L’opération turque «Bouclier de l’Euphrate» s’est poursuivie dans le nord de la Syrie, notamment l’attaque sur al-Bab, tenue par Daech, mais où l’armée turque veut surtout devancer les Kurdes… Le 4, Peter Cook, porte-parole du Pentagone, a annoncé que la coalition anti-Daech avait envoyé des avions soutenir les Turcs au-dessus d’al-Bab… sans opérer de frappes. Les autorités turques ne décolèrent pas de ce qu’elles considèrent comme un manque de soutien des Etats-Unis dans leur assaut sur la ville. Elles espèrent que la nouvelle administration américaine choisira comme allié principal en Syrie la Turquie plutôt que les Forces démocratiques syriennes, dont le noyau est constitué des YPG, les combattants kurdes du PYD (Parti de l’union démocratique), l’ennemi quasi-obsessionnel de M. Erdoğan. Le 5, le porte-parole de la présidence turque, Ibrahim Kalın, a demandé en direct sur Kanal 24 pourquoi les Etats-Unis, «qui utilisent la base d’Incirlik», n’ont pas soutenu «leur allié au sein de l’OTAN» par des frappes aériennes. Le message était clair: Incirlik contre un meilleur soutien aux opérations turques. Le 17, alors qu’un porte-parole de la coalition annonçait des frappes sur al-Bab, le New York Times révélait que la Turquie avait systématiquement retardé l'approbation des missions aériennes américaines décollant de la base… Reflétant l’évolution complexe des relations politiques entre Turquie, coalition anti-Daech et Russie, celle-ci a annoncé le 19 que 9 jets russes avaient pour la première fois la veille coopéré avec les avions turcs pour frapper Daech dans la banlieue d'al-Bab. Le 30, le président Erdoğan a déclaré que les opérations turques dans le nord syrien se termineraient une fois al-Bab prise, une inflexion dans un discours officiel selon lequel jusqu’à présent forces turques et rebelles alliés attaqueraient ensuite Manbij, prise par les FDS à Daech le 13 août dernier. Mais l'armée turque s’est embourbée devant al-Bab durant plusieurs semaines, perdant 65 hommes, et les analystes doutaient qu’elle se risque à avancer plus au sud (au risque de se confronter à l’armée syrienne) avant de connaître la position de l’administration Trump vis-à-vis des FDS. Le Premier ministre turc Binali Yıldırım a cependant déclaré le 28 que la Turquie continuerait à frapper les YPG et le PYD.
Les Turcs n’ont pas limité leurs opérations en Syrie à al-Bab. Selon plusieurs communiqués des YPG datés de début janvier, ils ont bombardé le 30 décembre quatre villages à l’est de Kobanê et deux autres à l’est de Manbij, faisant 3 morts et 15 blessés, tous civils, et le 3 janvier, dans le canton de Djéziré, loin à l’est, 3 hélicoptères ont pénétré au Rojava pour bombarder des villages entre al-Malikiyah et Çil Axa, tandis que des troupes au sol occupaient la région de Terbe Spiye, à l’est de Al-Qahtaniya. La base aérienne de Rmeilan, où sont stationnés quelques centaines de militaires américains, se trouve à une vingtaine de kilomètres à l’est. Et dans Jerablous qu’elle occupe depuis l’été, la Turquie a créé une force de police pro-turque, comme pour assurer une présence longue…
L’armée turque ne respecte pas plus les ressources des territoires syriens qu’elle occupe que les villes kurdes de son propre pays: selon plusieurs médias kurdes de Syrie, elle a coupé sur des terres privées 2.717 oliviers près du village de Qarmatlaq, dans la province de Sheyeh, pour préparer la construction de la longue barrière qu’elle érige entre Kurdistan turc et syrien. Déjà, l’an dernier, la Turquie s’était attaquée à l’agriculture du canton d’Afrîn en coupant sa principale ressource en eau, la Rivière Noire, un affluent de l’Oronte prenant sa source dans les Monts Kartal. On sait que la Turquie n’a jamais hésité à interrompre les fleuves naissant chez elle pour faire pression sur ses voisins…
La présence militaire turque, même si elle constitue un danger évident pour les FDS, ne les pas empêchées de poursuivre avec le soutien de la coalition internationale leur propre opération «Colère de l’Euphrate» contre Raqqa, la «capitale» syrienne de Daech. Le «ministre de l'Économie» de Daech a même été tué dans une opération kurdo-américaine sur Kibir, entre Raqqa et Deir ez-Zor, tandis que les FDS repoussaient 3 jours d’attaques djihadistes sur Swede, un village à l’ouest de la province de Raqqa, pris par les FDS en décembre et considéré comme stratégique pour les mouvements de Daech. Le 7, l’OSDH a annoncé que les FDS avaient pris le château de Jaabar, sur la rive du lac Assad, à seulement 4 km du barrage de Tabqa. Selon les rapports de renseignement, Daech aurait commencé à évacuer vers Raqqa les prisonniers incarcérés à Tabqa. Le vendredi 13, les FDS ont annoncé avoir repris depuis le début de la deuxième phase de leur opération 133 villages dans l’ouest de la province, et ont publié le 17 des statistiques selon lesquelles 2480 km² ont été libérés, 260 terroristes de Daech tués et 40 voitures piégées neutralisées. Le 31, le Pentagone a pour la première fois fourni aux FDS des véhicules blindés, dont les YPG ont pris soin de déclarer qu’ils étaient allés aux combattants arabes et non kurdes. Le porte-parole des YPG pour l’opération sur Raqqa, Talal Silo, a déclaré que c’était le signe d’un soutien plus important de la nouvelle administration américaine aux FDS.
