Le Conseil de sécurité des Nations unies a, le 16 octobre, adopté à l'unanimité sa résolution n° 1511 consacrée à l'avenir de l'Irak, les principaux pays jusque-là réticents - Russie, France et Allemagne - ayant fait savoir quelques heures plus tôt qu'ils voteraient pour en dépit de leurs réserves persistantes.
La version du texte de résolution adoptée, la cinquième élaborée par les Etats-Unis depuis août, encourage les pays du monde entier à soutenir le processus de reconstruction de l'Irak en fournissant des troupes et des fonds. Elle demande en outre aux membres du CIG (Conseil intérimaire de gouvernement) irakien d'élaborer d'ici au 15 décembre un plan pour la rédaction d'une nouvelle constitution et la tenue d'élections, processus qui pourrait s'échelonner sur plusieurs années.
La résolution crée en outre une force multinationale en Irak ayant l'aval de l'ONU, sous commandement américain. «C'est le moment ou jamais d'aider l'Irak », a déclaré au Conseil de sécurité l'ambassadeur des Etats-Unis auprès de l'ONU, John Negroponte.
Mais les pays pressentis pour alléger le fardeau financier et militaire de Washington en Irak tardent à se porter volontaires, notamment en Europe. Lors d'un sommet de l'Union européenne à Bruxelles, une contribution de 232 millions de dollars a été promise pour 2003-2004
Par ailleurs, dans un communiqué conjoint, la France, la Russie et l'Allemagne ont estimé que la résolution aurait dû aller plus loin dans le sens d'une extension du rôle politique de l'ONU et d'une accélération du transfert de pouvoir aux Irakiens. Dominique de Villepin, chef de la diplomatie française, estime que le projet de résolution américain n'est pas à « la hauteur des enjeux ». Jusqu'à la veille du vote, la France, l'Allemagne et la Russie, pensaient s'abstenir, lorsque Vladimir Poutine, qui s’est entendu avec Washington, a fait savoir qu'il allait soutenir la résolution. On déclare à ce propos, dans les milieux diplomatiques, que le numéro un russe avait décidé de privilégier les relations russo-américaines aux dépens des réticences du Kremlin vis-à-vis du projet de texte. La Syrie, dernier pays réticent, a finalement annoncé dans la foulée qu'il voterait la résolution, pour éviter d’apparaître isolée.
Le Pakistan, considéré comme un pays musulman susceptible de fournir des troupes pour le maintien de la sécurité en Irak, a pour sa part décidé de ne pas le faire, estimant que la nouvelle force multinationale créée par la résolution n'était pas assez distincte des troupes d'occupation sous commandement américain.
L'adoption de la résolution sonne comme une victoire politique pour le secrétaire d'Etat américain Colin Powell, qui avait convaincu les éléments les plus conservateurs de l'administration Bush de faire appel de nouveau à l'ONU. La résolution a failli échouer à plusieurs reprises, l'opposition ne venant pas seulement de grandes capitales mais aussi, à un certain moment, de Kofi Annan, qui, voici deux semaines, avait publiquement manifesté ses réserves vis-à-vis de la version d'alors.
D’autre part, la nouvelle monnaie irakienne est entrée officiellement en circulation le 15 octobre. Les nouveaux billets imprimés en Grande-Bretagne remplaceront ceux à l'effigie du président irakien déchu Saddam Hussein. Pour la première fois depuis la guerre du Golfe, du nord au sud du pays une même monnaie aura cours, car le dinar kurde va également s’effacer devant la nouvelle monnaie irakienne.
La conférence des donateurs pour l'Irak, inaugurée, le 23 octobre, par le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, à Madrid et réunissant sur deux jours au moins 61 pays et 19 organisations internationales a permis la promesse de 38 milliards de dollars d'aide et de prêts pour la reconstruction de l'Irak. Les besoins de l'Irak, ruiné par trois guerres, 35 ans de dictature et 13 ans de sanctions internationales, ont été évalués à 36 milliards de dollars sur 2004-2007 par la Banque mondiale et l'ONU. S'y ajoutent 19,44 milliards de dollars nécessaires notamment pour la sécurité et l'industrie pétrolière, selon l'Autorité provisoire de la Coalition (APC), mise en place par les Etats-Unis.
« Le peuple irakien se souviendra longtemps de l'aide que nous allons lui apporter à ce moment critique de défi et d'espoir », a déclaré devant les délégués le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell. « Une importante preuve de soutien venant de cette conférence accélérera la reconstruction et hâtera la venue du jour où les Irakiens pourront assumer l'entière responsabilité de leur nation », a-t-il continué.
La Banque mondiale a fait savoir qu'elle mettrait à disposition de l'Irak, jusqu'en 2008, de trois à cinq milliards de dollars. Le FMI a promis un soutien compris entre 2,5 et 4,25 milliards de dollars sur trois ans.
C'est le Japon qui, après les Etats-Unis, a fait la promesse la plus importante, en s'engageant à verser 3,5 milliards de dollars supplémentaires en prêts à moyen terme, ce qui porte à cinq milliards le montant total de l'aide promise par Tokyo. L'Arabie saoudite, l'un des voisins les plus puissants et les plus riches de l'Irak, a promis pour sa part une enveloppe d'un milliard de dollars, pour moitié en financement de projets et pour moitié en crédits à l'exportation et Le Koweït s'est engagé à donner 1,5 milliard de dollars. L'Union européenne, quant à elle, a indiqué que le mondant cumulé de son aide à la reconstruction de l'Irak en 2004 s'élèverait à 700 millions de d'euros (826 millions de dollars), soit davantage que la somme allouée par les Quinze à l'Afghanistan. Le montant total des engagements de l'Union et de ses membres jusqu'en 2007 s'élève désormais à 1,3 milliard d'euros, dont la majeure part sera fournie par la Grande-Bretagne, l’Espagne et l’Italie, pays engagés dans la coalition alliée en Irak.
L'Irak a reçu en outre une offre d'aide de son ancien ennemi, l'Iran, avec lequel elle a été en guerre de 1980 à 1988. Le chef de la diplomatie iranienne, Kamal Kharrazi, a promis une ligne de crédit allant jusqu'à 300 millions de dollars. Il a proposé aussi de fournir de l'électricité et du gaz à son voisin et annoncé que Téhéran autoriserait l'Irak à exporter son pétrole via les terminaux iraniens.
François Loos, ministre français délégué au Commerce extérieur, n'a annoncé le 24 octobre aucune nouvelle aide, mais a évoqué plusieurs moyens par lesquels la France aide l'Irak. Paris, a-t-il annoncé, pourrait envisager d'autres types d'aide à l'avenir, sans préciser lesquels Quant au vice-ministre russe des Affaires étrangères Iouri Fedotov, il n'a pas promis une aide de son gouvernement mais a dit que les entreprises russes étaient prêtes à investir jusqu'à quatre milliards de dollars dans l'économie irakienne.
