Le 1er juillet, une opération policière lancée simultanément à Istanbul, Ankara, Trébizonde, Malatya, qui a mobilisé près de 6 000 policiers, a abouti à l’arrestation de 21 personnes, toutes opposantes à l’AKP, le parti au pouvoir. Dix seront finalement inculpées pour « appartenance à une organisation terroriste ». Parmi elles, deux généraux à la retraite, Hursit Tolon et Sener Eruygur, deux anciens « faucons » au sein de l’armée. Sener Eruygur préside toujours une très influente Association pour la pensée d’Atatürk à caractère fortement nationaliste, et fut un des meneurs, l’an passée, des manifestations « pro-laïques » hostiles à l’élection à la présidence d’Abdullah Gül. Le journal Radikal, qui multiplie les « révélations gênantes » pour l’institution militaire, le désigne aussi comme étant à l’origine de deux tentatives de putsch en 2003 et 2004, qui avaient notamment pour but d’empêcher la signature du plan de paix pour Chypre, élaboré par Koffi Annan, le secrétaire général des Nations unies, ainsi que la réunification de l’île, prévue par ce même plan.
L’affaire dite « Ergenekon » a éclaté en 2007, quand un arsenal avait été découvert, dans une maison abandonnée près d’Istanbul. 80 personnalités influentes de la société turque sont sous les verrous, accusées d’être membres d’une organisation clandestine, « Ergenekon », d’inspiration ultra-nationaliste. Son but serait la déstabilisation de la Turquie, à l’aide d’attentats « terroristes », imputés soit aux Kurdes soit aux islamistes, et d’assassinats ciblés, comme celui du journaliste d’origine arménienne Hrant Dink ou celui des missionnaires chrétiens de Malatya. Cette cellule clandestine serait ainsi un nouvel avatar de « l’Etat profond », ce réseau secret agissant au sein de l’Etat de façon quasi-autonome, depuis l’époque de la guerre froide. Parmi les inculpés, on trouve un nombre important de militaires à la retraite, des journalistes, des avocats, des membres de la classe politique une personnalité mafieuse...
Intervenant en pleine crise politique, alors que l’AKP est lui-même menacé de dissolution par la Haute-Cour, ce coup de filet a été présenté, par les opposants au pouvoir, comme une réplique du gouvernement à ses adversaires. Mais le journal Radikal, sous la plume d’Ismet Berkan, étaie (par avance) les 2500 pages de l’acte d’accusation, non encore révélé, au public, rédigé par le procureur après 13 mois d’enquête. Le journaliste se livre à une charge vigoureuse contre les généraux Hursit Tolon (ancien commandant en chef de la Première Armée) et Sener Eruygur, ancien chef de la Gendarmerie, en les accusant d’avoir été à l’origine de l’échec du plan de paix pour Chypre en 2003.
Quant au journal Taraf, tenu par le romancier libéral Ahmet Altan, il fait état d’un plan de déstabilisation de tout le pays. Le réseau Ergenekon devait ainsi organiser, le 7 juillet, dans quarante villes, des manifestations à caractère violent en faveur des juges chargés de statuer sur l’interdiction de l’AKP. L’une d’elles, à Gaziantep devait être menée par le général Tolon et le patron d’une chaîne nationaliste. Lors de ces manifestations, il était prévu que des tireurs anonymes recrutés parmi des cellules ultranationalistes ouvrent le feu sur les manifestants, afin de monter l’opinion publique contre le gouvernement. Dans le même temps, plusieurs personnalités, dont des intellectuels et des journalistes, auraient été assassinées. Les troubles qui en auraient découlé auraient ainsi amené les citoyens turcs à soutenir un putsch militaire.
Une autre révélation du journal Taraf met l’armée dans l’embarras : A Daglica, localité située dans la région kurde de Hakkari, une embuscade attribuée au PKK, aurait été instrumentalisée par le commandement qui, informé de l’imminence de l’attaque, a choisi de laisser les soldats endurer le feu. Treize d’entre eux ont été tués dans l’affrontement. A la faveur de cette attaque, l’armée turque avait ainsi pu préparer et justifier son opération au nord de l’Irak, l’hiver dernier, pour, selon elle, éradiquer les bases du PKK installées au mont Qandil. Pour toute réponse aux accusations de Taraf, l’armée a menacé le journal de venir chercher « par la force » les documents secrets qu’il affirme posséder et qui prouveraient ses dires.
Dans ce contexte agité, le 30 juillet, la décision de la Cour constitutionnelle est rendue au sujet de l’AKP : la majorité de 7 juges n’ayant pas été atteinte, à une voix près ce parti échappe à la dissolution et aux cinq ans d’inéligibilité qui avaient été requis pour 71 de ses membres. Mais jugé cependant coupable d’activités anti-laïques, il est condamné à reverser la moitié de son financement public actuel.
De l’avis des observateurs de la vie politique en Turquie, ce jugement mitigé peut être ainsi l’amorce d’une « trêve » entre le gouvernement et la classe judiciaire, appuyée par l’armée, après un début de mois mouvementé et très incertain pour la stabilité du pays. Les fortes pressions exercées par l’Union européenne et Washington pour éviter le scandale de l’interdiction d’un parti sorti victorieux des urnes ont également contribué à conduire la haute hiérarchie militaire à se résoudre à composer avec l’AKP.
