Durant ce mois, les deux «capitales» autoproclamées de l’organisation djihadiste Daech, Mossoul en Irak et Raqqa en Syrie, ont été le théâtre de violents combats, laissant prévoir la fin prochaine de l’emprise territoriale de Daech dans ces deux pays. Le 30, alors même que les FDS combattaient les djihadistes dans Raqqa, le Premier ministre irakien a même pu faire l’annonce officielle de la chute de Mossoul. D’autres oppositions, préfigurant peut-être d’autres fronts militaires, ont déjà commencé à émerger: coalition anti-Daech contre régime de Damas, Turquie contre Rojava…
En Irak, l’armée a annoncé le 3 juin avoir repris aux djihadistes dans Mossoul-Ouest un nouveau quartier, al-Saha al-Oula, près de la moitié d’un autre, al-Zinjili (juste au nord de la vieille ville), et viser maintenant al-Shifaa. Ne tenant plus que la vieille ville et quelques zones adjacentes, Daech a poursuivi la lutte en utilisant comme boucliers humains près de 200.000 civils (estimation de l’ONU) pris au piège dans les combats et privés d’accès à tout approvisionnement ou soin de l’extérieur. Le 13, les Irakiens ont repris totalement al-Zinjili, ne laissant plus à Daech, encerclé le dos au Tigre, que la vieille ville et le quartier dit «Cité médicale», puis le 18, ils ont lancé l’assaut final sur la vieille ville. Pour éviter trop de pertes parmi les quelque 100.000 civils encore piégés dans des logements anciens, donc fragiles et dangereux, il a été décidé d’éviter l’emploi d’armes trop lourdes.
Le 20, alors que le quartier d’al-Shifaa tombait, le journaliste kurde Bakhtyar Haddad a été tué sur le coup par une mine en accompagnant trois confrères français, dont deux, Stéphane Villeneuve et Véronique Robert, ont plus tard succombé à leurs blessures, Samuel Forey ayant survécu. Le lendemain, les troupes irakiennes ne se trouvaient plus qu’à 300 m de la mosquée al-Nouri – celle-là même d’où al-Bagdadi avait en 2014 proclamé son «Califat». Le 22, les djihadistes ont choisi de faire sauter celle-ci avec son minaret penché al-Hadba – tout en accusant de sa destruction une frappe aérienne américaine. Le 28, après avoir repris deux autres quartiers au Nord-Ouest de la mosquée, Hadarat al-Saada et al-Ahmadiya, les Irakiens estimaient qu’il ne restait plus que 350 djihadistes poursuivant la résistance dans la vieille ville. Puis le 29, ils ont annoncé, victoire hautement symbolique, la reprise de la mosquée – plus exactement de ses ruines. Ceci a permis dès le lendemain au Premier ministre al-Abadi de déclarer officiellement – anticipant quelque peu la victoire – la fin du “Califat”: «Le retour de la mosquée al-Nouri et du minaret al-Hadba au sein de la nation marque la fin de l’“État de mensonge” de Daech». A la fin du mois, l’organisation contrôlait pourtant encore dans l’ouest du pays une région de la taille de la Belgique avec des centaines de milliers d’Irakiens…
Si moins médiatisé, le front kurde n’est pas demeuré inactif, notamment dans la province de Kirkouk: en ville, la sécurité a capturé le 8 deux djihadistes porteurs de ceintures d’explosifs qui voulaient faire exploser un véhicule piégé. Celui-ci a finalement été détonné par les Kurdes, qui recherchent aussi trois autres djihadistes ayant pu s’enfuir. Le 15, 5 autres individus ont été arrêtés, après 4 autres en début de semaine, puis le 23 enfin, 39 supplémentaires, tous soupçonnées d’appartenir à des cellules djihadistes «dormantes». Deuxième point chaud de la province, la région de Touz Khourmatou, au sud, que Daech a continué à attaquer depuis Hawija. Le premier ministre irakien avait annoncé le 11 l’imminence d’une offensive sur cette ville ainsi que sur Tell Afar, mais le temps mis à reprendre Mossoul a provoqué un nouveau délai qui exaspère les habitants déplacés comme les pechmergas; ceux-ci accusent même Bagdad d’avoir retardé l’assaut pour «créer des problèmes». Le 14 au matin, les pechmergas ont repoussé plusieurs attaques sur le village de Zarga, près de Touz Khourmatou, au prix de 2 tués et 6 blessés. Le 18, ils ont repoussé un nouvel assaut sur la base aérienne de Sidiq, située tout près, forçant 4 djihadistes porteurs de ceintures d’explosifs à se faire exploser avant d’avoir atteint leur cible. Puis le 20, un nouvel assaut général contre les bases des pechmergas a été repoussé, et un combattant kurde tué. Selon les chiffres publiés le 4 par le Gouvernement régional kurde (GRK), depuis l’été 2014, les pechmergas ont eu dans la guerre contre Daech 1.760 tués, près de 9.000 blessés et 63 disparus…
Un troisième front a commencé à apparaître dans les dépêches, celui des confins irako-syriens. Cette région frontalière désertique acquiert progressivement de l’importance stratégique, à la fois comme ligne de communication des djihadistes et lieu de confrontation entre différents intérêts, des plus locaux (pechmergas kurdes – milices Hashd al-Shaabi, majoritairement chiites et soutenues par l’Iran) aux plus globaux (Etats-Unis – Iran), en passant par les régionaux (Gouvernement régional kurde – Gouvernement central irakien, Régime syrien – rebelles)… Le 4, les Hashd al-Shaabi, soutenus par l’aviation irakienne, ont repris à Daech la ville de Baaj. Le 6, Massoud Barzani, faisant clairement allusion à leur avancée au sud du Sindjar a déclaré lors d’une réunion avec des militaires américains qu’il était «inacceptable que n’importe quelle force militaire empiète sur les frontières du Kurdistan et impose sa volonté». Le 14, une délégation de haut niveau du ministère de la Défense syrien est arrivée à Bagdad pour discuter avec le chef d’état-major irakien, le lieutenant général Othman al-Ghanimi, de la sécurité de la frontière et coordonner la lutte contre Daech. Il a été question d’établir un Centre d’opérations commun contre les djihadistes. L’ouverture d’une liaison terrestre entre l’armée de Damas et l’Irak voisin est vitale car elle facilite le transit des fournitures militaires iraniennes… Le 17, l’armée irakienne (mais accompagnée de combattants tribaux sunnites), a repris à Daech le poste-frontière d’al-Walîd, non loin de Tanf, côté syrien, où se trouvent à présent des combattants syriens soutenus par les Américains. La semaine précédente, côté syrien, des milices pro-Assad avaient atteint la frontière irakienne au Nord-Est de cette ville…
La question de la gouvernance des territoires libérés se pose de manière de plus en plus urgente, sans pourtant qu’aucune solution n’apparaisse. Toujours dans la réunion du 6 avec des militaires américains, Barzani a déploré l’absence d’un projet politique clair à ce propos, faisant écho aux déclarations faites le 4 par l’unique députée yézidie du parlement de Bagdad, Vian Dakhîl: celle-ci avait demandé que, pour éviter de nouvelles violations des droits des résidents, soit rapidement désigné un administrateur civil travaillant en coordination à la fois avec le GRK et le gouvernement central et assisté par un Conseil provincial comprenant des représentants de toutes les communautés. C’est que les rumeurs d’exactions par les troupes gouvernementales se font de plus en plus insistantes. Human Rights Watch a publié le 5 un communiqué les accusant d’exécutions extrajudiciaires d’au moins 26 prisonniers sur soupçons d’appartenance à Daech, des jeunes hommes retrouvés yeux bandés et pieds et poings liés.
