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Bulletin N° 443 | Février 2022

 

 

ROJAVA: CONTRE LES KURDES, ANKARA UTILISE LARGEMENT LES DJIHADISTES… DONT DAECH

Après l’attaque djihadiste de la prison d’Hassaké le 20 janvier dernier, février a été marqué au Rojava par l’élimination du chef de Daech. Alors que la communauté internationale s’était largement désintéressée du Nord-Est syrien ces derniers temps, ces événements ont constitué un réveil brutal: non seulement le péril djihadiste se révèle loin d’être conjuré, mais les pays d’origine de nombreux prisonniers abandonnés à la garde de l’Administration autonome (AANES) sont renvoyés à leurs responsabilités. Enfin, plus que jamais, les relations qu’entretient avec Daech le gouvernement  d’Ankara interrogent, suite à la parution de plusieurs rapports accablants: est-on encore dans le cadre d’une «alliance objective» anti-kurde? Où bien la proximité idéologique a-t-elle déjà mené à une alliance assumée avec Daech? Même s’il ne s’agissait «que» d’une coopération de circonstance, les services secrets turcs (MIT) prétendant manipuler à leur profit les ex-combattants djihadistes, la situation serait extrêmement inquiétante: dans les opérations secrètes, la question classique est de savoir qui manipule qui… Membre de l’OTAN, Ankara se met en situation de servir les intérêts de la plus dangereuse organisation terroriste de la décennie, avec pour objectif de détruire les meilleurs alliés de l’Occident dans la région…

Le bilan de l’attaque djihadiste de Hassaké et des combats qui ont suivi est lourd: 373 morts, dont 98 membres des Forces démocratiques syriennes (FDS) et 7 civils. Le commandant des FDS, Mazlum Kobanê, a déclaré le 7 qu’après cet événement, il était clair que les 700 soldats américains présents dans sa région ne suffisaient plus (New York Times). Le 14, la commandante FDS Newroz Ahmed a expliqué à son tour qu’une attaque précédente avait été déjouée trois mois auparavant: «À ce moment-là, nous avons alerté la coalition et la communauté internationale quant à l’imminence d’une attaque. Malheureusement, depuis la bataille de Baghouz, le monde a l’impression que l’EI a été vaincu. L’attaque contre la prison a démontré que cette analyse est dangereusement erronée» (Le Monde).

Le Président Biden s’est félicité le 3 dans un discours au ton solennel du succès de l’opération des forces spéciales américaines, qui soutenues par les FDS, avaient le matin même éliminé le chef de Daech, Abu Ibrahim Al-Hashimi Al-Qurayshi. Ainsi prenait fin selon le Président américain une «menace terroriste majeure». Il est à noter que, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), les hélicoptères américains ayant mené l’opération ont décollé d’une base militaire située à Kobanê sous contrôle kurde et non pas de la grande base américaine d’Iincirlik en Turquie, pourtant plus proche. Remerciant à plusieurs reprises les FDS pour leur contribution «essentielle», M. Biden a rappelé le rôle important joué par le chef djihadiste dans «le génocide du peuple yazidi dans le nord-ouest de l'Irak en 2014». Pourtant, M. Biden sait bien que l’élimination d’Al-Qurayshi, pas plus que celle de son prédécesseur en octobre 2019, ne signifie la fin de Daech. Des dizaines de djihadistes ayant profité de l’attaque d’Hassaké pour s’enfuir n’ont pas été rattrapés.  Redevenue clandestine, plus décentralisée, l’organisation djihadiste a prouvé le mois dernier qu’elle sait exploiter les failles de ses adversaires pour organiser des opérations militaires déstabilisatrices quand l’occasion se présente.

La question est:  quand arrivera la prochaine occasion? Si la communauté internationale n’apporte pas davantage de soutien à l’AANES, elle pourrait arriver rapidement. D’abord, de nombreux ressortissants étrangers sont toujours abandonnés par leur pays d’origine dans des camps ou des centres d’internement gérés par l’Administration autonome, qui ne dispose pas des moyens nécessaires à leur fonctionnement. Parmi ces internés «oubliés» dans des conditions épouvantables, des femmes et de nombreux enfants, qui risquent de devenir la génération suivante de djihadistes. Une action rapide, humanitaire et juridique, est nécessaire, et l’AANES a renouvelé sa demande de rapatriement des proches de djihadistes et de création d’un tribunal international pouvant juger ces derniers.

Ensuite, le soutien de l’AANES passe, aussi, par une évaluation correcte du rôle de la Turquie dans les derniers événements.

Tout comme son prédécesseur, le dernier chef de Daech s’était réfugié dans une zone contrôlée par des rebelles syriens entretenant d’excellents rapports avec Ankara. Georges Malbrunot notait le 13 dans les colonnes du Figaro que la maison où habitait Al-Qurayshi «était à 200 mètres seulement d’un barrage du groupe Hayat Tahrir al-Sham, des anciens djihadistes, passés sous le contrôle des renseignements turcs»… Sur le site Ahval, David Phillips note quant à lui que la cache d’Al-Qurayshi se trouvait seulement à 15 km de celle d’Al-Baghdadi, dans une région, celle d’Idlib, devenue le dernier refuge de tous les groupes djihadistes soutenus par Ankara. Comme toutes les régions syriennes contrôlées par la Turquie, elle grouille littéralement d’agents de renseignement du MIT turc. Par ailleurs, la Turquie dispose de la deuxième plus grande armée de l'OTAN, qu’elle utilise pour rechercher et cibler les Kurdes au plus profond des montagnes du Kurdistan irakien, dans les camps de réfugiés, et même parmi les survivants yézidis du génocide perpétré par Daech. Peut-on croire sérieusement qu’elle est incapable de localiser deux des terroristes les plus recherchés au monde qui se «dissimulent» dans une zone contrôlée par ses propres mercenaires? D’ailleurs, de nombreuses factions au service d’Ankara, et notamment la soi-disant «Armée nationale syrienne», comptent dans leurs rangs de nombreux «anciens» membres de Daech et d'Al-Qaïda.

Durant toute la durée de l’attaque djihadiste d’Hassaké et des combats qui l’ont suivie, selon les rapports de l’OSDH, les attaques et frappes de drones turques sur les territoires de l’AANES ont pris une intensité inhabituelle. Enfin, les renseignements obtenus après l’attaque ont montré qu’Al-Qurayshi avait joué un rôle important dans sa préparation. Ceci rend d’autant plus troublant que, selon certains rapports, parmi les armes trouvées sur les djihadistes d’Hassaké, certaines portent des marques turques et semblent provenir de l’OTAN… Ankara avait déjà joué en 2013 un grand rôle dans l’émergence de Daech, en permettant à plus de 40.000 djihadistes étrangers originaires de 80 pays de transiter par la Turquie pour se rendre en Syrie, une voie de passage qu’on avait fini par nommer «l’Autoroute du Djihad»…

Outre Phillips, qui aux États-Unis appelle à une enquête parlementaire pouvant éventuellement décider de suspendre la Turquie de l’OTAN, de nombreuses voix s’élèvent pour appeler à un soutien international accru à l’AANES et à une meilleure prise en compte du rôle dangereusement ambigu de la Turquie. Le 1er février, la revue Politis a publié un texte intitulé «Ne laissons pas Daech et l’État turc détruire nos alliés en Syrie». Commençant par rappeler que, dans le contexte des attentats commis en France, «l’État turc est depuis longtemps suspecté de fournir des armes et un soutien financier à Daech» les signataires demandent notamment «que des sanctions soient prises contre l’invasion et l’occupation par la Turquie de territoires syriens» ainsi qu’«une zone d’exclusion aérienne afin que cessent les attaques de drones militaires turcs».

