Le mois de septembre a été marqué en Iran par des manifestations commémorant le premier anniversaire de la mort de Jîna Mehsa Aminî. Et du mouvement « Femme Vie Liberté » qui a suivi son décès en garde à vue.
Il y a un an la jeune étudiante kurde iranienne Jîna Mahsa Amînî était morte en garde-à-vue à Téhéran pour le port non conforme de voile islamique que le régime des ayatollahs impose depuis 1979.
Sa mort a déclenché une vague d’indignation et de protestation d’abord au Kurdistan iranien d’où elle était originaire puis, progressivement, dans tout l’Iran. Ce vaste mouvement de protestations, fédéré autour du mot d’ordre « Jin, Jiyan, Azadî » (Femmes, Vie, Liberté), a mobilisé toutes les couches sociales et toutes les générations. Lycéennes et collégiennes y ont massivement participé aux côtés des étudiants, des employés, des ouvriers, des gens des classe moyennes. Ces manifestations qui ont duré plusieurs mois ont été très brutalement réprimées par le régime iranien contesté dans la légitimité.
Le bilan de la répression, établi par les ONG des droits de l’homme s’élève à 597 morts dont 70 mineurs, 19.262 blessés et à 14.000 arrestations dans 134 villes et 132 universités du pays.
A l’occasion de cet anniversaire, le régime iranien a déployé d’importantes forces pour empêcher toute manifestation populaire notamment au Kurdistan et au Balouchistan, les deux provinces les plus hostiles à la République islamique, il a procédé à de nombreuses arrestations préventives dont celle de l’oncle de Jîna Aminî le 5 septembre (voir Le Monde, p. 16), celle de neuf civils au Kurdistan (voir p. 37).
Un tribunal de Téhéran a condamné le 3 septembre deux femmes journalistes à 3 ans de prison pour « complot » et « collusion ». Elnaz Mohammadi et sa sœur Elaheh Mohammadi, détenues depuis septembre 2022 pour avoir couvert pour le quotidien Ham Mihan (Compatriote) les obsèques de Jîna Mahsa Aminî.
Le 31 août, un manifestant, Javad Rouhi, détenu lui aussi depuis septembre 2022 pour avoir participé aux manifestations qui ont suivi la mort de Jîna Aminî, était décédé en prison à l’âge de 35 ans. Selon le site officiel de la justice iranienne « Mizan Online » il aurait succombé à une crise d’épilepsie. Mais selon Amnesty International, Javad Rouhi n’avait aucun antécédent médical connu avant son arrestation. Mais son arrestation et les actes de torture intenses auxquels il était soumis (battu alors qu’il était attaché à un poteau, électrocuté avec des pistolets paralysants, exposé à des températures glaciales, agressé sexuellement et soumis à des simulacres d’exécution) lui avaient laissé de fortes séquelles aggravées par l’absence de traitements médicaux (voir La Croix, p. 1).
Au Kurdistan, à l’appel du Comité de coordination des partis politiques et organisations syndicales kurdes une grève générale très suivie a été observée. A partir du 16 septembre, jour anniversaire de la mort de Jîna Aminî, pendant trois jours tous les magasins, marchés et commerces ont été fermés. L’accès à l’Internet a été suspendu. Dans le reste de l’Iran, des manifestations spontanées, vite réprimées, ont eu lieu. Les accès à la ville natale de Jîna Aminî, Saqqez, ont été bloquées, sa famille placée sous résidence surveillée, toute commémoration au cimetière interdite.
La diaspora kurde et iranienne s’est mobilisée dans les principales capitales européennes, au Canada et aux Etats-Unis où le président Joe Biden a publié un message de soutien où il déclare : « Face à une oppression et à une violence continues les citoyens d’Iran restent engagés dans leur lutte pour un avenir libre et démocratique (…). Seuls les Iraniens détermineront le sort de leur pays mais les Etats-Unis restent engagés à se tenir à leur côtés ». Il salue « les courageux Iraniens qui poursuivent la mission de Mahsa Amini » (voir p. 115).
