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avec revues de presse

Bulletin N° 360 | Mars 2015

 

 

TURQUIE : ÖCALAN DEMANDE AU PKK L’ABANDON DE LA LUTTE ARMÉE

En février dernier, Abdullah Öcalan avait appelé sa guérilla à déposer les armes, et présenté "dix points considérés comme "essentiels" pour le résolution de la question kurde en Turquie. Mais la teneur floue de ces dix articles n’a pas été éclaircie dans le message lu au Newroz par les responsables du parti HDP. Le seul point clair est l’appel au désarmement du PKK, sans plus mentionner de contreparties culturelles, linguistiques ou d’autonomie régionale, seulement le souhait d’une « citoyenneté démocratique au sein de la république de Turquie ».

 

Si l’on compare le message de ce Newroz 2015 avec celui lu dans les mêmes conditions en mars 2013, le cadre historique, voire civilisationnel, dans lequel Öcalan a inscrit ses deux discours, change du tout au tout :  Le premier s’adressait à « l’aire culturelle du Newroz », c’est-à-dire tout le Moyen-Orient et l’Asie centrale. Dans un éloge de la Mésopotamie, il replaçait le peuple kurde dans un vaste ensemble oriental où, aux côtés des Arabes, des Perses, des Turcs, ils étaient sommés de se dresser contre « l’impérialisme occidental », vu comme la source de tous les maux dont souffre l’ensemble de la région. L’Occident était jugé responsable des « guerres de conquêtes et d’ingérence » qui avaient dressé les peuples entre eux,  en traçant les frontières des États-Nations : 

 

« Les mentalités colonialistes, négationnistes et répressives n’ont plus de raison d’être. Les sociétés du Moyen-Orient et de l’Asie centrale s’éveillent et reviennent à leurs origines […]Cette civilisation antique et vieille de plusieurs millénaires, les Kurdes l’ont construite dans la fraternité avec diverses ethnies et religions, et y ont vécu dans la paix avec celles-ci. »

 

Mais en 2015, un bémol est mis sur la grande fraternité des peuples d’Orient et d’Asie centrale, plutôt mise à mal avec le surgissement de l’État islamique et la bipolarité croissante d’un affrontement chiites/sunnites dans toute la région : aux côtés des « politiques néolibérales imposées au monde entier par le capitalisme impérialiste », les coupables sont maintenant leurs « collaborateurs despotiques régionaux . 

 

Le «  processus 2015 » ne concerne donc plus, comme en 2013, l’ensemble des peuples du Moyen-Orient et de l’Asie centrale. Il ne s’agit plus que d’un chapitre de l'histoire « turque »,  lu « officiellement dans l’historique palais de Dolmabahce. Et au contraire de 2013, où les termes « peuple kurde », et « Kurdistan » revenaient sans cesse, ils n’apparaissent plus du tout dans ce nouveau discours, sauf dans l’énumération des minorités religieuses et ethniques persécutées par de Daesh, mais il s’agit là des populations vivant dans la « région » occupée par l’État islamique, soit hors de Turquie. Par ailleurs, si le discours de 2013 appelait à une réconciliation des peuples kurdes et turcs, il ne s’agit plus maintenant de la guerre des Kurdes et des Turcs, mais de « la lutte armée menée depuis près de quarante ans par le PKK contre la République de Turquie ».

 

En 2013, il ne s’agissait de retirer les troupes du PKK de Turquie. Deux ans plus tard, un pas supplémentaire est franchi, au moins en paroles, et ce qui est demandé, cette fois, n’est plus le simple retrait mais la « fin de la lutte armée », à l’issue d’un futur Congrès à qui aura pour tâche d’entériner et d’appliquer  la nouvelle ligne politique. 

