Après l’attaque turque fin avril sur les YPG kurdes, principale composante de l’alliance kurdo-arabe des Forces démocratiques syriennes (FDS), le mois de mai s’est ouvert avec l’annonce le 1er par l’OSDH de l’entrée de ces mêmes FDS dans Tabqa, et leur capture dès le lendemain de plus de 80% de la ville. Les djihadistes, d’abord acculés contre l’Euphrate dans trois quartiers, n’ont conservé que les deux les plus orientaux, les «n° 1» et «n° 2». Les FDS ont annoncé avoir aidé 5.000 civils à fuir les combats. Malgré une attaque surprise sur des déplacés qui a fait au moins 21 victimes, Daech n’a pu reprendre le terrain perdu. Le 9, les FDS ont libéré l’«Hôpital national» de Tabqa, annonçant l’élimination de 77 djihadistes.
En parallèle, les négociations entre pays impliqués dans le conflit syrien se sont poursuivies sur fond d’accusations d’atrocités du régime: le 9, Human Rights Watch (HRW) a accusé celui-ci d’«utilisation d’armes chimiques […] en au moins quatre occasions au cours des derniers mois», certaines attaques de zones résidentielles sans enjeu militaire n’ayant fait que des victimes civiles. Dans un rapport de 63 pages (Death by chemicals. The Syrian government’s widespread and systematic use of chemical weapons ->) HRW parle d’attaques chimiques «fréquentes et systématiques» contre les civils, relevant du crime contre l’humanité. Le 15, le Département d’État a à son tour accusé le régime d’avoir procédé à des crémations quotidiennes dans la prison de Saïdnaya pour faire disparaître les corps de quelque 50 prisonniers pendus chaque jour.
Le 3 à Sochi, le président russe, dans une conférence de presse commune avec son homologue turc, a proposé l’établissement de «zones de désescalade» dans les zones rebelles de la province du nord-ouest d'Idlib, dans certaines parties de la province de Homs, au centre, au sud et dans l'enclave rebelle orientale de la Ghouta de Damas. Les deux dirigeants espèrent que l’accord, signé par la Turquie, l’Iran et la Russie, permettra d’apaiser les hostilités. Mais à Astana, la délégation de l’opposition armée a suspendu sa participation, exigeant que le régime de Damas mette fin aux bombardements des régions qu’elle contrôle, et Ilham Ahmed, co-présidente du Conseil démocratique syrien (CDS, représentation politique des FDS), appelant à une «Syrie décentralisée», a qualifié l'accord de «résultat d'une […] confluence d’intérêts entre trois États et rien d'autre». Le Département d'État américain a exprimé ses inquiétudes devant la participation de l’Iran. Le 5, la co-présidente du CDS, Ilham Ahmed, a déclaré espérer que la Russie n’avait pas «trahi les Kurdes» en signant avec la Turquie un accord défavorable pour eux. Comme l’accord commençait à être appliqué sur le terrain tôt le samedi 6, sans que les zones concernées soient rendues publiques (!), les rebelles l’ont rejeté, le qualifiant de «menace à l’intégrité territoriale du pays» et refusant de considérer l’Iran comme garant de tout accord de cessez-le-feu. Cependant, le 8, le ministre syrien des Affaires étrangères, Walid al-Moallem, a qualifié en conférence de presse le rôle des Kurdes de Syrie dans la lutte contre Daech de «légitime, dans le cadre de leur volonté réelle de préserver l'unité et l'intégrité des territoires syriens», une position probablement surtout destinée à exprimer l’opposition de Damas au soutien apporté par la Turquie à certains rebelles islamistes. Parallèlement, suite à des négociations avec le régime, des combattants rebelles ont commencé à quitter avec leurs proches le district de Barzeh, près de Damas, assiégé par l’armée syrienne, pour la région d’Idlib, tenue par les rebelles. L’ONU a critiqué les sièges réciproques menant à ces plans et les plans eux-mêmes comme des déplacements forcés. Le 16, la nouvelle session de discussions de Genève a eu pour principal sujet les «zones de désescalade». Les Kurdes du PYD n’ont pu y participer suite à l’opposition turque, mais Salih Muslim, le co-président de ce parti, a déclaré communiquer avec l’équipe de l’organisateur des discussions, l’envoyé spécial de l’ONU Staffan de Mistura, ajoutant qu’Américains comme Russes savaient très bien que sans eux, aucune avancée politique n’était envisageable, à Astana ou Genève.
