|
Liste
NO: 124 |
3/2/1999 UNE PROCÉDURE D'INTERDICTION DU PARTI DE LA DÉMOCRATIE DU PEUPLE (HADEP) A ÉTÉ OUVERTE À TROIS MOIS DES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES ET MUNICIPALESVural Savas, procureur de la Cour de Cassation, a ouvert, vendredi 29 janvier 1999, une procédure auprès de la Cour constitutionnelle turque pour interdire le Parti de la Démocratie du Peuple (HADEP) qu'il a accusé "d'avoir des liens organiques" avec le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK). Le réquisitoire de 56 pages accuse le HADEP "d'être totalement sous le contrôle du PKK et d'organiser des activités selon les instructions données par le comité central" de cette organisation et d'agir "comme des officines de recrutement des militants armés du PKK". À trois mois des élections législatives et municipales, le HADEP, unique parti politique en lice favorable à une solution pacifique et politique de la question kurde, fait face aux mêmes représailles que son prédécesseur, le Parti de la Démocratie (DEP), interdit en 1994 ou encore le parti de la Prospérité. Plusieurs procès sont d'ores et déjà devant la Cour de Sûreté de l'État contre le HADEP et ses dirigeants dont Murat Bozlak, son président, est emprisonné depuis la mi-novembre. Il avait été arrêté avec plus de 700 militants pro-kurdes, qui avaient manifesté leur soutien à Abdullah Ocalan assigné alors à résidence à Rome. Le HADEP en recueillant 4,5% de voix lors des législatives de 1995, n'est pas représenté au Parlement turc faute d'avoir franchi la barre des 10% des voix. Mais dans certaines provinces kurdes comme Diyarbakir, Siirt, Mardin, Sirnak et Hakkari, il a recueilli près de 50% de voix alors même qu'il n'était crée que depuis quelques mois (mai 1994). Soucieux de ramasser ces voix aux prochaines élections, les partis politiques qui sont aujourd'hui dans la bonne grâce de l'armée, se frottent bien évidemment les mains. Selon Me Yusuf Alatas, un des avocats du HADEP, la procédure en cours "n'empêche toutefois pas la participation du Hadep aux élections, mais un message clair est donné aux électeurs: ne votez pas pour ce parti car il sera en tout cas interdit () Le même message est donné aux partis qui pourraient envisager une alliance électorale avec cette formation". M. Alatas a estimé que c'était "une procédure politique plus que judiciaire". Par ailleurs, le président turc Suleyman Demirel avait crée une autre polémique en se prononçant pour le changement du système électoral actuel et en proposant le scrutin à deux tours. Le parti de la Juste Voie (DYP) de Mme Tansu Çiller s'étant opposé, ce système ne verra pas le jour pour les prochaines élections. À ceux qui s'interrogeaient sur les raisons de cette manuvre électorale de dernière minute le président a répondu avec clarté dans le quotidien Hurriyet du 3 février: "Si au matin du 19 avril, la Turquie affiche des municipalités de l'ouest remportées par le parti Fazilet avec une faible majorité telle que 20% et les régions critiques comme le Sud-Est raflées par les maires à sensibilité séparatiste, ne venez pas me dire que je ne vous ai pas prévenus". FRAUDE ÉLECTORALE MASSIVE: CERTAINES VILLES ONT PLUS D'ÉLECTEURS INSCRITS QUE D'HABITANTSÀ l'approche des élections municipales et législatives, prévues conjointement pour le 18 avril 1999 en Turquie, d'aucuns ont d'ores et déjà noté d'étonnantes supercheries. À ce titre, le district de Keban dans la province d'Elazig (Kurdistan) risque de rentrer dans le livre des records. Selon le recensement de 1997, la ville compte 6 500 habitants dont 3 379 électeurs, or 6 610 personnes, devraient voter aux prochaines élections. En ajoutant les villages d'alentours, le nombre d'électeurs atteint le chiffre de 10 100 pour 9 750 habitants! Avertis, les responsables du Conseil des Élections du