Dr Najmaddine Karim, vice-président de notre Institut, fondateur de l’Institut kurde de Washington et ex-gouverneur élu de Kirkouk est décédé dans la nuit du vendredi 30 au samedi 31 octobre à Washington à l'âge de 71 ans des suites d'une longue maladie.
Neurochirurgien réputé, militant depuis ses années d'université de la cause kurde, patriote solidaire des mouvements kurdes de résistance dans toutes les parties du Kurdistan, diplomate talentueux, gouverneur élu de l'emblématique ville kurde de Kirkouk de 2011 à 2017, il était connu et aimé dans l'ensemble du Kurdistan ainsi que dans la diaspora kurde.
Son décès prématuré est une grande perte pour sa famille, pour l'Institut kurde et ses amis et pour la cause kurde dans son ensemble.
Né en 1949 à Kirkouk où il a fait ses études primaires et secondaires, il avait été admis à la Faculté de médecine de l'université de Mossoul. Pendant ses années universitaires il a milité au sein de l'Union des étudiants du Kurdistan dont il est devenu l'un des leaders. Dès l'obtention de son diplôme de médecin en 1972 il a rejoint les rangs de la résistance kurde du général Mustafa Barzani. Après l'effondrement de celle-ci à la suite de l'Accord d'Alger du 5 mars 1975 signé entre le Chah d'Iran et Saddam Hussein sur le dos des Kurdes, il s'est exilé aux Etats-Unis. Il y a parachevé ses études à l'Université George Washington en neurochirurgie. Parallèlement à son activité professionnelle à l'hôpital de la prestigieuse Faculté de médecine Johns Hopkins et en cabinet, il a continué à militer pour la cause kurde en co-fondant le Congrès national kurde de l'Amérique du Nord et il a adhéré en 1989 à l'Institut kurde de Paris dont il est devenu vice-président. Il a joué un rôle important dans la préparation de la Conférence internationale sur le sort des Kurdes après la guerre du Golfe, co-organisée par l'Institut kurde de Paris et le Foreign Relations Committee du Sénat américain le 27 février 1991 au Sénat avec la participation de plusieurs sénateurs américains, dont Edward Kennedy, John Kerry, Nancy Pelosi, des leaders kurdes irakiens et de Madame Mitterrand. Cette conférence a joué un rôle majeur dans l'information et la sensibilisation du Congrès américain sur la question kurde; ses participants se sont mobilisés lors de l'exode kurde du printemps 1991 pour obtenir l'engagement de l'administration américaine en faveur de la création d'un Safe Haven, une zone de protection proposée par la France, une no-fly zone décidée en juin 1991 par le Conseil de sécurité de l'ONU qui a permis l'émergence et la reconnaissance de l'actuelle Région autonome du Kurdistan. En 1994, Dr Karim a été, avec Kendal Nezan et Fuad Hussein, actuel ministre des Affaires étrangères de l'Irak, membre de la délégation de l'Institut kurde dépêchée au Kurdistan pour convaincre les leaders des deux partis kurdes irakiens en conflit (PDK et UPK) à venir participer aux pourparlers de paix organisés en France, au Château de Rambouillet, sous le haut patronage du président Mitterrand, afin de régler leurs différends d'une manière négociée et pacifique. En 1996, Dr Karim a fondé l'Institut kurde de Washington spécialisé dans l'information et la sensibilisation du Congrès et des médias américains.
Médecin personnel du général Barzani jusqu'à sa mort en exil à Washington en mars 1979, puis du leader kurde Jalal Talabani, devenu plus tard premier président élu de l'Irak, le Dr. Karim prodiguait ses soins et ses conseils aux résistants kurdes de toutes les parties du Kurdistan de passage à Washington. Il favorisait aussi leurs contacts avec le Congrès, les ONGs et les médias américains. Il était de fait l'ambassadeur bénévole du Kurdistan à Washington.
Après la chute de Saddam Hussein en 2003, à la demande de son ami Jalal Talabani, il s'est engagé dans la vie politique kurde et irakienne. Élu d'abord député au Parlement irakien en 2010, il a ensuite constitué et dirigé une liste nommée «Alliance du Kurdistan» qui a très largement gagné en 2011 les élections provinciales de Kirkouk. Élu gouverneur de sa ville natale il a, dans un contexte politique et sécuritaire difficile, organisé des services de base pour tous les habitants de cette ville à majorité kurde avec d'importantes communautés turkmène, arabe et chrétienne, sans discrimination. Très apprécié de ses administrés, il est resté gouverneur de Kirkouk jusqu'en octobre 2017, date à laquelle les troupes et milices irakiennes ont occupé cette ville. Destitué illégalement par le gouvernement de Bagdad pour avoir organisé le référendum sur l'autodétermination du Kurdistan au cours duquel les habitants de cette province se sont très majoritairement prononcés en faveur de l'indépendance, il s'était replié sur Erbil où son équipe continuait de suivre de près l'évolution de la situation de Kirkouk.
Il y un an il était parti à Washington pour se faire soigner. Opéré en septembre dans son hôpital de Johns Hopkins par ses collègues, il s'est éteint paisiblement, entouré de sa femme Zozan et de ses quatre enfants vendredi 30 octobre vers 23h, heure de Washington.
Conformément à ses dernières volontés, son corps a été rapatrié au Kurdistan où après une cérémonie d’hommage national en présence du président Nechirvan Barzani, des ministres, du Dr Fuad Hussein, ministre des Affaires étrangères de l’Irak, du président de l’Institut kurde de Paris, des représentants de tous les partis politiques kurdes et de nombreuses personnalités, sa dépouille couverte du drapeau du Kurdistan, a été inhumée dans le cimetière de Pirmam(Massif Salahaddine) près d’Erbil en attendant d’être un jour enterré dans sa ville natale de Kirkouk libérée.
---
Les cas de crimes racistes contre des Kurdes, et en particulier de graves exactions menées par des militaires, se multiplient en Turquie. Le 30 septembre, le parti «pro-kurde» HDP a diffusé un communiqué sur les tortures subies par deux villageois de Van qui avaient été jetés d’un hélicoptère militaire, suite au décès à l’hôpital le même jour de l’un d’entre eux, Servet Turgut, 55 ans, père de 7 enfants.
Turgut et un autre villageois, Osman Şiban, 50 ans, père de 8 enfants, étaient en bonne santé le 11 septembre quand ils ont été arrêtés par les militaires, après que des combats tout proches entre soldats et PKK ont causé la mort de trois soldats et d'un membre de la guérilla. Le rapport d’hospitalisation de Şiban mentionne qu’il a été «amené au service d’urgence après être tombé d’un hélicoptère» deux heures après son arrestation. Leurs familles n’ont pourtant été informées que le 13 septembre qu’ils étaient en soins intensifs, sans autres explications. Lorsqu’une délégation du HDP est arrivée pour enquêter sur l’affaire, Şiban, qui était sorti, a été remmené à l’hôpital militaire. Des centaines de policiers ont encerclé la délégation qui venait de le visiter, empêchant toute déclaration à la presse… Dans son communiqué, le HDP pointe la survenue régulière de ces exactions, cinq depuis juin dernier. Loin de refléter une indiscipline individuelle, ces incidents participent d’une politique délibérément raciste de l’État turc à l’égard des Kurdes; ils visent aussi à faire passer le message que les forces de sécurité peuvent les tuer où et quand elles veulent et en toute impunité. Le HDP note également l’absence de réaction de la Commission d’enquête sur les droits humains du Parlement turc Le 2 octobre, l’ONG de défense des droits de l’homme Human Rights Watch (HRW) a appelé les autorités turques à ouvrir une enquête.