Comme en Irak, les différents acteurs commencent à préparer l’après-Daech. La Badia, sud-est syrien désertique s’étendant vers l’Irak et la Jordanie, traversé notamment par la route stratégique Damas-Bagdad, commence à prendre de l’importance. L’armée syrienne a commencé à s’y déployer pour devancer les rebelles dans les villes perdues par Daech et faire sa jonction avec les milices chiites irakiennes. Le 19, l’aviation américaine y a frappé un groupe de miliciens pro-régime avançant vers des combattants soutenus par les USA. Les responsables politiques du Rojava ont aussi commencé à se positionner pour l’avenir: dans une interview au Guardian, Hediya Youssef, co-présidente de l’Assemblée constituante de la Région fédérale du Nord Syrien, a déclaré le 8 que les Kurdes de Syrie espéraient le soutien américain pour étendre leurs territoires vers l’est jusqu’à Deir-Ezzour, mais aussi vers l’ouest jusqu’à la côte, en chassant notamment la coalition d’islamistes et de djihadistes tenant actuellement Idlib. Ceci désenclaverait le Rojava, étranglé économiquement par la fermeture de la frontière turque et celle du Kurdistan d’Irak, et lui ouvrirait de nouvelles voies commerciales. Le 24, des responsables du Rojava ont déclaré à Middle East Eye qu’ils espéraient que l’avancée des «Unités de mobilisation populaire» (Hashd al-Shaabi) en majorité chiites sur la frontière irako-syrienne leur permettrait d’ouvrir une liaison directe avec Bagdad et donc de «contourner l’embargo exercé par le PDK». Le porte-parole des Hashd al-Shaabi, Ahmed al-Asadi, a pourtant nié toute relation avec le PYD et déclaré combattre sous les ordres des forces irakiennes…
Ces divers mouvements interviennent dans le contexte de l’intérêt exprimé récemment par l’Iran pour l’ouverture d’une voie d’accès vers la Méditerranée, de la lutte récente entre factions kurdes pour le contrôle de la région irakienne frontalière et stratégique du Sindjar, mais aussi de l’avance des milices chiites irakiennes au sud de celle-ci, critiquée par le président de la région du Kurdistan irakien Massoud Barzani…
Les États-Unis pourraient-ils soutenir le Rojava dans un tel projet? L’administration Trump, même si elle semble de plus en plus méfiante à l’égard de la Turquie, exclue de toute opération militaire, s’est montrée inquiète devant la perspective du contrôle de la frontière syro-irakienne par des combattants pro-iraniens. Il est vrai que le soutien militaire des Etats-Unis aux FDS s’affirme de plus en plus clairement: le mardi 9, le Pentagone a annoncé que le président Trump avait autorisé la veille la fourniture d’armement et d’équipement militaire aux combattants kurdes en Syrie dans le cadre de l’offensive sur Raqqa – une annonce arrivant une semaine avant la rencontre prévue entre Erdoğan et Trump! Mais Washington prend soin de ne pas quitter le terrain de l’alliance militaire et, sur le plan politique, marque toujours sa distance avec le PYD: le 25, Salih Muslim, le co-président de ce parti, invité à intervenir lors d’un événement se tenant à Washington, s’est vu refuser le visa américain. L’an dernier, il avait déjà dû intervenir par téléconférence exactement pour la même raison. Peut-être Washington ne veut-il pas tendre encore plus ses relations avec Ankara… Dans une réunion avec le ministre turc de la défense, le chef du Pentagone James Mattis a tenté de minimiser la décision d’armer les FDS, expliquant que cet armement serait limité et délivré en fonction des objectifs atteints dans l’offensive, et que Raqqa serait ensuite gouvernée par des Arabes et non des Kurdes. Ilhan Ahmad, membre du PYD à Washington, a sans surprise déclaré que cette décision «avait un sens politique» et «légitimait les YPG et les FDS» dans leur marche sur Raqqa. Le porte-parole des YPG, Redur Xelîl, a déclaré que cette décision, bien que «tardive», aurait des résultats rapides, qu’elle leur permettrait de jouer un rôle plus important dans la lutte contre Daech et «donnerait une impulsion importante à toutes les forces démocratiques combattant le terrorisme». Le vice-premier ministre turc Nurettin Canikli a au contraire qualifié la décision américaine d’«inacceptable», ajoutant qu’il espérait que «cette erreur [serait] corrigée». Le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Çavusoglu, a de son côté déclaré: «Toute arme arrivant entre leurs mains [du PYD] est une menace contre la Turquie», des arguments repris par le président turc. Dès le 3, Ilnur Çevik, l’un des conseillers du président turc, avait été jusqu’à menacer de frapper les Américains se trouvant avec les YPG: «[Nos forces] ne s’occuperont pas si des soldats ou blindés américains sont là […]; ils pourraient recevoir quelques roquettes “par accident”»… Le Colonel John Dorrian, porte-parole de la coalition anti-Daech à Bagdad, a déclaré que les livraisons d’armes débuteraient «très rapidement».
Le 10, les FDS ont capturé la ville de Tabqa et le barrage du même nom, annonçant d’abord les avoir «totalement libérés» des djihadistes, puis plus tard dans la journée, les avoir nettoyés des mines laissées par Daech. Le 11, tandis que Mattis et Yıldırim se rencontraient brièvement à Londres en marge de la conférence sur la Somalie, Redur Xelîl a appelé la Turquie à «abandonner ses peurs injustifiées», ajoutant que son organisation souhaitait «des relations de voisinage avec la Turquie». Le 12, un commandant des FDS a annoncé qu’il espérait la prise de Raqqa durant l’été, confirmant que la campagne débuterait dès la réception de l’armement fourni par le Pentagone. Le même jour, le Premier ministre Turc Binali Yıldırım, a déclaré que les USA l’avaient assuré que les YPG ne demeureraient pas dans Raqqa une fois la ville prise et que la balance démographique de la ville ne serait pas modifiée. Le 13, les FDS ne se trouvaient plus qu’à 4 km au nord de Raqqa, et selon l’OSDH, combattaient les djihadistes à 4 km au nord-est, 6 km au nord et 13 km au nord-ouest de la ville.
Les États-Unis continuent à pratiquer le «grand écart» entre leurs alliés: le 16, alors même que se tenait à la Maison Blanche la rencontre Erdoğan-Trump, une délégation du Département d’Etat conduite par l’envoyé présidentiel pour la Coalition anti-Daech, Brett Mc Gurk, arrivait au Rojava et rencontrait le Conseil civil de Raqqa, qu’elle assurait de son soutien (le président turc aurait suite à cette information demandé à son homologue américain le limogeage de McGurk…). Le 31, le Pentagone annonçait que ses livraisons d’armes aux FDS avaient commencé la veille. Sans surprise, la Turquie a qualifié la mise en œuvre de cette décision d’«extrêmement dangereuse», exhortant de nouveau Washington à revenir sur cette «erreur». Exclue des opérations sur le terrain, elle a selon l’agence Anatolie augmenté ses capacités de formation de l’Armée syrienne libre – moyen indirect de maintenir la pression sur le PYD.
