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Bulletin N° 431 | Février 2021

 

 

TURQUIE: LA MORT DE 14 PRISONNIERS TURCS EN IRAK SERT DE PRÉTEXTE À LA RELANCE DE LA RÉPRESSION INTÉRIEURE

La Turquie vit décidément un début d’année difficile. La crise économique a des conséquences sociales dramatiques, et au plan sanitaire, malgré tous les efforts de dissimulation du gouvernement AKP, l’épidémie du COVID-19 poursuit son extension de manière de plus en plus visible. Isolé à l’international, contesté à l’intérieur, le Président turc tente de regagner sa popularité à coups d’opérations militaires extérieures tout en intensifiant tentatives de contrôle de la société civile et répression tous azimuts. Les provinces kurdes du pays sont les laissées-pour-compte aussi bien de la pandémie que de l’économie; selon les propres chiffres du ministère de la Santé, elles ont jusqu’à trois points de retard sur la moyenne nationale pour la vaccination… (Ahval)

Pour sauver son pouvoir, M. Erdoğan voulait flatter l’extrême-droite par un succès militaire tout en imposant le silence à ses opposants. Mais ses dernières tentatives ont dérapé. Sa tentative début janvier pour contrôler l’université Boğazici (Université du Bosphore) a suscité un mouvement de résistance universitaire sans précédent depuis 2016, et le conflit de Boğazici est rapidement devenu dans tout le pays une bataille pour les libertés universitaires. Quant à l’opération militaire fétiche du Président turc au Kurdistan d’Irak, participant de sa politique régionale «néo-ottomane», elle s’est soldée mi-février par un fiasco catastrophique: la mort de treize prisonniers turcs du PKK plus que probablement tués par les gaz de leurs propres compagnons d’armes dans la grotte où ils étaient retenus…

À Istanbul,  la nomination autoritaire de Melih Bulu comme recteur de l’université Boğazici ne passe décidément pas. La seule «qualité» académique de ce membre de l’AKP, surtout connu pour son soutien à l’invasion d’Afrîn en 2018 (->), est d’être soupçonné de plagiat dans ses travaux, dont  sa thèse… Le 3 février, le corps enseignant de Boğazici a dénoncé sa nomination dans un communiqué révélateur: «Nous n’acceptons pas cette violation flagrante de l’autonomie, de la liberté scientifique et des valeurs démocratiques de notre université». C’est que Boğazici, l’une des universités publiques les plus anciennes et prestigieuses du pays, a une histoire de résistance à la dictature remontant aux années 90, quand elle avait réussi à empêcher la nomination d’un recteur et imposé le résultat d’une élection interne. Puis elle avait provoqué un scandale pour «haute trahison» en coorganisant un colloque sur la situation des Arméniens dans l’Empire ottoman d’avant 1915 (Libération)

La répression des étudiants qui refusaient le «recteur-kayyum» (administrateur nommé, en référence aux municipalités kurdes) a pourtant été féroce: bouclage de tout le quartier, tabassage et usage de gaz lacrymogènes et de balles de défense par la police. L’AKP et le MHP, son allié d’extrême-droite, ont hurlé au nouveau «Gezi» et au «défi terroriste». Le 1er février, le campus s’est transformé en camp retranché, avec des tireurs d’élite déployés sur les toits des bâtiments. Plusieurs députés HDP, dont Hüda Kaya, se sont vus interdire l’accès. 159 étudiants ont été arrêtés, dont 98 libérés le lendemain. Le ministre turc de l’intérieur, Süleyman Soylu, a tweeté : «Devrions-nous tolérer que les dégénérés LGBT insultent la sainte Kaaba et tentent d’occuper le rectorat? Certainement pas!». Son message a été supprimé par le réseau social pour insulte.

Les habitants du quartier de l’université, qui ont klaxonné et frappé des casseroles, mais aussi les avocats ou les artistes – les opposants en général – ont apporté leur soutien aux étudiants. Le 2, des enseignants se sont rassemblés sous les fenêtres de Bulu en criant «démission». Aucun n’a voulu postuler pour devenir vice-recteur. Plus grave pour le pouvoir, les manifestations se sont étendues à Ankara, ou 69 personnes ont été arrêtées. Le 3, après de nouveaux affrontements toujours émaillés de brutalités policières, le leader du MHP Devlet Bahceli a traité les manifestants de «serpents venimeux, vandales et barbares» (Duvar). Ces déclarations, les propos homophobes et anti-LGBT d’Erdoğan, ainsi que les violences policières, n’ont fait que renforcer la détermination des protestataires.

Les États-Unis ont fait part de leur «préoccupation» à propos des arrestations d’étudiants et ont condamné la «rhétorique anti-LGBT» des autorités, tout comme plusieurs dirigeants de la Commission européenne et le Bureau des Droits de l'homme des Nations Unies. Le 4, le ministre turc des Affaires étrangères a sèchement rejeté ces critiques d’«affaires intérieures à la Turquie» qui «encouragent des actions illégales». Le 5, M. Erdoğan, reprenant l’attitude provocatrice qui lui vaut le soutien de l’extrême-droite, a ordonné la création de facultés de droit et de communications à Boğazici, une manière de contourner les enseignants des départements existants, nommant dans le même temps onze recteurs d’universités dans tout le pays. En réponse, les étudiants de Boğazici ont fait connaître leurs revendications dans une lettre ouverte au Président, commençant par la phrase: «Vous n'êtes pas un sultan, et nous ne sommes pas vos sujets». Ils demandent la libération immédiate de toutes les personnes arrêtées, la démission de tous les administrateurs universitaires nommés, à commencer par Bulu, et la tenue d’élections universitaires démocratiques.

Après que M. Erdoğan a insulté publiquement l’économiste Ayşe Buğra, enseignante à Boğazici mais aussi épouse de l’activiste Osman Kavala, prisonnier politique depuis 2017, près de 140 économistes turcs ont signé un message commun pour défendre celle-ci, se déclarant «fiers et honorés» de l’avoir comme collègue. Le Président turc l’avait accusée d’être «parmi les provocateurs à l’Université Boğazici». Le 10, on comptait onze arrestations d’étudiants, dont quatre pour lesquels les charges n’étaient pas connues. Le 11, un étudiant a été à la fois assigné à résidence avec port d’un bracelet électronique et condamné à se présenter une fois par semaine au commissariat, deux ordres impossibles à respecter simultanément. Les étudiants rassemblés en soutien aux accusés devant le tribunal, transformé en véritable camp retranché, ont été frappés et  incarcérés par la police. Les manifestations ont rassemblé enseignants, syndicalistes et membres d’associations de la société civile. Au moins 565 personnes ont été incarcérées (Duvar). Malgré cette violente répression, le mouvement s’est propagé à Ankara, Izmir et Adana, et 147 intellectuels, dont le Prix Nobel de littérature Orhan Pamuk, ont publié une lettre de soutien aux étudiants. Au 11, on comptait plus de 600 arrestations depuis le début du mouvement le 4 janvier (Le Monde).