Les élections des Conseils provinciaux, qui devraient normalement se tenir en octobre prochain, ont provoqué beaucoup de remous en Irak et suscité un grand mécontentement parmi les Kurdes. La question du report ou non de ces élections, en raison des situations sensibles et non encore résolues dans les districts kurdes hors de la Région du Kurdistan, fait en effet débat depuis plusieurs mois. S’ajoute à cela la rédaction de la nouvelle loi électorale, qui doit statuer notamment sur les découpages de circonscriptions et le recensement des électeurs.
Si certains Irakiens demandent le report de ces élections, les Etats-Unis, eux, poussent fortement pour qu’elles soient maintenues. Avec la réduction des violences à Bagdad et le vote de la loi sur le partage des ressources tirées des hydrocarbures, ces élections représenteraient pour eux une étape politique à forte portée symbolique, allant dans le sens d’une amélioration et d’une normalisation de la situation en Irak. De plus, le rééquilibrage des pouvoirs que ces élections mettraient en place pourraient apaiser les tensions locales... ou les aviver. Car le bloc de l’Alliance kurde au Parlement de Bagdad a boycotté le vote de cette loi, qui propose de diviser Kirkouk en quatre circonscriptions et répartit les pouvoirs des Kurdes, Arabes et Turkmènes à 32% chacun, 4% allant aux autres minorités (et non sur la base du recensement de 1957, donc). Le partage des sièges du Conseil provincial se ferait donc, selon les voeux d’une centaine de députés arabes et turkmènes, avec 10 Kurdes, 10 Arabes, 10 Turkmènes et 2 chrétiens.
Mais les Kurdes rejettent cette répartition qui, selon, eux, est très loin de refléter la véritable démographie de Kirkouk et donc, le vote réel des électeurs, rendu par avance inutile, comme le souligne Mahmoud Othman, député de l’Alliance kurde : « Si vous réservez les sièges avant même les élections, pourquoi voter dans ce cas ? » La loi prévoyait aussi le retrait de Kirkouk des Peshmergas et l’implantation de soldats irakiens venus du centre et du sud pour assurer la sécurité, ce qui n’est pas vu d’un bon oeil par la population kurde.
Aussi, le vote de la loi, survenu le 22 juillet, alors que seulement 140 députés sur 275 étaient présents, est apparu d’emblée comme sujet à caution. Les deux vice-présidents du Parlement, le chiite cheikh Khalid al-Attiya et le Kurde Aref Tayfour ont aussi boycotté le vote, tandis que des manifestations populaires étaient organisées dans toutes les villes de la Région du Kurdistan, pour protester contre son adoption. Plusieurs milliers de personnes ont ainsi défilé à Erbil, capitale de la Région du Kurdistan, certaines brandissant même des pancartes assimilant Mahmoud Mashadani, le président du Parlement irakien, à Saddam Hussein. A Suleymanieh, en plus de manifester, des milliers de protestataires ont adressé au gouverneur une requête à destination du Parlement irakien. A Duhok, le 31 juillet, des manifestants ont de même présenté une déclaration contestant la loi, destinée au Secrétaire général des Nations Unies, au président irakien, au président du Kurdistan et à d’autres officiels du pays.
Par ailleurs, deux jours après son vote par l’Assemblée nationale irakienne, la loi électorale a été finalement rejetée par le Conseil présidentiel, le président de l’Irak Jalal Talabani et son vice-président Adel Abdel Mahdi, ayant mis leur veto, jugeant que cette loi contenait des irrégularités constitutionnelles et des violations de procédures. Toute loi votée devant être approuvée à l’unanimité par les trois membres de ce Conseil, les députés se sont ainsi vus contraints de réviser le projet de loi, ce qui rend encore plus incertain le respect de la date prévue pour ces élections.
Ce rejet apparaît aussi comme un camouflet, de la part de la présidence irakienne, envers les USA et le Premier ministre Nouri Al-Maliki. Mais selon Jalal Talabani, le climat et les conditions dans lesquels la loi a été votée ne pouvaient que causer « d’énormes dommages à l’unité du pays ».
