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Bulletin N° 279 | Juin 2008

 

 

ERBIL : LA FRANCE INAUGURE SON BUREAU D’AMBASSADE

Le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, a inauguré le 1er juin à Erbil, capitale de la Région du Kurdistan d’Irak, le bureau d’ambassade (futur consulat) en présence du Premier ministre de la Région, Nêçirvan Barzani, de l’ambassadeur de France et du consul Frédéric Tissot. Une foule d’environ deux cents personnalités francophones, de ministres et de diplomates ont assisté à cette inauguration.

Dans son discours, Bernard Kouchner a exprimé son bonheur d’être au Kurdistan, en cette occasion particulière : « Je suis très heureux d’être à Erbil, capitale de la Région du Kurdistan d’Irak. Et je me souviens de bien des éléments de cette histoire, particulière, de cette histoire qui concerne bien des personnes ici, et qui concerne aussi l’histoire avec un grand H, qui concerne la famille Barzani, qui concerne la lutte des Kurdes. Tout à l’heure en voyant la photo de Mustafa Barzani, le grand-père du Premier ministre, je me souvenais de ce soir, de cette nuit de 1974, en septembre je crois, de 1974, j’ai rencontré pour la première fois ce grand homme, Mustafa Barzani, et puis j’ai rencontré toute la famille et cela a duré des années : Idriss et Massoud et maintenant le Premier ministre. Et cela fait bientôt 40 ans que certains, dont Frédéric [Tissot], dont Alain Deloche [co-fondateur de Médecins du Monde], dont d’autres ici, nous attendons ce jour. Ce jour qui concerne bien sûr le peuple kurde, mais qui concerne aussi l’Irak, qui concerne tous les Irakiens. Car je pense, avec des raisons personnelles de ne pas me tromper, que l’histoire des Kurdes préfigure l’histoire de l’Irak, sa lutte pour être libre, pour échapper à la dictature, pour construire un modèle au Moyen-Orient. »

Bernard Kouchner a ensuite évoqué sa visite en compagnie de Mme Mitterrand lors de l’ouverture du Parlement d’Erbil en 1992, les années difficiles qui s’ensuivirent. Il a tenu à rendre hommage à Abdulrahman Ghassemlou, le leader kurde du PDKI assassiné à Vienne en 1989 par les services iraniens, ainsi qu’à tous les combattants et militants des droits de l’Homme au Kurdistan.

Assurant que cette représentation diplomatique « sera transformée en consulat bien vite », le ministre français a fait part du « désir profond de la France d’apporter sa présence et son aide à la reconstruction du processus politique de stabilisation de l’Irak tout entier, de cette construction nécessaire de l’Irak entier, au Moyen-Orient, dans ses difficultés, et plus que ses difficultés, les déchirements actuels de l’histoire du Moyen-Orient.

Vous avez, vous les Kurdes, vous les Irakiens, un rôle essentiel à jouer dans l’Histoire qui s’inscrit aujourd’hui devant vous, devant nous. Nous avons besoin de vous. Nous avons besoin d’un Kurdistan solide dans un Irak libre et démocratique, dans un Irak qui prendra toute sa personnalité, toutes ses responsabilités, qui n’aura plus besoin de personne. Mais de vous, il aura toujours besoin. Vous êtes le modèle et l’avancée de l’Irak. »

Le ministre des Affaires étrangères a évoqué ensuite une amélioration de la situation irakienne, avant d’assurer le Kurdistan du soutien et de la présence de la France à Erbil, en envisageant aussi des échanges mutuels entre les deux pays, notamment par la présence des Français déjà sur place : « Il nous faut plus de Français ici, il nous faut plus de déploiement d’énergie. (...) il faut que se noue tout un tissu de relations économiques, d’investissements et, bien sûr, de relations culturelles. »

Pour Bernard Kouchner, les Kurdes et leur long combat démocratique sont un modèle, non seulement pour les Irakiens, mais pour tout le Moyen-Orient, « car je pense, avec quelque raisons personnelles de ne pas me tromper, que l’histoire des Kurdes préfigure l’histoire de l’Irak, sa lutte pour être libre, pour échapper à la dictature, pour construire un modèle au Moyen-Orient. »

Le ministre français a ajouté que le gouvernement kurde devait être un modèle de stabilité politique pour tout l’Irak, notamment pour les droits de l’homme et les libertés des femmes.

Prenant ensuite la parole, le Premier ministre kurde Nêçirvan Barzani a salué Bernard Kouchner comme un ami fidèle des Kurdes, rappelant le temps où il travaillait pour Médecins sans frontières et quand, « en 1974, quand nous n’avions pour amis que les montagnes, il a visité la région du Kurdistan pour la première fois, et a rencontré le général Barzani » ; et puis dans les années 1980, avec Médecins du Monde, alors que « notre peuple vivait ses jours les plus sombres » pour y apporter une aide médicale et plus tard, en 1991, quand il a contribué à faire adopter la résolution 688 de l’ONU.

Le Premier ministre s’est dit alors heureux de ce que l’amitié franco-kurde fasse un pas en avant, avec cette ouverture d’une représentation diplomatique, et est revenu sur le chemin politique parcouru : «  A partir de 1991, nous dépendions des dons de nourriture, de vêtements, d’abris, de la part de nos amis et des organisations humanitaires internationales. Cette noble décision nous a soutenus durant les jours noirs. Mais aujourd’hui la situation a changé. Nous, dans la Région, avons profité de l’occasion qui nous a été offerte et avons tourné le dos à ce passé amer. A cette époque, l’aide humanitaire était très importante et précieuse pour nous, mais avec la libération de l’Irak, le peuple de la Région du Kurdistan a relevé le défi et nous avons joué un rôle actif dans la reconstruction de l’Irak.