Voici la liste des pays qui apportent une assistance financière et/ou militaire aux Etats-Unis dans l'Irak d'après-guerre:
CONTRIBUTION FINANCIERE A LA RECONSTRUCTION:
CONTRIBUTION MILITAIRE: Les autres nations contribuant en troupes sont le Kazakhstan (27), la Lettonie (106), la Lituanie (90) et la Macédoine (28). En outre, 14 autres pays sont en discussion avec les Etats-Unis en vue de l'envoi éventuel de militaires en Irak. |
Alors que la Cour de sûreté de l’Etat (DGM) d’Ankara N°1 a, le 17 octobre, refusé une nouvelle fois la libération des députés kurdes, en se contentant de rejeter toutes les demandes formulées par la défense dont les contre-interrogatoires et auditions, et ajourné le procès au 21 novembre, un article publié sur toute la Une du quotidien turc Hurriyet du 22 octobre sous la plume de Zeynel Lule, correspondant du journal à Bruxelles, annonce que la Turquie mène des négociations avec l’Union européenne pour qu’en échange d’une évolution favorable du cours du procès du DEP, la nouvelle appellation du PKK, le KADEK, soit intégrée dans la liste des organisations terroristes de l’UE. Les autorités turques affichent ainsi ouvertement que le procès des députés kurdes n’est nullement juridique mais reste avant tout politique, et que ces derniers restent les otages de la Turquie dans le processus de leurs négociations avec les instances européennes. Dans un communiqué de presse daté du 23 octobre et signé pour la première fois par Leyla Zana, Orhan Dogan, Hatip Dicle et Selim Sadak, les députés dénoncent leur procès et l’attitude du gouvernement turc. Voici de larges extraits de ce texte :
“ Nous sommes incarcérés depuis presque dix ans. Bien sûr, la Turquie ne se trouve plus dans la situation où nous l’avons laissée. Nous observons avec beaucoup d’émotion les développements suscitant de l’espoir, mais nous ressentons également de l’inquiétude et des craintes face à d’autres évolutions. Durant ces dix dernières années, nous avons adopté comme un principe général le fait de ne pas entrer dans des polémiques et de rester silencieux face aux informations et commentaires formulés dans les media à notre endroit. Cependant nos responsabilités imposées par l’Histoire, nous contraignent à rompre ce silence face à certaines informations. Ainsi, le quotidien Hurriyet daté du 22 octobre 2003 qui énonce en Une “ Zana contre KADEK ”, nous impose à briser ce silence.
… Après un jugement inique, nous avons été condamnés à 15 ans de prison… et finalement conformément à la condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme, une nouvelle période de procès a débuté pour nous. Durant ces audiences étalées sur 9 mois, contrairement aux décisions de la Cour européenne exigeant un jugement impartial, nous vivons, en violation du droit, une nouvelle période qui ne laisse rien à envier aux audiences de 1994.
Nous avons, à chaque fois que nous avons eu l’occasion, dénoncé les cours de sûreté de l’Etat (DGM) devant laquelle nous sommes rejugés aujourd’hui. Ainsi, nous avons indiqué que de part leur origine, leur objectif, leur raison et les lois régissant d’une part et le fait qu’elles soient les produits d’une tradition politique allant jusqu’aux tribunaux de l’état de siège et de l’indépendance [ndlr : qui dans les années 1920 envoyèrent à la potence plusieurs dizaines de patriotes kurdes], elles ne sont pas et ne pouvaient être une juridiction impartiale et indépendante. Mais qu’elles étaient un instrument au service des gouvernants… et étaient de temps en temps utilisées dans le cadre de la politique intérieure et aussi extérieure… du pays.
Dans l’information publiée par le quotidien Hurriyet, nous pouvons donc une nouvelle fois comprendre que les DGM ne sont pas des institutions juridiques mais des instruments politiques… Ce sont les premières forteresses protégeant le statu quo. Et malgré nos efforts pour amener le procès du DEP sur le terrain juridique, cela reste une affaire politique et nullement juridique… Le point le plus grave dans cette relation entre le pouvoir juridique, les DGM et la politique mise en lumière dans le procès du DEP mais aussi dans l’article en question, c’est le fait que le ministre de la justice, Cemil Çiçek, reconnaisse dans une émission de télévision qu’il a le droit de parole et de décision sur le pouvoir judiciaire et qu’au besoin qu’il pouvait y intervenir. Nous rappelons à M. Çiçek qu’il nous semble qu’il a oublié qu’il était un homme de loi avant tout (…)
Nous appelons le gouvernement à renoncer à une attitude qui ne peut se concilier avec l’éthique politique, à faire des pas pour la démocratisation et la paix intérieure, qui reste la véritable actualité de la Turquie. Nous soulignons que l’impasse et le blocage ne peuvent être surmontés qu’avec une proposition de paix juste, continue, honorable avec les Kurdes et que la paix intérieure est une garantie pour l’unité territoriale de la Turquie mais aussi la fraternité de nos populations (…)”
À l'issue d'un débat à huis clos de deux heures et demie, les députés turcs se sont, le 7 octobre, prononcés, par 358 voix contre 183, en faveur du projet autorisant l'envoi d'un important contingent de soldats turcs en Irak, une mission souhaitée par les Etats-Unis, prévue pour une durée maximale d'un an qui devait débuter dès novembre. Outre les arguments du Premier ministre, les députés se sont sans doute montrés sensibles au geste de Washington qui a accepté, fin septembre, de fournir une aide financière de 8,5 milliards de dollars sous forme de prêts à la Turquie à condition que la Turquie engage ses troupes en Irak. “Chaque mission présente ses propres risques (...). Mais en dépêchant des troupes, nous pourrons obtenir voix au chapitre. Nous devons y aller pour le bien de la Turquie et pour son avenir”, a déclaré Recep Tayyip Erdogan aux membres de son parti avant le vote. Selon les autorités turques, le déploiement du contingent turc pourrait se faire autour de Salahaddine et Tikrit, dans la région d'Al Anbar bordant l'Euphrate ou dans la région nord d'Al Anbar.
