Alors que l’Irak est en pleine crise et que son Premier Ministre, Nouri Maliki, affronte à la fois le mécontentement des sunnites et l’opposition des Kurdes à ses menées sur Kirkouk et la Diyala, l’annonce tombait, le 18 décembre, que le président de l’Irak, le Kurde Jalal Talabani était victime d’une attaque cérébrale et que son état de santé restait incertain.
C’est au sortir d’une réunion animée avec Nouri Maliki que Jalal Talabani a été victime d’un malaise et transporté d’urgence à l’hôpital de Bagdad. On apprenait peu après, par les communiqués officiels, qu’il s’agissait d’une attaque cérébrale mais que son état restait ‘stable’.
Âgé de 79 ans, Jalal Talabani souffre, depuis plusieurs années, de problèmes de santé aggravés par sa forte corpulence et se fait régulièrement soigner à l’étranger. En 2008, il avait subi une opération du cœur aux États-Unis et en 2011 il avait été hospitalisé en Jordanie, souffrant d’épuisement et de déshydratation. L’été dernier, il avait passé trois mois aux mains d’une équipe médicale allemande et était tout juste revenu en Irak, en septembre 2012.
Dans toute la presse, qu’elle soit nationale, régionale ou internationale, les pronostics les plus contrastés étaient avancés, certains journaux parlant de ’mort cérébrale’, ou bien de coma, d’autres se voulant rassurants.
Coupant court aux rumeurs, les Kurdes, dont le député Mahmoud Othman, niaient tout décès et l’arrivée d’une équipe médicale allemande, celle-là même qui l’avait suivi tout l’été, confirmait que le président irakien était en vie, sans davantage de précisions, sinon que son état s’améliorait. Son transfert d’urgence en Allemagne, dans une clinique privée, a eu lieu le 21 décembre.
Le directeur du bureau de communication présidentiel, Barzan Sheikh Othman indiquait, par ailleurs que ‘le stade le plus dangereux’ était passé, nouvelle confirmée par le docteur Najmaddin Karim, un neurologue kurde proche de Jalal Talabani et gouverneur de Kirkouk.
De l’avis unanime, cet accident de santé survient au plus mauvais moment, alors que l’Irak est en pleine crise et que le Premier Ministre irakien fait face à une fronde, tant de la part des sunnites que de nombreuses factions chiites, en plus du bras-de-fer qui se poursuit avec les Kurdes. La constitution irakienne (Art. 72, 3) prévoit que le président, s’il se trouve dans l’incapacité d’exercer ses fonctions, doit être remplacé par un vice-président, tandis que le Parlement doit élire son successeur dans les 30 jours.
Mais l’un des deux vice-présidents, le sunnite Tarek Al-Hasimi, jugé par contumace et condamné cinq fois à mort pour « terrorisme » est réfugié en Turquie depuis avril 2012. Son alter-ego, Khodaei Al-Khozaei, qui est aussi ministre de l’Éducation, est un homme politique chiite, du parti religieux Dawa, ce qui déséquilibre grandement le consensus qui consistait à faire en sorte que chaque grande composante de la population irakienne soit représentée : Arabes sunnites et chiites, Kurdes.
Bien que l’attribution de la présidence à un Kurde ne soit nullement inscrite dans la constitution, l'élection de Jalal Talabani à cette fonction, depuis 2005, satisfaisait les factions politiques irakiennes. Les pouvoirs présidentiels en Irak sont très limités, mais sa personnalité et ses talents de négociateur faisaient de lui une figure de rassembleur et de médiateur, au sein d’un État irakien si divisé entre ethnies et religions que sa survie paraît souvent précaire.
Même si Jalal Talabani survit à son accident cérébral, il ne pourrait sans doute plus jouer un rôle politique aussi important. Or, sa succession est double, à la fois à la tête de l’État irakien mais aussi en tant que dirigeant de son parti, l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) qui connaît une grave crise de leadership depuis plusieurs années.
Interviewé par le journal Rudaw dans l’édition du 22 décembre, Mala Bakhtiar, qui dirige le Bureau politique de l’UPK, donne ses vues sur l’ « après-Jalal Talabani » qui, selon lui, doit être d’ores et déjà envisagée, même si la personnalité du vieux leader le rend « irremplaçable ». Cette succession ne peut se faire sans de profonds remaniements internes et structurels, afin que l’UPK puisse faire face à cette situation nouvelle.
Sur une possible récupération par Gorran, le parti né d’une scission avec l’UPK, de membres plus enclins à changer de camp après la fin de l’ère Talabani, Mala Bakhtiar répond que les allers et venues d’un parti à l’autre s’équilibrent et que des partisans de Gorran (250 selon lui) ont déjà demandé à rallier l’UPK. Il repousse, par contre, l’idée d’une fusion avec le Parti démocratique du Kurdistan et une possible fuite de membres de l’UPK vers ce parti, tant les racines historiques et politiques des deux mouvements sont divergentes.
De fait, les déçus de l’UPK n’ont jamais gonflé le score du PDK dans ses fiefs historiques, se tournant soit vers Gorran soit vers d’autres partis d’opposition, allant des islamistes à l’extrême-gauche.
Parmi les noms circulant comme successeurs possibles de Jalal Talabani, celui de l’ex-Premier Ministre du Kurdistan, ex-Vice Premier Ministre de de l’irak, Berham Salih, revient souvent, tant pour la présidence irakienne que pour celle de l’UPK, ainsi que celui de Hoshyar Zebarî, actuel ministre irakien des Affaires étrangères, proche du PDK et ex-Premier Ministre du Kurdistan, ainsi que Fuad Masum, pour la présidence irakienne, lui aussi membre de l'UPK.
En attendant, le parti est géré par Kosrat Rasul, le nº 2 de l'UPK. Âgé de 60 ans, il pourrait être vu comme un successeur, mais sa figure de vétéran n’enverrait pas un message propice au renouveau du parti.
Enfin, si Jalal Talabani lui-même accepte son retrait forcé de toute vie politique et est à nouveau apte à faire des déclarations publiques, il pourrait aussi désigner son successeur.
Serafettin Elçi, un des doyens de la politique kurde en Turquie, ancien ministre, leader du Parti de la démocratie participative (KADEP), élu député indépendant de Diyarbakir en 2011, est mort le 25 décembre d’un cancer dans un hôpital d’Ankara. Né à Cizîra Botan, capitale de la principauté kurde des Bedir Khan, il était âgé de 74 ans. À l’annonce de sa mort, plusieurs personnalités politiques kurdes se sont rendus à l‘hôpital pour lui rendre hommage, tels les députés Leyla Zana Aysel Tuğluk, Pervin Buldan, Hasip Kaplan, et Sırrı Sakık.
Mais sa disparition a suscité aussi de nombreuses condoléances de la classe politique turque. Le président Abdullah Gul a ainsi déclaré que «l’absence de Serafettin Elçi, qui avait travaillé dur pour la résolution des problèmes via le dialogue, et pour la consolidation d’un environnement de paix et de fraternité, se fera toujours sentir dans notre monde politique.» Le Premier Ministre Recep Tayyip Erdogan a rendu visite à la famille du défunt pour lui présenter ses condoléances et une cérémonie à sa mémoire s’est tenue à l’Assemblée nationale turque, cérémonie à laquelle assistaient le président du Parlement, Cemil Çiçek, le leader du parti CHP, Kemal Kılıçdaroğlu, les co-présidents du BDP Selahattin Demirtaş, les vice-premier ministre Bülent Arınç, Ali Babacan, Beşir Atalay and Bekir Bozdağ, et une foule immense de députés, ou d’anciens membres parlementaires. «Notre douleur est profonde, a déclaré le député kurde Ahmet Türk. Tout au long de sa vie, Elçi s’est montré toujours sensible au combat pour la liberté du peuple kurde. Mais en politique, il a toujours donné la priorité à l’intelligence plutôt aux émotions.» Le romancier Yashar Kemal l’a, pour sa part, qualifié de « héros », en estimant que la quête de la démocratisation en Turquie avait perdu « une voix honorable et cohérante ».