Le journaliste turc Fehim Taştekin, quant à lui, n’hésite pas à accuser la Turquie d’avoir joué «un rôle clé» dans la préparation de l’attaque d’Hassaké, mentionnant la présence de cellules de Daech «principalement à Ankara mais aussi dans de nombreuses autres villes comme Konya, Bursa et Istanbul». Taştekin met également en doute les déclarations du ministère de l’intérieur turc selon lesquelles 7 à 8.000 membres de Daech ont été arrêtés sur le sol turc. Ils seraient certes arrêtés, mais ensuite nullement sanctionnés (Kurdistan au Féminin).

En une révélation qui tombe plutôt mal pour Ankara, la Deutsche Welle en turc a rapporté ce mois-ci qu’un grand nombre d’intermédiaires situés en Turquie avaient longtemps aidé Daech à transférer des montants élevés hors de ou vers la Syrie. Dans un cas, une compagnie spécialisée en transferts de fonds basée à Gaziantep a transféré vers un intermédiaire binational turco-libanais 400.000 US$ provenant de Daech. L’intermédiaire transitait régulièrement par le territoire turc pour se rendre du Liban en Syrie, où il rencontrait des représentants de Daech. Un autre intermédiaire, propriétaire à Istanbul de plusieurs bijouteries, avait créé un fonds d’assistance aux familles de djihadistes tués, et hébergeait des réunions dans l’un de ses magasins. Il n’a été arrêté qu’en décembre 2019. Sur 365 personnes dont les biens ont été gelés en avril 2020 pour terrorisme, 86 étaient liées à Daech (Duvar). En fin de mois, les FDS ont annoncé avoir capturé près de Raqqa un Irakien membre de Daech qui a avoué se rendre en Turquie pour «traitement». L’«Autoroute du Djihad» semble bien toujours fonctionner… 

Parallèlement, en violation continuelle des 2 cessez-le-feu séparés conclus en octobre 2019 avec la Russie et les États-Unis, l’armée turque continue ses tirs d’artillerie sur les territoires de l’AANES. L’OSDH a même fait état fin février d’une augmentation des frappes de drones depuis fin janvier.

Le 1er du mois, des avions de combat turcs ont frappé une centrale électrique à Derik (Al-Malikiya), tuant 4 membres des FDS qui la gardaient et blessant 5 employés (WKI). Selon le ministère turc de la Défense, les raids ont visé «des abris, des bunkers, des grottes, des tunnels, des dépôts de munitions et des présumés quartiers généraux et camps d'entraînement», utilisés par le PKK et les YPG («Unités de protection du peuple», pilier kurde des FDS). L’OSDH a rapporté le lendemain de nouvelles frappes sur «une vingtaine de villages et sites (...) dans la région de Hassaké et le nord de la province de Raqqa», avec plus de 40 roquettes et obus tirés depuis la veille, une soixantaine d’aéronefs, avions ou drones, étant également mobilisés dans l’opération (Anadolu). «La Turquie essaie de continuer ce que l'EI a commencé», ont accusé les YPG sur Twitter.

Tout le mois, des tirs d’artillerie et des drones turcs ont frappé des positions du Conseil militaire de Manbij. Le 6, un drone a frappé 2 positions qui venaient d’être évacuées; le 22, les affrontements ont repris et un drone turc a de nouveau frappé une position du Conseil; le 28, ce sont des obus d'artillerie lourde qui ont été utilisés, sans faire de victimes. Le nord de la province d’Alep a aussi connu des attaques turques. Le 7, de violents accrochages ont opposé l’armée du régime et l’«Armée nationale» pro-turque près de Marea. Le 15 et le 16, l’armée turque et l’«Armée nationale» ont de nouveau « échangé des tirs d’artillerie avec les Kurdes dans une dizaine de villages. Les obus turcs ont aussi touché un point de contrôle du régime et blessé plusieurs enfants dans un stade à Tell Rifaat. L’OSDH a également rapporté des tirs du régime... Au Nord de Raqqa, près d’Ain Issa, deux combattants des FDS ont été tués et un troisième blessé par des tirs intensifs de roquettes turques le 13. Le 19, après un calme précaire de près d’une semaine, les Turcs ont repris les tirs sur cette zone, sans provoquer de pertes. De nouveaux tirs de roquettes ont frappé le 25, toujours sans faire de victimes. La région de la ville chrétienne de Tall Tamr (Hassaké), avec l’autoroute stratégique M24, demeurent des cibles turques. En milieu de mois, des tirs d’artillerie ont visé celle-ci et les zones proches d’Ain Issa et Girê Spî (Tell Abyad). Le 23, des tirs d’artillerie turcs ont de nouveau frappé plusieurs villages, sans faire de victimes. Enfin, fin février, des drones turcs ont également frappé la route Qamishli-Amuda et blessé quatre civils, dont trois femmes (OSDH).

En Turquie, les co-porte-parole du HDP pour les affaires étrangères Feleknas Uca et Hişyar Özsoy ont publié le 3 une déclaration dénonçant les frappes turques, en Irak comme en Syrie, dont les premières intervenaient alors que se terminaient à peine les obsèques des 121 combattants, gardiens de prison et civils tués dans l’attaque de la prison de Hassaké. Ils notent que, «Intentionnellement ou non, ces attaques de la Turquie rendent clairement la lutte contre DAECH encore plus difficile, permettant à l'organisation de se regrouper et de continuer à se battre comme force la plus dangereuse de la région», ajoutant que le silence de la «communauté internationale» à ce propos ne peut être interprété par les Kurdes que comme «de l’approbation ou de la complicité» (HDP)…

Le 5 février, l’OSDH a publié une estimation selon laquelle les jandarma turcs ont tué en janvier à la frontière turco-syrienne 3 civils, dont 1 enfant, à Qamishli, Kobanê et Idlib, et en ont torturé 6 autres qui tentaient d’entrer en Turquie. En février, l’OSDH a rapporté de nouveaux cas d’exactions des jandarma: assassinat par balles d’un jeune garçon de 12 ans à Idlib le 10, passages à tabac de 2 jeunes Syriens le 20.

Par ailleurs, à Afrin et dans les autres territoires qu’ils occupppent, les mercenaires d’Ankara ont poursuivi leurs exactions, dont nous ne pouvons citer ici que quelques exemples. En début de mois, un commandant de Liwaa Suqur Al-Shamal a confisqué des milliers d’oliviers à Bulbul sous le prétexte que leurs propriétaires étaient «des partisans de l'administration autonome», avant d’en abattre des centaines pour les vendre comme bois de chauffage. Le 7, l’OSDH a rapporté que des membres d’Ahrar Al-Sharqiyyah avaient abattu 200 oliviers dans 2 villages du district de Sharran pour le même objectif. Le 12, un homme âgé du village de Midanki est mort de chagrin, 4 ans après avoir été spolié de sa maison par la légion Al-Sham. Par ailleurs, quatre civils déplacés d’Alep, dont une femme et un enfant, ont été arrêtés par Ahrar Al-Sharqiyyah pour «formation d’une cellule terroriste». L’OSDH a rapporté de nombreuses autres arrestations de ce type, fréquemment prétextes à des demandes de rançon… Ainsi le 5, la «police militaire» a libéré trois civils du village de Shadira (Jendires) arrêtés le 20 janvier pour «relations avec l’ancienne  administration autonome», après avoir reçu des familles une rançon totale de 900 US$. Les milices pro-turques continuent aussi à saccager le patrimoine archéologique des régions qu’elles occupent pour en tirer des profits, en particulier l’«Armée nationale», qui utilise même des bulldozers pour excaver les sites de Tell Laq (Sharan) et Tell Al-Sultan Baraboush (OSDH).

Un porte-parole de l'Organisation des droits de l'homme d'Afrin, Ibrahim Shekho, a indiqué à l’agence kurde Hawar que les factions pro-turques avaient déjà en 2022 enlevé à Afrin 96 personnes, dont 11 femmes et 5 enfants, abattu 5.000 arbres, saccagé 9 sites archéologiques et assassiné 10 personnes.

