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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 236

7/4/2002

  1. BULENT ECEVIT QUALIFIE DE GÉNOCIDE L’OPÉRATION CONTRE LES PALESTINIENS ALORS QUE LA TURQUIE HONORE UN CONTRAT D’ARMEMENT AVEC ISRAEL
  2. ANKARA DÉPÊCHE UN EMISSAIRE À SADDAM HUSSEIN
  3. JONATHAN RANDAL À ISTANBUL POUR LE PROCÈS DE SON LIVRE
  4. LE BILAN DES MOIS D’OCTOBRE, DE NOVEMBRE ET DE DÉCEMBRE DES VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME EN TURQUIE
  5. L’ARMÉE TURQUE ACCEPTE LE PRINCIPE DE PRENDRE LA TÊTE DE LA FORCE INTERNATIONALE EN AFGHANISTAN
  6. LU DANS LA PRESSE TURQUE : LE CHEMIN TORTUEUX ET MINÉ PARCOURU PAR LA LANGUE KURDE


BULENT ECEVIT QUALIFIE DE GÉNOCIDE L’OPÉRATION CONTRE LES PALESTINIENS ALORS QUE LA TURQUIE HONORE UN CONTRAT D’ARMEMENT AVEC ISRAEL


Le Premier ministre turc, Bulent Ecevit a, le 4 avril, qualifié pour la première fois, de “ génocide ” les opérations de l’armée israélienne en déclarant : “ le peuple palestinien est victime de génocide sous les yeux du monde entier ”.

L’opposition turque au Parlement avait, le 2 avril, vivement demandé au gouvernement l’annulation d’un contrat d’armement d’une valeur de $ 668 millions signé il y a un mois avec Israël pour la modernisation des 170 chars de combat M-60 A1. La presse turque s’est également mobilisée pour demander la suspension de ce contrat pour manifester la vive désapprobation d’Ankara contre la politique d’Ariel Sharon.

ANKARA DÉPÊCHE UN EMISSAIRE À SADDAM HUSSEIN


Dans un souci d’éviter toute intervention en Irak par les Etats-Unis, le ministre d’Etat turc, Tunca Toskay, s’est rendu le 2 avril à Bagdad pour rencontrer Saddam Hussein et lui transmettre en personne le message du Premier ministre turc Bulent Ecevit lui demandant de faire des “ pas pour éviter que des développements puissent avoir un impact sur nous tous ”.

130 sociétés turques se trouvent à Bagdad pour participer à la foire des produits d’exportation turcs. Par ailleurs, le Parti Démocratique du Kurdistan (PDK) a, le 4 avril, annoncé dans un communiqué qu’une délégation du Département d'Etat américain, dirigée par Ryan Crocker, sous-secrétaire d'Etat adjoint pour les affaires du Proche-Orient. a rencontré des dirigeants kurdes dans le Kurdistan irakien. La délégation américaine a rencontré le chef du PDK, Massoud Barzani dans son quartier général à Salahuddin ainsi que Jalal Talabani, chef de l'Union Patriotique du Kurdistan (UPK), à Sulaimaniya. “ La délégation américaine a souligné l'engagement (de Washington) à poursuivre sa protection et son soutien humanitaire au peuple irakien dans le Kurdistan ”, a ajouté le communiqué.

JONATHAN RANDAL À ISTANBUL POUR LE PROCÈS DE SON LIVRE


Le journaliste américain Jonathan Randal, s’est présenté le 3 avril devant la Cour de sûreté de l’Etat d'Istanbul sans être entendu, pour un de ses livres, interdit en Turquie et dont l'éditeur turc est poursuivi pour “ propagande séparatiste ”. “ Nous faisons notre possible pour éviter la prison à l'éditeur turc ”, a déclaré J. Randal, auteur de “ After such knowledge, what forgiveness? - my encounters in Kurdistan ”, déplorant que la Cour de sûreté de l'Etat n'ait pas daigné entendre son témoignage, lui-même n'étant pas poursuivi personnellement. L'ouvrage, traduit en turc après le kurde, l'arabe et le persan, a été saisi par la police en Turquie en janvier 2002. L'éditeur, Abdullah Keskin, qui dirige la maison d'édition Avesta, risque jusqu'à 3 ans de prison et 3 milliards de livres turque (2.500 euros environ).

