plus critiqués, alors que les rentrées du tourisme ont quasiment disparu. Le président continue à naviguer à vue entre fermetures sanitaires et réouvertures provisoires essentiellement destinées à sauver son pouvoir (New York Times). Refusant de demander un prêt au FMI, M. Erdoğan tente maintenant de se rapprocher de ceux qu’il insultait à longueur de discours : l’Union européenne et les États-Unis. Dans une lettre à l’UE envoyée le 9 mai, il écrit: «Nous sommes tous dans le même bateau», et il a retardé le déploiement des missiles russes S400… Vis-à-vis de son opinion intérieure, il tente la diversion en ressuscitant le projet de rendre l’ancienne basilique Sainte-Sophie au culte musulman (Le Monde).
Malgré les déclarations du président et celles du gouvernement sur un «retour progressif à la normale», Ozgur Karabulut, président du syndicat progressiste des travailleurs de la construction, a déclaré au New York Times: «Sur nos lieux de travail , nous constatons le contraire. […] D'après ce que nous disent nos membres, la maladie continue de se propager». Le DISK note aussi dans un rapport que ses membres courent trois fois plus de risques de contamination que la population générale… Par ailleurs, le pouvoir, alors qu’il a libéré 90.000 détenus de droit commun, dont des gangsters d’extrême-droite, a laissé en prison les élus, journalistes, avocats, militants associatifs... dont le seul tort était de s’opposer sans violence à l’autocratie d’Erdoğan. Ce faisant, notait Ahmet Insel le 20 dans une interview à Orient-XXI, «le régime révèle clairement sa nature». Alors que le système de santé turc a plutôt démontré sa résilience face à l’épidémie, les conditions demeurent scandaleuses dans les prisons. Le 4, la députée HDP d’Ağrı Dilek Dirayet Taşdemir a rapporté un témoignage de l’ancien député Halil Aksoy, 72 ans. Détenu à Kandıra, il a informé sa famille par téléphone n’avoir reçu aucun produit d'hygiène pour la protection contre le virus, sauf une barre de savon deux mois auparavant, alors que le magasin de la prison n’a rien… Le 11, deux rapports différents d’avocats et défenseurs des droits de l’homme ont fait état de la propagation de l’épidémie dans les prisons et demandé aux autorités de fournir les produits d’hygiène nécessaires aux détenus et de les tester (Bianet). La journaliste kurde Nurcan Baysal a dénoncé dans plusieurs articles l’inaction des autorités dans les régions kurdes du pays, rappelant aussi que, durant le récent état d’urgence, 20.000 travailleurs de la santé kurdes, dont 3.315 médecins, ont été licenciés. Elle note aussi que dans les provinces kurdes, tous les affichages de consignes sanitaires sont rédigés uniquement en turc. Ses articles lui ont attiré un véritable harcèlement judiciaire, dénoncé dans un communiqué par PEN International .Le 8, le bureau du procureur de Silivri a annoncé que 44 prisonniers avaient été testés positifs. Le 12, la députée HDP d’Istanbul Züleyha Gülüm, critiquant l’absence d’information des autorités, a demandé dans une question parlementaire au ministre de la Justice quand et dans quelles prisons 120 prisonniers avaient été trouvés positifs, si les prisonniers libérés avaient été testés, et si les gardiens l’avaient été… Le 22, il a été annoncé qu’il y avait à présent 82 prisonniers contaminés à Silivri et qu’un était mort. Le même jour, le ministère de l’Intérieur a indiqué qu’au cours des deux mois précédents, 510 personnes avaient été arrêtées pour des contenus «sans fondement» ou «provocateurs» postés sur les réseaux sociaux à propos de l’épidémie. Le 26, la députée HDP de Diyarbakir Feleknas Uca a posé une question parlementaire à propos de la situation sanitaire dans la prison de Bayburt, rapportant des témoignages accablants selon lesquels les locaux ne sont pas régulièrement désinfectées, les agents pénitentiaires sont en contact étroit avec les prisonniers, les fournitures d'hygiène sont vendues à des «prix exorbitants», les règles d'hygiène ne sont pas respectées dans la distribution de la nourriture, et les prisonniers n'ont pas reçu d'eau chaude depuis deux mois… Elle a notamment rapporté que suite à la pénurie de masques, des gardiens avaient donné un seul masque à huit détenus, leur déclarant: «Celui qui parle porte le masque»… (Bianet)
La répression du HDP s’est poursuivie tout le mois. Le 7, la peine de sept ans et demi de prison pour «appartenance à une organisation illégale» infligée à Selma Irmak, l’ancienne coprésidente du Congrès pour une Société Démocratique (DTK), a été confirmée en cassation (RojInfo). Le 15, huit nouveaux co-maires HDP ont été arrêtés et remplacés par des administrateurs non-élus. Il s’agit de Berivan Helen Işık et Peymandara Turhan (Siirt), Eylem Çelik et Yaşar Akkuş (Iğdır), Ramazan Sarsılmaz et Özden Gülmez (Baykan), et de Baran Akgül et Esmer Baran (Kurtalan). Tous ont été arrêtés à leur domicile. Selon le HDP, le gouvernement a remplacé ses maires dans 45 des 65 villes qu'il avait remportées en mars 2019. «Comme toujours, ces nouvelles arrestations ne sont pas le produit d’une décision de justice mais d’une décision administrative du ministre de l’Intérieur», a souligné le HDP dans un communiqué.
Pour certains maires HDP qui ne donnent pas suffisamment prise à des accusations légales, ce sont les menaces et l’intimidation qui sont utilisées. Ainsi le co-maire de Kars, Ayhan Bilgen, a reçu le 16 par Twitter des menaces de mort signées «JITEM», une organisation paramilitaire de gendarmes responsable de nombreux assassinats extrajudiciaires et de cas de torture dans les années 90. La co-maire Şevin Alaca a également reçu des menaces (Bianet). Le 18, le maire d’Altınova, Casim Budak, révoqué le 15, a été inculpé de «propagande pour une organisation terroriste» et arrêté. Le 19, celui d’Iğdır, aussi révoqué le 15, Yaşar Akkuş, a été arrêté à son tour. Le 20, des cadres du HDP d’Ankara, dont les co-présidents provinciaux, se préparant à tenir devant leurs locaux une conférence de presse pour dénoncer les récentes révocations, ont été frappés par la police et incarcérés. Parallèlement, 43 Kurdes, dont des membres du HDP, ont été arrêtés à Özalp (Van), et trois à Nusaybin (WKI). Le 22, 18 autres membres ou sympathisants du HDP ou du BDP, dont des femmes membres de groupes féministes (notamment de TJA, Mouvement des femmes libres) ont été arrêtés à Diyarbakir. Le 30, les deux co-présidents HDP de la province de Batman, Ömer Kutlu et Fatma Ablay, ont été incarcérés après un raid sur le bureau provincial du parti.