Simultanément, le pouvoir a aussi attaqué une autre institution académique prestigieuse d’Istanbul: l’université francophone de Galatasaray. Suite au refus récent de deux fédérations islamiques turques de France de signer la «Charte des principes pour l’islam de France» et aux tensions qui ont suivi, les enseignants français de l’université doivent maintenant obtenir un diplôme de maîtrise de la langue turque, une mesure en miroir de ce qui est demandé aux imams turcs en France… Il y a quelques mois, un éditorialiste du quotidien islamiste Yeni Akit se scandalisait: «On trouve treize lycées et une université francophone en Turquie, où l’on apprend la langue française et où l’on impose la culture française à notre jeunesse. Les agents de Macron viennent recruter des enfants issus de notre terre d’Anatolie pour en faire des admirateurs de la France. Il faut mettre fin à cet impérialisme éducatif» (Courrier International). Cette charge est à rapprocher de celle lancée le 5 février contre Boğazici par le chroniqueur Ömer Lekesiz dans le journal pro-AKP Yeni Safak: «Boğazici est la dernière forteresse de l’oligarchie intellectuelle pro-occidentale. Ni l’université ni l’État ne seront tranquilles tant que ce bastion ne sera pas détruit» (le Monde). Ce sont les libertés académiques que vise clairement le pouvoir turc, et il ne sera en effet tranquille que lorsqu’elles auront été détruites. À noter que Galatasaray avait commencé à soutenir Boğacizi…

Parallèlement, le pouvoir a poursuivi sa répression antikurde. Après l’arrestation de 30 participants d’un meeting à Batman le 29 janvier, durant la première semaine de février, deux responsables de jeunesse du HDP ont été condamnés à des peines de prison pour «direction d’une organisation terroriste» après deux semaines de détention préventive. Tandis qu’un tribunal de Diyarbakir condamnait un ancien responsable du DBP à six ans et trois mois de prison pour «appartenance à une organisation terroriste», à Ankara, un autre tribunal rejetait de nouveau la demande de libération de Selahattin Demirtaş par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), la qualifiant de «non contraignante »… (WKI) Puis en deux jours à peine, du 10 au 12, au moins 143 personnes, pour la plupart des jeunes partisans du HDP et des avocats, ont été placées en garde à vue à Istanbul, Adana, Bursa, Kocaeli, Gaziantep et dans d’autres provinces. Au moins 60 mandats d’arrêt ont été émis à Gaziantep (Rojinfo).

Au même moment, une vaste opération militaire était lancée dans la région du Mont Garê, au nord du Kurdistan irakien, avec 41 bombardiers, plusieurs dizaines d’héli­cop­tères, des drones, des milliers  de soldats et des centaines de commandos aéroportés. Le but affiché: «nettoyer cette région des derniers résidus du PKK». Mais M. Erdoğan espérait surtout un double coup d’éclat politique: l’annonce triomphale de la libération de 13 prisonniers de guerre détenus par le PKK depuis 2015-2016 et la capture de plu­sieurs dirigeants de ce parti, morts ou vifs. En réalité, l’opération s’est terminée en un véritable fiasco. Malgré une préparation de quatre jours de bombardements intensifs par une quarantaine d’avions militaires, qui ont surtout détruit plusieurs villages de la zone, la guérilla a conservé ses moyens, et les commandos turcs, isolés les uns des autres dans un difficile terrain accidenté, sont devenus des cibles. Au lieu de la «bonne nouvelle» attendue, le ministre de la Défense Hulusi Akar a dû annoncer la nuit du 12 la mort de trois soldats et surtout de «13 citoyens turcs civils exécutés par le PKK». Après ce résultat, les opérations dans la région ont été interrompues. Dans l’hystérie antikurde qui a suivi, on a appris que les soi-disant civils décédés étaient des militaires, des policiers et des membres du renseignement…

Arguant avoir toujours libéré ses prisonniers dans le passé, le PKK a réfuté toute exécution. Selon la guérilla, les commandos turcs ont utilisé massivement des gaz pour neutraliser les défenseurs d’une grotte qu’ils pensaient être le QG du commandement local du PKK. Mais quand ils sont ensuite entrés dans la grotte, ils y ont découvert les cadavres des 13 prisonniers turcs et de six gardiens du PKK morts asphyxiés. Pour camoufler ce désastre, ils ont tiré des balles dans la tête des morts… Si l’armée turque a annoncé 48 morts du PKK, le parti kurde a admis la perte de 15 combattants et revendiqué l’élimination d’une trentaine de soldats turcs.

Qui dit vrai ? Il faut remarquer que la Turquie s’est bien gardée d’autoriser une autopsie des 13 victimes, préférant les enterrer à la va-vite… De son côté, on sait que, depuis le début de sa guérilla en 1987, le PKK a libérés sains et saufs et sans aucune contrepartie près de 350 militaires et policiers turcs qu’il avait capturés, grâce à la médiation des ONG et des représentants politiques locaux. Il semble bien que la responsabilité politique du massacre doive être portée par le pouvoir turc – et la responsabilité militaire par la brutalité des méthodes de l’état-major turc, qui depuis le début de ses opérations au Kurdistan d’Irak, ne cesse de démontrer son mépris pour la protection des vies civiles.

Mais cet affreux dénouement a permis, une fois de plus, à M. Erdoğan de détourner l’attention des problèmes de l’heure – et des protestations étudiantes – en excitant la haine antikurde. Le ministre de l’Intérieur, Suleyman Soylu, a donné le ton par un tweet hystérique: «Que cette nation et nos martyrs crachent à notre figure si nous ne capturons vivant Karayilan [l’un des commandants du PKK] et ne le dépeçons pas en mille morceaux !». Le prétexte était tout trouvé pour relancer la répression du HDP, dont 718 membres ont été arrêtés en une nuit dans une quarantaine de provinces. Leur crime:  avoir mis en doute sur les réseaux sociaux la version officielle du massacre, avoir demandé une autopsie des victimes ou l’ouverture d’une enquête parlementaire…

Dès le 14 en effet, le HDP a exprimé ses condoléances aux familles des victimes dans un communiqué (->) où il rappelait avoir pris contact avec elles dès 2015 et tenté très tôt d’organiser des négociations pour obtenir une libération, comme cela avait pu être fait dans de nombreux cas antérieurs. Malheureusement, le gouvernement avait refusé de coopérer à cette entreprise «pour sauver la vie et assurer la liberté de ses propres fonctionnaires, perdus dans une opération militaire sans but ni objectif précis». Le communiqué concluait: «Le gouvernement n'est pas en mesure de demander des comptes à notre parti, au contraire, c’est le gouvernement qui doit être tenu pour responsable devant les familles des captifs et le public». Enfin, le HDP appelait à un accès sur les lieux du drame pour permettre une enquête internationale indépendante, tout en demandant au PKK de libérer les prisonniers qu’il détenait encore, «leur vie ne [devant] pas être laissée à la merci du hasard dans ce conflit».

Le département d’État américain a à son tour exprimé des doutes quant à la version officielle d’Ankara, indiquant que «si les informations sur la mort de civils turcs aux mains du PKK […] se confirment, nous condamnons ces actions dans les termes les plus forts», provoquant la convocation le 15 de l’ambassadeur américain à Ankara (AFP). Le président turc, mis en rage, a rejeté la responsabilité des morts sur le HDP et les États-Unis… (New-York Times)

Kemal Kiliçdaroğlu, le dirigeant du CHP (opposition kémaliste), a également mis en cause le Président turc pour avoir choisi la force plutôt que la négociation, déclarant: «Le responsable de la mort de nos 13 martyrs, c'est Recep Tayyip Erdogan». Celui-ci a choisi le 18 de le poursuivre en justice. Et le 21, le bureau du procureur d’Ankara a ouvert une enquête contre la députée HDP d’Ağrı, Dirayet Dilan Taşdemir, pour «appartenance à une organisation terroriste»: elle se serait rendue dans la région  de la grotte (AFP). Parallèlement, des procureurs turcs ont annoncé leur intention de demander, dans le cadre de l’enquête sur les manifestations pour Kobanê en octobre 2014, la levée de l'immunité parlementaire de neuf autres députés HDP, dont sa coprésidente Pervin Buldan (WKI). Outre celle-ci, sont visés par cette demande les députés Garo Paylan, Huda Kaya, Sezai Temelli, Pero Dundar, Fatma Kurtulan, Serpil Kemalbay, et les vice-présidents du groupe parlementaire Meral Danis Bestas et Hakkı Saruhan Oluç. Le 22, le HDP a rendu compte d’une aggravation de la répression à son encontre, en donnant plusieurs exemples comme le passage à tabac le 12 de l’ancienne co-maire de Hakkari, Dilek Hatipoğlu: déshabillée de force à son arrivée à la prison de Van, elle a été battue au point d’être incapable d’assurer sa défense le 19 au tribunal… (HDP)

En fait, le 24, le Président du parlement, Mustafa Sentop, a annoncé que l’assemblée avait reçu la veille 33 demandes de levée d'immunité parlementaire, sans préciser de noms (AFP), et le lendemain, le ministère de la Justice a finalement demandé la levée de l’immunité de 25 députés de l’opposition, visés par des enquêtes judiciaires. Parmi eux, 20 élus du HDP sont accusés de soutien au «terrorisme» (Le Monde). Le 28, Hevidar Dinç, coprésidente du HDP de Nusaybin (Mardin), un membre des Jeunes du HDP et un membre d’une association culturelle kurde ont été arrêtés à Kızıltepe et Nusaybin (RojInfo). Simultanément, la police a arrêté à Diyarbakir et Istanbul une vingtaine de personnes, pour la plupart des membres du HDP (WKI).

