Le Parlement turc a voté, le 30 avril, un amendement au très controversé article 301, qui limite la liberté d’expression en Turquie en permettant de condamner toute « insulte à la turcité ». Les débats au Parlement turc qui ont précédé ce vote ont été houleux, mais l’amendement a été finalement adopté par 250 voix contre 65.
D’après le ministre de la justice Mehmet Ali Şahin, 6075 individus ont été inculpés ces cinq dernières années en vertu de cet article et de l’article 159, qu’il remplaçait, avec un total de 745 condamnations. Le journaliste assassiné, Hrant Dink, avait ainsi été condamné en vertu de cette loi. Des écrivains, dont Orhan Pamuk et Elif Shafak avaient également fait l’objet de poursuites pour leur prise de position sur le génocide arménien, mais avaient été acquittés. Cependant, selon Erdol Önderoglu, responsable éditorial des questions relatives à la liberté d’expression sur le site Bianet et correspondant de Reporters Sans Frontières, ces chiffres révèlent qu’au-delà des 150 intellectuels inquiétés dont la presse a plus ou moins parlé, « c’est plutôt les gens de la rue qui en ont été victimes pendant cette période », et parmi eux, figureraient une quinzaine de mineurs. »
Malgré de nombreuses voix s’élevant pour sa suppression, notamment au sein de l’Union européenne, qui en fait une condition préalable à l’adhésion de la Turquie l’article n’a cependant fait l’objet que d’un léger « adoucissement » dans la nature du délit qu’il dénonce :
« Le dénigrement public de l’identité turque », de la République ou de la Grande Assemblée nationale turque sera puni de six mois à trois ans d’emprisonnement, celui du gouvernement de la République de Turquie, des institutions judiciaires de l’Etat, des structures militaires ou sécuritaires, de six mois à deux ans d’emprisonnement et la peine est aggravée, « accrue d’un tiers » si le délit de dénigrement par un citoyen turc est commis hors du pays. Autre modification, « les inculpations au nom de cet article doivent recevoir l’approbation du ministre de la Justice » et non plus être laissées à l’appréciation du procureur.
Selon la correspondante turque du magasine The Economist, Ambari Zaman, cet amendement est une tentative boiteuse de contenter à la fois l’Union européenne et les milieux turcs nationalistes : « Je pense que c’est une forme d’acrobatie, mais qu’en marchant ainsi sur la corde raide, ils tomberont, parce que ni les nationalistes – qu’ils ont essayé d’apaiser – ni l’UE ne paraissent satisfaits. En fait, dans le privé, nous avons entendu beaucoup d’officiels de l’UE se plaindre que ce n’était qu’un changement cosmétique. »
Le flou autour de ce que recouvre le terme « de nation turque » dans la loi permettra à de nombreux procureurs de continuer à poursuivre qui bon leur semble, sur la base d’appréciations très subjectives de ce qui peut « insulter » la nation. Par ailleurs, son effet dissuasif sera probablement tout aussi inefficace que précédemment, ce que confirme Ambari Zaman : « Je pense que nous continuerons de voir des écrivains comme Orhan Pamuk et d’autres oser défier l’histoire officielle – que cela soit sur la question du massacre des Arméniens en 1915 ou sur le sort des Kurdes, et donc que les poursuites continueront. »
Erol Önderoglu ne voit aucun changement réel dans cette réforme, mais indique qu’il s’agit « plutôt d’un problème de pratique de la justice. À l’écrit cela peut paraître tout à fait normal pour un occidental qui compare les textes de son pays à ceux de la Turquie. Je tiens à souligner que le problème est dû en grande partie à l’application de ces articles par la justice turque. »
La réduction de la peine maximale induit que désormais, « les accusés ne seront plus jugés devant les tribunaux correctionnels mais devant des tribunaux de police. C’est-à-dire, même en cas de condamnation maximale, les peines vont se voir réduites et commuées en sursis. Il y aura plus de mécanismes entre les mains du juge pour qu’un accusé n’aille pas en prison tout en étant condamné. » Mais pour Erol Önderoglu, la contrepartie de cet allègement est que « les accusés vont avoir du mal à faire écho de leur situation médiatiquement parce que les journalistes de la presse nationale et internationale ne vont pas voir grand-chose dans cette affaire puisque l’accusé n’ira pas en prison. »
Malgré tout, la présidence de l’Union européenne (assurée par la Slovénie), a qualifié, dans une déclaration, l’amendement de l’article 301 d’avancée « constructive vers la garantie de la liberté d’expression ». Mais plusieurs organisations de défense des droits de l’homme ont dénoncé son insuffisance, et appellent à la suppression de tous les articles de loi limitant la liberté d’expression en Turquie, notamment ceux hérités de la loi Anti-Terreur et ceux condamnant tout « crime » contre la mémoire de Mustafa Kemal Ataturk.
Autres célèbres accusés en vertu de cet article 301, les universitaires Ibrahim Kaboğlu et Baskin Oran, ont été définitivement acquittés ce mois-ci, après 4 ans de tracasseries juridiques. Ayant écrit un rapport sur les droits culturels et ceux des minorités, rapport fait à la demande du gouvernement lui-même, il leur était reproché par le procureur général « d’incitation à la haine et à l’hostilité entre les peuples » (article 216) en plus de l’insulte à la turcité (art. 301). L’accusation se fondait sur le terme « türkiyelilik » ou « de Turquie » proposé dans le rapport pour qualifier les citoyens « turcs » d’origine ethnique différente. Le 10 mai 2006, la 28ème Chambre criminelle d’Ankara avait rendu un non-lieu concernant les deux articles. Ce jugement avait été infirmé par une cour d’appel, avant d’être définitivement confirmé par la Commission plénière d’Appel, le 28 avril dernier.
S’exprimant sur cette décision, Ibrahim Kaboğlu estime qu’il s’agit d’une victoire importante pour la liberté de débat et d’opinion, car cela va créer un précédent judiciaire pour tous les autres cas. Selon le BİA Media Monitoring Report, depuis le début de l’année 2008, 186 personnes, dont 71 journalistes, ont été poursuivis pour 92 affaires, dont 12 ouverts en vertu de l’article 301 (contre 4, l’année dernière, à la même époque).
A l’occasion de la Journée internationale de la liberté de la presse, le 3 mai, de nombreux éditorialistes et journalistes turcs ont débattu des difficultés que rencontre la liberté d’expression et d’information dans leur pays, allant des attaques physiques aux menaces de mort ou à diverses intimidations, ou bien au piratage de sites Internet. Quant il s’agit d’intimidations policières, les auteurs ne sont jamais inquiétés, souligne le rapport, et les agressions contre les journalistes ont ainsi lieu dans un climat d’impunité.