Enfin, le 29, le bureau du procureur d’Ankara a ouvert une nouvelle enquête pour «terrorisme» contre Selahattin Demirtaş pour avoir déclaré en janvier durant une de ses audiences: «Vous répondrez de tout ceci devant la justice».
Parallèlement, les exactions visant des Kurdes se sont multipliées. En début de mois, un jeune Kurde a été poignardé à mort à Ankara par trois ultra-nationalistes parce qu’il écoutait de la musique kurde.
En ce mois où le 15 mai a été désigné par le HDP comme «Journée de la langue kurde», celle-ci n’a pas été épargnée. Le 30, le gouverneur de Siirt, devenu administrateur après la révocation du maire élu de la ville, a ordonné la fermeture de la bibliothèque municipale Celadet Elî Bedirxan (ou Djeladet Ali Bedir Khan) .
Le 31, une fosse commune a été découverte dans une grotte du hameau de Gulbiş près de Dargeçit (Kerboran en kurde), dans la province de Mardin. Ce n’est pas le premier charnier mis au jour dans cette région où le JITEM a assassiné des milliers de Kurdes. En 2011, l’Association de défense des droits de l’homme IHD a établi une carte montrant la localisation de 253 sites près de 21 villes où ont été découverts les ossements de 3.248 personnes disparues ; mais le nombre total des victimes de ces «meurtres d’auteurs inconnus» (que les Kurdes appellent par dérision «meurtres d’auteurs bien connus») se monterait à bien davantage: près de 17.000… (RojInfo) La veille, les «Mères du samedi», qui manifestent chaque semaine à Galatasaray pour obtenir des informations sur leurs enfants disparus après le coup d’État de 1980 et durant les années 90 ainsi que le passage en jugement des responsables, avaient justement marqué les 25 ans de leurs rassemblements hebdomadaires, ce qui fait de leur mouvement le plus ancien de la sorte dans le monde (Ahval).
D’autres menaces et attaques anti-minorités ont été répertoriées durant ce mois. Le 8 mai, l’église arménienne Dznunt Surp Asdvadzadzni de Bakırköy, à Istanbul, a été attaquée par un individu qui a cherché à l’incendier, sans y parvenir, avant de s’enfuir. Un suspect a été arrêté. Le 12 aux États-Unis, la Commission on International Religious Freedom (USCIRF) a demandé dans son rapport annuel le placement de la Turquie sur la liste de surveillance des pays «se livrant à ou tolérant de graves violations de la liberté religieuse», dénonçant des menaces et des violences, dont au moins deux assassinats (Ahval). Dans une question parlementaire au ministre de la Justice, le député HDP Garo Paylan a demandé si le «discours de haine» tenu le 4 mai par le Président turc, qui s’était référé aux Arméniens comme «ceux ayant échappé à l’épée» (kılıç artığı) – une référence claire en Turquie au génocide arménien, par ailleurs dénié, n’avait pas une part de responsabilité dans ce type d’attaque. Le 29, la Fondation Hrant Dink, du nom du journalise arménien assassiné par un nationaliste turc en janvier 2007, a annoncé le 29 avoir reçu par mail plusieurs messages menaçants contenant le slogan : «Nous pouvons arriver soudainement une nuit» (Bianet). Cette phrase, les proches du journaliste l’avaient déjà entendue avant son assassinat, et il est intéressant de noter que c’est aussi par ces mots que M. Erdoğan a annoncé en octobre dernier l’invasion turque imminente du Rojava…
Concernant justement les opérations militaires, les soldats turcs ont poursuivi leurs profanations des tombes de combattants kurdes, déjà nombreuses durant le mois précédent, dans les provinces de Van et Diyarbakir. Par ailleurs, deux soldats ont été tués et quatre autres blessés le 2 dans des combats avec le PKK près de Bitlis, et le 14, le ministère de la Défense a accusé cette organisation d’avoir tué deux civils dans une attaque menée à Özalp (Van), opération ensuite condamnée par le HDP. Enfin, le 22, le chef d’état-major de la marine, le contre-amiral Cihat Yayci, pourtant proche des nationalistes et architecte du pacte de démarcation maritime turco-libyen conclu fin novembre, a été démis par décret présidentiel pour être versé à l’état-major général. Déclarant avoir été victime d’un «complot», Yayci a démissionné de ce nouveau poste trois jours plus tard. Le limogeage de cet anti-occidental, partisan d’un rapprochement turco-russe, est peut-être de nouveau lié à l’économie: sur ce plan, la Turquie ne peut guère attendre d’aide de la Russie (Le Monde).
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Le Rojava est en danger existentiel. Menacé par l’épidémie de coronavirus, quasiment abandonné sur le plan militaire par ses alliés occidentaux, il se trouve pris en étau entre la menace constante venue du Nord, maintenant traduite par l’occupation turco-djihadiste féroce d’Afrin et de l’Est de l’Euphrate, et la menace du Sud, un régime syrien toujours arc-bouté sur son idéologie ba’thiste. Dans cette situation, l’unité kurde est plus urgente que jamais. Les partis kurdes rivaux, en conflit depuis des années, ont perçu l’importance de renouer des contacts, et sont entrés en discussions depuis six mois. Les négociations sont certes loin d’être faciles entre le PYD, qui domine l’Administration du Nord-Est syrien (AANES), et est considéré par Ankara comme un groupe terroriste, et l’ENKS (Encûmena Niştimanî ya Kurdî li Sûriyê, Conseil national kurde de Syrie), appartenant à l’opposition syrienne justement soutenue par Ankara, mais l’enjeu est à la hauteur des difficultés. Parler d’une seule voix pourrait permettre au Rojava entre autres de surmonter l’opposition turque pour participer enfin aux discussions menées à Genève sous l’égide de l’ONU pour tenter de trouver une solution politique à la guerre civile syrienne.