Pour leur part, et en réaction contre ce vote, les membres kurdes du Conseil provincial de Kirkouk ont, dans un appel, boycotté cette fois par les Arabes et les Turkmènes, réclamé le rattachement de Kirkouk à la Région du Kurdistan. « Nous présentons une requête, signée par 24 membres sur 41, demandant l’annexion de Kirkouk à la Région du Kurdistan d’Irak », a déclaré Mohammed Kamal, membre de ce conseil, à Voice of Iraq, ajoutant que la soumission de cette requête au Parlement d’Irak était « un droit constitutionnel. » Naturellement, la réaction des autres blocs politiques ne s’est pas fait attendre. Mohammed al-Jubouri, un membre arabe du Conseil provincial, a indiqué son refus radical que Kirkouk devienne « une partie du Kurdistan », en y voyant les germes d’une future guerre civile. Interrogé par la radio Al-Sharqiya, le représentant turkmène du même Conseil, Fawzi Akram, a déclaré que cette annonce des Kurdes confirmait les craintes turkmènes et a appelé le président Talabani à « adopter une position constitutionnelle face à cette demande. »
Mais interrogé par cette même radio, Awat Muhammad, de la liste Fraternité kurde à Kirkouk, a tenu un langage plus nuancé : « Nous souhaitons sincèrement que les négociations des blocs parlementaires à Bagdad parviennent à une solution satisfaisante concernant cette loi sur l’élection des conseils provinciaux en Irak. Malheureusement, la loi a été approuvée le 22 juillet par le Conseil des représentants irakiens, en l’absence des représentants du peuple kurde et de Kirkouk. Cela a entrainé une crise. La seule option possible était d’avoir recours à la Constitution. Nous avons jugé que la solution appropriée était de demander à la présidence du Conseil provincial une requête, signée par la majorité des membres, adressé au Conseil présidentiel, afin d’appliquer la loi sur la formation des régions. Ce qui signifie que notre gouvernorat a demandé à rejoindre la Région du Kurdistan. C’est une demande légale, qui ne doit pas être interprétée comme une rupture par le Centre, ou comme une décision unilatérale. »
L’article 119 de la Constitution irakienne stipule en effet qu’un ou plusieurs gouvernorats ont le droit de s’organiser en régions, sur la base d’une requête, qui devra être approuvée par référendum, et que cette requête peut être constituée de deux façons : soit appuyée par 1/3 des membres de chaque conseil provincial, soit par 1/10 des électeurs de chaque gouvernorats.
Mais Mahmud Othman, député de l’Alliance kurde, a indiqué que le gouvernement de la Région du Kurdistan n’avait pas l’intention d’annexer Kirkouk, tout en confirmant que le Conseil provincial avait fait parvenir sa demande au gouvernement fédéral, au Gouvernement du Kurdistan, et aux parlements de Bagdad et d’Erbil. »
Dans le même temps, les attaques terroristes ne faiblissaient pas à Kirkouk, où un attentat suicide, survenu le 28 juillet, lors d’une manifestation kurde contre cette loi, a tué une vingtaine de personnes et blessé de nombreuses autres, l’attaque ayant déclenché un mouvement de panique dans la foule qui a contribué à aggraver le bilan des victimes. Selon Najat Hassan, responsable du Parti démocratique du Kurdistan à Kirkouk, quand des manifestants kurdes, fuyant les lieux de l’explosion se sont rapprochés des bureaux d’autres partis politiques, les gardes ont tiré en l’air pour les éloigner, provoquant alors la riposte de personnes armées au sein de la foule. Le docteur Sharzad Hamed Aziz, de l'hôpital Azaadi de Kirkouk, a fait état de 22 morts et de 120 blessés, dont 30 grièvement.
Deux jours auparavant, c’est un journaliste kurde de 23 ans, Soran Mammah Hammah, qui était tué par des inconnus, dans cette même ville, alors qu’il rentrait à pied à son domicile. Les assassins se sont enfuis en voiture. Reporters sans frontières, dans sa condamnation du meurtre, a ajouté que Soran Mammah Hammah « écrivait des articles très critiques contre des hommes politiques locaux et des responsables de la sécurité et avait reçu des menaces qui l'enjoignaient de cesser ses enquêtes. »
Le 9 juillet, trois alpinistes allemands, Helmut Johann, Martin Georpe et Lars Holper Reime, ont été enlevés sur le Mont Ararat par le PKK, enlèvement confirmé par l’agence de presse kurde Firat, dès le lendemain. Ces Allemands faisaient partie d'un groupe de 13 alpinistes. Ils ont été enlevés alors qu'ils campaient sur le mont Ararat à une altitude de 3.200 mètres. Cinq combattants kurdes sont arrivés et ont emmené les trois hommes.
Les motifs avancés dans le communiqué des forces de la guérilla kurde étaient la « politique hostile de l’Allemagne à l’égard du PKK : « Les touristes allemands ne seront pas relâchés tant que le gouvernement allemand n'annoncera pas qu'il a abandonné sa politique hostile à l'égard du peuple kurde et du PKK. » Le mouvement a également assuré que les trois otages étaient en bonne santé, n’avaient pas été maltraités et a appelé aussi à la fin des opérations militaires dans la zone de l'enlèvement.
Selon l’hebdomadaire Der Spiegel, à la fin du mois de juin le conseil exécutif du PKK avait adressé une mise en garde au gouvernement d’Angela Merkel contre les « conséquences négatives » de sa politique envers le parti. Depuis plusieurs années, l’Allemagne a procédé à de nombreuses arrestations et procès à l’encontre de responsables du PKK vivant sur son sol. En juin dernier, le ministre allemand de l'Intérieur, Wolfgang Schäuble, avait interdit le travail dans son pays des équipes de la télévision kurde Roj TV, basée au Danemark, et avait ordonné la fermeture de la société de production VIKO Fernseh Produktion GmbH, basée à Wuppertal, qui produisait des émissions pour la chaîne kurde. Ce parti, classé sur les listes des « organisations terroristes » de l’Union européenne, est interdit depuis une quinzaine d’année en Allemagne, ce qui ne l’empêche pas d’être présent de façon clandestine, ou sous couvert d’associations diverses, l’Allemagne abritant la plus forte communauté kurde en Europe (plus d’un demi-million), très majoritairement venue du Kurdistan de Turquie. Selon l'Office allemand pour la protection de la Constitution, il y aurait au moins 11.500 membres actifs répertoriés dans ce pays.
