Publications


Bulletin complet

avec revues de presse

Bulletin N° 326 | Mai 2012

 

 

TURQUIE : CONDAMNATION À DIX ANS DE PRISON DE LEYLA ZANA DANS UN CLIMAT DE RÉPRESSION ANTI-KURDE ACCRUE

La députée kurde Leyla Zana a été condamnée, par un tribunal de Diyarbakir, le 24 mai, à 10 ans de prison par contumace, pour « appartenance à un groupe séparatiste et propagande » en faveur de ce dernier, ainsi qu’en faveur du leader du PKK, Abdullah Öcalan,. Son avocat a fait appel. Depuis sa sortie de prison en juin 2004, après avoir été condamnée en 1994 avec d’autres députés DEP pour « appartenance à un groupe armé » (le PKK) Leyla Zana a été condamnée à 2 ans de prison par la 6ème Chambre criminelle de Diyarbakir pour un discours prononcé à l’occasion du Nouvel An kurde en 2007, où elle avait déclaré que les 3 leaders des Kurdes étaient Jalal Talabani, Massoud Barzani et Abdullah Öcalan. Le 24 mai 2008, elle avait prononcé un discours lors d’un séminaire de la School of Oriental and African Studies de Londres, où elle avait exprimé son soutien au PKK et à Öcalan.

La co-présidente de la Commission Europe-Turquie du Parlement européen, Hélène Flautre a, à l’annonce de la sentence, exprimé sa « profonde inquiétude» et a estimé que cette condamnation était un coup porté à l’encontre de la liberté d’expression en Turquie :

« En tant que co-présidente de la commission mixte parlementaire UE-Turquie, membre des amis de la Turquie, je tiens à exprimer ma profonde inquiétude suite à la condamnation de la cour pénale de Diyarbakir de Madame Leyla Zana, députée turque, prix Sakharov 1995 pour son combat pour la liberté de pensée. Cette dernière a ainsi été jugée coupable hier à dix ans de prison pour « propagande en faveur d’une organisation terroriste » du fait de neuf de ses discours. En 1994, Leyla Zana avait déjà été condamnée pour des propos comparables à quinze ans de prison, puis relâchée au bout de dix ans, grâce à la pression internationale. Elle avait notamment reçu le prix Sakharov durant son séjour en prison. Or la condamnation d’hier est comparable à celle qu’elle avait subie dix huit ans plus tôt. Elle prouve donc que la liberté d’opinion est encore aujourd’hui menacée en Turquie par les tribunaux et le code pénal. C’est pourquoi je demande au gouvernement turc ainsi qu’au parlement turc de prendre les mesures législatives nécessaires afin d’assurer une réelle liberté d’opinion en garantissant les libertés fondamentales, en réformant la loi anti-terreur et par conséquent, de libérer Leyla Zana de toute charge. »

Le MRAP a, pour sa part, diffusé un communiqué, le 30 mai pour réagir à la nouvelle : « Un tribunal turc vient de condamner la députée kurde Leyla Zana à 10 années d’emprisonnement au motif des discours qu’elle a prononcés dont un au sein du Parlement européen. Elle est également accusée de « propagande pour le parti du peuple kurde (PKK) ». Le MRAP rappelle que Leyla Zana qui a déjà passé 10 années en prison (de 1994 à 2004), a reçu le prix Andrei Sakharov pour les droits de l’Homme et a été nominée deux fois pour le prix Nobel de la paix. Le MRAP s’indigne de cette nouvelle condamnation d'une femme qui a toujours lutté pacifiquement pour les droits légitimes du peuple kurde. Elle s’inscrit dans la politique de répression du peuple kurde : des milliers d’arrestations, parmi lesquelles des élus, des avocats, des journalistes, des femmes, des enfants. La France et le Parlement européen se doivent d’intervenir pour exiger la libération de Leyla Zana et des prisonniers politiques kurdes et turcs. »