Paradoxalement, si la Turquie, dont la politique étrangère est décidément toujours dirigée par son obsession anti-kurde, voit ces discussions avec une grande hostilité, de nombreux acteurs extérieurs sont intéressés à un succès, qui au-delà des Kurdes, pourrait bénéficier à la Syrie tout entière. Selon une source anonyme proche du processus en cours, les premières rencontres directes entre PYD et ENKS ont pris place début avril dans une base militaire américaine près de Hassakeh, en présence du conseiller spécial pour la Syrie William Roebuck, et du commandant des Forces Démocratiques Syriennes (FDS) Mazloum Kobanê (Al-Monitor). Début mai, plusieurs membres des différents partis ont affirmé que des rencontres avaient également eu lieu avec une délégation française (RFI), venue sur place entre autres pour faire avancer l’unité entre Kurdes de Syrie, et selon le Middle-East Monitor, des discussions auraient également impliqué les Russes…
De fait, le 25 avril, lorsque Mazloum Kobanê a annoncé dans une conférence de presse tenue à Qamishli des «progrès remarquables», il a donné corps à cet espoir en précisant: «Les deux parties discutent de l'adoption d'une vision politique unifiée pour l'avenir de la Syrie, basée sur la discussion d'un projet présenté par la partie américaine». Selon Kobanê, après avoir tenu au moins quatre réunions dans le cadre des négociations, les deux parties sont convenues de ce qui suit : La Syrie sera un État fédéral, démocratique et pluraliste; le régime actuel est un régime autoritaire et dictatorial qui utilise la violence contre ses opposants; les zones kurdes constituent une unité politique et géographique intégrée».
Le 12 mai, la Turquie a qualifié ces discussions de «complot pour donner un espace de représentation internationale» à «l’organisation terroriste du nord syrien». Le même jour, le ministère turc des Affaires étrangères, fustigeant pêle-mêle Grèce, Égypte, Chypre et Émirats Arabes Unis pour les tensions actuelles en Méditerranée orientale, a accusé la France d’être le mentor de cet «axe de malveillance» cherchant à «établir un Etat de terreur en Syrie». Le degré d’inquiétude d’Ankara est marqué par l’attaque inédite contre le Président de la Région du Kurdistan irakien Nechirvan Barzani, accusé d’avoir été «commissionné» par la France et les États-Unis pour mettre le complot en œuvre (Al-Monitor). Le 15, le chef de la diplomatie turque, Mevlut Çavuşoğlu, a averti l’ENKS de ne pas conclure d’accord «avec le PKK / YPG»… (Rûdaw)
Malgré les menaces turques, vingt-cinq partis kurdes de Syrie, dont le PYD, ont annoncé le 19 à Qamishli dans une déclaration commune la formation d’une organisation unitaire, le «Parti de l’unité nationale kurde». En fait, il semble bien que l’invasion turque d’octobre 2019, succédant aux exactions des occupants d’Afrin, aient joué un rôle déterminant pour permettre ce résultat. Il reste à voir si la nouvelle organisation deviendra effectivement fonctionnelle; les précédentes tentatives d’unité, comme le Conseil suprême kurde, créé en 2014 à Erbil sous l’égide de Massoud Barzani, n’ayant pas abouti…
Le 26, Amina Omar, co-présidente du Conseil démocratique syrien (CDS), émanation politique des FDS et instance législative de l’Administration du Nord-Est syrien (AANES) a de nouveau situé les pourparlers d'unité intra-kurdes dans un cadre national syrien approuvé par tous les groupes ethniques et religieux de la région. Elle a réaffirmé que le CDS lui-même, qui «comprend de nombreuses personnalités politiques et des personnalités individuelles de tous les groupes ethniques et religieux de Syrie, comme les Kurdes, les Arabes, les Syriaques et les Assyriens, ainsi que leurs partis politiques», est «un projet national, syrien et démocratique […] destiné à tous les Syriens» (Rûdaw). Le 27, après que PYD et ENKS se sont de nouveau rencontrées à Erbil, un responsable de l’ENKS, Mohammed Ismail, a déclaré à Kurdistan-24 que ce qui était visé était un «accord global» incluant «tous les aspects: politique, administratif, militaire et économique», précisant que ces discussions bénéficiaient du soutien américain. Le 29, Mazloum Kobanê a confirmé que les négociations étaient passées à une «seconde phase».
De leur côté, les mercenaires djihadistes de la Turquie, en violation du cessez-le-feu officiellement conclu en novembre 2019, et malgré la propagation du coronavirus, poursuivent leurs attaques, notamment à l’Ouest de Tell Abyad / Girê Sipî, une région où la Turquie procède toujours à des déplacements de population. En fin de mois, l’AANES a reçu plus de trois cents habitants de la ville, chassés par l’insécurité ou les déplacements forcés. Le 7 mai, les occupants ont pour la sixième fois coupé l’eau en provenance de la station de pompage d’Alouk, privant de nouveau d’eau près d’un demi-million d’habitants de la province d’Hassakeh. Le 27, la Turquie a nié empêcher l’approvisionnement en eau de régions entières du Nord syrien et a accusé de manière peu crédible les FDS («l’organisation terroriste PKK / YPG») d’être responsables des coupures.
Le 25, le Rojava Information Centre a publié un rapport de 52 pages détaillant les attaques turques, et notamment les fréquentes frappes aériennes visant des personnes et des infrastructures civiles (Morning Star). L’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) a également accusé les djihadistes pro-turcs d’avoir incendié plusieurs champs appartenant à des agriculteurs kurdes à Kobanê, Ain Issa, Zagran, et près de la ville chrétienne de Tell Tamer. Il est troublant de constater que les djihadistes de Daech recouraient simultanément au même procédé à Deir Ezzor. Parallèlement, les combats internes entre différentes factions djihadistes près de Serê Kaniyê / Ras al-Ain (WKI) se sont intensifiés. Le 28, une explosion de violence entre djihadistes de factions différentes de la soi-disant «Armée nationale syrienne» (mise en place par la Turquie et à ses ordres) a provoqué la mort de trois civils à Afrin, dont deux enfants. Après les affrontements, les djihadistes de Jaysh al-Islam(Armée de l’Islam) ont découvert une prison secrète de la Division Hamza, où étaient détenues 11 femmes enlevées, pour la plupart des Kurdes yézidies. Cette découverte a suscité des manifestations de protestations rassemblant des milliers de Kurdes à Alep (WKI). Le lendemain, une manifestation a gagné le bureau du gouverneur, tandis qu’une vingtaine d’organisations de défense des droits de l’homme travaillant dans le Nord syrien, dont l’OSDH, appelaient les Nations Unies à mettre en place une commission d’enquête sur ces violences et plus généralement sur les exactions des occupants, pour aider à mettre fin à la présence de ces milices (Rûdaw). Le 30, l’AANES a appelé dans un communiqué la Russie, les États-Unis et les Nations Unies à assumer leurs responsabilités devant les crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis par les mercenaires de Firqat al-Hamza (Division Hamza), dénonçant le silence de la communauté internationale et sa soumission au «chantage aux réfugiés» de la Turquie. L’AANES a indiqué tenir le régime turc pour responsable de toutes les exactions commises, et en particulier celles visant les femmes.