Daech reste un ennemi déterminé: le 4, il a attaqué le QG des YPG au sud de la ville d’Hassakeh, faisant des dizaines de morts parmi les combattants, sans pourtant réussir à reprendre les positions perdues un an plus tôt. Puis le 14, après avoir renforcé ses troupes, l’organisation a lancé selon l’OSDH sa plus violente attaque sur Deir es-Zor depuis un an, coupant un aéroport stratégique du territoire tenu par le gouvernement et obligeant le régime, qui tient la ville, à utiliser des frappes aériennes. La province de Deir es-Zor est en majorité tenue par Daech, mais les djihadistes assiègent en vain sa capitale depuis 2014.
Toutes ces opérations militaires se sont déroulées sur fond d’importants changements diplomatiques dominés par l’initiative turco-russe de «parrainage» d’une trêve nationale au 30 décembre consacrant l’exclusion de fait des Occidentaux, en pleine transition politique américaine. Malgré ses déclarations rassurantes, l’administration du Rojava peut légitimement s’inquiéter, et il est significatif que le co-président du PYD, Salih Muslim, ait déclaré que «les différents pouvoirs politiques kurdes [devaient] se coordonner», appelant à la tenue d’une conférence «inter-kurde».
Ajoutant à l’incertitude, le «processus turco-russe» s’est rapidement enlisé. Le 31 décembre, le Conseil de sécurité des Nations-Unies a bien soutenu l’initiative à l’unanimité, mais dès le 3 janvier, une dizaine de groupes rebelles ont suspendu leurs pourparlers avec le gouvernement en raison de ses violations du cessez-le-feu: celui-ci ne cesse en effet de bombarder la vallée stratégique de la Barada qui fournit Damas en eau. Le 16, plusieurs groupes rebelles ont annoncé leur participation aux pourparlers entre régime et opposition impulsés par les Russes, les Turcs et les Iraniens à Astana au Kazakhstan le 23 janvier. Le 21, le Département d’Etat américain a indiqué qu’il ne serait pas présent en raison du changement d’administration en cours. Mais ces pourparlers ne semblent s’être tenus qu’en raison des fortes pressions exercées par leurs sponsors étrangers sur leurs clients syriens et n’ont finalement donné aucun résultat politique tangible. Le 23, l’Armée syrienne libre a rejeté l’exigence du gouvernement que les groupes d’opposition participant aux discussions déposent les armes, et a indiqué que sa délégation n’aborderait que le cessez-le-feu à l’exclusion de toute discussion politique si un processus de transition politique comprenant le départ du président Bachar el-Assad n’était pas engagé avec le soutien des Nations Unies. L’ambiance à Astana est demeurée glaciale, l’ambassadeur syrien aux Nations Unies, Bachar Jaafari, qualifiant la délégation rebelle de «représentants de groupes terroristes». La conférence a finalement accouché d’un engagement à sauvegarder la trêve et à poursuivre la lutte contre Daech et l’ex-branche locale d’Al-Qaïda, signé… exclusivement par les organisateurs, Russie, Turquie, et Iran!
Pas plus que lors des rencontres précédentes, l’administration du Rojava, qui contrôle pourtant environ 20% du territoire syrien, avec 12,5% de la population du pays, n’avait été invitée, essentiellement en raison de l’opposition féroce de la Turquie (le ministre turc des Affaires étrangères avait déclaré le 14 que si les États-Unis voulaient inviter le PYD, ils n’avaient qu’à inviter aussi Daech…). Par contre, le 18, la Turquie avait officiellement invité trois dirigeants du Conseil national kurde de Syrie – qui regroupe une douzaine de partis opposés au PYD et soutenus par le PDK irakien de Massoud Barzani – Ibrahim Biro, Abdulhakim Bashar et Darwish Mirkan. Fort logiquement, le PYD a déclaré à plusieurs reprises qu’il ne respecterait aucun accord pris en son absence, ajoutant que des discussions menées sans lui, Astana ou Genève IV, n’avaient aucune chance d’aboutir à un règlement.