District ont fait part de leur étonnement en soulignant cependant que légalement ils étaient dans l'impossibilité de réagir puisqu'aucune contestation n'avait été faite à la date limite du 14 janvier. Fehmi Ruzgar, responsable du Parti de la Gauche démocratique (DSP) dans le district, a déclaré qu'il avait averti les autorités compétentes mais il n'avait pas pu prouver l'irrégularité. Quant à Seyfettin Bibar et Sabri Temur, respectivement représentant dans le district du Parti Républicain du Peuple (CHP) et du parti de la Mère Patrie (ANAP), ils ont rétorqué "qu'avant [ils ne prenaient] pas part à cela mais lorsque les autres partis s'y sont mis, [ils ont] aussi emmené des électeurs". D'autres villes comme Sanliurfa [au Kurdistan] mais également Istanbul dénoncent les mêmes irrégularités. Selon l'enquête effectuée sur 13 districts d'Istanbul par le parti ANAP, de nombreuses voix sont "virtuelles". En deux mois, ils ont pu identifier plus de 100 000 électeurs enregistrés plusieurs fois. Sadan Tuzcu, adjoint du président de l'ANAP a déclaré qu'ils avaient trouvé des personnes inscrites sur cinq listes en même temps. Guven Demir du Parti de la Juste Voie (DYP) a quant à lui dénoncé son ancien partenaire de coalition, le parti de la Vertu (islamiste), qui selon lui recourt le plus souvent à ces méthodes. Il faut dire que les fraudeurs risquent entre 3 et 6 mois de prison et les juristes s'accordent à dire que l'infraction est constituée que lorsque ces électeurs votent et non lorsqu'ils s'inscrivent. RAGIP DURAN, CORRESPONDANT DE LIBÉRATION, A RETROUVÉ SA LIBERTÉRagip Duran, correspondant du quotidien français Libération, ancien collaborateur de l'AFP, de la BBC et de plusieurs quotidiens turcs, a été libéré mercredi 27 janvier 1999 après sept mois et demi de détention pour un article sur le problème kurde. La Cour de Sûreté de l'État d'Istanbul avait jugé que le commentaire paru dans le quotidien pro-kurde Ozgur Gundem (interdit depuis) accompagnant un entretien d'Abdullah Ocalan, chef du PKK, violait l'article 7 de la loi antiterroriste interdisant la propagande pour séparatisme. La libération du journaliste, distingué par plusieurs organisations de défense des droits de l'homme, n'est nullement due à une prise de conscience des autorités turques ou un quelconque respect de la liberté de l'expression mais au fait que R. Duran a d'ores et déjà purgé les trois quarts de sa peine de 10 mois de prison. "En Turquie, il y a deux types de journalistes: les journalistes d'État et les autres, qui courent plusieurs risques, êtres surveillés ou tués, comme Ugur Mumcu et Metin Goktepe. Ce n'est pas moi qui ai brûlé et détruit ces villages (kurdes). Ce n'est pas non plus moi qui ai tué Mumcu, Emeç, Anter, Goktepe"" a déclaré M. Duran. Ugur Mumcu, chroniqueur très populaire du quotidien Cumhuriyet, avait été auteur de nombreux articles sur l'extrême droite et avaient dénoncé les liens entre la mafia turque et l'État. Victime d'un attentat à la bombe à Ankara, il est mort le 24 janvier 1993. Ses meurtriers courent toujours. Metin Goktepe, journaliste du quotidien de gauche Evrensel, a été battu à mort par des policiers alors qu'il couvrait les obsèques de deux détenus tués. Le procès, fort en rebondissement, de 5 policiers continuent devant la Cour d'Assises d'Afyon. LA JUSTICE TURQUE CONTINUE DE NE PAS SANCTIONNER LA PRATIQUE DE TORTURELa Cour d'Assises de Manisa a de nouveau acquitté, mercredi 27 janvier 1999, les 10 officiers de police accusés de tortures et d'abus sexuels sur 16 adolescents, communément appelés "les jeunes de Manisa". Ces derniers, âgés de 14 à 18 ans, avaient été arrêtés en 1995 pour avoir collé des affiches politiques sur les murs de la ville. 