Le référendum constitutionnel du 16 avril a éclipsé les autres nouvelles de Turquie ce mois-ci, notamment la poursuite de la grève de la faim de 200 prisonniers politiques de 20 prisons différentes, dont 37 femmes, qui continuaient le 10 à ne prendre aucune nourriture. Les 13 premiers d’entre eux à avoir commencé, le 15 février, avaient cessé de s’alimenter depuis 55 jours. Une partie des prisonniers, dont le co-président du HDP, S. Demirtaş, a cependant suspendu le mouvement en début de mois après avoir obtenu des promesses d’amélioration des conditions de détention.
Aussi oubliées, incarcérations, condamnations et purges ont pourtant continué: le 11, la co-présidente et députée HDP Figen Yuksekdağ a été privée de son mandat et condamnée à l’inéligibilité et à un an de prison. Le 19, la députée HDP Burcu Celik a été incarcérée à Muş et le tribunal a ordonné son maintien en détention. Le 21, la députée HDP Nursel Aydoğan, emprisonnée en attente de son procès depuis le 4 novembre dernier, risquant jusqu’à 103 ans de prison, a rappelé au tribunal par vidéo depuis sa prison de Silivri que la Cour constitutionnelle avait décidé en 2013 que les députés ne peuvent être emprisonnés dans l’attente de leur procès… Celui-ci a dû prononcer sa libération sous contrôle judiciaire ; de même pour la députée HDP d’Adana, Meral Danis Bestas, maintenue en prison depuis décembre. Par contre, Ayşe Celik, l’habitante de Diyarbakir qui avait début 2016 témoigné en direct par téléphone lors d’un programme télévisé des conséquences sur les civils des opérations militaires turques, a été condamnée le 26 à un an et trois mois de prison pour «légitimation des méthodes violentes du PKK». Le producteur de l’émission, d’abord inquiété, a été acquitté. Pour les purges, un décret du 19 a suspendu 9.000 policiers et 1.000 autres ont été incarcérés pour «liens gülenistes», interdisant aussi programmes télévisés et publicités pour des agences de rencontres, «contraires à la religion et à la culture turques». Puis le 29, un autre décret limogeait 3.900 fonctionnaires civils et militaires, gardiens de prison, universitaires, employés des Affaires religieuses, et 1.200 militaires dont 600 officiers, qualifiés de «danger pour la sécurité nationale». Concernant la censure, la Turquie a franchi un nouveau cap le 29 en bloquant l’accès à l’encyclopédie en ligne Wikipédia, accusée de «participation à la campagne internationale de dénigrement anti-turc» et de «propagande terroriste»: la Turquie réclame le retrait de trois pages en anglais qui mettent le pays «sur un pied d’égalité avec des groupes terroristes», l’ouverture d’un bureau dans le pays et le respect des décisions légales prises en Turquie. Wikipédia n’est guère que l’un des 111.000 sites interdits ou fermés en Turquie depuis mai 2016…
Quant au référendum constitutionnel, M. Erdoğan a dû recourir à des moyens extrêmes pour pouvoir crier victoire: avec 51,37% contre 48,63% pour le «Non», la victoire du «Oui» a été qualifiée de a minima par la chaîne d’information française France Info, et le parti «pro-kurde» HDP a immédiatement contesté ces chiffres en accusant le gouvernement de fraude. D’abord, la consultation s’est tenue dans des conditions totalement antidémocratiques, les partisans du «Non» étant assimilés à des terroristes et constamment intimidés, et pour certains emprisonnés bien avant le début de la campagne: ainsi le HDP a abordé celle-ci avec près de 5.000 de ses cadres emprisonnés, dont 85 maires et 13 parlementaires, et n’a disposé de quasiment aucun accès aux médias – contrairement à l’AKP qui a largement bénéficié des moyens de l’Etat… Ziya Pir, député HDP de Diyarbakir, a témoigné que la police arrachait systématiquement les affiches appelant au «Non» ; Mithat Sancar, vice-président du HDP, a déclaré que certains électeurs s’étaient plaints que le secret du vote n’avait pas été respecté, et que de nombreux membres du HDP s’étaient vu refuser d’être scrutateurs dans les bureaux de vote… Mais surtout, la Haute commission électorale (YSK) a décidé au dernier moment de considérer comme valides des bulletins n’ayant pas reçu le tampon d’un bureau de vote, en réalité une fraude massive, d’autant plus qu’ils ont ensuite été tamponnés afin que nul ne puisse les distinguer des bulletins légitimes… «Que l'annonce officielle soit «Oui» ou «Non», a déclaré le porte-parole du HDP, Osman Baydemir, «nous contesterons 2/3 des bulletins de vote. Nos données indiquent une manipulation portant sur 3-4% des bulletins – c’est-à-dire trois millions, [un chiffre] suffisant pour renverser l’issue du vote».
Des milliers de partisans du «Non» sont descendus dans la rue à Istanbul et dans d’autres villes, et HDP comme CHP (Kémalistes) ont annoncé ne pas reconnaître les résultats et vouloir déposer chacun un recours en annulation. Bien que le président des associations du barreau turc ait qualifié la décision du YSK d’accepter des bulletins non contrôlés de «violation de la loi électorale», celui-ci a rejeté les recours… Le Vice-président du CHP, Bülent Tezcan, a déclaré envisager un appel auprès de la Cour constitutionnelle turque voire de la Cour européenne des droits de l’homme. L’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe a publié un rapport mettant en cause les conditions de déroulement du référendum (résumé dans l’article suivant), que le Conseil de l’Europe a qualifiées d’«inéquitables».