Ni pause dans la répression ni réouverture d’un processus de paix avec les Kurdes: arrestations et condamnations, limogeages par décrets, attaques des civils au Kurdistan… On réprime maintenant même la poésie: le 2, la police a saisi au bureau HDP de Dargeçit (province de Mardin) une affiche de son co-président emprisonné, Selahattin Demirtaş, comportant un poème écrit en prison, «Courage contagieux» : interdit par le procureur de Mardin comme «propagande terroriste», le poème servira d’élément à charge au procès. Et la veille à Istanbul, la police a arrêté des dizaines de manifestants voulant gagner Taksim, en dispersant d’autres au lacrymogène et aux balles en caoutchouc…
Le 5, l’appel de Wikipedia contre le blocage de son site web a été rejeté: la Turquie exige d’abord le retrait de deux pages en anglais «présentant faussement la Turquie comme liée à des groupes terroristes». Le même jour, troisième vague de purges depuis le coup d’État, 107 juges et procureurs ont été démis pour «liens gülenistes», et le lendemain, plus de 3.900 fonctionnaires civils et militaires ont été limogés, ce qui porte le nombre de fonctionnaires démis à 150.000, dont 4.238 magistrats visés par des mandats d’arrêt (le 24, 139 fonctionnaires municipaux d’Ankara et de deux ministères ont été arrêtés, aussi pour «liens gülenistes»).
Le 9, sur une motion du Premier ministre, le parlement a privé de son mandat la députée HDP Nursel Aydoğan, déjà condamnée en janvier à 4 ans et 8 mois de prison pour «propagande terroriste»: elle avait assisté en 2011 aux funérailles d’un membre soupçonné du PKK, dont le corps faisait partie de centaines ramenés en ville. Le 19, une activiste kurde des droits de l’homme, Mukaddes Alataş, ancienne employée de l’İHD à Istanbul, incarcérée durant 8 jours après un raid de la police chez elle à Diyarbakir, a été arrêtée pour «appartenance à une organisation terroriste». Selon Eren Keskin, avocate et co-présidente de l’Association des droits de l’homme (İHD), c’est en fait pour avoir discuté sur les réseaux sociaux du génocide arménien. Employée dans un centre social de Diyarbakir pour aider les femmes victimes de violence, Alataş avait été licenciée après l’arrestation des élus municipaux HDP et leur remplacement par un administrateur pro-AKP… Le 21, selon l’agence ANF, le procureur a requis 15 à 22 ans de prison contre Nurhayat Altun, co-maire de Dersim, arrêtée en novembre sur plainte du Centre de communication du premier ministre l’accusant de «direction d’une organisation terroriste» et d’«activités criminelles»: participation aux manifestations de protestation contre les arrestations des co-présidents du HDP et aux commémorations pour les trois militantes assassinées à Paris, «propagation de l’idéologie du PKK» dans un discours au centre culturel de Munzur par l’emploi du mot «Kurdistan». La première audience se tiendra le 3 juillet. Le 29, Besime Konca, députée HDP de Siirt, arrêtée le 13 décembre mais remise en liberté le 3 mai jusqu’à son procès avec interdiction de quitter le territoire, a été re-arrêtée à l’aéroport de Batman pour «appartenance à une organisation terroriste» et «propagande pour une organisation terroriste». Le 30, les autorités ont annoncé avoir émis un mandat d’arrêt contre le porte-parole du HDP, Osman Baydemir, sans spécifier les accusations portées contre lui. Enfin, le 31, la première audition du co-président emprisonné du HDP, Selahettin Demirtaş, a été fixée au 6 septembre à Ankara. Arrêté le 4 novembre dernier, celui-ci risque 142 ans de prison. Samedi 17, Serpil Kemalbay a été élue co-présidente du HDP pour succéder à Figen Yuksekdağ, arrêtée en novembre en même temps que Demirtaş, depuis démise de son statut de députée.
La répression frappe toujours universitaires et journalistes – y compris étrangers. Nuriye Gülmen, enseignante à l’Université Selcuk de Konya, et Semih Özakça, instituteur à Mardin, ont tous deux été arrêtés dans la nuit du 21 au 22 dans l’appartement d’Ankara où ils se trouvaient, ainsi que la femme d’Özakça et leurs avocats. Licenciés de leurs postes par décret, en liberté sur parole avec pointage quotidien au commissariat, ils étaient en grève de la faim depuis deux mois et demi. Les procureurs ont requis contre eux 20 ans de prison. Âgée de 70 ans, la mère de l’universitaire Veli Sacilik, lui aussi licencié par décret, venue avec son fils soutenir Gülmen et Özakça, a été frappée et traînée dans la rue par les policiers – la photo a fait le tour des réseaux sociaux. Pour les journalistes, Mehmet Güleş, de l’Agence Dicle, fermée par le gouvernement après le coup d'Etat, a été le 3 condamné par un tribunal d'Elazığ à plus de neuf ans de prison pour «appartenance à une organisation terroriste et diffusion de la propagande d'une organisation terroriste». Le 8, le journaliste français Mathias Depardon a été arrêté dans la province de Batman puis emprisonné à Gaziantep. Accusé de «propagande terroriste» pour avoir publié en France un reportage contenant des photos de combattants du PKK, il a entamé le 21 une grève de la faim, interrompue après une semaine.