Aux États-Unis, la Commission on International Religious Freedom (USCIRF), a consacré une section de son rapport annuel, publié le 12, à la Turquie. Abordant aussi la situation des régions syriennes sous occupation turque, le document appelle le gouvernement américain à «exercer une pression significative sur la Turquie pour qu'elle fournisse un calendrier pour son retrait de Syrie» et à s’assurer que ni l’armée turque ni ses alliés syriens «n'étendent leur zone de contrôle dans le Nord-Est» du pays. L'USCIRF appelle également l'administration Trump à empêcher la Turquie de procéder à un «nettoyage religieux et ethnique» dans les zones qu’elle occupe, ou «d'y abuser autrement des droits des minorités religieuses et ethniques vulnérables». Le rapport justifie son inquiétude en rappelant que « Dans d'autres régions dont la Turquie s’est emparée précédemment, comme Afrin, les minorités religieuses continuent à subir des persécutions et une marginalisation, en particulier les Yézidis et les chrétiens déplacés». De fait, à Afrin, les Yézidis se sont plaints en début de mois d’être particulièrement visés par les exactions des mercenaires djihadistes qui occupent la région pour le compte de la Turquie. Ceux-ci les considèrent comme des «infidèles» et des «zoroastriens», et ont récemment détruit un certain nombre de tombes yézidies, dont celle d’un saint homme de cette religion (RojInfo).
Parallèlement, l’épidémie du coronavirus continue à se propager. Le 1er mai, le quotidien arabe Asharq Al-Awsat a annoncé que l’AANES avait la veille isolé et confiné Hassakeh après que trois nouveaux cas y avaient été constatés, un couple de la ville et un habitant de Qamishli. Le virus aurait pu venir de l’hôpital de cette ville, contrôlé par le régime (WKI). Le 11, l’OMS a annoncé dans un tweet avoir envoyé pour la région trente tonnes de matériel médical dont du matériel de protection pour les soignants et des ventilateurs de réanimation. Mais le 13, un responsable de l’AANES a indiqué qu’elle n’avait pas reçu le chargement. Interrogé à ce propos par la chaîne kurde d’Irak Rûdaw, un porte-parole de l’OMS a répondu qu’il était en cours d’inventaire dans des entrepôts de la région et serait distribué rapidement. Mais le Rojava Information Center, citant le Croissant Rouge kurde, a indiqué que toute l'aide avait été envoyée à l'hôpital national de la ville, contrôlé par le régime de Damas.
Le 17, l’AANES a déclaré une amnistie de masse pour les détenus condamnés à des peines légères pour des délits, qui verront leur peine réduite d’un tiers. Ceux atteints de maladies incurables ou en phase terminale seront libérés. Sont exclus de l'amnistie «les violeurs, les trafiquants de drogue, les terroristes et les condamnés recherchés», sauf s’ils se livrent (Rûdaw). En milieu de mois, la Syrie comptait officiellement 58 cas de coronavirus et trois décès, et l’AANES rouvrait deux points de passage avec le territoire contrôlé par le régime pour faciliter le retour des personnes à leurs domiciles (WKI). Le 21, le Comité international de la Croix Rouge a lancé un avertissement face au risque de détérioration de la situation dans les zones contrôlées par l’AANES, non pas tant en raison de l’épidémie qu’à cause du mauvais état des services sanitaires, des pénuries de nourriture et des coupures d’eau (France-24).
Les djihadistes de Daech continuent à faire parler d’eux en Syrie. En début de mois, alors que les attaques des djihadistes augmentent, les FDS ont annoncé le démantèlement d’une cellule dormante à Raqqa et la saisie de son équipement. Le 2 mai au soir, un groupe de prisonniers d’Hassakeh ont tenté pour la seconde fois de s’échapper en y organisant une mutinerie qui a duré une journée. Des hélicoptères américains ont assisté les FDS pour reprendre le contrôle de la prison, qui a été obtenu par des négociations. La prison se trouve dans la zone régulièrement privée d’eau par les coupures des Turcs, et il semble que la peur du coronavirus ait joué un rôle dans les événements (Kurdistan-24). L’AANES a réitéré une fois de plus son appel à la communauté internationale pour que celle-ci aide à trouver une solution à la situation de ces prisonniers. Les attaques de Daech se sont multipliées durant ce mois, notamment dans la province de Deir Ezzor: une attaque le 3 sur le champ pétrolier de Basira a été repoussée et un des assaillants tué (WKI), une embuscade tendue le 7 dans laquelle onze militaires du régime ont été tués, une nouvelle embuscade le 17, dans laquelle les passagers d’un véhicule, dont un officier et deux militaires syrien, ont été tués sur une route de Deir Ezzor, puis le lendemain matin, les corps de sept combattants d’une milice pro-Damas tués par les djihadistes ont été trouvés sur un autre tronçon de cette même route… Parallèlement, sept prisonniers djihadistes se sont échappés du camp de al-Hol, dont quatre ont finalement été repris.
Enfin, les FDS ont pu, avec le soutien de la Coalition, démanteler une cellule djihadiste dormante à al-Busriya (Deir Ezzor), confisquant des ceintures explosives, des armes et de l’équipement militaire. Deux djihadistes irakiens se sont fait exploser durant l’opération.