Le 15 septembre, le Royaume Uni a annoncé des sanctions visant plusieurs responsables iraniens dont le ministre de la Culture, le maire de Téhéran et le porte-parole de la police. L’Union européenne a le même jour ajouté quatre responsables iraniens sur la liste des Iraniens sanctionnés en raison de la répression des manifestations en Iran. Il s’agit d’un commandant des Gardiens de la révolution, de deux chefs régionaux de la police et d’un directeur de prison. Depuis le début de la répression les 27 pays de l’Union ont déjà imposé des interdictions de visa et des gels d’avoir à 170 citoyens, entreprises et agences iraniens (voir p. 116). Il s’agit de sanctions symboliques sans impact significatif sur le régime.
En France, la maire de Paris, Mme Anne Hidalgo, a inauguré le 16 septembre un « Jardin Mahsa Jîna Aminî » en présence d’une foule nombreuse composée de Kurdes, d’Iraniens, d’élus dont les sénateurs Rémi Féraud et Janick Jadot, plusieurs adjoints à la maire ainsi que Mme Alexandra Cordebard, maire du Xème arrondissement. De son côté l’Institut kurde de Paris a organisé le 30 septembre à la mairie du 10ème arrondissement un colloque intitulé La situation des femmes et des droits humains au Kurdistan et en Iran réunissant autour d’une table ronde modérée par le professeur Hamid Borzarslan des universitaires kurdes et iraniens apportant dans le cadre d’un débat pluriel leurs analyses et leurs éclairages.
Par ailleurs, un collectif rassemblant plusieurs personnalités, dont l’ancien champion de boxe Mahyar Monshipur, a demandé l’exclusion de l’Iran des Jeux olympiques et para olympiques de 2024 en raison de la violation des principes fondamentaux de l’olympisme (voir Le Monde p. 49). De son côté, le Parlement européen a, le 21 septembre, nommé Jîna Mahsa Amini pour le Prix Sakharov pour la liberté de l’esprit (voir p. 77).
Le régime iranien semble imperturbable face à la contestation à l’intérieur et aux condamnations des pays occidentaux. Le 20 septembre, le Parlement iranien a approuvé par 152 voix contre 34 un projet de loi appelé « soutien à la culture de chasteté et du voile » qui renforce les sanctions contre les femmes ne portant pas le voile obligatoire dans les lieux publics. Elle prévoit aussi des sanctions financière pour la « promotion de la nudité » ou la « moquerie du hijab » dans les media et sur les réseaux sociaux (voir p. 75-75). Un parc aquatique a été fermé pour avoir permis à des femmes d’entrer sans voile (voir p.15).
Pendant ce temps, le régime iranien a réalisé un beau succès diplomatique en convenant, par l’intermédiaire du Qatar, un accord d’échange de prisonniers avec les Etats-Unis. Le 18 septembre cinq Américains (d’origine iranienne), prisonniers en Iran ont été libérés et sont arrivés à Doha (Qatar). En échange, cinq ressortissants iraniens condamnés ou poursuivis aux Etats-Unis bénéficient de « mesures de clémence » et rejoignent l’Iran. Pour obtenir cet échange de prisonniers, Washington a accepté le dégel de six milliards de dollars d’avoir iraniens bloqués en Corée du Sud à la suite de sanctions américaines. Le transfert de fond sur six comptes iraniens dans deux banques du Qatar a été effectué le jour même. En principe, ces fonds ne peuvent être utilisés que pour des achats humanitaires (nourriture, médicament, etc.). Mais nul ne se fait d’illusions : l’Iran, passé expert dans l’art de contourner les sanctions depuis 40 ans, trouvera les moyens de s’en servir à sa guise. Cette manne financière est arrivée sur les comptes iraniens, le surlendemain de l’anniversaire de la mort de Jîna Mahsa Amini.
Le Parlement européen a adopté le 13 septembre à une très large majorité (434 voix pour, 18 voix contre et 152 abstentions) un rapport sur les relations de l’Union européenne avec la Turquie qui acte l’arrêt du processus d’adhésion turque.
Selon ce rapport, « à moins que le gouvernement turc ne change radicalement de cap le processus d’adhésion de la Turquie à l’UE ne peut reprendre dans les circonstances actuelles ». Comme il est peu probable que la Turquie d’Erdogan change radicalement de cap dans un avenir prévisible les euro-députés « invitent le gouvernement turc, l’Union européenne et ses États membres à sortir de l’impasse actuelle et à s’orienter vers un partenariat plus étroite », ils recommandent de trouver « un cadre parallèle et réaliste pour les relations UE-Turquie » et invitent la Commission à « explorer différents formats possibles ».
