Les menaces turques sur le Rojava s’amplifient. Ayant massé des troupes fin juin et début juillet autour de Kilis côté turc et entre Jerablus et al-Bab côté syrien, la Turquie a bombardé toute la semaine Afrîn à l’artillerie, touchant selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH) une douzaine de villages et faisant une dizaine de blessés civils. Selon les YPG, une femme et ses deux enfants ont été tués et 7 adolescents blessées dans la région de Shahba. Récemment érigé en canton par les autorités du Rojava, Shahba, juste au sud de la région contrôlée par les Turcs et leurs supplétifs entre Jerablous et Azaz, constitue un corridor entre Afrîn et Kobanê, stratégique pour la Turquie comme pour le Rojava. L’agence Doğan a qualifié les attaques turques de «ripostes» après des tirs sur la Turquie depuis le Mont Parsa. Alors que les YPG demandaient à la coalition internationale d’intervenir pour faire cesser les attaques, les Turcs ont annoncé vouloir prendre le contrôle de Tell Rifaat, à 10 km au sud d’Azaz, puis de faire le siège d’Afrîn, qui se trouve à 20 km à l’ouest. À Afrîn, une manifestation contre les attaques a rassemblé le 5 des dizaines de milliers de participants, tandis que le commandant général des YPG qualifiait le déploiement turc de «déclaration de guerre» risquant rapidement de provoquer des affrontements. Le vice-Premier ministre turc Numan Kurtulmuş a répondu que la Turquie n’avait pas déclaré la guerre mais qu’elle «répondrait à tout mouvement hostile» des YPG. Le 7 au soir, l’aviation turque a bombardé le Rojava et le Sindjar en Irak (Rûdaw). Plus que jamais, la Turquie fait le «grand écart» entre ses déclarations sur la «préservation de l’intégrité territoriale de la Syrie» et sa propre invasion du sol syrien…
La «guerre des mots» s’est aussi poursuivie: le journal pro-AKP Sabah a annoncé que les rebelles syriens soutenus par Ankara étaient prêts pour une opération anti-YPG et que la Russie pourrait assurer la sécurité dans les airs, et le 8, depuis le G20, le président Erdoğan a déclaré que la Turquie n’autoriserait jamais la formation d’un État kurde dans le nord syrien et n’hésiterait pas à «utiliser son droit à l’autodéfense» si sa sécurité était menacée par le «soutien et à l’armement de groupes terroristes et à la constitution de poches terroristes près de notre frontière». Le 17, l’agence Anatolie n’a pas hésité dans un article intitulé «Les USA accroissent leur présence en soutien au PKK/PYD en Syrie» à révéler plusieurs positions des forces spéciales américaines et françaises, mettant selon le Pentagone celles-ci en danger.
Au plan diplomatique, la Turquie, ayant échoué à infléchir le soutien américain aux FDS, a cherché à négocier avec la Russie un accord qui lui permettrait d’attaquer Afrîn: le 2, le Président turc a reçu à Istanbul le ministre russe de la Défense, Sergueï Shoïgou, en présence du responsable du MIT Hakan Fidan et du général Hulusi Akar, une rencontre qui a provoqué l’inquiétude au Rojava quant à la possibilité d’un «échange» russo-turc: Moscou voudrait faire évacuer Idlib de rebelles qu’Ankara pourrait recevoir dans les territoires syriens qu’elle contrôle et qu’elle pourrait alors étendre vers Tell Rifaat, une ville actuellement tenue par les YPG… Est-ce une conséquence de ces contacts? Le 13, Bahjat Abdo, dirigeant la défense d’Afrîn, a déclaré sur Kurdistan 24 que les Russes avaient demandé aux autorités du canton d’y laisser entrer l’armée syrienne afin de stopper les attaques turques. La réponse a été que le régime avait été chassé d’Afrîn 5 ans auparavant et qu’il n’était pas question de l’y laisser revenir… Soit en raison des changements de ligne turque après les négociations avec la Russie (la Turquie devant «faire avaler» des concessions aux rebelles qu’elle arme), soit en raison de sa méfiance obsessionnelle envers les Kurdes, des dissensions semblent être apparues entre l’armée turque et certains de ses supplétifs: le 6, on a appris qu’Ankara avait désarmé une milice kurde opposée aux YPG et même emprisonné 3 semaines son chef, pourtant précédemment détenu par les YPG. Celui-ci a accusé Ankara d’avoir «utilisé les milices pour accroître son influence dans la région».