Mais, les membres du Conseil de gouvernement transitoire, qu'ils soient sunnites, kurdes ou chiites, de même que l’opinion publique turque ainsi que les pays arabes se sont très largement opposés au déploiement de troupes turques en Irak. Et, les déclarations du général Ilker Basbug, numéro deux de l'armée, sont venues raviver les inquiétudes des Irakiens, notamment des Kurdes, particulièrement hostiles à la présence de soldats turcs sur leur territoire. Ce dernier a indiqué au cours d’une conférence de presse le 13 octobre que l'armée turque répondra par la force si ses convois militaires sont attaqués par des Kurdes, lors de son déploiement en Irak. “Si nous allons en Irak, il nous faudra utiliser certaines des principales routes logistiques du nord irakien. Si nos convois y sont attaqués, nous répliquerons”, a affirmé le général.
Massoud Barzani, président du parti démocratique du Kurdistan (PDK) et membre du Conseil de gouvernement transitoire en Irak, a menacé de démissionner de ce conseil si celui-ci venait à avaliser la décision turque. Il avait rappelé le 12 octobre l'opposition du Conseil de gouvernement au déploiement turc et avait sollicité le soutien de la Ligue arabe à cet effet. “Nous refusons le déploiement de troupes de la Turquie et d'autres pays de la région et nous avons demandé un appui de la Ligue arabe à cette position”, avait déclaré M. Barzani à l'issue d'un entretien avec le secrétaire général de la Ligue arabe Amr Moussa au Caire. M. Barzani estime que “l'envoi de troupes turques ou d'autres pays voisins ne ferait qu'accroître la tension en Irak et ne fournirait de protection à personne”. M. Amr Moussa, a, quant à lui, déclaré que “la Ligue soutiendra toute position du Conseil de gouvernement transitoire au sujet de l'envoi de troupes turques ou d'autres pays voisins”. Selon lui, “tout envoi de troupes en Irak doit recevoir l'approbation du Conseil de gouvernement et avoir lieu dans le cadre des résolutions de l'ONU”. “Tous les Irakiens avec lesquels je suis entré en contact, au sein du Conseil de gouvernement ou hors de cette instance, se sont déclarés opposés à l'envoi de troupes turques ou d'autres pays voisins”, a encore déclaré M. Moussa.
Le 11 octobre, M. Barzani avait déclaré lors de sa visite de six jours au Koweït, où il avait été reçu par l'émir Jaber Al-Ahmed Al-Sabah et son Premier ministre Sabah Al-Ahmed Al-Sabah que “les Irakiens considèrent unanimement que le déploiement de forces de la région ne stabiliserait pas le pays… Au contraire, cela ne peut que conduire à une escalade de la tension”. Il avait ajouté que le Conseil de gouvernement transitoire continuera de s'opposer à ce déploiement même si Washington et Ankara “vont de l'avant dans leur projet”.
De nombreux autres dirigeants irakiens ont réaffirmé leur rejet d'un déploiement de l'armée turque, voulu par Washington. Le chef du principal mouvement chiite, le Conseil suprême de la révolution islamique en Irak (CSRII) et membre de l'exécutif de Bagdad, Abdel Aziz Hakim, a affirmé qu' “il n'y a aucun besoin de faire venir une quelconque force de l'extérieur”. Dr. Mahmoud Ali Osman, un autre membre du Conseil de gouvernement transitoire a, le 11 octobre, indiqué : “Nous avons des divergences de vue. Les Américains croient que c'est une mesure positive et nous voyons qu'il s'agit d'une mesure superflue”. “L'envoi de troupes turques retardera le retour de la souveraineté” irakienne, a, pour sa part, déclaré Nassir Kamal Chaderji, membre sunnite du Conseil. “Je suis contre l'envoi de troupes turques ou de troupes de n'importe quel autre pays voisin de l'Irak parce que nous ne voulons pas que nos relations avec ces pays se détériorent”, a-t-il ajouté. Même Ahmad Chalabi, chiite du Congrès national irakien (CNI), membre du Conseil et considéré comme un proche de Washington, a accueilli fraîchement la décision d'Ankara. “Toute troupe étrangère doit être invitée en Irak par un gouvernement irakien souverain. Actuellement cette décision revient au Conseil de gouvernement”, a affirmé un porte-parole de M. Chalabi, Entifadh Qanbar.
De son côté, le ministre irakien des Affaires étrangères, Hoshyar Zebari, a affirmé que “la position de base est que le Conseil de gouvernement ne veut pas qu'un pays voisin prenne part à une mission de protection de la paix”. Barham Saleh, un haut responsable de l'Union patriotique du Kurdistan (UPK) a prévenu que ce déploiement constituerait “un facteur de détérioration de la situation sécuritaire” et que “les troupes turques feraient face à des difficultés si elles entraient en Irak”.
Par ailleurs, dans une allocution télévisée, le président égyptien Hosni Moubarak a estimé le 16 octobre que l'armée turque ne doit pas se déployer en Irak avec la guerre à l'esprit. Hosni Moubarak a estimé que les déclarations turques étaient “dénuées de toute subtilité”. “N'ayez pas à l'esprit que vous allez entrer en guerre. L'Irak est un pays musulman comme le vôtre et vos pensées doivent être appropriées aux circonstances que nous vivons”, a déclaré le président égyptien.
Le roi Abdallah II de Jordanie avait lui aussi appelé le 13 octobre l'armée turque à ne pas prendre part aux opérations militaires dans le pays. “Je ne pense pas qu'un pays qui a des frontières communes avec l'Irak devrait jouer un rôle actif en Irak”, avait déclaré le roi à la presse en marge d'un sommet régional du Forum économique mondial (WEF) à Singapour. “Peu m'importe si cela se passe sous la supervision américaine ou des Nations unies, je persiste à croire que nous ne pouvons pas être d'honnêtes collaborateurs, tout simplement parce que nous avons tous certains désirs sur les relations bilatérales avec l'Irak”, avait déclaré le roi.
De même, un porte-parole du ministère saoudien de la Défense, a déclaré que “l'Arabie saoudite n'enverra de troupes en Irak qu'à la demande d'un gouvernement légitime, dans le cadre d'un mandat de l'ONU et sur la base d'une entente arabe ».
Dans ce contexte de tension, l'Irak a fait l’objet de toutes les dissensions au sommet de l'Organisation de la conférence islamique (OCI) ouvert en Malaisie, le 16 octobre, en présence d'une délégation irakienne. Les représentants d'Ankara ont appelé les pays-membres à s'impliquer en Irak dès à présent, sans attendre un mandat de l'ONU considérés par eux hypothétique. Mais la thèse turque n’a été soutenue par aucun autre pays.
Une semaine après le feu vert donné par le parlement turc, le conducteur d'une voiture s'est fait, le 14 octobre, exploser devant l'entrée de la mission turque, blessant deux employés de l'ambassade et quatre civils et tuant le kamikaze auteur de l'attaque. “La Turquie joue un rôle dans cette région... Nous nous attendions à ce que cela ait un certain prix”, a déclaré l'ambassadeur de Turquie à Bagdad, Osman Paksut, à la télévision turque.