Dans le journal Zaman (pro-AKP), l’éditorialiste Orhan Miroğlu rappelle la longévité politique de Serafettin Elçi, qui fut ministre dans les années 1970, et député de Mardin au parti de la Justice (AP). Mais en 1977, il démissionne pour protester contre la mise en place du gouvernement du Second Front nationaliste de Süleyman Demirel. Il fut aussi ministre des Travaux publics dans le gouvernement de centre-gauche de Bülent Ecevit. Au moment du coup d’État du 12 septembre 1980, il fut arrêté et emprisonné 30 mois . Il avait déjà fait scandale, dans la décennie précédente, quand il avait revendiqué publiquement son identité kurde, ce qui était une première de la part d’un membre du parlement, et pour avoir parlé kurde à des électeurs de Diyarbakir, qui ne comprenaient pas le turc. Une fois libéré, il reprit ses activités et sa carrière politiques, mais en peinant à imposer ses idées dans un pays qui venait de s’engager dans une «sale guerre» contre ses Kurdes. En 1994, alors qu’il avait été un temps présenté comme un possible leader du parti kurde HEP, fondé en 1991, il crée en effet son propre parti, le KADEP, que l’on surnommait quelquefois le parti de la Mère-patrie des Kurdes (en opposition avec le Parti turc du même nom) qui apparaît comme une tentative de concilier plusieurs courants politiques contradictoires autour de la question kurde, comme le décrit le journal Sabah, daté du 18 mai 1994 : « Tel qu’Elçi le définit, ce parti sera un parti libéral, démocrate et ratissant large. Il va chercher à coopérer avec les milieux d’affaires, mais sans pencher à droite. Ce parti sera proche de l’électorat religieux, mais ne cherchera pas à établir un État islamique. Il promeuvra l’identité kurde mais défendra aussi l’intégrité du pays.»
Serafettin Elçi ne niait pas la proximité de ses idées avec celle de Turgut Özal, que l’on mettait souvent en avant : «Ce que j’essaie de faire est semblable à ce que M. Özal veut faire. Je peux dire que nos idées sur le Sud-Est [le Kurdistan de Turquie] sont les mêmes. Je ne souhaite pas me comparer à qui que ce soit, mais le public est libre de faire ses propres comparaisons. Nous cherchons à donner deux garanties à l’État : Nous croyons que les frontières politiques de l’État doivent être préservées. Nous sommes contre la violence. Ils ne doivent pas s‘inquiéter de notre parti.»
Mais comme le fait remarquer Orhan Miroglu, étant donné le contexte politique et belliciste des années 1990, Serafettin Elçi ne put réussir à imposer un tel agenda sur la question kurde ni réussir à convaincre l’électorat kurde. Le KADEP fut toujours proche du Parti démocratique du Kurdistan d’Irak et finalement, son leader maintint toujours des liens amicaux avec la famille Barzani. La création de la Région du Kurdistan d’Irak et son autonomie dans un Irak fédéral et démocratique lui avait apparu comme un exemple positif de démocratie libérale à opposer aux courants politiques qui prévalent actuellement au Kurdistan de Turquie, ce qui ne l’empêcha pas de s’allier avec le BDP aux élections de juin 2011, quand il fut élu député de Diyarbakir, où il pouvait espérer exercer une influence modératrice dans les rangs du parti pro-kurde mais aussi servir d’intermédiaire entre les députés kurdes et le reste du Parlement, usant de l’estime dont il bénéficiait dans la classe politique turque. Cela faisait 30 ans qu’il ne siégait plus au Parlement turc.
Ses funérailles ont eu lieu dans sa ville natale de Cizîr. Plusieurs membres du Parti démocratique du Kurdistan d’Irak étaient venus représenter le président Massoud Barzani. L’Institut kurde de Paris, dont il était un invité régulier de ses colloques et compétences, était également représenté.
Le 5 décembre, une majorité de députés votaient, au parlement suédois, pour la reconnaissance du génocide de l’Anfal, perpétré au Kurdistan d’Irak à la fin des années 1980, par le régime de Saddam Husseïn.
Cette mesure a été saluée par le Gouvernement régional du Kurdistan d’Irak. Le Premier Ministre, Nêçirvan Barzani, l’a qualifiée d’ «humaine» et de «courageuse», en ajoutant que la décision de Stockholm signifait pour les Kurdes et le Kurdistan qu’ «ils n’étaient pas seuls. Cette décision donne aux Kurdes l’assurance que le monde n’a pas oublié leurs souffrances et qu’il ne les laissera plus se faire tuer en nombre massif. J’espère que cette décision du Parlement suédois encourage la cour criminelle d’Irak à dédommager les victimes de l’Anfal.»
La Suède est le premier pays au monde à reconnaître le génocide de l’Anfal. Ce résultat est le fruit de six ans et huit mois d’efforts de la part de l’ONG Kurdocide Watch in Sweden (CHAK) pour faire voter cette reconnaissance au parlement, en coopération avec la communauté kurde en Suède, le soutien de députés suédois et de membres de partis suédois d’origine kurde. Le Parlement avait, dans le passé, rejeté par deux fois la proposition.
Le 8 novembre 2012, la Commission parlementaire des Affaires étrangères s’est finalement réunie pour en débattre et après un certain nombre de recherches et de discussion, en est venue à conclure que la campagne Anfal était bien un génocide contre les Kurdes. Le débat parlementaire a eu lieu le 28 novembre 2012. Des membres du Congrès suédois, les présidents de huit partis politiques et quatorze personnalités politiques ont confirmé le génocide. En raison d’un problème de temps, le vote a été ajourné au 5 décembre.
La crise irako-kurde inquiète de plus en plus les Américains, d’autant que les deux protagonistes soutiennent chacun un camp différent en Syrie, que les deux conflits peuvent facilement s’exacerber l’un et l’autre et que, de l’aveu de l’adjoint du Département d’État, « la région ne peut supporter davantage de conflits ».
Aussi, le 7 décembre, une réunion de crise s’est tenue à Bagdad entre le ministre américain de la Défense, l’adjoint du Département d’État des États-Unis et le Premier Ministre irakien, avec pour thème principal les tensions avec Erbil et la situation en Syrie. Le 13 décembre, le journal Shafaaq News se fondait sur les révélations d’une source restée anonyme pour confirmer que les États-Unis, ainsi que d’autres pays, insistaient auprès de Nouri Maliki pour qu’il adoucisse sa position et apaise les tensions avec les Kurdes. Apparemment, le Premier Ministre irakien aurait rejeté toutes les offres de médiation, en répétant qu’il s’agissait d’une affaire « interne ».
Les Kurdes, eux, sont loin de s’opposer à l’arbitrage américain du moment que cela ne remet pas en cause les articles de la Constitution, qu’ils entendent faire respecter avec une résolution adamantine : la question de Kirkouk, le fédéralisme, leur indépendance dans la gestion de leur ressources. Mais les positions sont maintenant si tranchées de part et d’autre qu’une intervention diplomatique étrangère a l’avantage de réalimenter un certain dialogue. Comme le dit Mahmoud Othman, à la tête de l'Alliance kurde au parlement irakien, « résoudre la crise entre les gouvernements central et de la Région kurde nécessite des efforts de la part de l’étranger, que ce soit des États-Unis, de l’Iran ou d’autres pays. Une solution est trop difficile à trouver en interne. » (Agence de presse nationale irakienne).
