La Commission des Forces armées de la Chambre des représentants des États-Unis a, dans son projet de loi annuel sur la défense, publié le 27 avril, un projet de loi autorisant son pays à soutenir les forces irakiennes dans leur guerre contre l’EI pour un montant de 715 millions de dollars. Mais la première rédaction de cette loi prévoyait qu’au moins 25% de cette aide soit destinée directement aux Peshmergas et aux milices tribales sunnites, ainsi qu’à la future unité de gardes nationales sunnites. Et comme la loi américaine interdit la livraison d’armes en direct à des forces non étatiques, il faudrait donc, comme le proposait cette loi à débattre, « que les Peshmergas kurdes, les forces de sécurité sunnites qui ont une mission de sécurité nationale et la Garde nationale sunnite soient considérés comme des pays » afin de permettre « à ces forces nationales de sécurité de recevoir une assistance directe des États-Unis ».
On ne saurait prendre davantage à contre-pied, dans ce projet de loi, la ligne politique de l’administration Obama qui, depuis le début du conflit avec l’EI et la chute de Mossoul, n’a eu de cesse de réitérer son attachement à un « Irak unifié » dont le Premier Ministre Abadi est l’unique représentant reconnu par Washington. Les réalités du terrain militaire et les piètres performances sur le champ de bataille de l’armée irakienne ont, bien sûr, amené la Maison Blanche à compter sur les Kurdes et à les appuyer dans cette guerre, sans toujours passer par Bagdad. De même, Barack Obama et John Kerry avaient approuvé la formation de milices sunnites, plus susceptibles d’entraîner le retour des provinces encore sous occupation de Daesh dans l’administration irakienne. Mais tout ce qui pourrait entériner officiellement la partition actuelle de l’Irak est systématiquement bloqué.
En théorie, les armes et les équipements de la Coalition envoyés à Bagdad doivent être redistribués par le gouvernement irakien à toutes les forces combattant l’EI. Mais les Kurdes n’ont cessé de se plaindre de la répartition plus qu’inéquitable des armes livrées, dont bénéficierait surtout l’armée irakienne (voire les milices chiites, également armées par l’Iran) alors que les Peshmergas, dont les succès militaires sont pourtant bien plus spectaculaires contre l’EI, n’auraient reçu que très peu d’armements lourds.
Finalement, après 18 heures de débat au sein de la Commission, le projet de loi a été envoyé à la Chambre des représentants, afin qu’il soit examiné en mai, mais amputé de la clause demandant la reconnaissance des Peshmergas, d’une part, et des milices tribales sunnites de l’autre, comme forces de « pays » respectifs ; cependant une aide militaire directe à ces deux groupes armés reste prévue. Dans ses propositions, le président de la Commission, Mac Thornberry, appuie et renforce la mission contre l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) et l’ Operation Inherent Resolve (OIR). Il reconduit l’autorisation donnée au Bureau de coopération pour la sécurité en Irak, et accède à la requête du président des États-Unis pour accorder une aide de 715 millions de dollars aux forces irakiennes, pour les assister dans leur lutte contre Daesh. Mais il est énoncé dans ce projet de loi que 25% de ces fonds devront être donnés directement aux Peshmergas et aux forces sunnites, sauf si le gouvernement irakien échoue à réintégrer les minorités au sein de l’Irak et à mettre enfin en place une réconciliation politique au niveau national : en ce cas, les aides financières accordées aux Kurdes et aux sunnites s’élèveront à 60%.
Le projet dans sa forme initiale avait tout de suite rencontré l’opposition du gouvernement Obama, et le Département d’État l’avait immédiatement fait savoir. Son porte-parole Marie Harf avait déclaré que « la politique de cette administration [l’actuel gouvernement américain] est claire et consiste à soutenir un Irak unifié. Nous avons toujours dit qu’un Irak unifié est plus fort, et qu’il est aussi important pour la stabilité de la région […] Notre aide militaire et nos livraisons de matériel ainsi que notre politique restent les mêmes, à savoir que tous les transferts d’armement doivent être coordonnés via le gouvernement central d’Irak. Nous croyons que cette politique est la plus efficace pour soutenir les efforts de la Coalition. »
Marie Harf avait ajouté que la Maison Blanche allait « travailler » avec le Congrès pour rendre ce projet de loi plus conforme à sa politique irakienne.