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TURQUIE: LES ATTAQUES CONTRE LE HDP ET LES KURDES SE POURSUIVENT, L’OPPOSITION SE MONTRE AMBIGUË

La dégradation de la situation économique en Turquie semble sans fin. Le 2 février, les chiffres officiels ont montré que l’inflation avait frôlé les 50% annuels en janvier, un record de 20 ans. Le chiffre de l'Office national des statistiques (Tüik) donne en effet 48,69%, mais l’opposition et certains économistes, qui ont calculé quant à eux plus de 110%, accusent toujours cette institution de sous-estimation. Son directeur a pourtant été limogé fin janvier par le président Erdoğan, pour la cinquième fois depuis 2019. C’est davantage que pour le Directeur de la Banque centrale turque, remplacé «seulement» à trois reprises sur la même période… M. Erdoğan tient en matière économique à sa ligne de conduite islamique: le Coran interdisant l’usure, il impose au pays des taux d’intérêts très bas, provoquant depuis des mois  la chute de la monnaie (–44% face au dollar en 2021) et l’hyperinflation  (Challenges). Prétendant ainsi favoriser les exportations, le Président turc «oublie» la dépendance massive de la Turquie aux importations… Les augmentations du salaire minimum décidées par décret présidentiel (50% au 1er janvier), vite effacées par l’inflation, ne font à terme qu’accélérer celle-ci.

L’énergie est aussi très touchée. Les factures d’électricité ont tellement augmenté que des consommateurs furieux ont commencé à les poster sur les réseaux sociaux, lançant un mouvement de protestation qui emporte même les soutiens traditionnels de l’AKP, le parti présidentiel. Dans l’opposition, le chef du principal parti, Kemal Kilicdaroğlu (CHP, kémaliste), a même annoncé qu'il refuserait de payer la sienne! Les critiques sont rendues plus acerbes encore par le fait que certaines des sociétés privées de distribution d'électricité accusées de profiter de la situation appartiennent à des proches de M. Erdoğan… (New York Times)

Pour détourner la colère des citoyens, le pouvoir AKP-MHP (le parti d’extrême-droite ultranationaliste soutenant M. Erdoğan) se tourne vers des boucs émissaires. Ceux-ci sont bien connus, et toujours les mêmes depuis des mois: les réfugiés syriens et, à l’intérieur, les Kurdes.

Les réfugiés syriens tremblent de peur après plusieurs meurtres racistes, comme celui des trois jeunes brûlés vifs à Izmir le mois dernier. Beaucoup d’entre eux évitent de parler arabe en public voire même de sortir. Certains ont été rapatriés de force à Idlib, dernier bastion des islamistes opposés au régime.

Les attaques racistes contre les Kurdes ou le HDP se multiplient également, dans l’indifférence voire avec l’approbation de la justice turque aux ordres du pouvoir. Ainsi à Konya, dans le procès contre l’assassin d’une famille kurde tout entière fin juillet dernier, la Cour a refusé de parler de racisme, malgré les protestations de l’avocat des survivants (WKI). L’accusé, un ultranationaliste, avait tué ses 7 victimes par balles avant d’incendier leur maison. D’autres attaques ont pris place ce mois-ci. Le 17, des personnes non identifiées ont attaqué au cocktail Molotov et aux armes à feu les locaux du HDP à Yüreğir (Adana), provoquant un début d’incendie, rapidement éteint par les voisins (Bianet). Après un rassemblement de protestation devant l’immeuble, la police a empêché les responsables locaux du HDP de prendre la parole. Le 22, sur le campus de l'université Akdeniz à Antalya, une trentaine d’ultranationalistes ont attaqué trois étudiants kurdes qui ont été sérieusement blessés et hospitalisés.

Malheureusement, l’opposition au pouvoir AKP-MHP n’est pas plus claire à l’égard des Kurdes qu’elle l’est à l’égard des réfugiés syriens, dont elle promet l’expulsion. Le 13, six partis d’opposition se sont réunis à l’invitation du CHP pour discuter de leur projet de retour à un système parlementaire. Le HDP n’avait pas été invité, et durant le 4e congrès de ce parti, qui se tenait le lendemain, sa coprésidente Pervin Buldan a prévenu: «Le moment venu, nous saurons exactement comment ignorer ceux qui nous ignorent»… Le congrès du HDP, organisé à Izmir, était dédié à la jeune Deniz Poyraz, assassinée le 17 juin 2021 dans l’attaque du bureau HDP de la ville. Des bannières en kurde et en turc avaient été disposées, demandant justice pour Poyraz ainsi que pour Aysel Tuğluk et tous les prisonniers malades (Bianet). Actuellement, le HDP met en place une «Alliance démocratique» composée de partis kurdes et de partis de gauche (WKI).

La crise économique a aussi des conséquences à l’international. Cherchant à rompre l’isolement diplomatique qu’il s’est créé par ses propos outranciers, le président turc reprend contact avec de nombreux États dont il n’hésitait pas il y   a peu à insulter les dirigeants: Emirats, Arabie saoudite, Egypte, Israël. La visite qu’il a effectuée mi-février à Abou Dhabi n’en est que le dernier exemple. Ces liens renouvelés apportent à la Turquie des liquidités désespérément recherchées, à coups d’accords de coopération et de créations de fonds d’investissements. Ils permettent aussi à Ankara de placer ses drones  militaires Bayraktar, comme pour l’Ukraine, qui en a acheté une vingtaine et où M. Erdoğan s’est rendu le 3. Conséquence collatérale du dégel turco-émirati, les révélations embarrassantes pour le régime du chef maffieux Sedat Peker, installé à Dubai, se sont soudainement taries… (Le Monde)

Après le déclenchement de l’invasion russe de l’Ukraine, la Turquie, très dépendante énergétiquement de la Russie, à laquelle elle est aussi liée militairement  par l’achat des S-400, est demeurée au début très prudente: désapprobation, mais pas de sanctions. Puis le 27, une fois que la Russie avait fait passer en mer Noire tous ses bâtiments de guerre: Ankara a annoncé l’application des dispositions pour temps de guerre de la Convention de Montreux, permettant d’interdire aux navires des pays en guerre de franchir les détroits. Si France Info estime que «Le conflit entre la Russie et l’Ukraine met la Turquie, un autre État voisin de la mer Noire, dans une position difficile», vu ses relations avec les deux belligérants, il pourrait aussi lui profiter: face à Poutine, M. Erdoğan pourrait redevenir l’allié nécessaire, un membre de l’OTAN que personne dans l’Alliance n’osera critiquer. Cela pourrait donner au président turc les mains encore plus libres pour mener à l’encontre des Kurdes (et de tous ses opposants) sa répression, déjà intense.

Le mois a d’ailleurs commencé symboliquement par un nouveau déni de répression par le parti au pouvoir. Le 1er, l’AKP a en effet rejeté, avec le soutien du MHP, la demande déposée au parlement par le député HDP de Şanlıurfa, Ömer Öcalan, d’ouverture d’une enquête sur les morts de civils causées par les véhicules blindés. «Durant les deux dernières décennies du pouvoir de l’AKP», note Duvar, «et plus particulièrement depuis la rupture des pourparlers de paix avec le PKK et les opérations qui ont suivi de l'armée turque dans les régions kurdes de l'Est de la Turquie, des dizaines de civils sont morts après avoir été renversés ou écrasés par des véhicules blindés. […] La plupart de ces incidents se produisent dans les villes turques à majorité kurde proches de la frontière syrienne, comme Mardin, Diyarbakır et Şırnak». Öcalan, qui a rappelé dans son intervention qu’entre 2008 et 2022, 141 personnes, dont 22 enfants, avaient perdu la vie dans 93 incidents avec des véhicules blindés, s’est vu opposer une fin de non-recevoir. Le député AKP d’Antalya, Kemal Çelik, a notamment répondu: «[Grâce à ces véhicules blindés], nous avons apporté la paix et la sécurité dans la région».