Jalal Talabani, chef de l'Union patriotique du Kurdistan (UPK) et membre du Conseil de gouvernement intérimaire irakien, arrivé le 20 octobre au Caire pour une visite de quelques jours, s’est, le 22 octobre, entretenu avec le président égyptien Hosni Moubarak à Charm el-Cheikh pour examiner « la situation actuelle en Irak et les moyens d'œuvrer pour la stabilité dans le pays, afin d'aider les Irakiens à gérer leurs affaires ».
M. Talabani avait rencontré la veille au Caire le secrétaire général de la Ligue arabe Amr Moussa et le chef de la diplomatie égyptienne Ahmed Maher. Il avait affirmé, après sa rencontre avec M. Moussa, que le Conseil intérimaire de gouvernement, dont il est membre, œuvrait pour mettre fin à l'occupation américaine de l'Irak, mais pas dans l'immédiat, car cela provoquerait « le chaos ». « Pas un seul Irakien n'accepte l'occupation », avait déclaré M. Talabani. « La sécurité de l'Irak est de la responsabilité des Irakiens, et nous examinons actuellement cette question avec nos amis américains », avait-il affirmé, ajoutant toutefois que l'occupation se poursuivrait « jusqu'à la tenue d'élections et l'adoption d'une Constitution ». M. Talabani avait cependant souligné qu'il « faut être franc et qu'on ne peut pas appeler en ces circonstances au retrait des forces étrangères, car leur retrait aboutirait au chaos, aux affrontements internes et à l'ingérence de forces régionales » en Irak. M. Talabani avait également demandé à M. Maher de porter la représentation égyptienne en Irak au niveau d'ambassadeur, mais M. Maher avait jugé une telle initiative prématurée.
Massoud Barzani, président du Parti démocratique du Kurdistan (PDK), s'était rendu une semaine plus tôt en Egypte, où il avait appelé à soutenir le Conseil intérimaire de gouvernement dont il est également membre. Massoud Barzani avait également effectué le 1er octobre une visite à Damas pour évoquer la situation en Irak et les relations bilatérales. Il s’était entretenu avec le président syrien Bachar al-Assad et les deux parties avaient exprimé leur « attachement à la consolidation de l'unité nationale irakienne » et jugé « nécessaire le retour de la sécurité et de la stabilité en Irak ». « Il n'y a pas de résistance, mais des actes terroristes qui se produisent de temps à autre et c'est le peuple irakien qui en paie le prix », a déclaré M. Barzani, au terme d’un entretien avec vice-président syrien Abdel Halim Khaddam. Il a également accusé « des étrangers de s'être infiltrés en Irak pour créer des problèmes au peuple irakien ».
La Syrie, qui s'était montrée farouchement hostile à la guerre américaine en Irak, plaide actuellement pour un transfert de souveraineté rapide au peuple irakien et un retrait des forces d'occupation américaines. Depuis la chute du régime de Saddam Hussein, la Syrie est dans le collimateur des Etats-Unis qui refusent que ce pays intervienne dans les affaires de son voisin irakien.
Le procès de plusieurs centaines de soldats turcs, accusés du viol collectif accompagné de tortures d'une détenue kurde, s'est ouvert, le 10 octobre, devant un tribunal de Mardin. Le procès a été ajourné jusqu'au 5 novembre pour des questions de procédure, a indiqué l'avocat de la plaignante Me Reyhan Yalcindag.
La jeune femme kurde de 31 ans, connue par ses initiales S.E., accuse les militaires de lui avoir infligé des sévices corporels et sexuels après lui avoir bandé les yeux, ce qui a conduit à des poursuites contre les 405 militaires qui étaient en poste à cette époque dans la région de Mardin, où elle a subi ces violences. S.E. a indiqué qu'elle avait été torturée et violée par des forces paramilitaires à chacune de ses détentions, entre novembre 1993 et mars 1994, une période d'intenses combats entre l'armée et les combattants kurdes. Ses allégations ont été corroborées par les conclusions d'un examen médical. Lors de son dernier passage entre les mains des soldats, elle avait même perdu conscience et n'était revenue à elle qu'après neuf jours d'hospitalisation. Elle n'a, par ailleurs, aucun casier judiciaire expliquant ses multiples détentions. S.E., qui a connu par la suite de graves troubles psychologiques, s'est par la suite installée dans la ville d’Izmir avec sa famille. De là, elle a ensuite obtenu l'asile politique en Allemagne, à Bochum, où elle demeure toujours aujourd'hui. “Nous n'envisageons pas cela comme une affaire personnelle. Notre principal objectif est d'amener les victimes de violations des droits de l'homme à demander justice et à obtenir un résultat, ici en Turquie, sans aller devant la Cour européenne des Droits de l'Homme”, a déclaré Me Yalcindag.
Les autorités turques ont toujours renâclé à enquêter sur les allégations de torture et de viol par les forces de sécurité dans les provinces kurdes. Les forces de sécurité n'ont jamais été reconnues coupables de viol en Turquie, alors que des dizaines de procédures ont été ouvertes, a observé Me Yalcindag. Aucun des accusés n'était d’ailleurs présents à l'audience.
La candidature de la Turquie à l'intégration de l'Union Européenne demeure en souffrance notamment en raison de son incapacité à éliminer la torture et autres manquements aux Droits de l'Homme.
L'Irak a connu le 27 octobre un début de Ramadan sanglant avec trois attentats qui ont visé presque simultanément à Bagdad le siège du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), un ministère et un commissariat de police irakiens. Au moins 35 personnes ont été tuées et 230 autres blessées à Bagdad dans cette série d'attentats suicide. C'est la première fois qu'une attaque est lancée contre le CICR en Irak depuis le début de ses opérations dans le pays au début des années 1980, selon la porte-parole de cette organisation humanitaire Nada Doumani.
L'adjoint du ministre irakien de l'Intérieur, Ahmed Ibrahim, a accusé Saddam Hussein d'être responsable de cet attentat. Une deuxième explosion s'est produite quelques minutes plus tard près du siège du ministère de la Santé. Les bâtiments du CICR et du ministère sont situés sur chacune des deux rives du Tigre, qui coupe Bagdad en deux. Une voiture piégée a explosé presque au même moment devant un poste de police à Bagdad, tuant trois policiers irakiens, blessant plusieurs autres ainsi que 10 soldats américains, selon l'armée américaine.