Aujourd’hui, nous vivons une phase nouvelle, mais nous avons toujours besoin du soutien de la communauté internationale dans le processus de reconstruction à l’intérieur du Kurdistan et pour tout le reste de l’Irak. »

Abordant plus précisément les relations de la Région kurde avec la France, Nêçirvan Barzani juge que les deux pays bénéficieront de ce nouveau stade de leurs relations, à la fois sur le plan économique et politique. « La France occupe une position forte en tant que membre du Conseil de sécurité et à l’intérieur de l’Union européenne. Votre pays peut jouer un rôle important en nous aidant à développer notre processus politique, notre système démocratique et en encourageant les industries françaises et les investisseurs à participer aux efforts de reconstruction de l’Irak. Nous souhaitons aussi des échanges plus étroits avec la France pour la culture et l’éducation. Nos étudiants méritent comme le reste du monde, l’opportunité de poursuivre leurs études à un niveau avancé. Nous espérons que les universités françaises pourront offrir aux étudiants de la Région du Kurdistan d’être présents chaque année et d’assister aux dernières avancées scientifiques et technologiques.

Vous soutenez un peuple qui veut vivre en paix avec lui-même et ses voisins, un peuple qui respecte les droits de l’homme et le droit, et qui avance sur le chemin de la tolérance et de la coexistence pacifique.

Ces changements nous encouragent à travailler plus dur. Nous voulons compenser les années d’isolation dont nous avons souffert dans le passé. La Région du Kurdistan est très riche et peut offrir de nombreuses occasions à la communauté internationale, tout spécialement dans le domaine des ressources naturelles, de l’agriculture, du tourisme, du bâtiment et des infrastructures.

Tous nos efforts et nos actions se font en accord avec les droits qui nous sont donnés par la constitution irakienne. Alors que le pétrole et le gaz ont été une source de souffrance dans le passé, aujourd’hui nous nous servons de la loi pour tâcher de les transformer en sources de prospérité et d’opportunité.

Nous sommes absolument résolus à traiter ce problème à la condition que nous puissions garantir les droits de notre peuple pour le futur. Les positions que nous prenons le sont uniquement pour le bien-être et le bonheur de la Région du Kurdistan et de tout l’Irak.

Nous ne voulons pas que le pétrole et le gaz soient les seules sources de revenus pour l’économie de notre Région. Nous voulons tirer profit de toutes les ressources naturelles de la Région du Kurdistan et travailler à développer tous les secteurs. »

En conclusion, le Premier ministre a remercié encore la France de l’ouverture de ce bureau diplomatique et pour le soutien politique et humanitaire qu’elle a offert au Kurdistan dans le passé, en considérant qu’une étape nouvelle a été franchie dans les relations franco-kurdes.

Au terme de cette visite-éclair d’une journée, Bernard Kouchner a rencontré le président de la Région du Kurdistan, Massoud Barzani, en compagnie d’Adnan Mufti, le président du Parlement, de Nêçirvan Barzani et de son adjoint Omar Fatah, ainsi que du Secrétaire et des membres du Bureau politique du PDK. Dans la conférence de presse qui a suivi la rencontre, Massoud Barzani a salué l’ouverture de ce bureau d’ambassade, qu’il voit lui aussi comme une avancée cruciale dans les relations entre la France et le Kurdistan. Sur la teneur de l’entretien qu’il a eue avec le ministre français, le président a indiqué avoir expliqué la position des Kurdes sur l’article 140, qu’il a qualifié de « flexible » notamment au regard de la contribution des Nations Unies sur la question.

Bernard Kouchner, qui avait commencé son périple irakien par une visite à Nassiriah, dans le Sud chiite, avant de rencontrer à Bagdad les principaux dirigeants irakiens, dont le président Talabani, le Premier ministre Al-Maliki, ainsi que son homologue Hosyar Zebari, a rejoint Paris dans la nuit du 1er juin.

IRAK : MECONTENTEMENT QUASI-GENERAL APRES LE RAPPORT DE L’UNAMI

Le rapport de Staffan de Mistura, représentant de l’ONU en Irak, sur la question des territires kurdes encore sous juridiction irakienne, après le report de six mois consenti par les Kurdes, du référendum prévu par l’article 140, a été rendu public le 5 juin.

Ce rapport se concentre sur quatre provinces, sélectionnées parmi un large éventail, pour une analyse de terrain et des propositions politiques et administratives : Akre (Ninive), Hamdaniya (Ninive), Makhmour (Ninive/Erbil) et Mandali (Diyala).

Pour Akre (province de Ninive), administrée par Duhok depuis 1991, et depuis ce temps comprise dans le GRK, le rapport considère qu’Akre est « typiquement considérée comme l’un des districts mentionnés comme administrés par le GRK dans l’article 53 de la Loi provisoire et l’article 143 de la constitution irakienne. » Il s’agit d’un district majoritairement peuplé de Kurdes et le transfert officiel de son administration dans le gouvernorat de Duhok n’apporterait aucun changement important en l’état actuel des choses. L’UNAMI (United Nations Assistance Mission for Iraq) recommande que des mesures soient prises pour garantir notamment la liberté de mouvement entre les provinces de Duhok et Ninive et les droits de la langue arabe.

Hamdaniya (province de Ninive) est administrée par le gouvernorat de Ninive depuis 1932 et n’était donc pas compris dans les zones gérées par le GRK jusqu’au 19 mars 2003. La zone jouit de liens économiques et administratifs étroits avec Mossoul, et est historiquement constituée de grandes villes chrétiennes entrecoupées de villages shabaks et de communautés arabes, surtout dans le sous-district de Namroud. La montée de la violence dans cette région depuis 2007 visant particulièrement les minorités religieuses, un certain nombre de shabaks et des chrétiens de Mossoul se sont réfugiés dans cette zone. Les recommandations et propositions de l’UNAMI vont dans le sens d’un maintien de ce district dans la province de Ninive, d’une plus grande participation locale dans les forces de sécurité irakiennes, surtout de la part des Arabes et des chrétiens, et un déploiement de ces forces à Hamdaniya, en place des Peshmergas kurdes qui en assurent actuellement la défense. Le rapport affirme que les communautés chrétiennes et shabaks préfèrent une forme de gouvernement local et l’UNAMI insiste sur les droits culturels et religieux de ces minorités, tels qu’ils sont exprimés dans la constitution. Les recommandations portent aussi sur les dispositifs que devraient adopter les forces irakiennes de sécurité pour contrôler la région, tels que des check-point, le recrutement local au sein de ces mêmes forces, l’augmentation du nombre de bureaux de police, etc.