Comme prévu, le ministre allemand des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, a immédiatement rejeté les conditions formulées par le PKK pour la libération des otages, qu’il a exigée sans contrepartie: « La République fédérale ne répond pas au chantage. » Le ministre de l'Intérieur, Wolfgang Schäuble, a, de même, affirmé qu’il n’y aurait aucune négociation possible : « Il est hors de question pour nous de négocier avec le PKK sur l'application des lois allemandes ». Wolfgang Schäuble a aussi annoncé l’envoi d’enquêteurs de la police criminelle allemande en Turquie. Pour sa part, Angela Merkel a appelé à la libération immédiate des otages et a refusé aussi l’éventualité de céder au « chantage ».
Le même jour, en visite à Bagdad, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a fait état de la « volonté » des gouvernements irakiens et kurdes de combattre le PK : « Nous avons obtenu le soutien du gouvernement Maliki et du gouvernement régional du Kurdistan irakien contre le PKK. Le PKK est une menace, pas seulement pour l'Irak et la Turquie, mais pour toute la région. Nous n'autorisons pas de telles organisations à empoisonner les relations entre nos deux pays. Il y a une compréhension commune du problème. Il y a une volonté commune de défaire l'organisation ».
L’enlèvement des trois Allemands n’a pas interrompu les affrontements entre l’armée turque et le PKK, et le 11 juillet, les autorités turques annonçaient la mort de dix combattants kurdes, dans un accrochage avec l’armée près de Sirnak. Un milicien « gardien de village » a également été tué. Dans le même temps, des troupes paramilitaires turques investissaient le mont Ararat, déclaré zone interdite, pour tenter de libérer les alpinistes, ce qui a déclenché un nouveau communiqué du PKK, le 14 juillet, appelant, cette fois, à l’arrêt des opérations militaires. Le mouvement se déclarait « prêt à relâcher les trois touristes allemands à la condition que la Turquie interrompe ses attaques militaires dans la région où ils ont été capturés et que la libération se fasse sous l'égide d'une organisation internationale comme la Croix Rouge ». La porte-parole de l'organisation kurde, Sozdar Avesta, qui s’exprimait du mont Qandil, dans le Kurdistan d’Irak, a précisé que les Allemands étaient en bonne santé.
Mais les combats se sont poursuivis près des frontières iraniennes et irakiennes, faisant 33 victimes de plus parmi la guérilla, selon les sources turques, contre deux morts parmi les soldats.
Finalement, comme cela était prévisible dès le début de l’affaire, les alpinistes ont été libérés par le PKK le 20 juillet, apparemment sans contrepartie, et ont été récupérés par les forces turques. Le gouverneur de la province d’Agri (Ararat), dans une conférence de presse, a bien sûr affirmé que la pression militaire exercée autour des ravisseurs les avaient obligés à cette libération, mais il est en fait peu probable que le PKK ait eu l’intention de garder indéfiniment ces otages. Ce genre d’enlèvements, s’il s’est déjà produit, est resté plutôt rare de la part de ce mouvement et n’a jamais abouti à de longues détentions. Il s’agit plutôt de coups d’éclat visant à frapper les opinions publiques turque et internationale.
De retour en Allemagne, l’un des trois alpinistes, Lars Holger Reime, a déclaré qu’ils avaient été « relativement bien traités » par les guérilleros en confiant que leur crainte majeure, durant leur détention, était une intervention militaire turque, qui les aurait fatalement gravement exposés.
Amnesty International a publié le 29 juillet un rapport qui dénonce l’Iran et sa répression contre les minorités, répression qui va en s’intensifiant, selon l’organisation de défense des droits de l’Homme.
Amnesty dénonce ainsi tout un éventail de discriminations et d’abus des droits de l’Homme exercés à l’encontre des12 millions de Kurdes vivant en Iran, soit 15% de la population totale du pays. Ces discriminations peuvent être aussi bien religieuses que culturelles, les Kurdes étant majoritairement sunnites et non chiites. Mais elles concernent aussi les questions de logement, d’emploi, d’éducation. Enfin, les media kurdes dénonçant les atteintes aux droits de l’Homme sont tout particulièrement pris pour cible par les autorités : « La constitution iranienne proclame l’égalité de tous les Iraniens devant la loi. Mais, comme le montre notre rapport, ce n’est pas la réalité pour les Kurdes d’Iran, a déclaré un des responsables de l’organisation. « Le gouvernement iranien n’a pas pris de mesures suffisantes pour éradiquer les discriminations, ou pour mettre fin au cycle de la violence contre les femmes, et punir les responsables. »
Le rapport insiste sur la situation critique des femmes kurdes, doublement persécutées en tant que minorité ethnique défavorisée, et aussi par les interdits tant religieux que culturels qui frappent leur condition : inégalité dans l’accès à l’éducation, mariages précoces et forcés, violence domestique allant jusqu’au crime d’honneur ou bien entraînant des suicides. Pourtant, selon Amnesty International, les femmes kurdes sont un pilier majeur de l’activité économique au Kurdistan et il est vrai que dans tout l’Iran, les conséquences démographiques de la guerre avec l’Irak ont fait chuter la population masculine.