Si les Américains poursuivent leur coopération militaire avec les FDS sans vouloir s’engager au niveau politique, les Russes quant à eux, tentent des négociations politiques avec les Kurdes. Pour ne pas s’opposer de front à la Turquie, les Russes ont paradoxalement contourné Astana, invitant les Kurdes de Syrie à plusieurs réunions dans leur base aérienne de Hmeimim, au sud-est de Lattaquié, et même à Damas le 13 – en garantissant la sécurité des participants. Plusieurs partis kurdes ont participé, incluant le PYD et le CNK, mais certains partis kurdes ont refusé de se rendre dans un territoire contrôlé par le régime. Puis le 27, après Astana, la Russie a invité à Moscou une délégation du PYD, dont Khaled Issa, son représentant en France, Asya Abdullah, sa co-présidente et Anwar Muslim, le chef de l'administration du canton de Kobanê. La délégation a rencontré Sergueï Lavrov ainsi que des représentants de l’opposition syrienne. Le 31, Halit Isa, un représentant du PYD en France, a donné des précisions sur cette rencontre à l’agence russe Spoutnik: «M. Lavrov nous a donné des informations sur le projet de constitution pour la Syrie préparé par la Russie [et proposé à Astana]. Il a dit que le texte n'était pas définitif et que nous étions libres de faire les amendements que nous jugions appropriés». Il a ajouté que les représentants du PYD avaient présenté leur propre projet aux responsables russes et aux représentants de l'opposition qui avaient déclaré être prêts à l'étudier, et que le PYD devait pouvoir poursuivre ces discussions aux pourparlers de Genève – une position selon lui approuvée par la Russie. Un des points positifs pour les Kurdes, la proposition russe modifie le nom de l’Etat en «République de Syrie» (actuellement République arabe de Syrie) et propose de reconnaître le kurde comme langue officielle à côté de l’arabe dans les régions du nord du pays. Le document évite l’emploi du mot «fédération», mais suggère un État décentralisé avec des Assemblées régionales, aux pouvoirs législatifs et administratifs. Le 31, cependant, le gouvernement syrien a de nouveau rejeté toute forme d'autonomie kurde et aurait proposé des amendements pour modifier le projet russe. La Russie semble chercher un règlement kurde – même contre l’avis du régime – qui permettrait à celui-ci de se concentrer sur ses autres problèmes, et après avoir sauvé celui-ci, elle serait certainement en mesure de le lui imposer. De leur côté, les Américains ont fait un petit «pas en avant» politique en lançant le 27 aux Kurdes de Syrie une invitation à Washington pour des entretiens fin février – première invitation officielle du Département d’État à des représentants kurdes de Syrie. Mais cette fois, il s’agissait de deux membres du CNK, qui seront donc reçus par la nouvelle administration Trump. Dans ces «grandes manœuvres» diplomatiques qui commencent à peine, chacun veut parler aux Kurdes – et à des Kurdes différents… Rien n’est encore écrit, et les risques demeurent élevés d’un accord qui se fasse sans eux, voire contre eux.
Sur le plan militaire, l’opération sur Mossoul a continué ce mois-ci, maintenant essentiellement conduite par l’armée irakienne, les pechmergas ayant accompli leur part. Le 1er janvier, un commandant des Forces anti-terroristes déclarait à l’AFP que les Irakiens tenaient 60 % des quartiers orientaux de Mossoul, et au prix de combats acharnés, la progression s’est poursuivie quasiment maison par maison. Le 5, les Irakiens ont annoncé contrôler 65-70 % des quartiers Est, notamment grâce à la coopération des habitants, et ont déclaré compter atteindre le Tigre dans les jours suivants. Le 9, ils prenaient le contrôle du quartier de Baladiyat et encerclaient Sukkar, acculant les djihadistes au fleuve. Le 13, l’université de Mossoul était reprise un nouveau pont sur le Tigre atteint, puis les soldats entraient le 16 dans le quartier de Shurta, avant d’annoncer le 18, exactement trois mois après le lancement de l’opération, la reprise totale de la partie orientale de Mossoul. Le commandement a indiqué que l’élaboration des plans pour reprendre Mossoul-Ouest avait déjà débuté. Le 20, Daech, anticipant l’attaque, a fait sauter près du fleuve le plus grand hôtel de Mossoul-Ouest, le Mossoul Hotel, afin d’empêcher son usage comme base ou point d’atterrissage.
Les combats aussi ont continué sur d’autres fronts. Le 5, l’armée irakienne et des combattants tribaux, soutenus par des frappes de la coalition, ont lancé une offensive plus au sud, dans l’ouest de la province d’al-Anbar. Des accrochages ont aussi eu lieu dans la région de Kirkouk, demeurée sensible depuis l’attaque djihadiste d’octobre dernier: Daech contrôle toujours au sud la grande ville de Hawija, pour laquelle aucune opération ne semble prête – probablement en raison de la priorité donnée à Mossoul. Le 13, trois pechmergas ont été blessés en repoussant une attaque de snipers au sud de Kirkouk. Le 16, les forces de sécurité de la ville ont arrêté trois personnes suspectées d’appartenir à Daech, dont une en lien avec l’attentat perpétré à Bagdad la semaine précédente. Le 31, le Conseil de Sécurité du Kurdistan a annoncé avoir arrêté dans la nuit du 30 plusieurs djihadistes préparant une nouvelle attaque sur Kirkouk ainsi que le principal organisateur de l’attaque d’Ainkawa (le principal quartier chrétien d’Erbil) en 2015. Enfin, plus à l’est, près de la frontière iranienne, un commandant kurde fayli des Hashd al-Shaabi, Hayder Ali, au «nom de guerre» d’Abou Karrar, a été tué dans la nuit du 14 dans une embuscade de Daech à 40 km au sud de Khanaqîn.
Par ailleurs, il devient de plus en plus clair que la chute de Mossoul ne signifiera pas la fin du danger djihadiste: le 10, le Secrétaire à la Défense de l’administration Obama, Ash Carter, dans le dernier point presse de son mandat, a indiqué que les États-Unis pourraient conserver des troupes en Irak après la reprise de Mossoul en raison des risques de guérilla djihadiste. Le Ministère des pechmergas a annoncé le 21 que les États-Unis armeraient en 2017 deux nouvelles brigades de pechmergas.