La Turquie prétendrait-elle intimider la presse internationale au-delà de ses frontières? Reporters sans Frontières a qualifié le traitement de Depardon d’«inacceptable», et à l’étranger, l’inquiétude grandit. Le 1er mai, le commissaire aux Droits de l’homme de l’ONU, Zeid Ra'ad al-Hussein, a exprimé sa préoccupation à propos des arrestations de masse et du renouvellement de l’état d’urgence et le commissaire européen chargé des candidatures d’adhésion, Johannes Hahn, a déclaré que la perspective d’une adhésion turque s’était éloignée et que les relations devaient maintenant s’orienter vers d’autres points pour relancer la coopération. Mais le plus négatif pour l’image du pays demeure le grave incident qui s’est produit le 16 durant la visite du président Erdoğan à Washington et dont une vidéo accablante, tournée par Aran Hamparian, directeur exécutif du Comité national arménien d’Amérique, a été largement diffusée sur internet. Elle montre des membres de la sécurité du président turc attaquer devant l’ambassade de Turquie des manifestants portant le drapeau du PYD après ce qui ressemble à la transmission orale d’instructions par le président turc depuis son véhicule. 12 blessés ont dû être hôpitalisés. Le maire de Washington DC, Muriel Bowser a caractérisé l’incident comme «une violente attaque contre une manifestation pacifique» et «un affront fait aux valeurs de [Washington] DC et à nos droits en tant qu’Américains». Les enquêteurs ont appréhendé deux hommes qui avaient attaqué le personnel américain chargé d’assurer la sécurité de la délégation (!), mais ont dû les relâcher car ils portaient des passeports diplomatiques. Le 19, deux sénateurs, John McCain (Républicain, Arizona) et Dianne Feinstein (Démocrate, Californie) ont publié une déclaration commune condamnant l’attaque en des termes inhabituellement sévères: «La réponse violente de votre personnel de sécurité à des manifestants pacifiques est totalement inacceptable et reflète malheureusement la manière dont votre gouvernement traite la presse, les groupes ethniques minoritaires et les opposants politiques». Le sénateur McCain a aussi appelé dans une interview à l’expulsion de l’ambassadeur turc, qui a été convoqué au Département d’Etat. Mais à Ankara, l’ambassadeur américain a été convoqué le 23 pour recevoir une note demandant des explications à propos de «l’attitude non professionnelle et agressive du personnel de sécurité américain» lors de la visite du président turc!
Avec l’Allemagne aussi, les relations se dégradent: son parlement a reconnu le génocide arménien, ses dirigeants ont été accusés de «comportement nazi» par M. Erdoğan pour avoir refusé la tenue de meetings AKP sur leur sol, l’Allemagne a refusé d’extrader plusieurs militaires turcs accusés d’implication dans le coup d’Etat… Et la récente déclaration de la chancelière allemande ne va pas apaiser les tensions: elle a déclaré le 8 qu’en cas de référendum sur le rétablissement de la peine de mort en Turquie (une consultation que M. Erdoğan répète vouloir organiser), l’Allemagne n’autorisera pas les consulats et l’ambassade turcs à organiser le scrutin sur son sol. Autre sujet de discorde, la base aérienne de l’OTAN à Incirlik, dont la Turquie a de nouveau refusé l’accès à une délégation parlementaire allemande venue y rendre visite à ses troupes. Le porte-parole du ministère allemand des Affaires étrangères, Martin Schaefer, a qualifié ce refus d’«inacceptable», ajoutant que le ministre des Affaires étrangères Sigmar Gabriel soulèverait cette question lors de la prochaine réunion de l’OTAN à Washington. Le 17, Schaefer a indiqué qu’en cas de nouveau refus, l’Allemagne pourrait déplacer ses avions de reconnaissance et de ravitaillement vers la Jordanie ou Chypre. Le 20, la polémique est montée d’un cran lorsque Gregor Gysi, un politicien de la gauche allemande, a demandé le retrait du contingent allemand, déclarant dans une vidéo devenue virale sur internet que l’Allemagne aidait indirectement la Turquie à massacrer les Kurdes de Syrie: les militaires turcs utiliseraient les informations allemandes transmises d’Incirlik à l’OTAN pour diriger leurs bombardements. Enfin, le 25, la vice-présidente du Parlement allemand et députée des Verts Claudia Roth a annulé un voyage en Turquie lorsque le gouvernement turc l’a informée qu’elle ne pourrait visiter le parlement et n’aurait aucun dispositif de protection rapprochée…
Les opérations militaires se sont poursuivies dans les provinces à majorité kurde du pays. Le 1er, deux quartiers de Sur (vieille ville de Diyarbakir, en grande partie rasée), ont été vidés de leurs habitants, auxquels les autorités ont coupé l’eau et l’électricité afin de les forcer à partir. Beaucoup disent ne pas savoir où aller et ne font guère confiance aux promesses de reconstruction. Le 28, la police a interdit l’accès du quartier à une délégation de députés et d’élus municipaux danois venus exprimer leur solidarité aux résidents. Le lendemain, dans cette même province de Diyarbakir, 59 villages ont été selon l’ANF placés sous couvre-feu dans plusieurs districts, puis 43 villages supplémentaires le 30, dans le cadre d’une opération militaire impliquant 7.000 hommes, gendarmes, 800 membres des forces spéciales de la police et des gardes de villages. Plusieurs villages ont été bombardés et les routes d’accès bloquées par les forces de sécurité. Concernant les pertes, le 24 un policier a été tué dans le district de Beytussebap (province de Şırnak), près de la frontière irakienne, 2 autres le lendemain matin, et 4 blessés près de Doğubayazit, non loin de la frontière iranienne. Le 26, dans des revendications croisées, le gouverneur d’Ağrı a déclaré que l’armée turque avait éliminé la veille 29 rebelles dans les provinces de Van et d’Ağrı dans une opération où 3 soldats turcs et un garde de village avaient été tués; les HPG (branche armée du PKK) ont annoncé la mort de 57 soldats turcs… Le 28, des frappes aériennes ont visé des cibles du PKK dans la province de Van, et le 31, de source sécuritaire, 3 soldats turcs ont été tués dans la province de Diyarbakir. L’armée de l’air turque a aussi annoncé avoir éliminé deux rebelles dans le district de Lice de cette même province.