11 d'entre eux avaient été condamnés à des peines allant de 9 mois à 12,5 ans de prison pour "appartenance à un groupe gauchiste illégal". La Cour d'Appel a infirmé ce premier jugement en demandant la requalification des charges. Parallèlement à cela, les policiers en question ont été poursuivis depuis cette date. Acquittés en première instance, la Cour de cassation avait reconnu "le rôle actif de 10 officiers dans la torture". Renvoyé devant la Cour d'Assises de Manisa, les prévenus pour lesquels 70 ans de prison étaient requis, ont de nouveau eu la clémence des juges du fond en dépit du verdict de la Cour de cassation. "MULAN", DERNIER DESSIN ANIMÉ DE WALT DISNEY VIVEMENT CRITIQUÉ PAR LE PARTI NATIONALISTE TURCLe Parti de l'Action Nationaliste (MHP, néo-fasciste), a demandé que "Mulan" le dernier dessin animé de Walt Disney soit interdit des écrans. "Du début jusqu'à la fin, le film noircit l'histoire des Turcs en montrant les Huns mauvais et les chinois pacifiques" a déclaré Nazif Okumus, vice-président du MHP, parti qui exalte fréquemment les légendes des ancêtres guerriers asiatiques du peuple turc. Il a ajouté que le film portait plus de préjudice à la nation turque que "Midnight Express", qui relatait la vie d'un jeune Américain brutalisé dans une prison turque. LE PÉRIPLE AÉRIEN DU CHEF DU PKKLa Turquie se réjouit de voir traiter comme un pestiféré Abdullah Ocalan, chef du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), qui dans un périple aérien au-dessus de l'Europe est à la recherche d'un pays d'accueil. Son séjour en Italie avait ouvert, le 12 novembre, une grave crise avec Ankara qui a la hantise de voir une politisation de la question kurde dans les pays de l'Union européenne. Les autorités turques soutenues dans leurs efforts par les États-Unis ont appelé tous les pays européens à "localiser et arrêter Abdullah Ocalan en vue de le traduire en justice". Le ministre turc des affaires étrangères a convoqué, mardi 2 février, les ambassadeurs yougoslave, norvégien et belge pour les dissuader d'accueillir le chef du PKK affirmant qu'il devait "être jugé (en Turquie) pour ses crimes ". Dans la nuit de dimanche 31 à lundi 1, les autorités néerlandaises avaient refoulé l'avion du chef du PKK qui avait tenté en vain d'obtenir l'autorisation de se poser sur l'aéroport de Rotterdam. La Turquie a ensuite annoncé qu'Abdullah Ocalan se trouvait à l'aéroport d'Athènes, ce que la Grèce a officiellement démenti puis a soutenu qu'il a voulu se rendre en Suisse, mais les autorités helvétiques lui ont averti que l'entrée du territoire lui était interdit. Mardi 2 février, M. Ecevit, premier ministre turc déclarait ignorer où se trouvait précisément Abdullah Ocalan et se réjouissait tout autant que la presse turque de constater qu'Ocalan n'avait trouvé asile nulle part. Les éditorialistes louent sur un ton triomphaliste "la puissance de la Turquie qui fait peur à l'Europe". Les services de renseignement (MIT) affirment connaître le détail de tous les déplacements d'Ocalan, y compris du contenu de ses rencontres à Rome grâce à la coopération avec les polices européennes Le chef du gouvernement italien, Massimo D'Alema a déclaré lundi 1 février que Bulent Ecevit avait présenté ses excuses à Rome pour avoir affirmé à tort que le chef du PKK se trouvait en Italie. "J'espère que le gouvernement turc ne va pas continuer à alimenter une polémique totalement infondée () L'affaire Ocalan attire l'attention sur un grand problème qui n'est pas résolu et qui est celui du drame des Kurdes () Le gouvernement turc, au lieu de s'occuper de savoir où se trouve Ocalan et d'alimenter des polémiques sur des informations fausses, pourrait chercher une solution pacifique au drame des Kurdes comme le demande l'Union européenne" a conclu le chef du gouvernement italien. Malheureusement pour les Kurdes et pour la paix, la voix de l'Union européenne reste pour l'instant inaudible. |