Cette condamnation s’inscrit dans une large répression judiciaire qui a mené des centaines de militants kurdes sur le banc des accusés, avec de lourdes condamnations à la clef. Ainsi, le 17 mai, la Deuxième Cour pénale d’Erzurum a condamné 10 prisonniers membres de l’Union des communautés kurdes (KCK) à un total de 170 ans d’emprisonnement. Ces prisonniers avaient été arrêtés le 11 janvier 2011, dans le cadre d’un coup de filet contre les membres du KCK, dans les districts de Beyazîd (Dogubeyazit) et Agri. Lors de la dernière séance du tribunal, à laquelle assistaient les familles et les avocats des condamnés, la demande de neuf des accusés de s’exprimer en kurde a été rejetée. Neuf des prisonniers ont reçu des peines de prison allant de 10 à 20 ans, pour appartenance à une organisation illégale, tandis que Dogan Şenses était condamné à perpétuité. L’ensemble des peines s’élève à 170 ans, tandis que trois des condamnés font encore l’objet de poursuites pour d’autres chefs d’accusation.

Depuis 2009, 700 personnes ont été arrêtées pour appartenance au KCK, accusé d’être une organisation dépendant du PKK. Le procès du KCK a commencé le 18 octobre 2010, avec le jugement de 152 politiciens et militants des droits de l’homme kurdes. Au total, la vague d’arrestations visant le KCK à travers tout le pays a placé 7748 personnes en garde à vue et près de 4000 personnes ont été arrêtées au cours des 9 derniers mois, selon les estimations du parti pro-kurde, le BDP, dont plusieurs dizaines de cadres et de membres sont toujours sous les verrous. Lors du dernier coup de filet, au moins 567 personnes ont été mises en garde à vue du 10 décembre 2011 au 3 janvier 2012. Parmi elles, des élus locaux, des étudiants, des militants des droits de l’homme, des membres du KCK, et même des mineurs. En mars 2012, environ 1300 personnes restaient encore en détention, dont plusieurs centaines arrêtées le même mois. Le 8 mai 2012, 30 personnes ont été placées en garde à vue, toujours dans le cadre des opérations contre le KCK.

Par ailleurs, malgré les réformes visant à dissocier le cas des mineurs dans les procès « anti-terroristes » de lourdes condamnations sont encore prononcées contre des adolescents. Ainsi, un jeune de 17 ans, accusé d’appartenance à une organisation terroriste, a écopé de 10 ans de prison après un jugement de la 1ere Chambre des mineurs de Mersin. Les preuves retenues contre lui ne provenaient, apparemment, que de témoignages anonymes et de documents imprimés sur Internet. En plus de sa peine de prison, l’accusé doit s’acquitter d’une amende de 12000 lires turques (environ 5250 euros), selon l’agence de presse Firat News. Il avait été arrêté et placé en détention lors d’une descente de police au domicile familial le 11 décembre 2011 et 40 ans de prison avaient été requis contre lui. Ses chefs d’accusation étaient multiples, allant de meeting et manifestations non autorisés, rassemblements et propagande pour le compte d’une organisation illégale, résistance aux officiers de police, à la détention de substances explosives. Le garçon a nié tous les faits reprochés, mais la cour s’est fondée sur des témoignages restés secrets, des impressions de site Internet et les dépositions des officiers de police.

Dans ce contexte politique et judiciaire très lourd, le 31 mai, le président du Parlement européen, Martin Schultz, en visite à Istanbul, a mis en relation une fois de plus la résolution de la question kurde et la candidature de la Turquie à l’Union européenne. Martin Schulz s’exprimait lors d’une cérémonie se déroulant à l’université Bilgi, où il a été reçu doctor honoris causa :

« Je donne ce conseil dans le cadre de la stratégie de la Turquie pour sa pré-adhésion à l’UE : nous devons essayer de convaincre les deux parties qu’il est possible de [créer quelque chose] entre un État souverain et [une région] avec un haut degré d’autonomie tout en [maintenant] l’intégrité territoriale de la Turquie. Ce n’est que mon humble avis. »