Côté syrien, les Forces démocratiques syriennes (FDS), estimées à plus de 60.000 combattants, ont annoncé le 6 avoir lancé leur attaque sur Raqqa. Talal Silo, leur porte-parole, a annoncé, après une «préparation» de frappes aériennes nocturnes, un assaut simultané sur trois fronts, ouest, nord et est, avec l’appui au sol d’éléments de la coalition (suite à cette annonce, le Premier ministre turc a déclaré que la Turquie répondrait «à toute menace de Raqqa ou de n’importe quel point de la région»…). Le 12, l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH) a annoncé que les FDS, après avoir repris la veille le quartier d’al-Rumaniya, tenaient Al-Meshleb à l’est et près de 70% d’al-Senaa, et se battaient à présent pour prendre Hatin à l’ouest. Daech se défendait de sa manière habituelle, en plaçant de nombreuses mines et en utilisant comme boucliers humains les civils, au nombre estimé par l’ONU à 160.000… Le 18, les FDS ont annoncé avoir repris à Raqqa-Est les quartiers de al-Biyatra et al-Batanî, tout en continuant à avancer à l’ouest et à libérer les civils prisonniers des djihadistes à al-Dar’iya. Puis le 26 elles ont annoncé la prise de Qadisiya et le début de l’encerclement de la vieille ville. Le 30, avec une violente contre-attaque des djihadistes, les combats ont encore augmenté d’intensité…
Les spéculations ont commencé sur le sort du leader de Daech, Abou Bakr al-Bagdadi. Les services de renseignement irakiens et américains pensent qu’il avait quitté Mossoul avant la chute de la ville, se cachant à la frontière irako-syrienne ; le 16, le ministre russe de la Défense a déclaré qu’il était possible qu’il ait été tué dans une frappe aérienne russe près de Raqqa le 28 mai en même temps que d’autres dirigeants de Daech, plus de 30 commandants militaires et jusqu’à 300 de leurs gardes personnels qui participaient à une importante réunion. La coalition anti-Daech a déclaré ne pouvoir confirmer l’information. Les Russes ont déclaré faire encore des vérifications.
Si on semble s’acheminer vers la fin prochaine du «Califat» en termes de territoires contrôlés, cela ne signifie malheureusement pas la fin des activités terroristes de l’organisation, ni au Moyen Orient ni dans le reste du monde…
Ce mois-ci, le contexte en Syrie a plutôt évolué vers une intensification des combats: selon une étude publiée le 13 par les Nations Unies, les fameuses «zones de désescalade» négociées en mai entre Russie, Turquie et Iran n’ont fait diminuer les affrontements que dans une seule des quatre régions concernées, celle de la province d’Idlib et à l’ouest de celle d’Alep. Dans le sud, notamment à Deraa, les combats ont plutôt augmenté d’intensité – on parle de négociations en cours entre États-Unis, Russie et Jordanie pour un cessez-le-feu entre régime et rebelles dans cette région. Mais par ailleurs les tensions augmentent plutôt entre États-Unis et Russie: la destruction d’un appareil syrien à l’est de Damas le 5 par des rebelles utilisant des armes anti-aériennes américaines a provoqué une réaction indignée de Sergueï Lavrov qui a l’a qualifiée le 10 d’«inacceptable» et a sommé le Secrétaire d’État américain Rex Tillerson de prendre les mesures pour empêcher toute reproduction d’un tel incident…
Par ailleurs, le recul de Daech et les avancées du régime ont donné lieu à des développements inédits depuis le début de la guerre civile. Ainsi l’armée syrienne a-t-elle pénétré en début de mois depuis Alep dans la province de Raqqa, lançant le 8 des frappes aériennes contre les djihadistes sur la rive sud de l’Euphrate et la route Alep-Raqqa, à environ 70 km à l’ouest de cette ville. De plus, pour la première fois depuis des années, les forces du régime ont refait leur apparition dans l’extrême-est du pays, faisant leur jonction avec les milices chiites irakiennes en reprenant le contrôle du poste-frontière de Tanf. Près de cette ville côté syrien se trouve une base où les militaires américains entraînent des rebelles. Selon une source du Pentagone parlant sous condition d’anonymat, les rebelles soutenus par les USA avançaient vers le nord le long de la frontière pour contrer Daech quand ils ont été coupés de leurs arrières par les forces pro-gouvernementales. Ceci a mené les États-Unis à déployer le 13 dans cette région depuis la Jordanie un système de missiles monté sur camions, le Himars. Par ailleurs, selon le porte-parole des Forces démocratiques syriennes, Talal Silo, les confrontations se sont multipliées depuis le 17 dans la région de Tabqa et au sud de Raqqa entre les FDS et l’armée de Damas, au point que Silo a menacé de représailles si ces attaques se poursuivaient. Le 18, un appareil syrien qui avait selon Washington bombardé une zone située près des territoires contrôlés par les FDS au sud de Raqqa a même été abattu par un chasseur américain (après toutefois que les Américains aient contacté les Russes par téléphone). Un communiqué du Pentagone concernant cet incident déclare que la coalition «ne cherche pas à combattre le régime syrien, les Russes ou les forces pro-régime, mais n’hésitera pas à se défendre elle-même, ou ses partenaires, contre toute menace». En fait, depuis plusieurs semaines, les avions américains frappaient les combattants pro-régime soutenus par l’Iran qui tentaient d’avancer près de la frontière irakienne ou jordanienne au sud-est du pays, dans des zones où se déploient aussi des combattants soutenus par les États-Unis.