« Les femmes kurdes sont victimes de violences quotidiennes et rencontrent des discriminations officielles de la part de l’Etat, mais aussi de la part d’autres groupes ou d’individus, ceci incluant leur propre famille. Les autorités iraniennes doivent exercer une vigilance constante pour éradiquer la violence contre les femmes dans les foyers et dans leur communauté, mais cela n’est pas le cas » recommande le rapport. Mais le code de lois iraniennes étant fondé sur une interprétation extrêmement passéiste et rigoriste de la sharia shiite. Ainsi, dans certains cas, il est légal pour un homme de battre sa femme, permettant, par exemple, à un homme de frapper son épouse sous certaines conditions et l’âge légal du mariage pour les filles a été abaissé à neuf ans. La pratique religieuse officielle étant elle-même dans de nombreux cas plus discriminatoire et plus oppressive que les modes de vie traditionnels des minorités les plus défavorisées, on ne voit pas bien comment l’Etat pourrait contribuer à améliorer cet état de choses.
Par ailleurs, Amnesty International indique qu’en ce qui concerne les droits culturels des Kurdes, par exemple le port de leurs vêtements traditionnels, leurs musiques, ils sont généralement respectés, et la langue kurde est utilisée dans des media. Cependant, l’organisation fait état d’actes d’intimidation ou de répression dirigés contre l’identité kurde, sous couvert de « sécurité intérieure » et de lutte contre la guerilla du PJAK. Sont évoqués plusieurs cas d’emprisonnements abusifs, de procès iniques, et de nombreuses condamnations à mort.
Farzad Kamangar, Ali Heydariyan et Farhad Vakili, ont été ainsi convaincus du délit de « moharebeh » (ennemi de Dieu), et condamnés à mort, alors que leurs jugements ont été tous entachés de graves irrégularités et que les détenus ont été très sérieusement torturés. Ils étaient accusés d’allégeance ou d’appartenance au PKK (soit sa branche iranienne, le PJAK). Ali Heydariyan et Farhad Vakili ont été condamnés en plus à dix ans de prison pour « falsification de documents » et, selon la loi iranienne, ils doivent d’abord purger leur peine de détention avant d’être exécutés.
Farzad Kamangar, un enseignant de 32 ans, a constamment nié les accusations portées contre lui et a révélé que les autorités lui avaient demandé d’écrire une lettre demandant leur clémence. Son refus a été interprété comme un aveu de culpabilité. Depuis le 11 juillet, sa sentence a été confirmée et il peut être exécuté à tout moment. Le 21 juillet, un rassemblement d’un millier de personnes s’est tenu dans la capitale provinciale kurde de Sanandaj, pour dénoncer cette sentence et l’emprisonnement des autres détenus.
En mai dernier, Mohammad Sadiq Kabudvand a été condamné à onze ans de prison par la 15ème Chambre de la Cour évolutionnaire de Téhéran, soit dix ans pour avoir menacé « la sécurité de l’Etat en fondant l’Organisation des droits de l’Homme au Kurdistan (HROK) », et un an pour « propagande contre le système ». Le procès s’est déroulé à huit-clos, comme cela arrive fréquemment dans ce genre d’affaires politiques, ce qui est régulièrement dénoncé par les avocats de la défense en raison de toutes les irrégularités de procédure que cela permet. Amnesty International a déclaré considérer Mohammad Sadiq Kabudvand comme un prisonnier d’opinion, détenu uniquement pour avoir usé pacifiquement de ses droits à la liberté d’expression et d’association, durant l’exercice de sa présidence à la tête de HROK, et aussi en tant que journaliste. Il faut rappeler que l’Iran est signataire de la Convention internationale sur les droits civils et politiques, laquelle garantit justement de telles activités.
Hana Abdi, étudiante en psychologie, a été arrêtée le 4 novembre 2007, alors qu’elle se trouvait chez son grand-père, à Sanandaj. Détenue au secret trois mois durant, elle a été condamnée à cinq ans de prison, en juin dernier, peine qu’elle devra purger dans une autre province, et donc loin de sa famille et de ses amis, ce qui rendra les conditions de son emprisonnement encore plus difficiles. Selon son avocat, la 2ème Chambre de la Cour révolutionnaire de Sanandaj l’a jugée coupable de « collecte et de collusion pour fomenter un crime contre la sécurité nationale. » Elle est en fait membre active de la « Campagne pour l’égalité”, lancée par des femmes iraniennes pour mettre fin aux discriminations légales qu’elles rencontrent en Iran. Amnesty International donne de la même façon, le statut de prisonnière d’opinion à Hana Abdi.
En plus des Kurdes, ce rapport de 57 pages fait état de discriminations à l’encontre des Arabes de l’Ahwaz et des Baloutches.