Makhmour (province de Ninive et Erbil) a constamment fait partie du gouvernorat d’Erbil depuis 1932, et le district n’est administré par Ninive que depuis 1991, date à laquelle la  ligne verte » séparant la zone d’autonomie kurde et le reste de l’Irak a été mise en place. Pour cette raison, Makhmour est considérée comme étant hors du GRK bien que, comme le souligne le rapport, « aucune législation, décret ou règlement n’ait officiellement transféré l’administration du district de Makhmour d’Erbil au gouvernorat de Ninive. » D’un autre côté, le rapport ajoute que « le sous-district de Qaraj est majoritairement peuplé de communautés arabes qui ont exprimé une forte opposition à être administrées par Erbil. » Le rapport propose de rattacher Makhmour à Erbil, excepté Qaraj qui serait rattaché à un district voisin compris dans un autre gouvernorat. Les recommandations vont dans le sens d’un traitement équitable en termes de budget, de répartition des ressources, d’accès à l’emploi et de représentation dans le gouvernement et les forces de sécurité entre les Arabes et les Kurdes, ainsi que la liberté de langue et de mouvement.

Mandali (province de Diyala) est un des plus anciens secteurs administratifs de l'Irak, mais a été rétrogradé en 1987, par l’ancien régime, du statut de district à sous-district et intégré dans la zone de Baladruz. Depuis 1932, il a toujours fait partie du gouvernorat de Diyala. « Dans les années 1970, une politique d’expulsion massive des Kurdes fayli (chiites) et d'autres communautés, ont été suivies de nombreuses décisions dans les années 80, en raison de la guerre Iran-Irak, pour déplacer la population frontalière hors de Mandali, créant un autre déplacement massif et un déclin drastique du nombre de ses habitants. Le sous-développement chronique, des décennies d’opérations militaires et de répression, la négligence administrative systématique dans les services et un manque d'eau aigu ont empêché un retour massif des habitants d’origine. Le rapport préconise la prise en compte du passé tragique de Mandali (en particulier des Kurdes et des Turkmènes) et d’investir de façon importante dans le développement de cette zone sinistrée, avec un traitement équitable en termes de budget, de répartition des ressources, d’accès à l’emploi et de représentation dans le gouvernement et les forces de sécurité, mais en laissant la région dans le gouvernorat de Diyala.

L’UNAMI a indiqué poursuivre son enquête de terrain dans d’autres régions disputées, telles que Tell Afar, Sheikhan, Sinjar pour la province de Ninive et Khanaqin pour celle de Diyala. Enfin, en troisième lieu, la question de Kirkouk sera abordée.

Comme on le voit, le Bureau de l’ONU en Irak, a donné presque à chaque fois la préférence au maintien administratif des districts dans leur région d’origine, sauf dans le cas d’Akre qui est déjà inclus dans la Région kurde. Le tracé des provinces datant de 1932 est ainsi pris comme référence historique majeure, et le rapport élude totalement la question du référendum prévu par l’article 140.

De la part des Kurdes, les réactions de mécontentement ont été assez générales. Le président de la Région du Kurdistan, Massoud Barzani, le président du Conseil des ministres, le président du Parlement et le Conseil des partis politiques kurdes, ont d’abord organisé une réunion afin d’analyser la teneur de ces propositions. Puis, dans une déclaration officielle en quatre points, ils ont fait part de leur préoccupation, exprimant notamment le « désappointement causé par les recommandations » qu’ils ont jugées, dans leur forme actuelle, loin de ce qu’ils avaient espéré, en estimant qu’il ne pouvait constituer une base pour la résolution future des conflits. Le gouvernement kurde a aussi souligné que les solutions proposées étaient en désaccord avec celles qui avaient été acceptées auparavant, qu’elles ne tenaient pas compte de la constitution irakienne et de l’article 140. En conséquence, le GRK a décidé de préparer un mémorandum qu’il adressera aux Nations-Unies et souhaite que le bureau de l’ONU en Irak négocie avec une commission formée au sein de la Région kurde.

Réagissant plus en détail, Mohammed Ihsan, le ministre kurde des Affaires extra-régionales, spécialement en charge de cette question, a jugé le rapport « injuste », en critiquant notamment la proposition de détacher le sous-district de Qaraj du district de Makhmour, et en soulignant que les dirigeants kurdes n’ont jamais été informés par Staffan de Mistura que de tels aménagements allaient être suggérés. « Le Conseil de Mandali a répété plusieurs fois qu’il souhaitait le rattachement du sous-district à la Région du Kurdistan, nous attendons de l’ONU une aide technique pour appliquer l’article 140, et non pour le modifier », explique le législateur Mushin Ali, s’exprimant lors d’une session spéciale du parlement kurde qui a examiné lui aussi le rapport. D’autres voix accusent la commission de l’ONU de n’avoir pas pris en compte la demande de la plupart des chrétiens de Hamdaniya d’être rattachés à la Région du Kurdistan.

Mais les Kurdes ne sont pas les seuls mécontents. Des Arabes de la province de Kirkouk, membres ou sympathisants du bloc « Unité arabe », ou bien des Turkmènes du Front turcoman, ont également fait part de leur opposition au rapport, notamment à la partie qui recommande un partage du pouvoir avec les Kurdes. Ils reprochent à l’UNAMI de s’appuyer sur les élections provinciales de 2005, qui ont été largement boycottées par les Arabes sunnites et ont donné la majorité des sièges de Kirkouk aux Kurdes. Hassan Weli, un leader du parti turcoman soutenu par Ankara, accuse ainsi l’ONU d’avoir été influencé par les « factions kurdes », en se disant opposé à ce que des acteurs externes s’immiscent dans la question de Kirkuk, ce qui est un peu curieux au regard de l’activisme virulent de la Turquie sur cette question, mais peut s’expliquer par le relatif désengagement du gouvernement AKP sur cette question, après un certain « réchauffement » des relations entre Ankara et Erbil : « les Turkmènes essaient d’unir l’Irak et croient qu’il est dans l’intérêt de l’Irak et des Irakiens de résoudre leurs problèmes eux-mêmes plutôt que de faire appel à des intervenants extérieurs, même si cet intervenant est l’ONU. » Le site Internet de ce parti proposait même, le 15 juin, dans une déclaration adressée à la commission de l’ONU, de déclarer Erbil « zone disputée ».