Les frappes aériennes continuent aussi sur le PKK au Kurdistan d’Irak: le 3 près d’Amêdî (un civil tué et un autre blessé), le 9 sur plusieurs villages, le 14 de nouveau sur Amêdî, avec l’annonce de l’élimination de 10 combattants kurdes, et de nouveau le 16, deux frappes successives, ayant provoqué un incendie. Le 28 les avions turcs ont frappé la région de Basyan, et le 22 puis le 31 celle de Qandîl.
Les forces irakiennes ont poursuivi leur avance dans Mossoul-ouest, entrant le 5 par le sud dans le quartier de Musherfa, au nord de la ville, puis annonçant le 8 avoir repris le quartier de al-Haramat, en limite de ville, et le 9 d’autres quartiers nord-ouest dont la zone industrielle. Les djihadistes semblaient se regrouper dans la vieille ville pour leur résistance finale. Le 11, les Irakiens ont repris leur avance, attaquant aussi depuis le nord pour accroître la pression sur leurs ennemis, et ont annoncé mardi 16 que Daech ne contrôlait plus que 12 km² – environ 10% de Mossoul-Ouest – et qu’ils espéraient reprendre entièrement la ville avant le début du Ramadan, fin juin… Selon un bilan publié le 17, 16.000 djihadistes ont été tués et 394 capturés depuis le lancement de l’offensive en octobre. On commence à parler reconstruction, qui selon des élus provinciaux coûtera des milliards de dinars et prendra jusqu’à cinq ans pour redévelopper une économie fonctionnelle. Rien que rétablir les services de base comme l’eau et l’électricité pourrait prendre 6 mois. Enfin, il faudra trouver les fonds: le budget provincial 2017 n’est que de 52 milliards de dinars, contre 738 milliards en 2013, avant l’invasion de Daech…
Si les Kurdes ne sont pas présents dans Mossoul, leur front face à Daech connait toujours des escarmouches régulières. Le 5, un commandant de pechmergas a été tué par une bombe au passage de son véhicule près de Touz Khourmatou, au sud de Kirkouk, et 3 autres combattants ont été blessés. Le dimanche 7 avant l’aube, les pechmergas ont repoussé près de Kirkouk une attaque-suicide de 5 djihadistes qui a fait 2 morts et 6 blessés. Samedi 13 au matin, une nouvelle attaque a été repoussée près de Touz Khourmatou, une autre dans la nuit du 17 au 18, et enfin une dernière le 28, où 5 pechmergas, dont un officier, ont été blessés, et un autre capturé. Parallèlement, les plans de réorganisation, d’unification et de «dépolitisation» des pechmergas se poursuivent. Le Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) a annoncé le 14 avoir approuvé le projet élaboré en ce sens en concertation avec les Américains, les Britanniques et les Allemands, qui doit être mis en œuvre durant les 10 prochaines années : il s’agit de transférer vers le GRK l’allégeance des combattants des deux partis «historiques», le PDK (Parti démocratique du Kurdistan, de Massoud Barzani) et l’UPK (Union patriotique du Kurdistan, créée par Jalal Talabani, devenu ensuite président irakien), un projet mené conjointement par le Premier ministre Nechirvan Barzani (PDK) et le vice Premier ministre Qubad Talabani (UPK). Le GRK a aussi demandé le 8 à la coalition anti-Daech la création d’une force aérienne des pechmergas pouvant servir au combat mais aussi à l’évacuation des blessés du front.
Si le théâtre d’opérations militaires attirant tous les regards demeure Mossoul en raison de son importance symbolique, un second étant la province de Kirkouk (notamment au sud avec Touz Khourmatou), une autre région commence à prendre de l’importance stratégique en vue de l’après-Daech: celle, frontalière de la Syrie, à l’ouest de Mossoul et au sud du Sindjar, de Baaj et de Qairawan. Concernant une autre région encore contrôlée par Daech, celle de Hawija (au sud de la province de Kirkouk, d’où Daech lance ses attaques sur Touz Khourmatou), le gouverneur de Kirkouk, Nejmeddine Karim, a répondu à des leaders sunnites venus demander une offensive plus rapide sur cette ville que celle-ci devrait attendre la reprise de Mossoul et des zones frontalières de la Syrie… Le 12, les milices des Hashd al-Shaabi, majoritairement chiites, ont lancé sur cette région une offensive visant à compléter l’encerclement des djihadistes, et ont annoncé le 16 avoir pris 4 villages dans la région de Qairawan. Le 29, elles ont avancé vers Baaj, prenant plusieurs villages autour de la ville (restée entre les mains de Daech), et fermant aux djihadistes la frontière irako-syrienne – leur dernière voie de fuite. Ces mouvements les ont menées près de Tell Qasab et de Tell Banat, sur la route de Mossoul à Rabia, ce qui les met en position de couper le Sindjar du Kurdistan, suscitant le 15 un avertissement de Massoud Barzani de ne pas s’approcher davantage des zones yézidies… Le commandant des pechmergas au Sindjar, Sarbast Lazgin, a de son côté accusé l’Iran de pousser à cette avance pour installer un corridor vers la Syrie, dénonçant une collusion iranienne avec les milices chiites et le PKK. Les Hashd al-Shaabi ont répondu être en communication avec Massoud Barzani, avant d’annoncer le 21 avoir repris à Daech 8 nouveaux villages au sud du Sindjar… Le 31, ce sont les pechmergas qui ont envoyé un avertissement aux Hashd al-Shaabi, après que Massoud Barzani ait réitéré mardi 30 que les Kurdes ne se retireraient pas des territoires dont ils avaient pris le contrôle avant le lancement de l’opération sur Mossoul, mais qu’il fallait que Bagdad et Erbil parviennent à un accord sur leur gestion, ajoutant que le sort du Sindjar devait être décidé par ses résidents et personne d’autre. Si on semble s’orienter vers la tenue d’un référendum en ce sens pour la province de Kirkouk, il a encore été peu question d’une consultation de ce genre pour le Sindjar.