De fait, l’Iran, que les États-Unis voudraient tant marginaliser, ne peut être évincé si facilement, que ce soit dans la crise syrienne ou à Bagdad. Les Kurdes le savent et, malgré leur récent rapprochement avec la Turquie, ont toujours fait en sorte de garder de bonnes relations avec ce pays, appliquant, depuis 2003, une attitude de « nous sommes bons voisins avec tout le monde ». C’est ainsi que, toujours d’après Mahmoud Othman, si une délégation kurde s’est réunie, à la fin de cet automne, avec le vice-président irakien chiite Khodaïr Kodhae, Ammar Al-Hakim qui est à la tête du Conseil suprême islamique d’Irak et l’ambassadeur iranien à Bagdad, c’était aux fins de pouvoir mettre sur pied une rencontre directe entre Nouri Maliki et Massoud Barzani, le tout dans une « atmosphère politique apaisée » : «On ne peut résoudre le problème que d’une seule façon, c’est en faisant se rencontrer le Premier Ministe Nouri Maliki et le président kurde Massoud Barzani à la même table ». Comme les deux hommes, anciennement alliés contre Saddam Hussein, sont maintenant à couteaux tirés, le vétéran de la politique kurde reconnaît tout de même qu’une telle rencontre nécessite du temps, de préparer le terrain, et des « pays amis ». Sur le terrain, les forces irakiennes et kurdes se regardent toujours en chiens de faïence, que ce soit à Kirkouk ou dans la Diyala. Jabbar Yawar, le secrétaire général au ministère des Peshmergas a redit plusieurs fois la détermination des Kurdes à ne pas céder un pouce de terrain aux Irakiens et à ne pas se retirer avant un retrait total des forces envoyées par Bagdad.
Le président du parlement irakien, le sunnite Osama Nujaïfi avait préalablement rencontré à Erbil Massoud Barzani pour discuter précisément des modalités d’un retrait bilatéral de toutes les troupes, mais rien n’a été appliqué dans les faits.
Au contraire, la venue de Massoud Barzani à Kirkouk le 10 décembre, et son inspection des troupes kurdes, a fortement irrité Bagdad. Dans son discours aux Peshmergas, le président kurde, portant lui-même la tenue militaire, a parlé de la « tâche sacrée » qui leur incombait, celle de « défendre le futur du peuple du Kurdistan ». Il a aussi insisté sur « l’importance de maintenir la fraternité et la paix et de servir tous les habitants de Kirkouk ». « Nous sommes contre la guerre et nous n’aimons pas la guerre, mais si nous sommes amenés à faire la guerre, alors tout le peuple kurde est prêt à se battre pour l’identité kurde de Kirkouk. » Naturellement cette visite a déclenché l’ire du camp Maliki, s’exprimant par la voix de sa coalition, État de droit, dont Yassin Madjid est un des leaders. Selon lui, la revue des troupes kurdes à Kirkouk, par le président Barzani en uniforme, est une « déclaration de guerre à tous les Irakiens, pas seulement à Maliki mais aussi à Talabani », et ceci bien que le président irakien se soit, dès le début de la crise, prononcé contre le déploiement des forces Dijla et qu’il ait essuyé pour cela une volée de critiques de la part des politiciens soutenant le Premier Ministre. Pour Yassin Madjid, cette « provocation » ruine « tous les efforts du président du Parlement Osama Nudjaifi ». Il a même estimé que cette visite était plus « dangereuse encore » que celle du ministre des Affaires étrangères turc, l’été dernier, sur invitation des Kurdes, en se passant de l’autorisation de Bagdad. La coalition de Nouri Maliki a qualifié ce geste d’ « escalade » et comme étant la preuve que Massoud Barzani ne recherchait pas l’apaisement des tensions. Il l'a même comparé à Saddam Hussein. Le vice-président de l’Alliance kurde, Mohsen al-Sadoun, a répliqué en mettant en doute la santé mentale ou les capacités intellectuelles de Yassin Madjid, et a rappelé qu’Ahmet Davutoglu avait obtenu un visa de l’ambassade irakienne à Ankara, et ne se déplaçait donc pas illégalement dans le pays. Il a aussi précisé que la constitution irakienne n’interdisait nullement au président du Kurdistan de se rendre à Kirkouk, tout comme dans le reste des régions disputées, que Massoud Barzani était, de par la constitution kurde, chef des forces des Peshmergas et que c’est en tant que tel qu’il a passé en revue les forces kurdes déployées à Kirkouk.
Apparemment peu impressionné par les accusations de provocation et d’incitation au conflit, Massoud Barzani a, quelques jours plus tard, fait un pas supplémentaire dans les revendications kurdes sur Kirkouk en ordonnant à son propre cabinet, à ses ministres et à tous les organes du GRK de ne plus utiliser le terme de « régions disputées » pour désigner celles mentionnées dans l’article 140 et de lui substituer celui de « zones kurdes hors de la Région ». Inévitablement cette initiative s’est attirée une nouvelle condamnation de Nouri Maliki qui l’a qualifiée d’anti-constitutionnelle et a appelé toutes les autorités de l’État à la condamner explicitement. Il y voit une offense à tous ceux qui ont voté oui à cette constitution en 2005 en oubliant au passage que ce faisant, ils avaient aussi voté oui à l’article 140, ce que ne manquent jamais de rappeler les Kurdes.
Malgré cela, les contacts ne s’interrompent jamais entre Bagdad et Erbil et les annonces qu’un accord pourrait être trouvé ou est sur le point d’être atteint se succèdent, sans effet concret sur le terrain, comme l’a prédit Mahmoud Othman. Le 14 décembre, l’agence Reuters faisait état d’un accord de retrait bilatéral mais progressif des troupes kurdes et irakiennes, déclaration émanant du président irakien Jalal Talabani et non démentie par son Premier Ministre. Ali al-Moussavi, conseiller principal de Nouri Maliki a renchéri sur la possibilité d’une gestion locale des forces de sécurité dans les régions disputées.
Cependant aucun calendrier n’a été donné et bien que le GRK ait été cité comme favorable, lui aussi, à une telle solution, Mahmoud Othman, décidément toujours sceptique, a de nouveau exprimé ses doutes, en expliquant que le « problème réside dans les détails. Toute l’affaire dépend de la confiance mutuelle et d’une détermination sincère pour parvenir à une solution, mais malheureusement la confiance mutuelle des deux parties fait ici défaut. » Selon Mahmoud Othman, si les USA et les autres puissances occidentales feront tout pour éviter que le conflit ne dégénère en affrontement armé, la Turquie, par contre, peut avoir intérêt à une désintégration de l’Irak qui conduirait à un affaiblissement de Bagdad mais mettrait Erbil un peu plus à la merci d’Ankara. Aussi soutient-il la proposition de Jalal Talabani sur un retrait commun des troupes, même s’il ne s’est guère optimiste sur la suite donnée à l’accord. Par ailleurs, 4 jours plus tard, l’accident cérébral de Jalal Talabani, en plus de mettre probablement fin à sa carrière politique et à sa présidence, pouvait faire craindre que l'on enterre aussi cet accord de retrait.
Début janvier, une délégation militaire kurde avec Jabbar Yawar à sa tête rencontrait à Bagdad de hauts responsables militaires irakiens pour discuter de la crise sur le terrain et d’un possible retrait bilatérale des régions disputées. Mais pour le moment et donnant raison à Mahmoud Othman, aucun accord n’a encore été conclu.
Pêsh Khabour, un village chrétien du Kurdistan (diocèse de Zakho), est, depuis le début de l'hiver, au centre d'une polémique confuse opposant le Gouvernement régional du Kurdistan à la branche syrienne du PKK, le PYD, au sujet d'un pont qui existerait ou non et enjamberait le Tigre pour le relier à la frontière syrienne. En effet, les réfugiés continuent d’affluer de Syrie vers l’Irak, leur nombre atteignant 63 496 selon une estimation du Haut Commissariat aux réfugiés datée du 5 décembre. Parmi eux, 54 550 sont au Kurdistan d’Irak, 8 852 dans la province d’Anbar et 94 répartis dans d’autres provinces irakiennes. La Région du Kurdistan abrite donc près de 86% de ces réfugiés et l’hiver, qui est rigoureux et neigeux cette année, peut amener un autre afflux, fuyant moins les combats que la famine qui menace et la pénurie de fuel.