Parallèlement, la persécution des journalistes s’est poursuivie. Les juges ont rendu le 15 une décision surprenante de condamnations avec sursis dans l’affaire du journal Özgür Gundem pour trois journalistes et l’avocate Eren Keskin, sa co-rédactrice en chef et coprésidente de l’Association des droits de l’homme İHD; mais les charges retenues provoquent l’inquiétude, puisqu’il s’agit de l’«appartenance à une organisation terroriste»… (SCF) Des actes d’accusation ont aussi été dressés contre les journalistes de l’agence de presse féminine Jin News, Şehriban Abi et Nazan Sala, ainsi que contre la correspondante de l’Agence de presse Mezopotamya (MA) Zeynep Durgut, qui risquent de 13 à 15 ans de prison (RojInfo).

Le 16, l’ancien chef du service des renseignements de l’état-major, le général Ismail Hakki Pekin, a reconnu à demi-mot le rôle de la Turquie dans l’assassinat en 2013 des trois militantes kurdes de Paris, Sakine Cansız, Leyla Şaylemez et Fidan Doğan. Suite à la mort des 13 prisonniers turcs en Irak, il a appelé Ankara sur CNN Türk à cibler les militants kurdes en Europe, indiquant: «Nous devons faire quelque chose dans ce sens en Europe. Cela a déjà été fait une fois à Paris» (Kurdistan au Féminin). Il y a de quoi s’inquiéter quand on sait à quel point le MIT (services secrets turcs), renforcé par Erdoğan l’été dernier, s’est montré actif en Europe ces derniers temps…

Les condamnations du pouvoir turc continuent à l’étranger. Le 10, le département d’État américain a demandé la libération immédiate d’Osman Kavala. À la mi-février, trois semaines après la transition aux États-Unis, ni le nouveau président américain ni son secrétaire d’État, Antony Blinken n’avaient encore pris contact avec leurs homologues turcs, le second qualifiant même la Turquie de «soi-disant partenaire stratégique»… À Washington, des membres du Congrès, démocrates comme républicains, demandent un durcissement à l’égard d’Ankara (Le Point). En Europe, la Cour européenne des Droits de l’homme (CEDH) a demandé à la Turquie de présenter sa défense pour la détention provisoire de l’ex-coprésident du HDP Selahattin Demirtaş, toujours incarcéré depuis novembre 2016 malgré plusieurs décisions de la CEDH demandant sa libération. Mais la CEDH serait sans doute plus crédible dans ses demandes si elle montrait par ailleurs plus de rapidité dans ses jugements: le 11 février 2021, la CEDH a son verdict dans l’affaire de la condamnation de 10 membres du parti kurde HADEP, qui lui avait été soumise… en 2007. Après 14 ans de procédure, elle a condamné la Turquie à payer à chacun d’entre eux… 1.500 € de dédommagement (SCF).

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ROJAVA: LA TURQUIE COUPABLE DE CRIME CONTRE L’HUMANITÉ, DANS LE SILENCE INTERNATIONAL

La Turquie continue à utiliser ses mercenaires pour mener son nettoyage ethnique antikurde dans les territoires du Nord syrien qu’elle occupe en flagrante violation du droit international. Fin janvier déjà, l’organisation «Syriens pour la vérité et la justice» (STJ) avait publié plusieurs rapports effrayants sur les faits et gestes de ces factions sinistres, dont certains combattants sont d’anciens membres de Daech (-> et ->). Ces djihadistes mènent leurs exactions en complète connaissance des forces d’occupation turques, qui les soutiennent en réprimant toute résistance des habitants. Ainsi à Rajo, dans le canton d’Afrin, la station de train a été transformée en prison et en centre de torture pour les Kurdes refusant d’obéir aux forces d’occupation. Le 7 février, des sources fiables ont informé l’Observatoire Syrien des Droits de l'Homme (OSDH) que des combattants de la «Brigade Samarqand» avaient mené des raids sur plusieurs maisons du village de Kafr Safra (Jendires) et arrêté cinq personnes pour des raisons inconnues. Le 22, l’OSDH a rapporté que police militaire installée par l’occupant turc avait arrêté deux civils d'Afrin, accusés d'avoir «été auparavant en relation avec l’Administration autonome». Enfin, un rapport de l'ONG Human Rights Watch (HRW), publié le 3, fait état du transfert illégal vers la Turquie d’au moins 63 citoyens syriens, arabes et kurdes, «arrêtés» en Syrie et condamnés de manière abusive à des peines extrêmement sévères, allant pour au moins cinq d'entre eux jusqu’à la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle. Les charges retenues contre ces personnes jugées selon le Code pénal turc bien qu’arrêtées sur le territoire syrien,  sont «atteinte à l'unité et à l'intégrité territoriale, [...] appartenance à une organisation terroriste et meurtre». Ankara les punit ainsi pour leurs liens présumés avec des groupes kurdes qui lui sont opposés. Condamnant ces transferts et qualifiant ces accusations  de «douteuses» et «vagues», HRW a rappelé dans son communiqué que, en tant que «puissance occupante », la Turquie est [selon la convention de Genève] «tenue de respecter [...] le droit relatif à l'occupation, y compris l'interdiction de la détention arbitraire et du transfert de personnes vers son territoire». Toujours selon HRW, au-delà des 63 transferts confirmés, des sources concordantes permettent d’estimer que près de 200 Syriens auraient pu subir le même sort et que les transferts se poursuivraient (AFP, Duvar).

Quant au nettoyage ethnique, considéré en droit international comme un crime contre l’humanité, il a commencé immédiatement après l’occupation et dure toujours dans tous les territoires contrôlés par l’armée turque et ses auxiliaires syriens, dont Afrin est le plus ancien. Dans un des derniers exemples en date, le 10, la chaîne kurde d’Irak Rûdaw a rapporté que les occupants avaient vidé de leurs habitants kurdes trois villages de la région d’Afrin, confisqué tous leurs biens, et détruit de nombreuses habitations. À la place des Kurdes expulsés, les occupants ont amené des Arabes originaires de Homs ou de la Ghouta de Damas. Sur l’un des trois villages, Şêxurza Jorîn, presque complètement détruit, c’est une base militaire turque qui a été installée, le cimetière du village, profané, ayant été arasé à la pelleteuse. Les oliveraies et les outils agricoles de leurs propriétaires kurdes ont également été détruits ou pillés: l’objectif est clairement d’empêcher tout retour. Les civils kurdes qui s’opposent à ces confiscations sont kidnappés, torturés, exécutés. Dans le canton d’Afrin, peuplé avant l’invasion turque de plus de 85% de Kurdes de tradition laïque et progressiste, les Arabes et Turkmènes islamistes implantés par les occupants turcs sont devenus majoritaires.