Cette série d'attentats a frappé la capitale irakienne alors qu'elle a été la veille le théâtre d'une attaque aux roquettes qui a visé un hôtel où logeait le numéro deux du Pentagone Paul Wolfowitz, arrivé le 24 octobre à Bagdad. Au dernier jour de sa visite à Bagdad, le numéro deux du Pentagone a vu l'hôtel Al-Rachid, au cœur de la capitale irakienne, frappé le 26 octobre par le tir de près de 30 roquettes de roquettes, qui ont tué un colonel américain et blessé 18 personnes dont 11 Américains et des civils. Un lanceur multitubes de roquettes Katioucha a été ensuite découvert dans une remorque garée sur un trottoir à la sortie du zoo de Bagdad, face à l'hôtel. Les roquettes tirées à 500 mètres de l'hôtel vers 6h10 ont creusé une demi-douzaine de trous dans la façade ouest de l'établissement moderne haut de 17 étages, dont les 462 chambres abritent les responsables de l'administration provisoire américaine et des troupes de la coalition. Secoué mais indemne, le secrétaire adjoint à la Défense, l'un des faucons de l'administration Bush, a assuré que l'attentat « ne nous détournera pas de notre mission » en Irak.
Par ailleurs, l'ONU compte transférer à Chypre les membres de son personnel encore présents à Bagdad, et ils décideront alors de l'opportunité et des modalités de leur retour éventuel dans la capitale irakienne. Ce retrait concernera 18 expatriés travaillant à Bagdad, tandis qu'une quarantaine d'autres, en poste au Kurdistan dans la région d'Erbil (Nord), demeureront dans le secteur, jugé plus sûr. L'ONU dispose toujours dans le pays d'environ 4.000 employés irakiens.
Le CICR et l'organisation humanitaire Médecins sans Frontières ont également annoncé le 29 octobre leur décision d'évacuer leur personnel malgré la demande insistante de l'administration américaine de rester à Bagdad.
Région relativement protégée de la violence, le Kurdistan subit également de temps à autre des actes terroristes. Ainsi, le 9 octobre, deux policiers et deux civils irakiens ont été tués le 9 octobre et un autre policier a été grièvement blessé dans une attaque armée menée par des inconnus à Erbil, dans le Kurdistan. « Des terroristes à bord d'un véhicule ont ouvert le feu sur une voiture de police, tuant deux agents et blessant grièvement un autre », a déclaré le chef de la police d'Erbil, cité par la télévision du Parti démocratique du Kurdistan (PDK), qui contrôle la région. Selon lui, « l'attaque est préméditée (..) et il s'agit d'un groupe de terroristes qui tentent de perturber la sécurité dans la ville ». Les deux civils tués ont été identifiés comme le procureur général adjoint au ministère de la Justice à Erbil et son épouse, qui travaille à l'Université de Salaheddine, près d'Erbil.
Par ailleurs, un Irakien qui tentait de perpétrer le 16 octobre un attentat suicide contre le bâtiment du ministère de l'Intérieur à Erbil a été tué par les forces de l'ordre, a annoncé M. Karim Sinjari, ministre de l'Intérieur du gouvernement régional du Kurdistan à Erbil.
Le président turc refuse de recevoir les épouses voilées des membres du gouvernement et du Parlement turcs. La Turquie a, le 29 octobre, fêté en grande pompe le 80ème anniversaire de sa fondation sur fond de vive controverse autour du foulard islamique dans un pays musulman au régime laïc gouverné par un parti aux origines islamistes. Pour la première fois depuis la fondation en 1923 de la République par Mustafa Kemal Ataturk sur les ruines de l'Empire ottoman, la plupart des députés du parti au pouvoir devaient boycotter une réception du chef de l'Etat, Ahmet Necdet Sezer, à l'occasion de la fête nationale. Les représentants au Parlement du Parti de la Justice et du Développement (AKP, issu de la mouvance islamiste, 368 sièges sur 550) entendaient ainsi protester contre M. Sezer qui n'a pas invité leurs épouses à la réception, suscitant de vives critiques de leur part et de la presse libérale qui estime que cette “crise” au sommet de l'Etat n'est pas digne d'un pays candidat à l'adhésion à l'Union européenne. Nombre de femmes de députés de l'AKP, à l'instar de celle du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, sont voilées et ne peuvent se présenter dans cette tenue à des réceptions officielles en Turquie. Jamais dans l'histoire du pays, autant d'épouses de membres d'un gouvernement n'ont porté le foulard islamique. L'armée turque, qui se proclame la gardienne de la laïcité, et la hiérarchie pro-laïque considèrent le port du foulard -- strictement interdit dans la fonction publique et les universités -- comme un signe ostensible de soutien à l'islam politique. M. Erdogan, un ancien islamiste qui rejette aujourd'hui cette étiquette affirmant avoir “changé”, ne souhaitant pas accroître davantage la tension avec le président, a assisté avec ses ministres à la réception.
Fait sans précédent, au moins cinq députés de l'AKP, dont le président de la Commission des droits de l'Homme au Parlement, Mehmet Elkatmis, ont renvoyé à la présidence l'invitation qui leur avait été adressée, dénonçant une “discrimination” de la part de M. Sezer qu'ils ont accusé d'être “partial”. Un autre député a appelé implicitement le président à démissionner. Dans son message traditionnel à l'occasion de la fête nationale, publié la veille, M. Sezer, ancien président de la Cour constitutionnelle et farouche défenseur des principes laïques, a lancé un appel solennel pour la préservation des “principes édictés dans la Constitution”, en l'occurrence la laïcité et la démocratie.
“Le président est partial. Il prend évidemment la défense de la laïcité”, titre le journal kémaliste Cumhuriyet. Pour le journal Zaman (islamiste modéré), les invitations “avec ou sans épouses” adressées aux députés ont dégénéré en “crise. Les invitations adressées aux députés du principal parti d'opposition pro-laïque au Parlement, le CHP (Parti républicain du peuple), mentionnaient en effet les épouses.
L'ensemble des parlementaires du CHP ont assisté à la réception. M. Sezer a également omis explicitement de mentionner les épouses (voilées) dans les invitations adressées au vice-président de la Cour constitutionnelle et du président de la Cour des comptes. Depuis la victoire électorale de l'AKP aux législatives de l'an dernier, la bataille entre la hiérarchie pro-laïque et l'AKP qui a le vent en poupe après notamment de bons résultats dans l'économie, a surtout fait rage sur le sujet sensible du voile islamique. Le geste symbolique du président Sezer à l'occasion de la fête nationale a encore alimenté la polémique récurrente dans le pays depuis la montée de l'islam politique dans les années 70 avec l'inauguration de plusieurs dizaines de lycées à vocation religieuse, dont sont issus M. Erdogan et plusieurs de ses proches collaborateurs.