Le 2, la police a arrêté plusieurs Kurdes et membres du HDP, dont trois à Idil et trois à Kiziltepe (Mardin). Par ailleurs, la police a violemment réprimé les manifestations de protestation contre les décès de prisonniers, notamment devant l’Institut médico-légal d’Istanbul, où les organisateurs de l’initiative «Solidarité avec les prisonniers», soutenue par le HDP, ont été empêchés de prendre la parole, et certains arrêtés. Toujours en début de mois, le HDP, qui avait voté contre les opérations militaires en Irak et en Syrie, a également critiqué les frappes violentes contre des Kurdes dans ces deux pays.

Le 7, le procès dit «Kobanê» a repris contre 108 prévenus, tous membres du HDP, dont ses anciens coprésidents. Le 10, la Cour a commencé à entendre les plaignants avant même que la défense n’ait terminé ses déclarations, malgré les protestations des avocats. Mais tous les plaignants, dont certains sont emprisonnés dans d’autres affaires, ont tour à tour déclaré qu’ils ne connaissaient pas les accusés et ne désiraient pas témoigner contre eux. L’un d’eux a déclaré en changeant sa précédente déclaration: «Je ne veux pas que des innocents soient condamnés à cause de ma déclaration»…

Parallèlement, le pouvoir continue à faire taire progressivement toutes les voix qui pourraient exprimer  toute pensée indépendante ou critique, universitaires, journalistes ou militants de la société civile. À Istanbul, il a franchi une nouvelle étape dans la mise sous contrôle de l’université Boğaziçi. Le 18 janvier dernier, Naci Inci, le recteur nommé par décret présidentiel contre l’avis des enseignants, avait préparé le terrain en révoquant trois doyens de départements au profit de ses fidèles, ce qui lui donnait la «majorité» au Sénat de l’université. Le 2, il a ainsi pu y faire voter le programme de la Faculté de droit ouverte par décret l’an dernier sans consultation du corps professoral. «Une Faculté de droit instaurée sans respecter le droit – voilà en résumé la façon de procéder du gouvernement depuis 2015», notait le 8 sur son Blog Médiapart Zeynep Gambetti. Pour la chercheuse, «Boğaziçi est sûr de perdre sa stature de centre d'excellence et deviendra, comme d'autres universités dans le pays, une institution où la peur et l'autocensure sévissent». À côté des universitaires, les journalistes sont l’autre cible évidente. Le 14, la reporter de Bianet et Mezopotamya Zeynep Durgut a été incarcérée à Şırnak lors d’un raid sur son domicile. Son équipement a aussi été confisqué. Elle était l’une des quatre journalistes accusés d’«appartenance à une organisation terroriste» pour avoir couvert l’affaire des deux citoyens jetés d'un hélicoptère militaire par des soldats à Van. Durgut et ses quatre collègues venaient d’être été acquittés le 6 janvier. Aucune raison officielle n’a été donnée pour cette nouvelle arrestation, mais il est clair qu’il s’agit de la réduire au silence (Bianet).

La société civile reste aussi dans le viseur du pouvoir, comme le montre l’affaire Osman Kavala, cet homme d’affaires et défenseur des droits humains maintenu en prison depuis maintenant plus de 4 ans sous des accusations fabriquées. Une nouvelle passe d’armes a opposé le 3 à son propos le Président turc au Conseil de l’Europe. Celui-ci a en effet déclaré avoir saisi la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) pour déterminer si la Turquie avait manqué à ses obligations en maintenant Kavala en prison malgré l’arrêt de la CEDH prononçant sa libération. Cette saisine de la CEDH lance de fait une «procédure d'infraction» pouvant mener à la suspension du Conseil de l'Europe de la Turquie, qui en est pourtant membre fondateur. Interrogé à ce propos, M. Erdoğan a répondu en conférence de presse que «la Turquie ne reconnaîtra pas ceux qui ne reconnaissent pas ses tribunaux». Officiellement, la Turquie a bien exécuté la décision de la CEDH, Kavala étant maintenant détenu dans le cadre d’une nouvelle procédure judiciaire, tout aussi fabriquée. Le 10, la Cour pénale d’Istanbul a décidé de conserver Kavala en détention, argumentant que l’affaire n’a pas évolué depuis l’examen précédent.

Par ailleurs, la langue kurde, pourtant plus officiellement interdite en Turquie, fait toujours l’objet de discriminations continuelles. Fin janvier, la police d’Istanbul a incarcéré quatre jeunes musiciens qui avaient chanté en kurde Avenue Istiklal. Même après leur libération, l’affaire a provoqué la colère sur les médias sociaux, où la chanson en question est devenue virale. Le 1er du mois, Rûdaw a rapporté que 31 janvier, la députée HDP Meral Daniş-Beştaş avait en protestation organisé au Parlement une conférence de presse où elle a elle-même chanté en kurde.

Le 15, à l’occasion du 23e anniversaire de l’arrestation du chef du PKK Abdullah Öcalan, des manifestations protestant contre l’isolement permanent qui lui est imposé par le pouvoir ont pris place en Turquie, notamment à Diyarbakir, Van, Batman, Siirt, Sirnak, et Izmir, ainsi que dans de nombreux pays d’Europe abritant une diaspora kurde. À Diyarbakir, la police a interdit l’accès à la place Dağkapı et encerclé des dizaines de protestataires. En une tentative de prévenir ces rassemblements, elle avait lancé depuis le 11 des dizaines d’arrestations dans plusieurs villes (WKI). Le 13, elle a violemment arrêté la militante du Mouvement des femmes libres (Tevgera Jinên Azad), Hacire Tanırgan, à son domucile de Kızıltepe, qui a été perquisitionné. À Van et à Diyarbakir, plusieurs membres de l’Assemblée des jeunes du HDP ont été arrêtés, dont Mehmet Şerif Demirağaç, invalide à 90% (Rojinfo).

Le 16, la Cour d’appel a confirmé la condamnation à trois ans et demi de prison pour «insulte»  au Président turc de Selahattin Demirtaş, qui est déjà emprisonné depuis 2016 et risque plus de 140 ans de prison pour d’autres charges. Revenant de Moscou, Demirtaş avait déclaré en 2015 aux journalistes à l’aéroport d’Istanbul que M. Erdoğan avait «volé de couloir en couloir» lors d'une conférence en France pour prendre une photo avec son homologue russe Vladimir Poutine… (Rûdaw) Par ailleurs, la Cour pénale d'Ankara a tenu une nouvelle audience contre la coprésidente du HDP Pervin Buldan pour certains de ses discours. Une prochaine audience aura lieu en mai (WKI).

Le 27, le TJA, l’Assemblée des femmes de Van du HDP et l’Association des femmes STAR ont dénoncé dans une déclaration commune l’agression sexuelle de 3 enfants par des gardes de village en l’espace d’un an dans le village de Çatak. Recrutée par l’État depuis les années 80 pour combattre le PKK, la milice paramilitaire kurde des gardes de village est impliquée dans de nombreuses violations de droits humains, y compris des exécutions extra-judiciaires, ainsi que dans le trafic de drogue .