Des affrontements entre FDS et rebelles soutenus par la Turquie ont aussi eu lieu en milieu de mois dans la province d’Alep, où les rebelles du groupe Ahl al-Diyar ont perdu une quinzaine de combattants. Enfin, le 31, des militaires turcs ont franchi la frontière avec des bulldozers près de Kobanê, avant de devoir se retirer après un avertissement des YPG.
C’est donc sous une menace turque incessante sur les cantons du Rojava que les FDS ont poursuivi leur combat contre les 2.500 djihadistes retranchés dans la vieille ville de Raqqa, où les FDS sont pour la première fois entrés par le sud le 2, prenant le marché d’al-Hal. Le 3, les unités féminines du Sindjar (YJŞ) ont annoncé leur participation à l’attaque sur la ville aux côtés des YPJ pour «participer à la libération des femmes [yézidies] kidnappées par Daech» (ANHA). Le lendemain, le commandement américain a annoncé que les FDS, attaquant cette fois par l’est, avaient réussi à faire deux brèches de 25 m dans le mur d’enceinte de Rafiqah entourant la vieille ville. Puis le 17, les FDS ont annoncé avoir repris un autre quartier, celui d’al-Yarmouk, à la limite sud de la ville. Selon l’OSDH, les FDS ne contrôlaient pas encore à cette date la totalité du quartier et tenaient environ 35% de la ville. Selon Nasrin Abdulla, commandante des YPG, le 27, 45% de la ville étaient libérés, un chiffre confirmé par l’OSDH. Mais le lendemain, l’un des principaux commandants YPG, Sipan Hemo, a déclaré que ceux-ci pourraient interrompre l’opération si les attaques turques contre le Rojava continuaient: certaines unités, comme les Jaish al-Thuwar, venus de Shabha, ont dû en effet abandonner la protection de leurs propres territoires menacés par les Turcs.
Ces avancées à Raqqa se font dans un contexte de guerre civile où, à Astana comme à Genève, les puissances extérieures négocient de plus en plus ouvertement leurs zones d’influence par-dessus la tête des Syriens de toutes tendances. Après deux jours de négociations sans guère de résultats le 4 et le 5 à Astana, un représentant de l’opposition a estimé que l’accord des «zones de désescalade» représentait surtout «le renforcement de l’influence russe et iranienne sur le terrain» (Reuters). Le 7, les États-Unis et la Russie ont annoncé un accord de cessez-le-feu pour le Sud-Ouest du pays après la rencontre Trump-Poutine au G20. Négocié avec l’aide de la Jordanie, l’accord devait prendre effet dimanche 9 à midi heure de Damas, avec un contrôle par la police militaire russe. Ce n’est cependant que le 26 que l’armée russe a annoncé avoir déployé 4 bataillons de police militaire pour assurer la sécurité dans deux «zones de désescalade». S’exprimant le 11 depuis Genève pour l’ouverture de 5 jours de pourparlers, l’envoyé spécial des Nations Unies pour la Syrie, Staffan de Mistura, a admis que ces accords de cessez-le-feu facilitaient l’aide aux civils et permettaient de stabiliser le pays, mais a averti qu’ils ne pouvaient jouer qu’un rôle provisoire si l’on voulait éviter la partition. De Mistura a aussi de nouveau déclaré dans une interview à l’agence Spoutnik que les Kurdes de Syrie devaient participer au processus de rédaction de la future constitution du pays, et que la communauté kurde du pays ne pouvait être ignorée – une pique contre la Turquie, qui exclut depuis des années le PYD de toute négociation… Mais ni les Nations Unies ni leur envoyé spécial n’ont les moyens d’imposer quoi que ce soit sur le terrain. Tant que Daech constitue une menace, les FDS bénéficient du soutien de la coalition dirigée par les États-Unis, mais qu’adviendra-t-il ensuite? Ilham Ahmed, co-présidente du Conseil démocratique de Syrie (CDS, émanation politique des FDS), a tenté le 25 depuis Kobanê de répondre à