Le prochain retrait d’Irak de l’armée américaine pose de multiples questions sur les futures relations arabo-kurdes et les tensions qui restent non résolues. À Kirkouk, la Force combinée de Sécurité (FCS), composée de militaires américains, arabes et kurdes, pour assurer la sécurité de la province, se vide peu à peu de ses éléments américains pour devenir, fin 2011 une force uniquement composée de soldats irakiens et de peshmergas kurdes.
Faisant un bilan des résultats de la FCS, créée en 2010, le colonel américain Michael Bowers, chargé de conseiller le commandement central pour le nord de l'Irak en matière de stratégie, estime que son efficacité sur le terrain s’est révélée positive ainsi que la cohabitation des troupes arabes et kurdes. Mais les difficultés logistiques et financières assombrissent l’avenir de cette armée multi-ethnique. Enfin, la cohabitation entre Arabes et Kurdes au sein de cette force est jusqu’ici « patronnée » par les Etats-Unis.
Mais après le départ des troupes américaines, beaucoup craignent que le conflit entre Erbil et Bagdad au sujet de Kirkouk et des autres provinces revendiquées par les Kurdes ne fasse éclater cette cohésion.
Ainsi, à la fin du mois d’août, des troupes de peshmergas se sont déployées dans les districts à majorité kurde de la Diyala, à 55 km au nord de Bagdad, pour protéger les Kurdes qui y vivent, victimes de violences liées à l’instabilité de l’Irak et à l’incapacité de ce pays à protéger sa population. Dans une déclaration du bloc kurde au parlement de Bagdad, il est fait état d’environ 500 civils kurdes tués dans la Diyala et de 1400 familles qui ont dû fuir. Mais les Kurdes, et plus particulièrement l’UPK qui a ordonné le déploiement de ses peshmergas, soulignent que ces attaques ne sont plus le fait, maintenant, de terroristes, mais viennent davantage de milices arabes hostiles à la tenue d’un référendum qui détacherait éventuellement les districts kurdes pour les intégrer dans la Région du Kurdistan, en vue d’une « arabisation » de la Diyala. Les députés accusent même l’armée irakienne d’être à l’origine de plusieurs attaques contre les civils kurdes.
En 2003, juste après la chute du Baath, des Peshmergas avaient assuré la protection de la Diyala à la demande des Etats-Unis. Ils s’en étaient retirés en 2008, toujours à la demande américaine, pour laisser les Kurdes de la province entre les mains des militaires américains et des policiers et soldats irakiens. Le 18 août, le président du gouvernement kurde, Kemal Kirkouki, a déclaré que ce retrait, en 2008, avait été « une erreur stratégique » : « Ces zones font partie de la Région du Kurdistan, et il est de notre devoir d’y envoyer les forces des Peshmergas pour sauver la vie des citoyens. Nous avons demandé le déploiement des Peshmergas dans les parties kurdes de la Diyala et le gouvernement du Kurdistan d’Irak a répondu positivement. » 7000 Peshmergas ont alors pris position dans les bourgades de Sadiya et Jalawla, district de Khanaqin, où les Kurdes avaient été en butte à de multiples attaques. Selon la presse locale, ils seraient lourdement armés, et des religieux kurdes leur auraient même accordé une dispense pour le jeûne du Ramadan.
Les statistiques officielles les plus récentes indiquent que le nombre des Kurdes à y vivre a chuté depuis 2003 et que ces régions tendent à s’arabiser. À Jalawla, le nombre des Arabes serait ainsi passé de 40 à 77%, et à Sadiya, de 37 à 82%. Mais Jabbar Yawar, le porte-parole des Peshmergas affirme que cette baisse de la population kurde vient de leur situation dangereuse, en avançant que sur les 555 personnes assassinées dans la région, 423 étaient kurdes ; que 679 familles kurdes ont dû fuir sous les menaces à Jalawla, 610 à Sadiya et 64 à Qartaba.
Les attaques meurtrières se poursuivent au Kurdistan de Turquie. Le 17 août, huit soldats turcs ont été tués par la guerilla du PKK, dans la province de Hakkari, par deux mines ayant explosé au passage du convoi militaire. En représailles, l’aviation turque a bombardé « 168 objectifs du PKK » au Kurdistan de Turquie et violé la frontière irakienne pour pilonner, selon les communiqués officiels, « 85 objectifs et positions du PKK » situés au Kurdistan, dans la zone de Khakurk, Qandil et Zap.
Cela faisait un an que l’armée turque n’avait pas passé la frontière pour attaquer les bases du PKK. Le bilan humain de ces bombardements serait d’une centaine de morts dns les rangs du PKK, en plus de 80 blessés, selon la Turquie, qui indique aussi que 14 installations, 8 dépôts de vivres, un autre de munitions, neuf canons de DCA, 18 cavernes et 79 caches ont été touchés. Les Kurdes d’Irak dénoncent, eux, un raid de l’aviation responsable de la mort de 7 civils, dans la région de Qalah Dizah, dans le village de Kortek, dans la province de Suleïmanieh.
