|
Liste
NO: 127 |
25/3/1999 MASSACRE À HUIS CLOS À SASSONÀ l'abri des caméras de télévision et d'observateurs, le Kurdistan turc dont l'accès est désormais interdit à tout étranger devient un champ clos de tueries. On apprend ainsi que le 12 mars 1999 11 hélicoptères et 2 bombardiers turcs ont bombardé les villages kurdes de Tanze et Heribe dans le district de Sason de la province pétrolifère de Batman. Il y aurait plusieurs dizaines de blessés et les dégâts matériels sont considérables. CÉDANT AUX PRESSIONS TURQUES LA GRANDE BRETAGNE SUSPEND POUR TROIS SEMAINES LA CHAÎNE DE TÉLÉVISION KURDE MED-TVAprès avoir réduit les Kurdes au silence en Turquie, les autorités turques tentent maintenant de museler la diaspora kurde en Europe. Sous la pression du gouvernement turc, le gouvernement espagnol a annoncé, le 19 mars 1999, qu'il allait déposer un recours devant le Tribunal constitutionnel pour empêcher la réunion du "parlement kurde en exil" au Pays basque en juillet 1999. Les réunions de ce "parlement" provoquent à chaque fois de vives protestations et des menaces de représailles commerciales de la Turquie. Par ailleurs, l'Allemagne et l'Angleterre attirent également les foudres d'Ankara qui a convoqué, le 17 mars 1999, les ambassadeurs de ces deux pays pour demander au premier de ne pas tolérer les activités sur son sol de l'agence DEM et du journal Ozgur Politika (pro-kurde) et au second de mettre fin aux émissions de la télévision kurde Med-TV. Le chef de la diplomatie turque, Ismail Cem avait annoncé le 16 mars que Med-TV pourrait cesser d'émettre en mai suite aux pressions d'Ankara qui a par le passé tenté en vain de mettre fin à ses émissions. Il semble que les autorités anglaises se soient alignées sur ces arguments puisque l'ITC, la commission indépendante britannique de régulation de l'audiovisuel, a suspendu le 22 mars 1999, la licence d'émission de Med-TV pendant trois semaines. Cette suspension intervient à quelques jours des élections et de l'ouverture du procès Ocalan. Ainsi les Turcs et les Kurdes n'auront désormais droit qu'au bourrage de crâne pratiqué par les media turcs à l'unisson. Les initiatives turques auprès des capitales européennes pour faire cesser les voix kurdes ont été intensifiées depuis l'arrestation d'Abdullah Ocalan. Par contre les campagnes ultranationalistes de désinformation de la presse turque n'ont pas perdu de terrain. C'est ainsi par exemple que le journal belge "Le Soir" s'est rendu compte que le contenu de son numéro du 15 mars 1999 a été déformé par le quotidien turc Hurriyet sous le titre de "la presse européenne se réveille enfin". Le Soir a déploré les pratiques journalistiques du quotidien turc qui a cité leur article de "manière tronquée ou carrément mensongère". "Alors que notre article parlait de la vague d'attentats qui secoue actuellement la Turquie et la replaçait dans son contexte- l'arrestation de chef du PKK et les appels à réagir "de toutes les façons" lancés , sur Med-TV, par certains responsables du mouvement kurde- Hurriyet a pris la licence d'écrire: Le journal belge à grande tirage "Le Soir" a déclaré: "L'appel au terrorisme se fait par Med-TV qui est la presse du PKK". Le quotidien belge a d'autre part eu la mauvaise surprise que cette déformation mensongère soit reprise par Oktay Eksi, "qui n'est pas un chroniqueur occasionnel mais l'éditorialiste permanent à la une de ce journal mais également le président du Conseil de la presse turque, censé de veiller au respect de la déontologie de la presse!". Le Soir ponctue en s'interrogeant à juste titre: "alors que les quotidiens et télévisions au service du terrorisme de l'État turc continuent en toute liberté à empoisonner sans cesse la communauté immigrée turque avec des déformations et intoxications pareilles, sera-t-il juste et équitable d'interdire la Med-TV sous les chantages du régime d'Ankara?" 2400 INTERPELLATIONS À L'OCCASION DE LA FÊTE DU NEWROZ EN TURQUIEPrès de 2 400 personnes ont été, le 21 mars 1999, arrêtées à l'occasion de la fête du Newroz en Turquie par la police turque. Bien que l'État turc s'approprie depuis 1995 le Newroz en le présentant comme un Nouvel An traditionnel de nombreux peuples de la région, dont les Turcs, les célébrations ont été interdites au Kurdistan et la police s'est livrée à l'interpellations de près de 500 personnes à Diyarbakir. À Istanbul où vivent environ trois millions de kurdes, la police a arrêté plus d'une centaine de personnes le 20 mars par mesure préventive avant Newroz. Les incidents ont eu lieu dans les quartiers populaires de Gazi, Yenibosna, Bagcilar, Umraniye, Pendik, Merdivenkoy. Refusant de se disperser, plusieurs dizaines de manifestants ont attaqué les forces de sécurité à coup de pierres et de bâtons. Au total 1 695 personnes ont été placées en garde à vue à Istanbul. À Adana, où près d'un million de Kurdes sont implantés, sept policiers