C’est dans ce contexte que les FDS ont poursuivi leur opération anti-Daech à Raqqa (voir l’article sur Daech). La participation à cette opération des combattants du Conseil militaire de Deir ez-Zour a incité les observateurs à se demander si l’un des prochains objectifs de l’alliance kurdo-arabe après la prise de Raqqa n’était pas cette grande ville de l’est syrien. En tout cas, les régions entre ces deux villes ont déjà été en grande partie «nettoyées» des djihadistes, et, les FDS ayant déjà mentionné courant mai leur projet pour des raisons économiques de s’assurer à l’ouest le contrôle de la région d’Idlib, une extension symétrique vers l’est apparaît logique. Comme on peut le deviner, de tels projets ne peuvent que susciter l’inquiétude et la colère du voisin turc au nord…
La Turquie n’est pas demeurée inactive face aux avancées des FDS. Selon un communiqué du 5 juin du bureau de presse des YPG, l’armée turque et les islamistes syriens soutenus par celle-ci ont lancé durant le mois de mai plus de 80 attaques contre différentes régions du Rojava, causant la mort d’au moins 111 combattants des FDS. Parmi les groupes combattants que les YPG considèrent comme des mercenaires à la solde de la Turquie, se trouvent les salafistes d’Ahrar al-Sham, qui ont visé particulièrement la région d’Afrîn. Selon des groupes de défense des droits de l’Homme ces attaques ont aussi fait des dizaines de victimes civiles.
La Turquie a aussi été accusée d’utiliser l’arme de l’eau contre le Rojava. Le 12, Abdulkarim Omer, responsable des relations internationales du canton de Cezire, a déclaré que suite à la fermeture par la Turquie du barrage Atatürk sur l’Euphrate, le niveau de la retenue de Tîshrîn (près de Kobanê) avait connu une baisse dramatique, causant une pénurie d’eau et d’électricité à Kobanê et dans sa région. La retenue de Tabqa a aussi baissé, ainsi que le niveau dans le lit de l’Euphrate, de 4 à 5 m. Le 21, l’administration des barrages a demandé à la communauté internationale d’exiger de la Turquie le respect des conventions internationales et la cessation de sa rétention des eaux de l’Euphrate. Par ailleurs, Îlham Ehmed, co-présidente du Conseil démocratique syrien (CDS, représentation politique des FDS), a dans un article publié dans Özgürlükçü Demokrasi et repris en anglais le 14 par ANF News, accusé la Turquie de procéder à la turquification et à l’annexion rampante des régions syriennes qu’elle contrôle depuis l’été dernier, autour des villes de Jerablous, Azaz et al-Bab, en y installant des Turkmènes venus d’autres régions syriennes, enseignant en turc dans les écoles, mettant en place une force de police devant jurer fidélité à Erdoğan…
Le 20, selon l’agence ARA News, des rebelles islamistes soutenus par la Turquie ont attaqué au mortier le village de Shouyoukh dans la région de Kobanê, et le 21, des renforts turcs ont passé la frontière pour se diriger vers le sud d’Azaz, tenu par des rebelles pro-turcs déjà en lutte avec les YPG – comme dans le district d’Afrîn. Cet envoi de renforts turcs a été confirmé par l’OSDH. Les Kurdes ont exprimé le 22 leur inquiétude face à la concentration de troupes turques sur la frontière face à la région d’Afrîn, une inquiétude qui a grandi lorsque le 24, le journal turc pro-gouvernemental Yeni Safak a publié un article intitulé «Les soldats turcs se préparent pour Idlib», dans lequel il explique que les troupes turques vont «assurer la sécurité» de la région d’Idlib (->). Selon ce texte, «le plan turc d’installation et de franchissement de la frontière est également prêt pour Idlib, qui est maintenant le point focal de nombreux pays. Les unités des forces armées turques, qui entreront en Syrie à partir de trois points différents, assureront le contrôle d’une zone atteignant 85 km de longueur et 35 km de profondeur. Le corridor commencera à l'Est à Daret Izze – Qalaat Samaan [hauteurs de Saint-Siméon], et ira à l’Ouest jusqu’à la région d’Ubin – Khirbat al-Jawz [village et camp de déplacés à la frontière du Hatay, environ 30 km à l’ouest d’Idlib]. La profondeur de 35 km, qui atteindra le Sahl al-Ghab [la plaine d’al-Ghab, anciens marais de l’Oronte] au Sud depuis la frontière du Hatay, sera également sous le contrôle des forces armées turques. Des unités de l'Armée syrienne libre seront également en charge du plan de sécurité d'Idlib sous la direction de l’armée turque. Dans ce cadre, il a été ordonné à 1.500 - 2.000 soldats de l’ASL de se tenir prêts».