Les combats génèrent toujours un flot de déplacés de plus en plus difficile à gérer par le Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) et les autorités de la province de Kirkouk, qui héberge actuellement 500.000 déplacés des provinces de Ninive, Salahaddine, Diyala et Al-Anbar. Selon des chiffres publiés le 14 et le 15, au moins 90.000 déplacés ont trouvé refuge dans des camps installés au Kurdistan près de Dohouk et Erbil depuis le début des opérations le 17 octobre, et 3.000 personnes fuient maintenant Mossoul chaque jour, dont 70% arrivent au Kurdistan. Suite à la pénurie de vivres en ville, leur nombre a doublé en 10 jours. Le nombre total de personnes déplacées au Kurdistan atteint maintenant 29 % de la population, et le GRK s’attend à la fuite de 500.000 personnes supplémentaires avec les prochains combats. Le 29, le GRK a officiellement demandé l’aide de la communauté internationale pour éviter une catastrophe humanitaire.
Le GRK est déjà confronté à de fortes tensions économiques et sociales suite à l’impopularité des baisses de salaires et des retards de paiement et à l’exaspération des habitants face à la dégradation des services. Une grève enseignante avec boycott des cours a commencé dès la rentrée de septembre, ponctuée de manifestations contre la réduction et les retards de paiement des salaires: le 2 à Sulaimaniyeh, Halabja et Kalar, puis le 5 et le 14 devant la Direction de l’éducation à Sulaimaniyeh, avant une suspension provisoire du mouvement le 16. Le 19, après une manifestation contre les coupures d’électricité, une centrale électrique à Chamchamal a été la cible de roquettes, une attaque inédite au Kurdistan. Selon Aras Khoshnaw, responsable du Centre d'information et de recherche stratégique de la Région du Kurdistan, les dépenses du GRK ont baissé de 70 % en 2016 tandis que les revenus augmentaient de 25%, moins les recettes douanières. D’autres mesures sont en élaboration, comme de rendre payante la collecte des ordures, soit sur la facture d’eau, soit en la confiant à des compagnies privées… Cela pourrait ne pas suffire, comme le montre la déclaration se voulant rassurante de Rabar Sidiq, vice-ministre des Finances du GRK, selon laquelle les conditions économiques devraient s'améliorer en 2017… «si le prix du pétrole augmente de nouveau, le système de réforme que nous avons mis en place réussit et si la guerre contre Daech prend fin». A plus court terme, pour alléger le fardeau supporté par les fonctionnaires dont les salaires ont été réduits, les Conseils de province du Kurdistan ont approuvé le 10 la création de chèques complétant les salaires versés en liquide, avec lesquels pourront être réglés les services gouvernementaux comme l’eau ou l’électricité.
Sur le plan politique interne, la situation avance toujours très lentement. Le blocage du Parlement kurde persiste, et les partis de la Région continuent à se rencontrer sans parvenir à s’accorder. PDK et UPK tentent de mettre à jour à deux leur accord stratégique de 2007 afin de pouvoir ensuite proposer un plan commun aux autres partis ; des discussions se poursuivaient au sein de l’UPK pour tenter de réconcilier deux fractions s’opposant maintenant depuis plusieurs mois. Le 7, plusieurs leaders politiques, PDK, puis Ligue Islamique, ont indiqué que les élections prévues en principe en septembre pourraient être reportées suite à la situation militaire et aux difficultés financières et politiques. Principal point de blocage, le mode de désignation du Président de la Région: alors que le PDK veut un président fort élu au suffrage universel, Gorran préfère un président aux pouvoirs limités élu par le parlement. La constitution provisoire adoptée par le parlement d’Erbil en 2009 est plutôt présidentielle, mais elle doit encore être approuvée par référendum – consultation aussi refusée par Gorran. Le 24 cependant, après l’attribution par le GRK du budget nécessaire, la Commission électorale a annoncé entamer les préparatifs des élections générales, fixées finalement au 6 novembre pour les législatives comme les présidentielles – une date toujours provisoire. Ces élections pourraient aussi comporter un référendum d’autodétermination ouvrant la voie à l’indépendance de la Région.