 

 

Après le congrès du PKK et son « adieu aux armes », le programme proposé par Öcalan  est le suivant :

 

« …la construction d’une société démocratique jouissant d’une identité démocratique et fondée sur une citoyenneté libre et égalitaire garantie constitutionnellement, dans le cadre de la République de Turquie […]Ainsi, nous laissons derrière nous les 90 ans de conflits qui ont marqué l’histoire de la République de Turquie, et marchons vers un avenir façonné par les critères de la démocratie universelle et fondé sur une paix véritable. »

 

Quant aux principes politiques sur lesquels doit s'appuyer cette paix qui ne concerne plus que la Turquie ils reprennent le discours anti-États-nations, « fruits de l'impérialisme capitaliste » qui figurait déjà dans le message de 2013, ainsi que le refus du « nationalisme ethnique » :

 

« La réalité de l’impérialisme capitaliste, telle qu’elle se manifeste en particulier depuis un siècle, est la suivante: renfermer sur elles-mêmes les identités religieuses et ethniques, contrairement à leur essence, et les mettre en opposition sur la base du nationalisme de l’Etat-nation […] La fondation de pays sur des bases ethniques et nationales unitaires fait partie des objectifs inhumains de la modernité capitaliste, et renvoient à la négation de nos origines. » 

 

Mais  à l’époque, il s’agissait de mettre fin, à terme, à tous les États existants du Moyen Orient, alors qu’en 2015, même si la notion d’État-nation est toujours vue comme la source de tous les maux, le paradoxe est qu’il est demandé aux Kurdes de rester citoyens de la République de Turquie, dans « une citoyenneté libre et égalitaire garantie constitutionnellement, dans le cadre de la République de Turquie » bien que cet État soit lui-même fondé sur un nationalisme ethnique plutôt intransigeant, et en bien des points franchement raciste :

 

 

La résistance de Kobanî est saluée en fin de discours, mais cette louange est tout de suite suivie d’un éloge de « l’esprit d’Eşme », une allusion directe au sauvetage des gardiens du tombeau de Suleyman Shah  auquel les YPG ont prêté assistance, alors que tout le long du siège de Kobanî, le PYD, le PKK et le HPD n’ont cessé de dénoncer la collusion entre Daesh et la Turquie, et que la survie de Kobanî fut présentée, en janvier dernier, autant comme une victoire contre l'État islamique que contre le jeu trouble d’Ankara.

 

 

La façon dont a été reçue cette nouvelle ligne politique par les Kurdes se traduira probablement dans les urnes aux prochaines législatives de juin. Les Kurdes de Turquie partagent ou alternent leurs votes principalement entre l’AKP et le parti du HDP. Une victoire du parti au pouvoir donnera raison à Erdogan et sa politique « kurde » ainsi qu’à son affirmation « il n’y a pas de question kurde en Turquie ». À l’inverse, un bon score du HDP sera présenté comme un vote de confiance envers Öcalan et son processus de paix. 

 

Mais le parti kurde a une marge de manœuvre plus étroite que l'AKP, devant à la fois soutenir la politique d’Öcalan, sans paraître inféodé au jeu d'Erdoğan aux yeux des Kurdes. Selahattin Demirtaş, dans sa campagne électorale, devra ainsi poser des exigences dans ce processus, au nom des Kurdes, c’est-à-dire s’opposer à Erdoğan mais sans avoir l’air de trop critiquer le processus de paix négocié par Öcalan, à moins d’une scission entre pro et anti Öcalan qui, jusqu’ici, n’a jamais eu lieu. Mais si le HDP ne demande pas, au nom de son électorat kurde, un peu plus que ce qu’a l’intention de lui octroyer l’AKP, cela pourrait inciter ces mêmes Kurdes à voter pour le parti au pouvoir qui, lui, au moins, – à programme égaux – a la possibilité de distribuer gratifications, privilèges et passe-droit à ses électeurs ou à ses membres.

 

Interrogée sur les déclarations du président turc au sujet de l’inexistence d’une question kurde, la maire de Diyarbakir, Gültan Kışanak, a approuvé : 

 

« C’est correct. Il n'y a plus de problème kurde en Turquie. Les Kurdes sont devenus une force fondamentale et une dynamique de démocratie. » 

 

Le seul problème vient, selon elle, de « mauvais administrateurs qui résistent » et ne pensent pas « suffisamment démocratiquement, pluralistiquement et en faveur du peuple ». Par contre, Kışanak reconnaît que les Kurdes sont encore privés de droits, notamment celui d’être éduqués dans leur langue maternelle, mais on ne voit pas trop sur lequel des 10 points proclamés dans « l'historique palais de Dolmabahçe », le droit à cette éducation va pouvoir s’appuyer.