Ce processus de nettoyage ethnique est complété par l’intégration économique et administrative à la Turquie de la région occupée: le drapeau turc flotte sur les bâtiments, les écoles enseignent en arabe et en turc, les réseaux d’électricité et de téléphone ont été connectés à ceux de la Turquie. Les imams et prêcheurs des mosquées sont nommés et payés par la Direction turque des Affaires religieuses (Diyanet). La livre (lira) turque est devenue la monnaie d’échanges commerciaux. Les femmes ont disparu de l’espace public où les milices syriennes à la solde de l’armée turque font appliquer les règles de la charia islamique. La principale milice sévissant dans la région est Ahrar al-Sharqiya, formée en grande partie des anciens de Daech recyclés par les services turcs.

La Turquie use d’un double langage particulièrement cynique: d’une part, elle s’oppose à l’Administration autonome du Rojava (AANES) au nom de la défense de l’intégrité territoriale de la Syrie, mais d’autre part, dans les territoires qu’elle occupe, elle s’applique à créer un fait accompli en les repeuplant de ses partisans arabes et turcs pour que, le moment venu, ils se prononcent par referendum en faveur d’une annexion à la Turquie, comme cela s’est passé en 1939 dans le sandjak syrien d’Alexandrette (Iskenderun).

La confiscation des biens, la spoliation, les pillages, la torture, les assassinats des civils perpétrés depuis trois ans par les milices islamistes auxiliaires de l’armée turque sont des crimes de guerre caractérisés dont la responsabilité incombe à la puissance d’occupation qu’est la Turquie. Pourtant, lors de chacune des invasions turques et par la suite, la communauté internationale a détourné les yeux: à Afrin, comme les Kurdes refusaient le retour du régime, les Russes ont donné leur feu vert à Erdoğan pour lancer son opération «Rameau d’olivier» , tandis que les Américains se désintéressaient du sort de leurs alliés dans ce territoire où ils n’étaient eux-mêmes quasiment pas présents. En octobre 2019, à l’Est de l’Euphrate, le président américain Donald Trump, après un entretien téléphonique avec Erdoğan, a abandonné les Kurdes à l’armée turque en annonçant le retrait des troupes américaines de la frontière. En particulier, le 7 octobre, les bases américaines de Tall Abyad et de Ras al-Aïn ont été évacuées, laissant ainsi le champ libre aux Turcs pour leur opération «Source de paix», lancée deux jours plus tard. Là encore, la Russie a exercé son chantage pour obtenir le retour du régime de Damas. Dans les deux cas, les Occidentaux (et particulièrement les Européens, divisés entre eux sur l’attitude à adopter) ont certes poussé de hauts cris face aux violations flagrantes du droit international par la Turquie, mais sans prendre de mesures politiques concrètes. Quant à l’OTAN, dont la Turquie est membre, supposée être une famille de démocraties attachées aux droits de l’homme, elle continue à garder le silence sur les crimes de son allié turc… Cette inaction générale face aux crimes turcs se perpétue aujourd’hui.

Par ailleurs, depuis les territoires qu’elle occupe, la Turquie lance régulièrement des tirs sur des régions administrées par l’AANES, notamment près de Manbij et de Aïn Issa. Début février, ces zones ont été de nouveau visées, de même que la ville chrétienne de Tall Tamr, sur l’autoroute M4, au Sud de Serê Kaniyê / Ras al-Ain. Le 8, le Conseil militaire de Manbij a annoncé avoir repoussé une attaque des supplétifs syriens (WKI). Près d’Afrin, les civils kurdes déplacés par l’occupation turque se se sentent abandonnés par la communauté internationale. Terrorisés par les bombardements incessants qui ont visé les environs de Tall Rifaat entre le 7 et le 12 février, ils demandent comment il est possible qu’un membre de l'OTAN soutienne des extrémistes s'en prenant aux personnes déplacées et vise des civils par ses frappes aériennes. Très significativement, les déplacés yézidis semblent être particulièrement visés. Le 12, Nadine Maenza, commissaire à la Commission américaine pour la liberté religieuse internationale (USCIRF), a appelé dans un tweet «le gouvernement des États-Unis à faire pression sur la Turquie pour qu'elle cesse toutes ces opérations contre cette communauté vulnérable en Syrie et en Irak».

En fin de mois, les habitants et les ONG du Rojava ont de nouveau accusé la Turquie d’utiliser l’eau comme arme et moyen de pression. Ankara retient d’une part grâce à ses barrages une partie des eaux de l’Euphrate et d’autre part, ferme régulièrement le robinet de la station de traitement d’Al-Allouk, qui fournit de l'eau potable à au moins un demi-million de personnes dans le Nord-Est syrien. L’ONU a déjà demandé à plusieurs reprises à la Turquie de cesser ses rétentions d’eau (WKI).

Autre problème, les djihadistes de Daech qui, profitant des difficultés causées au Rojava par la pression turque,  relèvent la tête et doivent de nouveau être fermement combattus avec l’aide de la coalition internationale. Parallèlement, la gestion des camps hébergeant d’ex-membres de l’organisation terroriste ou leurs familles se transformer de plus en plus en casse-tête pour l’AANES.

Début février, les Forces démocratiques syriennes (FDS) ont poursuivi leurs actions contre les cellules dormantes de Daech dans le Nord-Est syrien. Elles ont annoncé avoir appréhendé trois djihadistes à Busarayh et dans le village de Diban (Deir Ezzor) (WKI). Le 5, elles ont lancé une importante opération dans cette même région, à la frontière avec l’Irak, dans des régions désertiques que les djihadistes utilisent comme sanctuaire. Plusieurs dizaines d’arrestations ont été effectuées, et un grand nombre d’armes et de munitions ont été saisis. Il s’agissait à la fois d’une réponse aux attaques dont la fréquence avait considérablement augmenté les semaines précédentes et de représailles après l’enlèvement et l’assassinat par décapitation le 22 janvier de deux femmes arabes, responsables politiques locales de l’AANES (Kurdistan au féminin). Notamment ont été capturés deux officiers supérieurs supervisant le mouvement des combattants djihadistes entre l'Irak et la Syrie. Un agent de Daech a également été capturé dans le camp d'al-Hol (WKI).

La deuxième semaine de février, en raison d’un accroissement des attaques terroristes dans la province de Deir Ezzor, les FDS ont dû accélérer leurs opérations anti-Daech. Elles ont annoncé deux arrestations dans l’Est de la province les 10 et 11. En fin de mois, de nombreuses attaques djihadistes ont encore frappé Deir Ezzor. Un homme de 80 ans a été assassiné à Sabha, une attaque attribuée à Daech, et deux autres personnes tuées à Shheel et Shaafah. Les FDS ont mené plusieurs raids dans la région et arrêté sept terroristes. Des djihadistes ont aussi affronté des militaires du régime près de Badiya al-Sham, dans des engagements qui auraient fait une douzaine de morts dans les deux camps (WKI).