Une famille, fuyant en voiture, le 21 août, les bombardements, a été en effet entièrement massacrée. Les images et les vidéos des corps et des débris du véhicule, très choquantes, ont fait le tour de la presse kurde, des sites web, et ont été brandies dans des manifestations de protestions à Erbil, alors que la presse turque choisissait d’ignorer ces dégâts collatéraux. Amnesty International a réclamé des autorités turques une enquête indépendante pour éclaircir les circonstances de la mort de Hussein Mustafa Hassan, âgé de 61 ans, de sa femme, Mer Haci Mam Kak, 43 ans, de sa fille, Rezan Hussein Mustafa, 20 ans, de ses deux petites-filles, Sonia Shamal Hassan (2 ans) et Sholin Shamal Hassan (6 mois), 2 ans et 10 ans, de son fils, Zana Hussein Mustafa (11 ans) et sa nièce, Askar Khuzer Hassan (10 ans). De son côté, l’Irak a demandé l’arrêt immédiat de ces violations de son territoire et a protesté contre ces victimes civiles.
Ainsi pris entre deux feux, le gouvernement de la Région du Kurdistan a de nouveau appelé à un cessez-le-feu bilatéral. L’ancien Premier Ministre et l’actuel nº 2 du Parti démocratique du Kurdistan, Nêçirvan Barzanî, de retour de Téhéran, a ainsi appelé dans une interview donnée au journal Rudaw les combattants du PKK et du PJAK à déposer les armes. « Le gouvernement turc doit poursuivre une politique d'ouverture et de démocratie, et dans le cadre de cette politique, (le PKK) doit déposer les armes et entreprendre un combat civil et parlementaire en Turquie. »
En Turquie, les conséquences de la guerre se font sentir dans la vie politique et civile, en échauffant la rue turque contre les Kurdes et en incitant les citoyens kurdes à protester contre le durcissement de la politique d’Ankara. La répression policière d’une manifestation à Çukurca (Selê), où l’attaque des convois a eu lieu, a ainsi provoqué la mort d’un élu kurde, Yildirim Ayhan, membre du BDP, tué par une cartouche de gaz lacrymogène : "Les officiers ont soudain donné l'ordre aux soldats qui nous faisaient face d'intervenir. Ils ont commencé à tirer des gaz lacrymogènes. L'une des cartouches a atteint Ayhan et nous l'avons vu en train de s'effondrer", a déclaré un témoin à l'AFP.
Mais les représailles militaires n’ont pas eu pour résultat l’arrêt des combats, et le 28 août, trois militaires et un gardien de village trouvaient la mort dans l’explosion d’une mine télécommandée au passage de leur véhicule à Semdinli. Trois autres soldats ont été blessés. À Midyat, l’attaque nocturne d’un poste de police a causé la mort d’un gardien de village et a fait trois blessés parmi ces miliciens.
Samir Nashar, Secretaire général et porte-parole de la force d’opposition syrienne « Déclaration de Damas pour un changement démocratique », fondée en 2005, interviewé par le site Kurdwatch, a affirmé que la question kurde en Syrie ne serait pas mise de côté par l’opposition arabe, si elle parvenait au pouvoir, et que son mouvement travaillait à « une solution juste et démocratique » à l’égard de la situation des Kurdes. « La question kurde en Syrie est une question nationale qui doit être résolue à une échelle nationale, a affimé Samir Nashar, « dans un nouvel État démocratique, à multiples facettes, un État civil. Comme tous les autres citoyens, arabes, assyriens, arméniens ou tcherkesses, les Kurdes sont aussi des citoyens syriens. »
Selon l’opposant, donner des droits civiques identiques à toutes les composantes de la population syriennes réglera toutes les difficultés. Interrogé plus précisément sur ces droits, Samir Nashar a évoqué la question des Kurdes sans nationalité, celle de l’accès des Kurdes à des postes gouvenementaux, et au droit de ces mêmes Kurdes à pratiquer leur culture, leurs traditions, leur langue, et à avoir leurs propres universités. Le kurde serait même la seconde langue officielle en Syrie, et aurait un statut prépondérant dans les régions à majorité kurde. S’exprimant sur une des revendications de certains partis kurdes, à savoir la reconnaissance constitutionnelle de « l’ethnie kurde » en Syrie, Samir Nashar se montre plus réticent, indiquant qu’il n’approuve pas un nationalisme assyrien ou kurde qui ne se dirait pas « syrien avant tout ». « Moi-même, je refuse tout nationalisme, même le nationalisme arabe. J’aimerais que les nationalistes arabes et kurdes fassent de même. Certains groupes arabes craignent que la reconnaissance des Kurdes comme la seconde ethnie syrienne amène les Kurdes à demander la sécession de la Syrie, ou une auto-détermination ou à s’auto-gouverner dans l’avenir. » Cependant, Samir Nashar se dit favorable à une décentralisation de l’État syrien au profit d’acteurs locaux dans les différentes provinces.