Les Kurdes de Syrie ont donc demandé au Gouvernement Régional du Kurdistan d’ouvrir la frontière afin qu’ils puissent se ravitailler en nourriture, médicaments et combustibles. L’Union des jeunes Kurdes a ainsi envoyé une requête écrite au GRK, lui demandant d’intervenir pour sauver les Kurdes de Syrie « de la tragédie, de la souffrance, des déplacements, de la destruction, des sièges et d’une mort lente ». Dans leur message, ils dénoncent « la présence de groupes armés se réclamant de la révolution syrienne qui encerclent les régions kurdes et pillent toutes les vivres qui sont importées au Kurdistan occidental, afin d’affaiblir la présence des Kurdes et de changer le cours d’une révolution pacifique au Kurdistan Ouest. » Le Conseil national kurde a demandé également l’ouverture de cette frontière. Abdulbaqi Yousif, le représentant du Parti de l’Union (Yekitî) a, de son côté et avec deux autres partis kurdes, fait une démarche auprès de l’ambassadeur des États-Unis à Damas, Robert Ford, afin qu’il facilite et supervise cette ouverture. Le même Abdulbaqi Yusif a fait état de plusieurs témoignages qui accusent les forces armées du PYD, les YPG, de prélever « de lourdes taxes » sur les vivres importées. Selon lui, la fermeture des frontières est une réponse du GRK à ces taxes : « Même une ONG allemande qui apportait de l’aide humanitaire dans les villes kurdes s’est vue saisir par le PYD » a-t-il affirmé au journal Rudaw.
C'est alors qu'une polémique sur l’ouverture ou la fermeture de la frontière entre les deux Kurdistan a éclaté entre le PYD et le GRK, les premiers affirmant que la Région du Kurdistan avait fermé sa frontière et empêchait les Kurdes syriens de se ravitailler au Kurdistan d’Irak. Le gouvernement d’Erbil a répliqué qu’il n’avait fermé aucun poste frontière, pour la simple et bonne qu’il n’en existait pas avec la Syrie, mais que le cabinet présidentiel avait pris le problème très au sérieux et allait donner rapidement sa réponse sur l’ouverture officielle d'un point de passage, une décision qui, de par la loi, incombe uniquement au gouvernement central, avec qui il est en très mauvais termes.
Malgré les démentis d’Erbil, l’agence de presse du PKK, Firat News, a diffusé une video « prouvant », selon elle, que le GRK a bel et bien fermé la frontière, mais le GRK a répondu que c'est celle séparant l’Irak de la Région kurde qui a été filmée.
Agacé, le cabinet présidentiel a fini par publier, le 7 janvier, un communiqué visant, mais sans le nommer, le PYD, dénoncé comme un parti qui essaie d’imposer son autorité par les armes aux Kurdes de Syrie et utilise la frontière pour des transferts crapuleux : « Nous disons clairement à nos frères du Kurdistan occidental que nous, la Région du Kurdistan ne permettrons pas que notre frontière avec la Syrie soit utilisée pour de la contrebande d’armes et de drogues illicites ».
Ce qui laisse indiquer que si les Peshmergas ont consigne de laisser passer les réfugiés, les médicaments et les vivres, ils se montrent peut-être moins permissifs sur les mouvements, à des fins toutes autres qu'humanitaires, des YPG et du PKK, ce qui peut expliquer la campagne d'attaque du PYD. Il y a plusieurs points de passage sur la frontière irako-syrienne, mais tous dépendent de l’Irak, hormis celui de Pêsh Khabour, (Fish Khabur en arabe) qui est sous contrôle du GRK, dans la province de Duhok. Ce village chrétien, construit autour d'une église médiévale (détruite par Saddam et nouvellement rebâtie) est limitrophe de la Turquie et surtout de la Syrie dont il est séparé par le Tigre qui sert de frontière naturelle. Il n'y a pas de pont pour le franchir, et on ne peut le faire que par bateaux ou radeaux (kelek).
Si le GRK envisage de construire un pont afin de faciliter le passage des vivres et de l'aide humanitaire, il devra le faire en défiant l'armée irakienne, avec qui ses Peshmergas sont toujours, depuis plusieurs mois, sur le point d'échanger des tirs, et notamment sur cette portion de frontière.
Dans le même temps, la visite d’une délégation du Comité national de coordination (CNC) au Premier Ministre irakien n’a pas contribué à apaiser les esprits. Non reconnu par les États-Unis et les puissances qui soutiennent la révolution syrienne, mais soutenu par la Russie, ce comité est considéré comme étant une organisation de façade entièrement contrôlée par le Baath syrien. À l’origine, plusieurs mouvements kurdes en faisaient partie, mais ils s’en sont tous retirés, à l’exception du PYD. Et c’est bien le dirigeant du PYD, Salih Muslim, qui s’est déplacé en personne pour rencontrer Nouri Maliki, l’homme qui est à la fois honni des Kurdes d’Irak qui l’accusent de vouloir mettre fin au fédéralisme constitutionnel et des Kurdes de Syrie (hormis le PYD) pour son soutien plus ou moins implicite au régime syrien, ce qu’a vivement relevé le Conseil national kurde : « Maliki est considéré comme un allié du régime syrien. Par conséquent, le Comité de coordination doit révéler si Maliki a promis un soutien à la révolution ou si le Comité et Maliki ont parlé d’autres choses sous la table » a déclaré Faysal Yousif, qui est à la tête du CNK. « Le peuple syrien a le droit de savoir ce que le Comité de coordination a demandé à Maliki. » Mustafa Osi, secrétaire du Parti Azadî et membre du CNK a aussi accusé le CNC « de ne pas servir la révolution syrienne » mais d’essayer, au contraire de « détourner les Syriens de cette révolution. » Le CNK estime que Salih Muslim, en vertu des accords de coopération et d’action commune qui le lient, en principe, aux autres partis kurdes, depuis les accords d’Erbil, aurait dû les informer et les consulter avant cette visite, et exige des excuses.
L’irritation du CNK est d’autant plus grande qu’il avait récemment refusé une invitation du ministre turc des Affaires étrangères car le PYD n’y était pas convié par Ahmet Davutoglu : « M. Muslim a compté pour rien notre position devant l’invitation turque et il ne respecte pas l’accord d’Erbil. Il est parti rencontrer Maliki sans consulter le Conseil national. Son excuse est peut-être qu’il est membre du Comité de coordination mais il pouvait toujours refuser de rencontrer Maliki. » Rejetant les critiques, Salih Muslim s’est dit libre de ses décisions et ne prendre « d’instructions de personne », se disant représenter un « parti politique indépendant qui a son propre agenda et ses plans », ajoutant, ce qui contredit peut-être légèrement ses propos : « J’ai fait ce que l’on attendait de moi » Le leader du PYD a affirmé à la presse que Nouri Maliki reconnaissait la légitimité de la révolution syrienne, et que pour le chiite, le Baath syrien n’était pas différent du Baath irakien qu’il avait lui-même combattu.