ont été blessés lors d'échauffourées avec des manifestants. La police a fait usage de gaz lacrymogènes et a tiré en l'air pour disperser une foule d'une centaine de personnes. À Konya, une cinquantaine de personnes, dont des femmes, ont été interpellées par la police. Plus d'une centaine d'interpellations ont eu lieu à Ankara et à Gaziantep. Dans la province de Mardin, la police a expulsé un correspondant de l'agence Reuters et trois autres journalistes turcs. La police a montré à ces journalistes une directive du gouvernorat de la province, qui stipule "les membres de la presse nationale et étrangère sont susceptibles de ne pouvoir travailler dans la région sans autorisation de la Direction de la presse et de l'information". Le service de presse de province de Mardin avait auparavant déclaré à Reuters que les journalistes seraient les bienvenus pour les fêtes de Newroz et Reuters n'avait été averti d'aucun changement. D'autre part deux attentats-suicide ont eu lieu, l'un près de la frontière iranienne, l'autre dans la région de Silopi, près des frontières syrienne et irakienne. En 1992, la journée avait été marquée par des affrontements sanglants, faisant au moins 50 morts. L'ARMÉE EXIGE LA TENUE DES ÉLECTIONS LE 18 AVRIL ET LE PARLEMENT OBTEMPÈREL'alliance de circonstance entre députés laïcs et islamistes turcs, conclue en vue d'obtenir un report des élections prévues le 18 avril 1999 et la révision de l'article 312 du code pénal turc permettant la poursuite des dirigeants islamistes pour "sédition", a attiré les foudres de l'armée turque. D'abord dans une interview publiée jeudi 18 mars 1999 par le quotidien Hurriyet, le général Huseyin Kivrikoglu, chef d'état-major des forces armées turques, a mis en garde le parlement turc sur un éventuel report des élections nationales. Le général Kivrikoglu a déclaré à cette occasion: "Nous craignons que le report des élections n'ouvre la voie au chaos. Un report soulèverait trop d'interrogations Une modification de l'article 312 pourrait augmenter davantage la menace fondamentaliste le pays ne pourrait tolérer une telle éventualité qui le mènerait au chaos". L'armée, à l'origine de trois coups d'État depuis 1960, avait contraint, en juin 1997, à la démission le premier gouvernement islamiste de Turquie dirigé par M. Erbakan. Cette fois encore, les observateurs et la classe politique ont pris très au sérieux les propos du chef d'état-major, véritable "patron" du pays. Les experts des forces armées turques ont souligné que le chef d'état-major "était en train de dire à la classe politique 'souvenez vous bien que je suis là', que (l'armée) est le joueur le plus important de cette partie". Bien que, la veille, le président turc, Suleyman Demirel ait déclaré: "le report des élections ne serait pas la fin du monde", à la suite de l'intervention militaire, celui-ci, qui a été chassé du pouvoir à deux reprises par l'armée, est revenu sur sa déclaration en martelant que "le 18 avril les élections auront bien lieu". C'est donc sans surprise que lundi 21 mars 1999 le gouvernement de Bulent Ecevit, pourtant minoritaire, a survécu au vote de censure, ne recueillant que 241 voix [ndlr: 276 voix aurait du être réunies pour faire tomber le cabinet]. Quant à la motion réclamant le report des élections, elle a été soumise par le président du parlement à un sous-comité dont on ignore quant et si il va se réunir- la motion pour le report des élections ne nécessite que la majorité simple des députés présents. L'assemblée devrait attendre les conclusions de ce comité pour se prononcer sur le texte. Par ailleurs, les autorités turques n'ont pas non plus tardé à riposter en saisissant le même jour le parquet général d'une demande d'interdiction du Parti de la Vertu, première formation en nombre au parlement turc, né de l'interdiction en janvier 1998 du Parti de la Prospérité. ORGANISATION DES ÉLECTIONS DANS LE KURDISTAN INTERDIT AUX MÉDIAS ET À CERTAINS CANDIDATS: TÉMOIGNAGE DE Me KAPLANLa tenue des élections dans les provinces kurdes sera particulièrement difficile. L'accès au Kurdistan reste interdit aux media. Plus de quatre milles militants kurdes dont de nombreux candidats aux élections ont été raflés au cours des dernières semaines. D'autres candidats sont interdits d'accès à leur circonscription. Ainsi Me Hasip Kaplan, l'un des avocats de Leyla Zana, candidat à la députation dans la ville de Sirnak a, dans une interview accordée au quotidien turc Cumhuriyet du 22 mars 1999, raconté les obstacles qu'il a rencontrés lors du dépôt de sa candidature à Sirnak (lieu de sa naissance) et les aberrations de cette campagne à la turque. Voici de larges extraits de son interview: "le 24 février était le jour de clôture des candidatures. Pour déposer ma candidature à Sirnak, je suis parti d'Idil le 22 février. À partir de cette date, les contrôles et les poursuites ont débuté. Un char et