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L’épidémie de coronavirus continue de se propager dans le pays, et notamment dans ses prisons, dont commencent à filtrer des informations alarmantes. Quant à la situation économique, elle continue de se dégrader, au point que le 4, le parlement a finalement autorisé une mesure envisagée depuis des années: remplacer le rial par le toman (10.000 rials). Cette suppression de quatre zéros sur les billets facilitera sans doute les comptes, mais ne risque guère de faire baisser l’inflation, galopante! Tirée vers le bas par le retour des sanctions américaines en 2018, et maintenant par l’épidémie, la monnaie a perdu 60% de sa valeur… (New York Times)
La situation économique est particulièrement grave au Kurdistan, déjà victime de longue date de la politique d’abandon des autorités, et maintenant frappé par l’épidémie. De plus en plus de jeunes n’ont d’autre choix pour survivre que se tourner vers le dangereux métier de porteur transfrontalier, kolbar, dont le nombre approcherait 70.000. Ce mois-ci, le nombre de ces malheureux abattus par les garde-frontière du régime a été particulièrement élevé. Le 2, selon l’organisation de défense des droits de l’homme Hengaw, l’un d’eux, tout juste marié, a été tué près de Baneh, un autre, père de trois enfants, à Sardasht (Basnews), et un troisième grièvement blessé près de Chaldiran. Début mai, on comptait depuis janvier 12 kolbars tués et au moins 40 blessés. Il faut y ajouter les victimes des frappes aériennes turques, qui, comme au Kurdistan d’Irak voisin, ont déjà obligé des milliers d’habitants des zones frontalières à quitter leurs villages: le 5, deux fermiers ont été tués près d’Oshnavieh (Shino) (WKI), et le 16, c’est un kolbar venu vendre des cigarettes côté turc, en face de Qotur, qui a été abattu à 5 km de la frontière par les tirs d’un blindé, un second étant blessé; un autre a fait une chute mortelle près de Shino (WKI). Le 24, près d’Ouroumieh, un autre porteur a été tué et deux frères blessés. Selon les statistiques du Kurdish Human Rights Network (KHRN), en Azerbaïdjan occidental, une province malgré son nom peuplée en grande majorité de Kurdes, seulement en cinq jours, trois kolbars ou commerçants transfrontaliers ont été tués et six autres blessés par les garde-frontière iraniens et turcs. La semaine suivante, un second kolbar a été tué par des tirs de soldats turcs près de Mako, quatre autres blessés près de Nowsud (face à Halabja) et un autre à Saqqez (KMMK). Le 28 au soir, les garde-frontière iraniens ont tué deux kolbars près de Khoy et en ont blessé trois autres à Piranshahr (KHRN). En fin de mois, un nouveau comptage donnait depuis janvier 26 morts et au moins 57 blessés (WKI), soit 14 morts et 17 blessés rien qu’en mai…
Toujours dans ces zones frontalières, les accrochages entre forces iraniennes et combattants kurdes ont été nombreux ce mois-ci. Le 6, l’agence Isna a rapporté la mort de trois pasdaran (Gardiens de la révolution), dont un officier, près de Divandareh (province du Kurdistan), lors d’un combat avec un «groupe contre-révolutionnaire», non spécifié (AFP). Le 20, la télévision d’État a rapporté la mort de deux combattants kurdes dans un autre accrochage près de Marivan. Le 29, trois garde-frontières ont de nouveau été tués, cette fois près de Sardasht (Isna). En fin de mois, toutes les provinces du Kurdistan (Ilam, Kermanshah, Kurdistan et Lorestan) ont subi de nombreux incendies criminels, où est mort un militaire (WKI).
Concernant l’épidémie, le pouvoir continue à tenter de dissimuler son étendue, à l’intérieur comme à l’international. De nombreux Iraniens n’ont plus aucune confiance en les autorités, qu’ils accusent d’avoir gardé le secret pour maintenir les élections du 21 février, alors qu’elles connaissaient la gravité de la situation. Un témoin anonyme a déclaré à RFI: «Le régime iranien ne fait que mentir. Tout ce qui lui importe, ce sont ses propres intérêts. Pour se maintenir au pouvoir, il a besoin de montrer qu’il contrôle la situation, quitte à sacrifier tout le monde»… Le 6, Courrier International a publié des extraits d’un rapport effrayant de la Fondation Abdorrahman Boroumand, basée à Washington, sur la situation dans les prisons: on y apprend notamment que le bilan des décès en détention n’est pas inclus dans les statistiques officielles, que les surveillants sont si effrayés qu’ils prennent des jours de congé sans solde… Malgré l’annonce de la libération de 100.000 détenus (sur 240 000), nombreux sont ceux qui, normalement éligibles, sont toujours en cellule. Privés de permission de libération temporaire, des détenus ont provoqué en début de mois des émeutes dans plusieurs prisons, notamment Khorramabbad et Tabriz. Les conditions d’entassement des détenus ne permettent aucune hygiène individuelle, sans parler de la distanciation sociale! Ainsi à Téhéran on compte 1.500 prisonniers dans trois pièces ! «Pour 500 détenus […] il n’y avait que 14 toilettes et douches. L’eau chaude ne coulait qu’une heure par jour, entre 4 et 5 heures du matin». Dans la prison de femmes de Varamin, au Sud de la capitale, il n’y a d’eau chaude que deux heures par jour et les produits désinfectants sont cinq fois plus chers que dehors… «Les décès liés au Covid-19 dans les prisons ont commencé mi-mars. Certains prisonniers libérés ont évoqué la mise en quarantaine d’une soixantaine de personnes, dont nous n’avons plus de nouvelles»…
Le Conseil national de la résistance iranienne (CNRI) a régulièrement publié un décompte des décès dûs à l’épidémie dans 319 villes du pays: plus de 41.000 cumulés au 13 mai, plus de 42.800 le 17, plus de 43.800 le 23, et l’après-midi du 31 mai, plus de 48.200: soit 7.200 décès minimum en vingt jours, bien loin des chiffres officiels, qui tournent autour de 7.800 décès cumulés fin mai, soit environ 1.700 dans le mois. Pourquoi une telle différence? Le 13, le journal Jahan-e-Sanat écrivait: «La diminution quotidienne du nombre de décès annoncés donne l’impression que la situation est normale. […] Dans les villes, les personnes atteintes de COVID-19 ne sont plus amenées à l’hôpital et sont laissées sans soins adéquats (pour mourir) et les envoyer directement au cimetière». Les personnes non décédées à l’hôpital ne sont pas forcément indiquées comme mortes du coronavirus… Malgré tout, le président Rouhani a annoncé le 24 qu’à partir du 31, «tous les employés de bureau devront retourner au travail […]. Les lieux saints et les lieux de culte (…) seront ouverts dès le lendemain de l’Aïd al-Fitr en respectant les instructions du ministère de la Santé. Il a ajouté : «Certains tentent d’effrayer les gens […] sur le coronavirus, nous ne le tolérerons pas».