Les autorités se sont montrées particulièrement vindicatives à l’égard de toutes les personnes ayant participé à la dénonciation de cette exaction inacceptable. Le 21 septembre, le bureau du gouverneur de Van avait affirmé que Turgut avait chuté dans la montagne en résistant à son arrestation, sans mentionner Şiban, et accusé les deux hommes d’avoir aidé le PKK… Les familles des victimes ont indiqué avoir été menacées de mort si elles parlaient, et un tribunal a interdit la diffusion de toute information sur l’incident. La police a attaqué la veillée mortuaire de Turgut à Van, empêchant habitants, journalistes et membres du HDP (dont la députée Hüda Kaya) d’y participer. Le 6 octobre, quatre journalistes des agences Mezopotamya (Adnan Bilen et Cemil Uğur) et Jin News (Şehriban Abi et Nazan Sala) ont été incarcérés dans des raids nocturnes et les policiers leur ont confisqué appareils photos et cartes mémoire. Le site web de Mezopotamya et plusieurs autres mentionnant l’affaire ont été censurés (Ahval). Si, le 7, le député AKP Cengiz Aydoğdu a tout de même admis en répondant aux journalistes au parlement que «quelque chose s’était passé» et a indiqué que le procureur avait ouvert une enquête (Duvar), deux jours plus tard, les quatre journalistes incarcérés ont été inculpés de terrorisme pour avoir «rendu compte d’événements sociaux contre les intérêts de l'État» et couvert l'incident «en faveur de l'organisation terroriste armée PKK/KCK» (Ahval).
Mais cette affaire est loin d’être la seule exaction commise récemment par les militaires turcs. Le 16, plusieurs associations ont demandé dans une conférence de presse commune à Istanbul la restitution aux familles de 282 corps retirés par l’armée du cimetière de Garzan, à Bitlis, lors du couvre-feu imposé à cette ville en décembre 2017. Le cimetière avait été détruit au bulldozer. Les corps issus des tombes profanées ont été amenés à Istanbul pour être entassés dans des fosses communes sous les trottoirs du cimetière de Kilyos. Il s’agit majoritairement de victimes des affrontements des années 90, mais il y a aussi des combattants du Rojava tombés à partir de 2014 dans la lutte contre Daech. Les familles n’avaient même pas été informées de ces déplacements, et c’est grâce aux recherches de l’association de défense des droits de l’homme İHD qu’ils ont pu être localisés. Puis le 31, un homme de 63 ans, Ali Dereli, a été tué par balles par l’armée turque au cours d’une opération à Awyan, un village près de Yüksekova (Hakkari). Les proches de la victime, qui n’ont pu accéder au corps qu’après six heures d’attente, ont déclaré avoir été gazés par les forces de sécurité, et ont indiqué que le frère d’Ali, Abdulhalit, avait également été tué par l’armée turque en 1983 .
Autre exemple démontrant l’obssession anti-kurde de l’État turc, l’interdiction le 15 de la représentation de la pièce Beru, une traduction kurde de Klaxon, trompettes... et pétarades du célèbre écrivain italien Dario Fo. Pour la première fois dans l'histoire moderne de la Turquie, une pièce en kurde devait être donnée par le théâtre municipal d’Istanbul, mais elle a été interdite au tout dernier moment: «Nous étions sur scène […] en train d'attendre les spectateurs lorsque l'interdiction […] nous a été notifiée», a indiqué à l'AFP l'actrice Ruges Kirici. Ismail Catakli, porte parole du ministère de l'Intérieur, a démenti une interdiction en raison de la langue kurde, parlant d'empêcher «une propagande du PKK». Il semble dans ce cas que ce soit davantage la troupe théâtrale que la pièce de Dario Fo, déjà jouée dans de nombreuses langues, qui a été visée, mais toute mention des Kurdes provoque toujours les accusations du pouvoir, y compris dans les manuels scolaires! Ainsi le ministère de l’Education turc a-t-il déclenché la polémique en supprimant de l’édition 2020 d’un manuel d’histoire du primaire de nombreuses références aux Kurdes, notamment dans la partie traitant du début de l’islam. L’édition 2019 (->) mentionnait explicitement (p. 183) le premier compagnon kurde du Prophète, Jaban al-Kurdi, alors que la nouvelle (->) évacue les «tribus kurdes» en deux lignes… En 2019, le secrétaire général du MHP (Parti d’action nationaliste d’extrême-droite, au pouvoir avec l’AKP), Ismet Buyukataman, avait écrit au ministre de l'éducation pour dénoncer la «propagande» selon laquelle les Kurdes auraient embrassé l'Islam avant les Turcs… Serait-ce la raison? (Rûdaw) La Turquie a également protesté contre la «propagande PKK» du nouveau manuel d’histoire-géographie… des classes de terminale des lycées français, qui consacre une double page aux Kurdes sous le titre: «Un peuple sans Etat»!
Les détenus font eux aussi les frais, littéralement, de cette haine anti-kurde: tous ceux qui écrivent à leurs proches des lettres en cette langue se voient facturer par l’administration pénitentiaire des frais de traduction allant jusqu’à 50 US$ par page! Certaines prisons ne délivrent pas les lettres, des familles comme des détenus, si elles contiennent ne serait-ce qu’une phrase en kurde (Ahval). Le 25, le site turc Ahval relevait aussi les mauvaises conditions sanitaires subies par de nombreux détenus dans le cadre de la pandémie de COVID-19, notamment l’absence d’équipement de protection personnel et parfois le refus de l’administration de tester ou d’isoler les cas suspects…
Par ailleurs, la politique extérieure militariste de plus en plus agressive de la Turquie a des conséquences inquiétantes à l’intérieur pour d’autres minorités aussi. Concernant le conflit du Haut-Karabakh, si le HDP, seul parti politique turc à ne pas avoir soutenu l’engagement auprès de l’Azerbaïdjan, est accusé de traîtrise, la communauté arménienne de Turquie, 60.000 personnes, se sent particulièrement menacée: des manifestations nationalistes viennent brandir le drapeau azerbaïdjanais à proximité de ses quartiers et églises. Les Grecs sont en butte aux mêmes provocations. Garo Paylan, député HDP d’origine arménienne, a indiqué avoir reçu des menaces de mort après ses discours pacifistes. Dans une interview donnée le 15 au New York Times, il analyse que le choix régulier de nouveaux «ennemis extérieurs» par le pouvoir, Chypre, la Grèce, l’Arménie… lui permet de fermer de plus en plus l’espace démocratique à l’intérieur.