Reconnaissant que la question kurde est « un problème interne à la Turquie », Martin Schulz a cependant précisé que l’Union européenne est concernée par les droits et la reconnaissance des minorités de ses pays membres. Il a rappelé qu’il avait été confronté pour la première fois au problème kurde il y a une vingtaine d’années, alors qu’il n’était qu’un maire socialiste en Allemagne :

« Au tout début des années 1980, j’ai vu un grand nombre de réfugiés venus du Kurdistan arriver dans ma ville, et j’ai immédiatement été confronté à ce problème de réfugiés,.net parmi lesquels il y avait des citoyens turcs, dont la moitié se considéraient comme kurde et l’autre comme turque. C’était devenu ma réalité. Et la première partie de la réponse que je vous adresse est qu’il y a une question kurde. »

Martin Schulz a aussi évoqué avec éloge la réussite du Gouvernement régional du Kurdistan d’Irak : « Vous savez que le nord de l’Irak a un gouvernement autonome kurde. M. Barzani est un leader régional, d’origine kurde, et qui se considère lui-même comme un leader kurde. Ce n’est pas un problème … pour la Turquie, et à nos yeux ce n’est pas un problème pour l’Irak. »

KURDISTAN D’IRAK : AFFLUX DE RÉFUGIÉS KURDES DE SYRIE

Le 14 mai 2012, le Haut Commissariat pour les réfugiés des Nations Unies (UNHCR) déclarait avoir enregistré 3171 réfugiés kurdes syriens dans la Région du Kurdistan d’Irak. Dans la seule province de Duhok, on estime que le nombre de personnes passant chaque jour la frontière va de 10 à 15 familles et de 50 à 65 personnes isolées. Chaque semaine, c’est entre quatre à cinq familles et une vingtaine d’individus qui prennent contact avec l’UNHCR à Erbil. À Suleïmanieh, on a dénombré, jusqu’ici, environ 95 réfugiés, dont cinq familles.

D’autres réfugiés attendent à la frontière de pouvoir passer au Kurdistan d’Irak selon un rapport de l’UNHCR, publié dans le US newspaper International Business Times. Le rapport souligne que les autorités de la Région du Kurdistan s’attendent à recevoir d’autres vagues de réfugiés, au gré de l’escalade des violences en Syrie. De fait, la plupart des fugitifs syriens arrivant en Irak cherchent à s’installer dans la Région kurde : « Le déplacement de dizaine de milliers de gens au Kurdistan est un tournant important pour l’équation politique, géographique et économique qui gouverne la région (…). Cette région, qui a été un point de litige lors des dernières décennies entre les Kurdes et les autorités centrales de Bagdad, est devenue aujourd’hui un refuge idéal non seulement pour les personnes déplacées de Syrie, mais aussi pour les Kurdes fuyant l’Iran et la Turquie. »

Le chercheur en économie Saad al-Jabbouri, qui réside aux Pays-Bas, explique que « la commission pense que la Région du Kurdistan, si l’on compare avec d’autres pays qui reçoivent des réfugiés, comme la Jordanie, laquelle souffre d’un manque de ressources, peut accueillir des personnes déplacées dans la sécurité, la stabilité économique et la prospérité. La majorité de ces personnes déplacées, et surtout les Kurdes, préfèrent donc s’y réfugier. »

Ainsi, aux yeux du HCR, le Kurdistan d’Irak est le meilleur choix possible pour l’accueil des réfugiés, si les autorités kurdes permettent leur installation. Il faut mettre cette nouvelle politique du HCR en lumière avec les difficultés rencontrées en Jordanie après l’afflux de réfugiés irakiens, où les moyens manquent, ainsi que les ressources en eau : chaque réfugié a besoin de 80 litres d’eau par jour, ce qui est un lourd fardeau financier pour le gouvernement jordanien. Un Kurde récemment arrivé aux Pays-Bas, confirme sur le site d’information Aknews que la plupart des membres de sa tribu ont émigré au Kurdistan d’Irak : « La plupart des réfugiés préfère partir là-bas en raison de la sécurité et du bon traitement qu’ils reçoivent, ainsi que des services qu’on leur fournit. Les réfugiés, dans cette région, ne subissent pas ce dont souffrent les autres, en Jordanie et en Turquie, le manque d’eau et de soins médicaux. Les Kurdes qui sont arrivés au Kurdistan ont senti une grande différence entre les conditions de vie de la Région et la Syrie, où ils vivaient dans une extrême pauvreté, si on compare avec la vie au Kurdistan. »