Les motifs les plus fréquents des poursuites judiciaires, sont « l’insulte », la « propagande » ou la « diffamation ». Les maisons d’édition sont également visées : Haftaya Bakış, Yedinci Gün, Yaşamda Demokrasi et Toplumsal Demokrasi ont dû interrompre leur activité six fois déjà, pour « propagande en faveur du PKK ». Les sites Internet font l’objet de censures. Indymedia-İstanbul a été ainsi interdit par décision de la Cour militaire ainsi que le site youtube.com, un site de partage libre d’images vidéo, pour contenu insultant envers Atatürk, en vertu d’une loi particulière qui, l’explique Erol Önderoglu, « ne fait pas partie du code pénal turc, c’est une loi totalement à part. Ce qui est surprenant c’est que lors des réformes pour l’Union Européenne, on n’a pas du tout parlé de cette loi et pour moi c’est une loi mémorielle comme la loi qui a été votée en France. Elle réprime tous ceux qui veulent mettre en cause des pratiques du passé, de la période d’Atatürk ».
Enfin, le Conseil suprême de la Radio et de la télévision (RTÜK) a réprimandé la chaîne Star TV pour les propos de la fameuse artiste transsexuelle Bülent Ersoy, s’opposant aux opérations militaires contre les Kurdes.
De façon générale, on assiste à une augmentation de la censure au niveau de l’information et de l’édition, allant jusqu’à l’interdiction pure et simple de couvrir certains événements dans la presse : La 11ème Chambre criminelle d’Istanbul a ainsi interdit aux média de faire état du procès engagé par l’armée contre les huit soldats turcs qui avaient été capturés et relâchés par le PKK à la fin de l’année 2007.
Commentant la rencontre entre Nêçirvan Barzani et la délégation turque, survenue à Bagdad en début de mois, le vice-président irakien Tariq al-Hashemi, de retour d’une visite à Ankara, a indiqué au journal Al-Sabbah que l’attitude de la Turquie avait changé envers l’Irak, qui semble soudain moins préoccupée du statut de Kirkouk et des Turkmènes, que de renforcer les relations économiques et sociaux entre les deux pays. Selon Al-Hashimi, ce changement d’attitude est à mettre sur le compte de l’évolution des rapports entre les Turcs et les Kurdes irakiens, notamment après l’accord d’Erbil de repousser la date du référendum de Kirkouk à 6 mois.
Mais les avis divergent sur l’opportunité d’un tel retard. Lors d’une conférence organisée, dans une salle du Congrès américain, conjointement par l’Institut kurde de Washington et l’université de Pennsylvanie, de nombreux intervenants ont souligné, dans leur exposé, que différer l’application de l’article 140 ne ferait qu’accroître l’instabilité de l’Irak
Le président du Kurdish Institute de Washington, le Dr Najmaldin karim, voit ainsi la question de l’article 140 comme le problème le plus urgent pour l’Irak et le général Jay Gardner, qui fut le « pro-consul » américain en Irak, avant Paul Bremer, en comparant la situation de la Région du Kurdistan avec le reste de l’Irak et même du Moyen-Orient a déclaré, au sujet du référendum à tenir : « Si je vivais à Kirkouk, je sais comment je voterai. ».
Le premier panel de discussion portait sur l’Article 140 et la constitution irakienne. Il était animé par Peter Galbraith, ancien ambassadeur américain en Croatie, Joe Reeder, Jason Gluck, et le professeur Brendan O’Leary. Le débat était modéré par le Dr. Karim. Peter Galbraith, conseiller pour le Centre de contrôle et la non-prolifération de l’armement, a présenté le Kurdistan comme un pays indépendant à tout point de vue, sauf en termes de reconnaissance internationale, et que cette indépendance de facto est consacrée dans la constitution irakienne. Peter Galbraith souligne que le Kurdistan est le seul endroit en Irak où existe la démocratie, même si cette démocratie est encore imparfaite. Il ajoute que les référendums ne sont pas en eux-mêmes source de compromis, qu’il y a toujours, à la fin, un gagnant et un perdant et que c’est un fait à accepter, tout en cherchant à atténuer le ressentiment des perdants, notamment par un partage significatif du pouvoir. Joe Reeder, ancien Sous-Secrétaire d’Etat à la Défense des Etats-Unis, prône au contraire le compromis comme seule solution possible : le défi que consiste l’application de l’article 140 est immense, et des facteurs tels que la justice, l’auto-détermination, l’équité et la stabilité doivent être pris en compte dans le règlement de cette question : les minorités doivent avoir l’assurance qu’elles seront traitées convenablement.
Pour Jason Gluck, conseiller juridique pour l’Institut américain de la paix, l’application de cet article est difficile en raison d’un « environnement hostile ». De plus, le gouvernement irakien ne serait plus légalement lié à sa tenue, puisque le délai ultime, figurant dans la Constitution, a expiré le 31 décembre dernier. « La réalité politique nous montre qu’un accord politique est nécessaire. » La situation du Kurdistan d’Irak, isolé et entouré par la Turquie, la Syrie et l’Iran, ne lui permet pas de passer le référendum en force et Jason Gluck craint qu’au contraire, il n’en arrive à perdre des régions qu’il administre déjà.
Mais Brendan O’Leary, professeur en sciences politiques à l’université de Pennsylvanie, qui a conseillé le gouvernement kurde lors de la rédaction de la constitution d’Irak, relève que si le référendum est annulé, les Kurdes pourraient être tentés de régler les choses par eux-mêmes, d’autant plus que les deux partis kurdes sont aussi soumis aux pressions nationalistes. Il ajoute que ce serait une grave erreur de considérer l’article 140 comme nul et non avenu. O’Leary s’est attaché à démonter certains « mythes » sur la question de Kirkouk, notamment celui de la mainmise des ressources pétrolières qui serait liée à la ville : c’est ignorer les dispositions constitutionnelles majeures en Irak, qui prévoit le partage de toutes les ressources naturelles entre les districts, quelle que soit leur provenance. « Il n’y a pas une conspiration pour la mainmise du pétrole. »
Le second « mythe » dénoncé serait que Kirkouk repose sur un baril de poudre. Pour Brendan O’Leary, il est faux d’imaginer qu’une réunification de la ville au Kurdistan la ferait basculer dans la violence, aussi longtemps que la sécurité serait maintenue. Le troisième mythe, que l’on peut appeler la « terrible thèse turque » est l’idée que les Turcs feront tout ce qui est en leur pouvoir pour empêcher cette réunification. A cette thèse, il ne croit pas, en raison du désir de la Turquie de rejoindre l’Union européenne. Enfin, dernière théorie « fantaisiste », la « folle conjecture kurde », ou l’idée que les Kurdes projetteraient leur indépendance, alors que les Kurdes d’Irak n’ont nullement besoin de la déclarer ouvertement, puisqu’ils ont plus de liberté dans leur auto-gouvernement que, par exemple, aucun pays de l’Union européenne.
Avant la discussion du second pannel, Kamal Kirkuki, porte-parole du Parlement kurde, explique que le danger viendrait surtout d’un Irak centralisé et que les Kurdes ne cherchent pas à se venger mais à réparer certaines injustices du passé, en revenant sur toutes les étapes de la mainmise sur Kirkouk par le régime de Saddam et son arabisation forcée, en concluant : « Nous voulons que les gens rentrent chez eux, d’une façon pacifique et légale. » Mohammad Ihsan, ministre des Affaires extra-régionales au GRK, et donc en charge de la question du rattachement de toutes les régions réclamées par les Kurdes, s’attarde plus longuement sur les problèmes démographiques. En 1968 une politique de « normalisation » a mis en place une émigration et une immigration forcée dans ces régions, en attirant de nouveaux colons par des contrats agricoles.
