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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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NO: 209

17/7/2001

  1. VERDICT DE LA COUR EUROPÉENNE : LEYLA ZANA ET SES COLLÈGUES N’ONT PAS EU UN PROCÈS ÉQUITABLE. LA TURQUIE CONDAMNÉE POUR LA VIOLATION DE LA CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME
  2. LE VETO TURC À LA FORCE DE RÉACTION RAPIDE EMPOISONNE LES RELATIONS AVEC L’UNION EUROPÉENNE
  3. LA TURQUIE CONDAMNÉE À STRASBOURG POUR " ATTEINTE À LA VIE "
  4. LE MEDEF EN VISITE EN TURQUIE A PLAIDÉ POUR ANKARA
  5. LE FMI ET LA BANQUE MONDIALE DÉBLOQENT UN CRÉDIT DE 3,2 MILLIARDS DE DOLLARS À LA TURQUIE
  6. LOFT STORY À LA TURQUE : COMMENT VIVRE AVEC LE SALAIRE MINIMUM


VERDICT DE LA COUR EUROPÉENNE : LEYLA ZANA ET SES COLLÈGUES N’ONT PAS EU UN PROCÈS ÉQUITABLE. LA TURQUIE CONDAMNÉE POUR LA VIOLATION DE LA CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME


La Cour européenne des droits de l’homme a, le 17 juillet, rendu son verdict dans l’affaire de Leyla Zana, ex-députée du Parti de la démocratie (DEP, dissous, pro-kurde), et ses collègues, Orhan Dogan, Selim Sadak et Hatip Dicle : Elle condamne à l’unanimité la Turquie pour la violation de l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme et statue que les députés kurdes ont été condamnés par un tribunal qui n’était ni indépendant ni impartial à l’issue d’un procès non équitable.

Mme Zana, lauréate du prix Sakharov 1995 du Parlement européen et nominée la même année pour le prix Nobel de la paix, purge une peine de 15 ans de prison, infligée en 1994 par la Cour de sûreté d'Ankara pour " appartenance à une bande armée " et activité " séparatiste intense sous la bannière du PKK " (Parti des travailleurs du Kurdistan, interdit). La députée et les trois autres parlementaires avaient été arrêtés en mars 1994 après la levée de leur immunité parlementaire. Ces quatre anciens parlementaires se sont plaints devant la Cour européenne de Strasbourg de l'iniquité de leur procès devant la Cour de sûreté d'Ankara, où un juge militaire siégeait encore à l'époque (avant une modification de la loi durant le procès du chef kurde Abdullah Ocalan). En 1999, Mme Zana avait déjà obtenu une condamnation de la Turquie à Strasbourg, après une requête présentée en même temps que cinq autres députés du DEP qui se plaignaient de la durée excessive de leur garde-à-vue (12 à 14 jours) en 1994, sans contrôle de l'autorité judiciaire.

La Cour européenne conclut à l’unanimité que la cour de sûreté de l'Etat d'Ankara n’était pas un tribunal indépendant et impartial au sens de l'article 6 de la Convention européenne. La Cour a estimé qu’ " il est compréhensible (…) que les requérants, qui répondaient devant une cour de sûreté de l'Etat de l'accusation de tentative de nuire à l’indépendance et à l'unité de l’Etat, aient redouté de comparaître devant des juges au nombre desquels figurait un officier de carrière appartenant à la magistrature militaire. De ce fait, ils pouvaient légitimement craindre que la cour de sûreté de l'Etat d'Ankara se laissât indûment guider par des considérations étrangères à la nature de leur cause. Bref, on peut considérer qu’étaient objectivement justifiés les doutes nourris par les requérants quant à l'indépendance et à l'impartialité de cette juridiction. "

La Cour européenne juge également à l’unanimité qu’une atteinte a été portée au droit des requérants à être informés d’une manière détaillée de la nature et de la cause de l’accusation portée contre eux, ainsi qu’à leur droit à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de leur défense. La qualification des accusations portées contre les députés du DEP avaient été modifiée lors de la dernière audience de leur procès. L’accusation leur reprochait à l’origine d’avoir prôné le " séparatisme " et d'avoir porté " atteinte à l'intégrité de l'Etat ". Or, le jour de l’arrêt, le 8 décembre 1994, la cour de sûreté de l’Etat les a invités à élaborer sur-le-champ leur défense face à une nouvelle accusation, à savoir celle d’appartenance à une organisation armée illégale. Elle a ensuite rejeté leur demande tendant à l’obtention d’un délai supplémentaire pour la préparation de leur défense contre la nouvelle accusation.