Le pays peine aussi à trouver la voie de la justice pour les affaires passées, comme l’assassinat le 28 novembre 2015 du bâtonnier de Diyarbakir, Tahir Elçi, dont le procès a commencé le 21. L’an dernier, le barreau de Diyarbakir avait mis en cause les policiers chargés de la protection de l’avocat, tué par balle en pleine rue, en s’appuyant sur les conclusions d'un cabinet britannique d'analyse technique: Forensic Architecture avait conclu que la balle mortelle (qui n’a pas été retrouvée…) ne pouvait avoir été tirée que par un membre des forces de l'ordre. Pourtant, les trois policiers impliqués, qui n’ont même pas été suspendus, sont seulement accusés d'avoir «causé la mort par négligence». Ils n’étaient pas non plus physiquement présents à l’audience, le tribunal les ayant autorisés à comparaître par vidéoconférence. La vidéo de la fusillade précédant la mort d’Elçi a également «disparu», et le procureur chargé de l’affaire a été remplacé à plusieurs reprises… Lorsque la veuve de Tahir Elçi, Türkan Elçi, a commencé à critiquer le tribunal, le président a menacé de la faire expulser. «J'ai attendu pendant cinq ans, vous prendrez bien deux minutes pour m'écouter», a-t-elle répondu. L'un des avocats de la partie civile, Baris Yavuz, a déclaré que les magistrats voulaient visiblement «se débarrasser de l’affaire au plus vite». Les avocats ont réclamé la récusation des juges actuels, une demande qui sera étudiée par un autre tribunal. Le procès a en conséquence été renvoyé au 3 mars. Human Rights Watch a indiqué vouloir le suivre de près, «pour savoir s'il vise à faire toute la lumière sur les circonstances du meurtre […] ou à tenter de disculper à tout prix les policiers» (AFP)…
Parallèlement, la répression ordinaire s’est poursuivie avec son cortège d’arrestations, de condamnations pour motifs frauduleux et de dénis de justice… Le 1er octobre, la chanteuse germano- kurde Hozan Canê, détenue depuis juin 2018, a été libérée, mais avec une interdiction de quitter le territoire turc. Résidant à Cologne, Canê avait été arrêtée alors qu’elle était venue en Turquie pour soutenir le HDP par ses chansons durant la campagne pour les élections présidentielle et législatives. Elle avait été condamnée en novembre 2018 à six ans et trois mois de prison pour «appartenance à une organisation terroriste» sur la base de photos la montrant avec des combattants des YPG de Syrie, provenant d’un documentaire tourné par Canê sur la persécution des Yézidis par Daech. Cette condamnation a été invalidée par une cour d'appel, d’où la libération en attente du nouveau procès (AFP). Le juge n’étant pas venu à l’audience prévue le 4 octobre et ayant renvoyé celle-ci au 21 janvier, la chanteuse se trouve de fait empêchée de regagner l’Allemagne. La fille de Canê, Gönül Örs, aussi arrêtée pour terrorisme en septembre 2019 alors qu’elle visitait sa mère, n'est, elle non plus, pas autorisée à quitter le pays (Kurdistan 24).
Après avoir arrêté 82 personnes le 25 septembre dans une opération anti-kurde d’ampleur inédite, le pouvoir judiciaire turc a poursuivi ses arrestations massives d’élus HDP en octobre dans le cadre des poursuites contre les participants aux manifestations de 2014 sur Kobanê, suite à une enquête ouverte… il y a six ans. Accusant le HDP d’avoir «incité à la violence», les autorités poursuivent sous ses responsables de l’époque. Le 1er octobre, la co-maire de Kars Şevin Alaca, qui n’avait pas été arrêtée en même temps que son collègue masculin Ayhan Bilgan, l’a été à son tour. Elle a été remplacée le 3 par un administrateur pro-AKP dont la première décision a été de dissoudre le conseil municipal. Parallèlement, un tribunal d'Ankara a ordonné la détention de 17 anciennes et actuelles personnalités politiques du HDP et activistes qui avaient participé aux manifestations. Trois autres personnes ont été libérées sous contrôle judiciaire. La police turque a également mené un raid dans un bureau du HDP à Germencik (Aydin), arrêtant plusieurs dirigeants locaux et y confisquant tous les ordinateurs. Human Rights Watch a exprimé son inquiétude le 2 en déclarant que «détenir des personnalités politiques d'un parti qui a remporté près de 12% des voix aux élections de 2018 participe de la politique du gouvernement turc visant à criminaliser l'opposition» (HRW, WKI). À Şırnak, huit personnes ont reçu trois mois et quinze jours de prison pour avoir «commis un crime au profit d’une organisation illégale»: ils avaient assisté aux obsèques d’un combattant PKK… en 2008. Le 9, on a appris que plusieurs femmes politiques kurdes détenues depuis plusieurs années étaient aussi poursuivies dans le cadre de cette «enquête Kobanê» et seraient interrogées le 12 par visio-conférence: Sebahat Tuncel, ex-coprésidente du Parti démocratique des Régions (DBP), Gultan Kisanak, ancienne co-maire de la ville de Diyarbakir, Aysel Tuğluk et Gülser Yıldırım, anciennes députées HDP (RojInfo).
Le même jour, on a appris que les procureurs turcs avaient lancé une nouvel acte d’accusation visant à faire condamner l’activiste pro-démocratie et philanthrope Osman Kavala, déjà emprisonné depuis plus de trois ans, à la «perpétuité aggravée» pour participation à la tentative de coup d’État de juillet 2016. Est aussi visé l’universitaire américain Henri Barkey, accusé de «conspiration» (Middle East Eye). Les deux hommes sont accusés d’espionnage et de «tentative de renversement de l’ordre constitutionnel» . Le 26, HRW et la Commission internationale des juristes ont formellement condamné ces «accusations bidon», «politiquement motivées et dépourvues de toute crédibilité juridique» (Rûdaw). Après l’acquittement de Kavala en février dans l’affaire des manifestations du Parc Gezi, le pouvoir avait trouvé comment éviter de le libérer en l’arrêtant immédiatement de nouveau pour implication dans le coup d'État…
Le 10, la police d’Ankara a attaqué un rassemblement des familles des 103 victimes kurdes de l’attentat de la gare de cette ville en 2015, réunies en commémoration. Onze participants ont été incarcérés. La pandémie a été comme à l’habitude le prétexte à l’interdiction. Le gouvernement est soupçonné d’avoir eu au moins une connaissance partielle des projets d’attentat de Daech, pour celui d’Ankara comme pour celui de Suruç (Ahval).
Le 15, la police a arrêté six membres du HDP à Mersin, et 22 personnes à Hakkari et dans les villages environnants, tandis qu’un tribunal d’Ankara approuvait le maintien en prison des anciens dirigeants du HDP, Selahhattin Demirtas et Figen Yüksekdag, emprisonnés depuis novembre 2016. Enfin, le 19, l’ancien député HDP, et maire de Mardin récemment démis, Ahmet Türk, 74 ans, a été incarcéré dans le cadre d’une «enquête anti-terroriste» (Anatolie), et s’est vu le 21 notifier l’interdiction de quitter le territoire. En même temps, Emin Irmak, maire du district d’Artuklu de Mardin, a été lui aussi incarcéré (WKI, Reuters). Le 22, le HDP a été de nouveau frappé par quatre arrestations menées au cours de raids: les co-présidents du HDP à Diyarbakir Hulya Alokmen Uyanik et Zeyyat Ceylan, et leurs homologues du district de Yenişehir, Remziye Sizici et Kasim Kaya. Une «source judiciaire anonyme» a indiqué à l’AFP que des bannières du PKK et des documents avaient été saisis... La même semaine, le parlement a transmis pour examen à sa commission judiciaire des demandes de levée d'immunité pour dix nouveaux députés HDP. Le 21, la police de Kahramanmaraş a incarcéré 12 membres du HDP lors de raids domiciliaires. À Antalya, un membre du conseil municipal, Nihat Akkaya, a reçu dix mois d’emprisonnement pour avoir appelé Abdullah Öcalan «Monsieur» dans un discours en 2019. À Doğubayazıt (Ağrı), les co-présidents HDP Abdullah Ekelik et Gönül Öztürk ont été incarcérés. À Siirt, le 25, le maire démis Tuncer Bakirhan a été condamné à 10 ans, 10 mois et 11 jours d’emprisonnement pour «appartenance à une organisation terroriste». Enfin, l'ancien député BDP Ibrahim Binci et le membre de l'assemblée du HDP Mesut Bağcık ont été incarcérés (WKI).
Dans ce contexte de répression anti-kurde, une dizaine de partis politiques et d’ONGs kurdes se sont réunis à Diyarbakir le 24 pour discuter les possibilités d’établir une alliance plus solide. En fin de réunion, le co-président du HDP Mithat Sancar a annoncé la création d’une «Alliance du Kurdistan» permanente, déclarant notamment: «Une transformation démocratique en Turquie ne semble pas possible sans la contribution des Kurdes, comme le montre l'expérience acquise jusqu'à présent» (Ahval).