Le 28, à l’occasion du 10e anniversaire du «massacre de Roboski», perpétré près du village de ce nom par l’armée de l’air turque contre un groupe de jeunes contrebandiers, Güler Tunç, une ancienne élue de Cizre, a posté sur les réseaux sociaux des images de l’événement. Elle a été inculpée de «propagande terroriste». De même pour une femme kurde appelée Zîlan, qui avait diffusé sur Twitter 2 photos de combattantes: une yézidie et une membre du mouvement zapatiste, et les photos de 3 femmes politiques kurdes tuées par l’armée turque à Silopi… Dans ces deux cas, les familles des victimes ont dénoncé l’impunité des auteurs des tirs ou bombardements. À Silopi, les 3 femmes, dont une députée du DBP, s’étaient rendues dans la ville alors qu’elle était assiégée par l’armée turque. Elles avaient pu téléphoner à la BBC en langue turque pour indiquer qu’elles étaient blessées et demander une ambulance. Cependant, le gouverneur de la province a refusé l’envoi d’une ambulance en raison des combats en cours, et la députée de Şırnak, Leyla Birlik, qui a ensuite identifié les corps, pense que les trois femmes déjà blessées ont été exécutées brutalement par les militaires. Le député HDP d’Urfa İbrahim Ayhan a déclaré: «Elles étaient des civiles et des personnalités connues. Nous pensons qu’elles ont été ciblées et assassinées».

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IRAK: LA COUR SUPRÊME IRAKIENNE INVALIDE LA LOI PÉTROLIÈRE DU KURDISTAN

Ce mois-ci, une véritable onde de choc juridique a frappé le Gouvernement Régional du Kurdistan d’Irak (GRK): le 15 février, alors que des négociations difficiles se poursuivaient pour désigner un candidat kurde à la présidence du pays, condition préalable à la formation du gouvernement, la Cour suprême de Bagdad a pris un arrêt inattendu déclarant «inconstitutionnelle» la loi sur le pétrole et le gaz du GRK. Deux jours plus tôt, la même Cour avait déjà jugé «inconstitutionnelle» la candidature à la fonction présidentielle de Hoshyar Zebari, le prétendant PDK (Parti démocratique du Kurdistan) à ce poste face au sortant Barham Saleh (UPK).

Si le statut des ressources d’hydrocarbures est l’un des grands dossiers de désaccord entre le Kurdistan d’Irak et Bagdad, l’autre demeure celui des territoires dits «disputés», bande de terres courant au Sud du Kurdistan de la frontière iranienne à la frontière syrienne. Ils ont été encore ce mois-ci le théâtre de nombreuses attaques des djihadistes de Daech, qui profitent du vide sécuritaire provoqué par le manque de coordination entre combattants peshmergas kurdes et militaires irakiens. De plus, comme tout le Nord de l’Irak, ces territoires sont devenus des cibles privilégiées des frappes turques. L’armée d’Ankara tire en effet prétexte de la présence de forces pro-PKK dans certains lieux pour frapper ou occuper de vastes zones. Depuis deux ans, les villageois kurdes, terrorisés, ont abandonné des centaines de villages, où les militaires turcs leur interdisent ensuite de revenir. Les Kurdes d’Irak craignent qu’Ankara n’impose à terme un changement démographique durable, et la création de zones de contrôle turques similaires à celles déjà établies dans le Nord syrien…

La Cour suprême de Bagdad a donc prononcé le 15 l’«inconstitutionnalité» de la Loi du pétrole et du gaz adoptée en 2007 par la Région du Kurdistan pour réguler son secteur pétrolier. Elle répondait ainsi, après dix ans, à une plainte déposée en 2012 contre le GRK par le Gouvernement fédéral, furieux de voir le Kurdistan exporter directement son pétrole vers la Turquie. Une seconde plainte avait été déposée en 2019. L’arrêt, publié par cette Cour sur son site internet, stipule «l'obligation pour le [GRK] de livrer l'intégralité de la production des champs pétroliers du Kurdistan [...] au gouvernement fédéral». Par ailleurs, tous les contrats pétroliers passés par le GRK avec des compagnies pétrolières sont potentiellement frappés de nullité, puisque la Cour autorise le gouvernement fédéral à tous les passer en revue pour éventuellement les annuler.

Le Gouvernement Régional du Kurdistan a réagi immédiatement en qualifiant dans un communiqué cette décision d’«injuste et inconstitutionnelle», ajoutant: «Le gouvernement régional du Kurdistan ne renoncera pas aux droits de la région tels qu'ils sont prescrits par la constitution, et poursuivra ses tentatives pour arriver à une solution [...] sur ce dossier avec le gouvernement fédéral» (AFP).  Tous les partis kurdes d’Irak, à l’exception de Nouvelle Génération, ont dénoncé l’arrêt de la Cour suprême. Le 28, les «quatre présidences» du Kurdistan, c’est-à-dire le Président de la Région, celui du GRK (le Premier ministre), celle du parlement régional, et enfin celui du Conseil judiciaire du Kurdistan, se sont réunies pour rejeter l'arrêt de la Cour suprême. La présidence de la Région a ensuite souligné dans un nouveau communiqué que «la région du Kurdistan continuera à exercer ses droits constitutionnels et ne renoncera pas à ses droits et pouvoirs légaux».

Au-delà du pétrole, les Kurdes craignent de futurs jugements prétendant dissoudre les peshmerga ou invalidant tout bonnement leur Gouvernement Régional. C’est que l’arrêt concernant la gestion du pétrole est arrivé deux jours après un arrêt précédent de cette même Cour, qui avait déjà été largement interprété par les Kurdes (en tout cas ceux proches du PDK) comme les visant: l’invalidation définitive comme «inconstitutionnelle» de la candidature à la Présidence de l’Irak de l’ancien ministre des Affaires étrangères et dirigeant du PDK Hoshyar Zebari, bête noire de l’Iran car considéré comme pro-occidental.

Cette candidature avait été provisoirement suspendue le 6 en raison de soupçons de corruption, précisément pour permettre à la Cour suprême de se prononcer suite à la plainte déposée par plusieurs députés qui estimaient que M. Zebari ne remplissait pas les conditions de «bonne réputation et d’intégrité» requises par la Constitution. Accusation surréaliste dans un pays mis  en coupe réglée par les diverses factions chiites pro-iraniennes où selon certaines estimations sur les 820 milliards de reccettes pétrolières engrangées entre 2005-2016 plus de 300 milliards ont été détournées par les dirigeants chiites. Le vote du Parlement, prévu le 7, avait dû être retardé. En rendant son arrêt le 13, la Cour a éliminé l’un des favoris au scrutin présidentiel.

Le poste de Président est en Irak largement honorifique, mais il a une importance indéniable en période post-électorale, car c’est le Président qui dans les quinze jours suivant sa nomination doit désigner le Premier ministre. Depuis 2005, le Président irakien est kurde, le Premier ministre chiite et le Président  du parlement sunnite. Non inscrite dans la constitution, cette répartition résulte d’un accord entre les trois communautés. Au niveau kurde, les deux principaux partis s’étaient originellement entendus pour se partager les postes: au PDK celui de Président de la Région du Kurdistan, à l’UPK celui de Président irakien. Ceci permettait de désigner facilement un candidat unique à ce dernier poste, les Kurdes parlant ainsi d’une seule voix à Bagdad. Ni le PDK ni le PUK n'avaient contesté les candidats de l'autre jusqu'en 2018, lorsque fort de son score électoral avantageux et après le décès du président Jalal Talabani le PDK a présenté son propre candidat pour le poste. C’est ce qui s’est produit de nouveau cette fois-ci, le PDK ayant présenté M. Zebari contre le candidat de l’UPK, le sortant Barham Salih.

Au-delà de la mésentente intra-kurde, la situation met en péril l’alliance de gouvernement conclue à Bagdad entre le vainqueur des dernières législatives, Moqtada Sadr, le PDK et le parti sunnite Taqqadum, puisque les partis pro-iraniens ont décidé de soutenir Barham Salih… L’alliance est contrainte pour fixer l’agenda de désignation du président d’attendre que les Kurdes se soient mis d’accord. Mais cet accord apparaît plus difficile que jamais à obtenir, car l’UPK voit d’un très mauvais œil l’accord conclu par le PDK avec les sadristes et la coalition sunnite Taqqadum, qu’il considère comme préjudiciable aux Kurdes: son co-président Bafel Talabani a ainsi déclaré fin janvier: «Le PDK a pris des mesures de manière indépendante et a conclu des accords avec certains partis politiques sans tenir compte de la volonté des partis kurdes et de l'unité kurde». Le 10, après la suspension provisoire de la candidature Zebari, Bafel Talabani était venu à Erbil rencontrer le chef du PDK Masoud Barzani, mais la réunion n’avait rien donné (Rûdaw).