En clair, le projet d’adhésion de la Turquie s’avère irréaliste, la Commission doit explorer un cadre plus réaliste qui pouvait être qualifié de « partenariat stratégique » ou spécial ou privilégié en matière de sécurité, des relations commerciales et de migration. Les euro-députés soulignent que même dans ce cadre de partenariat la Turquie est tenue de respecter les valeurs démocratiques, les droits humains et se conformer aux lois, principes et obligations de l’Union européenne.
Ce rapport à suscité de vives réactions à Ankara où le président turc a accusé l’UE de « cécité stratégique ». Il est convaincu qu’en raison de sa situation géographique la Turquie est indispensable pour l’Europe et que celle-ci doit l’accepter telle qu’elle est, qu’étant déjà une démocratie supérieure », elle n’a pas à s’adapter aux lois et règles de l’UE et qu’elle n’a pas de leçon de démocratie à recevoir des européens qui selon lui seraient coupables d’islamophobie. C’est avec cette même logique qu’Ankara refuse d’appliquer les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme qui en principe s’imposent à tous les États signataires de la Convention européenne des droits de l’homme et membres du Conseil de l’Europe. La suspension voire l’exclusion de la Turquie de ce Conseil fait l’objet de débats récurrents au sein de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, qui pour l’instant temporise.
Le rapport du Parlement européen « salue le vote de la Turquie condamnant la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine à l’Assemblée générale des Nations unies et son engagement en faveur de la souveraineté et de l’intégrité territoriale du pays « tout en regrettant qu’elle ne soutienne pas les sanctions en dehors du cadre de l’ONU. Selon le rapport « le taux d’alignement de la Turquie sur la politique étrangère et de sécurité commune de l’UE est tombé à un niveau historiquement bas de 7 %, de loin le plus bas de tous les pays concernés par l’élargissement ».
Réagissant à ce constat implacable, le président turc, en route vers New York pour l’Assemblée générale de l’ONU, a déclaré, le 16 septembre, que la Turquie pourrait « se séparer de l’Union européenne si nécessaire ». Reprenant ses diatribes habituelles contre l’UE qui serait un « club chrétien » et ferait attendre injustement la Turquie à ses portes il a affirmé que « l’UE tente de se séparer de la Turquie. Nous évaluerons ces développements et si nécessaire, nous nous séparerons de l’UE (voir p.47 et 58).
Cependant, la Turquie fait face à une crise économique grave avec une inflation de 58,9 % en août, une dette à court terme de plus de 200 milliards de dollars, un taux directeur relevé à 30 % par la banque centrale qui pénalise les investissements. Elle ne peut s’offrir le luxe d’ouvrir une crise avec l’UE qui reste sa principale partenaire commerciale. D’autant que ses relations avec la Russie montrent aussi leurs limites. Dépités par le feu vert d’Ankara à l’adhésion de la Suède à l’OTAN, le président russe n’a pas répondu aux invitations de son homologue à se rendre en Turquie. Le président syrien refuse de le rencontrer tant qu’il ne retire pas ses troupes d’occupation de Syrie. Avec l’Irak aussi les relations deviennent tendues en raison des bombardements turcs au Kurdistan, parfois à plus de 100 km loin de la frontière turque alors que « l’accord » oral convenu avec Saddam Hussein autorise l’armée turque à engager des poursuites contre des attaques terroristes » jusqu’à 5 km de la frontière et qu’il n’y a actuellement entre Ankara et Bagdad aucun accord autorisant les interventions militaires turques en Irak. Hormis le Qatar et, dans une moindre mesure les autres pétro-monarchies du Golfe, la Turquie d’Erdogan ne peut plus compter que sur l’Azerbaïdjan dont l’offensive contre la petite enclave arménienne du Haut-Karabagh a été fêtée par la Turcs comme une victoire.