Le 6 octobre, la Commission Européenne notait dans les principales conclusions de son rapport 2020 sur la situation en Turquie (->) que «la situation dans le Sud-Est [c’est-à-dire les provinces kurdes du pays] demeure très préoccupante» […] «Le remplacement de 47 maires HDP démocratiquement élus par des mandataires nommés par le pouvoir central dans le Sud-Est remet en question les résultats du processus démocratique des élections locales du 31 mars 2019. Les arrestations et révocations d'élus municipaux et de représentants de partis se sont poursuivies, mettant gravement en péril la démocratie locale». Par ailleurs, le même rapport note plus loin «de sérieux reculs» dans le fonctionnement du système judiciaire, donnant lieu notamment à «des inquiétudes» quant à son «manque systémique d'indépendance», et surtout à la «poursuite» de «la détérioration des droits de l'homme et des droits fondamentaux», de «sérieux reculs […] en matière de liberté d'expression».
Mais le document demeure muet concernant les conséquences de ces graves lacunes démocratiques sur les relations Turquie-UE…
---
Octobre a été dominé au Rojava par la permanence de la pression turque, avec de nouvelles menaces d’invasion du président Erdoğan, la poursuite des exactions de ses mercenaires dans les territoires kurdes syriens sous occupation turque, et des attaques récurrentes contre des zones tenues par l’Administration Autonome du Nord-Est Syrien (AANES). Comme au Kurdistan d’Irak, l’armée turque se préoccupe peu des vies civiles lors de ses opérations: le 16 à Aïn Issa, un enfant a encore été tué par son artillerie…
Le 3 octobre, le président turc a déclaré depuis Hatay qu’Ankara était prêt à lancer une nouvelle offensive pour «nettoyer» le Nord syrien des milices kurdes: «Les zones terroristes […] doivent être nettoyées comme promis, ou nous viendrons le faire nous-mêmes» (Ahval). Des responsables des Forces démocratiques syriennes (FDS) ont critiqué Moscou comme Washington pour leur inaction face aux attaques continuelles qu’elles subissent de ses mercenaires syriens, en violation des cessez-le-feu conclus sous l’égide des deux pays en octobre 2019.
Le 7, l’armée turque et ses mercenaires syriens ont de nouveau lancé des attaques contre la ville d’Aïn Issa (Raqqa), ainsi que plusieurs villages proches tenus par les FDS. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), six miliciens pro-turcs ont été tués et cinq membres des Asayish (Sécurité kurde) blessés (Rûdaw, ANHA). Le 8, alors que l’AANES marquait le premier anniversaire de l'invasion turque, 73 organisations locales de défense des droits de l'homme, dont l’OSDH, ont publié une déclaration appelant l’ONU à faire pression sur la Turquie pour qu'elle mette fin aux violations des droits de l'homme commises par ses représentants, notamment les enlèvements, les assassinats et les pillages. Au même moment, le président américain Donald Trump a signé le décret prolongeant d'un an la présence des forces américaines en Syrie, décision saluée par le commandant des FDS Mazloum Abdi après les nouvelles déclarations menaçantes du président turc…
Le 13, Amy Austin Holmes, chercheuse au Council on Foreign Relations (CFR), se basant sur les données collectées par le projet Armed Conflict Location and Event Data Project (ACLED), et sur ses propres observations faites en septembre dernier près des lignes de front de la zone occupée par la Turquie, a estimé que celle-ci, directement ou au travers de ses mercenaires syriens, était responsable de plus de 800 incidents impliquant des civils ou des membres des FDS advenus après la signature des cessez-le-feu. Holmes a pris soin de préciser que ce nombre n’incluait ni les violations survenues à Afrin ni les combats entre différentes factions de la soi-disant «Armée nationale syrienne», souvent déclenchés pour le partage du butin. Elle rappelle que le cessez-le-feu ménagé par Washington prévoyait «la protection des minorités ethniques et religieuses», une clause dont elle estime qu’elle est loin d’être respectée. Un reportage de l’AFP publié le 12 confirme que, un an après l’invasion turque, nombreux sont les civils déplacés qui n’ont toujours pas pu regagner leur demeure. Une mère de famille arabe interviewée dans un camp déclare notamment que «les accusations selon lesquelles son mari a travaillé avec les autorités kurdes [rendraient] tout retour très dangereux».
Michelle Bachelet, Haute-Commissaire aux droits de l'homme de l’ONU, a dénoncé en septembre une recrudescence des meurtres, des enlèvements, des déplacements illégaux de personnes et des spoliations dans les zones occupées par Ankara et ses alliés, notamment à Ras al-Aïn et Tal Abyad. Mais la Turquie rejette toutes les accusations, et le 13, lors d’une conférence de presse commune avec la ministre suédoise des Affaires étrangères, son homologue turc s’est fâché lorsque celle-ci a «exhorté» la Turquie à se retirer du nord de la Syrie, accusant l’Union européenne d’«arrogance»: «Utiliser le terme ‘exhorter’ est arrogant et erroné en diplomatie», a-t-il déclaré. La colère de Mevlut Çavuşoğlu avait aussi une autre source : Ann Linde avait défendu le droit de l'UE à avoir des contacts avec «les différents groupes actifs dans le nord de la Syrie»… (AFP) Et en effet, quelques jours plus tard, une délégation du ministère suédois des Affaires étrangères, arrivée au Rojava le 17, rencontrait Mazloum Abdi le 19 pour discuter notamment du soutien militaire et politique aux SDF dans le combat contre Daech et l'établissement de «relations stratégiques». Le chef de la délégation suédoise, l’envoyé spécial en Syrie Per Örneus, exprimait son regret pour l’invasion turque de 2019 (Rûdaw)… Le 20 octobre, 68 députés européens ont réagi dans une lettre à David Sassoli, Président du Parlement, au rapport de la Commission d’enquête de l’ONU sur la Syrie publié le 14 août 2020. Ils y condamnent l’action turque en termes très durs: «Nous exigeons que le gouvernement turc cesse son soutien politique, économique et militaire à tous les groupes impliqués dans ces violations systématiques des droits humains. Nous demandons à l’armée turque et à ses forces auxiliaires de mettre fin à leur occupation illégale en Syrie du Nord et de se retirer de la région». Ils demandent aussi l’envoi d’une délégation spéciale pour recueillir davantage d’informations et entamer un dialogue avec l’AANES.
Le 22, le lendemain d’une attaque sur des véhicules civils du village de Rihaniyah, près de Serê Kaniyê (Ras al-Aïn), l’OSDH a à son tour dénoncé les exactions continues des mercenaires pro-turcs dans cette zone ainsi que leurs affrontements internes récurrents pour le butin (RojInfo). Le lendemain, les FDS ont publié une déclaration dénonçant la multiplication récente des attaques de l'armée d'occupation turque et de ses mercenaires contre la population près de la route internationale M4, en particulier le long de la ligne Ain Issa, et annonçant que le 21, une tentative d’infiltration dans cette ville avait été repoussée avec «10 morts et de nombreux blessés parmi les mercenaires».
Le 26, une centaine de djihadistes pro-turcs ont brûlé le drapeau français en brandissant ouvertement le drapeau de Daech dans la ville occupée de Serê Kaniyê (Ras al-Ain), en soutien aux attaques du président turc contre son homologue français. L’accointance de M. Erdoğan avec Daech ne se dissimule même plus! Le lendemain, le commandant en chef des FDS, Mazloum Abdi, a «twitté» son soutien à Emmanuel Macron, déclarant qu’il «avait contribué à protéger les musulmans de Daech» alors que Recep Tayyip Erdoğan, «qui soutient Daech, loin d’exprimer l’opinion des musulmans […], utilise l’islam pour ses intérêts personnels» (Rûdaw, WKI).