En réponse à cette salve de critiques, l’UNAMI a indiqué qu’en dernier ressort, ce serait le gouvernement irakien qui déciderait. Andrew Gilmour, directeur politique à l’UNAMI, ne se déclare d’ailleurs pas surpris de ce mécontentement de la plupart des parties en conflit : « Nous n’attendions pas qu’une des parties saluent les propositions. Aucune n’a obtenu 100% de ce qu’elle demande. Les compromis ne sont jamais agréables pour les partisans de la ligne dure, quels qu’ils soient. »

Nonobstant les critiques sévères du Gouvernement kurde envers la commission de l’ONU, le Premier ministre Nêçirvan Barzani, a, lors d’un déplacement à Dubaï, envisagé lui aussi une forme de partage du pouvoir à Kirkuk : « Nous poussons pour qu’une solution soit trouvée, pas spécialement un référendum. »

Commentant cet assouplissement, Wayne White, qui a dirigé au département d’Etat des renseignements la section irakienne, de 2003 to 2005, voit cela comme une « bonne nouvelle » : « Les leaders kurdes, Massoud Barzani, le président du Kurdistan et le président irakien Jalal Talabani ont été soumis à une énorme pression de la part de leurs bases pour qu’ils fassent le maximum dans beaucoup de domaines, dont les territoires de Kirkuk et d’ailleurs. » Selon Wayne White, bien que des concessions sur Kirkuk puissent éroder la popularité des deux grands partis kurdes, elles peuvent aussi leur apporter des avantages, dans leurs relations avec la Turquie, leurs négociations avec Bagdad sur la question des ressources pétrolières et du budget, ainsi que des liens plus détendus avec leurs voisins irakiens, les Arabes sunnites, les Turkmènes et les Arabes chiites.

SANANDADJ : EXECUTION D’UN MINEUR, LOURDES CONDAMNATIONS CONTRE DES MILITANTS KURDES

Un adolescent de 17 ans, Mohammad Hassanzadeh a été exécuté par pendaison le 10 juin dernier, à Sanandaj (Sine), capitale de la province du Kurdistan en Iran, pour le meurtre d'un garçon de dix ans, commis alors qu'il n'était lui-même âgé que de 15 ans. Un autre prisonnier reconnu lui aussi coupable de meurtre et âgé de 60 ans a été pendu en même temps que l'adolescent.

Dans un communiqué, l’Union européenne condamne vivement cette exécution, ainsi qu'Amnesty International : « Il s’agit de la dernière exécution en date d’un mineur délinquant, et en y procédant, les autorités iraniennes ont commis une nouvelle violation flagrante de leurs obligations internationales au titre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de la Convention relative aux droits de l’enfant, qui interdisent de condamner à mort les personnes qui étaient âgées de moins de dix-huit ans au moment des faits qui leur sont reprochés. Elle met à mal les espoirs suscités par la décision prise par le responsable du pouvoir judiciaire iranien le 10 juin 2008 d’accorder à deux mineurs délinquants condamnés à mort un sursis d’un mois afin de laisser plus de temps pour parvenir à un accord avec les proches des victimes. »

En effet, Behnoud Shojaee et Mohammad Fedai ont été aussi reconnus coupables de meurtre avec préméditation (quoique ce dernier point soit nié par les deux adolescents). Mais l'usage de la torture allégué dans une lettre de Mohammed Fedai entache d’irrégularités graves toute la procédure. Le garçon affirme qu'il ignorait même les aveux qu'il a signés après avoir cédé sous les sévices : "J’ai vingt et un ans, je suis jeune, et je n’avais que seize ans lorsque j’ai été emprisonné. Comme tout autre adolescent, [j’avais] encore mes rêves d’enfant, écrit-il, ajoutant : « J’ai été frappé et fouetté à plusieurs reprises [...] Ils m’ont suspendu au plafond [...] Ils ne m’ont laissé aucun espoir de survie."

Amnesty se dit également préoccupée par la pendaison prochaine de Saïd Ghazee, âgé aujourd'hui de 21 ans, qui doit être exécuté le 25 juin. En décembre dernier, c’est un autre jeune Kurde, Makwan Moloudzadeh, qui avait été pendu à l’âge de 21 ans. Il avait été emprisonné à l’âge de 17 ans pour avoir eu des relations homosexuelles.

A ce jour, Amnesty International indique que 85 mineurs attendent d'être exécutés en Iran : « Nous demandons aux dirigeants, aux responsables de la justice et aux nouveaux députés iraniens de faire en sorte que l'Iran suive la tendance mondiale contre le recours à la peine de mort, qui a été exprimée avec force le 18 décembre 2007 dans la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies appelant à un moratoire mondial sur les exécutions », a indiqué l’organisation. D’autres organisations de défense des droits de l’homme font état de 124 détenus en attente d’être exécutés pour des faits commis alors qu’ils avaient moins de 18 ans. De façon générale, Amnesty International a recensé au moins 335 pendaisons pour l’année 2007, dont 7 concernaient des mineurs, ce qui fait de l’Iran le pays où la peine capitale est le plus souvent appliquée dans le monde.

L’Iran a pourtant signé plusieurs traités internationaux, dont la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant, qui prohibe la peine capitale pour les mineurs. Mais selon la loi iranienne, la majorité est fixée à 14 ans pour les garçons et 8 ans et demi pour les filles, ce qui, aux yeux des juges, les exclut de la justice réservée aux mineurs.

De façon générale, la répression et les condamnations se multiplient dans les régions kurdes. Deux jeunes militantes féministes, Rounak Saffahzadeh et Hana Abdi ont été arrêtées respectivement le 25 septembre et le 23 octobre 2007. Elles étaient toutes deux membres d’Azarmehr, ou Association des femmes du Kurdistan, qui organisait notamment des ateliers de formation et des activités sportives dans la ville de Sanandadj et dans d’autres lieux du Kurdistan iranien. Elles avaient aussi participé à une campagne intitulée « Un million de signatures pour l’égalité ».

Immédiatement après leur arrestation, Rounak Saffazadeh et Hana Abdi ont été placées en cellule d’isolement pour une durée de 3 et 2 mois, dans le centre de détention du ministère de l’Information pour le Kurdistan, avant d’être transférées à la prison de Sanandadj.