Par ailleurs, la Cour relève que pour retenir la culpabilité des anciens députés que : " les deux juridictions saisies se sont notamment basées, en leur accordant un poids déterminant, sur les dépositions des témoins [nldr : notamment de Sedat Bucak, chef de tribu devenu député du parti de la Juste Voie (DYP), Il est le seul rescapé de l’accident de voiture de Susurluk, reflétant la collusion de l’Etat et du monde politique avec la mafia turque] qui avaient affirmé devant le procureur de la République avant le procès que ces requérants avaient agi comme porte-paroles du PKK. " La Cour retient que " ni au stade de l'instruction ni pendant les débats, les intéressés n’ont pu interroger ou faire interroger ces témoins. Ils n’ont donc pu contrôler leur crédibilité, ni jeter un doute sur leurs dépositions ".

La Cour européenne estime que les requérants ont subi de telles atteintes à leurs droits de la défense qu’ils n’ont pas bénéficié d'un procès équitable. Il y a donc eu violation dans leur chef du paragraphe 3 d) de l'article 6, combiné avec le paragraphe1.

Leyla Zana et ses collègues se plaignaient également d’avoir été condamnés pour avoir exprimé, en leur qualité de députés, les revendications de la population d'origine kurde en Turquie et pour avoir développé, dans le cadre de leurs partis politiques, des solutions pacifiques à la question kurde en Turquie. L’Union Interparlementaire avait d’ailleurs souscrit à leur thèse et estimé qu’ils ont été condamnés, entre autres, pour avoir exprimé leurs opinions politiques. Elle relève également que les juridictions nationales, en choisissant de condamner les requérants pour " appartenance à une organisation séparatiste ", les ont de surcroît empêchés de bénéficier de remises de peine ou de mises en liberté conditionnelle, possibilités reconnues pour les délits d’opinion. À l’instar de la Commission, la Cour estime que " la question juridique principale posée par les présentes requêtes consiste à savoir si les accusations portées contre les requérants ont été établies à l’issue d’un procès équitable au sens de l’article 6 de la Convention. Ayant déjà répondu par la négative à cette question, elle souscrit à la conclusion de la Commission selon laquelle il ne s'impose pas de statuer séparément sur les griefs relevant des articles 10, 11 et 14 de la Convention ". La Cour européenne estime donc inutile d'examiner les autres griefs invoqués par les requérants sur des violations à la liberté d'expression, la liberté d'association et l'interdiction de discrimination puisque le caractère inéquitable du procès est établi.

En conclusion la Cour alloue 25 000 USD à chacun des quatre requérants, soit la somme de 100 000 USD pour dommage moral et la somme totale de 10 000 USD pour frais et dépens.

L'arrêt pourrait entraîner de la part du Comité des ministres du Conseil de l'Europe une demande de révision de la procédure et peut-être de libération de l'ancienne parlementaire et des autres requérants associés à sa plainte. Le Comité des ministres, exécutif du Conseil de l'Europe, est chargé de contrôler l'exécution des arrêts de la Cour dans les 43 pays membres de l'organisation.

Par ailleurs, la Turquie a été condamnée le même jour dans le cadre de neuf autres affaires. Le texte intégral de ces arrêts est consultable sur le site : http://hudoc.echr.coe.int/hudoc/

LE VETO TURC À LA FORCE DE RÉACTION RAPIDE EMPOISONNE LES RELATIONS AVEC L’UNION EUROPÉENNE


Le maintien du veto de la Turquie à la concrétisation de la force de réaction rapide décidée par les Quinze irrite de plus en plus l'Union européenne. Les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne ont, le 16 juillet, débattu du refus d'Ankara de donner son feu vert à l'utilisation des moyens de l'Otan par cette force de 60.000 hommes en cours de constitution au sein de l'UE.