Malgré les récentes avancées vers l’unité kurde au Rojava, la tension due aux agressions extérieures se double toujours de différends intra-kurdes. Ainsi le 26, des centaines d’étudiants originaires d’Afrin ont manifesté dans le canton de Shahba, où l’invasion turque les a déplacés, pour protester contre la demande de l’ENKS (Conseil national kurde de Syrie, dans l’opposition à l’AANES) de revenir aux programmes d’enseignement officiels d’avant la révolution de 2011. L’ENKS vise à faciliter les négociations intra-syriennes en cours, mais les étudiants kurdes veulent conserver le programme actuel, qui donne une place importante à la langue kurde, et refusent tout retour aux manuels du régime de Damas…
Le 28, le président turc a renouvelé lors d’une réunion devant les députés de son parti ses menaces de lancer une nouvelle attaque contre l’AANES si celle-ci ne retirait pas ses forces de la frontière, provoquant la fuite de nombreuses familles. L’administration répète que seule son aile civile demeure sur place, la sécurité étant assurée par des forces locales, et accuse la Turquie de rechercher des prétextes à une nouvelle invasion.
Parallèlement, l’AANES accuse la Russie de jouer double jeu vis-à-vis d’elle en cherchant à utiliser la menace turque pour la forcer à accepter le retour de l’autorité du régime de Damas. La Russie, tout en accusant les États-Unis de pousser les Kurdes au séparatisme, tente de conserver des contacts avec les autorités du Rojava, alors que le régime ne se prive pas d’accuser l’AANES de séparatisme. Sur le terrain, les habitants de nombreux villages ne font aucune confiance aux militaires russes, d’autant plus qu’ils patrouillent parfois en compagnie des Turcs! Ainsi à Derbassiyah, les résidents ont-ils réussi à forcer les patrouilles russes à quitter les lieux. Les Kurdes du Rojava ne peuvent non plus oublier comment les Russes ont laissé faire les Turcs à Afrin… En réponse aux accusations russes de séparatisme, la Coprésidente du Conseil démocratique syrien (CDS, émanation politique des FDS), Emine Umer a rétorqué qu’il s’agissait de «pure propagande», ajoutant: «Le CDS est un projet national et démocratique. Il ne vise pas à diviser la Syrie. Notre véritable objectif est l’unité de la Syrie». Le projet de l’autonomie démocratique n’est donc pas limité aux Kurdes, ni même au Nord du pays. Mais il est en totale contradiction avec l’idéologie ba’thiste du régime de Damas qui, se considérant comme le vainqueur de la guerre, ne recherche que le retour à la situation d’avant 2011. Le 20, Ilham Ahmed a d’ailleurs déclaré qu’un accord avec Damas nécessiterait «quasiment un miracle»…
Le 27, les tensions sont brusquement remontées à Idlib après des bombardements russes sur une base de Faylaq Al-Cham, une faction aux liens privilégiés avec Ankara, qui ont fait des dizaines de morts. Ceux-ci ont riposté en attaquant l’armée syrienne. La Turquie retire prudemment ses soldats de la zone tout en poursuivant la fourniture de matériel et l’entraînement de ses mercenaires syriens… (Le Monde)
Parallèlement, la présidente du Conseil démocratique syrien, Ilham Ahmed, a annoncé le 5 octobre la libération de 25.000 femmes et enfants syriens détenus dans le camp de déplacés d’Al-Hol, dont des proches de membres de Daech. Près de 70.000 personnes y survivent dans des conditions alarmantes, et le coronavirus s’y est invité depuis août. Plusieurs libérations ont déjà eu lieu ces derniers mois après des médiations avec des chefs tribaux (AFP). Ilham Ahmed a indiqué dans un tweet que cette mesure ne concernait que «les femmes ne présentant pas de danger», souvent celles arrivées avant la chute du «Califat» et qui étaient déjà en voie de déradicalisation (La Croix). Le 10, l’AANES a proclamé une nouvelle amnistie, la seconde en cinq mois après celle du 17 mai. Elle prévoit une réduction de peine à vingt ans pour les prisonniers condamnés à perpétuité, mais exclut les personnes accusées de «trahison, espionnage, crime d'honneur, abus sexuel, et commerce ou consommation de drogues», ainsi que les cadres militaires de Daech (Rûdaw). Le 15 octobre, 631 prisonniers liés à Daech ont été libérés après avoir purgé la moitié de leur peine. Là encore, ces libérations résultent de discussions avec des chefs tribaux. Emine Umer, co-présidente du CDS, a indiqué que toutes les personnes libérées «n’avaient pas commis d’actes criminels» (AFP).
Le 28, une étude menée par deux chercheurs de l’Institut Egmont à Bruxelles a estimé qu’entre 610 et 680 enfants de djihadistes européens en provenance de 11 pays, dont environ un tiers de Français, étaient encore retenus avec leur mère dans les camps du nord-est syrien sous contrôle kurde. Les auteurs déplorent «l'inaction» des gouvernements concernés (AFP).
Enfin, le Rojava continue de lutter contre la pandémie de coronavirus. Des sources médicales locales, dont certaines liées à l’OSDH, tirent la sonnette d’alarme devant une propagation de plus en plus inquiétante dans une région dont le système de santé a été très dégradé par le conflit et qui depuis la fermeture des principaux points de passage ne bénéficie quasiment plus d’aucune aide extérieure. Selon les sources de l’OSDH, plus de 3.300 cas ont été détectés à Kobanê, où de plus de nombreux civils présentent les symptômes. Les mêmes sources font état d’un nombre de cas atteignant les 9.200 dans les villes et régions d’Hassaké, Deir Ezzor et Raqqa. Au 23, les cas d’infection confirmés en territoire AANES dépassaient les 12.500, dont 510 malades décédés. Mais l’AANES ne dispose pas des moyens qui lui permettraient de tester massivement tous les patients symptomatiques, ce qui empêche d’avoir un tableau clair de l’épidémie.
---
La Région du Kurdistan s’est trouvée projetée en plein cœur du conflit opposant l’Iran et les États-Unis sur le sol irakien lorsque six roquettes lancées du district de Bartela, dans la province de Mossoul, sont tombées le soir du 30 septembre non loin des bases de la Coalition internationale anti-Daech, près de l’aéroport d’Erbil. Cette attaque, qui heureusement n’a pas fait de victimes, provenait d’un district contrôlé depuis octobre 2019 par des milices pro-iraniennes. Elle répondait très probablement aux récentes déclarations américaines selon lesquelles l’ambassade américaine en Irak pourrait être transférée dans la capitale du Kurdistan si le gouvernement irakien ne parvenait pas à faire cesser les frappes visant les intérêts américains dans le pays. La présidence de la Région du Kurdistan a publié dès le 1er octobre un communiqué la caractérisant comme «un acte d'agression contre le peuple de la région du Kurdistan et ses alliés dans la guerre contre le terrorisme» et appelant à l’unité d’action entre «la Région du Kurdistan et l'Irak, les peshmergas, l'armée irakienne et les Forces de mobilisation populaire (Hashd al-Shaabi) […] pour prévenir tous les actes de sabotage perpétrés par des groupes de saboteurs». Le communiqué se termine par l’expression du soutien au Premier ministre irakien Mustafa Al-Kadhimi.