Les relations Erbil-Bagdad sont toujours tendues, tant à propos du pétrole que des territoires disputés entre les deux gouvernements. Le 5, répondant au Ministre des affaires étrangères irakien Ibrahim Jaffari, le Ministre des pechmergas a déclaré que ceux-ci ne se retireraient pas des territoires repris à Daech avant l’opération sur Mossoul. Le 10, les responsables kurdes de Khanaqin ont exprimé leur inquiétude du rapprochement de la ville des milices chiites Hashd al-Shaabi qui veulent installer une base dans le village de Palkana et tenter de recruter des Kurdes. Cette zone a déjà connu des périodes de tension allant jusqu’à la confrontation entre pechmergas et armée irakienne ou milices chiites… Le 27, un responsable du Ministère des pechmergas a annoncé avoir demandé des explications aux Hashd al-Shaabi après qu’un de leurs groupes a bombardé les peshmergas au Sindjar. Celles-ci ont répondu en annonçant une enquête après une «erreur» et qualifiant les pechmergas de «frères». Mais au Sindjar, la situation se complique encore du fait des tensions entre les pechmergas et une partie de la population yézidie qui leur reproche de l’avoir abandonnée à Daech en 2014 et s’est depuis rapprochée du PKK, que le PDK souhaite voir quitter la région. Un accord aurait été trouvé le 6 entre PDK et PKK, aux termes duquel ce dernier se retirerait pacifiquement, seules les Unités de Résistance du Sindjar (Yekîneyên Berxwedana Şengalê, YBŞ) et des Unités de Femmes Yézidies (Yekîneyên Jinên Êzîdî, YJE), formées d’habitants de la région, demeurant sur place pour protéger la population. La question dépasse le Kurdistan pour prendre une importance régionale: le 8, lors de sa conférence de presse commune avec le président de la Région Massoud Barzani, le Premier ministre turc Binali Yildırım, arrivé de Bagdad, a déclaré que la Turquie «n’accepterait pas que le PKK demeure au Sindjar» ni s’étende dans d’autres régions d’Irak. Le lendemain, le porte-parole du KCK (l’aile politique du PKK), Sarhad Varto, a répondu en accusant la Turquie de chercher à provoquer des tensions entre Bagdad et la Région du Kurdistan – et entre «frères kurdes» – pour assurer sa présence dans le nord de l’Irak: «Les responsables du PKK sont en négociation avec Erbil, Bagdad et la coalition internationale sur la manière de gouverner le Sindjar et le retrait du PKK, et nous croyons que le Sindjar doit être gouverné par son peuple – un processus qu’il appartient aux peshmergas, à la guérilla, à l'armée irakienne et à la coalition de contrôler». Varto a appelé à un retrait immédiat des troupes turques stationnées à Bashiqa… Le 20, le porte-parole du Premier ministre irakien, Saad al-Hadithi, a déclaré que le gouvernement central et le GRK étaient arrivés à un accord pour constituer une force commune qui se chargerait de «rétablir l’ordre» au Sindjar – en expulser les groupes armés. Le moment de création de cette force dépendra des progrès de l’opération commune sur Mossoul. Pourtant, le lendemain, le maire de Sindjar, Mahma Khalil (PDK), a accusé le gouvernement central d’aider le PKK à rester au Sindjar, et le 25, l’agence BasNews, proche du PDK, a publié des informations selon lesquelles le PKK aurait formé au Sindjar une unité de yézidis appelée «Force spéciale du Sindjar», enregistrée aux Hashd al-Shaabi et comme telle payée par Bagdad. Le même jour, les YBŞ ont annoncé le début de discussions avec le PDK pour créer une force commune au Sindjar…
C’est sans doute dans ce contexte tendu qu’il faut apprécier l’affaire de la fermeture – puis de la réouverture – par le GRK de l’ONG d’aide aux yézidis Yazda, créée en 2015 notamment pour apporter une assistance psychologique aux femmes yézidies libérées des griffes de Daech. Le lundi 2 après-midi, la Sécurité (Asayish) de Dohouk a fermé les locaux de Yazda dans cette ville, accusant l’organisation d’«activités illégales». Selon une chercheuse de Human Right Watchs, Belkis Wille, la raison de cette fermeture pourrait être un projet de l’ONG pour aider environ 3.000 familles à se réinstaller au Sindjar, ce qui impliquerait la fourniture de ravitaillement risquant de tomber entre les mains du PKK… Le 5 cependant, le directeur du Département kurde des ONG, Akram Jamo, a critiqué cette fermeture et déclaré que seul son bureau pouvait prendre une telle décision sur la base d'ordonnances judiciaires. Yazda a rencontré le 10 le responsable des relations internationales du GRK, Falah Mustafa Bakir, et a publié le 18 un communiqué annonçant sa réouverture, attribuant le problème originel à un malentendu de traduction ayant fait croire à des activités illégales.
Au-delà du Kurdistan, c’est l’avenir de l’Irak qui est incertain: le 4, le leader sunnite et vice-président irakien Osama al-Nujaifi a fait état d’un «plan clair» de sa propre communauté «pour l'Irak d’après l'Etat islamique»: mettre en place des «Régions» où sunnites et autres groupes spécifiques pourraient se gouverner et préserver leurs culture et intérêts économiques au sein d'un Irak uni. Déclarant n’avoir aucune confiance dans le gouvernement central, il a insisté sur l’importance de garanties internationales pour l’obliger à respecter tout engagement.