Le président de l’Institut kurde de Paris, Kendal Nezan, souligne les menées et l’hostilité des pays voisins contre l’article 140. En raison de la marginalisation de leur propre population kurde, l’Iran et la Syrie voit d’un mauvais oeil l’émergence de la Région du Kurdistan d’Irak. Mais si les Etats-Unis ne font pas grand cas des préoccupations de ces deux pays, il en va autrement pour la Turquie, qui n’a toujours pas réussi à résoudre la question de ses 10 ou 15 millions de Kurdes mais se pose en « protectrice » des 400,000-500,000 Turkmènes d’Irak. Les sources ottomanes se réfèrent à Kirkouk comme kurde, et que la Société des nations, en 1925, a confirmé son caractère kurde. Kendal Nezan appelle, pour finir, à un dialogue entre les Kurdes, les Turcs et les pays occidentaux pour trouver un règlement pacifique de la question kurde dans son ensemble.
Saman Shali, président du Congrès national kurde, a ensuite pris la parole, en rappelant que la constitution irakienne, et donc l’article 140, a été soutenue par les Nations Unies, les Etats-Unis et l’Irak, qu’elle donne le droit à la population vivant dans les régions disputées, « le droit de choisir leur destinée ». Ne pas appliquer cet article compromettrait la paix et la stabilité et le modifier minerait la constitution dans son ensemble. Ne pas respecter l’article 140 serait « gifler la démocratie, la liberté, et les droits de l’homme. »
Le second panel portait sur la réconciliation et le partage du pouvoir, avec David Phillips, l’ambassadeur David Berger, Erin Matthews, David Pollack, et Qubad Talabani, le représentant du Gouvernement régional kurde aux Etats-Unis. Les débats étaient présidés par Brendan O’Leary. Phillips, chercheur à l’université de Columbia pour l’étude des droits de l’homme, a rappelé que la réconciliation était un processus et non un événement, et que le partage du pouvoir était essentiel pour que la population ne se sente pas sans recours, hormis celui de la violence. Ainsi, « il est important de donner aux minorités une part du gâteau. » Le directeur du National Democratic Institute (NDI) pour l’Irak, Erin Matthews, rapportant le travail de terrain fait par son institut pour résoudre les problèmes communautaires à Kirkouk, notamment en réunissant des acteurs de la société civile en dehors des partis politiques, fait part du sentiment « d’impuissance » que ressentent les citoyens, quand est abordée la question de l’article 140, qu’il voit comme responsable du sectarisme grandissant dans la ville, reflétant aussi les divisions communautaires de tout l’Irak.
David Berger, ancien député et ancien ambassadeur du Canada, affirme au contraire que le fédéralisme est une cause de liberté en dehors de laquelle trois solutions sont seulement possibles pour un Etat composite : un seul groupe peut gouverner, ou bien le pays éclate, ou bien il y a une « démocratie bancale », c’est-à-dire l’Irak fédéral. Pour David Berger, l’expérience kurde est « le début d’une direction nouvelle pour le Moyen-Orient. »
David Pollack, membre du Washington Institute for Near East Policy, voit l’article 140 comme une facette parmi d’autres du délicat problème de la réconciliation – dont l’aspect le plus important est, selon lui, le partage du pouvoir entre Kurdes et Arabes et la réconciliation entre l’Irak et ses voisins. Le Kurdistan, avertit David Pollack, ne doit pas suivre la voie du Pakistan concernant le Cachemire et ne pas aliéner son avenir à cause de Kirkuk.
Qubad Talabani, parlant au nom du gouvernement kurde, affirme que ce dernier ne souhaite rien d’autre qu’une résolution juste et viable du conflit. Aucune réconciliation nationale ne pourra se faire sans que la question des territoires disputés ne soit réglée, et aucune justice ne sera possible sans la réparation des torts commis envers les victimes des régimes précédents. »
Le dernier pannel, ayant trait à l’histoire et à la situation actuelle, incluait des intervenants s’étant déjà exprimés, Kamal. Kirkuki, Mohammad Ihsan, et le Dr. Karim, avec Saman Shali comme modérateur. Tous ont insisté sur l’importance de protéger les droits de chaque groupe et de bâtir un climat de confiance.
Une centaine de personnes, dont de nombreux collaborateurs du Congrès et des journalistes ont assisté à cette conférence qui avait pour objet de contribuer à l’information du public américain sur un sujet qui hypothèque l’avenir de l’Irak.
La sécheresse qui frappe certaines régions du Moyen-Orient est ressentie durement par les Kurdes de Turquie, de Syrie et d’Irak. Le ministre turc de l’Agriculture, Mehdi Eker, a même évoqué la possibilité de déclarer la région du sud-est « zone soumise à un désastre naturel », ce qui induirait des mesures spéciales en faveur des habitants, allant d’indemnités à des remises de dette. Mais la loi turque n’inclut pas la sécheresse dans les « désastres naturels ». Selon la Chambre d’agriculture de Diyarbakır, la gravité de la situation pourrait entraîner une augmentation de l’émigration des habitants de la région, dont les petits exploitants et les commerçants sont menacés de faillite, alors que le prix des denrées ne cesse d’augmenter.
L’année dernière, les précipitations ont été, pour la période allant d’octobre à mars, de 377 mm par mètre carré, contre 147 mm cette année. L’année 2007 avait déjà vu une baisse de 47% dans les précipitations, selon les statistiques de la météorologie nationale turque.
Selon le président de l’Union turque des chambres d’agriculture (TZOB), interviewé par le journal Zaman, Şemsi Bayraktar, le coût de la sécheresse a atteint les 5 milliards de lires turques, soit environ 2.5 milliards d’euros. La première conséquence sociale en sera une émigration des paysans, même propriétaires, vers d’autres régions pour trouver à s’employer au printemps prochain comme travailleurs saisonniers. Déjà, chaque jour, les gares ferroviaires s’emplissent de gens partant pour l’ouest du pays, ce qui occasionne d’autres difficultés : l’afflux de travailleurs agricoles avec un salaire journalier de 25 lires à 18 lires turques. Par ailleurs, les enfants de ces paysans doivent suivre leurs parents et interrompent ainsi leur scolarité.
La sécheresse affecte aussi les éleveurs, qui doivent mener leurs troupeaux dans des alpages plus éloignés de leur village ou bien les vendre à la boucherie. Yakup Kaçar, un éleveur du district de Diyabarkır, explique ainsi qu’avec son clan, ils ont dû mener leur troupeau de 4000 têtes au nord de Van, parce que les pâtures autour de Batman étaient totalement desséchées. Comme il leur est interdit, pour des raisons de sécurité, de faire parcourir tout ce trajet aux bêtes, ils doivent louer des camions, ce qui ajoute aux frais supplémentaires.