En politique intérieure, les discussions entre partis politiques kurdes ont continué justement pour décider si l’organisation du référendum d’autodétermination impliquait ou non la réactivation du parlement… Le désaccord principal oppose toujours le PDK, qui souhaite mettre en place un comité d’organisation inter-partis et Gorran, pour lequel le parlement, demeurant «la seule institution» représentant tous les partis et le peuple de la Région du Kurdistan (communiqué publié le 17 mai), doit être réactivé pour que le référendum puisse se tenir… L’UPK a tenté de jouer les médiateurs entre les deux en proposant une réactivation du parlement mais avec le remplacement de son président précédent, Yusuf Mohammed Sadiq, refusé par le PDK, par un autre membre de Gorran – une proposition acceptée par le PDK mais refusée le 8 par Gorran. Cependant, dès le 7 il était apparu que le PDK, seul parti à avoir envoyé un représentant au comité inter-partis, demeurait isolé sur sa position. Le 8, le vice-président du parlement, Jaafar Ibrahim Eminki, un membre du PDK, a déclaré dans une interview à Rûdaw qu’il pensait que le parlement d’Erbil pourrait rouvrir après un mois et que le référendum sur l'indépendance du Kurdistan d’Irak aurait lieu en septembre. Selon une information diffusée par la chaîne NRT mardi 9, l’UPK et le PDK auraient trouvé un accord dans leur dernière réunion pour réactiver le Parlement sans avoir besoin de l’appoint de Gorran – qui refusait de participer à une session sans son président actuel, Youssif Mohammed – et élire un nouveau président du parlement. UPK et PDK s’appuient sur l’article 6 du Conseil des représentants qui prévoit la possibilité de tenir une session sans le président si celui-ci est invité ou si un quart des députés donne son accord. Ceci nécessiterait l’assistance d’un troisième parti, qui pourrait être l’Union islamique (Yekgirtû). Cependant, le 24, le comité d’organisation du référendum n’était toujours pas formé, et en fin de mois, les discussions inter-partis portaient toujours sur la possibilité de réactiver le parlement d’Erbil sans son président actuel – une possibilité qui semblait toujours avoir la faveur du seul PDK…
Entre temps, le Kurdistan d’Irak a perdu l’un de ses politiciens «historiques»: l’ancien membre de l’UPK et fondateur du mouvement Gorran par scission d’avec l’UPK, Nawshirwan Mustafa. Mustafa, qui était rentré au Kurdistan le 13 après 9 mois passés au Royaume-Uni pour traitement médical, est décédé le vendredi 19 à l’âge de 73 ans. Le premier ministre du GRK, Nechirvan Barzani (PDK), a exprimé ses condoléances, et Barham Salih, second vice-secrétaire général de l’UPK a déclaré que le disparu «était un guide qui avait eu un énorme impact sur l’histoire et la situation du peuple kurde». Mustafa a été enterré le 20 à Sulaimaniyeh, où 2 jours de deuil ont été déclarés. Les représentants des 5 principaux partis du Kurdistan d’Irak ont envoyé des messages de condoléances au bureau de Gorran à Sulaimaniyeh, et le mouvement a décidé de mettre les drapeaux en berne sur ses locaux dans tout le Kurdistan. Après le décès de Mustafa, l’UPK a appelé à plusieurs reprises Gorran à la réunification, mais le mouvement a répondu le 29 qu’une telle option n’était pas prévue, et que malgré les annonces faites dans certains organes de presse du Kurdistan quant à la désignation d’un successeur à son fondateur, Gorran demeurait dirigé par un comité formé par Mustafa.
L’actualité de ce mois en Iran a été dominée par les élections présidentielles qui se tenaient le 19 et ont opposé un candidat ultraconservateur, Ibrahim Raïssi, et un modéré, l’ancien président Hassan Rohani – un troisième candidat, lui aussi conservateur, le maire de Téhéran Mohammed Ghalibaf, s’était retiré juste avant le scrutin en appelant à voter pour Raïssi.
Hassan Rohani, qui concourait pour un deuxième mandat, considéré par les observateurs comme «modéré» et proche des technocrates, avait porté pendant son premier mandat l’accord international sur le nucléaire iranien, conclu en 2015. Ibrahim Raïssi, nommé l’année précédente par le Guide suprême responsable du mausolée de l’imam Reza à Meshhed, était vu au contraire comme un ultraconservateur proche des forces de sécurité et représentant la théocratie. Même si celui-ci ne l’avait pas exprimé ouvertement, il se murmurait qu’il jouissait du soutien du Guide suprême, l’ayatollah Khamenei. Mais Raïssi était aussi connu des Iraniens – et tout particulièrement des Kurdes – comme membre d’un Comité qui avait durant les années 80, juste après la Révolution islamique, condamné à mort des milliers de prisonniers politiques…
Les partis kurdes d’Iran avaient tous appelé à boycotter l’élection, déniant toute légitimité à un scrutin organisé dans le cadre de la République islamique. Cependant, jusqu’au jour du vote, le résultat apparaissait incertain, Raïssi ayant mené une campagne populiste, attaquant son adversaire sur son peu de résultats économiques, cherchant ainsi à séduire les plus pauvres et les jeunes, frappés par un chômage massif. Cette configuration pouvait inciter certains Kurdes à soutenir Rouhani pour écarter Raissi – une stratégie envisagée par de nombreux Iraniens opposés aux conservateurs, même s’ils trouvaient Rohani trop tiède et son premier mandat tout compte fait décevant. Ainsi, les réformateurs Karoubi et Moussavi, toujours assignés à résidence depuis 2011, avaient appelé à voter Rouhani.