Parallèlement, la situation au camp d’al-Hol a continué à se dégrader. Ce camp, géré par l’AANES, accueille quelque 62.000 personnes, dont d'après l'ONU plus de 80% de femmes et d’enfants, et notamment environ 10.000 femmes étrangères et leurs enfants, des familles de jihadistes originaires d'Europe ou d'Asie. Depuis janvier, 14 personnes déjà y ont été assassinées (18 selon VOA), contre 35 durant tout 2020. Selon les déclarations à l’AFP de Cheikhmous Ahmed, responsable des déplacés pour l’AANES, il y a eu «trois décapitations», mais également des exécutions par balle à l'aide d'armes munies «de silencieux». Un rapport publié le 8 par le Centre d'information sur le Rojava, basé à Qamishli, fait quant à lui état de décapitations dans au moins la moitié des meurtres. Quels que soient les vrais chiffres, ils pointent vers «les cellules de [Daech] dans le camp», qui s’en prennent à «ceux qui coopèrent avec l'administration» pour «semer le chaos et la peur», a indiqué Ahmed. Un rapport publié par l’ONU début février avertit: «Des cas de radicalisation, de formation, de collecte de fonds et d'incitation à des opérations extérieures ont été signalés» […] «Certains mineurs seraient endoctrinés et préparés pour devenir de futurs combattants ». Conséquence des attaques de la Turquie, le nombre de gardiens affectés au camp a baissé de 1.500 mi-2019 à 400 fin 2020… Le général McKenzie, du U.S. Central Command, prend cette menace très au sérieux: «Si la communauté internationale ne trouve pas le moyen de rapatrier ces enfants, de les réintégrer dans leur communauté d'origine et de soutenir les programmes de réconciliation locaux, nous assisterons à l'endoctrinement de la prochaine génération d'ISIS [Daech] lorsque ces enfants se radicaliseront», a-t-il averti le 8 lors d’une intervention au Middle East Institute. Plus de la moitié des quelque 62.000 résidents d’al-Hol sont des enfants de moins de 12 ans (VOA). Le même jour, une vingtaine d’experts indépendants des Nations Unies ont exhorté dans un appel commun les 57 États dont des ressortissants sont détenus en Syrie à les rapatrier sans délai… (news.un.org)

Le 14, une source irakienne a indiqué à l’AFP que l’AANES avait transféré une centaine d’anciens combattants de Daech en Irak pour qu’ils y soient jugés. Ce transfert a été démenti par l’AANES, mais demeure probable. En effet, selon un rapport de l'ONU publié début février, les FDS détiennent encore  quelque 1.600 Irakiens soupçonnés d'avoir combattu pour Daech. Par ailleurs, dans le cadre d'un effort continu visant à désengorger al-Hol et le rendre ainsi plus gérable, l’AANES a libéré le 23 un nouveau groupe de plus de 300 ressortissants syriens. Contrairement à la plupart des libérations récentes, il n’y a pas eu de parrainage de chefs de tribus arabes, mais les autorités ont mené une enquête pour vérifier que les personnes libérées ne représentaient aucune menace pour la sécurité (VOA). Enfin, le 27, un incendie provoqué par un poêle a causé la mort de deux enfants et d’une femme et fait une trentaine de blessés à al-Hol, selon Cheikhmous Ahmed, joint au téléphone par l’AFP.

Autre conflit subi par le Rojava ce mois-ci, celui avec le régime de Damas, qui perdure. Le 30 janvier, une manifestation pro-régime à Qamishli s’était soldée par un mort (un policier du régime) et trois blessés, tandis que chacun des deux camps mettait le siège sur des zones tenues par l’autre: les Asayish (sécurité kurde) avaient pris position autour du «Quartier de la sécurité» à Qamishli, les milices pro-Assad autour de plusieurs villes tenues par les Kurdes dans la région de Shahba (Alep). En milieu de mois, malgré une médiation russe, les membres des «Forces de défense nationale», une milice pro-régime, ont ouvert le feu sur un point de contrôle des Asayish à Qamishli. Les FDS doutent d’ailleurs de la sincérité des Russes, qu’ils soupçonnent de collusion avec la Turquie pour les évincer… (WKI)

Par ailleurs, la cinquième session des pourparlers intersyriens, tenue à Genève en début de mois sous l’égide de l’ONU, n’a de nouveau enregistré aucune avancée significative, la délégation du régime s’opposant systématiquement aux propositions de l’opposition. L’AANES demeure exclue de ces rencontres en raison de l’opposition turque à sa présence. Elle a été exclue de même des discussions dites «d’Astana», dont la 15e session a démarré le 16 février à Sotchi. Les États-Unis, qui ont dénié avoir reçu une invitation russe à y participer, ont par ailleurs mené le 26 en Syrie de nouvelles frappes aériennes, visant des positions de miliciens pro-iraniens près de Boukamal, près de la frontière irakienne. Plusieurs bâtiments ont été détruits et selon l’OSDH au moins 22 combattants de milices irakiennes pro-iraniennes Hashd al-Shaabi ont été tués. Le Président américain a indiqué qu’il s’agissait de représailles après les dernières attaques antiaméricaines en Irak.

Dans ce contexte toujours aussi tendu, les discussions pour l’unité kurde entre les partis de l’AANES et l’opposition de l’ENKS (Conseil national kurde) revêtent une importance particulière. Début février, le commandant des FDS Mazloum Abdi a annoncé qu’elles allaient reprendre, «avec l’objectif de réussir», a-t-il ajouté.  En milieu de mois, les FDS ont annoncé que les discussions avaient repris, dans un communiqué qui précisait qu’au vu des «progrès tangibles [réalisés] au cours des sessions précédentes», elles étaient optimistes pour la phase suivante (WKI). Il reste à voir si cet optimisme se prouvera justifié dans la suite, car en fin de mois, aucun nouveau communiqué n’avait été publié.

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IRAK: DISCUSSIONS SUR LE BUDGET TOUJOURS EN COURS; TIRS DE ROQUETTES SANS PRÉCÉDENT SUR ERBIL

Les négociations entre Erbil et Bagdad se sont poursuivies tout le mois concernant le budget 2021, plus précisément sur la part devant en revenir au Gouvernement régional du Kurdstan (GRK). Bien qu’un accord de principe avec le gouvernement fédéral ait été obtenu en décembre dernier, des délégations du GRK se sont rendues régulièrement à Bagdad pour rencontrer différents partis politiques. En effet, certains des blocs chiites pro-iraniens ont pris une position particulièrement hostile au Kurdistan en demandant qu’il soit privé des droits que lui accorde la constitution de 2005. Critiquant les ventes indépendantes de pétrole du GRK, ils demandent un contrôle exclusif du pétrole par le gouvernement fédéral. En janvier, plus de 100 députés irakiens avaient même demandé dans une lettre commune que le projet de loi budgétaire de 2021 conditionne le budget du GRK à la remise de tout son pétrole à la SOMO, la société pétrolière d’État.

Après l’échec de premières discussions début février et une seconde tentative la semaine suivante, une troisième a pris place en milieu de mois, alors qu’on attendait le vote du budget par le Parlement dans les jours suivants. Mais il n’a cessé d’être repoussé en raison des désaccords persistants entre partis, provoquant l’inquiétude des Kurdes que la part du budget destinée au GRK n’y soit pas incluse (WKI). Le 22, Jamal Kochar, un membre de la commission des finances du Parlement irakien, s’est plaint sur Rûdaw de ce que les partis chiites s'opposent à la part du Kurdistan, «mais sans officiellement proposer d’alternative». Il constatait cependant une évolution progressive: «Au début, tous les partis chiites s'opposaient à ce que la région du Kurdistan reçoive sa part et demandaient au GRK de remettre tout son pétrole, mais aujourd'hui, seules les factions de Nouri al-Maliki et quelques autres partis chiites insistent sur ce point». Il voyait trois sorties possibles au blocage en cours: 1- l’envoi quotidien à Bagdad par le GRK des 250.000 barils demandés, 2- la remise de la valeur de ces barils à la SOMO, et 3- la conservation par le GRK du pétrole nécessaire au paiement de ses dépenses de production pétrolière et à sa consommation intérieure, le reste étant envoyé à Bagdad. Il a indiqué préférer la première option.