Dans le sud-est kurde, plus de la moitié de la population travaille dans le secteur agricole. Mais les paysans ne sont pas les seuls à souffrir : les petits commerçants connaissent aussi des difficultés économiques, puisque leur clientèle est essentiellement agricole. Le président de l’Union des chambres de commerce et des artisans de Diyarbakir (DESOB), Alican Ebedinoğlu, explique que beaucoup de ces modestes boutiquiers accordent des crédits pendant l’hiver et sont réglés après la moisson, mais cette année, un tel arrangement ne sera pas possible : « Une telle sécheresse n’était pas survenue depuis les années 1970. Les fermiers ne pourront s’acquitter de leurs dettes auprès des commerçants et des artisans. Cela concerne près de 100 000 marchands, et cette sécheresse signifie pour eux le chômage. » Alican Ebedinoğlu indique aussi que beaucoup de ces artisans et commerçants n’ont pu payer leurs cotisations sociales, ce qui les exclue des services de santé.
Le parti kurde DTP a demandé à ce que la région soit déclarée zone sinistrée, ce que le ministre de l’Agriculture voit comme une des « options possibles » : « Nous suivons attentivement la situation. Avant de commencer les semences, nous avions demandé aux agriculteurs d’éviter les cultures qui demandent beaucoup d’eau. Mais il n’y a aucune humidité dans le sous-sol, et tout ce qui a été semé a desséché en raison du manque de pluie. Nous examinons la situation avant de décider que faire. »
On prévoit pour cette année un déficit de 2.5 millions de tonnes de blé, 1.4 million de tonnes d’orge et de 250,000 de tonnes de lentilles rouges, ce qui va entraîner une hausse des prix et du chômage.
Selon le président de la Chambre d’agriculture d’Urfa, les agriculteurs n’utilisant pas l’irrigation ne pourront sauver leur récolte, même s’il pleut ce mois-ci, tandis que ceux qui l’utilisent n’en sauveront que 10% Il voit, comme « seule solution durable », l’achèvement du projet de barrages pour le Sud-Est anatolien (GAP), dont le gouvernement vient d’annoncer la relance, en annonçant un budget de 2.3 milliards de lires turques (1.83 milliard de $) pour relancer ce projet qui comprend donc la construction de barrages (une vingtaine est déjà construite) qui a pour objectif d’irriguer 1 800 000 hectares. Le GAP prévoit aussi l’aménagement d’infrastructures dans le sud-est kurde, toujours très défavorisé, avec créations d’autoroutes et d’aéroports, ainsi que l’industrialisation de la région. Il comporte aussi des programmes sociaux en partenariat avec des ONG, comme l’UNICEF. Quant à l’objectif politique, il est de souder à l’espace turc cette région kurde rétive à l’assimilation.
Mais le GAP a toujours été très controversé, à la fois par la population locale et par les pays voisins, qui dépendent eux aussi des cours du Tigre et de l’Euphrate, ainsi que par des écologistes et des ONG dénonçant l’absence de politique sociale et d’aide au relogement de la Turquie en faveur des villageois déplacés.
Les régions déjà irriguées, qui se sont lancées dans la production du coton, comme Urfa, ou Silvan, ont en fait été récupérées, après expropriation des petits exploitants (en raison du barrage, comme des déplacements forcés ou bien de l’endettement) par une poignée de grands propriétaires terriens liés aux pouvoirs locaux. La main d’oeuvre qui travaille dans ces champs de coton est composée d’anciens paysans propriétaires, mais aussi d’un très grand nombre de femmes et même d’enfants, employés ainsi à des coûts plus modiques, ce qui a pour effet d’aggraver le chômage des hommes adultes. Par ailleurs, aucun décollement de l’activité industrielle n’a encore été observé. De plus, les répercussions écologiques de ces barrages n’ont pas été évaluées et l’on assiste maintenant à des problèmes sanitaires, par exemple des épidémies de dysenterie, malaria, etc.
Enfin, la disparition de sites historiques majeurs de haute Mésopotamie, comme Zeugma et bientôt Hasankeyf est vivement critiquée.
Lors d'une rencontre à Duernstein, en Autriche, les ministres de l'Economie d'Allemagne, d'Autriche et de Suisse ont menacé de se désister dans les garanties apportées aux crédits pour financer le barrage d'Ilisu (qui menace Hasankeyf) si la Turquie persiste dans sa gestion négligente des implications sociales et environnementales d'un tel projet.
Ces trois pays avaient auparavant accordé les garanties de crédit aux sociétés impliquées dans cette construction, pour un montant total de plus d'un milliard d'euros.
La construction du barrage d'Ilisu, en plus de noyer un site historique et écologique unique en haute Mésopotamie, doit déplacer 50.000 personnes, et les assurances de la Turquie concernant le dédommagement, le relogement et la réinsertion professionnelle des habitants n'ont visiblement pas convaincu les trois ministres européens, au regard de ce qui s'est déjà passé pour des cas similaires.
Par ailleurs l’association turque de la Protection de l’Eau et de l’Environnement a lancé un appel alarmé concernant la disparition éventuelle du lac de Van, dont le niveau d'eau baisse, en plus d'être soumis à une forte pollution. Les pratiques de pêche non réglementaire et intensive menacent d'extinction de nombreuses espèces. Un groupe de scientifiques turcs a ainsi estimé que d’ici 10 à 15 ans, le lac de Van pourrait disparaître si des mesures adéquates ne sont pas mises en place.
Mais la sécheresse touche également l’Irak et ce dernier pays a demandé à la Turquie d’envoyer plus d’eau du Tigre et de l’Euphrate, dont les sources sont au Kurdistan de Turquie.
« L’irrigation en Irak dépend entièrement de l’Euphrate et du Tigre » explique Abdullatif Jamal Rashid, le ministre irakien de l’Eau, après un entretien qu’il a eu avec le ministre du commerce extérieur turc, Kürşad Tüzmen. « Ces dernières années, la Turquie nous donnait assez d’eau, même plus qu’il n’en fallait. Mais cette année, nous avons des difficultés à faire face à une sécheresse plus sévère que prévue. »
La Turquie, la Syrie et l’Irak ont récemment enterré la hache de guerre sur les questions de l’eau et de coopérer, via un institut formé de 18 experts des trois pays.
Le 29 avril, le Parlement turc a adopté une loi autorisant la radio et la télévision nationale turque (TRT) à diffuser des programmes en langues « autres que le turc ». Le Directeur général de la TRT, Ibrahim Şahin, a confirmé qu’il prévoyait de diffuser des émissions en kurde, arabe et persan dans un premier temps.
En 2004, la TRT avait déjà diffusé 30 minutes d’émissions en kurde par semaine, en plus de laisser la place à d’autres langues minoritaires, répondant aux demandes répétées de l’Union européenne, malgré l’hostilité de l’armée et d’une partie de la classe politique turque, qui y voient là un encouragement au « séparatisme ».