M. Erdogan est surveillé de près par l'armée qui, en 1997, avait forcé le premier gouvernement pro-islamiste de l'histoire du pays à quitter le pouvoir. M.Erdogan, alors maire d'Istanbul, avait purgé une peine de quatre mois en 1998 pour “incitation à la haine religieuse”. Il affirme défendre aujourd'hui une laïcité respectueuse de la démocratie et les libertés religieuses.
L'administration provisoire dirigée par les Etats-Unis a publié le 27 octobre les premiers chiffres sur les revenus tirés du pétrole en Irak depuis le renversement de Saddam Hussein en avril. Accusée par certaines organisations internationales d'entretenir l'opacité sur sa gestion des ressources pétrolières irakiennes, l'autorité provisoire de la coalition (CPA) a précisé qu'un total de trois milliards de dollars avait été déposé dans le Fonds de développement pour l'Irak, créé avec l'autorisation des Nations unies en mai pour y placer les revenus pétroliers et l'ensemble des fonds destinés à la reconstruction de l'Irak. Environ 666 millions de dollars ont été dépensés ce qui, à la date du 25 octobre, laisse un solde de quelque 2,4 milliards de dollars, précise la CPA sur son site internet http://www.cpa-iraq.org
L'administration dirigée par Paul Bremer détaille également les revenus du Fonds de développement : un milliard de dollars provient du programme de l'ONU « pétrole contre nourriture » dont l'arrêt est prévu en novembre; 1,4 milliard de dollar est tiré des ventes de pétrole; 300 millions de dollars sont issus de fonds irakiens découverts à l'étranger et rapatriés après la guerre; 200 millions de dollars viennent d'un « compte spécial » du Trésor américain et 120 millions de dollars proviennent de remboursement du Programme alimentaire mondial de l'ONU pour rachat de blé.
Les 666 millions de dollars ont été dépensés comme suit, selon la CPA: 433 millions pour le budget du ministère des Finances; 125 millions pour l'achat de blé; 92 millions pour un programme d'échange de monnaie; 8 millions pour des équipements de sécurité; 6 millions pour des équipements pétroliers et 2 millions pour des équipements électriques.
Par ailleurs, les Etats-Unis et les autres pays riches devraient supprimer les deux-tiers de la dette extérieure de l'Irak pour lui donner une chance de redresser son économie, a déclaré le 29 octobre le président de la Banque mondiale. James Wolfensohn a également prédit que de nombreux pays riches devraient se faire « forcer la main » au cours de l'année prochaine sur la question de l'effacement de la dette irakienne, estimée à quelque 120 milliards de dollars (102 milliards d'euros). Selon lui, l'Irak doit autour de 40 milliards de dollars aux Etats-Unis, la France, l'Allemagne, le Japon, la Russie et les autres pays qui font partie du Club de Paris, une organisation composée de 19 nations qui conduit les négociations sur la dette. Au moins 80 milliards de dollars supplémentaires sont dus à des pays arabes et d'autres nations en dehors de Club de Paris.
Par ailleurs, malgré les réticences du Congrès face au coût de la politique américaine en Irak, la Chambre des représentants a approuvé l'enveloppe budgétaire de 87,5 milliards de dollars réclamée par le président Bush pour financer la reconstruction et l'occupation de ce pays. La Chambre a, le 29 octobre, adopté le texte par 298 voix contre 121. Le Sénat devrait adopter à son tour le 3 novembre cette enveloppe budgétaire en renonçant à son idée de convertir une partie de l'aide à la reconstruction de l'Irak en prêts remboursables avec les futurs revenus de la vente du pétrole irakien. Le texte répond en grande partie à ce que demandait G. Bush, prévoyant 65 milliards de dollars pour les troupes en Irak et en Afghanistan.
Mais les députés ont réduit à 18,6 milliards les crédits alloués à la reconstruction du pays – G. Bush demandait 20,3 milliards -, renforcé le suivi par l'administration des dépenses réalisées avec ces fonds, et durci les conditions de candidature aux appels d'offres pour les contrats en Irak. George Bush a donc réussi à éviter l'écueil le plus important: la fronde de plusieurs républicains et de la quasi totalité des démocrates qui estimaient que l'Irak devrait rembourser une partie des crédits alloués à sa reconstruction, à hauteur de la moitié des quelque 20 milliards de dollars prévus à cet effet. La Maison blanche avait menacé d'opposer son veto à la totalité du texte s'il comprenait des prêts, ce qui selon elle aurait eu pour effet de nuire aux efforts de stabilisation de l'Irak, de prolonger l'occupation américaine et d'accabler le pays sous le poids de nouvelles dettes.
La section de Hakkari de l’Association turque des droits de l’homme (IHD) a été saisie le 20 octobre par des habitants du district de Çukurca, province de Hakkari, accusant de pratique de torture des membres des forces spéciales du commandement de la gendarmerie. Selon les témoignages recueillis par l’IHD, les forces spéciales ont lancé le 18 octobre vers 4 heures du matin une perquisition chez un protecteur de village dénommé Halil Çetin. Empêchés de se vêtir, H. Çetin et son père ont ensuite été traînés dans un tas d’excréments. L’Association a également noté que Fatma Çetin, âgée de 60 ans, s’est évanouie après un coup de crosse reçu sur l’épaule et transportée au dispensaire, a refusé par peur de prendre un rapport médical. Une autre victime, Sabri Ozer, a quant à lui été transportée au service orthopédique de l’hôpital d’Etat de Hakkari qui lui a délivré un arrêt de travail de cinq jours. Après enquête, les responsables de l’IHD ont remis leur rapport au procureur de la République, qui n’est autre que celui qui a autorisé la perquisition des forces spéciales.
La Turquie, qui a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme dans une affaire précédente lorsque des villageois ont été obligés d’avaler des excréments dans le village de Yesilyurt (Cizre) en 1989, ne semble pas être dissuadée. Tout se passe comme si les forces turques poursuivaient leur propre logique de répression et d’humiliation, au mépris du droit, laissant aux autorités civiles la besogne de justifier leur action et de verser éventuellement des dédommagements dérisoires à quelques victimes téméraires osant saisir la Cour européenne des droits de l’homme. Il y a quelques mois des enfants du village de Hani placés en garde à vue ont également accusé des forces de sécurité d’avoir couvert leur visages d’excréments.
Plus de 70 000 personnes ont été enrôlées comme protecteurs de village en Turquie. Nombreux sont ceux qui le sont devenus à force des menaces proférées par les forces de sécurité turques.