Premières condamnations liées au coup d’État manqué du 15 juillet dernier: la perpétuité le 5 janvier au tribunal d’Erzurum pour deux officiers, qui avaient reçu des commandements après le putsch. Ce même jour, 380 nouveaux mandats d’arrêt ont été émis contre des hommes d’affaires soupçonnés de «gülenisme». Mais au-delà du putsch-prétexte, la répression a largement frappé tous azimuts, journalistes, enseignants, société civile, élus HDP… Un rapport de l'Association des journalistes de Turquie (Türkiye Gazeteciler Cemiyeti, TGC) en date du 4 fait état de 780 cartes de presse annulées en 2016, 839 journalistes passés devant un tribunal simplement pour avoir fait leur métier, et 144 journalistes en prison pour le nouvel an. Triste record pour la Turquie, avec un tiers des journalistes emprisonnés dans le monde, et depuis le coup d'État, près de 195 médias fermés. Le classement de la liberté de la presse 2016 de Reporters sans frontières place le pays 151e, entre Tadjikistan et République démocratique du Congo, et le représentant turc de Reporters sans frontières, Erol Onderoğlu, a été lui-même inquiété: avec Sebnem Korur Fincancı, Présidente de la Fondation des droits de l’homme de Turquie (TİHV), et le journaliste Ahmet Nesin, il a comparu mercredi 8 dans un procès très médiatisé où tous risquent plus de 14 ans de prison pour «propagande terroriste» après avoir accepté en solidarité avec les Kurdes de collaborer à un numéro du journal Özgür Gündem – la même affaire pour laquelle l’écrivaine Aslı Erdoğan a été (provisoirement ?) libérée le 29 décembre. Les journalistes étrangers courent moins de risques que leurs confrères turcs, mais n’en sont pas moins surveillés: Rod Nordland, du New York Times, a été retenu par la police des frontières puis expulsé vers Londres le 17 en raison de ses articles sur les Kurdes, en particulier celui décrivant la terrible situation de Diyarbakir. Même écrire des livres devient maintenant risqué: le 28, la journaliste kurde Arzu Demir, des agences ETHA et ANF, a été condamnée à 6 ans de prison pour «propagande pour une organisation terroriste», «apologie du crime et des criminels» et «incitation au crime»: elle avait écrit deux livres, l’un sur le processus révolutionnaire au Rojava, Devrimin Rojava Hali, et l’autre sur la place des femmes parmi les combattants du PKK, Dağın Kadın Hali, dont chacun lui a valu 3 ans de prison. Les conditions de détentions sont telles que la Commission «Prisons» du İHD (Association des droits de l’homme, İnsan Hakları Derneği) a organisé une manifestation à Istanbul le 21 pour les dénoncer. Les manifestants ont demandé la fermeture des prisons de type «F» et déployé des banderoles portant le nom des 47 prisonniers morts de maladie durant l’année 2016.
La répression vise aussi tout ce qui a rapport aux Kurdes: le 31, un raid de la police a fermé l’Institut Kurde d’Istanbul, fondé en 1992 sous la direction de Musa Anter, où sont menées des recherches sur la culture, la langue et la littérature kurdes. Ses membres, chercheurs comme étudiants, ont déclaré qu’ils continueraient leurs travaux. À Diyarbakir, c’est l’Académie de langue Ehmedê Xanî, ouverte en 2013, qui a été placée sous scellés. Ces dernières fermetures ont touché au total 94 associations accusées de constituer «une menace pour la sécurité nationale» et d’être liées aux PKK. Après la fermeture, vient la spoliation : les biens de l’Institut Kurde ont été saisis par le Fonds d’assurance et de dépôt (Tasarruf Mevduatı Sigorta Fonu, TMSF)! La langue kurde semble ainsi redevenue une cible privilégiée: le 8, six enseignants de kurde de l’Université Artuklu (Mardin) ont été licenciés. Le 24, l’administrateur remplaçant le maire du district d’Edremit (province de Van) a fait enlever des rues les panneaux multilingues comportant kurde, arménien et anglais… Certains lieux symboliques ont aussi été visés: le 9, la police a détruit dans le parc Rojava à Diyarbakir le monument commémorant les 34 jeunes victimes du massacre perpétré le 28 décembre 2011 près de ce village de la province de Şırnak par l’armée de l’air turque.
Mais le HDP, formation «pro-kurde» progressiste et seule opposition encore active à Erdoğan et à ses projets totalitaires, demeure la principale cible de la répression. Ses élus continuent à être démis et arrêtés par dizaines: le 3, le co-maire adjoint de Dersim, Huseyin Tunç, a été remplacé par un administrateur nommé, et le député Ziya Pir a été arrêté pour «insulte à fonctionnaire». Si la députée Leyla Birlik, arrêtée début novembre pour «liens avec le PKK», a été relâchée le 4 après avoir témoigné devant le procureur de Şırnak, les co-présidents HDP de la province d’Istanbul Aysel Güzel et Doğan Erbaş ont été arrêtés le lendemain avec sept autres cadres: Ali İpekli, Ramazan Çetinçakmak, Tayyip Arslan, Ayşe Karadağ, Feremez Erkan, Muhittin Aslanboğa et Süleyman Özcan. Deux autres, Nasır Tonguç et Ferit Yalçın ont été assignés à résidence à leur domicile. Le 6, la co-maire du district de Kulp (province de Diyarbakir), Sadiye Süer Baran, celle du district de Viranşehir, Emrullah Cin, et les co-maires du district de Bozova (province d'Urfa), Zeynel Taş et Fatma Doğan, ont été arrêtés. Le co-maire du district d'Ömerli (province de Mardin), Süleyman Tekin, ayant été arrêté le 5, le maire, Erol Korkmaz a été nommé administrateur. Au 6 janvier, on comptait 52 administrateurs non élus nommés à la tête de municipalités BDP et 76 co-maires en état d'arrestation. Le 14, la députée HDP Nursel Aydogan, arrêtée le 4 novembre en même temps que 11 autres députés du HDP dont ses deux co-présidents a été condamnée à presque 5 ans de prison pour avoir mené des activités au nom d'une organisation terroriste sans en être membre: elle avait assisté aux funérailles d'un guérillero du PKK. Nombreux sont également les députés HDP accusés de liens avec le PKK amenés de force au tribunal par la police pour déposer: la députée de Batman Ayşe Acar Başaran le 20, le député et cinéaste Sırrı Süreyya Önder le 23, quatre députés le 25: de Sanliurfa, Osman Baydemir, de Diyarbakir Imam Tascier, d'Iğdir Mehmet Emin Adıyaman et de Muş Ahmet Yıldırım; le porte-parole du parti et député de Kars Ayhan Bilgen a été de même emmené de force le 30 au tribunal de Diyarbakir. Libéré après son audition, il a été de nouveau arrêté le lendemain avant son procès pour «participation à une organisation terroriste».