Le 14, prenant acte de l’invalidation de la candidature de H. Zebari le PDK a finalement choisi comme nouveau candidat le ministre de l’Intérieur du Kurdistan, Rebar Ahmed. Mais ceci n’a nullement rétabli l’unité entre les deux partis kurdes, l’UPK conservant Barham Salih comme candidat.

L’arrêt de la Cour suprême irakienne sur la canditature de Hushyar Zebari est purement politique et opportuniste. Il a été dicté sous la pression des partis chiites pro-iraniens.

Quant à sa décision sur la loi sur les hydrocarbures du Kurdistan, elle invoque des lois datant du régime de Saddam Hussein et ignore certaines dispositions explicites de la constitution irakienne de 2005 approuvée par référendum. Cette constitution dans son article 140 prévoyait le règlement par référendum du statut des territoires kurdes  dits « disputés » sous administration du gouvernement central. Cet article fondamental pour les Kurdes n’a jamais été appliqué malgré les demandes récurrentes et la Cour suprême irakienne, politisée et à très forte majorité arabe a refusé de se prononcer sur cette question. De même, les articles 111 et 112 de la constitution irakienne donnent le droit au GRK d’exploiter le pétrole sur son territoire: «Article 111 : Le pétrole et le gaz appartiennent à l'ensemble du peuple irakien dans toutes les régions et tous les gouvernorats». L’article 112 prévoit que «Le gouvernement fédéral, avec les gouvernorats producteurs et les gouvernements régionaux, se chargera de la gestion du pétrole et du gaz extraits des gisements actuels, à condition qu'il distribue ses revenus de manière équitable, proportionnellement à la répartition de la population dans toutes les régions du pays, en spécifiant une allocation pour une période déterminée pour les régions endommagées qui en ont été injustement privées par l'ancien régime, et les régions qui ont été endommagées par la suite, de manière à assurer un développement équilibré entre les différentes régions du pays, ceci devant être réglementé par une loi». Cet article a clairement été rédigé en pensant au Kurdistan, mais la loi mentionnée n’a jamais vu le jour.

Interviewé par le WKI, le Pr. Brendan O’Leary, spécialiste du fédéralisme qui a participé comme conseiller juridique à la rédaction de la constitution irakienne, rappelle  qu’en cas de conflit entre lois fédérales et régionales, l'article 115 de la constitution donne la suprématie à ces dernières. L'article 110, qui donne la liste des pouvoirs fédéraux exclusifs, ne mentionne ni le pétrole ni le gaz. Par conséquent, s'il y a un conflit entre les lois sur le pétrole et le gaz du Kurdistan et les lois fédérales sur le pétrole et le gaz, les lois du Kurdistan prévalent… O’Leary ajoute que d’autres articles de la constitution limitent sans  équivoque l'autorité fédérale à la gestion des champs en production au moment de l'entrée en vigueur de la constitution, les gisements ultérieurs étant du ressort des régions: «Après 2005 [explique-t-il], il y a eu une longue négociation entre le GRK et le gouvernement fédéral. Ces négociations n'ont abouti à rien. Les Kurdes ont donc décidé de rédiger leur propre loi, comme ils en avaient pleinement le droit. Et ils ont pris des mesures très prudentes pour s'assurer que leur projet de loi était conforme à la constitution irakienne afin d'éviter exactement le type de scénario auquel nous sommes confrontés aujourd'hui. […] Aucune loi fédérale équivalente sur le pétrole et le gaz n'a été adoptée». L’article 112, qui prévoyait la rédaction de lois fédérales sur le pétrole et le gaz, est également resté lettre morte.

Par ailleurs, le GRK conteste le statut même de la soi-disant «Cour suprême fédérale d'Irak». L’article 92-2 de la Constitution, qui prévoyait sa création par un vote des 2/3 au parlement, n’a jamais été appliqué. La Cour actuelle est héritée de la période de transition entre les autorités de l’occupation américano-britannique (Coalition Provisional Authority) et le gouvernement de Iyad Allawi.

Cette double passe d’armes, sur le pétrole et la fonction présidentielle, où la Cour suprême joue un rôle important, porte pour les Kurdes la marque évidente des pressions iraniennes. Face à l’alliance Sadr-PDK-Taqqadum, on trouve les perdants des dernières législatives, les députés chiites pro-iraniens de l’alliance Fatih («Conquête») et du «Cadre de coordination», vitrine des milices Hashd al-Shaabi. Pour de nombreux observateurs locaux, la décision de la Cour suprême sur le pétrole kurde est une nouvelle tentative iranienne de pression sur sa coalition pour qu’elle propose davantage à ses adversaires pro-iraniens, ce qu’il refuse toujours de faire…

Par ailleurs, l’armée turque, présente depuis des décennies dans tout le Nord irakien, et qui y a installé depuis 2018 près de 40 bases permanentes, a dès le début du mois encore intensifié ses frappes. Le 1er février, l’aviation turque a frappé le camp de réfugiés de Makhmour, tuant deux gardes du camp et blessant de nombreux civils, plusieurs endroits de la ville à majorité yézidie de Sinjar (Shingal). Un communiqué des services antiterroristes du Kurdistan fait aussi état de frappes sur le secteur de Shila en Irak, tout près de la frontière syrienne, et précise que «les bombardements ont causé des pertes humaines et matérielles» (Le Figaro). Dans un communiqué, les forces de sécurité irakiennes ont dénoncé une «violation de l'espace aérien irakien», se disant prêtes «à coopérer pour stabiliser la situation à la frontière» (AFP), mais plusieurs groupes kurdes proches du PKK ont dénoncé l’indifférence et l’inaction de Bagdad faces aux continuelles frappes turques.

Les condamnations n’ont jamais arrêté Ankara. En milieu de mois, de nouvelles frappes ont touché le district d’Amêdî (Dohouk) et la région de Shiladze. Puis le 28, un avion militaire turc a bombardé les environs d’un village de la région de Barzan, terrifiant des fillettes qui jouaient près de l’école. L’enseignant a été contraint de les renvoyer chez elles plus tôt que d’habitude (Rûdaw).

Toujours dans les territoires disputés, on assiste peut-être à une amélioration quant à la présence de Daech. En début de mois, les peshmerga ont terminé une opération conjointe avec les forces irakiennes dans le district de Sargaran, qui, selon le ministère des Peshmerga, a permis de «nettoyer» la zone de Daech. Par ailleurs, Le Figaro s’est fait le 13 l’écho d’une certaine diminution du nombre d’attaques, calculé par une étude de l’académie militaire de West Point. Si en 2020 on en comptait encore plus de 800 par trimestre, elle sont tombées  depuis à 330 en moyenne. L’institution militaire américaine explique cette diminution par plusieurs facteurs: l’isolement des djihadistes de la population, la montée en puissance des forces de sécurité, les éliminations de hauts dirigeants de l’organisation. «Fief djihadiste depuis le milieu des années 2000, la province de Diyala et sa «capitale» Baqouba restent le seul centre urbain où Daech commet encore très régulièrement des attaques, comme fin janvier où 11 soldats ont été tués durant la nuit dans leur caserne…» (Le Figaro) Il faut relativiser cette amélioration en notant que 300 attaques par trimestre, cela en fait toujours 100 par mois, soit près de 3 attaques par jour. Par ailleurs, à peine annoncée la conclusion de l’opération conjointe kurdo-irakienne, on a appris que le déploiement de l’unité conjointe entre peshmerga et militaires fédéraux était retardée jusqu’à la formation du futur gouvernement… (WKI)