Le 19 juin, Hana Abdi a été condamnée à 5 ans de prison pour « activités subversives » et « collaboration avec l’ennemi » par la Seconde chambre de la Cour révolutionnaire de Sanandadj. La cour a également ordonné que toute la durée de sa détention se passe loin de chez elle, dans la prison de Germi, dans la province azérie d’Ardabil. Rounak Saffahzadeh est toujours en attente de jugement. Mohammad Sharif, l’avocat des deux jeunes filles, a confié à Human Rights Watch qu’il craignait que les charges qui seront portées contre Rounak soient encore plus lourdes, et incluent notamment celle « d’ennemie de Dieu », ce qui lui ferait encourir la peine de mort. « C’était une routine, pour le gouvernement iranien, d’user de vagues accusation concernant la sûreté nationale pour emprisonner ou intimider des militants pacifiques », explique Sarah Leah Whitson, directrice de Human Rights pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. « Mais maintenant, ils vont plus loin en prononçant des sentences iniques. »

Ces deux procès s’inscrivent dans une campagne de répression et d’intimidation contre les militantes féministes, notamment celles qui ont initié ou participé à la pétition « Un million de signatures pour l’égalité », s’élevant contre les discriminations sexuelles. Ces deux dernières années, 35 activistes liées à cette campagne ont été arrêtées. On peut aussi les relier à une recrudescence des peines prononcées contre les Kurdes, régulièrement accusés d’activités portant atteinte à la « sécurité nationale » ou d’appartenir à une bande armée (le PJAK), même quand il s’agit uniquement de délits d’opinion. Ainsi, le 22 juin, un journaliste kurde, Mohammad Sadegh Kabovand, a été condamné à 11 ans de prison, ce qu’a vigoureusement dénoncé Reporter sans frontière : « Le régime de Téhéran n’a aucun scrupule à faire condamner des journalistes sur des prétextes fallacieux et au terme de procès iniques. L’état de santé de Mohammad Sadegh Kabovand n’a même pas été pris en compte. Cette sentence particulièrement sévère est un message adressé à tous ceux qui ne courbent pas l’échine devant le pouvoir, particulièrement dans la région du Kurdistan. »

Mohammad Sadegh Kabovand était rédacteur en chef du quotidien Payam-e Mardom-e Kordestan (Le Message du peuple du Kurdistan), qui a été fermé en 2005. Mais les 11 ans de prison que lui a infligés la Cour révolutionnaire de Téhéran sont liés à sa création d’une association pour les droits de l’homme dans la région kurde. Arrêté en juillet 2007, il a passé 5 mois d’isolation dans la prison Evin de Téhéran. Souffrant de problèmes de santé, ni lui ni sa famille n’ont été capables de s’acquitter de l’énorme caution réclamée contre sa remise en liberté provisoire : 150 millions de tomans (145,000 euros). Ses avocats, Nemat Ahmadi et Mohammad Sifzadeh ont protesté contre ce qu’ils jugent être une condamnation « politique ».

KIRKOUK : UN CASSE-TÊTE POUR LES ELECTIONS PROVINCIALES

La question de Kirkouk plombe aussi l’organisation des élections provinciales qui doivent se tenir le 1er octobre 2008, dans toutes les régions de l’Irak sauf la Région du Kurdistan. Ces élections portent sur un projet de loi redéfinissant les compétences de Bagdad et des provinces. Mais leur annulation pure et simple est envisagée, tant elles exacerbent les rivalités et les conflits entre les Arabes, les Kurdes et les Turkmènes de la province.

Les Arabes et les Turkmènes demandent en effet à ce que Kirkouk soit divisé en quatre districts électoraux ce que la Coalition du Kurdistan (KC) refuse, en y voyant une tentative de partager la région et de désintégrer son unité. De plus, les Kurdes s’opposent à ce que de nouvelles élections aient lieu tant que l’article 140 et le référendum prévu ne seront pas appliqués. Au contraire, les représentants arabes et turkmènes insistent sur la nécessité de nouvelles élections, car ils rejettent les résultats du scrutin de 2005, qui avaient été boycottés par les Arabes sunnites.

De son côté, un conseiller auprès de l’ambassade des Etats-Unis à Bagdad, Thomas Krajiski, a visité Kirkouk et parlé avec tous les représentants des Kurdes, des Arabes et des Turkmènes, au sein du gouvernorat : «  Nous soutenons la tenue d’élections à Kirkouk et nous ne souhaitons pas leur ajournement, car la ville de Kirkouk est importante pour tous les Irakiens et les pays voisins, ainsi que pour les nations du monde. Les Etats-Unis d’Amérique et les Nations Unies cherchent à trouver une solution au problème de Kirkouk qui satisferait toutes les parties." Mais le conseiller s’est refusé à préciser quel type de solution pouvait être envisagé de son point de vue. D’autres officiels américains estiment que ces élections pourraient être reportées d’un mois.

Mohammed Ihsan, le ministre des Affaires Extra-régionales du Kurdistan, a jugé cette visite et ses propos comme une « ingérence » : « Les Etats-Unis n’ont pas le droit d’interférer dans cette question car elle est purement irakienne. Nous ne disons pas que les élections ne doivent pas avoir lieu, mais nous demandons l’application de l’article 140, et nous n’acceptons aucune ingérence dans ce problème, qu’elle vienne des Américains ou d’Irakiens. »

Du côté irakien, le porte-parole du parlement irakien, Mahmud al-Mashhadani, a, dans une déclaration, émis le souhait que le problème de Kirkouk ne compromette pas la tenue des élections, avant de demander à tous les blocs politiques de l’assemblée de se mettre enfin d’accord pour les tenir ou les reporter. Jalal al-Din Al-Sagheer, le chef du bloc de l’Alliance chiite, estime qu’il sera très difficile qu’elles se déroulent selon le calendrier prévu, notamment en raison de Kirkouk, même si la commission électorale a indiqué que le projet de loi devait être adopté au plus tard début juillet, afin de laisser trois mois nécessaires à la préparation du scrutin. Aussi, des juristes arabes et turkmènes ont proposé de différer les élections, mais uniquement à Kirkouk, en préparant pour cette province une loi et des élections à part, ce que rejettent les Kurdes, qui craignent de perdre les acquis des dernières élections de 2005, contestées par les deux autres groupes ethniques.