Le président turc a rétorqué en sommant les observateurs européens de «rester à leur place». Les changements constitutionnels adoptés lui permettent de dissoudre le parlement à sa guise, déclarer unilatéralement l’état d'urgence, nommer la moitié des principaux juges, tous les hauts fonctionnaires, les chefs de police, les vice-chanceliers militaires et universitaires… Kati Piri, la députée européenne chargée des relations du Parlement européen avec Ankara, a déclaré le 26 que la mise en place de ces changements fermerait à la Turquie toute possibilité d’adhésion à l’Union européenne – une position similaire à celle du Commissaire chargé des demandes d’adhésion, Johannes Hahn, qui avait deux jours plus tôt demandé aux ministres des Affaires étrangères d’envisager lors du sommet de Malte la fin des discussions… Piri a suggéré de faire plutôt avancer l’Union douanière, afin de conserver un moyen de pression pour préserver la démocratie en Turquie.
La campagne du référendum n’a pas arrêté violences et affrontements entre armée turque et PKK. Le 5, les avions turcs ont bombardé les monts Qandil au Kurdistan d’Irak, et en particulier un cimetière de combattants. Le lendemain, le gouverneur de la province de Hakkari a annoncé que l’aviation turque avait bombardé une zone montagneuse de la province près de Cukurca, tuant 8 combattants du PKK qui avaient attaqué un poste militaire turc, blessant un soldat. Ce même jour, le journal pro-gouvernemental Yeni Safak a promis une prochaine opération terrestre intitulée «Bouclier du Tigre» contre le PKK au Sindjar, lancée depuis la base de Bashiqa pour couper les communications entre Sindjar et Qandil d’une part et le nord d’autre part, ainsi qu’entre le PKK et le PYD en Syrie (Rojava). En réponse, Agid Jivyan, le commandant du HPG (Hêzên Parastina Gel, Forces de protection du peuple) au Sindjar, a déclaré que le PKK était prêt à répondre à toute attaque turque, et le 10, Cemil Bayik, un dirigeant du PKK, a appelé de nouveau dans une interview à Al-Monitor la communauté internationale à servir de médiateur pour «imposer à la Turquie des négociations pacifiques sur la question kurde», ajoutant que le PKK «était toujours prêt pour la paix», mais que «si le gouvernement [turc] refuse une solution pacifique, et que les puissances internationales demeurent silencieuses, alors nous n’aurons pas d’autre choix que de continuer la résistance». La dernière opération terrestre turque en Irak avait tourné court après injonction des États-Unis…
Le 11 au matin, une explosion au QG de la police anti-émeutes à Diyarbakir a fait 3 morts et au moins 4 blessés. Le Ministère de l’intérieur l’a d’abord attribuée à un accident durant des travaux, mais le PKK a revendiqué un attentat avec plus de 2 tonnes d’explosifs placées dans un tunnel creusé sous le bâtiment, une version ensuite confirmée par le ministre de l’Intérieur Suleyman Soylu. 177 personnes ont été placées en garde à vue. La nuit suivante, des avions turcs ont bombardé la région de Zakho, au Kurdistan d’Irak, visant des bases du PKK, et le 14, l’armée turque a annoncé avoir détruit la nuit précédente 7 abris et plusieurs dépôts d’armes. Le 21 au matin, 2 soldats turcs ont été tués et 2 autres blessés près de Şırnak, à la frontière irakienne dans un accrochage avec le PKK, qui suivait une semaine de combats au cours desquels selon l’agence Anatolie, 45 combattants kurdes avaient été tués… L’après-midi, l’armée de l’air et l’artillerie turques ont bombardé la région d’Amêdî au Kurdistan irakien, blessant une civile. Tôt le 23, 2 soldats turcs ont été blessés dans le district d’Uludere, près de Şırnak et sont morts à l’hôpital. Tard le 22, 1 autre soldat a été tué et 2 autres blessés près de Kulp (Diyarbakir). Nouveaux bombardements aériens, pour le 3e jour, dans la région d’Amêdî. Puis le 26, après avoir frappé le Rojava et la région irakienne du Sindjar (voir les articles sur ces deux pays), la Turquie a bombardé la région du Zab pour la deuxième journée consécutive, annonçant avoir tué 6 combattants du PKK, avant d’annoncer le 29 avoir tué 14 autres combattants au Kurdistan d’Irak.
Le 28, le Premier ministre de la Région du Kurdistan d’Irak, Nechirvan Barzani, a rencontré à Istanbul le président turc durant 45 mn ; le journal pro-gouvernemental Yeni Safak a rapporté que les discussions auraient porté sur la lutte contre le PKK.