Me Eren Keskin, vice-présidente de l’Association des droits de l’homme de Turquie (IHD) et fondatrice du “Projet d’aide juridique contre les sévices sexuels et tortures en garde-à-vue”, a dénoncé la situation de Mme Fatma Toprak, une jeune femme kurde accusée sur la base de l’article 125 du code pénal de “lien avec le PKK”, placée en détention depuis décembre 1996 et qui doit faire face à la position du juge turc qui ne veut pas l’appeler aux audiences sous prétexte qu’elle “parle en kurde”. Dans un courrier adressé le 6 octobre à E. Keskin, Fatma Toprak indique que le juge lui a déclaré: “A partir de maintenant je ne te convoquerai plus à la cour…Tu protestes contre nous depuis sept ans en ne parlant pas le turc, on va à notre tour protester contre toi en ne t’appelant plus au procès”. Me Keskin a précisé que Fatma Toprak est accompagnée d’interprète depuis le début de son procès et qu’il est étonnant de voir une telle position aujourd’hui, alors même que la Turquie prétend avoir aboli les obstacles opposés à la langue kurde pour son entrée à l’Union européenne.
Selon les rapports établis par l’Union des médecins turcs, l’Ordre des médecins d’Istanbul et la Fondation des droits de l’homme de Turquie, Fatma Toprak a été arrêtée en 1996 pour “activités politiques et appartenance au PKK de son époux” et a été placée en garde-à-vue avec son fils âgée alors de 2,5 ans par la section anti-terreur de la Direction de sûreté d’Istanbul. Elle y a été sévèrement torturée ; suspendue après avoir été déshabillée par la police qui lui a infligé des sévices sexuels comme l’intrusion de matraque à l’anus et au vagin. La police a également émis, devant ses yeux, des charges électriques sur les doigts de son fils qui a été brûlé par des cigarettes sur son dos et ses mains et a été forcé à avoir des contacts sexuels avec sa mère. Selon le témoignage de Mme Toprak, après 14 jours de détention, la police a emmené l’enfant en disant à la mère qu’il allait être exécuter. Fatma Toprak a ensuite été transférée à la prison de Gebze et malgré toutes les démarches entreprises auprès du parquet par Me Eren Keskin, aucune information n’a pu être obtenu au sujet du petit Azat [ndlr : libre en kurde] pendant 2,5 ans. Azat, qui a été finalement retrouvé à la DASS de Bahçelievler, a ensuite été remis à sa mère emprisonnée. Me Keskin a saisi le procureur de la République de Fatih qui n’a pas voulu donner de suite à l’affaire, puis a fait appel auprès de la Cour d’Assises de Beyoglu qui s’est conformée à la décision du parquet. La Cour européenne des droits de l’homme a été saisie pour violation de l’article 3 de la Convention européenne relatif à la torture.
Par ailleurs, depuis plus de 6 mois, le centre pénitentiaire refuse la visite d’Azat à sa mère en avançant qu’il manque des documents d’identité établissant la filiation et cela malgré toutes les démarches entreprises auprès des services d’état civil par la famille de Fatma Toprak.
L'auteur d'un livre traitant du problème kurde qui avait été condamné en Turquie en raison de son caractère critique à l'égard de l'armée et de l'Etat turcs a obtenu gain de cause le 2 octobre devant la Cour européenne des droits de l'Homme qui a condamné la Turquie pour violation de la liberté d'expression.
La Cour a alloué à Zeynel Abidin Kizilyaprak, 43 ans, propriétaire de la maison d'édition Pelê Sor, 3.000 ¤ pour dommage moral et 2.500 ¤ pour frais et dépens, estimant « que les autorités nationales n'ont pas suffisamment pris en compte le droit du public de se voir informer d'une autre manière sur la situation dans le sud-est de la Turquie ».
En 1991, il avait publié un ouvrage intitulé « Comment nous nous sommes battus contre le peuple kurde ! Mémoires d'un soldat » relatant les mémoires d'un soldat turc ayant effectué son service militaire dans le sud-est de la Turquie. M. Kizilyaprak fut condamné le 14 octobre 1993 par la Cour de sûreté de l'Etat d'Istanbul pour « propagande séparatiste » à six mois d'emprisonnement et à une amende.
Dans son arrêt, la Cour a relevé que « si certains passages, particulièrement acerbes, de l'ouvrage brossent un tableau des plus négatifs de l'Etat turc et de l'armée (...) ils n'exhortent pas pour autant à l'usage de la violence ». Elle a en outre condamné la Turquie pour violation du droit à un procès équitable soulignant que la Cour de sûreté de l'Etat, composée notamment d'un magistrat militaire, n'était pas un tribunal indépendant et impartial.
Le chanteur de rock kurde Ciwan Haco a effectué le 12 octobre devant plus de 100.000 personnes rassemblées à Batman son retour sur la scène, après un exil de 23 ans, qu'il a justifiée par le manque de liberté culturelle pour les Kurdes. Ce concert est de loin le plus important jamais organisé dans cette région kurde, où l'état d'urgence a été levé en 2001, après être resté en vigueur durant 14 ans.
Ciwan Haco a chanté dans sa langue maternelle, le kurde, ce qui n'était pas possible jusque là « en raison de l'absence de liberté frappant cette langue », a-t-il expliqué au quotidien turc Radikal.
Des dirigeants et membres de deux partis pro-kurdes ont simultanément déposé le 27 octobre des recours devant la justice pour obtenir le droit de porter des noms kurdes comprenant les lettres X, W et Q, inexistantes dans l'alphabet turc.
Le gouvernement turc a récemment levé officiellement l'interdiction des prénoms et noms à consonance “ethnique” --en l'occurrence kurde--, dans le but d'harmoniser ses lois avec celles de l'Union Européenne (UE), à laquelle la Turquie souhaite adhérer. Mais une circulaire du ministère de l'Intérieur a interdit l'utilisation de noms comportant des lettres qui n'existent pas dans l'alphabet turc. Les lettres X, W et Q existent en kurde, mais pas en turc. Pour protester contre cette circulaire, des dirigeants du Parti démocratique du peuple (DEHAP) et de celui de la libre société (Ozgur Toplum), ont déposé des recours devant des tribunaux à Ankara, Istanbul ou Adana (sud) pour pouvoir adopter de nouveaux noms ou prénoms. “Je veux adopter le prénom Qualferat (sage)”, a précisé Ferhat Yegin, vice-président d'Ozgur Toplum partisi, qui a salué la décision du gouvernement d'autoriser les noms kurdes, mais conteste les restrictions apportées fin septembre par la nouvelle circulaire.