Mais les critiques des Kurdes se faisant persistantes, il a fini par faire état d’une invitation préalable de Jalal Talabani, qui s’est reportée, par la force des choses, sur Nouri Maliki. Salih Muslim a aussi indiqué que le but de sa visite était que l’Irak fournisse une aide humanitaire à la Syrie et aux Kurdes, ce qui remet les projecteurs sur le fameux futur pont de Pêsh Khabour : La visite avait-elle uniquement pour but de faire ouvrir par l'Irak un autre couloir qui permettrait au PYD de ne pas dépendre du GRK pour son ravitaillement ? Pour le moment, rien, de cette visite de Bagdad, ne s'est conclu par un geste concret de Bagdad. Les affirmations et démentis qui se succèdent depuis plus d'un mois sont surtout le signe que les relations du PYD, déjà tendues avec le Conseil National Kurde, sont en train de s’envenimer avec le Gouvernement Régional du Kurdistan qui, jusqu’ici, avait pu maintenir une attitude d’arbitre au milieu des querelles kurdes en Syrie.
La « révolution verte » en Iran de 2009 a eu de lourdes conséquences sur la société civile, comme le souligne le dernier rapport de Human Rights Watch, «Why They left», paru en décembre dernier. Le rapport publie des dizaines de témoignages émanant de défenseurs des droits de l’homme, de journalistes, de blogueurs, d’avocats, menacés et pris pour cible par les forces de sécurité et les Renseignements, en raison de leurs prises de position contre le gouvernement. Cette pression gouvernementale a eu pour conséquence un afflux de demandeurs d’asile en Turquie et au Kurdistan d’Irak. La Turquie a vu ainsi le nombre des réfugiés iraniens augmenter de 72% entre 2009 et 2011. Le Kurdistan d’Irak est aussi un choix privilégié, surtout pour les Kurdes d’Iran.
En effet, parmi les acteurs de la société civile, ceux qui militent pour les droits des minorités sont les plus visés en Iran, accusés d’être instrumentalisés par l’étranger. Les minorités ethniques les plus opprimées sont les Kurdes, les Azéris, les Arabes de l’Ahwaz. Les ONG défendant leurs droits sont en butte aux persécutions, aux arrestations et à de sévères condamnations. HRW note qu’en raison de cette politique répressive de l’Iran envers ses minorités, et de ce qu’ils appellent « une parenté culturelle transfrontalière », c’est-à-dire l’état de fait d’un pays-nation coupé arbitrairement en quatre, la majorité des militants appartenant à des minorités ethniques qui fuient vers la Turquie et le Kurdistan d’Irak sont, depuis 2005, surtout des Kurdes.
HWR cite ainsi en exemple l’Organisation des droits de l’homme du Kurdistan (HROK), fondée en 2005 par Sadigh Kaboudvand, qui a compris jusqu’à 200 reporters qui sillonnaient toutes les régions kurdes d’Iran et publiaient leurs articles dans le journal Payam-e Mardom (Message du peuple), aujourd’hui interdit. Sadigh Kaboudvand en était le directeur général et le rédacteur en chef. Il a été arrêté par les services de renseignements le 1er juillet 2007 et emmené à la section 209 de la prison Evin (Téhéran) qui est sous leur contrôle. Il a été mis en isolement près de 6 mois. En mai 2008, la 15ème chambre du Tribunal révolutionnaire a condamné Sadigh Kaboudvand à 10 ans de prison pour avoir agi contre la sécurité nationale en fondant le HROK, et à une autre année d’emprisonnement pour « propagande contre le système en diffusant des nouvelles, opposition au droit islamique en mettant l’accent sur des condamnations telles que la lapidation et les exécutions, et pour avoir plaidé en faveur des prisonniers. » En octobre 2008, la 54ème chambre de la Cour d’appel de Téhéran a confirmé la sentence. Depuis, HWR ne cesse de réclamer sa libération et de lui permettre de toute urgence d’avoir accès à des soins médicaux.
Shahram Bolouri, âgé de 27 ans, a participé en 2009 aux manifestations contestant la fraude des élections présidentielles. Il a expliqué à HRW avoir couvert les violences exercées par les forces de l’ordre contre les manifestants, avoir diffusé ses photographies et ses vidéos, et avoir témoigné par le biais de différents media. Avant cela, il était déjà membre de l'Association kurde, une ONG basée à Téhéran, et avoir travaillé avec plusieurs organisations de la société civile. Le 23 juin 2009, des agents de la Sécurité et des Renseignements ont perquisitionné son domicile à Téhéran et l’ont arrêté. Il a été détenu 8 mois à la prison d’Evin, dont 45 jours en isolement, dans les sections 209 et 240, qui relèvent des Renseignements, avant d’être transféré dans la partie commune. Ses gardiens l’ont soumis à de sévères tortures, physiques et mentales.
« Ma cellule d’isolement [dans la section 240] mesurait 2,5 m sur 1 m. Elle avait des toilettes, pas de fenêtre. Les gardiens venaient souvent et m’ordonnaient de me lever, de m’assoir et d’exécuter toutes sortes de tâches bizarres, juste parce qu’ils en avaient le pouvoir. Une fois, l’un d’eux m’a dit : « Tu ressembles à un athlète. Choisis ton sport. Lève-toi et assieds-toi devant moi. Cent fois, et assure-toi de bien compter ! » Il m’a fait faire cela plusieurs fois, bien que j’avais une jambe cassée. Je transpirais abondamment mais ils ne m’ont pas laissé me doucher. Après deux semaines, le même type a ouvert la porte de ma cellule et a dit : « Pourquoi est-ce que ça sent la merde ici ?» Il m’a ordonné de prendre une douche et de laver mes vêtements. »
Le 6 février 2010, plus de 6 mois après son arrestation, les autorités relâchèrent Shahram Bolouri contre une caution d’un montant anormalement élevé de 200 000 $US. HWR mentionne que plusieurs cas ont été rapportés, de cautions énormes demandées aux familles, comme part du harcèlement psychologique exercé contre les détenus et leurs familles. Shahram Bolouri dit que les pressions financières et psychologiques exercées contre sa famille étaient parfois pire, pour lui, que ce qu’il endurait personnellement. En octobre 2010, un tribunal révolutionnaire à Téhéran l’a condamné à 4 ans de prison pour « rassemblement et collusion contre l’État en ayant participé à des manifestations et en ayant communiqué avec des media étrangers, en diffusant des nouvelles. » Après qu’il a fait appel, sa condamnation s’est vue alourdie de 6 mois en juin 2011. Comme les pressions et le harcèlement s’aggravaient contre sa famille et lui-même, Shahram Bolouri décida de quitter l’Iran. Il a déposé une demande d’asile au bureau du HRC de l’ONU en Irak, le 15 juillet 2011 et cherche maintenant un pays d’accueil où il aurait le statut de réfugié politique.
Media Byezid est un étudiant militant et blogueur, renvoyé de l’université d’Ispahan après avoir participé aux manifestations estudiantines de 2005 et avoir participé à la campagne présidentielle de Mehdi Karroubi en 2008. Le 12 juin 2009 au soir, il était chargé avec d’autres membres ayant fait campagne pour Karroubi de surveiller le dépouillement. Son équipe et des militants ayant fait campagne pour Moussavi ont relevé des irégularités et les ont signalées aux autorités. Des officiels du ministère de l’Intérieur leur a répondu qu’ils seraient tenus pour responsables de toutes « perturbations ». Ils sont alors partis pour Téhéran afin de participer aux manifestations post-électorales. C’est de retour à Saqqez, le 7 novembre, que les ennuis de Media Byezid commencèrent.