Il était prévisible que le gouvernement irakien soit encore plus radicalement opposé à cette « reconnaissance » juridique des sunnites et des Kurdes comme « pays », comme l’a fait savoir, le 30 avril, le Premier Ministre Hayder Al-Abadi, dans un communiqué officiel, affirmant que « l’Irak et toutes ses composantes font face à l’État islamique ; l’Irak a prouvé que toutes ses composantes continuent de se battre pour libérer les territoires de l’EI et la restauration de la vie normale ». Rejetant ce projet de loi, Al-Abadi a affirmé qu’il « mènerait à une plus grande division de la région. »
Même opposition de la part de Muqtada Al-Sadr, à la tête d’un mouvement politique et militaire chiite, mêlant volontiers les discours religieux et les actions belliqueuses. Il a ainsi promis aux USA que l’Irak ne serait plus une place « sûre » pour les Américains si ce projet de loi passait, et que les intérêts des États-Unis, dans le pays et à l’étranger, deviendraient une « cible » pour les Irakiens qui « n’accepteront jamais la division de leur pays ». Il a aussi menacé de réactiver l’aile militaire de son mouvement, l’Armée du Mahdi.
La position du gouvernement Obama est, comme on le voit, loin d’être partagée par l’ensemble de la classe politique américaine et, en tout cas, de la part des Républicains, de plus en plus de voix s’élèvent pour que le soutien des États-Unis se reporte davantage sur les Kurdes, alliés jugés plus sûrs et plus à même de lutter efficacement contre l’EI. L’indépendance kurde est même parfois ouvertement envisagée dans l’opposition américaine, exprimant peut-être à voix haute ce que l’actuel gouvernement américain voit peut-être lui aussi comme inévitable, mais souhaitant probablement que ce dossier brûlant échoue plutôt à son successeur, quelle que soit son appartenance politique.
Interrogé par la chaîne Russian RT Ivan Eland, spécialiste des questions de défense, auteur notamment de Partitioning for Peace: An Exit Strategy for Iraq (2009), a ainsi estimé qu’une aide financière directe aux Kurdes et aux milices sunnites, accélérerait certes la partition de l’Irak, mais que cette partition existait déjà, sur le terrain, et que, selon lui, il était impossible de réunifier cet État. Selon lui, les Républicains sont inquiets de ce qu’ils voient comme une trop grande dépendance du gouvernement central irakien envers l’Iran, qui a par exemple un rôle capital dans la formation et dans l’entraînement des milices chiites, accusées par ailleurs de crimes de guerre contre la population sunnite. Ce projet de loi vise aussi à exercer une certaine pression sur Bagdad pour que le gouvernement d’Al-Abadi prenne ses distances avec de telles milices :
« Les États-Unis n’aiment pas l’influence de l’Iran en Irak et cette loi dit par conséquent qu’ils financeront les Peshmergas et d’autres milices, qui sont sunnites ; mais elle dit aussi au gouvernement de l’Irak que s’il ne s’associe pas aux milices chiites, il recevra plus de fonds que les Peshmergas et les milices sunnites. Donc, ils [les Républicains] ne s’éloignent pas totalement de l’Irak mais exercent une forte pression pour qu’il se dissocie lui-même des milices chiites, ce que le gouvernement irakien ne fera probablement pas. »
Car la réalité du terrain irakien interdit d’espérer que l’armée irakienne puisse battre l’EI sans l’apport de ces milices, sans qui la reprise de Tikrit n’aurait pas été possible :
« Je pense que les forces irakiennes sont une coquille vide ; ils rompent les rangs et s’enfuient quand les forces de l’EI les attaquent […] alors que si cette loi est votée, le Congrès américain demandera au gouvernement irakien de se séparer de la seule force militaire fiable dont il dispose. »
Alors que les élections législatives doivent avoir lieu le 7 juin 2015, la campagne électorale a démarré au début d’avril, et le parti kurde HDP a soumis le 7 la liste finale de ses candidats au Conseil suprême électoral de Turquie. Le chef de file de ces candidats, le co-président du HDP, Selahattin Demirtaş a, lors de son premier meeting, tenu le 11 avril dans la Chambre des ingénieurs civils d’Ankara, adopté une attitude assez conciliante envers les autres partis politiques en Turquie, assurant que « aucun autre parti politique n’est notre ennemi, mais tous sont nos adversaires politiques. Aucun candidat d’autres partis n’est notre ennemi. Nous mènerons cette campagne électorale avec une humanité totale et des relations amicales. »
Le HDP visant depuis sa formation à embrasser, en plus des Kurdes, d’autres composantes de la société en Turquie, notamment des voix de gauche, Selahattin Demirtaş, a répété (comme ce fut le cas aux dernières municipales) que le HDP n’était pas un parti avec « une seule identité » : « Nous sommes les représentants de toutes les identités dans ce pays. »
Mais cette attitude « amicale » et « humaine » a finalement cédé, au cours du mois, à une stratégie et des discours plus offensifs envers le principal parti en lice, celui de l’AKP, qui est aussi le parti qui dispute le plus de voix kurdes au HDP. Par ailleurs, un des bureaux du HDP a été la cible de tireurs inconnus le 18 avril.