En fin de mois, les discussions n’avaient pas abouti, et les députés irakiens n’étaient toujours pas parvenus à s’accorder sur un texte à soumettre au vote…

C’est dans ce contexte de relations tendues entre GRK et gouvernement fédéral que le ministre irakien de la Santé a annoncé le 1er février la réception fin février de 2,5 à 3 millions de doses de vaccin anti-COVID. Ces doses Pfizer-BioNTech, AstraZeneca-Oxford et Sinopharm seront administrées en priorité au personnel soignant, aux forces de sécurité, aux personnes âgées et aux malades chroniques. Au Kurdistan, nombreux se sont interrogés, comme ce journaliste kurde écrivant sur le site libanais Daraj: «Bagdad donnera-t-il ou non à Erbil sa part de vaccins?». Sur le même site, un porte-parole du ministère irakien de la Santé, Saïf Badr, tentait de rassurer: «Le Kurdistan aura sa part […] en proportion de sa population, qui lui sera distribuée de la même façon que les médicaments et les équipements médicaux qu’il reçoit du ministère fédéral». Selon les derniers chiffres du ministère, l’Irak comptait alors plus de 620.000 contaminations et environ 13.000 décès sur 38 millions d’habitants (Courrier International). Le 22, le GRK a annoncé restreindre de nouveau les déplacements avec le reste du pays, après qu’Erbil a enregistré pour la première fois 19 cas du variant britannique du virus, accompagnant une remontée des contaminations. Alors que l’Irak décidait d’un nouveau couvre-feu partiel, le Kurdistan comptait à cette date 107.933 contaminations et 3.508 décès, pour 103.011 guérisons depuis le début de l’épidémie (Rûdaw).

À partir de mi-février, les négociations budgétaires comme la situation sanitaire ont été éclipsées par les violences qui se sont produites au Kurdistan. Il y a eu tout d’abord le 14 l’annonce de la mort dans une grotte de la région de Gare, à une cinquantaine de kilomètres de Dohouk, de treize prisonniers turcs du PKK lors d’une opération militaire de l’armée d’Ankara. Puis le lendemain soir, une quinzaine de roquettes ont été tirées sur l’aéroport international d’Erbil, visant une base aérienne où sont stationnées des troupes américaines. L’attaque a fait un mort, un prestataire civil étranger, et onze blessés, huit prestataires civils, un soldat américain et trois autres civils. Deux des roquettes, tombées sur des quartiers résidentiels de la périphérie de la ville, ont blessé cinq civils, dont l’un est décédé le 22, portant le bilan à deux morts.

Déjà en début de mois, des sources du renseignement français indiquaient que les États-Unis, confrontés à des attaques régulières sur leurs bases dans le reste de l’Iraq, envisageaient de déplacer une partie de leurs forces au Kurdistan. L’attaque d’Erbil est un message indiquant à la nouvelle administration américaine que là non plus, elles ne seront pas en sécurité. Après l'attaque, des forces de sécurité ont été déployées autour de l'aéroport, dont le trafic a été interrompu toute la matinée du lendemain. Les tirs ont été largement condamnés, par le GRK bien sûr, le président et le Premier ministre irakiens, mais aussi par la représentante de l’ONU en Irak, puis, dans un communiqué conjoint, par les ministres des Affaires étrangères de France, d'Allemagne, d'Italie, du Royaume-Uni et des États-Unis. L'attaque a été revendiquée par un groupe se baptisant Awliyaa al-Dam (les «Gardiens du sang»). Des responsables irakiens de la sécurité ont indiqué à l'AFP qu'il devait s'agir d'un nom de façade dissimulant des factions pro-Iran connues qui veulent le départ du pays des forces de la coalition, mais l'Iran a «fermement démenti» être impliqué. Le Parti démocratique du Kurdistan (PDK), dirigeant cette région, a accusé des groupes proches des Hashd al-Shaabi.

La sécurité de la Région du Kurdistan est menacée: deux sources dans le domaine du renseignement ont précisé à l'AFP que les roquettes (de fabrication iranienne), avaient été tirées depuis un camion à environ 10 km d'Erbil, donc depuis l’intérieur du Kurdistan. Des médias de propagande pro-iraniens ont été les premiers à annoncer l'attaque. Une enquête conjointe Bagdad-Erbil a été ouverte. Le 25, l’US Air Force a mené des frappes de représailles sur des milices irakiennes stationnées en Syrie.

Ces événements interviennent dans le contexte d’un accroissement important des tensions dans le Nord de l’Irak, où l’armée turque poursuit ses opérations anti-PKK.  Notamment, la région du Sindjar et sa capitale, la ville du même nom, font de plus en plus figure de point focal stratégique. Ce lieu de vie ancestral de la minorité kurdophone des Yézidis a été en août 2014 envahi par Daech, qui a tenté d’accomplir un génocide contre ses habitants. Les survivants sont toujours en grande partie déplacés dans des camps. À présent, cette zone, par ailleurs disputée entre Bagdad et Erbil, fait l’objet de bombardements réguliers de l’aviation turque. Quelques jours avant les tirs de roquettes sur Erbil, plusieurs milices Hashd al-Shaabi avaient annoncé sur les réseaux sociaux s’y déployer pour s’opposer à une éventuelle invasion turque. Ankara exige de Bagdad l’expulsion des milices pro-PKK présentes sur place, dont certaines sont composées de Yézidis. D’autres ont intégré les pechmergas… Le 9 octobre dernier, un accord conclu entre Bagdad et Erbil donnait au gouvernement irakien la responsabilité de la sécurité du Sindjar, à charge pour lui de recruter une nouvelle force représentative de la population locale. Un des buts de l’accord était d’expulser les groupes de combattants affiliés au PKK. La mise en œuvre a commencé en novembre avec le déploiement d’environ 6.000 policiers fédéraux dans les parties du Sindjar frontalières de la Syrie. Cependant, un commandant de la force des pechmergas yézidis Ezidkhan a déclaré à Rûdaw en janvier que plusieurs groupes armés étaient toujours présents au Sindjar…

Le 6 du mois, les dépouilles de 104 Yézidis victimes du génocide de Daech, et retrouvées dans plusieurs fosses communes du Sindjar, ont été ramenés dans le village de Kocho pour y être inhumées selon les rites de la communauté. Les victimes avaient d’abord été envoyées pour identification à Bagdad où un service commémoratif s’est tenu en début de mois. Y ont assisté des délégations du GRK et du gouvernement fédéral, ainsi que l'envoyée des Nations unies en Irak, Jeanine Hennis-Plasschaert, aux côtés du chef de l'UNITAD. Cette agence, créée en 2017 par le Conseil de sécurité de l'ONU à la demande du gouvernement irakien et soutenue par les États-Unis, a pour mandat de rassembler les preuves devant permettre de poursuivre les responsables du génocide de 2014. Le 7, le premier ministre du GRK Masrour Barzani a rencontré la lauréate yézidie du prix Nobel de la Paix Nadia Mourad, déjà reçue le 3 par le Président de la Région du Kurdistan Nechirvan Barzani. Outre les moyens d’assister l’UNITAD, ont aussi été discutés l’accord Bagdad-Erbil sur le Sindjar et la situation actuelle de cette région. Après la cérémonie à Kocho, Nadia Mourad a envoyé un tweet émouvant: «Après 6 ans, j'ai pu enterrer les restes de deux de mes frères. Ma communauté de Kocho a pu enterrer plus de cent de nos proches. Ce n'est que le début de la justice pour les Yazidis. Des milliers de familles attendent toujours l'identification et l'enterrement de leurs proches»…

En fin de mois, les tensions entre Turquie et Iran sont montées d’un cran après que l’ambassadeur iranien à Bagdad a accusé Ankara de violer la souveraineté de l’Irak et appelé la Turquie à retirer ses troupes d’Irak et à rester au large du Sindjar. Après une réponse acerbe du ministre de l’intérieur turc Suleyman Soylu, chacun des deux pays à convoqué l’ambassadeur de l’autre.