 

 

 

SYRIE : UN DOUBLE ATTENTAT SUICIDE FAIT DE NOMBREUSES VICTIMES À HASSAKÉ

Entre la dernière semaine de février et le 2 mars, une offensive conjointe des YPG et de milices arabes de l’ASL, soutenue par les bombardements de la coalition, ont permis la prise de Tell Hamis, une des places fortes de l’État islamique, que les mêmes YPG avaient tenté en vain de prendre en janvier 2014. En représailles, Daesh a fait irruption dans des villages chrétiens assyriens de Hassake et enlevé des centaines de civils. Moins de 20 d’entre eux ont été relâchés presque immédiatement, après des négociations sur le terrain, avec des tribus locales.

L’avancée des YPG dans la région de Hassaké va peut-être inciter le régime, de son côté, à accentuer sa présence dans la seule région orientale où il est encore présent. Le 2 mars, une organisation pro-gouvernementale, appelée « La Djézireh est arabe et syrienne » a vu le jour, avec pour objectif affirmé de maintenir le caractère « arabe et syrien » de la province de Hassaké, laquelle est, en réalité, partagée entre populations kurdes, chrétiennes et arabes sunnites.

Malgré sa retraite de la ville et des villages de Kobanî, l’État islamique n’a pas renoncé à combattre sur le « front kurde » et, fidèle à son habitude d’attaquer ailleurs quand il a subi une défaite en un lieu, c’est sur Serê Kaniyê/Ras al ‘Ayn, entre le 10 et le 16 mars, qu’il a lancé des unités de combattants, munis de chars et d’armes lourdes. D’après l’Observatoire syrien des droits de l’homme, le village de Ghanzeer, à 30 km de Serê Kaniyê aurait été pris par Daesh, qui a tenté de s’emparer aussi du pont de Qaraqawaz (près de la fameuse tombe ottomane de Suleyman Shah) mais a finalement dû reculer sur la rive ouest de l’Euphrate, repoussé par des forces conjointes YPG-ASL (la Chambre d’opération Volcano), non sans détruire partiellement le pont. Les 12 et 13 mars, les combats continuaient aussi dans la Djézireh, les YPG renforçant Qamishlo et la coalition bombardant l’EI à Hassaké selon Rêdûr Xelîl, le porte-parole des YPG.

Mais cette guerre est aussi une guerre du terrorisme, et le 21 mars, en plein jour de Newroz, un attentat à la double voiture piégée a fait au moins 45 morts et blessé environ 70 autres, civils pour la plupart, dans la ville kurde de Hassakeh. La double attaque a eu lieu dans le quartier Al-Mufti et visait à la fois les locaux du TEV-DEM (PYD) et ceux du Parti démocratique du Kurdistan-Syrie, lors de leur célébration du Newroz. Beaucoup de femmes et d’enfants ont été tués ou blessés.

Au 31 mars, la situation sur le terrain d’occupation militaire des différents belligerents dans les villes kurdes ou mixtes était la suivante :

– Afrin, toujours épargnée par les combats, est tenue par les YPG, mais est encerclée par des zones contrôlées par différents groupes de l’ASL (dont des djihadistes) et d’autres dans lesquelles l’EI tente des incursions, comme Azzaz.

– Kobanî est restée aux mains des Kurdes, mais reste «encadrée » à l’ouest et à l’est par l’État islamique, qui contrôle Jarablus et Tell Abyad.

– Serê Kaniyê reste contrôlée par les Kurdes.

– Hassaké et Qamishlo sont à moitié contrôlées par le régime syrien et par les YPG.

– Dêrik est sous contrôle kurde.

– Yaroubia, sur la frontière du Kurdistan d’Irak, est toujours objet des incursions de l’État islamique, sa position-clef sur la frontière de Rabia (côté GRK) faisant de cette localité un point de liaison névralgique entre Raqqa et Mossoul, et aussi vers le front de Sindjar.