Par ailleurs, la préfecture et la direction de sûreté de Van, saisies, le 22 octobre, par une demande de concert pour le groupe kurde de musique rock, Koma Rewsen, a refusé de délivrer l’autorisation du fait du mot kurde “kom” [ndlr : groupe en kurde] et de la lettre “ w ” sur les affiches.
La Commission européenne doit publier début novembre un rapport d'évaluation sur les progrès de la Turquie vers l'UE. Ankara espère pouvoir entamer des négociations d'adhésion avec l'UE à la fin de 2004.
Selon le quotidien suisse Le Matin du 26 octobre, la récente annulation de la visite à Ankara de la ministre suisse des Affaires étrangères, Micheline Calmy-Rey, est dû au Service Secrets turcs (MIT) qui l’ont “espionnée” et accusée de liens avec des opposants kurdes. Les services secrets turcs auraient dénoncé ces liens auprès de la police suisse dans une note expliquant que “si votre ministre n'est pas persona grata à Ankara, c'est parce qu'elle prête une oreille trop attentive aux opposants kurdes”.
Les relations entre les deux pays se sont détériorées fin septembre, lorsqu'une visite que Mme Calmy-Rey devait effectuer en Turquie avait été annulée au dernier moment. Ankara avait alors dit réagir à la reconnaissance, quelques jours plus tôt par le canton suisse de Vaud, du génocide arménien. Le Matin, qui reprend des informations publiées le 25 octobre par le quotidien zurichois Tages-Anzeiger, affirme que Mme Calmy-Rey avait en fait été surveillée fin août par un espion turc, qui aurait observé lors d'un cocktail un aparté d'un peu plus d'une minute entre elle et un opposant kurde. La note envoyée par les services secrets à la police suisse a ensuite été transmise au président de la Confédération, Pascal Couchepin, qui aurait selon la presse, demandé la réunion d'urgence du gouvernement suisse pour faire la leçon à la ministre.
Un porte-parole du procureur général a qualifié ces informations de “stupéfiantes” et indiqué que si les premières investigations conduisaient à des indices d'espionnage des services secrets turcs, une enquête pénale serait ouverte pour activités interdites de services de renseignements étrangers sur le sol suisse.
Par ailleurs, la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée fédérale suisse et la délégation de l’Assemblée ont décidé d’enquêter sur les actions du MIT en Suisse et son influence auprès des hommes politiques suisses, tout en analysant le rôle du président Pascal Couchepin et de la ministre de la justice, Ruth Metzler, dans cet incident.
Le quotidien turc Hurriyet daté du 27 octobre précise que “les responsables turcs attirent l’attention sur le fait que la résolution reconnaissant le génocide arménien dans le canton de Genève porte la signature de Mme Calmy-Rey” et qu’ “à l’instar de l’ancienne ministre suédoise des affaires étrangères, Mme Anna Lindh, assassinée, Mme Calmy, membre du parti social démocrate a émis le souhait de visiter Diyarbakir… et de signer une convention pour le projet de financement des écoles d’enseignement en langue kurde”.
Un combattant du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK, rebaptisé Kadek) a été tué le 17 octobre lors d'une opération de ratissage dans une région rurale proche de Dicle, au nord de Diyarbakir. Des combattants kurdes avaient attaqué un poste de police près de Dicle le 15 octobre, blessant légèrement un agent.
Pari ailleurs, quatre autres militants PKK avaient été tués le 10 octobre par l'armée turque au cours d'une opération militaire terrestre et aérienne dirigée dans les montagnes de la région de Tunceli.
Les affrontements, tombés à un niveau proche de zéro en début d'année, se sont multipliés ces dernières semaines.
Le procès de vingt cinq personnes accusées sur la base de l’article 125 du code pénal turc pour “tentative de division du territoire turc à la solde du parti des travailleurs du Kurdistan (PKK)” et condamnées en 1996 dans un précédent procès à entre 2 ans et 6 mois et la perpétuité, s’est rouvert après cassation par la Haute cour turque le 28 octobre. Neuf ans après et dès la première audience, deux des incidents retenus contre les prévenus se sont révélés ne pas exister. Accusés d’avoir incendié en 1994 des autobus de l’IETT (ndlr : réseau turc de transport urbain national) et d’avoir lancé des cocktails Molotov sur l’école primaire Karatoprak dans le quartier Gazi du district de Gaziosmanpasa, la Cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul N°4 a déclaré que sur la base de l’arrêt de la Cour de cassation et après enquête réalisée auprès de la Direction de la sûreté de celle de l’IETT, les incidents reprochés n’existaient pas. L’avocat de la défense a déclaré que la Cour européenne des droits de l’homme avait été saisie sur la base de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif au droit à une justice équitable et impartiale mais aussi sur le fondement de l’article 5/3 concernant la durée de la détention.
La Cour de cassation turque avait en 2000 cassé le jugement en statuant que le dossier ne contenait aucun document sur six des 18 incidents reprochés aux prévenus. Cuneyt Aydinlar, le premier disparu “officiel” des garde-à-vue, avait été placé en détention avec les prévenus présentés devant la DGM d’Istanbul. Ils n’ont jamais cessé d’accuser la police politique turque d’avoir exécuté C. Aydinlar.
Des responsables turcs et américains ont entamé le 2 octobre à Ankara une nouvelle série d'entretiens pour évoquer la lutte contre les combattants du PKK réfugiés en Irak. Les délégations sont dirigées côté américain par Joseph Cofer Black, coordinateur du département d'Etat pour la lutte contre le terrorisme, et côté turc par le sous-secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères Nabi Sensoy. Au terme de ces entretiens les deux parties ont annoncé s'accorder sur un « plan d'action » pour éliminer le PKK-Kadek du nord Kurdistan irakien comprenant notamment des options militaires. M. Black a pour sa part affirmé que le PKK n'avait pas de place en Irak du Nord.
Ankara a appelé plusieurs fois les Etats-Unis à agir contre le PKK (rebaptisé Kadek). Près de 5.000 d'entre eux ont trouvé refuge dans les montagnes kurdes à la frontière iranienne.
« Nous considérons que le PKK-KADEK est une organisation terroriste et avons assuré le gouvernement turc que nous ne le voyons pas autrement », a, le 2 octobre déclaré le secrétaire d'Etat Colin Powell au cours d'une conférence de presse. « Nous sommes encore en train de travailler pour savoir comment nous y prendre de la manière la plus efficace », a-t-il ajouté.
Par ailleurs, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a affirmé le 5 octobre que la Turquie va juger les Etats-Unis sur les faits. « Nous avons vu des signaux positifs (de la part des Américains). Nous allons voir dans les jours et les semaines à venir l'application de notre entente sur le terrain », a-t il déclaré sur la chaîne privée Kanal 7.