Considéré jadis comme le pays musulman le plus occidentalisé, la Turquie, sous le régime d’Erdogan est devenue un pays du Moyen Orient avec une omni-présence des femmes portant le foulard islamique dans les media, les universités, la police, les administrations. Les lycées Imam Hatip créés pour former des prédicateurs et des imams pour les mosquées ont été multipliés au point où ils comptent plus d’un million d’élèves. Le projet de former « une génération pieuse », de construction d’une ampleur sans précédent de mosquées, le gros budget accordé à la Direction des Affaires religieuses ont transformé profondément la Turquie en un État islamiste et conservateur. L’élite laïque et libérale s’expatrie. Les voix dissidentes sont étouffées systématiquement. Ainsi, malgré un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme ordonnant sa libération, le philanthrope turc Osman Kavala, détenu depuis six ans, a vu sa condamnation à perpétuité confirmée le 28 septembre par la cour de cassation turque qui l’incrimine comme « l’organisateur principal et le financier » des manifestations contre la transformation du parc Gezi d’Istanbul en caserne. Manifester pour la préservation d’un parc est considérée par la justice turque aux ordres comme « une tentative de renversement du gouvernement » (voir p. 97).
Au terme de longues et difficiles négociations et à la suite d’une ultime rencontre le 14 septembre entre une délégation kurde conduite par le Premier ministre Masrour Barzani et le Premier ministre irakien Chia al-Soudani, le gouvernement fédéral irakien a décidé le 17 septembre d’accorder des fonds supplémentaires à la Région du Kurdistan afin de lui permettre de payer les salaires de ses employés et fonctionnaires ainsi que les pensions des retraités. Il s’agit d’un financement supplémentaire de 700 milliards de dinars (530 millions de dollars) par mois, pour une période de trois mois, soit au total une somme d’environ 1,690 milliards de dollars.
Ces sommes seront versées au Kurdistan via des prêts de trois banques publiques et remboursées par le ministère irakien des Finances selon le communiqué publié le 17 septembre par le gouvernement irakien qui indique que ce mécanisme vise à fournir « des liquidités au gouvernement régional du Kurdistan d’Irak et lui permettre de payer les salaires des fonctionnaires, les subventions sociales et les pensions des retraités. Les services compétents à Bagdad et au Kurdistan ont un mois pour « vérifier les effectifs des fonctionnaires, de bénéficiaires des subventions sociales et des retraités ». L’argent ainsi débloqué servira à payer les salaires et pensions des mois de septembre, octobre et novembre 2023. Aucun dispositif n’est prévu pour la suite ni pour les salaires et pensions impayés des mois de juillet et août. Il s’agit donc d’un compromis temporaire dont s’est félicité le Premier ministre du Kurdistan (voir p. 64).
La loi budgétaire approuvée par le parlement irakien en juin dernier prévoyait d’ailleurs d’allouer au Kurdistan 12,6 % du budget fédéral mais Bagdad, sous des prétextes divers, n’a pas procédé à des virements prévus par la loi. Début septembre, l’Irak a débloqué une somme de 500 milliards de dinars (environ $382 millions) somme dénoncée comme « insuffisante » voire comme une misère par le gouvernement du Kurdistan qui déclare que la Région a besoin de 940 milliards de dinars ($717 millions) par mois et demande à Bagdad d’honorer ses engagements (voir p. 11). Le 6 septembre le conseil des ministres du Kurdistan a réitéré cette demande « Bagdad doit envoyer à la Région du Kurdistan sa dotation financière, conformément à son budget mensuel de 1375 milliards de dinars dont 906 milliards sont alloués aux salaires pour que le Gouvernement régional du Kurdistan puisse payer les salaires et les pensions » (voir p. 20).
Le 5 septembre plusieurs milliers de fonctionnaires avaient manifesté à Duhok pour réclamer les paiements de leurs salaires. Dans la province du Suleimaniah il y a eu des grèves sporadiques des enseignants privés de salaires depuis des mois. En raison de la crise financière qui depuis 2014 frappe le Kurdistan, les salaires n’ont depuis des années pas pu être versés dans leur intégralité. Les exportations via la Turquie du pétrole kurde permettaient d’en verser une bonne part jusqu’en mars dernier, date à laquelle celles-ci ont été suspendues, privant le Kurdistan de l’essentiel de ses ressources propres. La reprise annoncée souvent proche des exportations pétrolières tarde en raison du contentieux financier entre Bagdad et Ankara. Tout accord irako-turc sera moins avantageux pour la Turquie que l’accord kurdo-turc qui a prévalu jusqu’en mars dernier. L’arrêt des explorations pétrolières du Kurdistan a déjà fait perdre plus de 6 milliards de revenus au Kurdistan et à l’Irak.