Les Américains sont loin d’être les seuls à s’inquiéter de la situation sécuritaire: le 30 septembre, des diplomates de 28 pays ont rencontré le Premier ministre et publié une déclaration commune faisant état de leur «profonde inquiétude devant l’accroissement du nombre et de la sophistication des attaques visant les missions diplomatiques» dans le pays. Devant une pression internationale de plus en plus forte, le gouvernement irakien a annoncé que le commandant chargé de la protection de la Zone Verte, où se trouvent les ambassades, avait été limogé, et que 19 responsables de sécurité chargés des zones d’où provenaient les roquettes avaient été arrêtés. Reste à voir si ces mesures seront suffisantes pour faire stopper les tirs – et si elles rétabliront la confiance des diplomates étrangers…
Les Américains ont aussi suggéré aux dirigeants kurdes qu'ils pourraient maintenir ouvert le consulat d'Erbil, si tant est que des relations diplomatiques puissent alors subsister entre Washington et Bagdad, et que Bagdad donne son accord à ce maintien… (Rûdaw) Mais une fermeture de l’ambassade américaine à Bagdad porterait sans nul doute un coup sévère au statut international de l’Irak, d’autant plus qu’elle pourrait provoquer d’autres départs…
Parallèlement, le service du contre-terrorisme du Gouvernement Régional du Kurdistan (GRK) a nommément accusé le Hashd al-Shaabi d’être responsable des tirs de roquettes (Reuters), tandis que l’ancien ministre irakien des Affaires étrangères et haut dirigeant du PDK Hoshyar Zêbarî estimait que «la mission première du nouveau gouvernement [était] de nettoyer la Zone Verte de cette présence milicienne, qualifiée de «force hors-la-loi». Bien que Zebari se soit ensuite excusé, ces déclarations ont provoqué la colère des pro-iraniens. Considérant ses excuses comme «tardives», plusieurs centaines d’entre eux le 17 ont pris d’assaut et incendié le siège du PDK dans le centre de Bagdad, brûlant également le drapeau kurde. En soirée, le Premier ministre irakien a réuni en urgence le Conseil de la sécurité nationale, dénoncé l'attaque et annoncé «15 arrestations» et l'ouverture d'une enquête pour déterminer si les forces de sécurité avaient failli à leur mission de protection du QG du PDK (AFP).
Parallèlement, aussi bien l’Irak que le Kurdistan ont continué à se confronter à la pandémie de COVID-19, qui n’a montré aucun signe d’apaisement. Le 1er octobre, Le ministère irakien de la santé a annoncé plus de 4.400 nouveaux cas ainsi que 50 décès au cours des dernières 24 heures portant le nombre de victimes à 9.200 depuis le début de l’épidémie. Le même jour, le Kurdistan annonçait 684 nouveaux cas et 21 décès, pour un total de plus de 48.000 cas et 1.770 décès depuis le début de la pandémie en mars… Au 15, le Kurdistan a battu un triste record en annonçant 974 nouveaux cas en 24 h, pour un total de 59.251, avec 28 décès, pour un total de 2.088 depuis mars. Le 27, même le chiffre du 15 a été dépassé avec l’annonce de 1.597 infections en une seule journée, avec un total de 71.752 cas. La veille, les autorités kurdes avaient annoncé que toute personne sortant sans masque se verrait infliger une amende de 20.000 dinars (une douzaine d’euros). Au 30 octobre, on comptait 1.002 nouveaux cas détectés et 25 décès, pour des totaux respectifs de 75.336 cas et 2.431 décès… (Kurdistan-24)
La situation sanitaire a également un grave impact économique au Kurdistan et dans l’ensemble de l’Irak. En début de mois, le parlement d’Erbil a consacré une session à celui-ci, et notamment aux retards de paiement des fonctionnaires du GRK, en présence du Premier ministre Masrour Barzani et du vice-premier ministre Qubad Talabani. Le grave déséquilibre budgétaire irakien causé par la pandémie a aussi des conséquences au Kurdistan, le gouvernement central rencontrant des difficultés à lui verser sa part du budget national. Si celui-ci a bien été versé en septembre, l’incertitude planait en début de mois sur octobre et les mois suivants, au cas où le parlement de Bagdad ne parviendrait pas à approuver les demandes de prêts de Bagdad à l’international (WKI). Selon la Banque mondiale, l'économie irakienne est l'une des plus dépendantes du pétrole au monde. Le GRK n’a pas su profiter des années fastes de 2004 à 2014 pour diversifier ses investissements, ce qui signifie que la chute vertigineuse des cours du brut et la pandémie de Covid-19 «pourraient mener à l'effondrement économique et à un nouveau cycle de violence», prévient l'institution. Elle dénonce également, comme dans le reste de l’Irak, le trop grand nombre de postes de fonctionnaires attribués pour s'assurer des fidélités électorales: 1,2 millions pour 5 millions d’habitants. Le GRK ne parvient plus à régler leurs salaires: depuis janvier, il n'a pu en payer que six mois, et a été contraint en juin d'amputer ceux excédant 250 dollars par mois. Tandis que la dette extérieure s’accumule, la chute du cours des monnaies turque et iranienne, alors que le dinar reste indexé sur le dollar, nuit à la compétitivité des entreprises et agriculteurs kurdes sur leur propre sol (AFP).
La situation ne devrait malheureusement pas s’améliorer rapidement: le 30 au soir, le GRK a annoncé dans un communiqué avoir dû suspendre ses exportations de brut après que des «terroristes» ont attaqué l’oléoduc reliant le Kurdistan au port turc de Ceyhan. Le communiqué ne précise pas si l’explosion a eu lieu sur son sol ou sur le sol turc (Le Monde).
Dans ce contexte économique difficile, les critiques du gouvernement fédéral comme du GRK se multiplient, mais elles peuvent entraîner des mesures de rétorsion. Le Comité pour la protection des Journalistes (Committee to Protect Journalists, CPJ) a attiré l’attention en fin de mois dans son rapport 2020 sur la dégradation de la situation de cette profession en Irak, pays qu’il a classé le 3e dans le monde pour l’impunité des assassinats de membres de la presse. Selon Reporters sans frontières, quatre journalistes et deux assistants ont été tués en Irak cette année. Les journalistes ont été pris pour cible dans tout le pays depuis le début du mouvement de protestation en octobre 2019, et plus particulièrement ceux qui osent être critiques de l’Iran voisin… Au Kurdistan également, les journalistes courent des risques. Un cameraman de Kurdistan TV, Arkan Sharifi, a été poignardé à mort par des hommes masqués au lendemain du référendum sur l'indépendance de la région du Kurdistan en octobre 2017. Le journaliste Guhdar Zebari a été arrêté à Akre et emmené dans un lieu inconnu après avoir reçu des messages de menace, rapporte le CPJ (Rûdaw). C’est aussi ce qui est arrivé au rédacteur en chef du mensuel Bashur («Sud»), Sherwan Sherwani, connu pour ses articles critiques, et pour lequel le CPJ exprimait aussi son inquiétude (AFP).
Parallèlement, les Kurdes d’Irak sont toujours confrontés aux tentatives d’arabisation dans les territoires disputés. Le 3, le Premier ministre Masrour Barzani a dans son discours devant le parlement tiré de nouveau la sonnette d’alarme concernant la situation à Kirkouk: «La politique d'arabisation se poursuit malheureusement très intensément», a-t-il déclaré, indiquant que les discussions avec Bagdad étaient constantes à ce propos et annonçant l’envoi prochain d’une nouvelle délégation vers la capitale irakienne. Un des secteurs menacés est l’éducation en langue kurde. Depuis la reprise de contrôle de ces territoires en 2017 par les forces de sécurité fédérales, de nombreuses familles kurdes, mais aussi des enseignants, ont préféré partir vers les territoires contrôlés par le GRK, et plus récemment, les retards de paiement des salaires ont découragé des enseignants. Cette situation a entraîné à la fois une baisse des effectifs et une pénurie d’enseignants. Ainsi à Touz Khourmatou, à 45 km au sud de Kirkouk, le nombre d’élèves des écoles kurdes est tombé de 8.000 à 6.000, et le nombre d’enseignants 650 à 550 (Rûdaw)…
Une lueur d’espoir dans la possibilité de parvenir à un accord entre Erbil et Bagdad à propos de ces régions est venue de l’annonce le 9 d’un accord administratif sur la gestion du district du Sinjar (Shingal), dans la province de Ninive. Le Premier ministre irakien comme le ministre de l’Intérieur du Kurdistan ont tous deux déclaré espérer que cet accord de normalisation, dont le contenu précis n’a pas été indiqué, permettrait enfin le rétablissement de la stabilité, le lancement de la reconstruction et le retour dans leurs demeures des habitants yézidis de cette région. Selon une déclaration du bureau du Premier ministre du GRK, Masrour Barzani, «Les deux parties ont convenu que Shingal sera gouverné conjointement en termes d'administration, de sécurité et de services. Cet accord est un début pour la mise en œuvre de l'article 140 de la constitution». De son côté, Mustafa Al-Kadhimi s’est engagé à tenter de retrouver les 2.880 Yézidis toujours portés disparus depuis leur enlèvement par Daech en 2014 (Rûdaw).