L’autoritarisme croissant de M. Erdoğan à l’intérieur et ses orientations troubles et dominées par son obsession anti-kurde à l’extérieur, accroissent décidément l’isolement international de la Turquie. Un rapport de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) dénonce les conditions du référendum du 16 avril ; un rapport soumis lors d’une audition à la Chambre des représentants du Congrès américain, après une analyse sans concessions de la politique de la Turquie, recommande de réévaluer son appartenance à l’OTAN…
Les observateurs de l’OSCE présents pour le référendum constitutionnel ont rendu sur ses conditions de déroulement un rapport sans concessions qui a mis en rage le gouvernement et le président turcs. Le texte rappelle que l’OSCE avait demandé à la Turquie d’autoriser la présence d’observateurs suite à des entretiens avec des représentants de l’opposition en raison du contenu des changements constitutionnels proposés, du contexte délétère (imposition de l’état d’urgence, fermetures de médias d’opposition, emprisonnement de journalistes), et aussi parce qu’«un certain nombre de recommandations précédentes relatives au cadre juridique [n’avaient] pas été prises en compte, comme […] certaines restrictions aux droits actifs et passifs de vote, [l’absence d’]une loi réglementant le financement des campagnes, le manque de possibilité de contester les décisions de la Commission électorale et l’absence de dispositions pour l’observation internationale et citoyenne des élections».
Le rapport remarque que le contenu du référendum ne respectait pas ce qui est considéré internationalement comme une «bonne pratique»: les votants devaient approuver ou rejeter en une seule réponse les 18 amendements proposés, qui modifiaient 72 articles de la constitution, sans pouvoir faire des choix différents pour chaque problème posé. Par ailleurs, les amendements concernés ne figuraient pas sur les bulletins. Concernant la libre participation à la consultation, le rapport remarque que la loi limitait la participation à la campagne aux seuls partis approuvés par le Bureau du Procureur général de la Cour suprême, qui devaient être représentés dans au moins la moitié des provinces du pays et un tiers des districts de ces provinces et avoir tenu un congrès au moins six mois auparavant… 19 partis politiques qui avaient participé aux élections législatives de novembre 2015 se sont vus refuser la participation au référendum (dont 2 après appel d’un premier refus) et sur 92 partis enregistrés, seuls 10 ont été acceptés. La Haute commission électorale avait aussi interdit la participation des organisations de la société civile et professionnelles: l’une d’elles n’a pu participer, n’ayant pas réussi à se faire enregistrer comme parti politique…
Les observateurs de l’OSCE témoignent également des conditions défavorables au camp du «Non»: limitations des libertés fondamentales, couverture médiatique clairement favorable au parti au pouvoir et au président. La campagne du «Oui» a reçu 76% du temps d'antenne à la télévision et 77,5% de l'espace dans la presse, principalement de tonalité positive, alors que la campagne du «Non» n'a reçu que 23,5 % du temps d'antenne et de l'espace total, surtout neutre. Le Premier ministre et le Président ont utilisé des cérémonies d’inauguration liées à leurs fonctions pour faire campagne pour le «Oui». L’absence de loi limitant les dépenses de campagne a aussi nui à l’égalité de représentation des opinions. Les votants n’ont ainsi pu avoir accès à des informations impartiales sur les aspects clés de la réforme sur laquelle ils devaient se prononcer. Enfin, la campagne du «Non» a été entravée: l'affiche du HDP et une chanson en kurde ont été interdites comme «violant les principes de l'intégrité de l'État et l’[usage du] turc comme langue officielle», et la police est parfois intervenue violemment pour interrompre des meetings pour le «Non». Enfin, lors du vote, dans les «zones de sécurité» mises en place au Kurdistan (Batman, Bingol, Hakkari, Kars, Mardin et Tunceli), la police contrôlait les papiers d’identité des votants afin d’identifier les personnes recherchées. L’OSCE note aussi que l'accès des observateurs européens aux bureaux de vote leur a parfois été refusé ou restreint.
Le rapport met en doute l’indépendance de l’administration référendaire en relevant que, sur les 11 membres de la Haute commission électorale, élus par et parmi les juges de la Cour de cassation et du conseil d’État, 8 l’ont été après 2016, alors que la magistrature avait déjà subi plusieurs purges. Trois des juges remplacés ont d’ailleurs été mis en détention provisoire. Enfin, depuis la proclamation de l’état d’urgence, de nombreux fonctionnaires à tous les niveaux de l’administration électorale ont été remplacés par décret: 143 présidents de Bureaux électoraux de districts démis, 67 placés en détention provisoire, 9 présidents de Bureaux provinciaux démis, 2 mis en détention provisoire, plus de 500 membres de Conseils électoraux à tous les niveaux ont également placés en détention… Par ailleurs, alors que le pouvoir judiciaire avait la responsabilité principale de l'administration du référendum et de l'arbitrage des différends, le récent licenciement de 3.979 juges et procureurs, soit près d'un tiers de la magistrature, dont cinq du corps de contrôle judiciaire et de nombreux juges de la Haute cour, a eu une incidence sur l'indépendance de la magistrature durant le référendum. En avril, 45 magistrats supplémentaires ont été démis et, le 4 avril, trois juges et un procureur ont été suspendus et mis en examen pour leur décision de libérer 21 journalistes détenus à la suite du coup d'État. Beaucoup d’organisations ont limité leurs activités d’observation du scrutin par peur de répercussions. Après le coup d’État de juillet, 1.583 organisations ont été dissoutes, dont certaines actives dans le champ de l’observation des consultations. Au total, 73 observateurs étrangers seulement ont pu s’enregistrer pour observer le référendum. L’OSCE note aussi que sur les 218 décisions adoptées par la Haute commission, seulement 38 ont été publiées, et que celle-ci, contactée à propos du déplacement de certains bureaux de votes par des partis politiques, a refusé d’exprimer une opinion. Elle a aussi décidé que certaines modifications juridiques régissant l’organisation des élections, faites par décrets suite à l’état d’urgence, seraient d’application immédiate, alors que l’article 67 de la constitution prévoit un délai d’un an pour l’entrée en vigueur d’un changement de ce type… Enfin, la décision de la Haute commission de modifier au dernier moment les critères de validité des bulletins apparait à l’OSCE comme «en contradiction avec la loi [stipulant…] explicitement que ces bulletins de vote devaient être considérés comme invalides». Notant qu’«il n'y a pas de possibilité de faire appel de cette décision», le texte rappelle que le HDP a annoncé avoir détecté des anomalies dans 668 protocoles.