Aussi, dans un autre meeting, tenu dix jours plus tard à Istanbul, la co-président du HDP, Mme Figen Yuksekdag, s’en est prise nominalement au président turc, promettant que son parti, s’il passe le seuil des 10% au niveau national, serait le « cauchemar » d’Erdoğan et « le rêve de tous les peuples de Turquie ».
Ces propos répondaient directement à une déclaration présidentielle, prévoyant un « cauchemar » pour la Turquie si les législatives débouchaient sur un gouvernement de coalition. Car si le HDP dépasse le seuil des 10% de votes (ce que, jusqu’ici, aucun parti pro-kurde n’a réussi à faire en Turquie), il pourra obtenir 60 sièges sur 550, ce qui rendrait plus difficile la majorité des 2/3 qui permettrait à l’AKP de faire approuver la réforme constitutionnelle qu’il envisage, laquelle donnerait notamment des pouvoirs plus étendus au président. À l’inverse, un échec du HDP pourrait donner à l’AKP environ 30 sièges supplémentaires.
En avril, les sondages indiquaient que le HDP était bien près de franchir cette barre des 10% (entre 8 et 11% d’intentions de votes) et que l’AKP restait par ailleurs le parti favori des électeurs turcs, avec des intentions de vote tournant autour de 42-48%. Le CHP, le principal parti d’opposition semble donc très distancié par l’AKP, et le HDP espère, comme à la dernière présidentielle de 2014, apparaître comme l’opposant le plus crédible aux ambitions politiques d’Erdoğan, que ses détracteurs brocardent comme se prenant pour le « nouveau sultan » (allusion aux thèmes « ancien régime » et conservateurs de sa campagne).
Un échec du HDP pourrait cependant nuire au processus de paix initié par l’AKP, si cet échec renforçait les autres partis turcs, dont les plus nationalistes. D’autant que la feuille de route de ce processus n’a jamais été élaborée en consultant le HDP (ni même le PKK) et apparaît comme le fruit direct de négociations entre Öcalan et le gouvernement turc. Sa réussite serait donc présentée comme le succès d’Erdogan, en laissant de côté le HDP dont le rôle, dans ce processus, s’est borné à prendre connaissance et à lire en public les messages d’Öcalan. Si bien que le parti kurde, dans ses thèmes de campagne, aborde peu cette question, et se concentre davantage sur la défense des femmes, des jeunes, de l’écologie. De plus, sa volonté de gagner les voix d’un électorat de gauche déçu par le CHP (comme les Alévis) incite certainement ses candidats à ne pas trop apparaître comme pro-kurdes (ce qui, pour la majorité des Turcs, signifie être pro-PKK).
Par ailleurs, le reste de l’opposition se sert de ce processus pour présenter comme peu sérieuse la fermeté du HDP contre les ambitions d’Erdogan et l’accuse « d’un accord secret en vertu duquel il soutiendrait la présidentialisation du régime voulue par M. Erdogan en échange de la paix et de réformes favorables à la minorité kurde du pays. » (AFP), ce que nie ses leaders.