« J’ai reçu un coup de fil de quelqu’un de l’université Payam-Nur, à Saqqez qui disait qu’il voulait me rencontrer. Quand j’y suis allé, j’ai remarqué une voiture verte avec deux personnes, qui sont venues près de moi. L’une d’elles a dit que quelqu’un s’était plaint d’être harcelé au téléphone et que je devais répondre aux questions de la police. Ils m’ont mis dans la voiture, m’ont fait baisser la tête, et ont filé. J’ai appris plus tard qu’il s’agissait d’agents du ministère des Renseignements. Nous sommes allés au setad-e khabari [une section des Renseignements chargée de collecter des informations et d’enquêter sur les individus coupables ou suspects d’activités dissidentes] local du ministère des Renseignements. L’interrogateur est entré dans la pièce et a commencé par m’accuser d’avoir des contacts avec des groupes de la guerilla kurde. Mon père était à Koya [Kurdistan d’Irak] et j’avais traversé plusieurs fois la frontière illégalement. Il m’a accusé d’avoir des contacts avec le PJAK [branche iranienne du PKK] et d’autres partis kurdes interdits. Quand j’ai nié avoir eu ces contacts, il m’a giflé en disant : « Ici, ce n’est pas la maison de ta tante ! » Puis ils m’ont dit qu’ils avaient mis mon téléphone sur écoute depuis un moment et m’ont fait entendre les enregistrements de mes conversations. »
Byezid dit que son interrogatoire a duré 7 ou 8 heures. Les autorités l’ont battu et harcelé plusieurs fois, pendant les 13 jours qu’a duré sa détention au Ministère des Renseignements. Ils l’ont finalement libéré mais ont continué de le convoquer pour des interrogatoires, jusqu’à ce qu’il décide de quitter le pays.
Hezha (Ahmad) Mamandi est un militant pour les droits des Kurdes et l’un des membres les plus anciens de l’Organisation des droits de l’homme du Kurdistan (HROK). Il a été initialement condamné à 11 mois de prison pour diverses accusations d’atteintes à la sécurité nationale. Les agents de Renseignements l’ont arrêté de nombreuses fois en 2005, en raison de ses activités au sein du HROK et avec d’autres groupes locaux.
« Je me trouvais à l’université Azad de Mahabad et je collectais des signatures [en 2006] quand plusieurs agents de Renseignement m’ont arrêté, ainsi qu’un autre collègue, nous ont mis dans une voiture et nous ont conduit au centre de détention local. Ils nous ont interrogés durant 2 semaines. Ils posaient beaucoup de questions sur le HROK et ses relations avec l’Amérique. Ils nous ont battus plusieurs fois mais faisaient attention de ne pas nous frapper au visage. Je n’ai pas pu voir un avocat. Après 2 semaines, ils m’ont envoyé, avec mon collègue, au tribunal révolutionnaire de Mahabad. La session du tribunal a duré 2 à 3 minutes. Quand nous avons essayé de parler au juge, ils nous a chassés de la salle d’audience. Ils nous ont transferrés à la prison centrale de Mahabad et j’ai découvert un peu plus tard que j’avais été condamné à 20 mois de prison pour agissements contre la sécurité nationale et pour avoir troublé l’ordre public. »
En appel, sa sentence fut réduite à 10 mois et il fut relâché en 2006. Il reprit alors ses activités au sein du HROK, mais après que les autorités ont arrêté en 2006 et 2007 Sadigh Kaboudvand et Saman Rasoulpour, deux des leaders de l’organisation, le groupe a réduit ses activités. En 2010, après l’exécution de Farzad Jamangar et de plusieurs autres militants kurdes, Mamandi et ses collègues du HROK ont aidé à mener une grève dans les régions kurdes d’Iran. La grève fut un succès et irrita les autorités. Il fut identifié, avec d’autres, comme les meneurs. Le 22 mai 2010, il s’enfuit au Kurdistan d’Irak.
Amir Babekri était enseignant et journaliste à Piranshahr, une ville à majorité kurde de la province d’Azerbaïdjan occidental. Amir Babekri a rejoint le HROK en 2005 et a travaillé sur différentes questions concernant les droits des Kurdes. Une unité de Gardiens de la Révolution est venue l’arrêter en décembre 2007, à l’école primaire où il enseignait.
« Trois hommes armés m’ont fourré dans une Toyota et m’ont emmené au centre de détention local. Là, ils ont essayé de m’impliquer avec des partis politiques kurdes. J’ai nié. Ils ont menacé de m’envoyer à Urmiah si je refusais de coopérer. Je leur ai dit de le faire. Ils m’ont frappé plusieurs fois la dernière nuit, avant que je sois envoyé à Urmiah, mais je n’ai pas été torturé. » [Au centre de détention d’Urmiah], nous étions 40 répartis dans deux pièces. Les autorités accusaient certains d’entre nous d’avoir des liens avec le PJAK. Il y avait des interrogatoires tous les jours, et nous entendions beaucoup de hurlements. En tout, j’ai été interrogé 18 jours, mais ils me transferraient pour m’interroger dans un autre lieu de détention qui était à 5-6 minutes en voiture. J’étais aveuglé. Ils m’ont fait subir, ainsi qu’à d’autres, toutes sortes de mauvais traitements. Parfois, ils nous jetaient dans la neige. D’autres fois, ils nous passaient les menottes à un mur et nous forçaient à nous tenir sur la pointe des pieds. Ils nous frappaient aussi sur la tête avec des bâtons. »
Amir Babekri a dû répondre à de nombreuses questions sur ses contacts du HROK. Il fut finalement forcé de reconnaître son appartenance au HROK mais refusa de donner les noms de ceux qui y travaillaient clandestinement. Il fut finalement accusé par les autorités d’être un « ennemi de Dieu » (moharebeh, passible de la peine de mort), membre d’un groupe illégal et d’être allé clandestinement au Kurdistan d’Irak. La lecture de son acte d’accusation au tribunal d’Urmiah a duré de 2 à 3 minutes. Il n’avait aucun défenseur et se souvient avoir vu plusieurs officiers des Gardiens de la Révolution présents dans la salle. Il fut jugé 4 mois plus tard et son procès dura 30 minutes. Cette fois, un avocat était présent. L’accusation d’être un moharebeh ne fut pas reprise mais il fut convaincu de «propagande contre l’État» et d’appartenance au HROK. Sa condamnation fut d’un an et 3 mois de prison.
En raison des pressions continuelles exercées contre lui et du fait qu’il ne pouvait plus enseigner à Piranshahr, Amir Babekri décida de quitter l’Iran et de déposer une demande d’asile au bureau du HCR au Kurdistan d’Irak, le 15 juillet 2009.
Militant pour les droits des Kurdes, Rebin Rahmani fut arrêté par les forces de sécurité le 19 novembre 2006, à Kermanshah. Il travaillait alors à un projet de recherche sur la dépendance à la drogue et le virus HIV dans la province de Kermanshah. Après son arrestation, il a passé environ 2 mois en détention, dans les locaux du ministère des Renseignements. Il a été interrogé à la fois par des agents de Kermanshah et de Sanandadj (Sine, prov. du Kurdistan), et soumis à des tortures physiques et psychologiques. En janvier 2007, un tribunal révolutionnaire l’a condamné à 5 ans de prison pour « agissements contre la sécurité nationale » et « propagande contre l’État ». Le procès dura 15 minutes, sans avocat.
En mars, la sentence fut réduite à 2 ans en appel. Rebin Rahmani qui était détenu dans la prison Dizel Abad de Kermanshah fut alors transféré plusieurs fois dans les locaux du ministère des Renseignements pour y subir des interrogatoires, toujours sous la torture et de longues périodes d’isolement, afin de lui faire avouer des liens avec des groupes armés kurdes séparatistes. On menaça d’arrêter également sa famille et en juin 2008, son frère fut effectivement arrêté afin de faire pression sur Rebin Rahmani. Celui-ci tenta deux fois de se suicider, mais les autorités ne purent jamais ajouter à son dossier d'autres chefs d’accusation. Relâché fin 2008, il apprit qu’il avait été renvoyé de l’université et ne pouvait plus poursuivre ses études. Il rejoignit alors la section locale des Militants des droits de l’homme en Iran (HRA), mais en utilisant un pseudonyme car il craignait d’être arrêté à nouveau.