Tous ces éléments démontrent amplement le caractère de déni de démocratie de la consultation référendaire du 16 avril.
Second document ayant provoqué la colère du gouvernement turc, le rapport de David L. Phillips, directeur du programme sur la construction de la paix et des droits de l’Institut d’Études des Droits de l’Homme de l’Université de Columbia. Présenté le 5 avril à une audition devant la Commission des affaires étrangères de la Chambre des Représentants américaine, il met en accusation le gouvernement turc pour sa corruption (celle notamment de la famille du président Erdoğan), sa politique intérieure (non-respect des droits de l’homme, notamment vis-à-vis des Kurdes) et sa politique extérieure (relations troubles avec Daech). Il recommande une enquête sur les opérations militaires menées dans les provinces kurdes, qu’il caractérise comme «crimes de guerre», ainsi que la réévaluation de l’appartenance de la Turquie à l’OTAN en raison de ses liens avec Daech.
Concernant la corruption, le texte accuse le pouvoir mono-parti de l’AKP d’avoir permis le développement d’une «culture de la corruption» touchant les plus hauts niveaux du gouvernement ainsi que la famille Erdoğan elle-même. Il rappelle qu’après une enquête ayant mené en décembre 2013 à l’arrestation de 52 personnes et obligé 5 ministres AKP à démissionner et la diffusion sur Internet d’une conversation où Erdoğan demandait à son fils Bilal de «se débarrasser de l’argent qu’il avait chez lui», tous les juges et les policiers impliqués dans l’opération ont été démis et les preuves détruites… Puis le rapport aborde le dernier scandale menaçant le gouvernement turc: l’implication d’un trafiquant turco-iranien protégé par Erdoğan, Reza Zarrab, dans des transferts d’argent illégaux pour l’Iran sous sanctions américaines faits à travers des sociétés-écrans chinoises et surtout la banque turque Halkbank. L’arrestation de Zarrab le 19 mars à l’aéroport de Miami, a été suivie le 27 mars à New York par celle du vice-président de Halkbank pour les opérations internationales, Mehmet Hakan Attila. Phillips recommande de poursuivre l’enquête sur Zarrab et de tenir son procès en août 2017 comme prévu.
Concernant les abus des droits de l’homme, le rapport accuse la Turquie de bafouer systématiquement la liberté d’expression et de réunion en utilisant notamment la Loi anti-terroriste n° 1991 pour réduire les opposants au silence. Il rappelle que l’article 216 du Code pénal turc, qui impose une peine de prison de 3 ans et punit «l’incitation à la haine ou la violence sur la base de l’ethnicité, la classe ou la religion», est essentiellement utilisé contre les Kurdes, et que l’article 299, qui permet les poursuites pour «insulte au Président», a été utilisé pas moins de 1.845 fois entre août 2014 et mars 2016… Concernant le contrôle d’Internet, il mentionne la loi n° 5651 de février 2015, qui autorise la Direction des télécommunications à bloquer des sites web sans demander l’autorisation d’un juge, celle d’avril 2015 modifiant les pouvoirs des services de renseignement adoptée, qui autorise le MIT à accéder aux données personnelles d’un individu sans mandat d’un tribunal. Sur le plan juridique, Phillips recommande de refuser toute politisation du dossier d’extradition de l’imam Gülen, d’examiner si les preuves apportées par la Turquie justifient celle-ci et s’il aurait un procès équitable en Turquie…
Concernant les opérations militaires dans les provinces kurdes du pays, Phillips recommande la constitution d’une Commission d’enquête et d’un dossier sur les crimes de guerre commis par la Turquie, estimant que «le risque qu’Interpol gèle les avoirs et restreigne les déplacements à l’étranger d’Erdoğan, ses soutiens et sa famille pourrait avoir une influence positive sur le comportement de la Turquie».
Reprenant des éléments de l’enquête de l’auteur sur la coopération entre Turquie et «Organisation de l’État Islamique» (jointe en annexe), le rapport recommande que la coalition anti-Daech s’affranchisse de l’usage exclusif de la base turque d’Incirlik – qui permet les pressions de la Turquie – en utilisant d’autres bases à Chypre ou en Jordanie. Rappelant que «l’OTAN est davantage qu’une alliance [militaire] pour la sécurité [de ses membres, mais aussi] […] une coalition de pays partageant des valeurs communes», il remarque que la Turquie «ne serait pas acceptée dans l’OTAN si l’alliance était créée aujourd’hui», et recommande de mettre en place un Comité d’évaluation pouvant décider de l’expulsion d’un pays si celui-ci ne respecte pas plusieurs années de suite des critères de démocratie et de droits de l’homme, comité qui pourrait ainsi réévaluer la qualité de membre de l’OTAN de la Turquie. Enfin, il recommande la tenue de nouvelles auditions [à la Chambre des représentants] pour examiner la manière dont a été mené le référendum, notamment le comptage des votes.