Les territoires disputés sont par ailleurs toujours le lieu d’activité privilégié des djihadistes de Daech, qui tirent parti du vide sécuritaire créé par l’opposition entre pechmergas et forces de sécurité irakiennes. Selon le ministère des pechmergas, une quinzaine d’attaques ont ainsi été rencensées durant les trois dernières semaines de janvier. Début février, les forces de sécurité irakiennes ont arrêté à Kirkouk plusieurs terroristes, dont l’informaticien responsable d’un des sites web de l’organisation. Selon la chaîne kurde NRT, un accord conclu avec la médiation des États-Unis prévoit la formation à Kirkouk d’une force militaire conjointe irako-kurde devant remplacer la 61e division irakienne pour assurer la sécurité de la province. Cependant, alors que la mise en place de ce plan se fait attendre, la situation sécuritaire continue à se détériorer. Si au moins deux djihadistes ont été arrêtés à Kirkouk la deuxième semaine du mois, un fermier kurde a été tué par des tireurs non identifiés à Daqouq le 17, et la coalition anti-Daech a dû lancer plusieurs frappes au sud de Kirkouk. Le 24, une attaque au mortier a blessé une dizaine de policiers irakiens à Daqouq, suscitant le 28 une opération de l’armée et des Hashd al-Shaabi le 28. Parallèlement, les partis kurdes de Kirkouk, après plusieurs rencontres depuis janvier, sont parvenus à former une liste commune pour les prochaines élections régionales. La liste, dirigée par l’Union Patriotique du Kurdistan (UPK), n’inclut pas le Parti Démocratique du Kurdistan (PDK), absent de la province depuis sa reprise de contrôle par Bagdad le 16 octobre 2017 (WKI).

Au Kurdistan, la lourde condamnation le 16 de cinq journalistes et militants à six ans de prison pour leur rôle dans les manifestations antigouvernementales de 2020 a provoqué une vague d’indignation. L’avocat des prévenus, Aso Hashem, a indiqué à l’AFP son intention de faire appel. Karwan Anwar, responsable d'un syndicat de médias à Souleimaniyeh a dénoncé ce verdict «très sévère»: «Nous sommes à la croisée des chemins, a-t-il déclaré à l'AFP. C'est la première fois qu'un tribunal condamne à six ans de prison pour avoir simplement exprimé son opinion». Le Kurdistan irakien a longtemps été considéré comme un refuge sûr pour les journalistes et pour les militants malmenés ou menacés dans d'autres régions irakiennes, mais le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) a jugé après ce verdict que ce n'était plus le cas…

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IRAN : VAGUE D’ARRESTATIONS AU KURDISTAN, PLUS DE 150 PERSONNES INCARCÉRÉES DEPUIS JANVIER

Durant ce mois, l’épidémie de coronavirus a selon l’opposition iranienne fait plus de 13.000 morts: le Conseil national de la résistance (CNRI) a en effet comptabilisé au 1er février 209.700 décès depuis le début de l’épidémie, un chiffre monté en fin de mois à 223.100. Compilés par l’Organisation des Moujahidine du Peuple (OMPI) à partir de données publiques régionales, ces chiffres sont bien supérieurs aux données officielles, puisque le 28 février, l’Iran annonçait avoir dépassé les… 60.000 morts. Bien que ce nombre officiel de décès quotidiens se soit quelque peu stabilisé, repassant en-dessous des 100 par jour, le pouvoir se montrait pourtant inquiet de l’expansion du variant britannique, présent dans le pays depuis janvier…

Les première vaccinations contre la COVID ont commencé le 9 à l'hôpital Imam Khomeiny de Téhéran avec des injections au personnel soignant, qui recevra les doses en premier. Il s’agit du vaccin russe Spoutnik-V, dont l’Iran a acheté deux millions de doses, qui devaient arriver en trois lots durant ce mois. Le ministre de la Santé, Saïd Namaki, a indiqué que l’Iran allait recevoir en février 4,2 millions de doses de vaccin AstraZeneca par le dispositif Covax, destiné à fournir des vaccins aux pays les plus défavorisés. Ces 6,2 millions de doses sont à comparer avec la population du pays, soit plus de 80 millions. Cependant, le CNRI a dénoncé le même jour les chiffres «scandaleux» du plan de vaccination annoncés à l’agence Tasnim par le président du comité scientifique du Centre de lutte contre le coronavirus (CNLC), Qanai: celui-ci a déclaré que la vaccination des personnes de moins de 55 ans (85% de la population) commencerait… l’hiver prochain. Quand aux prévisions à plus court terme, elles ne sont guère plus encourageantes. Selon le porte-parole du CNLC, Alireza Raissi, d’ici le 29 mars, 1,3 million de personnes seront vaccinées, soit 1,5 % de la population…

Pour les provinces kurdes du pays, quelques chiffres compilés par l’OMPI sont les suivants : au 6, on comptait depuis le début de l’épidémie 8.588 morts au Lorestan, 4.344 à Kermanchah, 3.652 au Kurdistan. Au 19, on était passé à 4.459 à Kermanshah et 3.772 au Kurdistan.

Le 27, le variant britannique du virus était présent dans au moins 16 provinces. Le porte-parole du CNLC déclarait sur la télévision nationale: «Le virus anglais ne se limite pas au Khouzistan. Au moins 187 cas ont été découverts dans 16 provinces et nous avons eu 20 morts».

Parallèlement, les assassinats par les forces de répression de porteurs kurdes transfrontaliers, les kolbars, se sont poursuivis. La première semaine du mois, deux d’entre eux ont été tués près de Baneh et de Sardasht. Six autres ont été blessés à Baneh et Marivan. Par ailleurs, selon des groupes kurdes locaux de défense des droits de l'homme, huit Kolbars ont été arrêtés près de Chaldiran avant d’être torturés et de se voir confisquer leur charge. Le 10, trois autres ont été blessés près de Baneh et le lendemain, un kolbar s’est tué dans une chute près de Servabad. Le 20, deux kolbars se sont noyés dans une rivière alors qu'ils fuyaient les gardes-frontières iraniens près de Sardasht. Un autre Kolbar, Ayoub Qadiri, est mort de froid à Baneh. Enfin, un dernier s’est blessé dans une chute alors qu'il fuyait les gardes-frontières iraniens près de Marivan (WKI).

Par ailleurs, la répression antikurde, déjà constante en temps ordinaire, a connu une intensification particulièrement brutale ce mois-ci. Déjà en janvier, le régime avait arrêté plus de cent personnes dans plusieurs villes du Kurdistan d’Iran: Şino (Oshnavieh), Bokan, Marivan, et Mahabad, dont l’écrivain Mustafa Alikhandaza. Fin février, le nombre de personnes arrêtées atteignait près de 150, dont un bon nombre entre les mains de l’Etelaat (Renseignement).

Le 3 février, 36 organisations de défense des Droits de l’homme ont lancé un appel commun à la communauté internationale pour la libération des détenus kurdes et appartenant à d’autres minorités en Iran (->). Dans le texte, les signataires dénoncent la vague d’arrestations en cours «visant des dizaines de personnes appartenant à la minorité kurde défavorisée d'Iran dans les provinces d'Alborz, de Kermanshah, du Kurdistan, de Téhéran et d'Azerbaïdjan occidental». Ils notent qu’aucune raison n’a été officiellement donnée pour ces arrestations, dont on peut craindre qu’elles visent des personnes ayant simplement exercé leurs droits. Celles-ci, souvent mises au secret, sont en danger d’être torturées ou maltraitées pour les forcer à signer des aveux fabriqués pouvant être utilisés contre elles dans des procès injustes…

Le texte dresse un état des arrestations, qui ont pris place dans 19 villes: «Selon les informations recueillies auprès de sources bien informées, depuis le 6 janvier 2021, au moins 96 personnes (88 hommes et 8 femmes) appartenant à la minorité kurde d'Iran, dont des militants de la société civile, des défenseurs des droits des travailleurs, des écologistes, des écrivains, des étudiants et des militants politiques déjà précédemment emprisonnés, ainsi que des personnes sans antécédents connus de militantisme, ont été arrêtées par l'unité de renseignement des pasdaran (Gardiens de la révolution) ou par des agents du ministère du Renseignement, parfois de manière violente».