Deux autres députées, Huda Kaya et la députée d’Adana Meral Danis Bestas, ont été placées le 28 en garde à vue avant leur procès, et le 31, la consultante juridique du HDP, Meral Danis Bestas, a été arrêtée. La police a aussi commencé à enquêter sur des dizaines d’employés municipaux qui avaient protesté contre l'arrestation le 7 novembre du co-maire de la municipalité métropolitaine de Van, Bakir Kaya. Selon les lois anti-manifestation actuelles, ils risquent aussi la prison. Le 30, le vice-président du groupe parlementaire HDP et député de Diyarbakır Idris Baluken a été remis en liberté conditionnelle après près de trois mois de prison. Il risquait la perpétuité aggravée plus 23 ans de prison pour quatre chefs d'accusation distincts, dont des liens avec le PKK, tous liés à des déclarations faites dans le cadre de sa mission en tant que membre de la délégation HDP à Imralı. Il est intéressant de noter que la plupart de ces accusations ont été préparées par des procureurs actuellement emprisonnés pour des accusations liées à la tentative de coup d'État du 15 juillet.
Pour le HDP, toutes ces arrestations de ses élus qui se succèdent depuis des semaines – et spécifiquement celle de son porte-parole – visent à l’empêcher de mener campagne contre les changements constitutionnels devant être soumis au référendum d’avril. Les débats au parlement sur ce projet ont débuté lundi 9. La porte-parole du HDP, Ayhan Bilgen, a twitté que le parti boycotterait la discussion: «Nous n’utiliserons pas nos voix pour cette réforme illégitime alors que nos députés sont arrêtés injustement et empêchés de remplir leur devoir». Les points-clés de la réforme ont été approuvés le 13, mais les députés en sont venus aux mains. Le 15, le député HDP Garo Paylan a été suspendu pour trois jours après un discours – interrompu par les députés AKP – où il critiquait les changements proposés en faisant référence aux «quatre communautés chassées de leurs terres dans de grands massacres et génocides», Arméniens, Assyriens, Grecs et Juifs. Les modifications constitutionnelles ont finalement été adoptées le 21 par 339 voix sur 550. Le CHP a annoncé qu’il ferait campagne contre.
Si les décrets du 6 janvier représentent un avant-goût des futurs textes législatifs, il y a de quoi s’inquiéter: selon une lettre ouverte du vice-coprésident et responsable des relations internationales du HDP Hışyar Özsoy datée du 12, ils ordonnent l’expulsion de la fonction publique de 8.398 employés et 649 universitaires supplémentaires et l’interdiction de 83 nouvelles organisations de la société civile. Mais il y a plus grave: selon ces décrets, les fournisseurs d’accès internet devront communiquer à la police les informations personnelles de leurs clients sans nécessité d’une décision de justice et surtout, le gouvernement pourra déchoir de la nationalité turque toute personne se trouvant à l'étranger faisant l’objet d’une enquête pour des crimes contre l'ordre constitutionnel et qui n’obéirait pas sous 3 mois à la convocation du procureur le rappelant en Turquie!
Purges et répression ne semblent avoir aucun impact sur la violence où s’enfonce le pays, à commencer par la première attaque terroriste revendiquée en Turquie par Daech, caractérisée comme une vengeance des opérations militaires turques en Syrie: la nuit du nouvel an, un tireur a ouvert le feu au Reina, un night-club d’Istanbul, faisant 39 victimes, aux deux-tiers des étrangers, avant de s’enfuir. Après une chasse à l’homme inédite, la police n’a capturé le coupable présumé, d’origine ouzbèque, que le 17, dans un appartement du quartier européen d’Esenyurt à Istanbul.