A l’initiative du Gouvernement régional du Kurdistan, une conférence s’est tenue à Erbil pour débattre d’une réduction éventuelle de la peine de mort au Kurdistan d’Irak, comme l’explique l’organisateur de la conférence, le Docteur Shwan Muhammad, ministre des Droits de l’Homme pour la région kurde : « Nous travaillons à faire réduire l’usage de la peine capitale au Kurdistan, en accord avec les lois irakiennes. »
Des représentants du ministère, des avocats, des juges, des responsables d’organisations locales et internationales, ainsi qu’un certain nombre de députés du Parlement kurde y assistaient. Selon le ministre des Droits de l’Homme, les participants étaient réunis pour donner leur avis sur les moyens de réduire l’usage de la peine de mort et de suggérer des modifications à apporter à la loi antiterroriste. Cette loi, votée initialement le 16 août 2006, prévoit en effet l’usage de la peine capitale, mais pour une durée de deux ans seulement. Ainsi, cette disposition devait expirer en août 2008. C’est l’opportunité de ce calendrier qui a permis au ministre Shwan Muhammad de poser les prémices d’un débat futur sur l’abolition de la peine capitale, abolition qu’il présente comme un objectif majeur de la part de son ministère. Mais le principal obstacle à cette abolition est la menace terroriste qui pèse sur tout l’Irak, et pèse sur le vote parlementaire et l’opinion publique. Cependant, Shwan Muhammad se montre relativement optimiste, même si le parlement d’Erbil a reconduit, le 29 juin dernier, cette loi anti-terreur pour deux ans encore, soit jusqu’au 16 juillet 2010 : « Quand cette menace aura disparu, alors le Parlement travaillera avec nous, afin d’arriver à l’abolition complète de la peine capitale au Kurdistan ».
« Les commissions parlementaires des droits de l’Homme et des Affaires intérieures ont insisté sur l’importance du projet et affirmé que cette loi mériterait plus d’analyses et d’amendements » a déclaré Tariq Jawher, un conseiller d’Adnan Mufti, le porte-parole du Parlement, tout en soulignant que la loi, telle qu’elle a été reconduite, a subi quelques améliorations, par exemple le raccourcissement du délai de jugement pour les inculpés, dans les affaires de terrorisme. Mais cela ne satisfait pleinement ni le ministre des Droits de l’Homme, ni les organisations non-gouvernementales.
Autre intervenant à ce débat, le général de brigade Mustafa Ali Bawil-agha, directeur de la prison centrale d’Erbil a exposé qu’avec ou sans la peine de mort, son principal souci était d’assurer la paix et la sécurité dans le pays, avant de conclure : « Si, sans cette sentence, la population est en sécurité, alors abolissons la peine de mort. »
Selon les statistiques du ministère des Droits de l’Homme, 34 personnes ont été condamnées à mort en trois ans. Mais la peine capitale a été décrétée et utilisée dès la première année du parlement autonome kurde, en 1992, ce qui fait un total de 89 condamnations, dont trois femmes. 25 sentences ont été réellement exécutées, 7 en 2002, le reste en 2006, 2007 et 2008. Toutes ces exécutions ont eu lieu à Erbil, sauf l’une, à Duhok.
Un double attentat survenu à Istanbul le 27 juillet a fait 17 morts et plusieurs dizaines de blessés, dont certains très gravement. Deux bombes posées dans des conteneurs à ordures ont explosé à dix minutes d’intervalle, dans une rue piétonne de la partie européenne d’Istanbul, à Gungoren, un quartier populaire.
Le gouverneur de la ville, Mohammad Güler, a immédiatement accusé le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Cette accusation a été relayée par la chaîne d'information NTV, ainsi que par de nombreux journaux, dont Hürriyet et Vatan. Le leader du CHP, Deniz Baykal, a de même désigné le mouvement kurde comme responsable, tout comme le gouvernement turc.
Mais le fait que cet attentat se produise le jour même du début des délibérations de la Cour constitutionnelle, qui devait statuer sur l’interdiction ou non de l’AKP pour « activités anti-laïques », le fait aussi qu’il intervienne dans un contexte politique troublé par les éclaboussures politico-médiatiques de l’affaire « Ergenekon », font aussi penser à une possible tentative de déstabilisation du pays de la part des réseaux liés à « l’Etat profond ». Si le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a lui aussi désigné le PKK, il a cependant modéré ses propos en appelant les media à la prudence : « S'il vous plaît, ne donnez pas de nom au terrorisme. Laissez les forces de sécurité étudier leurs dossiers et lui donner un nom. »
La BBC a diffusé opportunément un entretien avec le chef des forces armées du PKK, Murat Karayilan, entretien datant de plusieurs semaines, dans lequel ce dernier évoquait de possibles attaques contre des « cibles économiques et militaires dans des villes turques », en représailles des incursions armées turques contre ses bases.
Mais le Parti des Travailleurs du Kurdistan n’a pas tardé à démentir toute implication dans cet attentat. La « thèse du PKK » a été cependant maintenue par le ministre de l’Intérieur, Besir Atalay, qui a annoncé l’arrestation de dix suspects, et l’inculpation de huit d’entre eux pour « appartenance au PKK ». Parmi eux, deux de ces hommes auraient été aperçus non loin des lieux de l’attentat, peu avant l’explosion, avec « un comportement suspect ».