Par ailleurs le 28 mars, le ministre des Peshmergas du Kurdistan irakien a annoncé l’envoi de nouvelles unités de Peshmergas à Kobanî, dans le but d’ouvrir une base militaire permanente d’entraînement pour les combattants kurdes locaux et aussi pour protéger la ville.

IRAK : REPRISE DE TIKRIT PAR L’ARMÉE IRAKIENNE

Le 27 février,le gouvernement irakien annonçait le début d’une offensive pour reprendre Tikrit, Dour et Alam à l’État islamique, offensive qui ne devait débuter que le 28, afin, selon le gouverneur de la province de Salahahddin, de laisser le temps à la population civile de fuir, notamment à Samarra où 2000 tentes avaient été installés. On ignore combien de civils (en majorité sunnites) ont réellement fui dans les provinces chiites. Selon des témoignages locaux, presque tous les habitants de Tikrit qui en avaient la possibilité avaient déserté la ville, hormis les plus pauvres, sans moyens ni ressources pour s’enfuir. Mais les habitants de Tikrit auraient plutôt afflué vers Alam (non désertée) puis se seraient éparpillés entre Kirkouk, Baidji, Shirkat, et même Mossoul, ce qui indiquerait que de nombreux sunnites se sentiraient plus en sécurité dans les régions encore tenues par l’EI que dans les camps de Samarra, en zone chiite, même si le Premier Ministre Abadi, s’étant déplacé dans cette ville pour superviser les opérations, avait appelé à protéger les civils et leurs biens.

Par ailleurs le 1er mars, tandis que l’artillerie irakienne avait déjà commencé d’attaquer Dour, une source « anonyme » de la Sécurité irakienne déclarait à la presse que Daesh avait rassemblé des civils pour les utiliser comme boucliers humains à Tikrit, Alam, Albu Adjil.

Le même jour, le Camp Speicher était atteint par les militaires irakiens, les milices et des unités armées tribales alors que l’aviation irakienne commençait de bombarder le centre-ville de Tikrit et que plusieurs zones périphériques étaient prises.

Durant la première semaine de l’opération, entre le 28 février et le 8 mars, l’armée irakienne, les milices chiites et les milices tribales de Salahaddin ont avancé sur Tikrit à partir de deux points : un, au sud, venant de Samarra, l’autre à l’est, venant de Kirkouk et de Diyala. L’offensive s’est attachée à s’emparer d’abord des régions à l’est de Tikrit, comme Alam et Dour, les champs de pétrole d’Adjil (près de Dour) étant repris le 8 mars, mais après avoir été incendiés par Daesh le 4 mars, avant que les djihadistes ne laissent la place.

Toujours le 8 mars, les forces aériennes et au sol encerclaient Alam, bloquant ainsi la route vers Tikrit, où les combattants Daesh s’étaient repliés à partir du front oriental. Les 12 et 13 mars, des sources anonymes militaires annonçaient que l’armée et les milices irakiennes étaient parvenus au centre de Tikrit, mais attendaient sur place des renforts. Le 18 mars, l’aviation bombardait lourdement la ville. Enfin, le 25 mars, les forces aériennes de la coalition frappaient l’État islamique à Tikirit, alors qu’au sol environ 4000 combattants de l’armée régulière et des forces spéciales se trouvaient engagés.

Le 30 mars, un journaliste sur place annonçait que le drapeau irakien flottait sur le toit d’un hôpital et des bâtiments officiels au sud de la ville, où deux bâtiments appartenant à la police étaient également pris. Le 31 mars, le commandant de la police fédérale, le général Raed Shakir Djawdat déclarait que Tikrit était entièrement « nettoyé hormis quelques poches » des combattants de Daesh et que le drapeau irakien flottait sur la majeure partie des bâtiments gouvernementaux.