La zone mentionnée dans l’article constitue un rectangle s’étendant en longueur dans le sens Nord-Est – Sud-Ouest depuis Azaz jusqu’à la plaine d’al-Ghab, à près de 20 km au sud de la ville d’Idlib, et coupant en largeur d’Alep le canton d’Afrîn, qui se trouve totalement encerclé. Il est peu probable que Damas accepterait sans réagir une telle invasion, qui positionnerait l’armée turque à une quarantaine de km à l’est de Lattakieh! Si le but officiel de l’opération est d’assurer la sécurité de la région d’Idlib, en réalité, l’article mentionne explicitement qu’il s’agit (surtout ?) d’empêcher toute extension vers l’ouest du territoire contrôlé par les FDS : «Les positions du PYD, affilié au PKK, seront bloquées et les attaques de cette organisation sur les zones rebelles seront empêchées […]. De plus, comme cela s’est passé pour le corridor terroriste Afrîn-Kobanê, bloqué par l'opération «Bouclier de l’Euphrate», le plan du PKK [pour créer] un corridor terroriste Afrîn-Méditerranée, souhaité par l'Iran et le régime Assad, sera défait». Le texte promet une mise en œuvre de cette opération en juillet, si elle peut être finalisée à Astana. La stabilisation de la région d’Idlib fournit aussi un prétexte à l’attaque d’Afrîn: tard le 27, le Vice-premier ministre turc, Veysi Kaynak, a déclaré que le canton d’Afrîn devait être «nettoyé de ses terroristes» pour «stabiliser la région».
Le 28, l’armée turque a annoncé des affrontements avec les YPG près d’Azaz, après que les YPG aient ouvert le feu sur des rebelles soutenus par la Turquie. Les YPG, de leur côté, ont annoncé que les Turcs bombardaient à l’artillerie la région d’Afrîn depuis une semaine – des tirs confirmés par l’OSDH, qui a ajouté que les YPG avaient riposté. Le 29, Sihanouk Dibo, un des dirigeants du PYD, a lancé un appel à la communauté internationale pour qu’elle force la Turquie à interrompre ses attaques sur Afrîn. Le porte-parole des FDS, Sharvan Darwish, a fait écho à la demande de Dibo, et les YPG ont déclaré qu’ils n’hésiteraient pas à riposter à toute agression turque. Une base militaire russe se trouve dans la région d’Afrîn, mais les Kurdes s’inquiètent d’un éventuel accord entre Russes, Turcs et Syriens, qui laisserait à la Turquie les mains libres à Afrîn.
Après des mois de blocage et de discussions entre partis politiques de la Région du Kurdistan sur le référendum d’autodétermination, la réactivation du Parlement et la question de la Présidence, plusieurs avancées ce mois-ci peuvent laisser espérer une solution: le 7 juin a été annoncé un accord entre les représentants de quinze partis kurdes sur la tenue d’un référendum d’autodétermination au 25 septembre prochain. La question posée en quatre langues (kurde, arabe, syriaque et turkmène) sera «Voulez-vous que la Région du Kurdistan et les territoires du Kurdistan situés hors de la Région du Kurdistan deviennent un État indépendant?». La consultation référendaire devrait donc avoir lieu non seulement dans les limites administratives de la Région du Kurdistan d’Irak telles que fixées par la Constitution irakienne, mais aussi dans les territoires dits «disputés» entre le GRK (Gouvernement régional du Kurdistan) et le Gouvernement central irakien, soit la province de Kirkouk, le district de Makhmour (sud d’Erbil), le Sindjar (à la frontière syrienne), et la région de Khanaqin (partie Nord de la province de Diyala à la frontière iranienne). Ainsi les résidents de la Région du Kurdistan décideraient si celle-ci doit prendre son indépendance par rapport à l’Irak, et simultanément ceux des territoires cités décideraient s’ils souhaitent les voir rattachés au Kurdistan. Les Kurdes refusent d’ailleurs à présent de s’y référer comme «territoires disputés»: le communiqué de la Présidence de la Région, publié après la réunion, les appelle «zones du Kurdistan se trouvant en dehors de l'administration de la Région», et le Premier ministre du Kurdistan, Nechirvan Barzani, dès avant la réunion du 7, s’y était référé en kurde comme aux «territoires kurdistanais (kurdistanî) hors des limites de la Région du Kurdistan», à présent «libérés par le sang des martyrs et des pechmergas» (la langue kurde distingue en effet kurdî, kurde au sens ethnique, et kurdistanî, «kurdistanais», par référence à la Région du Kurdistan, sans impliquer d’ethnicité spécifique, ce qui inclut ses résidents non kurdes comme les chrétiens). Nechirvan Barzani a par ailleurs ajouté qu’Erbil était prêt au dialogue avec Bagdad pour trouver à propos de ces territoires une solution qui satisfasse les deux parties.
Ce premier pas vers le référendum ne doit pas faire oublier que de sérieuses divergences internes subsistent. La décision a été prise lors d’une réunion appelée par Massoud Barzani à laquelle ont participé, en présence de représentants de la Haute commission électorale indépendante, les principaux partis kurdes, avec la notable exception du Mouvement du changement (Gorran) et du Groupe islamique du Kurdistan KIG (Komal), qui avaient choisi de boycotter la rencontre. Outre le référendum, les discussions ont porté sur le blocage autour de la réactivation du Parlement du Kurdistan et la crise politique interne de la Région; les partis présents se sont mis d'accord pour «travailler à réactiver le parlement et à résoudre les problèmes politiques dans le but d'atteindre l'harmonie nationale». On peut donc espérer que cette réunion permette d’engager une dynamique de résolution des divergences.
A l’issue de la rencontre, les partis politiques présents ont reçu l’instruction de nommer dans un délai de six jours un représentant à un «Comité référendaire». Par ailleurs, une source de la Haute commission électorale a déclaré à la chaîne de télévision NRT que la commission avait la capacité de préparer la consultation pour la date décidée par les partis.