L’adoption de cette loi a provoqué diverses réactions en Turquie. Hasip Kaplan, le représentant du parti pro-kurde DTP pour Şirnak, commente cette décision : « C’est un vandalisme culturel d’interdire à 20 millions de Kurdes de parler leur langue maternelle. Ces 20 millions de citoyens kurdes, qui font leur service militaire et paient leurs impôts, ont le droit d’attendre de la TRT des programmes en langue kurde. Notre pays ne va pas se diviser parce que l’on chantera des airs folkloriques ou qu’on lira des poèmes. Au contraire, cela renforcera notre fraternité. »
Certains intellectuels kurdes estiment que cela améliorera le moral des Kurdes en Turquie. Ainsi, Tarik Ziya Ekinci voit ces émissions en langue kurde comme un facteur qui pourra contribuer grandement à l’instauration de la paix sociale en Turquie : « C’est un pas important, et je crois que cela aidera à ce que le sang ne coule plus et à faire taire les armes. » Şerafettin Elçi, le dirigeant du parti-pro-kurde KADEP pense lui aussi que cela peut donner aux citoyens kurdes le sentiment que l’Etat se soucie d’eux, tout en apportant quelques nuances : « Jusqu’à présent, la politique officielle a été le déni de l’existence d’une langue kurde. Cela signifie le rejet et le déni des Kurdes. Cette loi envoie le message qu’une telle politique est abandonnée. De ce point de vue, c’est assez significatif et important, en termes d’acceptation officielle de la langue kurde. Cependant, si les programmes suivent la ligne de la politique étatique, ils n’auront pas grand sens pour les Kurdes. Il serait plus significatif d’accorder une plus grande liberté aux chaînes privées, qui répondent mieux aux attentes populaires. »
C’est à Diyarbakir que Recep Tayip Erdoğan, a annoncé ces programmes en langue kurde, en même temps que la reprise du plan GAP. Le Premier ministre turc a affirmé sa volonté d’améliorer la démocratie et la qualité de vie en Turquie. Mais Diren Keser, directeur de production pour la chaîne kurde GünTV, par ailleurs cité dans son discours par le Premier ministre, se montre réservé, en rappelant que Gün TV n’émet pas, pour le moment, dans des conditions très faciles, et que les programmes de radio et de télévision en langues autres que le turc, déjà permis depuis le 25 janvier 2004 se sont, dans les faits, heurtés à beaucoup de restrictions. Diren Keser souligne que Tayyip Erdogan a, quatre mois auparavant, tenu les mêmes propos dans un discours, sans que cela ait changé quoi que ce soit à la situation.
Gün TV émet 4 heures par semaines, soit 45 minutes par jour. Les émissions d’apprentissage de la langue kurde et les programmes destinés aux enfants sont interdits. Ils ne peuvent diffuser que des informations, de la musique et des émissions portant sur la culture traditionnelle. Tous les programmes diffusés en kurde doivent être obligatoirement sous-titrés
Sur la question de la langue kurde dans l’espace public turc, Me SezginTanrikulu s’était heurté vivement et publiquement avec le Premier ministre, lors d’une rencontre entre ce dernier et 17 ONG et représentants de la société civile. Recep Tayyip Erdogan avait déclaré que « le traité de Lausanne ne prévoyait pas l’usage public du kurde » (voir Bulletin de l’IKP d’avril 2008). Sezgin Tanrikulu, dans une interview donné au journal Zaman, revient sur cette question du droit à l’éducation dans sa langue maternelle, en précisant qu’il s’agit, en principe, d’une éducation à tous les niveaux de scolarité, dans cette langue mais qu’en l’état actuel des choses, la Turquie s’avère même incapable de permettre l’apprentissage de la langue kurde à ses citoyens : « La Turquie a ouvert la voie pour l'apprentissage des langues maternelles, mais seulement dans des cours privés. Beaucoup de ces cours ont été fermés, d'ailleurs, en raison des règlements trop restrictifs. Ils étaient seulement ouverts aux gens de plus de 15 ans, et trouver des professeurs était très difficile. L'apprentissage d'une langue maternelle doit se faire dans toutes les écoles publiques. Il doit y avoir des cours facultatifs dans les écoles publiques. Nous demandons aussi l'ouverture de départements de kurde dans les instituts et les universités. De plus, tous les obstacles et restrictions à l'émission de programmes en langues autres que le turc doivent être levés. En ce qui concerne les programmes, il n'y a pas d'obstacles légaux, en vérité. La loi indique que ce type de programme est permis. Mais les réglementations du Conseil suprême de la radio et de la télévision (RTÜK) indiquent que cela ne peut être fait que par la TRT. Nous avons porté l'affaire devant le Conseil d'Etat concernant cette règle, mais notre dossier a été rejeté sur le motif que nous n'avions pas le droit de déposer une telle plainte. » (Zaman).
Enfin des politiciens kurdes, dont Osman Baydemir, maire de Diyarbakir, ont boycotté le discours tenu par Recep Tayyip Erdogan à Diyarbakir, dénonçant son refus de reconnaître les Kurdes comme une minorité en Turquie, avec des mesures de protection culturelle et une forme d’autonomie politique.
Au début du mois le Premier ministre du Gouvernement régional du Kurdistan a rencontré pour la première fois, à Bagdad, une délégation turque menée par Ahmet Davutoglu, un conseiller du Premier ministre turc, Murat Özçelik, le coordinateur des Affaires irakiennes pour la Turquie et l’ambassadeur de la Turquie en Irak, Derya Kanbay.
Cette rencontre a porté sur tout un éventail de sujets brûlants entre le GRK et la Turquie, dans les domaines politiques, économiques et sécuritaires. Le porte-parole du GRK a qualifié les entretiens de « cordiaux, faits dans un climat ouvert », en indiquant que les deux parties avaient des vues similaires sur beaucoup de questions, avec « un désir de compréhension mutuelle et des intérêts communs. »
De son côté, le président de la région du Kurdistan, Massoud Barzani, a répété, lors d’une réunion tenue avec son parti à Salahaddin, que le PKK devait renoncer à la violence et réaffirmé que les Kurdes d’Irak souhaitaient dialoguer avec Ankara, et a ainsi commenté la rencontre entre son Premier ministre et la délégation turque, en parlant d’une « barrière psychologique » qui aurait été levée : » Nous espérons que des étapes positives seront enfin franchies. Les relations avec la Turquie s’améliorent. Les vents froids qui soufflaient des deux côtés ont disparu après la dernière rencontre. Cette rencontre a été utile. Nous souhaitons entretenir des relations étroites avec les pays voisins. Cependant, ces relations souffrent des conflits internes de ces pays. La question kurde ne peut être résolue par la guerre. La solution ne peut venir que du dialogue, et par des moyens politiques et pacifiques. L’opération militaire de la Turquie en février dernier n’était pas une bonne chose. Je suis reconnaissant à la population de la Région, qui s’est comportée de façon très généreuse lors de cette opération. Nous sommes prêts à aider toutes les parties, pourvu que le but en soit une solution politique. »
Adoptant un même ton conciliant, le Premier ministre turc, dont le gouvernement se débat dans une grave crise interne, a lui-même déclaré dans une réunion avec son propre parti, menacé de dissolution : « Notre dialogue à la fois avec le gouvernement central et tous les groupes se poursuivra. Nous traitons sérieusement le problème du contre-terrorisme dans ses dimensions politiques et économiques, en plus de sa dimension sécuritaire. L’Irak et la Turquie doivent agir dans une compréhension et une confiance mutuelles. »
De son côté le DTP, principal parti pro-kurde en Turquie, a envoyé également une délégation menée par Ahmet Türk, président du groupe parlementaire de ce parti, auprès du président d’Irak Jalal Talabani, pour lui demander de jouer un rôle actif dans la résolution du problème kurde en Turquie, en insistant sur la nécessité vitale pour le peuple kurde, de rester uni. A l’issue de la rencontre, Ahmet Türk a indiqué que Jalal Talabani soutenait une résolution pacifique du problème kurde en Turquie, sur la base d’un désarmement mutuel. Il a aussi ajouté qu’ils avaient convenu de se rencontrer plus fréquemment à l’avenir.