En ce qui concerne les provinces de Ninive et de Diyala, qui contiennent d’autres districts disputés, les partis politiques kurdes ont annoncé qu’ils participeraient aux élections en formant une liste unique, afin de remporter un nombre maximum de sièges dans les conseils provinciaux de Mossoul. Selon Khasro Goran, l’adjoint du gouverneur de Mossoul et le chef du Parti démocratique du Kurdistan pour la province de Ninive, les Kurdes obtiendront la majorité des sièges, en s’unifiant sous une liste commune, la Fraternité de Ninive. Cette liste inclura l’Union patriotique du Kurdistan, le Parti démocratique du Kurdistan, l’Union islamique du Kurdistan, le Parti communiste du Kurdistan, le Parti communiste irakien et des partis politiques chrétiens.

SYRIE : PRESSIONS ACCRUES DU POUVOIR CONTRE LES MILITANTS ET LES CYBERDISSIDENTS

L’invitation controversée du président syrien Bachar Al-Asad aux cérémonies du 14 juillet en France a fait réagir plusieurs organisations de défense des droits de l’homme, dont Human Rights Watch, qui rappelle les pratiques de l’Etat syrien visant à « arrêter, juger et harceler les intellectuels et militants politiques et des droits humains », en usant de diverses méthodes d’intimidation et de coercition. « Toute relation avec la Syrie doit comporter une discussion ouverte sur les problèmes relatifs aux droits humains, y compris le sort des prisonniers politiques et d’autres Syriens victimes d’exactions », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice à Human Rights Watch pour le Moyen Orient et l’Afrique du Nord. « Les autorités de Damas continuent à harceler toute personne qui ose les critiquer. »

Les bloggeurs syriens, en particulier, embarrassent le pouvoir, qui, s’il contrôle la presse, a plus de mal à museler l’information sur le web. Tous les événements du Newroz 2004, ou l’agitation qui a suivie l’assassinat du Sheikh Mashouk en 2005, ou bien les incidents du Newroz 2008, sont largement filmés, commentés, révélés au public via les blogs et les sites Internet de la diaspora, relayant les informations fournies par les acteurs directs.

Ainsi, en mars 2008, l’écrivain kurde Pîr Rostem, membre du Parti démocratique du Kurdistan, qui écrivait dans de nombreux sites kurdes internationaux, a été arrêté, sa maison fouillée et ses papiers et ordinateur portables confisqués. Le 7 mai dernier c’est au tour de l’écrivain et analyste politique Habib Saleh, âgé de 60 ans, d’être arrêté par les services syriens, qui l’ont emmené dans un lieu inconnu, où il est détenu au secret, comme le rapporte l’Organisation nationale des droits de l’homme en Syrie (ONDHS) : « Les services de sécurité chargés de surveiller Habib Saleh l’ont arrêté mercredi soir alors qu’il se promenait au marché de Tartous. Il a été conduit vers une destination inconnue. Depuis, aucune nouvelle ne nous est parvenue de lui », a déclaré le président de l’ONDHS, Ammar Qorabi.

Il s’agit de la troisième arrestation pour Habib Saleh, auteur de plusieurs articles critiquant les agissements de la Syrie, notamment envers ses opposants politiques. Il avait déjà été emprisonné en 2001, avec neuf autres activistes du « Printemps de Damas » et libéré après trois ans de détention. En mai 2005, il a été arrêté une fois de plus et accusé d’« avoir publié des informations mensongères » sur Internet. Il n’a été libéré qu’en septembre 2007.

Le 11 mai, Tarek Biasi, âgé de 23 ans, a été condamné à 3 ans de prison. Arrêté en juillet 2007, il était accusé d’ « insulter les services de sécurité » en ligne, et «d’affaiblir le sentiment national. » Le 12 mai, un autre procès s’est ouvert, celui de Muhammad Badi` Dek al-Bab, membre de l’Organisation nationale pour les droits humains, arrêté le 2 mars 2008. La cour militaire de Damas le juge pour un article intitulé «Damas, capitale de la culture arabe », qui ironise sur le statut de la ville syrienne, déclarée « Capitale arabe de la culture 2008 » alors que les arrestations des écrivains et des intellectuels se multiplient. Accusé de «propagation de fausses informations susceptibles de porter atteinte au prestige de l'Etat », il a été condamné à six mois de prison ferme. Là non plus, ce n’est pas sa première condamnation car en 2000, Muhammad Dek al-Bab avait été condamné à 15 ans de prison pour appartenance aux Frères musulmans et n’avait été remis en liberté 5 ans plus tard qu’en vertu d’une grâce présidentielle. «Ce verdict montre que les autorités syriennes continuent de violer les droits élémentaires et les libertés publiques et de réprimer les militants des droits de l'homme», a déclaré Me Qorabi, son avocat : « Il s'agit d'une décision visant l'ONDHS pour punir ses efforts destinés à dénoncer les atteintes aux droits de l'homme ».

En plus de la liberté d’expression écrite, le droit de réunion, d’association est tout aussi bafoué. Depuis décembre 2007, 13 militants politiques syriens, dont l’ancien parlementaire Riad Seif, sont emprisonnés pour avoir participé à une réunion de groupes d’opposition. Ils sont là encore accusés d’ « affaiblissement du sentiment national et d’incitation à la violence sectaire », de « diffusion de nouvelles fausses ou exagérées qui pourraient affecter le moral du pays » et d’ « appartenance à une organisation formée dans le but de changer la structure de l’Etat. »

Toute forme de rassemblement et de plate-forme est ainsi découragée, ou tout bonnement interdite ou annulée au dernier moment. Le 25 mai, Mazen Darwish, président du Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression, devait ainsi organiser une conférence sur la liberté de la presse au Centre culturel arabe de Damas. Malgré l’autorisation préalable du ministère de la Culture, la conférence a été annulée 15 minutes avant son ouverture, sur simple coup de fil de ce même ministère.  