" Le sentiment général, c'est que la Turquie ne devrait pas tenter de ralentir la mise en place de la politique européenne de défense et qu'elle devrait employer des moyens plus européens pour défendre ses thèses ", a déclaré Hubert Védrine, le chef de la diplomatie française. Le ministre allemand des Affaires étrangères, Joschka Fischer, a abondé dans le même sens en estimant que la Turquie ne devait pas espérer accélérer son adhésion à l'Union européenne en utilisant l'Otan comme moyen de pression : " On ne peut pas bloquer d'un côté et croire qu'on parviendra à obtenir quelque chose de l'autre ".

Tous les pays de l'Otan sont d'accord pour que l'UE fasse appel aux outils de planification et aux moyens de l'Alliance lorsqu'elle utilisera cette force de 60.000 hommes qui, à partir de 2003, doit pouvoir mener des missions de maintien de la paix. Mais la Turquie, membre de l'Otan mais non de l'UE, veut être associée à la prise de décision dans l'UE, arguant du fait que la plupart des opérations européennes se dérouleraient dans son arrière-cour, affectant donc ses intérêts vitaux. Les diplomates turcs citent souvent l'exemple d'une hypothétique opération européenne à Chypre, qui se ferait avec les moyens de l'Otan sans qu'Ankara n'ait son mot à dire.

À Nice, en décembre 2000, les dirigeants européens se sont engagés à informer et à consulter Ankara, mais ne peuvent accepter l'intrusion d'un pays tiers dans leurs affaires. Un compromis avait été trouvé fin mai 2001, avant la réunion des ministres des Affaires étrangères de l'Otan, les Britanniques agissant comme médiateurs avec les autorités turques. Mais, selon plusieurs diplomates européens, les militaires qui détiennent un vrai pouvoir à Ankara ont refusé d'accepter le texte négocié par le ministre turc Ismail Cem.

La véritable échéance pour la levée du veto turc est fixée à la fin de l'année : si ce n'est pas fait à cette date, une véritable crise pourrait s'ensuivre.

LA TURQUIE CONDAMNÉE À STRASBOURG POUR " ATTEINTE À LA VIE "


La Cour européenne des droits de l'Homme a, le 10 juillet, condamné le gouvernement turc, pour le meurtre de Mehmet Serif Avsar.

Ce civil kurde ordinaire avait été enlevé par sept hommes, dont cinq gardes de village (des civils), et un inconnu qui fut identifié quatre ans plus tard comme pouvant être un sergent de l'armée, actuellement en fuite à l'étranger. Le corps de la victime avait été retrouvé le 7 mai 1994 à l'extérieur de Diyarbakir. Près de six ans plus tard, les gardes ont été condamnés l'un à vingt ans de prison pour meurtre, les autres à six ans et huit mois de prison pour séquestration.

Dans son arrêt, la Cour européenne a souligné que cette affaire mettait en lumière " les risques qu'il y a à utiliser des volontaires civils pour exécuter des fonctions quasi policières ". La Cour souligne qu’il a été établi qu'à cette époque, des gardes de village étaient utilisés régulièrement pour toutes sortes d'opérations officielles, y compris l'arrestation de suspects. Les juges européens relèvent qu’aucun contrôle n'a été exercé sur les gardes effectuant des missions en dehors du district. Par ailleurs, les gardes de village n'étaient pas soumis à la discipline et à la formation que subissent les gendarmes et les policiers, ce qui pouvait conduire à des abus.

La Cour européenne a alloué près de 80.000 livres sterling à la famille de la victime pour dommages moral, matériel et frais.

LE MEDEF EN VISITE EN TURQUIE A PLAIDÉ POUR ANKARA


Une délégation de patrons français du Medef, reçue par le Premier ministre Bulent Ecevit et le ministre turc de l’économie, Kemal Dervis, a, le 13 juillet, plaidé la confiance pour la Turquie en crise et a appelé à investir dans ce pays. " Notre visite est un signal d'encouragement à investir dans le long terme dans ce pays en lequel nous avons confiance ", a souligné lors d'une conférence de presse Ernest-Antoine Seillière, président du Medef (Mouvement des Entreprises de France). " Les pays émergents ont par le passé connu des crises violentes (...) C'est peut-être même au moment des doutes qu'on peut avancer plus vite ", a-t-il fait valoir, en rappelant que les entreprises françaises sont déjà les premières en termes d'investissement en Turquie.