Avant de fuir au Kurdistan d’Irak, il a pu interviewer des familles et rédiger des rapports pour le HRA, la plupart au sujet des violations des droits de l’homme commises par le gouvernement dans les régions kurdes d’Iran. Il avait aussi en charge la section en kurde du site Web de HRA. En mars 2010 eut lieu un grand coup de filet contre les militants des droits de l’homme, dont les HRA, à Téhéran et dans d’autres grandes villes. Rebin Rahmani put y échapper car sa couverture ne fut pas dévoilée au sein des HRA. Mais le même mois, il participa à une manifestation contre l’exécution de plusieurs prisonniers politiques kurdes et les autorités locales le mirent sous surveillance.
En décembre 2010, les forces de sécurité perquisitionnèrent son domicile, peu de temps après qu’il ait participé à un rassemblement devant la prison de Sanandadj pour protester contre l’exécution imminente de Habibollah Latifi. Rebin Rahmani sentit alors qu’il devait s’enfuir pour le Kurdistan d’Irak. Il enregistra sa demande d’asile à Erbil le 6 mars 2011.
Fayegh Roorast, militant kurde et étudiant en droit à l’université d’Urmieh a été arrêté en janvier 2009 pour avoir coopéré avec plusieurs organisations comme le HROK, les HRA et la campagne Un million de signatures. Les agents des Renseignements ont commencé de le prendre pour cible quand Farzad Kamangar fut condamné à mort, en mars 2008. Fayegh Roorast mena alors plusieurs entretiens diffusés dans des media étrangers, au sujet de l’arrestation de Farzad Kamangar, Zainab Bayazidi et d’autres militants pour les droits des Kurdes. Le 15 janvier 2009, des agents des Renseignements attaquèrent la boutique de son père et arrêtèrent ce dernier. Un peu plus tard, ils vinrent au domicile de Fayegh Roorast et saisirent ses affaires personnelles, sans l’arrêter. Mais 2 jours plus tard, il fut convoqué avec son frère, sa sœur et sa tante au bureau des Renseignements de Mahabad. On l’accusa de travailler avec des groupes d’opposition kurdes interdits, dont le PJAK. Toute sa famille fut relâchée, mais lui resta 17 jours en détention.
« Au ministère des Renseignements de Mahabad, ils me menaçaient et me harcelaient tous les jours. Mon interrogateur jouait le rôle du bon flic qui me pressait de coopérer et du mauvais quand je refusais de faire ce qu’il voulait. Il m’a frappé et a menacé de s’en prendre aux membres de ma famille, et même de les violer. Après 5 jours d’interrogation et de coups, il me dit : « À partir de maintenant, tu ne vas plus seulement être interrogé. Maintenant, je suis responsable de ton enseignement. » Fayegh Roorast fut ensuite transféré au ministère des Renseignements à Urmiah. « Les autorités m’ont maintenu en isolement plusieurs jours. Il y avait trois cellules d’interrogatoire, ou de torture, dans les pièces du bas. J’entendais des bruits horribles venir de là. Ils m’y ont emmené 15 ou 16 fois. L’endroit puait l’urine et les excréments. Ils m’ont soumis à toutes sortes de tortures, ils m’ont suspendu par les poignets au mur de sorte que je sois forcé de me tenir sur la pointe des pieds, m’ont appliqué des chocs électriques sur les orteils et les doigts, ils m’ont battu. Ils me demandaient pourquoi j’avais sur moi la liste des noms des prisonniers et pourquoi je collectais des signatures pour la campagne Un million de signatures. »
Fayegh Roorast a dit à HRW qu’il avait refusé de donner des noms. Les autorités l’ont relâché au début de l’année 2010. Il a quitté l’Iran l’été de la même année.
Yaser Goli est un étudiant militant, secrétaire de l’Union démocratique des étudiants du Kurdistan. En 2006, les agents des Renseignements l’ont arrêté. Il a été condamné à 4 mois de prison avec sursis. Les autorités universaitaires l’ont empêché de poursuivre ses éudes pour sanctionner ses activités politiques. En plus de ses activités au sein de l’Union démocratique des étudiants du Kurdistan, Yaser Goli était impliqué dans plusieurs organisations de la société civile, comme la campagne Un million de signatures, Azarmehr, l'association des femmes kurdes, qui organise des ateliers et des activités sportives pour les femmes, et le comité des droits de l’homme de l’Union démocratique des étudiants du Kurdistan.
Fin 2007, alors qu’il poursuivait ses activités et protestait contre la décision de l’université de le renvoyer, les forces de sécurité l’ont arrêté et transféré dans un lieu de détention à Sanandadj, géré par les Renseignements. Il a été interrogé 3 mois durant, soumis à des tortures physiques et psychologiques, et maintenu en isolement. En novembre 2008, un tribunal révolutionnaire l’a condamné à 15 ans de prison en exil (hors de sa province, à Kerman, à 1000 km de Sanandadj) pour être un « ennemi de Dieu ». Il a été autorisé à sortir temporairement afin de recevoir un traitement pour un sérieux problème cardiaque, sous caution. Sa famille et lui ont fui au Kurdistan d’Irak en mars 2010.
Amin Khawala est journaliste. Il travaillait comme correspondant du Saqqez News Center (SNC) et informait Human Rights Watch sur les pressions et les menaces que rencontrent les reporters dans la province du Kurdistan. Depuis que le SNC a commencé ses activités en 2006, il a eu à subir des pressions de la part des autorités, en raison des sujets sensibles, portant autour des Kurdes, que le centre abordait, par exemple en publiant la liste de dizaines de noms de contrebandiers abattus par la sécurité iranienne et les gardes frontaliers, ou bien les noms des responsables gouvernementaux impliqués dans des affaires de corruption, ou ceux des militants de l’opposition ou des droits de l’homme arrêtés par les forces de sécurité. Le SNC a couvert aussi, dans la province du Kurdistan, les événements politiques qui ont suivi les élections frauduleuses de 2009. La Sécurité a perquisitionné le domicile du rédacteur en chef, Atta Hamedi, le 4 janvier 2011, avec confiscation de ses affaires personnelles, et en avril 2011, le site web du centre a été filtré.
«J’ai été convoqué et averti plusieurs fois par le ministère des Renseignements. Ils m’ont menacé et dit que j’avais blasphémé. Ils m’accusaient aussi d’être impliqué dans des activités criminelles et terroristes. J’avais déjà été condamné à 2 ans avec sursis par un tribunal révolutionnaire en 2011. Ils ont menacé de rouvrir mon dossier et de me renvoyer en prison, aussi je me suis enfui au Kurdistan irakien.» Depuis qu’Amin Khawala a fui, le 3 mars 2011, les forces de sécurité iraniennes harcèlent et persécutent sa famille afin de le faire rentrer en Iran.
Fatemeh Goftari était membre d’Azarmehr, co-fondatrice des Mères du Kurdistan pour la paix et militait dans la campagne Un million de signatures. Les Renseignements l’ont arrêté en 2002 à Sanandadj (Sine) et accusée de propagande contre l’État. Un tribunal révolutionnaire l’a condamnée à 5 ans de prison, mais sa sentence fut finalement commuée et elle ne fit que 6 mois. Le 14 janvier 2008, elle fut de nouveau arrêtée par les Renseignements de Sanandadj. Un tribunal révolutionnaire la condamna pour agissements contre la sécurité nationale à 25 mois de prison. Elle en passa une partie en isolement, dans la ville de Birjand, dans la province du Khorassan sud, à 1000 km de chez elle. Après sa libération, elle et son mari étaient constamment surveillés et convoqués par les Renseignements de Sanandadj. Fatemeh Goftari a finalement quitté l’Iran en mars 2010 après avoir refusé de se rendre à une convocation et avoir échappé à une tentative d’arrestation durant laquelle elle a été frappée.