Cependant, le chef du service de renseignement allemand (BND), Ernst Uhrlau, met en doute cette version dans le quotidien allemand Bild. Selon lui, ce type d’attentat « ne colle pas vraiment avec le PKK » et il y voit plutôt une action d’islamistes liés à Al-Qaïda : « La technique employée dans l'attaque, le lieu, et le moment choisi rappellent plutôt un contexte islamiste ou turco-turque. Nous savons que des terroristes islamistes sont également au travail en Turquie, où ils participent à un Djihad global. »
Le 21 juillet, le chef du Parti de la Gauche kurde (PGK) un parti interdit en Syrie, a été arrêté à Damas par les services de sécurité. C’est l’Organisation nationale des droits de l'Homme en Syrie (ONDHS), qui a annoncé la nouvelle, dans un communiqué dénonçant cette « mesure anticonstitutionnelle ». Elle a indiqué que Mohammad Moussa, âgé de 56 ans, a déjà subi des pressions policières dans le passé. Les services de sécurité de la ville kurde de Hassaké l’avaient ainsi plusieurs fois convoqué et interrogé sur ses activités ainsi que sur ses déclarations à la presse arabe.
Selon l'ONDHS « le mandat d'arrêt n'a pas été émis par les autorités judiciaires mais par les services de sécurité en vertu de la loi d'urgence en vigueur en Syrie depuis 45 ans. » Aussi l’organisation exige des autorités syriennes qu’elles renoncent « à leur droit absolu qu'elles se sont octroyé d'une manière illégale au nom de la loi d'urgence pour mener des arrestations », en demandant la libération immédiate du leader kurde.
Quant au Parti de la Gauche kurde, il demande également que son secrétaire général soit relâché, dans une déclaration faite à l’AFP : « Mohammad Moussa est un nationaliste qui défend les intérêts et les droits légitimes du peuple kurde ainsi que ceux de tout le peuple syrien ».
Dans un entretien accordé au magazine The Window, un journal universitaire de Suleïmanieh, Jay Garner, en visite au Kurdistan d’Irak, revient sur les années qui ont suivi la chute du régime baathiste en Irak et les conséquences politiques pour le Kurdistan.
Jay Montgomery Garner, général maintenant à la retraite de l’armée américaine, avait dirigé en 1991 l’opération Safe Haven, qui avait permis d’endiguer l’exode massif des Kurdes en instaurant une zone de protection aérienne, qui devait constituer le noyau politique et administratif de l’actuel Région du Kurdistan. En 2003, à la chute du régime de Saddam Husseïn, il avait été nommé par son pays à la tête du Bureau pour la reconstruction et l’aide humanitaire en Irak, mais n’était resté en poste qu’un mois, remplacé très vite par Paul Bremer et l’Autorité provisoire de la Coalition. Jay Garner reconnait lui-même que s’il savait que cette mission serait courte, il ne l’avait tout de même pas envisagé qu’elle se termine aussi rapidement : « La raison de mon remplacement était que je ne suis pas un diplomate. Je n’ai jamais exercé aucune fonction diplomatique. »
Mais il est à noter que Jay Gardner prône pour l’Irak une solution fédérale, seul moyen pour que ce pays survive, selon lui, ce qui allait totalement à l’encontre de la politique centralisatrice qu’avait voulu mettre en place Paul Bremer dans un premier temps. Pour l’ancien général, un système fédéral pourrait apporter une issue rapide à l’enlisement du conflit, sans affaiblir le gouvernement central, qui resterait décisionnaire sur les questions de politique étrangère, des devises, des impôts, des frontières : « Si l’Amérique avait opté, dès le début, pour le fédéralisme, elle n’aurait pas eu à faire face aux problèmes actuels. Si nous voulons un Irak stable, il faut en faire un Etat fédéral. »
Se présentant lui-même comme un « ami des Kurdes », Gardner reste plus évasif sur les sentiments de l’actuel gouvernement américain envers eux : « Je ne peux pas parler des relations stratégiques entre les Kurdes et l’Amérique, parce que je ne fais pas partie de l’administration américaine. Je suis incapable de dire ce que George Bush, Dick Cheney et Condoleza Rice pensent des relations entre l’Amérique et les Kurdes. »
Mais l’ancien officier est plus direct sur la situation irakienne. S’il est très approbatif envers le « succès kurde », le reste de l’Irak est, pour lui, un désappointement : « Cinq ans après la guerre en Irak, la situation reste décevante. En fait, l’Amérique a réussi dans une certaine mesure, à renforcer la sécurité, mais si l’on regarde le processus politique, il est très lent, et le Gouvernement régional du Kurdistan est la seule « success story » de l’Irak. » Succès qui, selon lui est dû principalement à deux points : la libération des Kurdes de la Région du joug baathiste, par les troupes de la Coalition, dix-sept ans auparavant, mais aussi à la population kurde elle-même : « Regardez la structure du GRK : il y a beaucoup de femmes à l’intérieur, particulièrement à Suleïmanieh. Sur cinq directeurs de projets, trois sont des femmes. Cela montre une volonté de la part du GRK, d’avoir des membres féminins. Il y a, au Kurdistan, une constitution qui octroie des droits aux minorités. Nous pouvons dire que, pour le reste de l’Irak, le Kurdistan pourrait être un modèle. En Irak, les Kurdes ont beaucoup souffert ; cependant ils ont été capables de perdurer. Actuellement, les Kurdes disposent de ressources naturelles variées, mais ce qui est important, est la méthode pour user de ces ressources. Ainsi, il faudrait encourager les jeunes à rester dans leur pays. »
Enfin, sur l’éventuelle question d’implantation de bases militaires au Kurdistan, le général américain soutient entièrement cette option : « J’ai toujours soutenu l’idée d’une base militaire US au Kurdistan d’Irak Pas une très grande base, mais une petite base militaire consistant en une force aérienne et une brigade. C’est important car cela renforcerait les relations entre les Kurdes et l’Amérique. Ce serait aussi envoyer le message aux pays du Moyen-Orient que l’Amérique y restera, à long terme, pour assurer la stabilité. »
En reportage à Diyarbakir, la radio Voice of America est revenue sur la lutte de l’ancien maire de Sur, Abdullah Demirtas, qui avait voulu introduire la langue kurde dans les services proposés par la municipalité. La publication de brochures d’informations en kurde lui avait valu d’être accusé de « nuisances au public en abusant de sa position » (article 257) et de l’usage illégal de « lettres anti-turques », c’est-à-dire non comprises dans l’alphabet turc, en vertu de l’article 222 (décrété à l’origine pour abroger l’alphabet ottoman). Ayant échappé à l’emprisonnement, Abudallah Demirtas n’en a pas moins été démis de ses fonctions, malgré le soutien de ses électeurs, en majorité kurdophones. Depuis 1991, l’usage du kurde, auparavant interdit, a été officiellement autorisé, surtout en privé, et dans les publications non-officielles, mais fait encore face à de nombreuses restrictions, en qui concerne l’enseignement, les media, l’usage public et administratif.