des véhicules de police en civil stationnaient aux trois coins de ma maison. Le matin du 23 février je voulais me rendre () à Sirnak pour déposer personnellement ma candidature au juge du dépôt. Mais j'ai été arrêté et fouillé à 9 reprises entre Idil et Sirnak qui ne se situent qu'à 70 kms de l'un de l'autre. Les sièges de la voiture ont été enlevés, le coffre a été vidé, tout a été passé au peigne fin () à chaque arrêt nous avons dû attendre une heure. "En plus, au cours de la fouille près du détroit de Kasrik, les policiers en civil ont placé sous le paillasson du siège une enveloppe contenant de la drogue, des faux billets de dollars, des fausses pièces d'identité et une facture du PKK. Nos chauffeurs ayant remarqué la manuvre, ils ont nettoyé la voiture () À 10 kms de Sirnak, on nous a confisqué nos pièces d'identité. Lorsque je leur ai demandé la raison pour laquelle ils les gardaient, ils m'ont répondu que: "les ordinateurs servant aux renseignements sont en panne, les réponses n'arrivent pas". Ils nous ont gardé deux heures et demi. J'ai prévenu le barreau d'Istanbul et le ministère de la justice mais je n'ai pas pu accéder à Sirnak et j'ai du retourner à Idil. Le lendemain c'était le dernier jour du dépôt. Ce jour là, dès que je suis sorti de chez moi, j'ai été encerclé immédiatement par sept véhicules de police qui m'ont signifié que je ne pouvais pas aller à Sirnak et qu'ils avaient reçu des ordres en ce sens. A la suite de cela, je me suis rendu à Diyarbakir au bureau du Haut conseil des élections (YSK). Ils m'ont expliqué que je pouvais déposer ma candidature par l'intermédiaire d'un notaire. J'ai fait le nécessaire et déposé ma candidature à la poste pour le YSK () On m'a dit que les obstacles sont dus à un circulaire du premier ministre La direction de sûreté est ennuyée par ma personne depuis l'affaire de Yesilyurt à Cizre [ndlr: la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la Turquie dans cette affaire où les forces de sécurité turques étaient accusées de faire manger aux villageois de Yesilyurt (au Kurdistan) des excréments. L'affaire a été plaidé par Me Kaplan], mais aussi une autre affaire concernant Sirnak à l'ordre du jour de la Cour européenne récemment et quatre autre affaires concernant Idil ". LU DANS LA PRESSE TURQUEZulfu Livaneli, journaliste au quotidien turc Sabah, a, dans son éditorial du vendredi 19 mars 1999, dénoncé l'attitude partiale des dirigeants turcs vis à vis d'une partie de la population en Turquie. Voici de larges extraits de cet article. "Il y a deux jours, c'était l'anniversaire du massacre du 16 mars. Une bombe jetée devant la faculté de pharmacie le 16 mars 1978 avait déchiqueté sept de nos jeunes. Si un tel événement avait eu lieu dans un pays démocratique où l'ordre juridique règne, l'État se serait soucié des victimes et des familles et se serait d'une certaine façon excusé de ne pas avoir su les protéger. On ne sait pour quelle raison mais les roues tournent dans le sens inverse en Turquie. Au lieu d'adopter une attitude d'apaisement vis à vis des familles en deuil de ces innocents étudiants, l'État marche sur les gens qui se sont rassemblés en leur mémoire. Le 16 mars 1999, l'État a matraqué les personnes réunies en mémoire des étudiants et placé en garde à vue de nombreuses personnes dont Ufuk Uras, président du parti de la Liberté et de la Solidarité (ODP). Je me suis penché sur la signification de cette attitude. Pourquoi l'État ne se préoccupe pas de ces étudiants victimes de la terreur? Réagira-t-il de la même façon vis-à-vis des gens qui se réuniront l'année prochaine en mémoire du massacre du Mavi Çarsi? [ndlr: nom du centre commercial où a eu lieu l'attentat du samedi 13 mars 1999, faisant 13 morts] Fait-on une différence entre les victimes de la terreur? Les innocents étudiants mis en lambeaux devant l'université d'Istanbul ne sont-ils pas des victimes de la terreur? Est-il juste de faire une différence entre les victimes sous prétexte que certains sont légitimées par nous et que d'autres ne le sont pas? Si nous vivions dans le cadre d'un état de droit démocratique, les forces de sécurité n'auraient pas attaqué les organisateurs de cette commémoration, et tout au contraire, aurait déposé une fleur à Beyazit. Ainsi, il aurait démontré non seulement qu'il déplorait l'attaque à l'explosif mais aussi prouvé qu'il était contre toute forme de terreur. Malheureusement il n'a pas agi de cette façon. Agir selon la victime de la terreur est une chose très dangereuse et n'est digne d'aucun État. Ceux qui sont morts à Mavi Çarsi sont les nôtres, Metin Goktepe est le votre! Des discriminations telles que, les soldats tombés au Sud-Est sont les nôtres, les enfants disparus des mères de Samedi sont les vôtres, sont avant tout des attitudes qui ne peuvent pas être comprises par le cur. Car toute mère ayant perdu son enfant souffre de la même façon.". |