IRAN : 36 ORGANISATIONS DE DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME INTERPELLENT L’ONU

Le 28 mars, 36 ONG défendant les droits de l’homme, locales, comme l’Association pour la défense des prisonniers politiques en Azerbaïdjan occidental, ou l’Association pour les droits de l’homme en Azerbaïdjan iranien, l’Association pour les Droits de l’homme au Kurdistan d’Iran-Genève (KMMK-G), The Kurdistan Human Rights Network, Amnesty International, l’Association pour les droits de l’homme au Baloutchistan, the European Ahwazi Human Rights Organisation, International Campaign for Human Rights in Iran, The Advocates for Human Rights, la Connunauté internationale Baha’i, le Comité de protection des journalistes, Ensemble Contre La Peine de Mort (ECPM), Human Rights Watch, et beaucoup d’autres, ont signé ensemble un appel adressé aux États membres du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, lors de la 28e session de l'Organisation des Nations Unies Conseil des droits de l’homme.

Il s’agissait de demander de soutenir la résolution visant à renouveler le mandat du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l'homme en République islamique d’Iran, exposée en ces termes :

« La situation en Iran reste celle d’une violation systématique des droits de l’homme, profondément enracinée dans les lois, les politiques et les pratiques, qui requièrent l’attention soutenue du Conseil. Renouveler le mandat du Rapporteur spécial sera la garantie que les droits de l’homme en Iran restent une priorité pour le Conseil comme à l’échelle mondiale. En tant que membre du Conseil, votre gouvernement porte la responsabilité de promouvoir et de protéger les droits de l’homme. Cette responsabilité comprend celle de faire pression sur les autorités iraniennes pour s’assurer que la population en Iran jouit des droits inscrits dans les traités relatifs aux droits de l’homme dont ce pays est est une des parties, et auxquels cette population a droit. Le mandat du Rapporteur spécial constitute un moyen efficace et constructif, pour le Conseil, de promouvoir et de protéger ces droits […] L'engagement actif du Rapporteur spécial a encouragé et aidé à galvaniser la société civile iranienne, à l'intérieur et l'extérieur du pays. Ses actions en vertu de son mandat ont contribué au débat national sur les droits de l'homme en Iran.

Plus important encore, le Rapporteur spécial a également fourni un soutien crucial pour le travail, la sécurité et, dans de nombreux cas, la libération des défenseurs des droits humains, des avocats et des prisonniers de conscience. Dans ses rapports et communiqués de presse conjoints avec d'autres procédures spéciales, le Rapporteur spécial a soulevé des inquiétudes sur de nombreux cas individuels, dont certains ont par la suite vu des améliorations tangibles dans le comportement de l'Etat. Le renouvellement du mandat Rapporteur spécial enverra un message fort aux Iraniens, celui que la communauté internationale continue d'avoir le souci de leurs droits. »

L’appel est suivi d’un état des lieux des droits de l’homme en Iran, et surtout de leur violation, concernant la peine de mort, les droits des minorités religieuses et ethniques, les droits des femmes et la liberté d’expression.

Sur la peine de mort : Il est rappelé que l’Iran a le taux d’exécution par habitant le plus élevé au monde depuis plusieurs années. La peine capitale est prévue pour un large éventail de délits, y compris des infractions à l’énoncé très vague, telle que « semer la corruption sur la terre », ainsi que certaines infractions qui ne font pas partie pas des « crimes les plus graves » selon les normes du droit international. Le nombre d'exécutions dans le pays est passé d'au moins 580 exécutions en 2012 à 687 exécutions en 2013 et 753 exécutions en 2014. Certaines exécutions ont lieu en public.    

Dans de nombreux cas, les tribunaux ont prononcé des condamnations à mort au terme de procédures qui n’ont pas à respecter les normes internationales d'équité, y compris en acceptant comme preuve des « aveux » obtenus sous la torture et d'autres mauvais traitements. Les détenus condamnés à mort se sont vu souvent refuser l'accès à un avocat pendant les enquêtes préliminaires.