La crise financière si elle devait persister davantage, risquerait de déstabiliser le Kurdistan et la région. C’est le message que le secrétaire d’État américain, Anthony Blinker, a donné au Premier ministre irakien le 19 septembre lors d’une rencontre en marge de l’Assemblée générale des Nations-Unies à New York. Selon la déclaration du porte-parole du Département d’État « Le secrétaire (d’État) a appelé le gouvernement irakien à continuer sa coopération avec le gouvernement régional du Kurdistan (KRG) pour renforcer la stabilité et la résilience du KRG ».
Une stabilité menacée aussi par les bombardements récents de la Turquie, par les injonctions et ingérences de l’Iran et par des décisions intempestives de la Cour fédérale de Bagdad. Le 24 septembre celle-ci a décidé de dissoudre les conseils municipaux du Kurdistan élus en 2014 pour un mandat de quatre ans, ces conseils devaient être renouvelés en 2018. Mais en raison d’un contexte de tensions extrêmes et de conflits consécutifs au référendum de septembre 2017 les élections n’avaient pas pu être organisées. Pour éviter un vide administratif, le Parlement du Kurdistan avait décidé de prolonger le mandat de ces conseils.
Le gouverneur d’Erbil a qualifié cette décision de « politique » car plusieurs autres provinces de l’Irak, dont Kirkouk, n’ont pas pu non plus renouveler à temps leurs conseils sans que la Cour ne s’en inquiète.
La Turquie continue de violer en toute impunité l’espace aérien irakien. Elle est allée jusqu’à bombarder le 18 septembre un aéroport kurde, celui d’Arbat situé à 27 km près de Suleimanieh tuant trois membre des services anti-terroristes du Kurdistan et en blessant trois autres. Le 19 septembre, un haut responsable irakien a confirmé que le drone ayant mené cette attaque venait bien de Turquie et que l’attaque violait la souveraineté et l’intégrité territorial de l’Irak.
Le président irakien a vivement condamné cette agression mais Ankara n’en a cure. Les Turcs affirment que cet aéroport servait à entrainer les membres du YGG, combattants kurdes syriens alliés de la coalition internationale dans la guerre contre Daech, considérés comme « terroristes » par Ankara.
Pour retirer à l’Iran tout prétexte à intervention militaire, le gouvernement du Kurdistan a évacué les camps d’exilés politiques kurdes d’Iran. Les familles ont été dispersées dans plusieurs localités. Téhéran demande maintenant qu’on lui remette les exilés politiques kurdes iraniens, ce que le gouvernement du Kurdistan refuse catégoriquement. Sortant de son prudent mutisme le président du Kurdistan, Nechirvan Barzani a déclaré qu’il n’y avait « aucune excuse pour une intervention militaire iranienne ». Bagdad a également affirmé avoir respecté les termes de l’accord conclu à ce sujet avec Téhéran en avril dernier.
Les forces démocratiques syrienne (FDS) à dominante kurde, alliées de la coalition internationale dans la guerre contre Daech ont connu un mois très agité et meurtrier. Elles ont, au bout d’une dizaine de jours d’affrontements avec certaines tribus de la province à majorité arabe de Deir-ez-Zor, pu rétablir l’ordre et reprendre les villages et localités investis par les insurgés. Ceux-ci s’étaient soulevés à la suite de l’arrestation, le 27 août d’un chef tribal local, Ahmad al-Khubei, dit Abou Khawla, accusé de trafics divers, de corruption et d’entente avec le régime syrien. Nommé par l’administration du Rojava comme chef du conseil militaire de Deir ez-Zor, ce dernier aurait abusé de sa position pour s’enrichir et se livrer à toute sorte de trafics suscitant les critiques de la population locale. Sans approuver ses méfaits trois tribus arabes ont, par solidarité tribale, rejoint ses partisans dans leur mutinerie contre les FDS. La Turquie a soufflé sur les braises pour tenter de mobiliser d’autres tribus arabes qui, finalement, ont préféré rester neutres. Les affrontements ont fait 90 morts, dont 25 combattants kurdes (voir le Figaro p. 18, Libération p. 22 et le Monde p. 23). Dans un communiqué du 1er septembre le commandement militaire américain au Moyen Orient (Centcom) a demandé la fin des violences dans le nord-est de la Syrie (voir AFP p. 99).