Depuis mars 2011, c’est un total de 20 000 réfugiés syriens qui ont été enregistrés dans la région kurde par le HCR, d’après Eve McDonnell, responsable des relations extérieures : « Il y a des plans pour mettre en place des projets, avec des résultats rapides, en coopération avec les autorités de la Région, s’il appert que la crise dure longtemps, ce qui est le plus probable. »

Indépendamment du conflit syrien, le Kurdistan d’Irak apparaît comme un modèle de développement économique et attire les investissements étrangers. Ainsi, en plus des Kurdes syriens militants ou soldats déserteurs, fuyant les représailles, des Kurdes entrent clandestinement dans la Région pour y chercher du travail. Certains réfugiés qui ont pu gagner l’Europe, envisagent même de retourner au Kurdistan d’Irak où se trouve à présent leur famille. C’est le cas de Barakat Jalal, interrogé par Aknews : réfugié aux Pays-Bas, il projette de partir pour le camp de Domiz, dans la provnce de Duhok, où vivent maintenant les siens, une fois que son cas sera régularisé auprès du HCR et des autorités locales.

Le camp de Domiz a été en effet aménagé à Duhok afin de répondre aux besoins de première nécessité des réfugiés, que ce soit en nourriture, eau et soins médicaux et devant l’afflux des personnes déplacées, des problèmes d’hygiène et sanitaires commencent à se faire sentir. Le HCR essaie aussi d’encadrer les enfants dans différentes activités scolaires et extra-scolaires à l’intérieur du camp. Ailleurs, comme à Erbil, des réfugiés sont plus ou moins livrés à eux-mêmes ou résident chez des membres de leur famille déjà installés au Kurdistan ou des connaissances et ils ne reçoivent aucune aide, beaucoup d’entre eux étant encore en attente d’enregistrement auprès du HC.

Il faut noter que le gouvernement fédéral irakien a rejeté toute responsabilité dans l’afflux de réfugiés venus de Syrie et, en dehors du Gouvernement kurde et du HCR, les personnes déplacées en Irak ne peuvent compter que sur des organismes caritatifs et des initiatives privées. Ainsi, le 3 mai, la fondation Barzani a distribué des rations alimentaires à 292 familles, qui ont reçu chacune 25 kilos de riz, 10 kilos de sucre, 10 kilos de légumineuses, 5 litres d’huile, 5 boites de sauce tomate, 4 sacs de vermicelle et un kilo de viande.

IRAN : PLUSIEURS PRISONNIERS POLITIQUES DANS UNE SITUATION CRITIQUE

Le 23 mai 2012, Mostafa Armin, Mosa Hatefi, Saeed Drait et Ali Marhamati, quatre Kurdes iraniens originaires de la ville de Maku (Azerbaïdjan occidental) ont été condamnés à un total de 46 ans de prison et au bannissement, par le tribunal révolutionnaire de Khoy, pour « collaboration avec des partis iraniens d’opposition » selon l’agence Kurdpa. Un cinquième prisonnier, Vali Balkhany, figurait aussi sur les bancs de l’accusation, mais il est mort sous la torture quelques jours avant que sa sentence ne soit prononcée. Il était prévu qu’il devait écoper, comme Mosttafa Armin qui, pour le moment, a survécu, de 15 ans d’emprisonnement et de 6 mois de déportation dans la prison de Borazjan. Mosa Hatefi a été condamné à 7 ans de prison ; Saeed Drait et Ali Marhamati à quatre ans chacun.