Par ailleurs, des dizaines de jeunes délinquants, dont certains condamnés dans les années précédentes pour des crimes commis avant l'âge de 18 ans, restent dans les couloirs de la mort ; d'autres ont été exécutés. Le Code pénal islamique révisée permet l'exécution de mineurs délinquants pour « qisas » (rétribution, souvent dans des cas d’homicide quand la grâce est refusée par la famille de la victime) et « hodoud » (délits passibles de peines fixes prescrites par la loi islamique), à moins qu'un juge détermine que le délinquant n'a pas compris la nature du crime ou de ses conséquences, ou la capacité mentale du délinquant est mise en doute. Selon Human Rights pour l’Iran, en 2014, au moins 14 exécutions ont eu lieu, concernant des condamnés qui pouvaient être mineurs au moment des actes qui leur étaient reprochés.

Droits des femmes : Malgré des améliorations mineures apportées par le gouvernement du président Rouhani, comme la levée de nombreux quotas fondés sur le sexe dans les universités, les femmes en Iran restent soumis à la discrimination généralisée et systématiques en droit et en pratique. Les politiques officielles visant à restreindre l'emploi des femmes et à encourager les femmes à rester à la maison, afin de perpétrer leur rôle « traditionnel » d'épouse et de mère se poursuivent. Alors que les femmes occupent environ la moitié de tous les lieux d’études universitaires, leur participation économique en Iran n’est que de 12,8%, soit cinq fois plus faible que les hommes, selon les chiffres du gouvernement.

Les lois sur le statut personnel qui accordent aux femmes un statut de subordonnées aux hommes dans des domaines tels que le mariage, le divorce, la garde des enfants et l’héritage, restent en vigueur. Deux projets de loi en matière de démographie restent en cours d'examen parlementaire ; ils menacent de réduire l'accès des femmes aux services de santé gynécologique et contraceptifs. Un projet de loi propose de proscrire les interventions chirurgicales qui empêchent définitivement les grossesses et d’imposer des sanctions pénales aux professionnels de la santé qui pratiqueraient de telles interventions. L'autre projet de loi vise à réduire les divorces.

Droits des minorités religieuses et ethniques : Les minorités religieuses et ethniques continuent de subir des violations de leurs droits. Les membres de la foi bahá'íe sont systématiquement privés du droit à une éducation universitaire, des emplois de fonctionnaires, et de licences commerciales, ainsi que de tenir des rassemblements religieux. En janvier 2015, au moins 100 baha'is ont été emprisonnés pour leur activité religieuse et communautaire. Les convertis au christianisme sont aussi sujet aux arrestations et à l'emprisonnement. Au moins cinq membres de la communauté musulmane soufie Gonabadi Dervish sont toujours derrière les barreaux, pour l'exercice pacifique de leurs droits fondamentaux.

En dépit des garanties constitutionnelles pour l’égalité de leur condition les membres des minorités ethniques, dont les Arabes ahwazis, les Turcs azéris, les Baloutches, les Kurdes et les Turkmènes, continuent à faire face à une série de lois et de pratiques discriminatoires, affectant leur accès aux services de base tels que le logement, l'eau potable et l'assainissement, l'emploi et l'éducation. Malgré un assouplissement mineur de cette politique de discrimination, les autorités iraniennes continuent de refuser aux communautés ethniques minoritaires le droit d'apprendre leur langue maternelle, notamment à un stade précoce dans le système éducatif. Les membres de ces groupes minoritaires, en particulier ceux qui recherchent une plus grande reconnaissance de leurs droits culturels et linguistiques, font face à la persécution, l'arrestation et l’emprisonnement.

Liberté d’expression et des media : Les attaques contre la liberté d'expression ont augmenté en 2014, année qui a vu une forte augmentation des arrestations pour des infractions liées à l'Internet, ainsi que les arrestations de journalistes et de blogueurs, et la fermeture forcée de journaux. Avec au moins 30 journalistes en prison début 2015, l'Iran est le deuxième État dans le palmarès mondial de détention de journalistes, selon le Comité de protection des journalistes.

En avril 2014, la Cour révolutionnaire iranienne a ainsi condamné 8 jeunes blogueurs à un total de 127 ans de prison, qu’une autre cour saisie en appel a ramené à 114 ans. Ils ont été jugés coupable d’atteinte à la sécurité nationale, de propagande contre l’État, et d’insultes à l’islam et aux officiels du gouvernement. En novembre 2014, la Cour suprême d’Iran a confirmé la sentence condamnant à la peine capitale Soheil Arabi, coupable d’avoir « insulté le Prophète » dans des posts sur son compte Facebook. Cette même Cour suprême a, de façon totalement illégale, ajouté au dossier d’accusation le crime de « répandre la corruption sur terre ».