Quelques jours après la réunion, le 11, le Mouvement du changement, Gorran, a tenu la première réunion de son Conseil national depuis la mort de son leader et co-fondateur Nawshirvan Mustafa le 19 mai dernier. Gorran a réitéré à cette occasion sa position, qui est qu’il croit en la création d’un Kurdistan indépendant, mais qu’il considère qu’avant de tenir un référendum, il est nécessaire de réactiver le parlement afin qu’il puisse voter une loi à cet effet. Gorran considère donc que la manière dont le processus a été lancé est illégale. Le désaccord demeure donc avec le PDK, dont Hoshyar Zêbari, l’un des dirigeants, a au contraire déclaré le 12 qu’après «la consultation de nombreux experts juridiques», la conclusion avait été que la tenue du référendum ne nécessitait pas la passage d’une loi, s’agissant d’ «une décision administrative et exécutive». Le PDK semble cependant infléchir sa position, puisque Zêbari a également ajouté que de nombreux experts étaient aussi d’avis que la consultation aurait davantage de légitimité «aux yeux du monde […] si nos institutions sont actives et fonctionnelles», et qu’il serait donc préférable de réactiver le parlement, même si «la volonté du peuple lui est supérieure».
Ce même jour, le responsable de la Haute commission électorale, Handren Mohammed, a indiqué que le Ministère des finances du Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) avait attribué à celle-ci un premier budget de 6 millions de dollars spécifiquement pour l’organisation du référendum du 25 septembre. La Commission avait demandé 31 millions de dollars, soit 17 millions pour le référendum et 14 millions pour les élections législatives et présidentielles, qui doivent quant à elles se tenir le 4 novembre.
Le 13, l’UPK et le PDK ont tenu leur première réunion bilatérale après la décision du référendum. L’UPK se trouve dans une position particulière, étant lié à Gorran par un accord politique tout en étant allié au PDK au sein du gouvernement. Le lendemain, l’UPK a annoncé la décision de réactiver le parlement, une annonce confirmée par une déclaration à Rûdaw du leader de l’Union islamique du Kurdistan (Yekgirtû), Salahaddin Bahadin, qui a également indiqué que les ministres Gorran du GRK pourraient bientôt retrouver leurs fonctions de même que l’équipe du Président du parlement d’Erbil, Yusuf Mohammed Sadiq, également de Gorran. Saadi Pira, un responsable de l’UPK, a déclaré que Sadiq présiderait la première session du Parlement, qui devrait se réunir «au plus tôt», avant de démissionner pour que celui-ci élise à la session suivante un nouveau Président appartenant également à Gorran. Pira a ajouté que la condition posée par le PDK était que Sadiq ne se représente pas. Gorran a immédiatement répondu dans un communiqué qu’il n’acceptait aucune condition préalable à la réactivation du parlement. Le 15, un député de l’UPK, Arez Abdullah, a déclaré que les dirigeants de ce parti étaient divisés sur le moyen de sortir de la crise et devaient se réunir pour discuter la question. Le 18, Fadhel Miranî, secrétaire du Bureau politique du PDK, a déclaré que ce parti ferait tout son possible pour obtenir la participation de Gorran à la réactivation du parlement.
Le lendemain, le Conseil de direction de l’UPK, après deux journées de réunions le 15 et le 18, a exprimé dans un communiqué son soutien «conditionnel» au référendum: «Depuis sa fondation et jusqu'à présent, le slogan du droit à l'autodétermination a été au cœur de la lutte de l’UPK. Dans cette perspective, le Conseil de direction réaffirme que, de même qu’il a été le pionnier de la lutte démocratique pour le droit à l'autodétermination, […] il sera le garant de celle-ci et se battra pour le succès du référendum pour l'indépendance de la Région du Kurdistan et de toutes les régions kurdistanaises qui [en] sont séparées […], à condition que toutes les procédures soient approuvées par une loi adoptée par le Parlement du Kurdistan». Le 23, les dirigeants de l’UPK et de Gorran ont publié un communiqué commun déclarant que les préparations pour le référendum devraient commencer une fois «la situation du parlement normalisée» – c’est-à-dire une fois le parlement réactivé. Les discussions devront donc continuer.
A l’extérieur du Kurdistan, les réactions ont été nombreuses, exprimant comme on pouvait s’y attendre la crainte que la décision des Kurdes ne fracture le front anti-Daech en provoquant une montée des tensions en Irak, et insistant sur une résolution par la négociation des différences entre Bagdad et Erbil. C’est le cas par exemple de la Russie, de l’Allemagne et des États-Unis comme de l’Union européenne. L’Iran a exprimé son opposition à un référendum et son soutien à l’intégrité territoriale de l’Irak. La Turquie a adopté un ton plus agressif, le Premier ministre Binali Yıldırım qualifiant la décision kurde d’«irresponsable» et d’«erreur grave». L’ambassadeur britannique à Bagdad a déclaré en conférence de presse à Halabja que le gouvernement britannique pensait que les Kurdes avaient le droit à l’autodétermination mais que le moment n’était pas bien choisi. Le premier ministre irakien Haider al-Abadi, a qualifié le 17 le référendum d’«illégal», une telle consultation devant faire l’objet d’une loi au parlement irakien, la constitution ne prévoyant pas la sécession d’une province. La mission spéciale des Nations Unies en Irak (UNAMI) a communiqué le 14 qu’elle ne «s’engagerait en aucune manière et sous aucune forme» dans le processus du référendum.