En contraste, de nouvelles attaques des djihadistes de Daech sont venues assombrir la perspective sur ces territoires en fin de mois. Le 20 notamment, ils ont abattu trois jeunes Kurdes, deux frères et leur cousin, près d’un village de la province de Kirkouk situé entre les lignes des pechmergas et des militaires irakiens, avant de brûler les corps (Kurdistan-24). La semaine suivante, ils ont diffusé des photos de leur attentat. À Makhmour, contrôlée par les forces irakiennes, un père et ses trois fils ont été tués quand une bombe artisanale a détruit leur véhicule. Le 26, la coalition anti-Daech a lancé dans le même district plusieurs frappes aériennes qui ont neutralisé quatre djihadistes (WKI).
Dernier facteur d’instabilité au Kurdistan d’Irak, la poursuite des opérations et des frappes aériennes des militaires turcs, parfois rejoints par leurs homologues iraniens. «Tous les jours, on voit des drones, tellement bas qu'on les distingue à l'œil nu», a déclaré à l'AFP Mohammed Hassan, maire de Qandil, non loin du sanctuaire montagneux du PKK. Les drones jouent en effet un rôle de plus en plus important, surtout depuis que la Turquie s’est dotée de moyens de les fabriquer localement pour un coût beaucoup moins élevé, comme les Bayraktar TB2, et ils causent de nombreuses pertes civiles. En début de mois, les frappes turques ont provoqué l’évacuation de cinq nouveaux villages près de Zakho. Le 11, le PKK a annoncé la mort en septembre dernier du commandant Vahdettin Karay, connu sous le nom de guerre d’Agit Civyan. Il avait joué un rôle important en août 2014 pour défendre les Yézidis attaqués par Daech au Sinjar. Selon le communiqué de la guérilla, Civyan a été tué le 11 septembre avec deux autres combattants dans une zone rurale de la province de Van par une frappe aérienne à la fin d’une opération contre un poste militaire turc au cours de laquelle l’armée turque a perdu 10 hommes.
---
Les Kurdes ont une connaissance douloureuse de la manière dont l’Iran peut utiliser contre eux le terrorisme d’État hors de ses frontières: ils n’ont pas oublié en particulier les assassinats des leaders du Parti Démocratique du Kurdistan d’Iran (PDKI), Abdul-Rahman Ghassemlou et Sadiq Sherefqandî, respectivement en 1989 à Vienne et en 1992 à Berlin, tous deux perpétrés par des «diplomates» de la République Islamique. Plus récemment, en 2018, les Gardiens de la révolution ont frappé à l’aide de missiles le QG de ce même PDKI à Koya, au Kurdistan d’Irak, faisant au moins onze victimes et une quarantaine de blessés.
Toute force d’opposition iranienne peut aussi être visée à l’étranger, comme vient de le rappeler ce 10 octobre la publication des conclusions de l’enquête menée en Belgique sur la tentative d’attentat contre une réunion du Conseil national de la résistance iranienne (CNRI), une coalition d’opposition dominée par les Moudjahidine du Peuple. Celle-ci, qui s’était tenue le 30 juin 2018 à Villepinte, près de Paris, devait être frappée non par un missile, mais par une bombe télécommandée à base de peroxyde d’acétone (TATP). L’attentat a été déjoué in extremis, à Bruxelles, le jour où la bombe devait être acheminée en France, et les enquêteurs belges ont conclu que l’engin était «l’œuvre d’un professionnel»: le «diplomate» iranien Assadolah Assadi, qui avait suivi la formation ad hoc… Officiellement troisième secrétaire à l’ambassade de Vienne, il était surtout agent du «Département 312», un service du ministère du renseignement et de la sécurité classé comme organisation terroriste par l’Union européenne.
L’Iran, tout en niant toute implication et évoquant un «malentendu», s’est doté d’un moyen de pression et de «marchandage» pour obtenir la libération d’Assadi: l’arrestation en juillet 2019 et la condamnation en mai dernier de l’anthropologue franco-iranienne Fariba Adelkhah à cinq ans de prison, notamment pour «collusion en vue d’attenter à la sûreté nationale». Elle a été le 3 octobre placée provisoirement en résidence surveillée à Téhéran, sous contrôle d’un bracelet électronique (Le Monde).
L’affaire de Villepinte, qui aurait pu, vu la puissance de la bombe, faire des centaines de morts, n’est pas la seule à avoir attiré l’attention ce mois-ci. À Toronto, le meurtre d’un dissident iranien, Mohammad Mehdi Amin Sadeghieh, retrouvé chez lui le 21, a mené le milieu des dissidents iraniens au Canada et la police à se poser de nombreuses questions sur la possible implication d’un commando d’«experts gréco-romains» – la manière codée de désigner les tueurs à gages iraniens envoyés assassiner les dissidents dans le monde entier… Un autre Iranien en exil, le dentiste Hamed Esmaelion, qui a joué un rôle important dans la coordination des familles des victimes de l’avion ukrainien abattu au-dessus de Téhéran en janvier, a témoigné avoir reçu des menaces de mort. Selon l’avocat Kaveh Shahrooz, qui était en contact avec Sadeghieh, de nombreux membres de la communauté irano-canadienne se sentent en danger. Selon les chiffres du Département d'État américain, depuis 1979, le régime iranien s’est rendu responsable de «pas moins de 360 assassinats ciblés dans d'autres pays» (Radio Farda).
