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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 2

19/6/1995

  1. LE MINISTRE D'ÉTAT GÖKDEMIR, QUI A RÉCEMMENT TRAITÉ DE " PROSTITUÉES " LES TROIS PARLEMENTAIRES EURO-PÉENNES EN VISITE EN TURQUIE RESTE IMPUNI.
  2. LE MINISTRE DES DROITS DE L'HOMME QUALIFIÉ DE "TRAÎTRE A LA PATRIE»
  3. L'ABOLITION DE L'ARTICLE 8 DE LA LOI DITE ANTI-TERREUR RENVOYÉE EN SEPTEMBRE.
  4. 134 MORTS EN 3 JOURS DANS LA GUERRE DU KURDISTAN


LE MINISTRE D'ÉTAT GÖKDEMIR, QUI A RÉCEMMENT TRAITÉ DE " PROSTITUÉES " LES TROIS PARLEMENTAIRES EURO-PÉENNES EN VISITE EN TURQUIE RESTE IMPUNI.


M. Ayvaz Gökdemir, ministre d'État, membre du parti de la Juste voie (DYP) de Mme Ciller, qui a défrayé la chronique par des déclarations inqualifiables envers Mme Pauline Green, Catherine Lalumière et Claudia Roth, respectivement présidente des Groupes socialiste, Alliance Radicale et Verts du Parlement européen, n'a pas été sanctionné pour son inconduite.

Ce ministre avait déclaré lors d'une réunion électorale : "Nous ne pouvons pas libérer ces traîtres (les députés kurdes emprisonnés) pour faire plaisir aux prostituées venant d'Europe représentant je ne sais trop quoi.»

Devant le scandale diplomatique suscité par cette déclaration à un moment où les autorités turques mènent une offensive de charme pour convaincre le Parlement européen de ratifier le traité d'union douanière, et sous la pression du Premier ministre, M. Gökdemir s'est excusé en ces termes à la télévision turque : "Ces mots sont ceux de notre peuple. Ils traduisent une sensibilité et une nervosité nationales . Si à la suite d'un malentendu ces parlementaires européennes ont été froissées, et si mes excuses peuvent réparer cette offense, alors je présente mes excuses».

Connu sous le surnom d'Ayvaz le commando, M. Gökdemir est un ancien militant du Parti d'Action nationaliste (d'extrême droite) du Colonel Turkes. Ses déclarations ont suscité des réactions vives des féministes turques et des éditorialistes libéraux. Le ministre des Affaires étrangères, Erdal Inönü, très contrarié que ses efforts diplomatiques en direction de l'Europe soient ainsi mis à mal, a dû présenter les excuses de son gouvernement aux élues européennes. En revanche, les dirigeants du Parti de Mme Ciller, y compris le ministre des droits de la femme, sont restés silencieux. Le président du Parlement, M. Cindoruk estime, dans le Milliyet du 12 juin, que M. est "un homme intègre» .

Un avis que doit sans doute partager aussi le président turc, Süleyman Demirel, qui a inclus ce ministre dans la délégation officielle l'accompagnant dans sa visite d'État au Kazakhstan, comme si de rien n'était.

LE MINISTRE DES DROITS DE L'HOMME QUALIFIÉ DE "TRAÎTRE A LA PATRIE»


Être ministre des droits de l'homme dans la Turquie actuelle n'est pas chose aisée. Sans moyens ni administration, ce porte-feuille alibi, attribué à des socio-démocrates, change souvent de titulaire. Après la démission de Mehmet Kahraman, en juillet 1994, qui trouvait ce poste "saugrenu» dans un pays où les droits de l'homme sont violés d'une façon systématique et massive, son successeur, Azimet Köylnoglu, confronté au drame de la destruction de dizaines de villages dans sa propre province, avait dénoncé "la pratique du terrorisme d'État» avant d'être contraint au silence et écarté.

Le nouveau ministre, M. Algan Hacaloglu, connu pour ses convictions démocratiques, mène des investigations sur les exécutions extrajudiciaires, les disparitions et la torture. Récemment il avait évoqué l'existence de "265 cadavres non identifiés dans les morgues» indiquant que hormis des centaines d'assassinats "anonymes» des personnes identifiées, perpétrés par des escadrons de la mort, le pays comptait aussi des victimes non identifiées d'exécutions extrajudiciaires. Lors d'un déplacement dans la province kurde de Hakkari, il avait déclaré que les jeunes Kurdes tués dans les maquis, sont tout comme les jeunes soldats des enfants de ce pays.