Les réponses kurdes à ces critiques ont été de plusieurs sortes. Le premier ministre du GRK, Nechirvan Barzani, a déclaré que les diverses réactions étaient «normales» et ne causaient pas d’inquiétude à Erbil. Selon des sources du GRK, en contraste aux réactions officielles, de nombreux diplomates admettent en privé que leur pays ne s’opposerait pas activement aux projets kurdes, même s’il ne veut pas apparaître les soutenir. Hoshyar Zêbari, quant à lui, comparant le référendum kurde au Brexit britannique, a rappelé que Grande-Bretagne et Union européenne allaient négocier au moins deux ans, déclarant qu’il n’était pas question de déclarer l’indépendance le lendemain du scrutin. Aux critiques qualifiant d’«inopportun» le moment choisi, Fouad Hussein, le chef de cabinet de Massoud Barzani, a répondu le 17 dans une interview donnée à Rûdaw que les États-Unis avaient demandé aux leaders kurdes de retarder le référendum jusqu’aux élections irakiennes de mars, mais que ceux-ci avaient rejeté cette demande en raison de l’incertitude de la tenue de ces élections. Hoshyar Zêbarî a quant à lui déclaré que l’instabilité de l’ensemble du Moyen Orient était justement une des raisons ayant poussé les dirigeants kurdes à tenir le référendum rapidement.
Le ton adopté par les autres acteurs kurdes tranche sur les autres réactions. Le porte-parole du HDP de Turquie, Osman Baydemir, a exprimé lors d’une soirée du Ramadan à Batman son soutien à la Région du Kurdistan irakien pour le référendum, déclarant qu’il était du droit des Kurdes de le tenir: «Je le dis très clairement, quels que soient les droits des nations turque, persane et arabe, les Kurdes, en tant qu’ancienne nation de cette région, ont les mêmes droits, ni plus ni moins. […] Quelle que soit la décision de nos frères du Başur (Kurdistan du Sud) avec leur parlement, leurs partis politiques et leur volonté politique, notre devoir est de la respecter et de la soutenir» (Rûdaw). De même, Cemil Bayik, coprésident du Conseil exécutif de l'Union des communautés du Kurdistan (KCK, front politique du PKK), a déclaré le 14 que personne ne devrait s’opposer à la tenue d'un référendum sur l'indépendance du Kurdistan, et que la décision de la Région était un droit démocratique. Il a cependant ajouté qu'un tel référendum pourrait ne pas réussir en raison des difficiles conditions actuelles, la Région du Kurdistan étant toujours «sous pression interne comme externe» (NRT-TV).
Le 20, Kifah Mahmoud, conseiller pour les médias du Premier ministre Nechirvan Barzani, a déclaré à l’agence russe Spoutnik que le GRK invitait toutes les organisations internationales à envoyer des observateurs pour contrôler le déroulement du référendum et assurer qu’il se déroule dans des conditions de légalité et de démocratie.
En Turquie, alors que plus de 5.000 membres du parti «pro-kurde» HDP sont emprisonnés, arrestations et condamnations continuent: la soif de répression du gouvernement (car la justice a clairement perdu toute indépendance) semble inextinguible, et le pays fait maintenant fi de toutes les barrières, y compris internationales, en arrêtant membres d’ONG et d’agences de l’ONU.
Le 1er juin, Besime Konca, députée de Siirt, arrêtée en décembre puis relâchée le 3 mai avec interdiction de quitter le pays, arrêtée de nouveau le 29 mai après objection du procureur, a été condamnée à 2 ans et demi de prison pour «appartenance à une organisation armée» et «propagande pour une organisation terroriste» – en fait principalement pour avoir assisté à Batman en mars 2016 aux funérailles d’un combattant du PKK. Konca avait déjà passé 11 ans en prison entre 1993 et 2004 pour raisons politiques. Le lendemain, le porte-parole du HDP, Osman Baydemir, également député de Şanlıurfa, a été brièvement incarcéré pour avoir «insulté la police»… en 2012! La co-présidente du HDP, Figen Yüksekdağ, déjà condamnée en avril à un an de prison pour propagande pour le PKK, a de nouveau été condamnée le 6 à un an et demi de prison pour «promotion du terrorisme» pour avoir caractérisé en 2015 sur une radio allemande le PKK comme un «mouvement de libération nationale […] défendant la démocratie et l’égalité». Le 8, un tribunal d’Adana l’a condamnée à un an supplémentaire pour «insulte au gouvernement» dans un discours à des funérailles en octobre 2015. Toujours le 8, la députée HDP de Diyarbakir, Nursel Aydoğan, privée de son mandat début mai, déjà condamnée le 9 mai à 4 ans, 8 mois et 7 jours de prison, a reçu 20 mois de prison supplémentaires pour «propagande pour une organisation terroriste» après un discours à Elbistan en 2012 aux funérailles d’un combattant PKK. Le 9, Ferhat Encu, arrêté le 4 novembre (en même temps que les co-présidents du HDP) a été condamné à 4 ans et demi de prison: 2 ans 9 mois pour «propagande terroriste» plus 10 mois pour «violation de la loi n° 5442 sur l’administration provinciale» pour avoir «organisé et participé à des protestations illégales»… Encu a suivi l’audience par vidéo depuis sa cellule.
Le 5, le ministère de l’Intérieur a publié une liste de 130 ressortissants turcs à l’étranger demandés par la justice qui seront déchus de leur nationalité s’ils ne rentrent pas sous trois mois. Outre le prédicateur Fethullah Gülen, elle comprend notamment l’ancien député HDP Özdal Ücer et deux députés HDP, Faysal Sariyıldız et Tugba Hezer Öztürk. Celle-ci a été privée de son mandat par le parlement le 14 pour son absence.