Mais la délégation n’a pas été reçue, comme elle l’avait souhaité, par Massoud Barzani, ni par Nêçirvan Barzani. Des sources proches du gouvernement kurde ont expliqué que les deux leaders kurdes ne jugeaient guère utile de compromettre la reprise de contact avec la Turquie alors même que leurs relations commençaient à s’améliorer. Le Premier ministre kurde a répété, dans une déclaration publiée sur le site officiel du GRK, que les forces du PKK étaient basées dans une zone qui échappait à son contrôle, que les Kurdes d’irak ne souhaitaient pas que leur territoire soit utilisé pour attaquer la Turquie et qu’ils ne pouvaient être tenus pour responsables des activités de ce mouvement.
Pendant ce temps, les bombardements turcs se poursuivaient au Kurdistan, dans les montagnes de Qandil, abritant les bases du PKK, sans faire de victimes, selon le porte-parole de ce mouvement, Ahmed Denis, qui a accusé la Turquie d’exporter ses conflits internes chez ses voisins : « Il est important que les dirigeants kurdes et irakiens réalisent que la Turquie veut se débarrasser du problème du PKK, qui est un problème interne, en accusant les pays voisins de soutenir le PKK. Les dirigeants en Irak doivent être conscients de ce fait en traitant avec la délégation turque. »
Jusqu’ici, les principales victimes de ces bombardements, qu’ils viennent de la Turquie ou de l’Iran, ont été les villageois frontaliers, qui ont dû fuir leur demeure et vivent à présent dans des camps de réfugiés, non loin de chez eux, comme l’explique au Los Angeles Times, Mohammad Khorsheed, du village de Rezga : « Nous avons des troupeaux que nous avons besoin de nourrir. Nous ne pouvons les mener paître dans les montagnes. Nous ne pouvons travailler dans nos fermes, et nous ne savons pas à qui réclamer. » Un autre villageois, Saman Haidar, qui s’est trouvé sous le feu des bombardements, n’envisage pas de retourner chez lui dans l’immédiat, en décrivant les attaques aériennes subies comme « terrifiantes » : « Nous avons gagné un petit abri que nous avions construit auparavant. Nous avons éteint toutes les lumières. » Quand il a pu repartir, Saman Haidar a quitté le village, emmenant avec lui tout son troupeau, dans l’espoir de le garder en sûreté jusqu’à ce que le problème soit résolu.
L’Iran, pour sa part, a régulièrement bombardé les villages kurdes sur la frontière irakienne, dans la province de Suleïmanieh, en visant le groupe du PJAK, la branche iranienne du PKK, sans que des victimes aient été à déplorer. Le Gouvernement régional du Kurdistan a tout de même demandé à l’ONU, via son représentant pour l’Irak et le GRK à Erbil, Dindar Zebari, d’intervenir auprès de Téhéran pour qu’il stoppe ces tirs. Dindar Zebari a indiqué que 12 villages avaient été sous le feu iranien, et que 140 familles avaient fui.
Un reportage de l’hebdomadaire kurde The Kurdish Globe attire l’attention sur la situation alarmante des Shabaks, ce groupe religieux kurde issu du chiisme comme les Alévis de Turquie, mais ayant développé, comme leurs cousins du nord, un culte original très éloigné du chiisme duodécimain des Irakiens. Moins connus et moins nombreux que les Yézidis, les Shabaks sont stigmatisés comme kurdes et comme « chiites ». Ils sont principalement localisés dans la province de Mossoul, et sont une cible privilégiée d’al-Qaïda. Ainsi le mouvement intitulé « Etat islamique en Irak » a récemment distribué des tracts dans la province, ordonnant aux Shabaks de quitter la région sous peine de connaître un « sort incertain ».
L’un d‘eux, s’exprimant sous couvert d’anonymat au Kurdish Globe a expliqué que sa communauté était prise entre deux feux dans la région : en tant que Kurdes, ils sont visés par les terroristes nationalistes et en tant que Shabaks, par les sunnites (majoritaires à Mossoul). Lui-même déclare avoir quitté la province il y a trois ans, en raison des attaques incessantes des insurgés contre son village, situé à seulement 15 km de Mossoul. Ce village s’était déjà rempli de familles shabaks ayant quitté la ville sous la menace : « Je pense que le motif principal qui se cache derrière cette déclaration est la volonté des partis islamistes sunnites de contrôler les zones habitées par les Shabaks, puisqu’ils sont kurdes et chiites. Nous demandons à Bagdad de trouver une solution à ces attaques. »
Selon un rapport émanant de la communauté shabak elle-même, plus d’un millier de personnes ont fui la province de Mossoul depuis 2004, et notamment des villages de Darwish, Bazawia, Kukjli, Khazna, et Fathlia, devant l’escalade de la violence.
Hanin Qado, président du bureau des minorités en Irak et membre du Parlement irakien dans le groupe de l’Alliance unie des chiites, mené par Abdul-Aziz al-Hakim, a demandé qu’une protection des minorités soit rapidement mise en place de la part de l’Etat irakien : « Ces menaces ont pour but de semer la discorde entre les composantes de l’Irak et à chasser (les Shabaks) hors de Mossoul. »
De son côté, Khasro Goran, un Kurde adjoint du gouverneur de Mossoul, explique que ce n’est pas la première fois, depuis 2004, que des extrémistes et des insurgés menacent les Shabaks. Selon lui, la principale raison en est qu’ils se considèrent comme kurdes et non arabes.
Des délégations de cette communauté se sont ainsi rendues plusieurs fois dans la Région du Kurdistan et ont demandé au gouvernement d’Erbil son aide. En attendant, ils attendent avec impatience l’application de l’article 140 de la constitution irakienne, qui leur permettra de se prononcer, par référendum, pour le rattachement de leur région à la Région du Kurdistan.
Les Shabaks sont estimés à 40 ou 60 000. Leur langue, le shabaki, est parfois reliée au dialecte kurde gorani, et comporte de nombreux emprunts au turc, à l’arabe et au persan. Ils sont répartis dans 35 villages à l’est de Mossoul.
Le nord et l’est de Mossoul, ainsi que la région de Ninive, comprend de nombreuses communautés non arabes et non musulmanes, qui sont particulièrement en but aux attaques des anciens baathistes et des sunnites extrémistes. En février dernier, l’enlèvement et la mort de l’archevêque chaldéen de Mossoul, Monseigneur Faraj Rahou, avait ému toute la communauté chrétienne d’Irak.