Le 6 septembre, les FDS ont annoncé « la fin des opérations militaires » dans la province, le lendemain, leur commandant en chef, le général kurde Mazloum Kobani a annoncé une amnistie pour tous qui ont pris les armes contre eux dans un souci d’apaisement et promis le règlement par le dialogue les problèmes de Deir ez-Zor avec pour objectifs la paix, la stabilité et le développement. Nous avons déjà relâché la moitié de nos prisonniers et la libération des autres va suivre bientôt a-t-il ajouté (voir p. 20).
La veille de cette annonce des factions pro-turques disant appartenir à ces tribus arabes insurgées, ont attaqué dans la province de Manbij des positions des FDS « en soutien aux combattants arabes de Deir-ez-Zor » selon l’AFP (voir p. 106). 4 miliciens turcs ont été tués d’après un bilan établi par l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) qui indique que ces affrontements ont contraint des dizaines de familles à fuir.
Le 26 septembre, des hommes armés du régime syrien ont traversé l’Euphrate et se sont infiltré, dans la localité sous contrôle des FDS de Dherbani dans la province de Deir ez-Zor. Les affrontements ont duré toute la nuit du 25 au 26 septembre et ils ont fait 25 morts, dont 21 morts dans les rangs des hommes armés pro-régime, trois combattants des FDS et une victime civile selon le bilan de l’ODHS (voir p. 126).
De son côté la Turquie a poursuivi ses opérations contre les cibles civiles comme des centrales électriques et des infrastructures. Elle a aussi utilisé ses drones pour assassiner des combattants kurdes. Le 15 septembre un drone turc a frappé une voiture sur la route du sud de Manbij tuant trois combattantes kurdes : Candan Cerdi, Servin Serdar et Nurcan Ocalan. Elles appartenaient aux unités de protection des femmes (YPG), selon le communiqué du Conseil militaire de Manbij. Le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères Jean Asselborn a dans un twit dit « regretter profondément la mort des trois combattantes kurdes » en ajoutant qu’il avait rencontré Serdar en 2016 pour exprimer son « soutien dans le combat commun contre Daech ». Il a été le seul responsable occidental à exprimer des « regrets ! ». Aucun autre dirigeant de la coalition internationale n’a cru devoir s’exprimer pour regretter ou condamner l’assassinat de ces jeunes combattantes qui se battent et qui meurent dans la lutte contre Daech.
Selon le décompte de l’OSDH (voir p. 115) depuis le début de l’année 58 personnes ont péri dans des frappes de drones turques dont 13 civils et 42 membres des forces kurdes et de leurs alliés.
Par ailleurs, en réponse à l'escalade des pressions inflationnistes en Syrie, où la livre syrienne a perdu plus de 80 % de sa valeur en seulement trois mois, l'Administration autonome du nord et de l'est de la Syrie (AANES) a annoncé une augmentation substantielle des salaires de son personnel administratif et employés. Le salaire mensuel minimum du personnel de l'AANES a été porté à 75 dollars, tandis que le salaire maximum a été ajusté à environ 590 dollars. Cet ajustement salarial vise à faire face à la détérioration de la situation économique et à une inflation galopante. Les conditions économiques désastreuses ont déclenché des protestations dans le sud de la Syrie, gouverné par le régime syrien, alors que le coût des biens essentiels est monté en flèche.