Toujours sur la question kurde, le Premier Ministre turc, Ahmet Davutoğlu a suscité une certaine hilarité dans le public, les réseaux sociaux et la presse concernant l’omission, dans son programme politique de 350 pages, de toute allusion à ce fameux processus de paix. Le mot « kurde » n’a même été mentionné qu’une seule fois.
Interrogé sur cette absence, lors de la présentation de son programme, Ahmet Davutoğlu n’a rien trouvé de mieux à répondre qu’il s’agissait d’une « erreur » lors de l’impression :
« Nous nous sommes aperçus que des pages sont tombées quand le programme a été envoyé à l’imprimeur : une page ou deux sont tombées. Mais ces pages seront rajoutées et le programme réimprimé. »
Plus sérieusement, la tentative d’escamoter le processus de paix du programme électoral de l’AKP pourrait indiquer que ce parti souhaite ne pas heurter son électorat turc (les classes populaires et moyennes qui votent AKP sont celles aussi dont les fils étaient envoyés sur le front kurde et donc les plus endeuillés par la guerre). C’est aussi un moyen de taire les divisions internes qui avaient commencé d’agiter l’AKP en mars 2015, au sujet des négociations avec le PKK et finalement d’entériner le durcissement d’Erdoğan sur la question, et ses volte-face au sujet d’une question kurde finalement, selon lui, inexistante.
Les revers de l’État islamique devant les Kurdes d’Irak et de Syrie ont pu inciter l’organisation à tourner temporairement ses forces en direction de l’ouest et du centre syrien, visant cette fois l’armée du régime syrien et différents groupes djihadistes, dont Jabbhat an Nusra. La base militaire syrienne de Palmyre et la place forte tenue par le Hezbollah à Qusayr apparaissent ainsi comme les cibles les plus susceptibles de subir un prochain assaut des milices de Daesh. Cependant l’EI ne peut totalement dégarnir de ses troupes son front oriental, notamment à Hassaké, où il lutte à la fois contre les YPG, des unités de l’ASL et le régime syrien. La communication entre Raqqa et Mossoul reste aussi une condition essentielle de sa survie. Pour cela, Daesh peut compter sur un apport de recrues étrangères au Moyen Orient mais aussi sur le ralliement de djihadistes appartenant aux mouvances d’Al Qaeda ou à d’autres groupes, ce qui peut expliquer ces attaques récentes contre l’armée syrienne.
Sur son front nord-ouest, dans la zone frontalière qu’il tient entre Kobanî et Alep, Daesh affronte les forces Volcans de l’Euphrate, une chambre d’opérations regroupant les YPG kurdes et des unités de l’ASL, soutenue par les bombardements de la Coalition. Ayant dû reculer devant l’avance des YPG et repasser sur la rive occidentale de l’Euphrate à la mi-mars, l’EI a détruit deux ponts sur son passage, celui de Shuyukh Fawqani et celui de Qarah Qawaz, afin de stopper ou de rendre plus difficile la marche des Kurdes au cas où ils seraient désireux de pousser leur avantage et faire la jonction entre les cantons de Kobanî et d’Afrine. Mais hors des régions majoritairement kurdes, les YPG ne cherchent pas à s’implanter trop avant, se méfiant sans doute avec raison d’une incursion hasardeuse qui les entrainerait trop loin de leurs bases, au milieu d’une population en majorité arabe qui ne leur est pas forcément favorable. Ainsi, pour le moment, l’Euphrate sert de barrière naturelle entre les deux armées.
À Serê Kaniyê (Ras al ‘Ayn), l’EI a par contre mené plusieurs offensives qui lui ont permis au début du printemps de s’emparer de plusieurs villages à l’ouest et au sud de la ville, et les attaques contre les forces conjointes de bataillons kurdes et chrétiens assyriens sont récurrentes, en plus d’attaques suicides à Hassaké. Mais pour le moment, l’avantage sur le terrain n’a été pris par aucune des parties, les Kurdes ne pouvant prendre du terrain afin de dégager la zone frontalière turque ni assurer la jonction avec Kobanî, mais Daesh, hormis la prise de quelques villages et l’enlèvement de nombreux otages chrétiens, n’a pas enregistré beaucoup de gains territoriaux.