Autre groupe kurde durement persécuté et décimé en raison de son double statut ethnique et religieux, un nombre important de Faylis avait fui en Iran. Les Kurdes Faylis, vivent depuis des siècles sur la chaîne du Zagros, entre la frontière d’Irak et d’Iran. Contrairement à la majorité des Kurdes musulmans, ils appartiennent au chiisme duodécimain. Pour cette raison, accusés d’être « iraniens » par Saddam Hussein, lors de la guerre Iran-Irak, ils ont été déchus de leur nationalité et chassés du pays, ou bien déportés et exécutés en masse secrètement. Les réfugiés qui ont pu gagner l’Iran (plusieurs centaines de milliers dans les provinces de l’Ilam et d’Ahwaz) sont ainsi officiellement « apatrides » et vivent dans des camps comme celui de Jahrom. Seuls 760 d’entre eux, dans la province d’Ilam a pu avoir la nationalité iranienne, après une longue et difficile procédure. Beaucoup sont revenus en Irak après la chute de Saddam, et le nombre des Faylis qui a choisi, pour le moment, de rester en Iran tourne autour de 7000. Mais le responsable du camp de Jahrom, Gholamneza Ghasbarian, explique leur dilemme : « Quand ils reviennent en Irak, les gens disent « vous êtes Iraniens ». Ici, les gens disent qu’ils sont Irakiens et doivent repartir. En Irak, ils rencontrent beaucoup de problèmes – en premier lieu l’insécurité. Et puis ils sont exilés depuis si longtemps, ils n’ont plus de contacts là-bas, ni emploi ni maison. »
En 2005, la nouvelle constitution irakienne a stipulé que les Irakiens privés de leur nationalité pouvaient faire une demande afin de la récupérer. Cela serait une solution légale pour les Kurdes faylis, mais ils ne semblent guère optimistes : « Nous avons survécu au régime de Saddam, quand nous étions jetés dans des bassins d’acide. « Mais vous ne pouvez séparer le passé du présent. Nous n’avons pas confiance en les gouvernements – l’ancien ou le nouveau. Nous ne pouvons pas retourner là-bas, pour des raisons de sécurité, politiques, et religieuses. »
Kurt Faili se plaint ainsi que des amis qui sont retournés en Irak ont reçu des cartes d’identité d’une couleur différente des autres cartes irakiennes – une source possible de discrimination. Dans certains gouvernorats irakiens, comme ceux de Missan, Wassit et Karbala, la procédure pour recouvrer sa nationalité s’est avérée longue et difficile.
Sans papiers officiels, les réfugiés qui reviennent en Irak ne peuvent avoir accès aux services de santé, à l’éducation et à l’emploi. Leur liberté de mouvement est aussi limitée. « Ce que nous souhaitons est la sécurité et la stabilité pour nos enfants. Des ambassades étrangères sont déjà venues ici en promettant de l’aide. Mais c’était il y a 28 ans et nous sommes toujours ici. (source unhcr org).
Comme l’an dernier, les manifestations du 1er mai ont été placées sous le signe de la violence en Turquie. Depuis le coup d’Etat de 1980, ce jour n’est d’ailleurs plus férié, et le gouvernement AKP a refusé de le rétablir, malgré la demande des syndicats.
Plus de 30.000 policiers avaient été mobilisés en prévision des manifestations et la place Taksim, un lieu symbolique d’Istanbul, interdit aux syndicats, bien que plusieurs d’entre eux, dont DISK et TURK-IS, les principales confédérations ouvrières du pays, aient demandé à y commémorer la mort de 34 syndicalistes tués le 1er mai 1977 par des tireurs restés officiellement « inconnus », même si l’extrême-droite et les services secrets turcs ont été pointés du doigt.
Le gouvernement a refusé d’autoriser les rassemblements sur la place, en alléguant des menaces de troubles de la part de « groupes extrémistes ». Aussi, dès l’aube, la place Taksim était tenue par les forces de l’ordre, ainsi que tout le quartier alentour, dont les écoles et les stations de métro avaient été fermées, tandis que les policiers anti-émeute étaient déployés dans le parc de la place, avec des commandos de l’armée et des unités paramilitaires, déployées dans un parc surplombant la place. Des hélicoptères survolaient également l’endroit et des tireurs d’élite étaient postés sur les toits.
Dans un premier temps, les syndicats avaient décidé de défiler tout de même de Sisli à Taksim, en bravant l’interdiction. Mais à la mi-journée, Süleyman Celebi, le chef de la grande confédération syndicale de gauche DISK, a annoncé se raviser par crainte des violences. Ce qui n’a pas empêché la police a dispersé les manifestants avec des gaz lacrymogènes et des canons à eau des manifestants qui s’étaient rassemblés devant le siège du syndicat DISK. Les affrontements ont fait plusieurs blessés et de nombreuses personnes ont été arrêtées (plus de 500 selon la chaîne NTV).
Dans l’après-midi, des groupes anarchistes ou d’extrême gauche, qui voulaient forcer les barrages de la place Taksim ont été chargés par la police et dispersés à coups de matraques. Ils ont riposté avec des cocktails Molotov et des jets de pavé, en tentant même de lever des barricades dans les rues adjacentes. Selon l’agence de presse Anatolie, un manifestant a été arrêté en possession de 17 cocktails Molotov. 300 à 400 militants du Parti communiste turc (TKP) ont aussi tenté de pénétrer en force sur la place en scandant des slogans hostiles à l’AKP.
Le gouverneur d’Istanbul, Muhammer Güler, qui a interdit la manifestation, les forces de l’ordre et le gouvernement turc, ont été critiqués pour ce qui est jugé un « usage excessif » de la force. Le députe de gauche Ufuk Uras a accusé l’AKP de "créer une république de la peur". "Ils essaient de priver les travailleurs de leurs droits démocratiques avec des méthodes datant de la guerre froide. Un gouvernement qui traite ses travailleurs d'une telle manière ne peut rester au pouvoir même un jour dans une démocratie occidentale. Cela est inadmissible".
Kaveh Azizpour, un prisonnier politique kurde, est mort le 23 mai des suites de torture, selon les déclarations de sa famille.
Kaveh ou Kawa Azizpour, âgé de 25 ans avait été arrêté deux ans auparavant, pour soutien au Parti démocratique du Kurdistan-Iran, interdit dans le pays. Selon les autorités iraniennes, il avait été transféré de la prison de Mahabad pour l’hôpital d’Urmieh, après un accident vasculaire cérébral très grave (AVC). Il y est mort après 20 jours de coma.
Mais sa famille affirme que cet AVC est en fait une séquelle des tortures qu’il a subi, en plus de l’absence de soins adéquats, comme le relate le frère de Kaveh, Assad, à la newsletter de l’université Amir Kabir, Dastranj : « Quand Kaveh est tombé dans le coma pour la second fois, il a subi une opération, mais les autorités, contre les avis des médecins et en dépit de l’état critique de Kaveh, qui réclamait des soins intensifs, l’ont transféré à la prison des services secrets 48 heures seulement après son intervention chirurgicale. » Assad précise que c’était le troisième accident cérébral qui frappait son frère, tous étant survenus en détention.