Au sujet des expropriations causées par la politique de la « ceinture arabe » dans les régions kurdes, l’opposant syrien incline plus pour des compensations versées aux propriétaires lésés que pour des restitutions. Enfin l’attentisme des partis kurdes devant la révolution syrienne, et l’attitude ambiguë de certains d’entre eux, hésitant entre rejoindre l’opposition et négocier avec le régime en place, pourrait avoir que des conséquences négatives pour les Kurdes après la chute du Baath, selon les dissidents arabes.
Les Kurdes de Syrie, il est vrai, peinent toujours à s’unifier dans une action et une ligne politique claire et commune. Le 4 août, ils ont annoncé projeter une conférence pour élaborer enfin une stratégie plus nette sur leur rôle futur dans la nouvelle Syrie, mais sans faire déjà l’unanimité sur la tenue de cette conférence. Ainsi sur les 12 partis kurdes, le mouvement Sawa de la jeunesse kurde, un des plus actifs dans les manifestations, a décliné sa participation. « Les partis kurdes n’ont même pas clarifié leur position envers le régime syrien. Cela nous rend suspicieux. Nous espérons qu’ils annonceront publiquement cette position avant la tenue de la conférence, parce que, en ce qui nous concerne, nous en avons fini avec le régime d’Assad. Et malgré cela, les partis kurdes parlent encore de possibles négociations avec ce régime. »
En juin dernier, le parlement kurde d’Erbil avait voté une loi interdisant la pratique de l’excision, après une campagne de plusieurs années de la part d’ONG locales et internationales visant à l’interdiction de cette pratique. WADI, une ONG kurdo-allemande, avait ainsi sillonné les régions du Kurdistan d’Irak pour évaluer l’importance des cas d’excision, avec le soutien du gouvernement kurde.
À présent, l’attention et les efforts de cette même ONG se porte sur les districts kurdes en dehors de la Région, notamment à Kirkouk, mais aussi dans le reste de l’Irak où ce qui était présenté comme une tradition kurde pourrait aussi affecter les populations arabes. La province étant multi-ethnique et multi-confessionnelle, elle permet aux ONG d’émettre des hypothèses sur la situation des provinces irakiennes où il est trop dangereux d’enquêter.
Sur 100 entretiens conduits dans le gouvernorat de Kirkouk, il apparaît que 54% des sunnites pratiquaient des excisions, tandis que les chiites et les autres minorités religieuses ne sont presque pas touchées ; que les excisions sont surtout pratiquées dans les zones rurales et très peu en ville. Sur la répartition entre Kurdes, Arabes et Turkmènes il apparaît que les cas d’excision sont kurdes à 78%, pour seulement 25% d’Arabes et de Turkmènes. Les chrétiens, qu’ils soient assyriens, chaldéens ou arméniens ne sont pas touchés par cette pratique.
Sur les femmes ayant subi une excision, seulement 2% affirment souhaiter que leurs filles le soient à leur tour, tandis que 62% des excisées se disent contre. Cependant, parmi ce même groupe, 29% ont déjà fait exciser leurs filles, ce qui indique un basculement des mentalités très récent, peut-être dû aux campagnes d’information très actives venues de la Région kurde et ce malgré l’opposition de certains milieux islamistes, toutefois minoritaires, hostiles à cette interdiction.
Les habitants d’Ourmieh, au Kurdistan d’Iran protestent contre le refus, de la part du parlement de Téhéran, de détourner plusieurs cours d’eaux pour réalimenter en eau le plus grand lac salé du monde, mis en danger écologique par les barrages et la construction de routes et de ponts. Plusieurs manifestations ont été réprimées, le 27 août, par la police anti-émeutes, qui a chargé les cortèges et usé de tirs lacrymogènes.
Mais cette protestation écologique peut cacher ou couver des tensions plus politiques, notamment entre Kurdes et Azéris, ces deux peuples se partageant les rives du lac d’Ourmieh, entre les provinces d’Azerbaïdjan occidental (comprenant le nord du Kurdistan d’Iran) et d’Azerbaïdjan oriental. Mohammad-Javad Mohammadi-Zadeh, le vice-président du Bureau des questions d’environnement, qui dirige l’Organisation de protection de l’Environnement accuse des groupes locaux de « politiser » la défense du lac d’Ourmieh.
Les manifestations et les affrontements avec la police se déroulent dans un contexte politique tendu au Kurdistan d’Iran, alors que les attaques contre les bases du PJAK se poursuivent, dans et hors l’Iran.
Les Azéris, quant à eux, constituent une ethnie chiite assez bien représentées au sein du pouvoir central, beaucoup de dirigeants actuels du pays étant azéris, dont le Guide suprême Khamenei lui-même. Cependant, des mouvements pan-turcistes agitent régulièrement le pays et lorgnent vers une réunification à la république azérie et au monde turc. Les deux peuples, kurde et azéri ont ainsi été souvent en révolte contre le pouvoir central persan, depuis la révolution constitutionnel de 1906. Tous deux ont proclamé des républiques indépendantes et éphémères en 1946 avec l’appui des Soviétiques, et les deux provinces ont été d’actifs opposants au Shah d’Iran lors de la révolution de 1979.