Liberté d’opinion : L'Iran continue de détenir illégalement des centaines de prisonniers politiques et des prisonniers d’opinion, coupables d’avoir exercé leurs droits à la liberté d'expression, d'association, de réunion ou de religion, selon le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l'homme en République islamique d'Iran. Ces prisonniers sont des journalistes, des avocats, des défenseurs des droits de l’homme, des artistes, des blogueurs, des travailleurs humanitaires, des membres de l'opposition politique, des militants étudiants et des militants de minorités ethniques et religieuses.

Beaucoup sont détenus après avoir été poursuivis et condamnés par les tribunaux révolutionnaires lors de procès inéquitables qui n’ont pas respecté les normes internationales. De nombreux détenus ont déclaré avoir été torturés et subi des mauvais traitements, dont des passages à tabac, des simulacres d'exécution, et un isolement cellulaire prolongé.

Parmi les défenseurs des droits de l'homme actuellement détenus dans les prisons iraniennes figurent l’avocat Abdolfattah Soltani, et le journaliste Mohammad Sedigh Kaboudvand, qui est aussi un membre de la minorité kurde d’Iran. Ces deux détentions ont été jugées arbitraires par le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire. Des militants et leaders de la Révolution verte, et les deux anciens candidats à l’élection présidentielle, Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karroubi, ainsi que Zahra Rahnavard, l'épouse de Mir Hossein Moussavi sont en résidence surveillée sans procédure judiciaire légale, depuis février 2011.

SINDJAR : DESTRUCTION DU MINARET MÉDIÉVAL DE LA VILLE PAR DAESH

Le 23 mars, des agences de presse locales et des sources émanant de Peshmergas ont fait part de la destruction du minaret médiéval  de Sindjar par des groupes de Daesh, lors d’une attaque contre les troupes kurdes dans cette ville. Selon Iraqi News, des terroristes de l’État islamique ont fait sauter ce minaret, ainsi que des bâtiments adjacents. D’après les témoignages sur place, il ne s’agit pas de dégâts collatéraux s’étant produits lors d’un échange de feu, mais d’une action délibérée de Daesh, dont les combattants ont rempli la base de ce minaret d’un grand nombre d’explosifs avant de le faire sauter, ainsi que des habitations du centre-ville, appartenant toutes à des yézidis.

La destruction du minaret a été confirmée par le commandant de la 4ème brigade de Peshmerga déployée à Sindjar, Issa Zeway, indiquant que les destructions à l’explosif perpétrées par l’EI dans ce secteur avaient commencé dès l’aube du 23.  Siyamend Hemo, un membre d’une milice locale yezidie, a également relaté la destruction au journal Ara News.

Le minaret de Sindjar était le plus ancien monument de la ville, avec la tombe de Sayida Zeynab, détruite, elle, en août 2014, dès la prise de la ville par Daesh. Les tombes et les lieux de pèlerinage impliquant de pieux personnages ou des prophètes – même de l’islam, comme le mausolée de Jonas à Mossoul –, ont été détruits comme « impies » par Daesh, selon la prohibition salafiste des tombes-pèlerinage. Les mosquées et les lieux de culte chiites, chrétiens et évidemment yézidis ont subi le même sort. Mais le minaret de Sindjar, même si les yézidis l’ont utilisé pour leurs propres cérémonies, est un monument on ne peut plus « orthodoxe », même du point de vue de la stricte sharia sunnite, puisqu’il faisait partie d’une madrassa (hanafite ou shaféite) maintenant disparue, fondée par l’atabeg de Mossoul Qutb ad Din Mahmud Imad al Din ibn Aqsunqur Zangi. Le minaret lui, est plus ancien, et a peut-être été érigé sous la dynastie arabe des Uqaylides, entre 990 et 1095, comme partie d’un ancien complexe, mosquée ou petite madrassa. Il fut restauré sur ordre de l’atabeg zangide, comme l’atteste une inscription portant la date de 598 H/1201-1202.