Un autre Kurde, Muhamad Sediq Kaboudvand, journaliste et militant pour les droits de l’homme et emprisonné depuis plusieurs années, a entamé une fois de plus une grève de la faim, cette fois pour avoir le droit de rendre visite à son fils malade. La Campagne internationale pour les droits de l’homme en Iran a annoncé le 26 mai que Muhammad Sediq Kaboudvand avait commencé une grève de la faim. Son épouse Parinaz Hosseiny a rapporté que c’est lors de sa dernière visite, le 20 mai, qu’elle a été informée par les autorités de la prison que son mari refusait toute nourriture jusqu’à ce qu’on lui permette de rendre visite à son fils. Il avait déjà commencé une grève de la faim en début de mois, pour la même raison. Il avait alors reçu la promesse officielle de pouvoir bénéficier d’une permission s’il recommençait de s’alimenter. Selon Parinaz Hosseiny, les autorités auraient en plus exigé qu’il écrive une lettre de repentance, mais il a refusé en insistant sur le fait qu’il n’avait commis aucun délit.

Muhammad Kabouvand souffre de problèmes de santé et aurait besoin dune intervention chirurgicale, mais les autorités de la prison lui refusent un accès aux soins et un transfert à l’hôpital. Parinaz Hosseiny a indiqué que son fils souffrait d’une maladie grave et que les médecins estiment que la présence de son père pourrait améliorer l’effet de son traitement : « Aussi, je demande aux autorités de respecter leurs propres lois et d’accorder à mon mari une permission, ce qui est le droit de tout prisonnier iranien. » Muhamad Sediq Kabouvand avait été arrêté il y a 5 ans et accusé d’activités contre la sécurité nationale. Il avait en fait fondé l’Organisation de défense des droits de l’homme du Kurdistan. Il dirigeait aussi la publication de l’hebdomadaire bilingue kurdo-persan « Payam-e Mardom », interdit en 2006. Il a été condamné à 10 ans de prison pour « propagande contre le régime ». Le 3 mai étant la journée internationale de la liberté de la presse, le porte-parole du Département d’État des Etats-Unis, a appelé le gouvernement iranien à relâcher Muhamad Sediq Kaboudvand, ainsi que 90 autres journalistes actuellement détenus en Iran.

Enfin, à Sine (Sanandadj) capitale de la province du Kurdistan, Anwar Hossein Panahi, un prisonnier politique kurde initialement condamné à la pendaison, dont la sentence avait été commuée à 16 années de prison, est depuis 5 ans derrière les barreaux et toutes les demandes de permission réclamées par sa famille ont été refusées. Anwar Hossein Panahi, un militant politique kurde, avait été arrêté le 5 novembre 2007, et détenu 6 mois dans les locaux des services secrets de Ghorveh. Il y avait été torturé, avec, notamment, plusieurs côtes cassées. Le tribunal révolutionnaire l’avait condamné à mort pour atteinte à la sécurité nationale et déclaré « ennemi de Dieu » (crime qui fait encourir automatiquement la peine capitale). Il avait fait appel et avait finalement écopé de 16 ans de prison. D’après son avocat, aucune confession ni preuve n’avaient pu être fournies au tribunal pour étayer l’accusation. Ces cinq dernières années, Anwar Hossein Panahi, qui souffre de l’estomac et d’une infection intestinale, n’a passé qu’une visite d’une heure dans un hôpital, alors que de l’avis des médecins, son état nécessite un traitement de longue durée. Dans la même affaire, le frère d’Anwar, Afshin Hossein Panahi, avait été condamné à un an de prison, et vient d’être libéré, tandis qu’un autre de ses frères, Ashraf Hossein Panahi, est décédé dans des conditions suspectes.