Le 15, le CHP (Parti républicain du peuple, kémaliste, anciennement au pouvoir, maintenant dans l’opposition à l’AKP), a entamé à l’appel de son leader Kemal Kiliçdaroğlu une «marche pour la justice» pour protester contre la condamnation d’un de ses députés, Enis Berberoğlu, à 25 ans de prison pour «révélation de secrets d’État». La marche de 425 km d’Ankara vers Istanbul, qui devrait durer trois semaines, a commencé avec des milliers de personnes. Le CHP, qui avait voté la loi levant l’immunité des députés poursuivis en justice, ne s’était guère mobilisé pour défendre les parlementaires HDP arrêtés, mais l’arrestation de Berberoğlu semble lui avoir soudainement révélé la gravité de la situation. Ancien journaliste, le député avait fourni aux médias, et notamment à Cumhuriyet, des vidéos démontrant l’implication des services secrets turcs (MIT) dans la fourniture d’armes aux islamistes en Syrie. Can Dündar, alors rédacteur en chef, et Erdem Gül, responsable du journal à Ankara, ont été condamnés dans la même affaire. Après le verdict, Kilicdaroğlu avait tweeté: «Dans ce pays, publier une information sur un camion rempli d'armes destinées à des groupes terroristes coûte 25 ans de prison, mais l’envoi illégal d’armes [à des groupes terroristes] est autorisé!». A noter que le Bureau exécutif central du HDP a le 14 publié un communiqué condamnant l’arrestation de Berberoğlu.
La seule bonne nouvelle du mois pour les journalistes, en date du 9, concerne le photographe indépendant Mathias Depardon. Accusé de «propagande terroriste» pour avoir publié en France un reportage photo sur les combattants du PKK, le Français, basé à Istanbul et emprisonné depuis le 8 mai à Gaziantep a, selon Reporters sans Frontières (RSF), été libéré et expulsé vers Paris. La veille, le responsable de RSF pour la Turquie, Erol Onderoğlu, comparaissait pour la 4e fois devant le tribunal pour «apologie du terrorisme», risquant 14 ans de prison… Selon RSF, plus de 100 journalistes sont emprisonnés. Dans cette situation, il n’est que trop logique, notent plusieurs journalistes, que la Turquie vise maintenant les défenseurs des droits de l’Homme dénonçant cette répression: le 6 juin, le président de la section turque d’Amnesty international, Taner Kiliç, a été arrêté ainsi que 22 autres avocats, puis, 3 jours plus tard, poursuivi pour «appartenance à une organisation terroriste» – celle de Fethullah Gülen.
Il est peu probable que les condamnations de l'Union européenne et du Département d'État américain aient un quelconque effet, le gouvernement turc ne tenant même plus compte de ses obligations juridiques internationales: le 15, Aydin Sedaf Akay, juge turc de la Cour internationale de justice de la Haye, l’organe judiciaire principal des Nations Unies, chargé d’enquêtes sur des crimes de guerre en ex-Yougoslavie et le génocide au Rwanda, arrêté le 21 septembre, a été condamné à 7 ans et demi de prison pour appartenance à l’organisation terroriste de Fethullah Gülen! Depuis la création de la Cour, c’est le premier cas de violation de l'immunité d'un magistrat onusien. Par ailleurs, le 6 juin à Genève, le Haut Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme, Zaid Raad al-Hussein, s’est plaint dans son discours d’ouverture de la 35e session du Conseil des droits de l’Homme de l’obstruction turque à l’enquête lancée sur les violations dans les provinces kurdes du pays. Il a annoncé qu’une session spéciale et un rapport spécial seraient dévolus à la Turquie durant la deuxième semaine de réunion.
Les relations avec l’Allemagne continuent aussi de se dégrader: Turcs et Allemands n’ont pu arriver à un accord sur l’accès des parlementaires allemands à la base de l’OTAN à Incirlik, où sont stationnés 250 militaires allemands menant des missions de ravitaillement en vol et de surveillance contre Daech. Lors d’une conférence de presse commune le 5 à Ankara avec son homologue turc Mevlut Çavuşoğlu, le ministre allemand des Affaires étrangères, Sigmar Gabriel, a promis davantage d’efforts contre les activités du PKK en Allemagne et un réexamen des demandes d’extradition d’Ankara pour 4.500 ressortissants turcs… Rien n’y a fait. Mevlut Çavuşoğlu a répondu qu’il était «possible à présent de visiter la base de l’OTAN à Konya mais pas Incirlik». Suite à cette décision turque, Gabriel a déclaré que la Turquie devait comprendre que dans ces conditions, l’Allemagne transférerait ses soldats ailleurs: «Le parlement allemand a une armée parlementaire et tient à ce que les législateurs allemands puissent visiter les soldats de la Bundeswehr à tout moment». Le Premier ministre turc Binali Yıldırım a ensuite annoncé l’annulation d’une rencontre avec Gabriel pour cause d’«agenda trop chargé». Le 21, un ressortissant turc arrêté en Allemagne en décembre dernier, Mehmet Fatih S. (son nom complet n’a pas été publié) a été inculpé d’activités d’espionnage contre la communauté kurde. Il est accusé de travailler depuis 2013 pour les services secrets turcs, dont il aurait reçu plus de 30.000 € ; l’enquête devra déterminer s’il préparait des assassinats comme ceux des trois militantes kurdes de Paris en janvier 2013.
Autre crise diplomatique, l’émission le 16 juin par Washington de 12 mandats d’arrêt contre 3 policiers turcs et 9 membres de la sécurité du président Erdoğan qui avaient en mai attaqué des manifestants durant la visite aux États-Unis du président turc. Suite à cette décision «inacceptable» et biaisée, le ministère turc des Affaires étrangères (qui attribue l’incident à l’incompétence de la sécurité américaine) a convoqué l’ambassadeur américain à Ankara. Mais le 25, l’Allemagne a informé le Président turc que ses gardes du corps impliqués dans l’incident n’étaient pas les bienvenus en Allemagne durant le G20: celui-ci à dû modifier la composition de son escorte…
Les opérations militaires ont continué contre le PKK, au Kurdistan irakien comme dans les provinces kurdes de Turquie. Le 1er juin, a été annoncé le crash d’un hélicoptère militaire turc Cougar le 31 mai en soirée près du mont Kato, dans la province de Şırnak, qui a causé la mort des 13 militaires à bord – un crash que le PKK a revendiqué dès le lendemain, alors que l’armée l’avait attribué à un accident. Le 4 dans l’après-midi, la chasse turque a bombardé la région de Bradost au Kurdistan irakien, près notamment des villages de Lelkan, Moslok, Del et Bexnok, provoquant la fuite de résidents de villages proches. Le 9, le gouverneur de la province de Batman a annoncé que deux militaires et un civil avaient été blessés dans l’explosion d’un véhicule près d’une gendarmerie. Le 16 au matin, selon le PKK, après plusieurs frappes aériennes dans la région d’Amêdî, l’armée turque est entrée au Kurdistan d’Irak à partir des régions du Kurdistan de Turquie de Culamerg et Çukurca. Le PKK a annoncé que dans les violents combats qui ont suivi au moins 14 soldats turcs ont été tués. Le 20 au soir, l’aviation turque a bombardé des villages situés au pied du Mont Qandîl, tuant et blessant des civils en nombre non précisé. Enfin, les 28 et 30 juin, de nouveaux bombardements turcs ont eu lieu au Kurdistan irakien.