Le mois d’avril a été marqué par un changement majeur de politique américaine à l’égard du régime de Bachar el-Assad. Après qu’une frappe aérienne utilisant des armes chimiques ait fait le 4 à Khan Sheikhoun, une ville au sud d’Idlib tenue par les rebelles, 58 morts selon l’OSDH, dont 11 enfants de moins de 8 ans (un nombre de victimes révisé ensuite à plus de 70), des navires de guerre américains ont le 6 au matin lancé depuis la Méditerranée orientale 59 missiles Tomahawk vers la base aérienne de Shayrat, près de Homs, d’où étaient selon les experts américains partis les avions syriens responsables de l’attaque. L’armée syrienne avait nié toute responsabilité, et la Russie déclaré le 5 que le gaz avait été libéré lorsqu’un entrepôt rebelle avait été touché par le bombardement. Les officiels américains ont déclaré avoir informé préalablement les Russes et ne pas avoir frappé les parties de la base où ceux-ci se trouvaient, mais n’ont pas demandé leur accord. Selon le Pentagone, les missiles ont drastiquement réduit la capacité du régime à utiliser ses armes chimiques. Le 13, la Russie, utilisant son veto pour la huitième fois depuis le début de la guerre civile il y a six ans, a bloqué au Conseil de sécurité une motion déposée par les Occidentaux condamnant l’attaque chimique attribuée au régime. Le 14, le Président syrien a déclaré que celle-ci était une pure invention, un complot des Occidentaux, son gouvernement ayant transféré toutes ses armes chimiques hors du pays en 2013. Le 26, cependant, les services de renseignement français ont rendu public un rapport concluant à la responsabilité du régime dans les attaques au gaz.
C’est dans ce contexte que les Forces démocratiques syriennes (FDS, alliance militaire kurdo-arabe dominée par les YPG, milices affiliées au parti kurde PYD) ont annoncé le 13 entamer la quatrième phase de leur offensive contre Daech à Raqqa, visant à libérer des djihadistes l’ensemble de la région nord de Raqqa et la vallée de Djalab. Le 15 au matin, malgré les mines et les snipers de Daech, les FDS sont entrées dans la ville de Tabqa, à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Raqqa, tuant au moins dix djihadistes et capturant la moitié du quartier d’Alexandria dans le sud de la ville tandis que les combats se poursuivaient. 27 djihadistes ont aussi été tués dans les combats pour le village d’al-Mushayrifah, adjacent à la ville. Puis le 18, elles ont annoncé à Aïn Issa, à environ 50 km de Raqqa, la création d’un «Conseil civil» composé d’habitants de la ville et de la province, qui administrera celles-ci après leur reprise à Daech.
En fin de mois, les tensions entre le Rojava et la Turquie sont brusquement remontées suite à plusieurs frappes aériennes menées par l’aviation turque dans la nuit du 24 au 25 avril. La première a visé le centre de commandement des YPG sur le mont Karaçok, près la ville-frontière d’al-Malikiyah, ainsi que le centre de presse, où se trouvaient des journalistes kurdes, et la station de radio. Les YPG ont annoncé le lendemain un bilan de 18 morts, des combattants et des responsables médias – plus tard reévalué par l’OSDH à 28 morts. Un second bombardement a visé pour la première fois la région du Sindjar, du côté irakien de la frontière, frappant les combattants yézidis des YBŞ, affiliés au PKK. Un QG des pechmergas du GRK a aussi été touché et 4 pechmergas tués et 9 autres blessés. Le co-président du PYD, Salih Muslim, a dans une interview télévisée demandé que la coalition anti-Daech ne demeure pas silencieuse après cette attaque, à laquelle le PYD s’attendait, et qu’il a caractérisée comme un soutien aux djihadistes Daech, rappellant que les FDS ont été frappés par les Turcs tandis qu’ils combattent les djihadistes au sein de la coalition dirigée par les États-Unis. La Turquie a déclaré avoir informé les États-Unis et la Russie, mais l’administration américaine a réagi violemment à ces frappes en accusant la Turquie de ne pas s’être coordonnée avec la coalition anti-Daech – le lendemain, le porte-parole de la coalition anti-Daech, le colonel américain John Dorrian, a déclaré que la Turquie avait informé les USA des frappes moins d’une heure avant de les lancer, ajoutant que les informations transmises au centre d'opérations aériennes de la coalition décrivaient une superficie importante et n'étaient pas assez précises quant au calendrier et à l'emplacement des frappes pour assurer la sécurité des forces américaines, qui se trouvaient à 10 kilomètres. Un autre responsable américain, souhaitant conserver l’anonymat, a déclaré que le délai avait été d'environ 20 minutes, «certainement pas la coordination que vous attendez d'un partenaire et d'un allié dans la lutte contre [l'Etat islamique]». La Russie a de son côté exprimé son inquiétude pour des frappes «inadmissibles», accomplies «sur le territoire d’un autre pays souverain sans consultation avec son gouvernement légitime», tandis que Damas qualifiait les frappes turques d’«agression du régime d’Erdoğan contre le territoire syrien».