Le 3, les HPG (Forces de défense populaire, l’aile militaire du PKK) ont publié les statistiques de leurs actions pour l’année 2016, selon lesquelles 3.404 policiers ou militaires turcs ont été tués, dont 38 officiers supérieurs, et 1.334 blessés, un avion F-16, 3 hélicoptères et 166 véhicules blindés dont 8 tanks auraient été détruits. Les HPG donnent pour eux-mêmes le chiffre de 585 combattants tués au combat, dont 13 au Sindjar (Shingal). Le 5, un policier et un employé du tribunal ont été tués à Izmir dans l’explosion d’une voiture piégée après des combats avec des militants kurdes. L’attaque a été revendiquée par les TAK le 11. Le 10, le gouverneur de Diyarbakir a annoncé des nouveaux couvre-feux sur 10 villages dans le district de Lice. Le 16, quatre policiers ont été tués et 9 autres blessés dans l’explosion d’une bombe déclenchée au passage de leur véhicule près du campus de l’Université Dicle à Diyarbakir. Durant tout le mois, l’armée de l’air turque a poursuivi ses frappes sur les positions du PKK au Kurdistan d’Irak: le 6 au soir sur Qandil, le 10 dans la nuit, le 13 dans la nuit sur le district d’Amêdî, détruisant plusieurs maisons du village de Seferî, le 18 vers 20h, de nouveau sur Qandil, et enfin le 24.
Le 4 novembre 2016, 12 députés kurdes du HDP, dont ses deux co-présidents, Selahattin Demirtaş et Figen Yuksekdağ, ont été arrêtés sur suspicion de soi-disant «liens avec le PKK». Mis à l’isolement dans la prison de haute sécurité de type «F» d’Edirne, ils ont été contraints de témoigner aux audiences les concernant à distance par téléconférence, un empiètement sur les droits de la défense. Demirtaş a aussi témoigné s’être vu refuser des soins malgré son état de santé (il a dû être emmené à l’hôpital pour un examen le 10 décembre après un spasme cardiaque).
Près de 120 enquêtes et procès ont été ouverts contre Selahattin Demirtaş dans une vingtaine de villes différentes. Parmi eux: au 34e Tribunal pénal de première instance d’Istanbul, un procès pour «incitation à la haine et à l’hostilité», une accusation basée sur son discours au rassemblement électoral d’Istanbul du 7 juin 2015 (Demirtaş avait… critiqué un article de journal); au 25e Tribunal pénal de première instance d’Ankara, un procès pour «insulte à la nation turque, la République de Turquie et les institutions de l’État», une accusation basée sur un discours prononcé sur la chaîne de télévision kurde Med Nuçe TV le 10 octobre 2015; au 10e tribunal pénal de première instance d’Ankara, un procès pour «crime» et «insulte à Süleyman Soylu» (vice-président de l’AKP), pour avoir déclaré le 18 mai 2015 qu’une équipe de 3.500 personnes dirigée par Soylu «effectuait des simulations et des fraudes électorales afin de maintenir le HDP en-dessous de la barre des élections nationales».
Suivent des éléments ou extraits de plusieurs déclarations faites lors d’audiences ou envoyées par courrier (publiées par la représentation du HDP en Europe, ou traduites par les bénévoles du site Kedistan).
Figen Yüksekdağ, déclaration du 6/11: «Malgré tous leurs efforts, ils ne peuvent pas entamer notre espoir ni briser notre résistance. Que ce soit en prison ou non, le HDP et nous, sommes toujours la seule option de la Turquie pour la liberté et la démocratie. Et c’est pourquoi ils ont tellement peur de nous. […]»
Selahattin Demirtaş, déclaration du 8/11: «Le fait que nous ayons été pris en otage, moi-même et nos parlementaires, à la suite de ce qui équivaut à un coup d’Etat civil, n’est pas seulement une attaque contre nous en tant qu’individus. C’est un nouveau pas franchi par ceux qui, étape par étape, ont mis en œuvre divers complots pour consolider le règne d’un seul homme. […]»
Demirtaş a remis en cause la manière dont l’immunité des parlementaires HDP avait été levée, la qualifiant d’illégale, ce qui rend aussi sa détention illégale: les immunités auraient dû être levées par la commission parlementaire prévue à cet effet, après lecture du dossier d’accusation des députés visés par la mesure, et ceux-ci auraient dû pouvoir présenter leur défense. L’immunité a été levée globalement, sans considérer les cas concernés et sans aucune défense. Demirtaş a aussi pointé le choix du moment des arrestations: six mois après la levée de l’immunité. Pourquoi si tard? Il s’agissait d’influencer l’opinion au moment où l’on allait présenter le projet de changement constitutionnel…
Le 17 janvier, les procureurs de la deuxième cour pénale de la province d'Adana ont requis 142 ans de prison contre Demirtaş et 83 ans contre Figen Yuksekdağ. Le 18, le tribunal de Diyarbakir a approuvé l'acte d'accusation préparé par le parquet général qui requiert contre Demirtaş 1 à 4 ans de prison pour «insulte au Président Erdoğan» et «propagande en faveur du PKK» lors d'une apparition télévisée le 9 septembre 2015. Vu le nombre de cas instruits, il n’y avait que l’embarras du choix… C’est pour ce cas que, le 6 janvier, le co-président du HDP avait déclaré n’être ni «un dirigeant, un membre, un porte-parole ou un sympathisant du PKK, [mais] coprésident du HDP», ajoutant pour que les choses soient claires: «Je critique toutes les méthodes violentes et guerrières, et je suis opposé à toute politique guerrière. […] Bien que les déclarations qui ont mis fin au processus de paix aient été faites par des responsables gouvernementaux, je suis tenu pour responsable des attaques du PKK. Le HDP n'a aucune responsabilité pour le bain de sang. Ceux qui ont pris la décision politique étaient le président et le premier ministre».