À l’est de Deir-ez-Zour, par contre, Daesh se trouve à son tour sur la défensive devant des attaques surprises contre ses patrouilles et ses check-points. Les assauts n’ont pas été revendiqués, mais l’on soupçonne des groupes djihadistes rivaux de l’EI, se réclamant plus ou moins d’al-Qaida, comme Jabbhat an-Nusra ou d’autres milices de l’ASL, d’être à l’origine de cette tactique du harcèlement intérieur, à l’aide de cellules clandestines dans les territoires pris par Daesh. En représailles, l’EI s’est livré à des arrestations massives à Deir ez-Zour. Par ailleurs, ses positions à Deir-ez-Zour ont été entourées d’un système de tranchées, par craintes d’attaques de la part de tribus arabes de la région, qui ont vu d’un mauvais œil la mainmise de l’État islamique dans leur zone d’influence.
Mais c’est contre le régime syrien que l’EI semble envisager de concentrer ses efforts, à l’est des provinces de Homs et de Hama. Cela a commencé en mars par des attaques-éclairs contre des check-points, des installations militaires ou pétrolières. Le 27 mars c’est ainsi un bataillon appartenant à la défense aérienne, qui a été visé à l’est de Homs et le 31, un village à l’est de Hama, tenu par le régime. Il s’agissait d’incursions qui pouvaient avoir pour fonction de tester le terrain en vue d’une expansion vers le centre et l’ouest syriens.
Dans le même temps, Daesh s’est livré à une série d’exécutions, de décapitations publiques de prétendus « collaborateurs » du régime, ainsi que de massacres à l’encontre de civils alaouites : autant de signaux envoyés aux Syriens de Homs ou de Hama, quelles que soient leurs appartenances politique ou religieuse, les avertissant de se préparer à devenir de futures provinces du « califat ».
Cependant, en dehors de ses actions qui s’apparentent plus à un harcèlement psychologique des populations et une propagande de terreur, sur le terrain, Daesh a dû reculer à plusieurs reprises sous les ripostes aériennes de l’armée de l’air syrienne. Quant aux menaces qu’il fait peser sur sa base militaire de Palmyre, cela pourrait avoir surtout pour résultat un redéploiement de forces plus importantes, de la part du régime, autour des routes entre Alep et Deir ez-Zour, essentielles pour ses approvisionnements, ainsi qu’autour des infrastructures de gaz naturel alimentant la majeure partie des besoins énergétiques de la Syrie.
À Damas, l’activité de l’EI est celle de cellules clandestines principalement dirigée contre les bastions tenus par l’ASL, comme à Qalamoun. Il s’agit aussi pour Daesh de sécuriser les voies de communication entre ses unités à l’est de Homs et celles réparties le long de la frontières libanaise, et vers ses unités de Damas. Les actions de ces cellules sont surtout des enlèvements à grande échelle, ainsi que les meurtres de djihadistes rivaux, ou bien d’hommes accusés de collaborer avec le régime.
Au nord d’Alep, l’EI se heurte à la fois aux forces de l’ASL et aux Kurdes, dont il essaie d’infiltrer les régions du nord-ouest, par des incursions et des attaques-surprises contre leurs check-points. Plusieurs fortifications et tranchées ont été mises en place dans la ville pour se protéger des frappes de la Coalition.
Mais l’impact politique et psychologique que Daesh espérait obtenir en sa faveur, dans ses nouvelles attaques contre le régime syrien, s’est trouvé amoindri après la prise de la ville d’Idlib, le 25 mars, suivie de celle de la ville voisine de Jisr al-Shughour le 15 avril, par une coalition de plusieurs groupes djihadistes, « Jaish al-Fatah » rassemblant Jabbhat an Nusra, Ahrar as Sham, Jund al Aqsa, Liwa al-Haq, Ajnaad al-Sunna, Faylaq al-Sham et Jaysh al-Sunna. Déjà complètement encerclés depuis décembre 2014 par les djihadistes, les habitants d’Idlib (entre 100 000 ou 200 000) ont été invités juste avant l’attaque à rester chez eux et les soldats sunnites du régime à rallier les assaillants.