cette question dans une interview à Associated Press. Une fois Raqqa reprise à Daech, a-t-elle déclaré, les Etats-Unis doivent «poursuivre leur action dans le pays pour garantir sa stabilité jusqu’à ce que son avenir politique puisse être décidé», ajoutant qu’on ne pouvait se limiter à combattre Daech militairement, mais que pour éviter la réapparition de groupes similaires, il fallait aussi construire un système démocratique. Pour Ahmed, les Conseils civils mis en place par les FDS dans les villes libérées pourraient servir de modèles aux autres régions de Syrie. Elle a précisé que celui de Raqqa verrait sa composition évoluer après l’éviction totale de Daech pour y inclure des chefs tribaux, qui n’y étaient pas encore représentés, leur région se trouvant encore sous contrôle djihadiste. Le 23, le commandant adjoint de la coalition anti-Daech, le général britannique Rupert Jones, avait justement vanté en conférence de presse après avoir rencontré certains de ses membres les mérites du Conseil civil de Raqqa, qui avait «accompli un travail remarquable pour apporter l’aide humanitaire aux personnes déplacées». A noter que le 11, la commandante FDS Rojda Shiya a annoncé la formation d’un bataillon féminin recruté parmi les Syriennes arabes de tout le pays: de quoi susciter l’inquiétude des djihadistes que rien n’effraie autant que de tomber au combat contre des femmes, mais certainement aussi de la Turquie, à laquelle tout ceci fera craindre un peu plus l’extension du «foyer terroriste» Rojava aux Syriens non-kurdes…
Le 29, l’agence Hawar a annoncé que l’Assemblée constituante de la Fédération démocratique du nord syrien (la structure fédérale autoproclamée incluant le Rojava), avait approuvé la loi électorale et que son Conseil avait décidé des dates-butoir des différentes élections prévues dans la Fédération: le 22 août pour les élections communales, le 3 novembre pour celles des administrations locales. Les élections des représentants à la Conférence démocratique des peuples du nord syrien et aux Conseils régionaux se tiendront quant à elles le 19 janvier 2018.
Le pouvoir AKP continue à poursuivre de sa vindicte les élus HDP, députés comme maires. Le 3, le vice-président du groupe parlementaire HDP, Ahmet Yıldırım, a été condamné à 1 an et 2 mois de prison avec sursis et à l’interdiction d’activité politique pour «insulte au Président»: il avait déclaré dans un communiqué de presse sur le couvre-feu dans le quartier Cizre de Şırnak le 12 septembre 2015: «Le précieux Padishah dans son Palais et tous ceux qui l’entourent seront poursuivis. Je le dis clairement, Tayyip Erdoğan n’est pas plus propre que Tansu Çiller». Ses avocats ont fait appel. Le lendemain, s’est ouvert à Ankara le procès de l’ancienne co-présidente du HDP Figen Yüksekdağ, accusée de «propagande terroriste» pour le PKK durant les protestations d’octobre 2014, déclenchées par la fermeture de la frontière par la Turquie après l’attaque djihadiste sur Kobanê. Des affrontements avec la police avaient alors fait des dizaines de morts – des violences imputées par le HDP à la police. La délégation internationale venue pour assister à l’audience a été interdite d’entrée, faute d’«autorisation du Ministère de l’intérieur». Risquant 30 à 83 ans de prison, Yüksekdağ a été accueillie dans la salle par des slogans de soutien. Autres «preuves» invoquées contre elle, ses discours de co-présidente du HDP: soutien à «l’administration autonome et démocratique» (inscrite au programme du HDP), et le terme de «massacres» pour les opérations militaires dans les provinces kurdes. L’ONU a mentionné la possibilité de crimes de guerre: la Turquie inculpera-t-elle son Secrétaire général de «propagande pour une organisation terroriste»?