Selon le WKI, la maladie a affecté le Kurdistan iranien de manière disproportionnée, et en particulier la province de Kermanshah. Pour la province du Kurdistan, le CNRI donne les chiffres suivants : 660 décès au 13, 790 au 20, 826 au 24, 920 au 31 mai… Le 30, l’agence Imna a cité Gharib Sajadi, membre du conseil municipal de Sanandaj: «La situation est critique. Prétendre que la situation est normale, sous n’importe quel prétexte, vise à dissimuler le problème. […] Malheureusement le nombre de morts […] est plus élevé la plupart des jours que les chiffres officiels. Récemment, cinq et parfois six morts soupçonnés positifs au coronavirus sont enterrés chaque jour au cimetière de Behecht-e Mohammadi». L’agence Tasnim a cité le même jour le vice-président de la Faculté de médecine du Kurdistan : «La tendance croissante à la propagation du Covid-19 dans les villes de Sanandaj, Saqqez et Marivan est très inquiétante»…
Mais même une telle épidémie ne peut arrêter la machine répressive en Iran. Le 2, le KHRN a exprimé son inquiétude pour la prisonnière politique kurde Zeynab Jalalian. Arrêtée par l’Etelaat (Renseignement) de Kermanshah en février 2007 et accusée d’appartenance au PJAK, elle a été condamnée à mort en décembre 2008 pour «actions armées contre la République islamique d'Iran et appartenance au PJAK», une sentence commuée en prison à vie en novembre 2011 grâce aux pressions des défenseurs des droits de l’homme. Après treize ans de détention à Khoy, elle a été transférée le 28 avril vers un lieu inconnu pour interrogatoire à propos de nouvelles charges contre elle. Décrite en 2018 par Amnesty International comme «gravement malade», Jalalian était entrée en grève de la faim en février 2016 pour protester contre l’absence de soins (Rûdaw). D’autres prisonniers politiques kurdes ont également été transférés vers des lieux tenus secrets. Le 6, l’Etelaat a averti quatre activistes kurdes de Sanandaj de ne pas critiquer les exécutions de dizaines de prisonniers politiques des deux semaines précédentes. Le régime a exécuté trois autres prisonniers kurdes à Sanandaj et Ouroumieh la première semaine de mai. Le KMMK a également rapporté que l’Etelaat avait menacé des activistes prévoyant d’organiser une action pour le 1er mai (WKI).
Le 12, la détenue politique Golrokh Ebrahimi Iraee a envoyé de sa cellule de Qarchak, près de Varamin, une lettre révélant que les autorités accroissaient les pressions sur les femmes détenues en les transférant loin de leurs familles, et en particulier pour Zeinab Jalalian, justement transférée de Khoy à Qarchak. Iraee a également mentionné l’arrivée d’une autre prisonnière politique kurde, Sakineh Parvaneh. Le 16, on a appris que l’anthropologue franco-iranienne Fariba Adelkhah avait été condamnée à cinq ans de prison pour «rassemblements et collusion en vue d’agir contre la sécurité nationale» et «propagande» contre la République islamique. Son avocat, qui a réussi à éviter la condamnation pour «espionnage», a indiqué qu’il ferait appel. Il semble que l’Iran cherche à utiliser la chercheuse comme otage pour obtenir la libération d’un de ses diplomates, Assadollah Assadi, incarcéré en Belgique après avoir participé à une tentative d’attentat contre une réunion des Moudjahidine du peuple à Villepinte en juin 2018 (Le Monde). De discrètes négociations sont déjà en cours avec les États-Unis pour «échanger» un ancien de la marine américaine détenu en Iran depuis deux ans, Michael R. White, contre un médecin Iranien-Américain détenu aux États-Unis, dont le nom n’a pas été précisé… Atteint du coronavirus, White a été relâché provisoirement courant mars et se trouve maintenant à l’ambassade suisse à Téhéran qui représente les intérêts américains en Iran (New York Times).
Le 19, le régime a également arrêté un garçon de 17 ans et un autre homme à Piranshahr. Le même jour, Arsalan Khodkam, un prisonnier politique incarcéré à la prison centrale d’Ouroumieh pour troubles à la sécurité, a été condamné à mort. Sa famille a été prévenue qu’il serait exécuté après le Ramadan, le 23 mai. Originaire de Mahabad, ancien membre du PDKI, Khodkam avait ensuite intégré les pasdaran dans les années 90, avant d’être arrêté et torturé pour le forcer à des aveux. Selon Hengaw, le régime a exécuté 25 Kurdes depuis janvier.
À Kermanshah, quatre autres activistes kurdes arrêtés en début d’année par l’Etelaat ont reçu neuf mois de prison pour «propagande contre la révolution islamique» et « appartenance à des partis kurdes», et l’avocate Suhaila Hijab a été arrêtée le 23. L’Etelaat a aussi arrêté trois autres Kurdes à Ouroumieh, et au Nord-Khorasan, sept membres de l'Union kurde des enseignants ont reçu de trois à cinq ans de prison pour leurs activités. Enfin, le 28 à Kermanshah, une femme de 58 ans, mère de sept enfants, Assieh Panahi, est décédée d’une crise cardiaque lorsque des agents municipaux qu’elle tentait d’empêcher de détruire sa maison l’ont aspergée d’un spray au poivre. Panahi faisait partie des dizaines de milliers de Kurdes dont les habitations ont été détruites lors du séisme de novembre 2017 et qui n’ont toujours pas été relogés. Elle était accusée d’avoir rebâtie sa maison sans permis de construire.
Enfin, le 10, lors de manœuvres maritimes, un «tir ami» a fait 19 morts et 15 blessés à bord d’un bâtiment de soutien logistique, le Konarak, sans doute touché à la place d’une cible d’entraînement dont il était trop proche suite à une erreur de tir de la frégate Jamaran. Après la destruction en janvier de l’avion civil ukrainien au-dessus de Téhéran, cet incident porte un nouveau coup à la crédibilité des pasdaran, après le lancement réussi fin avril d’un satellite militaire…
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L’Irak semble avoir enfin surmonté sa crise politique pour peut-être se doter d’un gouvernement fonctionnel… Dans la nuit du 6 au 7 mai, le nouveau Premier ministre et ancien chef des renseignements Mustafa Al-Kadhimi a obtenu la confiance du Parlement. Il a globalement été soutenu par les partis kurdes, la plupart des sunnites et une partie des chiites, malgré l’opposition de plusieurs milices et partis pro-iraniens. Mais seulement quinze des vingt-deux ministres qu’il proposait ont été approuvés, et la dispute persiste toujours autour des portefeuilles, non encore attribués, du Pétrole et des Affaires étrangères. Ce cabinet encore incomplet prend les rênes d’un pays frappé par plusieurs crises simultanées : épidémie de COVID-19 en expansion, tensions Iran-États-Unis sur son sol, persistance des attaques de Daech, budget plus que divisé par deux par la chute du cours du pétrole…
C’est dans ce contexte budgétaire difficile que les discussions ont repris entre gouvernement fédéral et Gouvernement régional du Kurdistan (GRK). Le gouvernement précédent avait justement interrompu mi-avril le versement des fonds destinés au paiement des fonctionnaires du GRK, demandant même le remboursement des transferts précédents: il reprochait au GRK de n’avoir livré aucune cargaison de pétrole, malgré l’accord conclu en décembre. Le 6, alors que le nouveau cabinet allait être présenté au parlement, le vice-premier ministre du GRK, Qubad Talabani, s’est rendu à Bagdad pour tenter de renouer les discussions. L’accord s’est révélé difficile à trouver. Trois délégations du GRK se sont succédées dans la capitale au cours du mois, le gouvernement fédéral refusant de s’engager sur le long terme. Fin mai, Bagdad a accepté d’envoyer les fonds nécessaires au paiement d’un mois de salaire, les discussions devant se poursuivre pour le versement des mois suivants.