“ Ce que j'ai entendu me laisse penser que tout cela se terminera bien, à un moment où la Turquie cherche à faire partie de l'Union européenne ”, a estimé Jonathan Randal, qui a fait le déplacement en Turquie pour assister à l'audience. “ Il est inacceptable que des livres soient censurés et que des éditeurs soient emprisonnés ”, a encore regretté le journaliste américain. Le procès, auquel ont assisté des représentants du consulat américain et de l'association de défense des journalistes Reporters sans frontières, a été ajourné au 7 juin prochain Les autorités turques reprochent au livre l’utilisation des mots tabous en Turquie comme “ Kurdistan ” alors que l’auteur ne dénonce pas pour autant la politique de la Turquie vis-à-vis de sa population kurde et n’épargne pas ses critiques envers le parti des Travailleurs du Kurdistan PKK), qui a déposé les armes il y a 30 mois.

L’acte d’accusation dispose que “ le livre mentionne l’existence d’une nation kurde distincte et d’un Kurdistan dans la République de Turquie faisant ainsi de la propagande contre l’intégrité du pays et de la nation ”. Abdullah Keskin, interrogé le 3 avril par le quotidien turc anglophone Turkish Daily News, déclare que “ [J. Randal] est un journaliste crédible pour tout le monde… Par exemple, avant sa venue à Istanbul…le Tribunal pénal International sur l’ex-Yougoslavie à la Hague a demandé à l’entendre comme témoin pour ses reportages en Bosnie et au Kosovo. L’écrivain qui vient se présenter à la Cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul a encore la poussière de la Hague sous ses chaussures ”.

Après l’intellectuel américain Noam Chomsky, c’est autour du journaliste américain Jonathan Randal d’être au banc des accusés en Turquie. “ La saisie un par un des livres comme cela, augmente le nombre de célébrités en Turquie ” ironise la journaliste Gul Demir dans le quotidien Turkish Daily News.

LE BILAN DES MOIS D’OCTOBRE, DE NOVEMBRE ET DE DÉCEMBRE DES VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME EN TURQUIE


L’Association turque des droits de l’homme (IHD) a le 30 mars rendu public le bilan les violations des droits de l’homme pour les mois d’octobre, novembre, décembre 2001.

Voici des extraits de ce bilan :
  • Nombre de meurtres non élucidés : 36
  • Nombre de personnes victimes d’exécutions extra-judiciaires, de tortures ou décédées en garde-à-vue : 12
  • Nombre de personnes torturées ou victimes de mauvais traitements : 142
  • Nombre de personnes placées en garde-à-vue : 8792
  • Nombre d’arrestations : 311
  • Nombre de villages/hameaux évacués de force ou incendiés : 1
  • Nombre d’organisations civiles, de partis politiques, d’organes de presses ou de centres culturels fermés : 81
  • Nombre de publications interdites : 161
  • Nombre de prisonniers d’opinion : 101


L’ARMÉE TURQUE ACCEPTE LE PRINCIPE DE PRENDRE LA TÊTE DE LA FORCE INTERNATIONALE EN AFGHANISTAN


L'armée turque a, le 1er avril, annoncé qu’après de longues négociations avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, la Turquie a accepté le principe de prendre la tête de la Force internationale d'assistance à la sécurité (ISAF) déployée en Afghanistan.

La Turquie avait exigé des garanties sur un soutien financier, une participation continue des autres pays de l'OTAN dans la mission et des restrictions sur le mandat géographique de l'ISAF. Le ministre Yilmaz Karakoyunlu, porte-parole du gouvernement turc, a déclaré après une réunion du gouvernement qu'une aide de 228 millions de dollars (260 millions d'euros), que l'administration Bush compte soumettre à l'approbation du Congrès, devrait suffire à aider la Turquie à faire face au coût de la mission. Ankara a également demandé aux Etats-Unis de lui fournir des avions cargo et à la Grande-Bretagne de laisser, après son départ, certaines des installations qu'elle a mises en place dans la région de Kaboul pour les membres de la force.

Le Premier ministre afghan par intérim Hamid Karzai est arrivé le 4 avril à Ankara pour discuter du passage de relais et des efforts turcs pour la reconstruction de l'Afghanistan. Londres souhaite laisser le commandement de l'ISAF à la fin avril, avant l'expiration du mandat de la force en juin. La Turquie, seul pays musulman à participer à l'ISAF, a déjà 267 hommes dans la force.