« Quand j’ai été élu, raconte Abdullah Demirtas, j’ai ordonné une enquête auprès de la population. Une énorme majorité souhaitait avoir accès à des services municipaux dans sa langue maternelle, soit le kurde à 72%, le turc à 24% et l’arabe à 2% Par conséquent, j’ai ordonné que les informations sur les formations et les services de la municipalité soient disponibles dans ces langues. Mais le ministre de l’Intérieur a jugé cela illégal, car le turc est la seule langue officielle. J’ai été démis de mes fonctions et les autorités ont retenu contre moi 20 chefs d’accusation pour ces publications en kurde. »
Mais interrogés par les journalistes, les Kurdes présents considèrent toujours Abdullah Demirtas comme leur maire, et insistent sur leur attachement à l’usage de leur langue, surtout qu’un certain nombre d’entre eux ne comprennent que très mal le turc. Ainsi, Z. Corun, une Kurde de 70 ans, a grandi dans un petit village, en un temps où très peu de filles étaient scolarisées. Sa famille et elle-même ont été déplacées de force à Diyarbakir, il y a quinze ans, après que leur village a été détruit par l’armée turque, dans ses combats contre le PKK. En plus de la dure adaptation dans un environnement urbain, entaché de pauvreté et de violence, les difficultés linguistiques ajoutent à la détresse de ces paysans déracinés : « J’étais si heureuse quand le maire a introduit ces services en kurde », raconte Z. Corun. « Jusque-là, tout ce qui était officiel se faisait en turc. Quand j’ai eu besoin d’aide pour mon mari, qui était malade, j’avais toujours peur que l’on se moque de moi quand j’essayais de parler en turc. C’est humiliant à mon âge ! Mais avec notre maire, c’était différent. Les officiels nous saluaient en kurde. Toutes les informations étaient dans notre langue. Cela a changé ma vie. Mais quand il y a un bon maire, qui fait quelque chose pour le peuple, l’Etat se débarrasse toujours de lui. »
Bien que des mesures aient été officiellement prises, de la part du gouvernement turc, pour alléger les interdictions pesant sur le kurde, surtout en raison des injonctions de l’Union européenne, la plupart de la classe politique turque reste fortement opposée à l’usage officiel du kurde.
Selon Kemal Kirisci, professeur en sciences politiques à l’université Bosphore d’Istanbul, cette opposition a pour fondement principal, la crainte d’une désintégration du pays :
« Qui est réellement turc, au sens ethnique de ce terme ? Quand vous grattez la surface d’un Turc, vous trouvez rapidement en-dessous que beaucoup d’entre eux sont des descendants de Bosniaques, de Tatars, de Turcs des Balkans, de Pomaks, peut-être d’Arabes dans le sud-est, et de Kurdes à coup sûr. Une telle composition sociale génère une grande inquiétude parmi les officiels et dans l’opinion publique, car ils pensent que si l’on donne un statut particulier à un groupe, alors la prochaine étape sera que d’autres voudront la même chose. »
Mais depuis 85 ans, c’est-à-dire depuis sa fondation, toutes les crispations et les peurs de la république turque n’ont pu résoudre le problème posé par les revendications constantes des Kurdes, et une identité qui résiste jusqu’ici à toutes les politiques, souvent brutales, d’assimilation. Sans un changement de politique radicale envers le problème kurde, il y a peu de chance que cet état de guerre, plus moins ouverte, se résorbe dans les régions du Kurdistan de Turquie.
« J’ai rencontré un maire à Londres, raconte Abdullah Demirtas, et je lui ai demandé si c’était un crime de fournir des informations en des langues autres que l’anglais. Il m’a répondu que ce n’était pas un crime du tout. Ce qui semble normal dans le monde, est ici illégal. Mais je crois que la force de toute société est dans sa diversité. Cela m’a brisé le coeur de m’entendre dire, toute ma vie durant, que je suis un Turc et que ma langue maternelle est le turc. » Pour l’avoir nié l’ancien maire de Sur s’est vu qualifié de terroriste, comme tant d’autres de ses compatriotes.