Le président turc Recep Tayyip Erdoğan a affirmé que le gouvernement syrien ne faisait pas preuve d’une « attitude positive » à l’égard des discussions en cours entre Ankara et Damas visant à normaliser le régime du président syrien Bashar al Assad. Erdoğan a exprimé son mépris pour l’apparente passivité d’Assad à l’égard du consensus croissant entre la Syrie, la Turquie, l’Iran et la Russie en faveur de la réintégration régionale de la Syrie. Malgré l’espoir qu’Assad et Erdogan se rencontreraient bientôt pour discuter de la normalisation, Assad a affirmé qu’il ne rencontrerait pas Erdoğan tant que toutes les forces turques n’auraient pas été retirées du nord de la Syrie. Erdogan a répliqué à l’affirmation d’Assad en affirmant que la présence militaire turque en Syrie est nécessaire pour contrer le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et les Unités de protection du peuple (YPG). Par ailleurs, Erdogan a renouvelé dimanche ses menaces contre le peuple kurde de Syrie, affirmant qu'il éliminerait les « terroristes » dans le nord de la Syrie pour faciliter le retour des réfugiés arabes en Syrie. La vision d’Erdogan pour ce retour inclut la construction d’installations permanentes d’Arabes sur les terres ancestrales kurdes, clairement pour saper la cohésion du Kurdistan dans son ensemble à travers la création d’une « ceinture arabe » à la frontière turco-syrienne. La Turquie et l’Arabie Saoudite ont continué à construire ce qui sera la deuxième plus grande colonie à Afrin, occupée par la Turquie. La Turquie a poursuivi sa politique de modification de la démographie du nord de la Syrie en procédant à un nettoyage ethnique contre ses résidents kurdes et en les remplaçant par des Arabes syriens rapatriés de force. La politique turque a réduit le pourcentage de Kurdes à Afrin et dans ses environs de 95 pour cent à environ 36 pour cent. De nombreux réfugiés syriens rapatriés sont hébergés dans plus de 100 complexes d’installation construits par la Turquie en collaboration avec des organisations humanitaires et financés avec les fonds des États du Golfe comme le Koweït.
La Turquie a nommé un gouverneur unique pour superviser Afrin dans le but d’imposer un modèle d’administration plus ordonné et unifié dans la région. En outre, la Turquie espère que l’installation d’un gouverneur unique facilitera une coopération plus étroite entre Ankara et les conseils affiliés à l’Armée nationale syrienne (SNA) d’Afrin.
Les factions soutenues par la Turquie dans la région occupée d'Afrin ont poursuivi leurs affrontements tout au long du mois, entraînant la perte de nombreux miliciens lors d'escarmouches sporadiques. Ce conflit en cours implique des factions spécifiques de Hayat Tahrir al-Sham (HTS) ex-Front al-Nosra, branche syrienne d’Al Qaida, dans la région et de l'Armée nationale syrienne (SNA). Au sein de ces factions, diverses cliques et milices entretiennent de profondes rivalités qui dégénèrent fréquemment en affrontements violents. Lors des affrontements les plus récents et les plus meurtriers, des factions affiliées au HTS, notamment la faction de la Branche Est, la Brigade 50 et le Rassemblement Shahba, ont lancé une attaque contre la Deuxième Légion de la SNA. Cette escalade violente découle de l’échec de la conclusion d’un accord sur le contrôle partagé du point de passage stratégiquement important d’al-Hamran situé dans la ville de Jarablus. Le conflit a finalement pris fin lorsque des factions neutres au sein des forces d’opposition soutenues par la Turquie sont intervenues. Par conséquent, on s’attend à ce que les combats reprennent à l’avenir alors que ces factions continuent de se disputer le contrôle et les avantages financiers qui en découlent.
Selon un rapport de l’ONG Syriens pour la vérité et la justice (STJ), le gouvernement turc a expulsé 29 895 réfugiés et demandeurs d'asile syriens via les postes frontières de Tell Abyad, Bab al-Hawa et Bab al-Salameh. En 2022, le président Erdogan a annoncé son intention de réinstaller 1 million de réfugiés dans le nord de la Syrie, y compris dans les zones historiquement habitées par les Kurdes, malgré le conflit en cours et dans un contexte de sentiment anti-réfugiés croissant en Turquie. Alors que le gouvernement turc affirme que ces retours vers la Syrie sont volontaires, de nombreux rapports suggèrent que de nombreux réfugiés ont été expulsés de force ou sous la contrainte. Depuis qu’Ankara a lancé des mesures de rapatriement en 2019, le nombre total de rapatriés a atteint environ 540 000. Parallèlement, le ministre turc de la Défense, Yaşar Güler, a déclaré dans une récente interview qu'Ankara ne retirerait pas les forces turques du nord de la Syrie.