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IRAN: NÉGOTIATIONS À VIENNE, RÉPRESSION ACCRUE AU KURDISTAN

La veille du déclenchement de l’invasion russe de l’Ukraine, le 24 février, Le Monde titrait : «L’accord nucléaire avec l’Iran est sur le point d’être sauvé». «Un projet d’accord est sur la table», expliquait au Monde une source proche du dossier, tandis que le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, précisait: «Il faut des décisions politiques de la part de Téhéran». Le lendemain de l’invasion, les observateurs se posaient la question de ses conséquences sur les négociations en cours à Vienne: si Moscou ne souhaite guère à sa frontière sud un Iran disposant de l’arme nucléaire, clef de sa participation jusqu’à présent, l’antagonisme renouvelé de la Russie avec l’Occident, et au premier chef avec les États-Unis, pourrait la mener à «prendre en otage» les discussions… Pourtant, arriver à un accord est vital : «D’après les experts, le pays enrichirait d’ores et déjà assez d’uranium, pour passer à la fabrication d’une bombe, s’il en décidait ainsi» (Le Monde). Pour les Occidentaux, fin février est la limite pour que l’accord ne devienne caduc… Le 28, l’Iran a demandé des engagements occidentaux sur trois points-clés: l'ampleur de la levée des sanctions, la garantie que les États-Unis ne quitteront pas à nouveau le pacte et la résolution des questions relatives aux traces d'uranium découvertes sur plusieurs sites anciens mais non déclarés en Iran (Reuters).

Si enfin un nouvel accord est conclu, il pourrait s’accompagner, comme lors de la conclusion du premier, de la libération réciproque de prisonniers. En janvier 2016, Washington avait libéré ou abandonné les poursuites contre 7 Iraniens, et Téhéran avait libéré 5 Irano-Américains. Ce 22 février, l’émissaire spécial de Washington pour l’Iran, Robert Malley, a demandé dans un tweet la libération de 4 Américains détenus en Iran, alors que de son côté Téhéran demande toujours la libération de plus d’une douzaine de ses ressortissants emprisonnés aux Etats-Unis, la plupart détenus pour violation des sanctions américaines (Le Monde).

Pourtant, le problème des étrangers «pris en otages» en Iran est bien loin d’être réglé. Le 8, l’Agence de presse iranienne dissidente KurdPA a dénoncé sur son site le risque d’exécution encouru par le citoyen allemand d’origine iranienne Jamshid Sharmahd. Enlevé illégalement à Dubai par des agents iraniens en 2020, tout comme l’avait été en Irak le dissident iranien vivant à Paris Rohollah Zam, il est accusé d’avoir planifié des actes terroristes en Iran. L’acte d’accusation contenant le terme redouté de Mofsed-e-filarz, «corruption sur la terre», Sharmahd, quasiment mis au secret et empêché de choisir son avocat, risque le même sort que Zam, ramené en Iran et exécuté en décembre 2020 après une mascarade de procès. Déjà, la télévision a diffusé ses «aveux» obtenus sous la torture, et son procès a été confié au même juge qui avait prononcé la condamnation de Zam… Le Centre pour les droits humains en Iran (CHRI) a appelé les différentes instances des Nations Unies et ses États membres à exiger la libération de Sharmahd, la cessation immédiate des enlèvements et l’arrêt de la criminalisation de la dissidence en Iran. Plusieurs autres dissidents enlevés à l’étranger sont en cours de jugement en Iran, comme le Suédo-iranien Habib Chaab, enlevé en Turquie, dont le procès a commencé à Téhéran le 18 janvier dernier.

La présence à la présidence iranienne de l’ancien chef du pouvoir judiciaire Ebrahim Raïssi, qui fut membre de la «Commission de la Mort» de Téhéran, donne peu d’espoir que les demandes du CHRI puissent être entendues. Avec 8 autres organisations de défense des droits humains, le CHRI a exhorté le 18 les gouvernements des pays en cours de négociation avec l’Iran à Vienne à ne pas lever les sanctions contre ce pays tant que les droits humains n’y sont pas respectés, et notamment à maintenir les sanctions contre son président, coupable de crimes contre l’humanité. Les signataires rappellent que les «Commissions de la Mort» ont organisé en 1988 l’exécution extrajudiciaire de masse de dizaines de milliers de prisonniers politiques déjà jugés et purgeant leur peine de prison. Raïssi devrait être jugé pour sa participation.

Par ailleurs, les exactions du régime se poursuivent au Kurdistan d’Iran. Le 4, la police a tué dans sa voiture Mohammed Ahmadi, un Kurde de Kermanshah qui se déplaçait avec sa famille. Selon plusieurs groupes locaux de défense des droits humains, il aurait refusé de payer un backchich illégal à un point de contrôle. Aussi à Kermanshah, Muhseen Mahmudi, incarcéré pour sa participation aux manifestations de 2019, s’est suicidé en prison. Il était devenu aveugle après avoir été blessé par balles durant les protestations (WKI).

Près de Salas-e Babajani, les pasdaran (Gardiens de la révolution) ont grièvement blessé un homme qu’ils ont accusé de contrebande. Maziar Azizi n’est que l’une des nombreuses victimes de la chasse meurtrière que livrent aux kolbars (porteurs transfrontaliers) les forces de répression du régime. D’autres sont victimes de mines datant de la guerre Iran-Irak et volontairement laissées en place pour empêcher la traversée de la frontière, comme à Dehloran le 5, où un membre de la tribu Zanganeh venu de Kermanshah faire pâturer ses bêtes a dû être amputé d’une jambe. Le 21, une autre mine a blessé aux jambes 3 kolbars de Sardasht qui ont dû être hospitalisés à Baneh, tandis qu’un autre porteur de Paveh connaissait le même sort près de Nowsud. La frontière de Shooshmi (Kermanshah), est truffée de mines qui blessent ou tuent régulièrement kolbars ou personnes ordinaires (KurdPA).

Le 13, le 14 et le 16, trois kolbars ont été visés sans sommation par les pasdaran et blessés par balles, respectivement près de Nowsud, Paveh et Baneh. Tous 3 ont dû être hospitalisés. Le 25, un civil au volant d’une voiture, Saadi Piran, père de deux enfants, a été tué par balles près de Baneh par des soldats. Le soupçonnant de transporter des marchandises de contrebande, ils ont ouvert le feu sans sommation (KurdPA). Les gardes-frontières iraniens ont blessé un autre kolbar dans une autre attaque près de Sarvabad (WKI).

Ces porteurs kurdes régulièrement tués sans sommation par les forces de répression sont réduits à ce dangereux métier par la politique délibérée de discrimination économique que subit le Kurdistan d’Iran. Le reste de l’Iran n’est pas épargné, comme le montrent les suicides récents de plusieurs enseignants, à Minab (Hormozgan) le 3, ou encore à Gerash (Fars) en septembre dernier. C’est que, en plus de la forte inflation des trois années précédentes, les prix des denrées alimentaires ont augmenté de plus de 60%  ces derniers mois, alors que les enseignants perçoivent moins de 200 dollars par mois et subissent fréquemment des retards de paiement. De nombreuses manifestations d’enseignants ont eu lieu en début de mois dans tout le pays, dont au Kurdistan. Beaucoup ont été arrêtés et emprisonnés pour avoir protesté contre leurs conditions de travail et de paiement (WKI). À Mariwan, ils se sont rassemblés le 7 pour exiger la libération de plusieurs de leurs collègues, comme Shaaban Mohammadi, arrêté le 30 janvier 2021 (HRANA).

Enfin, à Khorramabad, capitale du Loristan, un vendeur de rue s’est immolé par le feu après que la municipalité lui a interdit de travailler.