Durant cette période, les retards de paiement, accumulés depuis février, ont provoqué des manifestations de protestation au Kurdistan. Le 16, une manifestation d’enseignants s’est tenue à Derbandikhan, tandis qu’à Dohouk, une centaine de fonctionnaires, d’activistes et de journalistes étaient brièvement arrêtés par les forces de sécurité alors qu’ils se rassemblaient pour manifester. Après réception des fonds de Bagdad, le GRK s’est engagé en fin de mois à payer rapidement les salaires de février (WKI).
Dans d’autres chapitres de politique interne à la Région du Kurdistan, le Conseil provincial de Suleimaniyeh a soumis au GRK un projet de décentralisation élaboré avec le soutien de l’UPK et de Goran (WKI), et pour la première fois dans son histoire, le 7, le parlement d’Erbil a levé l’immunité parlementaire d’un député. Il s’agit de Soran Omar, du Groupe islamique du Kurdistan (Komal), dont l’immunité était soumise au vote en même temps que celle de trois autres parlementaires, Omed Khoshnaw, chef du groupe PDK, Ali Hama Salih, chef du groupe Goran, et Shirin Amin Abdul Aziz, une autre députée de Goran. Tous les parlementaires visés étaient impliqués dans des affaires judiciaires, mais seule l’immunité d’Omar a été levée. La décision est controversée, le vote ayant été boycotté par 53 des 111 législateurs, notamment de nombreux membres de l’UPK, de Goran, des deux partis islamiques Komal et Yekgirtû, et de Nouvelle Génération: ces partis s’étaient tous opposés à l’inscription à l’agenda du vote en question. Suite à une plainte contre lui déposée le 2 avril par le bureau juridique du GRK, Soran devra répondre devant un tribunal de ses déclarations selon lesquelles le Premier ministre Masrour Barzani posséderait une société et une banque. Les opposants au vote accusent le PDK de n’avoir fait voter sur l’immunité des autres députés que pour couvrir leur objectif de faire condamner Soran (Rûdaw).
L’Irak est toujours confronté à l’épidémie de COVID-19. Alors que la propagation de celle-ci semblait ralentir, le confinement très strict décrété mi-mars, a été partiellement levé en avril, ce qui pourrait être la cause de la flambée de nouvelles infections observées courant mai… Fin avril, le GRK a lui aussi assoupli les mesures sanitaires, autorisant notamment de nouveau les déplacements à l’intérieur de la Région du Kurdistan, soumis cependant à demande préalable.
Le 2, après deux mois de fermeture des établissements d’enseignement, dont la réouverture était planifiée pour le 10 mai, quelques semaines avant les vacances d’été, le ministère de l’Éducation du GRK a commencé la mise en ligne sur internet de cours à distance qui sont aussi diffusés sur la chaîne éducative du ministère de l’éducation, en attendant une diffusion par l’intermédiaire du satellite NileSat. Par ailleurs, plusieurs fournisseurs de téléphonie ou d’accès internet ont proposé la gratuité aux étudiants (Rûdaw). Le 5, avec le soutien de l’UNICEF, la diffusion sur satellite de cours destinés à 1,5 million d’élèves a été lancée sur un canal appelé Kanalî perwerde (chaîne éducative). Les programmes abordent aussi les consignes sanitaires, comme le lavage des mains ou le respect de la distanciation sociale. La diffusion satellitaire rend ces programmes accessibles aux personnes sans internet, comme les familles déplacées dans des camps (Kurdistan-24).
Toujours le 2, le ministère de la santé du GRK a annoncé six nouveaux cas de COVID-19, tous dans le district de Soran (Erbil), pour un total de 387 depuis le début de l’épidémie, ayant provoqué cinq décès et 330 guérisons. Le ministère a également annoncé que 1.307 personnes se trouvaient encore en quarantaine, sur 9.681 auxquelles cette mesure avait été imposée (Kurdistan-24). En milieu de mois, l’interdiction des voyages vers d’autres provinces irakiennes a été prolongée au moins jusqu’à la fin du Ramadan, le 24. Craignant un pic de contaminations si les festivités étaient autorisées, le gouvernement fédéral a imposé pour l’Aïd un couvre-feu dans tout le pays tandis que le GRK prenait une mesure similaire en mettant en place un confinement de 3 jours. À Kirkouk, malgré la réouverture progressive des entreprises, le confinement a été prolongé d’une semaine après la découverte en milieu de mois de sept nouveaux cas dans la province (WKI). Le 24, le ministère irakien de la santé a annoncé 197 nouveaux cas en 24 h sur un total de 4.679 avec 160 décès, alors que le GRK en annonçait 20 au Kurdistan sur un total de 496… Alors que l’Irak a conduit 6.500 tests durant les dernières 24 h, le Kurdistan en a mené 1.300. Le 27 a montré une claire et inquiétante accélération de la propagation, puisque le gouvernement fédéral a annoncé 287 nouveaux cas en 24 h et le GRK 25. Bagdad seule comptait 1.426 cas, un tiers de ceux du pays entier. L’après-midi, le ministère de la santé du GRK a décidé d’étendre l’interdiction de voyage entre Région du Kurdistan et reste du pays jusqu’au 15 juin (Kurdistan-24).
Le 27, le nombre total d'infections était de 5.135 dans tout l’Irak, dont 175 décès et 2.904 guérisons; au Kurdistan, il était de 532, dont cinq mortels et 407 guérisons. Mais le 29, la courbe faisait un nouveau bond avec 322 nouveaux cas dans tout l’Irak en une journée et 34 au Kurdistan, pour des totaux respectifs de 5.457 et 566 cas. Le Kurdistan a alors décidé la fin de l’année scolaire et universitaire, avec suppression des examens finaux. Le 30, alors que l’Irak annonçait 416 nouveaux cas, le Kurdistan n’en annonçait que 9, mais ce chiffre bas ne devrait pas mener à se rassurer trop rapidement, car il pourrait en partie refléter l’insuffisance des capacités de test... (Kurdistan-24) La dernière semaine de mai, en effet, environ 250 nouveaux cas, la plupart dans la province de Suleimaniyeh, ont été comptabilisés au Kurdistan, qui a réagi en réimposant un confinement d’une semaine… On comptait alors 745 cas, 434 guérisons et huit décès (WKI).