Le 24 mars, deux attaques suicides ont marqué le début des opérations, faisant une vingtaine de victimes parmi les troupes du régime. Dans la journée, les djihadistes contrôlaient déjà sept check-points. Le 25, deux autres attaques-suicides ont été lancées et le 26 mars, dix-sept check-points pris par Jaysh Al Fatah, qui réussit à entrer dans la ville dans la nuit du 26 au 27 mars.
Malgré les raids de l’aviation syrienne, Idlib était presque entièrement aux mains des djihadistes le 28 mars et dans la nuit du 28 au 29 mars, la prison centrale et le gouvernorat sont tombés. Les hommes du régime se sont repliés vers le sud, dans les villes de Jisr al Shughour et d’Ariha, restant en possession de l'aéroport militaire d'Abou Douhour et de cinq bases militaires.
Après Raqqa, aujourd’hui capitale de l’État islamique en Syrie, Idlib est la deuxième capitale de gouvernorat à échapper au régime, qui a depuis mené 684 raids aériens contre la ville, entre le 28 mars et le 18 avril, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, qui parle aussi de 335 barils d’explosifs largués par des hélicoptères, faisant 700 blessés et 125 victimes civils.
Jaysh al Fatah a alors continué sa progression vers le sud, en direction de Jisr al Shughour et contre la base voisine d’al Mastomah. Le groupe tchétchène Jund al Sham s’est joint à cette coalition. Jisr al Shughour, proche de la frontière turque, a été atteint le 23 avril. Jabbhat an Nusra a initié l’assaut avec 15 attaques de kamikazes et au matin du 24 avril, quatre postes de contrôle étaient pris, dont celui de Tell Hekmah, qui bloque l’accès à la ville voisine d’Ariha, l’ultime localité de la province encore aux mains du régime.
L’aviation syrienne a mené 70 frappes aériennes sur Jisr al Shughour, sans empêcher l’ASL de le contrôler entièrement, le 25 avril. Jaysh al Fatah a progressé alors plus au sud, atteignant le nord-ouest du gouvernorat de Hama. Selon l’OSDH, 200 prisonniers, militaires, miliciens et des membres de leurs familles, sont à présent détenus par les djihadistes.
La chute d’Idlib et de Jisr al Shughour est l’un des revers des plus durs pour le régime syrien. Mais c’est aussi un camouflet pour Daesh qui n’a jamais, lui, emporté de victoire de cette ampleur contre Damas, puisque sa capitale, Raqqa, a été prise à Jabbhat an Nusra et non aux forces loyalistes. Ainsi, la chute d’Idlib peut inverser la tendance des ralliements de djihadistes à Daesh. Et si l’on peut s’attendre à une recrudescence et un durcissement des offensives du Baath contre l’ASL (Lattaquié est menacé), il est aussi fort probable que l’État islamique tente une surenchère dans ses attaques à la fois contre le gouvernement de Damas et contre ses rivaux d’al Qaida.
Le 17 avril, un peu avant midi heure locale, un attentat à la voiture piégée a fait quatre morts (dont deux policiers) et 29 blessés à Ankawa, dans la banlieue d’Erbil, devant un café tenu à proximité du consulat américain. Sept des victimes sont des Kurdes de Turquie. On ignore si la cible initiale était le consulat américain et si, devant l’impossibilité de franchir les dispositifs de sécurité, les terroristes ont choisi finalement de se faire exploser dans le café tout proche. Aucun Américain n’a été touché dans l’attentat, comme l’a annoncé le porte-parole du Département d’État.
L’un des experts ayant examiné l’explosif utilisé a déclaré à Reuters qu’il s’agissait du C-14, de la famille des plastics. L’attentat a finalement été revendiqué, ainsi que deux autres attentats à la voiture piégée survenus le même jour à Bagdad, qui a tué au moins 27 personnes.