Finalement, le scrutin, tenu le 19, a apporté à Rohani une victoire beaucoup plus large qu’il n’était envisagé, avec 57% des voix, contre 38,5% pour Raïssi, soit 5 millions de voix de plus pour l’ancien président que lors de sa première élection. Pour les Kurdes, qui se sentent depuis longtemps abandonnés par l’État au niveau économique, on peut penser que l’annonce par Rohani de son projet de réalisation d’un chemin de fer de l’Iran vers la Méditerranée au travers du Kurdistan syrien, qui partirait du Kurdistan iranien, a pu susciter l’espoir et lui valoir des soutiens dans cette région. Mais il est probable que la plupart des Kurdes n’attendent qu’un impact minimum du résultat de cette élection, à la fois en raison des pouvoirs limités du Président face au Guide suprême et de la relative déception du premier mandat. En effet, pas plus qu’il n’est parvenu à mettre fin à l’assignation à résidence de Karoubi et de Moussavi, l’ancien Président n’a réussi à modifier de manière sensible les conditions d’existence des Kurdes, qui continuent à être en butte aux exactions des forces de sécurité et à la répression menée par l’appareil judiciaire. Selon les statistiques, de mai 2012 à mai 2017, 328 citoyens kurdes ont été exécutés dans les prisons iraniennes principalement dans celles d'Ourmia et de Karaj… Le 4, selon l’Association des droits de l’homme du Kurdistan (KMMK), les forces de sécurité ont abattu un civil et en ont blessé trois autres dont un gravement dans le quartier Shapatan de la ville d’Oshnavieh. Les Kurdes accusent aussi la République islamique de mettre systématiquement de côté leurs régions de peuplement quand il est question de projets de développement. Ainsi le 2, des manifestations de protestation de résidents kurdes de la ville de Hassan Abad, dans la région de Sanandaj, en raison de la mauvaise qualité des services de l’État, notamment les mauvaises routes, ont été suivies de plusieurs arrestations. Ce même jour, Rahman Ibrahimi, un kolbar de 19 ans blessé le mois précédent par la sécurité au passage de la frontière avec l’Irak, est mort à l’hôpital de Tabriz. Les kolbars, porteurs pauvres contraints pour subsister de transporter des marchandises de contrebande à travers la frontière irano-irakienne, et qui sont régulièrement les victimes des garde-frontières ou des forces de sécurité, sont devenus au fil des ans le symbole de l’absence de développement économique des régions kurdes d’Iran. Le Guide suprême lui-même a exprimé le stéréotype confondant minorités ethniques et religieuses et contrebandiers en donnant à ceux du Sistan et du Balouchistan le nom kurde de kolbars… Durant le précédent mandat Rohani, 444 d’entre eux ont été blessés ou tués par les forces de sécurité: 195 tués par balles et 249 blessés, tandis que 48 autres kolbars ont été arrêtés.
La liste des condamnations et des exécutions au Kurdistan a continué à s’allonger. Le 22, soit deux jours à peine après le scrutin présidentiel, le prisonnier politique kurde Kemal Hesen Remezan, 31 ans, a été condamné à mort. Arrêté près de la frontière irakienne en 2011 avec deux autres personnes, Remezan avait été condamné à 10 ans de prison pour appartenance au PKK, mais ce premier jugement avait été réduit à 7 ans, puis annulé en attente d’un second. C’est ce second procès qui a abouti à cette condamnation à mort. Il semble que Remezan ait été torturé afin d’être forcé à avouer le meurtre d’un responsable des services de sécurité, tué il y a dix ans et dont les assassins n’ont pas été retrouvés. Puis le 24, a eu lieu la première pendaison d’un Kurde depuis la réélection de Rohani. Mehrdad Askarî a été pendu pour trafic de drogue – des activistes kurdes d’Iran ont déclaré en mars dernier que que le gouvernement avait exécuté 138 Kurdes en un an pour divers délits, dont le trafic de drogue. Puis, dans la même semaine, c’est l’ancien lutteur de Kermanshah Hojatollah Tedro qui a été pendu après 10 ans passés en prison. Il avait été accusé d’avoir attaqué quelqu’un – une accusation qu’il déniait.
L’activiste kurde Mohammed Sadiq Kaboudvand a été relâché le 13 mai de la sinistre prison d’Evîn à Téhéran, où il était incarcéré depuis juillet 2007. Kaboudvand, un Kurde iranien qui n’était pas un militant politique, n’a jamais cessé le combat pacifique pour la démocratie, les libertés et les droits fondamentaux. Né dans la ville de Divandareh dans la province du Kurdistan iranien de Sineh (Sanandaj), il avait fondé en 1996 «Unité pour la démocratie», un mouvement voulant promouvoir la démocratie dans la société kurde iranienne et publiant un bulletin intérieur, La Voix de la liberté, qui avait dû interrompre ses activités au bout d’un an. En 2003, après un marathon administratif de 5 ans pour obtenir les autorisations nécessaires, il avait créé l’hebdomadaire persan et kurde Payam-e mardom-e Kurdistan, «Le Messager du peuple du Kurdistan», dont il était demeuré le rédacteur en chef jusqu’à ce que celui-ci soit suspendu le 27 juin 2004 par le tribunal de Sanandaj, pour, selon Reporters sans Frontières, «propagation d'idées séparatistes et publication de fausses nouvelles». En même temps que trois journalistes, il avait alors été menacé d’arrestation pour «trouble à l'opinion publique et propagation d'idées séparatistes». En 2005 il avait fondé à Téhéran l’Organisation des droits de l’homme du Kurdistan, qui publia jusqu’en 2007 250 rapports et interviews – moment où Kaboudvand fut arrêté dans son bureau puis condamné par un tribunal révolutionnaire à 11 ans de prison pour «agissements contre la sécurité nationale» et «propagande contre la République islamique»… Parmi les autres charges levées contre lui: «s’être opposé aux lois pénales islamiques en faisant connaître publiquement les peines comme la lapidation et les exécutions». Kaboudvand, travailleur infatigable, avait aussi tenté de publier plusieurs ouvrages, dont l’un sur la situation des femmes, mais aucun n’avait été accepté par la censure.