Les entraves à la circulation des personnes sont aussi nombreuses et les assignations à résidence fréquentes. Human Rights Watch indique ainsi pour le mois de mai que sept militants politiques ou des droits de l’homme se sont vus refuser la sortie du pays. Le 21 mai, Muhannad al-Hasani, président de l’Organisation syrienne des droits de l’homme, n’a pu ainsi se rendre à Beyrouth, où il était attendu pour participer à une émission sur la chaîne al-`Alam TV qui portait sur la situation des détenus syriens en Arabie Saoudite. De même, Radif Mustafa, le président du Comité kurde pour les droits de l’homme, n’a pu venir à Paris, alors qu’il était invité à un atelier de formation organisé par le Réseau Euro-méditerranéen des droits de l’homme. Raja` al-Nasser et Muhammad Abdel Majid Manjounah, avocats et membres du parti de l’Union socialiste n’ont pu se rendre le 8 mai au Yémen pour participer dans un atelier organisé par le Congrès national arabe. Zaradasht Muhammad et `Abdel Rahman Ahmad, deux militants politiques kurdes, se sont vus interdire de quitter la Syrie pour le Kurdistan d’Irak, où ils devaient rencontrer des partis politiques. Mais ces restrictions ne touchent pas que les déplacements à caractère militant ou professionnel. Ainsi, Abdel Sattar al-Qattan, n’a pu sortir de Syrie pour subir une transplantation rénale. Membre des Frères musulmans, il avait été emprisonné et libéré pour raison de santé le 12 juin 2007 et doit subir actuellement une dialyse trois fois par semaine.

AINSI QUE...

DIYARBAKIR : LES JEUNES CHORISTES RISQUENT 5 ANS DE PRISON

A Diyarbakir, le procès de trois adolescents kurdes de Turquie, dont deux sont âgés de 15 ans et l'un de 17 ans, a commencé le 9 juin. Ils sont accusés d'avoir violé l'article 7/2 de la loi Anti-terreur, pour « propagande en faveur d'une organisation terroriste » et risquent au maximum 5 ans de prison ferme.

En octobre 2007, un chœur de petits chanteurs de la municipalité de l’arrondissement Yeni?ehir, Diyarbakir, s’était produit dans un festival international de musique à San Francisco. Le chœur avait interprété 9 chansons, dont une marche patriotique turque, Çanakkale Marsi, et l’hymne kurde « Ey Raqib », hymne de la république kurde de Mahabad, officiellement adopté de nos jours par la Région du Kurdistan d’Irak. De retour, apparemment peu au fait de l’histoire du mouvement national kurde, un procureur turc a porté plainte contre les enfants, en les accusant d’avoir entonné « l’hymne du PKK sous le drapeau du PKK ».

Les trois chanteurs les plus âgés comparaissent donc devant le tribunal de Diyarbakir pour propagande en faveur d’une organisation terroriste, et les autres choristes, plus jeunes, devant un tribunal pour enfants.

Michael Santoro, le directeur du festival, qui avait personnellement invité le chœur de Diyarbakir, a nié toute intention de propagande politique ou « séparatiste » dans ces manifestations, en indiquant que son festival avait pour but la possibilité de se produire d’offrir « à des musiciens, des compositeurs, des artistes qui historiquement ont été sous-représentés en raison de barrières culturelles, politiques ou économiques. »

Le chant incriminé n’a rien à voir avec le Parti des travailleurs du Kurdistan, comme l’accuse le procureur. C’est en fait un poème écrit en 1938 par le poète kurde Dildar, et qui fut adopté comme hymne national par la république kurde de Mahabad en 1946. C’est actuellement l’hymne adopté par la Région du Kurdistan d’Irak. Quant au drapeau, Michael Santoro indique là encore qu’il s’agissait du drapeau national kurde mais qu’aucun emblème du PKK n’a figuré sur l’estrade.

Amnesty International a déclaré que chanter un hymne historique ne pouvait être considéré comme une menace pour la sécurité publique et que cela relevait de la liberté d’expression. L’organisation a déclaré que ces enfants, s’ils étaient condamnés et emprisonnés, seraient considérés par elle comme des prisonniers d’opinion.

FETE DE LA MUSIQUE AU KURDISTAN IRAKIEN

Cette année, Erbil, capitale de la Région du Kurdistan d’Irak, a rejoint la liste internationale des villes qui célèbrent la Fête de la musique, le 21 juin, avec Duhok et Sulaïmaniah. En partenariat avec le ministère français des Affaires étrangères et européennes, l'Ambassade de France en Irak et son Bureau d'Erbil qui venait tout juste d’ouvrir, le ministère de la Culture du Gouvernement régional du Kurdistan a organisé une série de manifestations musicales dans tout le pays, avec plus de 35 groupes de musiciens, extrêmement divers : kurdes, assyro-chaldéens, yézidis, et même un groupe de jazz français, Mystère Trio, venu avec le soutien de la convention Cultures France/Ville de Toulouse. Les manifestations musicales ont eu lieu dans les endroits extrêmement divers, allant, pour le groupe français, d’un concert en plein air dans le grand Minare Park d’Erbil, à des prestations dans des lieux insolites comme les prisons, les dispensaires et les hôpitaux, respectant ainsi l’esprit de cette fête, initialement lancée pour faire sortir la musique des salles de concerts et des scènes officielles. En tout, 24 concerts ont été donnés dans les trois provinces de la Région.

Les Kurdes appréciant particulièrement la musique et les fêtes de plein air, cette initiative a connu un grand succès. A Sulaïmaniah, le parc Azadî (Liberté) ancienne base militaire de Saddam, a accueilli des chanteurs traditionnels ou modernes kurdes, pour la plus grande satisfaction des habitants, telle qu’ils l’ont exprimée au Los Angeles Times : « Mon corps et mon âme bougent avec la musique », s’enthousiasme ainsi Shireen Wihab, 29 ans. « Je n’avais jamais ressenti cela auparavant. »

Heresh Abed Rahman, un joueur de zorna, à la tête de son groupe Sahnad, très populaire au Kurdistan, est lui aussi très positif sur cette expérience : « Nous essayons de redonner le goût de la musique à notre peuple, à nous rapprocher d’eux, et c’est une belle chose. C’est la première fois que nous jouons en plein air. Bien qu’il y ait du vent, ce qui affecte la sono, le bruit de ce vent dans les arbres donne justement des tonalités particulières qui se mêlent à notre musique. »

Dans la même ville, une maison de repos accueille, dans son jardin, un quatuor à cordes. Un des auditeurs, Rasheed Mourad, âgé de 69 ans, explique : « La vie a été dure, je n’ai jamais eu la chance de pouvoir écouter de la musique. J’ai travaillé dur pour élever mes enfants, mais à présent, je vis dans un monde différent ici, avec ceux qui n’ont pas de famille. Je voudrais que cet événement se répète, pour nous donner de l’espoir contre les difficultés de la vie. »

BAGDAD : ALI LE CHIMIQUE NIE AVOIR EXECUTE DES CIVILS CHIITES

Ali Hassan al-Majid, surnommé « Ali le Chimique » en raison de son rôle majeur dans l’Anfal des Kurdes et les bombardements chimiques contre la population du Kurdistan, est actuellement jugé à Bagdad pour son implication dans l’assassinat de dizaines de milliers de chiites, en 1991, quand le régime de Saddam a écrasé le soulèvement de l’Irak du sud, après sa défaite de la Première Guerre du Golfe.