Par ailleurs, la Cour révolutionnaire de Téhéran a décidé de juger à huis clos le journaliste kurde Mohammad Sadegh Kabovand, décision vivement critiquée par son avocat, Masomeh Sotoudeh : « Cette disposition ne peut être adoptée pour un jugement que si les débats peuvent choquer la moralité publique, par exemple dans les procès pour viols. »
Masomeh Sotoudeh indique aussi être préoccupée par l’état de santé de son client, détenu à la prison d’Evin à Téhéran, qui n’a pas reçu de soins ni d’examens médicaux appropriés alors qu’il souffre de vertiges depuis le 19 mai. Accusé d’activités « menaçant la sécurité nationale”, Sadeqh Kabovand a été arrêté le 1er juillet 2007.
Reporters sans frontières dénonce aussi cette décision, prise, selon l’organisation pour empêcher la presse de couvrir le procès et d’en révéler les irrégularités.”
Le 3 mai, le président de la Région du Kurdistan et son directeur de Cabinet, Fuad Hussein, ont reçu une délégation du Comité de protection des journalistes (CPJ), qui venait juste de publier un rapport sur la liberté de la presse au Kurdistan d’Irak. La délégation était menée par Michael Massing, directeur du CPJ, Joel Campagna, coordinateur du Programme pour le Moyen-Orient et l’Afrique du nord et Robert Mahoney, dircteur adjoint.
Massoud Barzani a salué leur rapport en réaffirmant son soutien à une presse libre. Il a aussi reconnu que la liberté de la presse dans sa région avait quelques « points faibles » mais que dans l’ensemble, les journalistes travaillaient librement. Il a aussi pointé les efforts nécessaires aux journaux kurdes pour se conformer aux règles déontologiques de la profession : « La Région du Kurdistan a accompli des avancées significatives pour améliorer les libertés. Notre long combat, dans le passé, a celui de la liberté, non pour les seuls journalistes, mais pour tous les citoyens du Kurdistan. Nous ne prétendons pas être sans défaut et nous savons que nous devons encore franchir quelques étapes de plus afin de parvenir à une complète liberté. Je pense que la presse est libre maintenant, et qu’il faut une loi régulant la profession de journaliste. »
Massoud Barzani se référait à la vive opposition, de la part de la presse, qu’avait rencontrée une loi votée par le Parlement kurde en décembre dernier. Le président avait alors demandé aux parlementaires de revoir la loi, présentée par plusieurs journaux kurdes comme attentatoire aux libertés d’expression, même si, dans les faits, elle ne différait guère des clauses relatives à la protection de la vie privée ou de la sûreté de l’Etat en vigueur dans la plupart des démocraties.
« Le retrait de la dernière loi montre que nous souhaitons la liberté de la presse », explique Massoud Barzani. « Nous ne voulons pas imposer de restrictions aux journalistes, et dans le même temps, les journalistes doivent aussi se conformer aux règles de leur profession et à son éthique propre. N’oubliez pas l’environnement dans lequel nous vivons, et la culture de la persécution héritée de l’ancien régime du Ba'ath et qui a malheureusement laissé son empreinte dans la société kurde. Je pense que la loi qui est actuellement débattue par l’Assemblée nationale du Kurdistan devra fixer des directives claires aux journalistes. Le journalisme professionnel nécessite plus que la capacité d’écrire. Nous considérons que c’est une profession respectable, que les journalistes doivent aussi respecter et ne pas la laisser instrumentaliser par d’autres ou avoir recours à la diffamation pour servir des intérêts particuliers. Les journalistes sont libres de critiquer, mais leurs critiques doivent être constructives et non diffamatoires."
Le président kurde a ajouté : « Personnellement, je pense que la presse doit être complètement libre, mais les journalistes doivent comprendre la situation dans laquelle nous vivons. Si nous comparons avec les Etats-Unis ou à l’Europe, nous avons un long chemin à faire. Mais si nous comparons avec la région et surtout où nous en étions il y a dix ans, nous avons accompli beaucoup de progrès et nous faisons de mieux en mieux. »
De façon générale, les rapports entre la classe politique et les journalistes au Kurdistan, ou bien entre la presse indépendante et les organes des partis, ne sont guère cordiaux, les premiers accusant les seconds de faire preuve d’un manque de professionnalisme, les second suspectant toujours les autorités de chercher à les contrôler. Les discussions avec le CPJ ont également porté sur les réglementations et les sanctions en vigueur dans les autres pays. Le CPJ a reconnu que dans la plupart des juridictions, les journalistes pouvaient être sanctionnés ou poursuivis en justice et les représentants des ONG présentes ont reconnu les progrès accomplis par la Région du Kurdistan vers une plus grande liberté.
A Mossoul, le 5 mai, des hommes armés ont tué à coups de revolver Sarwa Abdul-Wahab, 36 ans, avocate, journaliste et militante pour les droits des journalistes et de la presse free-lance. De source policière, la victime était sortie de chez elle pour se rendre à pied jusqu’à un marché, quand deux hommes armés ont jailli d’une voiture et ont tenté de l’enlever. Alors qu’elle résistait, elle a été abattue de deux balles dans la tête. Cette agression ne semble pas due au hasard, puisque la mère de Sarwa Abdul-Wahab, qui l’accompagnait, a raconté à l’Associated Press qu’elle a supplié les ravisseurs de s’en prendre à elle et d’épargner sa fille : « J’ai supplié qu’ils me tuent à sa place, ils m’ont repoussée en disant que ce n’était pas à moi qu’ils en voualaient. »
L’avocate travaillait aussi pour une agence de presse proche du Parti démocratique du Kurdistan selon les autorités de Ninive, ainsi que pour la chaîne satellite Salahaddin TV et d’autres journaux locaux. Elle était aussi membre d’une association de défense des droits des journalistes, comme l’explique Yasir al-Hamadani, le directeur de la branche de Mossoul pour l’association dont le siège se trouve à Bagdad : « A côté de son travail de journaliste, c’était une militante, travaillant avec des ONG, et c’était aussi une avocate. Nous sommes terriblement désolés de l’avoir perdue. Elle était très active et passionnée par son travail.”
Le 25 avril dernier, un autre journaliste, Jassim al-Batat, âgé de 38 ans, avait été assassiné à Mossoul, un Irakien originaire de Basra qui travaillait dans une radio locale appartenant à un parti chiite, principal rival des milices religieuses de Moqtada al-Sadr.
Depuis 2003, plus de 175 journalistes et d’employés travaillant dans les média ont été tués, selon le Comité de protection des journalistes, basé à New York Committee to Protect Journalists. Reporters sans frontières donne, lui, le chiffre de 211 victimes dans le monde de la presse et des media, et de 14 journalistes enlevés dont le sort reste inconnu. Des centaines de membres de cette profession ont d’ailleurs pris le chemin de l’exil, surtout en Syrie ou en Jordanie, après avoir reçu des menaces de mort.
La veille, à Bagdad, l’épouse du président irakien Jalal Talabani a échappé à un attentat, le 4 mai, qui a causé quatre blessés parmi ses gardes du corps. Une charge explosive a en effet visé son véhicule, alors qu’elle se dirigeait vers le théâtre national de Bagdad pour l’ouverture du 6ème festival culturel Al-Mada.