Ces déclarations non conformistes ajoutées à sa profession de foi publique selon laquelle "les problèmes des 15 à 20 millions de citoyens d'origine kurde ne peuvent être réglés par des méthodes militaires» suscitent des réactions de plus en plus violentes des nationalistes turcs et des partisans de la guerre.

Après dés organes de presse nationalistes, le directeur de la Sûreté d'Istanbul, Necdet Menzir, vient de le prendre vivement à partie. S'exprimant à la télévision, ce chef de police a qualifié le ministre Hacaloglu d'être un traître à la patrie et de nuire, par ses déclarations, à la réputation de la Turquie à l'étranger. M. Menzir accuse également le CHP (Parti républicain du peuple) membre de la coalition gouvernementale, d'être un refuge pour les traîtres.

Le président du CHP, M. Hikmet Çetin, par ailleurs vice-premier ministre, a affirmé avoir demandé au Premier ministre la révocation de ce fonctionnaire qui cependant occupe toujours son poste.

Depuis le coup d'État militaire de 1980 et de la guerre du Kurdistan, la police, l'administration et l'armée sont de plus en plus noyautées par l'extrême-droite nationaliste du colonel Turkes, qui soutient Mme Ciller dont le parti compte un grand nombre de sympathisants et alliés de ce mouvement.

L'ABOLITION DE L'ARTICLE 8 DE LA LOI DITE ANTI-TERREUR RENVOYÉE EN SEPTEMBRE.


Le parlement turc doit examiner à partir du 13 juin le "paquet de démocratisation» portant sur l'amendement de 21 articles de la Constitution turque adoptée en 1982 par le régime militaire. Ces amendements, s'ils sont adoptés, apporteront des améliorations limitées au droit de s'associer et de syndiquer, notamment pour les fonctionnaires. La majorité civique sera ramenée à 18 ans et le nombre de sièges au Parlement sera porté de 450 à 600. Ce toilettage constitutionnel ne concernera ni l'abolition du délit d'opinion ni le début d'un effort de décentralisation ou de la prise en compte de l'identité kurde. "Les principes immortels d'Atatürk», inscrits dans le préambule de la Constitution resteront l'idéologie officielle de l'État, laquelle interdit toute reconnaissance des Kurdes et de leur identité. Le Conseil national de sécurité, à prédominance militaire, qui est le véritable centre de décision du pays n'est pas non plus affecté par ces amendements considérés comme des "mesures cosmétiques» y compris par la plupart des députés du CHP (membre de la Coalition) et du parti de la Gauche démocratique (DSP) de Bülent Ecevit qui affirment qu'ils ne les voteront pas. Mme Ciller de son côté, déclare bénéficier du soutien du Parti de la Mère Partie (ANAP) de Mesut Yilmaz et des députés du Parti d'Action nationaliste du Colonel Turkes. L'issue de ce scrutin sera connu vers le 21 ou 22 juin.

Par ailleurs, le Premier ministre turc, a récemment indiqué que l'abolition éventuelle de l'article 8 de la loi dite anti-terreur ne sera débattue que lors de la rentrée parlementaire de septembre. Cet article qui assimile toute évocation orale ou écrite d'un problème kurde, d'un peuple et d'une culture kurdes, tout débat sur une solution pacifique autonome ou fédérale de ce problème à des "actions séparatistes et terroristes» est la disposition pénale la plus fréquemment utilisée par les Cours de Sûreté de l'État turques pour réprimer les délits d'opinion. Son abolition est promise comme "imminente» depuis septembre 1994. L'abolition de cet article permettrait l'élargissement de 166 intellectuels, journalistes et universitaires kurdes et turcs actuellement incarcérés en Turquie pour délit d'opinion. Cependant ce délit ne disparaîtrait pas pour autant du Code pénal turc. Il relèvera des tribunaux ordinaires.

134 MORTS EN 3 JOURS DANS LA GUERRE DU KURDISTAN


Loin des caméras, des journalistes et des observateurs, la guerre continue de faire rage dans les provinces kurdes. Selon un bilan établi par la Super préfecture de la Région, au cours des affrontements des 9, 10 et 11 juin, dans les provinces de Hakkari, de Diyarbakir et de Tunceli, 116 militants du PKK et 18 soldats ont été tués. En raison du black-out appliqué par l'armée sur les événements du Kurdistan, la presse ne publie que des communiqués officiels. De ce fait la boucherie des derniers jours n'est relatée qu'en page 11 du quotidien Hürriyet sous la forme d'une brève (voir ci-joint photocopie).