La visite de la délégation du Medef, représentant une cinquantaine de grandes entreprises françaises, est intervenue alors que la Turquie en crise connaît de forts remous liés aux doutes sur la capacité du gouvernement à appliquer un programme de réformes conclu avec le Fonds monétaire international. Elle clôt également les turbulences dans les relations entre les deux pays après la reconnaissance par la France du génocide arménien mi-janvier. La délégation du Medef a eu, le 12 juillet, à Istanbul des entretiens avec des représentants de TUSIAD, l'organisation patronale turque.

LE FMI ET LA BANQUE MONDIALE DÉBLOQENT UN CRÉDIT DE 3,2 MILLIARDS DE DOLLARS À LA TURQUIE


Le Fonds Monétaire International (FMI) a, le 12 juillet, approuvé le déblocage d'un crédit stand-by de 1,5 milliard de dollars à la Turquie. La Banque Mondiale, l'institution de développement sœur du FMI, a de son côté et comme cela était attendu, accordé le même jour une aide supplémentaire de 1,7 milliard de dollars à Ankara.

Le conseil d'administration du Fonds a finalement apporté son soutien au programme économique mis en œuvre par ce pays et qui est soutenu par un crédit relais du FMI de trois ans. Le déblocage de ces nouvelles facilités financières intervient après que le gouvernement de Turquie eut accepté certaines conditions demandées par le FMI. Le Fonds et la Banque Mondiale avaient annulé la semaine dernière une réunion de leur conseil d'administration destinée à approuver le versement de ces mêmes crédits dont le principe avait été arrêté dans le cadre du programme de restructuration économique conclu en mai 2001 entre le FMI et Ankara. Le Fonds estimait notamment que les membres de la direction de la compagnie nationale de télécommunications " Turkish Telekom ", devant piloter le groupe jusqu'à sa privatisation, avaient été nommés selon des critères politiques et non sur leurs compétences professionnelles. Le gouvernement turc a finalement accepté de modifier la composition du conseil d'administration de Turkish Telekom pour ne pas compromettre le dernier plan de sauvetage du FMI et aggraver davantage la situation.

L'économie turque avait été secouée, fin février 2001, par une grave crise financière, la deuxième en trois mois, qui avait entraîné une dévaluation de la livre turque de près de 50 % face au billet vert. L'économie turque a connu une contraction de 4,2 % au 1er trimestre de cette année.

LOFT STORY À LA TURQUE : COMMENT VIVRE AVEC LE SALAIRE MINIMUM


La crise économique qui frappe la Turquie gonfle le succès de jeux télévisés récompensant les gagnants avec de gros lots : " Comment vivre avec le salaire minimum ", sur la chaîne privée Kanal D, attire des foules grandissantes de candidats et spectateurs depuis leur récente apparition.

Le salaire minimum mensuel en Turquie au moment où l'émission a débuté, en juin, était de 102 millions de livres turques (moins de 80 dollars), après 4 mois d'une crise financière qui a fait perdre leur emploi à des centaines de milliers de personnes, la livre turque dégringoler de moitié environ face à la monnaie américaine. Entre-temps, ce salaire a été augmenté de $ 2,25. Deux concurrents doivent survivre à Istanbul pendant un mois avec cette somme. À voir combien ils ont maigri en plus de trois semaines de ce régime draconien, le jeu n'est pas une partie de plaisir.

L'appât du gain -25 milliards de TL (19.000 dollars) à la clef et une petite voiture - a malgré tout attiré plus de 3.000 candidats dès la première édition. Et les téléspectateurs semblent passionnés par ce défi auquel, pourtant, beaucoup sont également confrontés au quotidien. Les chiffres d'audience placent régulièrement depuis 25 jours " Comment vivre avec le salaire minimum " parmi les 10 programmes les plus regardés du pays.