Le 7, la version préliminaire des nouveaux règlements parlementaires, approuvée par l’AKP et le MHP, a été présentée: elle prévoit une amende pour tout député utilisant en session le terme «Kurdistan». Ce même jour, Selahattin Demirtaş, l’autre co-président emprisonné du HDP, accusé d’«humiliation publique du gouvernement turc, de l’appareil judiciaire, de l’armée et de forces du maintien de l’ordre» sur la base de déclarations faites sur les réseaux sociaux, a refusé de se laisser amener menotté à l’audience; ses avocats ont quitté le tribunal en protestation. Dans l’une des déclarations retenues contre lui, datant d’avril, il avait trouvé les mots définissant exactement la politique actuelle de l’AKP: «La base fondamentale du gouvernement AKP est de créer une atmosphère de peur et de [la] faire ressentir à tous. Au cours de ces périodes, avoir peur du gouvernement et du pouvoir qu’il exerce est certainement très naturel et humain, mais n’oubliez pas que le courage également est humain, et la seule façon de ne pas transmettre cette peur à nos enfants, c’est d’agir avec courage».
Le 15, le député HDP Abdullah Zeydan, emprisonné depuis novembre dernier, a été condamné à plus de 8 ans de prison pour «propagande pour une organisation terroriste» et liens avec le PKK, puis le 17, le député HDP de Sanliurfa, Ibrahim Ayhan, arrêté en février dernier, à 15 mois de prison pour les mêmes charges. Il avait en 2015 partagé sur les réseaux sociaux les photos de deux membres du PKK, Ismail Aydemir, tué au Dersim (Tunceli), et Aziz Güler, tué par Daech, avec le message suivant: «Commandant rebelle de Dersim Baran Dersim [pseudonyme d’Aydemir] et combattant de la résistance de Kobanê Aziz Güler, nous chérissons votre mémoire». Aussi condamnés sur les mêmes charges, Abdullah Zeyda, député de Hakkari, à huit ans et 45 jours de prison et Çağlar Demirel, députée de Diyarbakir, à sept ans et demi. Deux autres députés, Dilan Tasdemir, vice co-présidente du parti, et Adem Geveri, ont été arrêtés, l’une à l’aéroport Atatürk d’Istanbul, l’autre à Ankara. Un nouveau mandat d’arrêt a aussi été émis le 19 contre le co-maire de Diyarbakir Firat Anlı, relâché le 14, par un procureur de Diyarbakir opposé à cette décision. Les deux co-maires de Diyarbakir, Firat Anlı et Gültan Kışanak avaient été incarcérés le 25 et arrêtés le 30 octobre pour «propagande terroriste»… Le 27, Faysal Sariyildiz et Tugba Hezer Öztürk, demeurés à l’étranger après les poursuites lancées contre eux, ont été privés de leur mandat de député pour absence. Ils risquent la déchéance de nationalité.
Au chapitre rare des acquittements, celui de Leyla Zana le 11 à Diyarbakir pour «preuves insuffisantes» des charges d’«appartenance à un groupe terroriste» et de «propagande terroriste». Lauréate du Prix Sakharov du Parlement européen, déjà emprisonnée 10 ans pour des accusations similaires après avoir ajouté quelques mots en kurde à son serment de députée, puis libérée en 2004, elle risquait 20 ans supplémentaires. Autre libération, celle, le 29, de la députée HDP de Siirt, Besime Konca, après appel de sa condamnation à 2 ans et demi de prison pour «propagande terroriste».