Parallèlement, Daech a continué à amplifier ses activités. Le 1er mai, les djihadistes ont lancé contre plusieurs points de contrôle de Samarra, à 100 km au nord de Bagdad, une attaque d’une ampleur sans précédent depuis des mois. Les combats, qui ont duré plusieurs heures et nécessité l’envoi de renforts, ont fait dix morts au sein des Hashd al-Shaabi (Unités de mobilisation populaire). Selon les estimations, l’organisation compterait 2.500 à 3.000 combattants, renforcés par des retours de Syrie, dans la province d’Anbar et surtout dans le corridor séparant militaires irakiens et pechmergas kurdes… Après l’attaque du 1er mai, les Hashd ont indiqué en avoir subi d’autres dans les provinces de Diyala, Salahaddin et même à Jurf Al-Sakhr, à 60 kilomètres au sud de Bagdad. Daech a également multiplié les sabotages des infrastructures électriques (Le Monde). Le 2, Jabar Yawar, chef d’état-major du ministère des Pechmergas, confirmait la gravité de la situation en déclarant à Rûdaw que les activités de Daesh «s’intensifient de jour en jour»: 85 attaques depuis janvier, ayant fait 70 morts et 161 blessés, et 41 enlèvements contre rançon, en général des civils aisés… La plupart de ces attaques ont eu lieu en avril, signe d’une montée en puissance. Yawar s’est plaint de l’absence de coordination avec l’armée irakienne, alors que Daech a appelé ses partisans à exploiter l’épidémie pour intensifier les attaques.
Le 11 au matin, deux fermiers kurdes enlevés alors qu’ils moissonnaient leurs champs ont été retrouvés morts près de Khanaqin (Diyala). Les agriculteurs tentent de moissonner le plus rapidement possible pour échapper aux incendies de leurs récoltes par les djihadistes, certains se rendant même dans leurs champs de nuit. Dans la province de Kirkouk également, les cultivateurs kurdes ont subi de nombreux incendies, notamment le 14. Si certains sont le fait de djihadistes de Daech, le chef de village de Palkana a quant à lui accusé des membres de tribus arabes qui cherchent à faire fuir les propriétaires kurdes pour s’approprier leurs terres, retour de l’ancienne politique ba’thiste d’arabisation. Un rapport du ministère irakien de la défense civile énumérant tous les foyers d'incendie connus entre le 21 avril et le 14 mai a recensé 88 incidents ; les provinces les plus touchées sont Salahaddin (25 feux), Wasit (15), Diyala (9) et Babil (9), et celles avec les plus grandes surfaces détruites sont Diyala et Kirkouk. Daech a revendiqué les incendies de Diyala le 14, mais de nombreux autres ont été attribués à des causes électriques. Le 16, la chaîne Kurdistan-24 s’est plainte qu’une de ses équipes couvrant les incendies à Kirkouk, un correspondant et un caméraman, ait été arrêtée près du village de Zangar. Un officier les a menacés d’inculpation pour avoir «rapporté les activités de Daech», avant de les accuser d’«allumer les incendies pour dire que la zone n’est pas sûre». Les deux journalistes n’ont été libérés qu’après avoir signé un engagement à ne pas revenir. Deux associations de défense des journalistes ont appelé le gouvernement fédéral à ouvrir une enquête. Les djihadistes ont aussi incendié plusieurs champs à Makhmour, et le 18 à Qaratapah (Diyala) et à Daqouq (Kirkouk). Certains Arabes convoitant des terres appartenant à des Kurdes tentent de profiter de la situation, comme à Dibis (Kirkouk).
Le 20, la Coalition anti-Daech, en coordination avec les pechmergas, a lancé près de Makhmour, sur les Monts Qarachukh, plusieurs frappes aériennes visant les tunnels servant de base d’opération aux djihadistes pour lancer leurs incendies (Kurdistan-24). Le 24 au matin, un policier kurde a été trouvé décapité dans son véhicule dans le quartier Askarî de Kirkouk. Sa famille pense qu’il s’agit d’une attaque de Daech. En fin de mois, face à l’augmentation du nombre d’attaques, le ministère de la Défense irakien a finalement déployé des renforts dans la zone des territoires disputés (WKI). Le 30, le ministère de l’Agriculture du GRK a dénoncé dans un communiqué les « incendies systématiques » auxquels sont soumis depuis des semaines les champs appartenant à des Kurdes dans les territoires disputés entre Bagdad et Erbil et a demandé que les agriculteurs kurdes soient protégés de ces « incendies haineux », dont le nombre a augmenté à l’approche de la période de moissons, et qui se répètent chaque année (Kurdistan-24).
Des violences résultant des combats entre la Turquie et le PKK ont également de nouveau frappé la Région du Kurdistan ce mois-ci. Durant deux jours entre le 13 et le 14, d’intenses tirs d’artillerie turcs ont frappé toute la zone frontalière de la province de Dohouk. Un officier commandant des pechmergas a déclaré à Kurdistan-24: «Ces deux derniers jours, les bombardements se sont intensifiés depuis le district de Zakho, à la frontière, jusqu'au district d'Amedi, sous prétexte de s'en prendre au PKK dans ces territoires, et ont provoqué d'importants dégâts aux propriétés des habitants, les empêchant de travailler et de sortir par peur pour leur vie». Depuis plusieurs années, les bombardements turcs continuels ont causé l’évacuation de plus de 400 villages dans cette région, a-t-il ajouté. Après que la Turquie a annoncé le 13 avoir « neutralisé » par une frappe aérienne quatre combattants du PKK dans les zones de Khwakurk et Metina (Dohouk), le PKK a attaqué le 14 la base militaire turque de Kani Masi, dans la même province. Les combats, qui ont duré une heure, ont provoqué des coupures d’électricité dans la zone. La présence du PKK au Kurdistan ne cesse de provoquer des tensions entre PDK et UPK. Le mois dernier, après un déploiement de peshmergas du PDK à Zini Werte, une zone d’opérations du PKK, l'UPK avait envoyé ses propres peshmergas dans la zone pour s’interposer (Al-Monitor)… Le 27, l’agence d’État turque Anatolie a annoncé des frappes aériennes contre le PKK dans la province de Suleimaniyeh, près de la frontière iranienne, ce qui est assez rare, les frappes visant plutôt des objectifs situés plus au Nord. Cinq combattants kurdes auraient également été tués près du Mont Asos, à environ 55 km au nord de Suleimaniyeh. Le ministère de la Défense turc a également annoncé la « neutralisation » de cinq autres combattants dans les régions de Haftanin et Hwakurk (Al-Monitor). Le 30, une autre frappe turque près d’Amêdi (Dohouk) a tué un cultivateur et son fils et fait un blessé (Kurdistan-24).
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