Des commandos-suicides ont frappé le 7 le parlement iranien, puis, une heure plus tard, le mausolée de l’Ayatollah Khomeiny, également à Téhéran, en une attaque qui a fait au moins 13 morts et a été rapidement revendiquée par Daech. Le 10, la police iranienne a arrêté 41 personnes en relation avec ces deux attaques. L’agence semi-officielle Fars News a indiqué qu’il semblait que ce soient des Kurdes iraniens affiliés à Daech qui les aient menées, identifiant l’un d’entre eux comme Serias Sadeghî, originaire de Paveh. Dans la revendication de Daech postée sur le site d’Amaq News, les hommes masqués s’identifient d’ailleurs en arabe et en kurde. La provenance interne des assaillants est certainement une source d’inquiétude pour les autorités. Le Parti démocratique du Kurdistan d’Iran avait d’ailleurs publié un rapport pointant l’accroissement des activités de Daech au Kurdistan d’Iran. En représailles, les Gardiens de la Révolution iraniens ont frappé le 18 avec des missiles les bases de Daech dans l’est de la Syrie, ce qui a par ailleurs suscité l’inquiétude d’Israël, qui se trouve à peu près à la même distance de la République islamique…
Par ailleurs, les forces de sécurité iraniennes ont poursuivi leurs exactions dans les provinces kurdes du pays. Ainsi le 13, les garde-frontière du regime ont mis le feu à une large zone forestière près des deux villages de Zal et de Choman, non loin de Baneh, brûlant 2 hectares de terres appartenant à des propriétaires locaux, suscitant chez ceux-ci colère et protestations. Le 15, c’est de nouveau un porteur kurde de marchandises, ou kolbar, Sirwan Aziz, qui a été abattu, en même temps que plusieurs autres civils, dont des femmes, étaient blessés. Une vidéo diffusée sur Internet par des compagnons de route d’Aziz montre qu’il a été tué d’une balle dans le dos. Le 23, les pasdaran (Gardiens de la révolution islamique) ont tué dans la région de Sanandaj (Sine) 3 pechmergas du parti kurde iranien Komala qu’ils avaient pris en embuscade. Deux jours après cet incident, durant lequel selon le Komala des pasdaran ont également été blessés ou tués, les forces de sécurité ont arrêté les familles de pechmergas tués.
En une note moins dramatique, Iraqi Shafaq News a annoncé le 5 que le projet iranien de construction d’une ligne de chemin de fer vers la côte méditerranéenne de Syrie se poursuivait. Il s’agit de relier la province de Kermanshah au Kurdistan d’Iran au port syrien de Lattakieh. La partie iranienne de la ligne devrait être achevée dans les mois qui viennent. Le ministre iranien des transports Abbas Akhundî a reçu le 4 à ce propos son homologue irakien Kadhim Finjan al-Hamamî. A noter que la partie irakienne de la ligne, dont le tracé n’est pas encore établi précisément, devrait traverser la Région du Kurdistan. L’Iran et la Région du Kurdistan d’Irak entretiennent des relations économiques régulières, dont le volume ne cesse d’augmenter. Notamment, durant le premier trimestre 2017, avec l’installation de contrôles automatiques aux 2 principaux postes-frontières, la quantité de marchandises transportées a augmenté de 20% par rapport à la même période de l’année précédente.
Le jeudi 22 juin d’est tenu au Palais du Luxembourg un colloque international intitulé «Kurdistan 2003-2017, du Fédéralisme vers l'Indépendance?».
Co-organisé par l’Institut kurde de Paris et l’Université de Soran au Kurdistan d’Irak, ce colloque a rassemblé des intervenants, universitaires et journalistes, provenant, outre la France et le Kurdistan, des États-Unis, des Pays Bas et du Royaume-Uni, dont plusieurs chercheurs appartenant à la diaspora kurde. Outre des membres de l’Université de Soran, coorganisatrice, plusieurs enseignants de l’Université de Sulaimaniyeh y ont également délivré des interventions ou modéré les débats, ainsi que des chercheurs de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) et de l’Institut des Langues et Civilisations Orientales (INALCO).
Ouvert par Kendal Nezan, président de l’Institut kurde de Paris, et Nahro Zagros, vice-président de l’Université de Soran, le colloque s’est poursuivi avec quatre tables rondes, intitulées respectivement : «Le Kurdistan vu de l'intérieur» (modérée par Hamit Bozarslan, EHESS), «Une entité en formation» (modérée par le Dr. Kamal Yusuf Kolo, Université de Soran), «Genre, religion et politiques sociales au Kurdistan» (modérée par Joyce Blau, professeur émerite INALCO), «Le Kurdistan sur la scène régionale et internationale» (modérée par Kendal Nezan). Parmi les intervenants, citons Gérard Chaliand, Peter Galbraith (ancien ambassadeur des États-Unis en Croatie), et Sirwan Barzani (Général de Brigade Peshmerga).
La liste complète des intervenants et le programme détaillé peuvent être consultés, et l’enregistrement sonore de chacune des interventions téléchargé sur le site de l’Institut kurde (->).