Toute sa famille semble subir de graves pressions et menaces de la part des forces de sécurité au Kurdistan et une trentaine de personnes qui lui sont apparentées ont été arrêtées et emprisonnées depuis, et d’autres envoyées en exil avec interdiction de contacter les leurs. Amjad Hossein Panahi, un des frères d’Anwar, a raconté à l’équipe de la Campagne internationale pour les droits de l’homme en Iran que son frère avait subi 6 mois de tortures physiques et psychologiques immédiatement après son arrestation. Il avait été ainsi attaché à une clôture, dans la cour de la prison, en plein hiver, alors qu’il souffrait de côtes cassées et d’infection rénale, jusqu’à ce que le froid et la douleur lui fassent perdre connaissance. « Durant tout ce temps, notre famille était dans l’ignorance la plus complète des motifs de son arrestation, alors que nous sommes allés plusieurs fois trouver les autorités judiciaires. »

Son autre frère, Ashraf Hossein Panahi, avait commencé de collecter des preuves prouvant l’innocence d’Anwar. Il avait collecté 5 000 signatures en sa faveur, de la part de personnalités respectables et de confiance dans la région. Il voulait même apporter le tout à Téhéran auprès des autorités judiciaires, mais il avait été mystérieusement assassiné en route et son corps avait été retrouvé par des gens d’un village voisin, qui avait aperçu une voiture inconnue dans les parages. L’autopsie avait conclu à un coup porté par un objet contondant, qui a causé un traumatisme crânien. « Après la mort d’Ashraf, mon jeune frère Afshin a essayé de poursuivre son action mais lui aussi a été arrêté et torturé au centre de détention de Ghorveh. Il a seulement 19 ans et a perdu 50% de sa vision. Il a été condamné à un an de prison.

« Notre domicile est inspecté une fois, voire deux fois par semaine, toutes nos communications, comme les appels téléphoniques sont sur écoute et les déplacements des membres de notre famille sont surveillés, de sorte qu’il leur est impossible de nous contacter. »

S’exprimant plus généralement sur la condition des prisonniers kurdes en Iran, Ashraf Hossein Panahi explique que beaucoup d’entre eux n’ont pas d’avocats par manque de moyens financiers et se privent donc de leurs droits à la défense. Mais ceux qui acceptent des avocats commis d’office connaissent encore plus de problèmes car la plupart de ces avocats collaborent avec les services de renseignement.

CINÉMA : PALME D’OR DU COURT-MÉTRAGE À CANNES POUR RÊZAN YEZILBAŞ

Le réalisateur kurde L. Rêzan Yezilbaş a obtenu la Palme d'or du court-métrage à Cannes pour son film « Sessiz - Bê Deng » (Silencieux).

L’action du court-métrage se passe à Diyarbakir, en 1984. Zeynep, mère de trois enfants, veut visiter son mari en prison. Elle ne parle que le kurde, sa langue maternelle, mais dans les locaux de la prison, celle-ci est strictement interdite. Sans l’usage du turc, elle se trouve dans l’impossibilité de prononcer même un seul mot. Sa frustration augmente lorsqu’on lui interdit aussi d'apporter une nouvelle paire de chaussure pour son mari.

« La prison de Diyarbakir est un symbole de la torture en milieu pénitencier dans la période qui a suivi le coup militaire de 1980, explique Rêzan Yesilbaş. Mais au lieu de raconter l’intérieur de la prison, c’est-à-dire les détenus politiques, la torture ou les luttes de conviction, j’ai choisi de tourner ma camera vers les petites histoires quotidiennes des femmes au dehors; et leur silence imposé car le kurde, seule langue qu’elles connaissent, était à l’époque strictement interdit dans les prisons. »

Né en 1977, L. Rêzan Yezilbaş a obtenu son diplôme de cinéma en 2008 à l’université de Marmara. Son court-métrage « Hüküm » (Jugement) a été le premier film de sa « Trilogie Féminine », et a participé à plusieurs festivals internationaux. Sessiz-Bê Deng est le second volet de cette trilogie, tourné en 2011, alors que le scénario du troisième volet est déjà écrit.