Ce cousin de Saddam Hussein, un des premiers acteurs politiques de l’ancien régime, nie cependant le massacre de plusieurs milliers de civils dans le Sud chiite, en ne reconnaissant que l’exécution d’un « saboteur à la solde de l’Iran ». Des témoins rapportent au contraire que lui et ses soldats ont ouvert le feu délibérément sur des manifestants chiites désarmés, dans la ville de Basra, tuant, notamment une adolescente, ce que nie Ali Al-Madjid. : « Il n’y avait aucune manifestation pacifique à Basra. Les émeutiers ont commencé de dresser des barricades et d’attaquer les soldats. ... Je n’ai jamais tiré sur des civils, mon seul devoir était d’éliminer les hommes armés. » L’ancien ministre de Saddam, déjà condamné à mort en juin dernier pour génocide, ajoute qu’il ne cherchait qu’à défendre son pays contre une « invasion iranienne ».

L’attitude officielle des dirigeants baathistes envers les opposants chiites, pourtant majoritaires en Irak, était en effet de les considérer comme des agents de l’Iran, voire des ressortissants iraniens, une fois qu’ils avaient été déchus de leur nationalité irakienne, comme ce fut le cas des Kurdes fayli, dont le massacre et la déportation massive vont être jugés prochainement par la Haute Cour irakienne.

De confession chiite, ces Kurdes, qui vivent répartis, outre Bagdad, sur la frontière irako-iranienne, dans les régions de la province de Diyala, de Khanaqin à Amarah, ainsi qu'en Iran dans la province d'Ilam et de Kermanshah, étaient au nombre d’un million en Irak, avant que Saddam ne lance contre eux, dans les années 1970 et puis 1980, une vaste campagne de nettoyage ethnique, et pour finir de génocide. Des dizaines de milliers de Fayli furent arrêtés, ou déportés en Iran ou exécutés secrètement. Beaucoup vivent encore dans des camps de réfugiés, dans les provinces d’Ilam et d’Ahwaz. 

Outre leur confession chiite qui les rendait suspects au régime, surtout pendant la guerre Iran-Irak, leur appartenance ethnique les condamnait aussi aux yeux de Bagdad, et ce dès les premières années de la dictature, comme l’explique Muhammad Qaradaghi, un responsable du Gouvernement régional du Kurdistan : « Dans les années 1970, le mouvement politique kurde était très actif à Bagdad, et cela était dû en partie à son importante population fayli. Dès cette époque, les autorités avaient planifié leur déportation afin de contrecarrer leur influence, en s‘assurant, en plus, un bénéfice financier avec la confiscation de leurs biens. »

Durant l’Anfal, les survivants ont indiqué avoir été victimes, en plus des déportations vers l’Iran et des exécutions, d’attaques chimiques au thallium, un agent neurotoxique. La haute Cour irakienne examine actuellement si le procès comportera l’accusation de crime de génocide.

GRANDE- BRETAGNE : PROJECTION DU PREMIER LONG DESSIN ANIME KURDE

Havi Shakur, âgé de 28 ans, réfugié kurde arrivé en Grande-Bretagne via l’Allemagne, a créé le premier grand film d’animation kurde avec l’animateur anglais Stuart Palmer, qui a été projeté le 22 juin dans la ville de Hull, à l’occasion de la Semaine des réfugiés.

Créé à partir d’images numériques sur ordinateur, ce film de 55 minutes retrace la légende de Kawa le forgeron, héros mythique du peuple kurde, et sa lutte victorieuse contre le tyran symbolisant les forces du Mal, Zohak. « Comme c’est le premier film de ce genre, le premier long dessin animé kurde, il était très important que ce soit une histoire kurde », explique son créateur. « L’histoire est celle de Kawa le Forgeron, qui est probablement la plus célèbre légende kurde, qui raconte à la fois l’histoire du Nouvel An kurde, (Newroz) et la naissance d’une nation. Mais ce n’est pas seulement un film kurde destiné au peuple kurde. Je crois qu’il peut plaire aussi à beaucoup de Britanniques. »

La société Splash Productions en partenariat avec Goodwin Development Trust qui en assurait le financement, 11 acteurs kurdes et 11 acteurs britanniques ont prêté leur voix aux personnages.

D’après Havi Shakur, « le projet a rencontré un grand intérêt au Kurdistan, nous avons reçu beaucoup d’aide et d’encouragement de la part des gens là-bas. Pour son élaboration, nous avons fait des recherches méticuleuses, afin que chaque détail soit rendu de la manière la plus authentique possible ». Les deux créateurs se sont notamment attachés à la reconstitution fidèle des maisons kurdes, des vêtements et des paysages, et ont constamment soumis leurs essais à leurs contacts au Kurdistan, pour s’assurer de la justesse des décors.

Stuart Palmer, qui travaille aussi pour Splash Productions, raconte comment l’idée de ce film leur est venue : « Tous les deux, nous voulions utiliser nos talents à créer quelque chose d’unique, et qui en vaille vraiment la peine. Moi même, je ne connaissais pas grand chose à la culture kurde et cela a été une chance pour moi d’explorer quelque chose d’un peu différent. Nous avons alors contacté le Goodwin Development Trust pour qu’ils nous financent durant tout le processus de fabrication, qui devait prendre un an. Mais ils ont été tellement emballés par l’idée qu’ils ont décidé de se joindre à nous pour développer le projet. »

Le film comporte deux versions, une en kurde et une anglaise (sous-titrée en kurde). Ses créateurs espèrent le voir diffuser sur les chaînes de télévision kurdes, ainsi qu’en DVD pour les pays d’Europe, les Etats-Unis, le Canada et le Kurdistan.