La santé de Mohammed Sadiq Kaboudvand allait se dégrader au cours de son emprisonnement de 10 ans. Pour protester contre le refus continu des autorités pénitentiaires de l’autoriser à visiter son fils Pejman, atteint d’une grave maladie du sang, il entama une grève de la faim de 59 jours. En juillet 2012, Human Rights Watch accusa les autorités iraniennes de le maltraiter, demandant qu’on lui donne des soins médicaux et qu’on le libère sans conditions. Il avait subi deux crises cardiaques, souffrait d’une pression artérielle élevée et de problèmes neurologiques et de prostate. En décembre 2014, il reçut le prix du Centre international pour les Droits humains pour sa contribution à la protection des droits des Kurdes en Iran et dans les pays voisins.
Durant sa dernière année de détention, Kaboudvand fut interrogé à trois reprises au bureau du procureur de la prison sur ses relations avec les Kurdes de Turquie, et notamment sur une lettre qu’il avait écrite au co-président du parti «pro-kurde» HDP, Selahattin Demirtaş, dans laquelle il l’exhortait à promouvoir la paix entre les groupes kurdes et le gouvernement turc. Comme il avait également écrit une thèse de doctorat sur la situation des minorités en Turquie, il fut aussi questionné à propos du contenu de ce mémoire, que ses interrogateurs croyaient porter sur les droits des prisonniers en Iran! Il mena en mai 2016 une nouvelle grève de la faim de 34 jours en protestation contre les nouvelles infractions dont il était accusé. Amnesty International a qualifié les charges portées contre lui de «fabriquées». On peut relever qu’aucune des activités qu’on lui a reprochées n’était illégale – la persécution dont il a été l’objet montre à quel point l’État iranien ne respecte même pas sa propre constitution…
Après les pays et les villes, le Kurdistan, première région à intégrer la collection «L'âme des peuples»!
Comment comprendre ce peuple rude et obstiné, et pourtant si dansant et accueillant?
Le Kurdistan éclaté entre ses puissants voisins, une tragédie sans issue?
La « femme combattante libre » et autres mythes kurdes.
Redoutable défi que ce petit livre publié à l'heure où le Kurdistan, dans l'ombre de la guerre qui ensanglante la Syrie et l'Irak, s'efforce d'offrir un destin à ce peuple éclaté entre plusieurs pays.
Ce petit livre nous raconte cette société qui apprend aujourd'hui à s'ouvrir. Parce qu'on ne comprend pas le peuple kurde sans l'aimer et le regarder en face.
Un grand récit suivi d'entretiens avec Frédéric Tissot (médecin humanitaire, fondateur d'Action Médicale Internationale), Nazand Begikhani (poétesse, sociologue, chercheuse spécialiste dans le domaine des violences faites aux femmes) et Hiner Saleem (auteur et cinéaste).
Sophie Mousset se rend très fréquemment au Kurdistan depuis une quinzaine d'années. Elle vit aujourd'hui près de Nantes et travaille notamment auprès d'organismes kurdes.
Cette histoire est en grande partie inspirée des souvenirs d'enfance de l'auteur, qui a grandi au Kurdistan d'Irak. D'une plume ironique et acerbe parfois, il dépeint la vie d'une famille kurde à l'époque de Saddam Hussein. Au fil des pages, et d'anecdotes très vivantes, se dévoilent le quotidien à Mossoul, l'endoctrinement du parti du Baas dans les écoles, les crimes d'honneur, le combat des peshmergas dans les montagnes, les amours de jeunesse, l'enrôlement forcé dans l'armée... Le jeune Hamko, héros de l'histoire, perd peu à peu son insouciance d'enfant, jusqu'à l'effroyable exode des Kurdes en 1991 dans les montagnes turques.
Ce roman passionnant nous raconte toute la question kurde à travers le regard d'un jeune garçon, et résonne étrangement avec l'actualité.
Gharbi MUSTAFA est professeur de littérature anglaise et étrangère à l'Université de Dohouk, dans le Kurdistan irakien. Il est titulaire d'un doctorat de la faculté des études orientales de Varsovie, en Pologne. Quand les montagnes pleurent, publié en anglais en 2013, est son premier roman.
Fragilisé par les Printemps arabes, la guerre civile qui meurtrit la Syrie depuis 2011 et le conflit qui fragmente l'Irak, le Moyen-Orient devra être pacifié puis reconstruit. Russie, Etats-Unis, Turquie, Iran, Arabie saoudite, ONU, France : tous les acteurs qui pèseront dans cette reconstruction savent que cette région ne pourra être durablement stabilisée sans tenir compte des revendications politiques du peuple kurde.
Trahis par les Alliés en 1922, opprimés depuis dans quatre pays, les Kurdes sont depuis six ans aux avant-postes de la lutte contre l'Etat islamique. Leur rôle militaire sur le terrain comme le poids des autonomies territoriales conquises en Irak puis en Syrie ont fait d'eux la véritable clé de voûte du Moyen-Orient. A la lumière de l'histoire tourmentée de ce peuple depuis les accords Sykes- Picot de 1916, ce livre analyse la crise moyen-orientale au prisme des questions nationales kurdes, de leurs mutations identitaires et des clivages passés et actuels qui tiraillent les principaux partis politiques kurdes.
Il projette ainsi un nouvel éclairage sur l'échiquier ethnique, confessionnel et géopolitique où se joue désormais l'avenir du Moyen-Orient.
Olivier Piot est grand reporter indépendant, auteur de plusieurs ouvrages sur l'actualité de l'Afrique et du Moyen-Orient. Il publie régulièrement dans Le Monde diplomatique, Géo et Le Monde.