Le 26, des combats ont éclaté à la frontière entre Rojava et Turquie dans la région de Hasakeh. Selon l’OSDH, ils ont débuté quand les YPG ont ouvert le feu sur un véhicule blindé turc qui avait franchi la frontière. Des manifestations appelant à l’établissement d’une zone d’exclusion aérienne ont eu lieu le même jour à Qamishlo et dans d’autres villes du Rojava, bientôt suivis de nouveaux combats face à Şanliurfa. Le 29, les YPG ont déclaré qu’ils se retireraient de l’opération sur Raqqa si les États-Unis ne prenaient pas des mesures pour protéger leurs combattants. Ce même jour, des véhicules blindés américains se sont interposés entre YPG et armée turque à la frontière syro-turque dans la région de Derbasiyah, où venaient précisément de s’affronter leurs deux alliés.
Le 30, le président turc a menacé de nouvelles frappes contre les YPG en Syrie et le PKK en Irak, déclarant que le soutien américain à ces groupes «devait prendre fin». Il est permis de se demander, alors que la politique américaine semble évoluer vers un plus grand engagement en Syrie, quelle sera la réaction de Washington à ces frappes visant son allié principal contre Daech sur le terrain: les frappes turques pourraient se révéler plutôt contre-productives. Quoi qu’il en soit, toujours le 30, les FDS ont poursuivi leur avance dans Tabqa en libérant des djihadistes six nouveaux quartiers de la ville.
Peu médiatisée, la bataille contre Daech se poursuit dans Mossoul-Ouest, progressant apparemment très lentement et au prix de lourdes pertes. Les djihadistes, affaiblis en Irak comme en Syrie, sont cependant loin d’avoir abandonné la partie: le 1er avril, un avion militaire irakien a tué 150 à 250 d’entre eux à Baaj, près de la frontière syrienne – suggèrant qu’ils transitent encore entre Syrie et Irak – et le 6, Daech a pour la première fois abattu un hélicoptère irakien au-dessus du quartier Al-Ghabat de Mossoul-Est, tuant ses deux pilotes. Le 9, une nouvelle fosse commune contenant 200 corps de Yézidis, principalement femmes et enfants, a été découverte au Sindjar, la dixième, avec un total de 1.646 corps… Le 15, ce sont des avions syriens qui ont frappé Daech près de la frontière irakienne grâce à un échange d’informations avec ce pays. Daech a conservé la capacité de lancer des attaques terroristes comme celle du 5 à Tikrit, qui a fait 31 morts, dont 14 policiers: les djihadistes ont pénétré en ville déguisés en policiers et attaqué un point de contrôle et le domicile d’un officier avant d’être abattus ou de se faire sauter. Les Kurdes, non présents dans Mossoul, demeurent vigilants: le 11, les Asayish (Sécurité) de Sulaimaniyeh et de Halabja ont arrêté 60 personnes, et recherchent aussi les djihadistes infiltrés parmi les déplacés: le 28, la Sécurité de Kirkouk a arrêté 63 déplacés suspects. Un millier de déplacés arrivent toujours quotidiennement au Kurdistan, pour un nombre total atteignant maintenant 164.000, installés dans des camps près d’Erbil et de Dohouk…
Chacun commence à se préoccuper des nombreuses questions de l’après-Daech: relations entre communautés, sort des minorités, chrétienne et yézidie, gouvernance des régions sunnites dont Mossoul, mais aussi devenir des territoires disputés entre Bagdad et Erbil. Ces questions sont aussi quelque peu présentes dans les relations intra-kurdes: le 15, le groupe UPK du parlement irakien a préparé un projet visant à autoriser le stationnement permanent à Kirkouk de la «Force noire» de ce parti – qui avait occupé les locaux de la Northern Oil Company le mois dernier. L’UPK, force dominante à Kirkouk, est en concurrence avec le PDK pour le contrôle de la province et de ses ressources pétrolières, et où les décisions le mois dernier du gouverneur et du Conseil provincial de faire flotter le drapeau kurde près du drapeau irakien sur les bâtiments officiels (dans une séance boycottée par les représentants turkmènes et arabes) continuent à susciter des réactions. Le 1er avril, le parlement irakien s’y est opposé dans une session (boycottée cette fois par les députés kurdes). Le porte-parole du Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) a répondu que seule la Cour Suprême pouvait décider en la matière, et le président du Conseil provincial de Kirkouk, Rebwar Talabani, a déclaré que le drapeau kurde ne serait pas retiré, la Cour fédérale ayant rendu un avis contraire. Le 3, le bloc Brayatî, majoritaire au Conseil provincial, a relancé le débat en demandant la remise au vote d’une proposition de 2008 demandant le rattachement de la province à la Région du Kurdistan! Le lendemain, le Conseil provincial a rejeté la décision du parlement irakien et a adopté par 26 voix sur 41, dans une session boycottée par les représentants arabes et turkmènes, la tenue d’un référendum sur le rattachement de la province à la Région du Kurdistan. Le président du Conseil a ensuite demandé au gouvernement irakien de prendre les mesures nécessaires pour organiser le référendum, et un membre du Conseil, Ahmed Askari, a déclaré que si Bagdad ne le faisait pas, la province se tournerait vers le GRK et l’ONU pour l’organiser. L’Article 140 de la Constitution irakienne de 2005 prévoit en effet que Kirkouk et les autres territoires disputés entre Bagdad et Erbil peuvent décider de leur devenir par référendum. Mais il y a désaccord sur le corps électoral: Arabes et Turkmènes accusent les Kurdes d’avoir kurdifié la province depuis 2004 et veulent utiliser une liste de résidents dont les Kurdes considèrent qu’elle reflète la politique d’arabisation de Saddam Hussein…