Dix jours plus tard, les autorités kurdes ont arrêté cinq hommes, soupçonnés d’être les auteurs de cet attentat. Quatre d’entre eux sont des Kurdes d’Erbil et le cinquième est un Arabe irakien. Le Conseil de sécurité de la Région kurde a confirmé ces arrrestations un peu plus tard dans un communiqué :
« Ces arrestations ont eu lieu sur la base d’informations venant du public et dans certains cas, de membres des familles […] tous les membres du groupe ont avoué leur rôle dans cette attaque. »
Les aveux enregistrés sur vidéo ont été visionnés par Reuters qui a pu révéler que le meneur du groupe était un ingénieur diplômé âgé de 25 ans, nommé Darya Homdamin. C’est lui qui aurait enrôlé les trois autres Kurdes, qu’il aurait connus en fréquentant une mosquée locale. Reuters indique que les quatre hommes s’exprimaient aisément devant la caméra et ne présentaient pas de signes de violences.
Darya Homdamim a indiqué avoir pris contact via Facebook avec un religieux kurde originaire d’Erbil, nommé Mala Shwan, qui a rejoint l’État islamique, et est apparu sur certaines vidéos de propagande diffusées par les djihadistes. C’est lu qui aurait incité le jeune Kurde à passer à l’action à Erbil même, et l’aurait mis en contact avec un Arabe résidant à Kirkouk, mais originaire de Baqouba, qui leur aurait fourni la voiture piégée et leur aurait expliqué comment la faire exploser. Les quatre Kurdes d »Erbil se sont eux-mêmes rendus à Kirkouk, ont pris la voiture, et l’ont ensuite conduite jusqu’à Erbil, via un itinéraire qui leur a permis d’éviter de nombreux check-points. Ils avaient l’intention de garer la voiture devant le consulat américain, mais s’étant aperçus que son dispositif de sécurité était impossible à contourner, ils ont laissé la voiture devant un café juste en face.
Les autorités kurdes avaient pu établir auparavant qu’ils s’étaient alors rendu dans un centre sportif non loin du café et de là, avaient déclenché la bombe.
Quant à l’homme considéré comme le cerveau de l’opération, il a depuis été tué dans une frappe aérienne dans la ville de Hawidja. Alaw Paer Ahmad Al-Azawi, connu sous le nom d’Abu-l-Qasim, était un haut gradé de l’État islamique. Il a aussi été identifié comme étant à l’origine de l’attentat de novembre 2014, toujours à Erbil, ainsi que d’autres attaques terroristes à Kirkouk. Le 28 avril, il a été tué par une frappe aérienne, après une coopération et un partage d’informations entre les forces kurdes anti-terroristes et la Coalition.
Le festival du cinéma d’Istanbul (tenu du 4 au 19 avril) a annulé la remise de ses prix, le 13 avril, alors que des cinéastes turcs, dont Nuri Bilge Ceylan, Palme d’or à Cannes pour « Kış Uykusu » (Winter Sleep), avaient annoncé leur intention de boycotter la cérémonie en raison de l’annulation de la programmation d’un film kurde, « Bakur » (Le Nord).
Ce documentaire, œuvre de Cayan Demirel et Ertugrul Mavioglu, est en effet consacré aux combattants du PKK. Il devait être projeté le 12 avril, mais les organisateurs du festival ont, à la dernière minute, été avisés par un courrier émanant du ministère turc de la Culture, que ce film ne pouvait être projeté car n’ayant pas reçu « les autorisations nécessaires ».
Les autres cinéastes ont alors diffusé et signé une « lettre ouverte » pour protester contre cette censure, en parlant « d’agenda politique ». Vingt-trois d’entre eux ont retiré leur film de la compétition.
La direction du festival, elle, a publié sur son propre site le manifeste des cinéastes. Le président du jury, Rolf de Heer, a dénoncé une « attaque contre la liberté d’expression ».
Dans une conférence de presse, les organisateurs ont alors annoncé l’annulation de tous les prix, ainsi que celle de la cérémonie de clôture, mais ont maintenu les projections des cinéastes qui n’avaient pas retiré leur film.
Ömer, Çelik, le ministre de la Culture, a parlé d’accusations sans fondement et a traité les organisateurs du festivals d’ « irresponsables » :
« Les allégations selon lesquelles notre institution est un organisme de censure sont pour le moins des mensonges complets et absolus » (AFP).