La plupart des arrestations sont de fait illégales, car effectuées sans qu’un mandat ait été présenté, et les familles qui ont demandé aux autorités judiciaires des informations sur leurs proches se sont entendues répondre que leurs bureaux n'avaient pas émis de mandats pour ces personnes et qu’elles n’avaient aucune information sur leur sort. Début février, environ la moitié des détenus, soit au moins 40 personnes, avaient fait l'objet d'une disparition forcée. Par la suite, certains d’entre eux ont pu brièvement téléphoner à leur famille, mais les autorités ont refusé de révéler les raisons de leur arrestation et ont interdit les communications ultérieures. Les prisonniers n’ont pas non plus accès à un avocat et les familles ont été menacées et averties de garder le silence.

Selon l’analyse des signataires de l’appel, la campagne de répression semble viser majoritairement des jeunes gens d’une vingtaine d’années actifs dans des cercles informels dédiés à la défense des droits des Kurdes d’Iran, des personnes seulement «coupables» de délit d’opinion. Ils rappellent que selon le Rapporteur spécial des Nations-Unies sur l’Iran (rapport du 18 juillet 2019), «Les prisonniers politiques kurdes accusés d'infractions à la sécurité nationale [...] représentent un nombre disproportionné de ceux qui ont été condamnés à mort et exécutés», et appellent la communauté internationale à faire pression sur les autorités iraniennes pour obtenir entre autres choses la libération inconditionnelle des personnes arbitrairement emprisonnées, la fin de la campagne d’arrestations antikurdes, et jusqu’à la libération des personnes détenues, leur protection contre la torture et les autres mauvais traitements. Plus largement, le texte appelle à exiger que l’Iran ouvre une enquête indépendante sur les violations commises pour en amener les responsables devant la justice.

La campagne s’est cependant poursuivie avec de nouvelles arrestations dans tout le Kurdistan iranien, dans les villes de Sanandaj, Oshnavieh, Kamyaran, Mahabad, Baneh, Sardasht et Paveh, tandis qu’à Saqqez, un Kurde nommé Ahmad Mohammadi était condamné pour «espionnage» et «propagande pour les partis kurdes d'opposition». À Sanandaj, l’activiste kurde Faranak Jamshidi  a reçu quatre ans de prison pour avoir protesté contre l'invasion turque du Rojava en octobre 2019. À partir du milieu du mois, certains détenus ont été transférés dans des prisons, notamment à Ouroumieh, après parfois plusieurs semaines d’interrogatoire par l’Etelaat, mais les arrestations se sont poursuivies jusqu’à la fin du mois: selon l’organisation Hengaw pour les droits de l'homme, quatre Kurdes de Marivan ont été arrêtés à Marivan par des agents de l’Etelaat le 28 (WKI).

Les condamnations également n’ont pas cessé: à Piranshahr, six peines de cinq ans de prison pour «coopération avec le PDKI, à Sanandadj, l’activiste écologique Farank Jamshiri a reçu quatre ans de prison pour «appartenance à un parti du Kurdistan opposé à l'État». La semaine suivante, l’activiste kurde Hadi Roostami a été condamné à huit mois de prison et 60 coups de fouet pour «atteinte à la sécurité nationale». En fin de mois, l’activiste kurde Shanaz Sadeqi, condamnée à quinze ans de prison pour «appartenance au Parti de la liberté du Kurdistan», a vu sa peine réduite à cinq ans en appel.

Il est évidemment impossible de citer toutes les personnes arrêtées ou condamnées durant cette période. Mais le cas de Zahra Mohammadi mérite d’être de nouveau mentionné: en début de mois, au moment où se terminaient les célébrations de la Journée internationale de la langue maternelle, le Centre de coopération pour les partis kurdes iraniens (CCIK) a dénoncé la campagne du régime contre la langue kurde: «En Iran, le persan est la seule langue officiellement reconnue […]. Toute activité liée à la langue est considérée comme un crime, les prisons de la République islamique étant remplies de personnes dont le seul crime était de défendre leur langue maternelle et leur culture». C’est précisément le cas de Mohammadi. Directrice de l'association culturelle Nojin et enseignante de kurde pour les enfants de Sanandadj, elle avait été arrêtée en mai 2019 et condamnée à dix ans de prison pour activités «contraires à la stabilité et la sécurité» de l’État. Le 14, sa peine a été réduite en appel à cinq ans. Elle a témoigné de son histoire pour la chaîne kurde d’Irak Rûdaw: après son recours contre sa première condamnation, la Cour d’appel avait demandé au ministère du renseignement de lui envoyer les preuves contre elle. Au bout de plus de deux mois, le Renseignement n’avait pu fournir qu’une photo d’elle aux funérailles du poète kurde Jalal Malakshah, décédé en octobre… Malgré tout, elle n’a pas été acquittée. Qualifiant sur Instagram sa nouvelle peine de cinq ans d’«injustice totale», elle a indiqué vouloir faire de nouveau appel.

Parmi les nombreux prisonniers politiques kurdes d’Iran, mentionnons aussi Zeynab Jalalian, pour laquelle Amnesty International a lancé le 1er février une «action urgente» (->). Arrêtée en juin 2008, accusée de liens avec le PJAK, Jalalian est condamnée à mort dans un procès inique qui ne dure que quelques minutes. Puis sous pression internationale, sa peine est commuée en prison à perpétuité. Elle est maintenant incarcérée depuis plus de douze ans. Gravement malade, elle est délibérément privée de soins oculaires, ses gardiens espérant ainsi la forcer à faire des aveux filmés. «Cette privation intentionnelle de soins médicaux est à l’origine de douleurs et de souffrances aiguës, car Zeynab Jalalian a de graves problèmes de santé, notamment des troubles respiratoires depuis qu’elle a eu le COVID-19», précise Amnesty, qui appelle a demander sa libération au chef du judiciaire iranien, Ebrahim Raissi.

Enfin, terminons cette chronique très sombre sur une note plus positive, avec une nouvelle concernant l’anthropologue irano-britannique Kameel Ahmady. Connu pour avoir mené des recherches sur les mutilations génitales féminines, Ahmady, qui vit en Angleterre, avait été arrêté lors d’une visite en Iran, avant d’être condamné à plus de neuf ans de prison (et à une amende de plus de 500.000 £) pour conspiration avec des «puissances étatiques hostiles». Il avait fait appel de sa condmnation et avait été remis en liberté sous caution dans l'attente de son nouveau procès. On a appris ce mois-ci qu’il s'est échappé à travers les montagnes du Kurdistan iranien, puis irakien, avant de réapparaître à Londres (The Times).

À l’étranger, la Belgique a sanctionné le terrorisme d’État de la République islamique: le diplomate iranien Assadollah Assadi a été condamné le 4 février à Anvers à vingt ans de prison pour avoir préparé un attentat à la bombe, déjoué de justesse, contre un rassemblement du Conseil national de la résistance iranienne (CNRI), opposition iranienne en exil, à Villepinte, près de Paris, en juin 2018. Trois complices belges d'origine iranienne ont eux été condamnés à des peines allant de quinze à dix-huit ans de prison, ainsi qu'à la déchéance de leur nationalité belge. En poste à Vienne au moment de son arrestation, Assadi n’a pu se prévaloir de son immunité diplomatique, le juge ayant considéré qu’elle ne pouvait le protéger contre des poursuites dans un pays où il n’était pas affecté pour une mission diplomatique.

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