L’Iran a continué en octobre à subir l’épidémie de COVID la plus grave du Moyen-Orient, ce qui a fait du pays depuis le début l’épicentre de la région… L’Organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran (OMPI) qui, en raison de la dissimulation de la gravité de la situation par les autorités, compile ses propres chiffres à partir de données régionales, a estimé le 1er du mois que le virus avait fait au 30 septembre plus de 112.800 décès dans 450 villes, dont 3.773 en Azerbaïdjan oriental et 2.512 à Kermanchah (CNRI). À Tabriz, le responsable des cimetières a déclaré qu’au cours des trois derniers jours, le nombre de décès dus au coronavirus avait été supérieur au nombre total de décès ordinaires (IRNA)… Au 26, Radio Farda, qui fait également ses propres calculs, a cité un membre du Conseil médical suprême iranien, Hossein Gheshlaghi, qui a déclaré que le nombre de victimes de l’épidémie était «trois à quatre fois plus élevé que les chiffres officiels». Pour mémoire, au 24, le nombre officiel de décès dus au virus était de 32.320, ce qui signifierait un nombre réel au-delà de 129.000 – encore plus élevé que les estimations des Moudjahidine… Ce qui ajoute à la suspicion, c’est le refus du ministère de la Santé de présenter des statistiques séparées pour chacune des trente et une provinces d'Iran (Radio Farda). Au 31, l’OMPI estimait un total de plus de 138.300 décès dans 462 villes d’Iran, dont 4.062 en Azerbaïdjan Occidental, 2.456 au Kurdistan, 2.973 à Kermanshah et 1,139 à Ilam. Le 28, le président du parlement iranien avait annoncé qu'il avait lui aussi contracté le virus… (Kurdistan-24)
Malgré ce lourd contexte sanitaire, les forces de répression n’en ont pas moins continué à viser les porteurs kurdes transfrontaliers, ou kolbars, dont plus de 60, bien que non armés, ont été assassinés depuis le début de l’année. Le 2, près de Baneh, Hewa Zeraai, un kolbar de 28 ans a été tué et un autre grièvement blessé, tandis que les gardes-frontières iraniens en arrêtaient plusieurs autres. Deux autres porteurs ont été blessés près de Sardasht et de Nowsud. Le 6, les garde-frontière iraniens ont grièvement blessé un porteur kurde de Turquie près de Mako, et le 9 trois autres kolbars dans le Hawraman, à Nowsud et près de Sardasht. Le 13, un kolbar a trouvé la mort dans l’accident de son véhicule après une poursuite par les forces de sécurité près de Saqqez, et deux autres ont été blessés par balles près de Baneh. Le 14, les militaires iraniens ont visé un véhicule civil près de Kermanshah, tuant un jeune homme de 17 ans et blessant un autre passager. Selon l'Association des droits de l'homme du Kurdistan (KMMK), le véhicule a été attaqué parce qu'il n'avait pas de plaque d'immatriculation. Le 15, un porteur a été blessé près de Marivan. Enfin, un autre porteur a été tué le 17 près de Chaldiran quand son groupe a été pris dans une embuscade des garde-frontière. Le 24, un nouveau kolbar a été blessé près de Piranshahr et un autre, originaire de Baneh, le 25 près de la frontière Iran-Irak à Hangazhal. Enfin, en fin de mois, les militaires ont confisqué dans un raid 200 têtes de bétail dans la région de Hawraman, blessant selon le KMMK deux des propriétaires qui tentaient de fuir (WKI).
À côté de la répression économique visant les kolbars, victimes de la politique de discrimination économique du pouvoir mais considérés comme des contrebandiers, le régime a également poursuivi la répression politique au Kurdistan d’Iran.
À Marivan, des agents de l’Etelaat (service de renseignement) ont arrêté deux frères. Le 4, un prisonnier kurde d'Ouroumieh, déporté de Turquie après s’être vu refuser l’asile, s’est cousu les lèvres en protestation de son emprisonnement sans aucun procès pour dix mois. Plusieurs personnes se trouvent ainsi incarcérées illégalement au Kurdistan. À Sanandaj, la Sécurité a arrêté trois Kurdes pour «aide aux partis kurdes d'opposition», et le KMMK a rapporté que le cabinet de l’avocat et défenseur des droits humains Mokhtar Zeraai avait été fermé pour défaut d’affichage du portrait du Guide Suprême Ali Khamenei. Zeraai avait déjà été arrêté à plusieurs reprises, notamment en 2018 pour avoir justement critiqué Khamenei. Parallèlement, un résiddent de Kamyaran, Rostam Ibrahimi, a été arrêté pour «coopération avec un parti kurde d'opposition», et à Zahedan (Kermanshah), un étudiant religieux, Husam Abdullah, pour «atteinte à la sécurité nationale». À Ilam, une activiste kurde, Khadija Mehdipour, a été arrêtée par l’Etelaat et accusée de «propagande contre l’État». À Téhéran, c’est le peintre kurde Andesha Sadri qui a été arrêté le 6 (WKI).
Le 12, Amnesty International a lancé un appel à interpeler les autorités iraniennes à propos du risque d’exécution d’un Kurde de Sanandaj qui n’avait que 17 ans quand il avait été arrêté en mai 2010, Barzan Nasrollahzadeh (->). Accusé du meurtre d’un religieux sunnite, le jeune homme a été torturé pour le forcer à avouer, privé d’avocat durant trois ans, avant d’être convaincu d’«inimitié avec Dieu» (moharebeh), ce qui entraîne la peine de mort. L’ONG rappelle que, «en tant qu’État partie à la Convention relative aux droits de l’enfant et au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), l’Iran est tenu légalement de ne pas recourir à la peine de mort contre des personnes âgées de moins de 18 ans au moment du crime dont elles sont accusées» (Amnesty International, Rûdaw).
La semaine suivante, d’autres arrestations ont eu lieu à Sardasht, Bokan, et Oshnavieh. Il n’y a pas eu d’accusations officielles, mais il est clair que toutes ces personnes ont été visées pour leurs affiliations politiques. Plusieurs organisations de défense des droits de l'homme ont d’ailleurs dénoncé des détentions illégales de nombreux militants kurdes, dont Farshad Fatahi, détenu depuis plus d'un mois, et Khabit Mafakhary, détenu depuis 55 jours… À Saqqez, le 21 octobre, un Kurde du nom de Hassan Qadir Nazhad a été arrêté. À Téhéran, le 23, la Sécurité a arrêté une militante kurde de l'Ilam, Somaia Kargarian, dont elle a confisqué les appareils électroniques. Le 29, quatre prisonniers accusés de meurtre ont été exécutés à Ouroumieh. Les exécutions ont pris place à l’intérieur de la prison centrale. Selon KHRN (Kurdistan Human Rights Network), il s’agit de Yasser Cheshmeh Anvar, Ali Malekzadeh, Zinolabedin Hosseinzadeh et Musa Rahmani. En 2018, les Kurdes représentaient 28 % des personnes exécutées en Iran, alors qu’ils ne constituent qu’environ 15 % de la population.
Enfin, mentionnons la situation de l’avocate et défenseuse des droits humains emprisonnée Nasrin Sotoudeh, particulièrement visée par la vindicte du pouvoir pour avoir accompli son travail. Entrée en grève de la faim le 11 août dernier pour dénoncer les conditions sanitaires de détention des prisonniers politiques dans le pays, elle avait dû abandonner celle-ci le 26 septembre en raison de la détérioration de son état de santé. Hospitalisée en urgence le 19 septembre, elle avait été renvoyée dès le 23 dans la sinistre prison d’Evin, une décision qui avait choqué même les médecins de la prison. Le 13, son mari, Reza Khandan, a donné des informations supplémentaires sur la situation de son épouse. Il a indiqué que les médecins de la prison avaient été «choqués» qu'elle ait été renvoyée en prison dans son état, et «avaient protesté avec force», car durant son hospitalisation, de graves problèmes cardiaques avaient été identifiés. Khandan a également rapporté que durant son hospitalisation du 19 au 23 septembre, Sotoudeh avait été laissée jour et nuit à proximité de plusieurs gardiennes qui se sont ensuite révélées positives au COVID-19. Il a aussi déclaré que les médecins extérieurs à l'hôpital qui ont examiné ses tests ont déclaré considérer son renvoi en prison comme «une tentative délibérée de mettre sa vie en danger». Le 20, Khandan a indiqué que Sotoudeh avait été transférée vers la prison de Qarchak, près de Varamin, à 30 km au sud de Téhéran, connue comme l’une des prisons les plus dangereuses et inhumaines du pays. L’administration pénitentiaire a fait croire à la prisonnière qu’elle était envoyée à l’hôpital pour passer une angiographie, mais à la place, elle a été transférée à Qarchak. «Le transfert n'a pas été annoncé par les autorités pénitentiaires, mais par Nasrin elle-même, qui a été autorisée à passer un bref coup de téléphone pour annoncer la nouvelle», a déclaré Khandan (CHRI).
---