Ce minaret était un témoignage caractéristique de cette architecture de la Djézireh médiévale, avec son appareil de briques et de gypse (djuss) et son tronc cylindrique (dont le sommet s’était effondré) porté par une base octogonale (qui avait été restaurée dans les années 1960). Cinq pans de cette base seulement étaient décorés, 3 autres pans étant laissés à nu, sans doute parce qu’ils étaient attenants à la madrassa ou englobés dans les deux murs du bâtiment, murs dont les traces pouvaient être encore relevées au début du XXº siècle. L’intérieur du minaret ne présentait aucune trace d’un escalier intérieur, ce qui laisse supposer qu’on accédait au balcon par le toit de la madrassa, même s’il était percé d’une porte au nord.

Le grand spécialiste allemand de l’épigraphie et de l’architecture musulmane, Max Van Berchem avait tracé, en 1911, un dessin et des plans fort précis de sa structure et ses motifs, alors qu’il était en bien meilleur état. Le décor de chaque pan consistait en un rectangle souligné par une frise de briques, encadrant deux niches superposées en étage, ayant la forme d’un arc persan lui-même surmonté d’un décor de briques évoquant deux pseudo-colonnettes à linteau droit. Nulle représentation figurée, humaine ou animale, ne pouvait donc encourir les foudres de Daesh, comme c’est souvent le cas sur d’autres mosquées médiévales de Djézireh, du Kurdistan et dans les émirats des Seldjoukides de Roum. Ce décor comportait une inscription courant entre le balcon et la base octogonale, et les petites niches contenaient un décor d’étoiles à 8 branches.

Sir Austen Layard a mentionné en 1850 des traces de « carreaux colorés » (probablement avec une glaçure turquoise, comme c’est le cas sur de nombreux autres monuments d’époque). Trois des niches étaient aussi ornées de versets de la Fatiha (la sourate d’ouverture du Coran, ce qui laisse penser que les vaillants djihadistes de Daesh ne sont guère versés en épigraphie coufique, pour avoir fait ainsi exploser la sourate la plus fameuse de la révélation coranique. Au-dessus du balcon, la partie supérieure cylindrique comprenait des ouvertures en  forme d’arc brisé, sous d’autres frises à décor géométrique (frises grecques, étoiles à huit branches, losanges imbriqués).

Le non moins célèbre historien d’art islamique britannique, K. A. C. Creswell, mentionne également dans son étude sur l’évolution du minaret islamique, le minaret de Sindjar, citant et le comparant avec celui bâti sous l’atabeg Gökburi à Erbil : Ce minaret existe toujours, dans le Minare Park, et était lui aussi attenant à une madrassa. Tous deux étaient des exemples pionniers, en Mésopotamie du nord, de ce type de minarets cylindriques sur base octogonale (solution plus "élégante" selon Creswell, que les bases carrées), dont on voit le premier exemple connu à Ispahan en 1107, et qui apparaît donc pour la première fois à Erbil, entre 1148 et 1190, et à Sindjar en 1201. 

En plus de faire l’objet de relevés portant sur l’étude d’histoire de l’art islamique, le minaret de Sindjar fut mentionné, admiré, dessiné et photographié par de nombreux voyageurs occidentaux, comme Sir Austen Henry Layard en 1850 (l’artiste Frederick Cooper le dessina lors de sa deuxième expédition), qui le décrit comme un splendide minaret, de très belles proportions, malgré son sommet manquant, ou par Gertrude Bell qui le photographia en 1911. 

Le minaret de Sindjar était un des derniers vestiges de ce que fut la beauté architecturale de Sindjar à son heure de gloire, quand l’historien persan Al-Qazwini la surnommait « la petite Damas ». Il est paradoxal que les monuments à l’origine musulmans de la ville ont été respectés par sa population yézidie, qui les a intégrés à son propre patrimoine, et que c’est finalement sous les coups de prétendus combattants du Djihad que disparaît un jalon important de l’évolution de l’architecture islamique médiévale en Djézireh.