La situation de ces réfugiés au Kurdistan d’Irak est soumise en partie à la dépendance politique du GRK au reste de l’Irak. L’Irak, en effet, n’est pas signataire de la Convention de 1951 sur les réfugiés et c’est donc le HCR qui est responsable avant tout du traitement et de l’enregistrement des demandes d’asile au Kurdistan d’Irak. Mais la majorité des Iraniens enregistrés en Irak comme réfugiés auprès du HCR l’ont fait de la Région kurde. En octobre 2012, ils étaient environ 9636. La plupart d’entre eux sont kurdes, beaucoup sont là depuis les années 1980. Un responsable du HCR à Erbil a expliqué aux enquêteurs de HRW que les pays susceptibles d’accueillir ces Iraniens menacés, surtout les pays européens, montraient peu de zèle à le faire, par crainte de problèmes d’intégration dans les pays d’accueil, la conviction que ces Kurdes d’Iran étaient au Kurdistan d’Irak depuis des années et donc bien intégrés, et enfin l’idée largement admise que la Région du Kurdistan d’Irak est sûre et que les demandeurs d’asile ont un accès correct aux services de base. Les Kurdes d’Iran, venus dans les années 1980 qui n’ont jamais été relogés dans des pays tiers, ne sont pas naturalisés citoyens irakiens.
À l’encontre du HCR, les griefs des Kurdes d’Iran portent sur ce même sentiment d’indifférence et le sentiment que les bureaux font peu d’efforts pour leur trouver un pays d’accueil, du fait que le GRK est une zone « sûre ». Beaucoup d’entre eux ont émigré clandestinement en Europe sans attendre que le HCR leur trouve un pays d’asile. Dans les cinq dernières années, seuls 36 Kurdes d’Iran ont trouvé un pays d’accueil via le HCR, alors que leur nombre ne cesse d’augmenter. 500 se sont enregistrés pour l’année 2007, en octobre 2012, c’est une moyenne de 9 à 10 réfugiés d’Iran qui venaient s’inscrire par semaine.
Le HCR a déclaré à HRW travailler en bonne tentente avec le GRK et avoir une opinion positive de la façon dont la Région kurde traite les réfugiés et demandeurs d’asile iraniens. Un responsable a indiqué n’avoir pas entendu parler de menaces ou d’expulsions dans la Région, un autre a mentionné certaines fois où des réfugiés étaient menacés d’expulsion en Iran s’ils étaient la cause de « problèmes de sécurité » mais que le HCR est intervenu dans ces affaires et que, ces cinq dernières années, personne n’a été expulsé en Iran pour de tels motifs.
Cependant, des Kurdes d’Iran se sont plaints à HRW d’avoir été « avertis » par des agents de la sécurité kurde ou des Renseignements de s'abstenir d'activités politiques ou de critiquer moins ouvertement l’Iran. Un demandeur d’asile iranien a, sous couvert d’anonymat, raconté qu’il avait été plusieurs fois « averti » au bureau des résidents et par les Asayish de s’abstenir de dénoncer les manquements aux droits de l’homme en Iran, et qu’un responsable lui avait clairement dit que le GRK « ne sacrifierait pas ses relations avec les Iraniens » même si la sûreté d’un réfugié iranien était en cause.
D’autres témoignages confirment cette politique qui vise par des menaces de restrictions dans le droit de circuler ou le statut de résidents, à décourager les demandeurs d’asile de poursuivre leurs activités militantes.
La procédure pour obtenir le droit de résider au GRK est simple : si un réfugié entre au Kurdistan d’Irak, il doit se faire enregistrer d’abord au HCR qui lui délivre une attestation écrite de sa demande. Ensuite il doit se présenter à la police locale pour obtenir un permis de résidence de 10 jours. Puis il doit se rendre à la Direction des Résidents du GRK pour un entretien. S’il obtient une habilitation de sécurité, il aura alors un permis de résider renouvelable tous les 6 mois. S’il y a des problèmes pour obtenir cette habilitation, il reçoit un permis renouvelable tous les mois. Pour obtenir cette accréditation des autorités, les Kurdes d’Irak demanderaient aux réfugiés des lettres de soutien ou des recommandations de la part de l’opposition iranienne en exil au Kurdistan, ou de partis politiques kurdes irakiens, comme le PDK ou l’UPK. Plusieurs militants répugnent à cette démarche, ne voulant pas être affiliés à un parti. Sans ce « parrainage » il semble difficile aux réfugiés d’acquérir un permis de résident permanent ou bien il sera considéré comme un simple « travailleur migrant » et ne devra pas s’engager dans une activité politique. Un autre réfugié iranien s’est plaint que son permis de résidence n’ait pas été renouvelé après qu’il a manifesté plusieurs fois contre l’Iran et contre les autorités du GRK et qu’on l’a menacé d’expulsion.
Enfin les réfugiés font état de pressions exercées en Iran contre leur famille une fois que les services iraniens découvrent qu’ils sont au Kurdistan d’Irak. Certains ont même reçu des menaces par téléphone et beaucoup craignent que les services iraniens s’en prennent à eux directement en territoire irakien, mais HRW n’a pas été en mesure de vérifier si ces craintes sont fondées.
HRW a demandé au GRK de lever ces restrictions concernant les militants qui agiraient de façon politique et non violente. Il demande aussi de mettre fin à l’exigence de « garantie » et de « protection de la part de partis kurdes iraniens en exil ou des partis politiques kurdes en Irak pour accorder aux réfugiés un permis de résidence ou le renouveler. HWR demande à ce que les restrictions de mouvements et de résidence soient du « cas par cas » et n’aient pour motif que la « santé publique » et la « sécurité nationale ».
Dans ses recommandations aux autres pays susceptible d’accueillir les demandeurs d’asile, à savoir l’UE, le Canada, l’Australie et les USA, il leur est fait savoir que certains réfugiés kurdes d’Iran ne sont pas en mesure de « s’intégrer localement dans le nord de l’Irak » et qu’il faudrait réenvisager leur installation. Concernant la situation des réfugiés en Turquie, HRW indique que ce pays a refusé la venue, sur son sol, du Dr. Ahmed Shaheem, rapporteur des Nations Unies sur les droits de l’homme en Iran, afin qu’il puisse rencontrer ces demandeurs d’asile. HWR appelle Ankara à lever cette interdiction et à enregistrer et accueillir de façon satisfaisante les réfugiés iraniens.
Le célèbre acteur égyptien Adel Imam s’est rendu à Erbil le 4 décembre, invité par la chaîne de télévision satellite al-Aadel et un homme d’affaire kurde afin de lui rendre hommage pour son rôle dans la série «L’équipe de Nagy Attallah» ainsi que pour l’ensemble de sa carrière. Accompagné de son fils Rami, la superstar du cinéma arabe a incité les Kurdes à diffuser leur culture «à un niveau mondial afin de soutenir leur cause».
S’exprimant lors d’une conférence de presse, l’acteur égyptien a assuré «tout savoir sur les problèmes des Kurdes et être conscient des droits qu’ils réclament et de leurs souhaits, en insistant sur le fait que les Kurdes devraient s’exprimer davantage par le biais de l’art et de la culture à un niveau international : «Cela soutiendrait grandement la question kurde.» Adel Imam s’est dit heureux de sa venue dans la Région du Kurdistan, en faisant part de l’affection qui le lie aux Kurdes, racontant qu’au cours de ses voyages,: « Quand des gens de Turquie, d’Iran ou d’Irak venaient m’embrasser, je finissais toujours par découvrir qu’ils étaient kurdes. Mes relations avec le peuple kurde ne cessent jamais, par le biais des messageries, des discours, des appels téléphoniques, ils témoignent de l’admiration pour mon art. Je sais que tu aimes Adel Imam et Adel Imam t’aime aussi», conclut-il en s’adressant à son public kurde.