Chacun en Iran est susceptible d’être victime de la répression, mais les minorités ethniques et religieuses, dont les Kurdes, sont toujours particulièrement visées. Ainsi Zara Mohammadi, native de Sanandaj, co-fondatrice de l’organisation humanitaire et culturelle Nozhin, qui a été emprisonnée pour avoir enseigné leur propre langue à des enfants kurdes. Sa peine d’abord fixée à 10 ans de prison a été réduite à 5 ans sous la pression de l’opinion, mais elle ne mérite en réalité aucun emprisonnement! L’institut kurde de Washington retrace son histoire dans une courte vidéo publiée sur Youtube, intitulée Unsilenced Voice (->), dans laquelle témoigne notamment son frère. Très significativement, c’est à l'occasion de la «Journée internationale de la langue maternelle», le 21 février, qu’un jeune couple de membres très actifs de Nozhin, Pajam Meri et Waran Nazhad, ont été à leur tour arrêtés à Sanandaj alors qu’ils distribuaient documents et affiches consacrés à cette journée (WKI)…

L’Organisation Hengaw pour les droits humains a signalé qu’en janvier, le régime avait arrêté 50 militants kurdes. Février a également été marqué par de nombreuses arrestations et condamnations. Ainsi le 1er février, le militant syndical Rebwar Abdollahi, arrêté la veille sans mandat légal, a indiqué par téléphone à sa famille qu’il était détenu au bureau de la Sécurité de Sanandaj.  La semaine suivante, un autre militant, Khabat Shakib (ou Dehdar, selon la source) a été arrêté dans la même ville. À Oshnavieh, 5 Kurdes ont été transférés en prison après des semaines d’interrogatoire par l’Etelaat (Sécurité). Ils seraient accusés d'«appartenance à des partis kurdes». À Paveh, Roya Mehedini, 18 ans, a été condamnée à un an d’emprisonnement pour la même accusation. Le 10, Soran Mahmoudi a été arrêté sans mandat à un point de contrôle de Kermanshah et interné dans un centre de détention de l’Etelaat. Il a pu en informer sa famille par téléphone, mais celle-ci n’a pu apprendre quelles charges pesaient sur lui. Le 13, ce sont 4 habitants de Piranshahr qui ont été arrêtés dans les mêmes conditions. Le 14, un habitant du village d’Amroleh (Sanandaj), Ebrahim Tarimoradi, arrêté en juillet dernier dans un raid à son domicile, a été condamné en appel à un an d’emprisonnement pour «propagande contre le régime et affiliation à l'un des partis d'opposition kurdes» (KurdPA). Par ailleurs, un soldat d’origine kurde, Mohammed Azizi, a été arrêté, selon Hengaw parce que sa sœur appartient à un parti kurde… Les pasdaran ont  également mené un raid sur une maison d’édition kurde d’Ilam appelée Bashur et au domicile de son propriétaire, le poète et écrivain Mohammed Nisari (WKI).

Le 15, l’activiste kurde Kiomars Latifi, surveillé depuis longtemps par la Sécurité, a été arrêté à Sanandaj. Il était passé dans la clandestinité depuis 6 mois, mais a été repéré par une caméra de surveillance placée près de son domicile. Sa sœur a été aussi placée en garde à vue, après un raid chez elle. Le 19, un habitant de Piranshahr, Loqman Seyedeh, a été arrêté et mis au secret lors d’un raid de la Sécurité sur son domicile. Par ailleurs, le poète et activiste de Kermanshah Kamaran Takouk a été condamné à deux ans et quatre mois de prison pour «manque de respect envers le Guide suprême» et «propagande contre l'État». D’autres arrestations ont visé des habitants de Bokan, et un professeur de langue kurde, Maisam Khorani, à Ilam (WKI).

Comme indiqué, la plupart des arrestations de ce mois ont été faites sans base légale, puisqu’aucun mandat n’a été montré et aucune accusation indiquée.

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APRÈS L’ATTAQUE D’HASSAKÉ, LES PAYS D’ORIGINE DES PROCHES DE DJIHADISTES DEVANT LEURS RESPONSABILITÉS

L’attaque djihadiste de la prison de Ghwayran à Hassaké le 20 janvier a remis sur le devant de la scène la question du sort des familles de djihadistes, et tout particulièrement des enfants. En effet, il est apparu que des centaines de mineurs âgés de 12 à 18 ans se trouvaient incarcérés dans cet établissement. Après la reprise de contrôle par les Forces Démocratiques Syriennes (FDS), qui s’est faite au prix de centaines de morts, l’Unicef a annoncé dans un communiqué avoir pu rencontrer les enfants toujours présents sur place, sans préciser leur nombre, et indiqué que, malgré certains services essentiels désormais garantis, «la situation de ces enfants [était] incroyablement précaire». De son côté, Farhad Shami, porte-parole des FDS, a déclaré à l’AFP que «des centaines» de mineurs étaient toujours détenus à Ghwayran, mais a refusé de divulguer un nombre exact. Avant l'assaut, Save the Children ou Human Rights Watch estimaient leur nombre à plus de 700… (AFP)

Les autorités kurdes (AANES) n’ont cessé de demander le rapatriement des proches, femmes et enfants, mais aussi des djihadistes étrangers eux-mêmes, reprochant à leurs pays d’origine de ne pas prendre leurs responsabilités. En janvier 2021 déjà, l’ONU avait appelé au rapatriement des enfants de djihadistes étrangers se trouvant en Syrie. Après l’attaque de Ghwayran, cette question est de nouveau dans l’actualité. Le représentant de l’UNICEF en Syrie, Bo Viktor Nylund, un temps très critique de l’AANES, a quelque peu radouci le ton, déclarant: «L'UNICEF reconnaît les efforts des autorités locales pour stabiliser la situation à l'intérieur et à l'extérieur de la prison». Il a indiqué que son organisation était «prête à aider à financer un nouveau lieu sûr dans le nord-est de la Syrie pour prendre en charge les enfants les plus vulnérables», ajoutant: «Nous appelons les Etats membres des enfants étrangers à rapatrier ces enfants de toute urgence, conformément à leur intérêt supérieur».  

Il y aurait parmi les mineurs de Ghwayran une dizaine de jeunes Français, et dans tout le Kurdistan syrien jusqu’à 200 enfants, pour lesquels la demande de rapatriement, ainsi que pour leurs mères, a été renouvelée début février par plusieurs députés. La Cour européenne des Droits de l’homme a également été saisie de cette question. Puis le 15, plusieurs ONG réunies en conférence de presse ont lancé un nouveau «cri d’alarme» sur le «danger de mort» qui menace ces enfants français de djihadistes, parfois détenus en Syrie depuis 2017, exhortant à leur tour les autorités françaises à les rapatrier. Françoise Dumont, Présidente d’honneur de la Ligue des droits de l’homme, a exhorté le gouvernement français à «sortir de l’impasse juridique, humanitaire et sécuritaire» où il s’est lui-même placé. Patrick Baudoin, Président d’honneur de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) a rappelé que les enfants enrôlés de forces dans des conflits ne sont jamais considérés comme des coupables, mais comme des victimes de ceux-ci: «Les conventions internationales obligent la France à les protéger. Quant aux femmes, la justice française est tout à fait compétente pour les juger». Mais le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a exclu tout rapatriement d’adulte. Pourtant, plusieurs pays européens ont récemment rapatrié femmes et enfants de Syrie, dont les Pays-Bas et la Suède. Le rapatriement, c’est aussi la demande des Kurdes de Syrie, qui disent de ne plus pouvoir assurer la sécurité des camps face à la résurgence de Daech…

Le 24, le Comité des droits de l’enfant de l’ONU a publié un communiqué affirmant que la France viole les droits des enfants retenus en Syrie en refusant de les rapatrier.

Au-delà du seul cas de la France et de ces enfants, ce sont tous les pays dont des ressortissants, enfants ou adultes, se trouvent toujours dans les lieux de détention administrés par les Kurdes, qui sont mis en face de leurs responsabilités – et encore plus depuis l’attaque de Ghwayran.

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