LU DANS LA PRESSE TURQUE : LE CHEMIN TORTUEUX ET MINÉ PARCOURU PAR LA LANGUE KURDE


Can Dundar, journaliste au quotidien turc Milliyet, revient dans ses colonnes du 7 avril, sur les vicissitudes de la langue kurde soumis au bon vouloir des autorités turques mais aussi sur les effets d’annonce loin des réalités du milieu politico-médiatique turc. Voici de larges extraits de cet article :

“ En 1980, deux jeunes garçons originaires de Hakkari en promenade à Aksaray, rencontrent un des leurs, Firat Baskale [ndlr : musicien kurde de la même région]. Baskale, était un musicien révolutionnaire dont la voix ressemblait à celle de Sivan Perwer [nldr : le plus populaire des musiciens kurdes]. À l’invitation de F. Baskale, ils se rendent à l’hôtel où il travaille… Ces jeunes avaient une telle nostalgie de la musique kurde que… Firat scrute les alentours avec suspicion pour voir s’il y a du monde… “

Si quelqu’un nous entend nous serons dénoncés et nos vies seraient fichues ” prévient-il. Puis il les conduit dans une pièce obscure et exiguë de la cave de l’hôtel et enlaçant sa guitare chante en kurde. Quelques minutes plus tard, ces deux jeunes, certes craintifs comme s’ils avaient assisté à une manifestation illégale, se sentaient heureux d’avoir atteint les montagnes du pays. Un de ces jeunes n’était autre que Yilmaz Erdogan [ndlr : comédien populaire kurde].

Quant à l’autre Muhsin Kizilkaya, celui qui, quelques années plus tard écrira cette anecdote dans la biographie dédiée à Erdogan… Lorsque le journal Milliyet [5-04-02] a mis en gros titre à sa Une “ chanson kurde dans la caserne ”, cela a interpellé Muhsin. La nouvelle disait que la chorale de la gendarmerie de Bitlis avait chanté en kurde la chanson “ Zeyno ” et les officiels avaient suivi en applaudissant. À Istanbul, le nouvel album de Sivan Perwer était sur les affiches.

Et le Conseil national de sécurité (MGK) mettait à l’ordre du jour “ la diffusion en kurde ”. Ceux qui ont nié pendant presqu’un siècle qu’une telle langue existait, qui ont persécuté ceux qui parlaient cette langue, qui se sont arrogés l’autorité pour annoncer d’un ton pédant que “ si on leur donne le droit de parler cette langue, ils ne se comprendraient pas ”, poussés par la “ dynamique extérieure ” ou par la “ dynamite intérieure ”, grâce à la fin de la terreur ou pas, dans une période inattendue, voilà qu’ils reconnaissent la “ réalité kurde ”. En fait, lorsque l’interdiction a été abrogée on s’est aperçu que parmi les 500 000 personnes qui dansaient au Newroz à Diyarbakir, à peine 500 achetaient des livres en kurde. Les livres en kurde de Mehmet Uzun se vendent à 2000 exemplaires, au maximum. Mais malgré tout, des dictionnaires kurde-turc ont fait leur apparition… des manuels d’orthographe se préparent…

Après le débat sur la diffusion en kurde l’on discute aujourd’hui de l’enseignement de la langue kurde. La semaine dernière Muhsin Kizilkaya a soulevé un autre problème au cours d’une conférence à Vienne : “ Qui sera chargé de la diffusion en kurde ? Qui dispensera l’enseignement du kurde ? Y a-t-il des spécialistes ? Y a-t-il des professeurs ?

À l’Université, il y a une section de sumérologie, et non pas de kurde. L’intellectuel turc sait parler le russe mais n’a pas de curiosité pour le kurde parlé pourtant par des millions de personnes dans son pays. ” Ferhat Tunç [ndlr : musicien kurde] qui vient de sortir son dernier album raconte qu’il a été placé en garde-à-vue pour avoir chanté en kurde à Kayseri… D’où est-ce qu’on revient ?

Ecouté en cachette dans les caves de l’hôtel d’Aksaray, le kurde a traversé les bureaux d’interrogatoire et les casinos des casernes… Yilmaz, un des deux jeunes de Hakkari qui a écouté en cachette des chansons en kurde, est aujourd’hui le plus aimé des humoristes en Turquie…

Quant à Muhsin, qui a appris le turc à coup de bâtons à l’école et sa langue maternelle en prison lors de la défense de l’association des foyers révolutionnaires de la culture de l’est (DDKO), c’est un des écrivains de renom de la langue turque…

Si nous voulons vivre en toute fraternité, nous devons respecter la langue de l’autre et la comprendre ; il n’y a pas d’autre solution. ”.