Les prises de position sur la question du drapeau kurde à Kirkouk ont dépassé les frontières irakiennes: le Premier ministre turc Binali Yıldırım a exprimé son soutien au vote du Parlement irakien s’y opposant ; le 3, l’Iran a averti que cette décision risquait d’«accroître les tensions» et le lendemain, le président turc a menacé d’une «mise en danger des relations de la Région du Kurdistan avec Ankara» sans un retrait «aussi rapide que possible». Le 6, le gouverneur de Kirkouk a demandé au ministre irakien des Affaires étrangères de répondre aux «ingérences» du président turc, rappelant que la décision de hisser le drapeau kurde avait été prise en l’honneur des pechmergas tombés en défendant la ville, à la demande de leurs familles. Le 10, une centaine de députés irakiens ont signé une pétition demandant la destitution du gouverneur de Kirkouk, une demande ayant peu de chances d’aboutir, la Constitution limitant cette possibilité aux cas de corruption. Par ailleurs, une délégation kurde revenant de Bagdad a annoncé le 6 un accord sur la manière d’appliquer l’article 150 de la Constitution pour organiser un recensement à Kirkouk une fois Daech évincé. L’avenir dira s’il sera concrètement appliqué où s’il rejoindra la liste des accords restés lettre morte…
En attendant, si les différentes forces politiques kurdes semblent toutes d’accord pour organiser avant fin 2017 un référendum d’autodétermination de la Région fédérale du Kurdistan, qui pourrait aussi englober les territoires disputés, elles diffèrent sur la manière de l’organiser, et poursuivent leurs discussions à ce propos. Le 2, UPK et PDK ont décidé la création d’un «Comité commun» comprenant toutes les mouvances politiques du Kurdistan qui déciderait du mécanisme de préparation et du moment du référendum. Une délégation commune PDK-UPK a rencontré le lendemain l’Union islamique du Kurdistan (UIK, Yekgirtû) puis le Parti communiste du Kurdistan, et après cette rencontre, un représentant du PDK, Roj Nouri Shaways, a déclaré en conférence de presse que le référendum pourrait se tenir sans réactiver le parlement. Le 26 mars dernier, le porte-parole de la Haute commission électorale avait déclaré que la tenue du référendum nécessiterait la réactivation du parlement kurde pour qu’une loi prévoyant le référendum y soit votée. Le 4, le mouvement Gorran (Changement) a appelé à la réactivation du Parlement, déclarant que le référendum n’était «pas un problème à résoudre lors des réunions de partis politiques», mais que «le parlement du Kurdistan, le plus haut corps juridique et légitime [… devait] prendre les mesures nécessaires pour conduire un référendum dans les provinces du Kurdistan, y compris celle de Kirkouk […]», avant d’annoncer le 14 qu’il n’enverrait pas de représentant au comité inter-partis comme demandé par la présidence de la Région. La Ligue islamique (Yekgirtû) et le Groupe islamique (Komal) semblaient sur une position proche. L’UPK, au gouvernement avec le PDK mais allié à Gorran, a progressivement évolué: le 17, le secrétaire du bureau politique, Mala Bakhtyar, a déclaré que pour tenir le référendum prévu à l’automne, il faudrait d’abord réactiver le parlement, et l’UPK a réitéré cette position le 22 dans une déclaration commune avec Gorran, où il était ajouté que le référendum devait aussi se tenir dans les zones disputées, considérées comme «zones du Kurdistan hors de l’administration de la région fédérée». Isolé sur sa position d’un comité d’organisation indépendant du parlement, le PDK a finalement négocié: le 23, les bureaux politiques du PDK et de l’UPK se sont rencontrés pour discuter du référendum et de la manière de réactiver le parlement pour «servir le processus référendaire et l’indépendance ainsi que l’unité nationale». Là encore, les réactions ont dépassé les frontières de l’Irak: non seulement Bagdad, mais aussi l’Iran et la Turquie ont qualifié le référendum d’erreur, ou d’inopportun en raison de la situation régionale tendue. Le 13, un des dirigeants de l’UPK, Saadi Ahmed Pira, a déclaré que les «messages menaçants» de l’Iran et de Turquie – ainsi que ceux du Gouvernement central – sur Kirkouk et le référendum avaient conforté la décision commune de l’UPK et du PDK de tenir celui-ci.
Parallèlement, les tensions PDK-PKK liées aux affrontements du Sindjar le mois dernier entre pechmergas «Roj» syriens (soutenus par le PDK) et YBŞ (affiliés au PKK) se sont peu détendues. Le 4 Şilan Eminoğlu, représente à Erbil du parti «pro-kurde» de Turquie HDP, a déclaré que six de ses membres, arrêtés alors qu’ils se rendaient à une manifestation du Mouvement pour une Société libre du Kurdistan (Tavgarî Azadî) condamnant la tension au Sindjar étaient toujours détenus. Mais c’est en fin de mois, dans la nuit du 24 au 25, qu’elles ont reémergé d’une manière inattendue, avec le bombardement turc sur les YBŞ au Sindjar où une base des pechmergas du GRK a aussi été frappée et 4 pechmergas tués et 9 autres blessés. Le ministère des Pechmergas a déclaré que ce raid «inacceptable» avait provoqué d’importantes destructions, et demandé au PKK de quitter cette zone. Cinq partis kurdes irakiens, l’UPK, Gorran, et les partis islamistes, ont demandé à la communauté internationale de réagir, et la représentation de l’UPK à Ankara a envoyé au ministère turc des Affaires étrangères une lettre de protestation. Le lendemain, le PDK, tout en répétant son rejet des frappes turques sur le Kurdistan irakien, a déclaré que la présence du PKK au Sindjar était la principale raison pour l’instabilité de la région et a réitéré sa demande du départ de ses combattants. Le président turc a répondu que les frappes avaient été coordonnées avec Massoud Barzani, exprimant des regrets pour la mort des pechmergas, mais le responsable de la sécurité Masrour Barzani l’a implicitement contredit dans une interview au New York Times en déclarant que le GRK avait demandé des explications à la Turquie suite à cette frappe, qui avait été «une surprise». Le 27, le parlement irakien a confié une enquête sur ce bombardement à sa commission «Défense et sécurité».
Le cinéaste kurde iranien indépendant Keywan Karimi, originaire de Baneh, a été libéré de prison mercredi 19 avril. Il avait passé six mois derrière les barreaux de la prison d'Evin à Téhéran pour avoir réalisé un film accusé par le régime iranien d’avoir «insulté les valeurs sacrées». Condamné à six ans d'emprisonnement en 2015, il avait vu sa peine réduite de 5 ans (ces 5 ans avaient été formellement «suspendus») après une série de protestations venues de l’étranger auxquelles des réalisateurs iraniens comme Jafar Panahi et Mohsen Makhmalbaf avaient également participé. Puis en novembre 2016, il avait été condamné à 223 coups de fouet et un an en prison pour son film Writing on the city («Ecrire sur la ville»), un documentaire produit en France qui présente les graffitis politiques protestant sur les murs de Téhéran contre la répression en cours dans le pays depuis la révolution islamique. Selon PEN International, Karimi, emprisonné depuis le 23 novembre 2016, a été victime de plusieurs hémorragies pulmonaires, au point que les médecins de la prison d'Evin ont conseillé son transfert vers une installation [spécialisée], transfert refusé par les autorités pénitentiaires. En décembre dernier, les cinéastes français et le producteur de Karimi pour Ecrire sur la ville avaient demandé à la France et aux autres pays européens de faire pression sur l'Iran pour obtenir sa libération. Parmi les films réalisés par Karimi, L'aventure du couple marié, un court-métrage de 2013 en noir et blanc projeté dans quelque 40 festivals et qui a remporté plusieurs prix, et son premier long-métrage, Drum (Tambour), aussi en noir et blanc, sélectionné au Festival de Venise 2016, qui raconte l'histoire d'un avocat à Téhéran dont la vie est bouleversée par un colis arrivé par la poste. Karimi avait déjà passé 15 jours en isolement cellulaire en 2013 pour «insulte aux valeurs religieuses», mais avait poursuivi son travail cinématographique. Le Festival et Forum international du film sur les droits de l'homme (FIFDH) de 2017 lui a consacré le programme de sa 15e session.
Si Karimi a été libéré, on a appris le 12 avril d’une source locale en contact avec le Réseau des droits de l'homme du Kurdistan (KHRN) que l’écrivain kurde Ali Bedirkhani, également connu sous le nom de Şiwan, avait été condamné en appel le 29 mars à trois ans de prison par le tribunal de la Cour révolutionnaire d’Ouroumieh pour «activités contraires à la sécurité nationale», suite à des aveux qui lui ont été extorqués sous la torture durant deux mois. Bedirkhani, qui descendrait de la famille Bedir Khan, possède la double nationalité iranienne et irakienne, ses parents ayant immigré en Iran depuis l’Irak il y a trente ans. Parmi ses livres, La Turquie, la démocratie et les Kurdes, Dialogue des pensées, ou encore Aimez le réfugié. Histoires et légendes kurdes. Encore étudiant lorsqu'il a été arrêté, il est à présent interdit d’études.
Dans le champ politique, les différents partis kurdes d’Iran ont déclaré d’un commun accord que les prochaines élections en Iran, prévues le 19 mai, étaient non démocratiques et non libres et ont appelé les Kurdes à les boycotter. Le 30, le parti kurde Komala a annoncé reprendre la lutte armée contre l’Iran après une interruption de 25 ans. C’est le troisième parti kurde d’Iran à prendre cette décision depuis 2015. Le Komala a passé en 2012 une alliance avec le Parti démocratique du Kurdistan d’Iran, qui a aussi repris la lutte armée. Le troisième parti kurde à mener une lutte armée au Kurdistan d’Iran est le PJAK, un parti frère du PKK et du PYD.