Le 25, une dizaine de députés du HDP ont lancé dans un parc de Diyarbakir une campagne de protestation de trois mois contre la répression. Ils prévoient de demeurer 24 h sur 24 dans le parc durant une semaine. Des centaines de policiers, des véhicules blindés et des canons à eau ont bouclé le quartier et interdit l’accès aux parties ombragées du parc afin de forcer les protestataires à rester en plein soleil. Le porte-parole du HDP, Osman Baydemir, a déclaré aux journalistes: «Ce blocage est révélateur de la situation du pays. Un parti politique qui a obtenu 70% des voix [dans cette ville] ne peut pas tenir un meeting dans le parc. […] Le fascisme ne peut être arrêté que par une bataille démocratique. […] Pas de violence, pas d’animosité». Le HDP prévoit d’organiser des manifestations jusqu’au 4 novembre, date anniversaire de l’arrestation de ses deux co-présidents.
Les défenseurs des droits de l’Homme sont aussi visés. Le 17, un tribunal d’Istanbul a ordonné l’incarcération avant procès de 6 d’entre eux, dont le directeur d’Amnesty international en Turquie, Idil Eser, et deux formateurs allemand et suédois, tous arrêtés en pleine formation dans les locaux d’Amnesty. Ils sont accusés d’«aide à un groupe terroriste armé». Quatre d’entre eux ont été relâchés avec interdiction de quitter le pays jusqu’à leur procès. Le 24 a débuté le procès de 17 journalistes et cadres du journal d’opposition Cumhuriyet, contre lesquels les procureurs ont requis jusqu’à 43 ans de prison pour «soutien à un groupe terroriste». L’acte d’accusation de 324 pages accuse le journal d’être sous le contrôle de Fethullah Gülen. Le journal avait publié des preuves du soutien militaire apporté par les services de renseignement turcs (MIT, Millî İstihbarat Teşkilatı) aux islamistes syriens.
Le CHP (l’ancien parti unique, kémaliste), qui avait pourtant voté la loi de levée de l’immunité parlementaire ayant initié la chasse aux sorcières contre les députés HDP, a fini par réagir aux conséquences de ce vote, réveil tardif s’expliquant par la condamnation le 14 juin à 25 ans de prison du député CHP Enis Berberoğlu, qui avait fourni à Cumhuriyet la vidéo incriminant le MIT… Le 4, au 20e jour de la «Marche pour la justice» organisée pour protester contre cette condamnation, son leader Kemal Kiliçdaroğlu a fait appel devant la Cour européenne des droits de l’Homme contre la décision de la commission électorale de prendre en compte des bulletins de vote non validés par un bureau de vote lors du référendum d’avril dernier. La veille, la marche avait été rejointe par des représentants du HDP au passage près de la prison où est incarcérée Figen Yüksekdağ. Celle-ci a appelé depuis sa cellule à une lutte commune de l’opposition. En réponse, le président turc a proféré ses accusations favorites contre ses opposants: le CHP «agit de concert avec des groupes terroristes», et «prend le chemin de Qandîl [et] de la Pennsylvanie».
Au bilan répressif du mois, il faut aussi compter les 7.395 fonctionnaires supplémentaires, enseignants, policiers et militaires, démis de leur poste par un nouveau décret à la veille des commémorations de la tentative de coup d’État de juillet 2016, pour lequel la Turquie a organisé les 15 et 16 plusieurs «marches de l’unité nationale». En fait d’unité, le nombre de fonctionnaires démis en un an atteint maintenant 110.000…
Les violences se sont poursuivies, combats entre armée turque et PKK et attentats de ce dernier. Deux responsables locaux de l’AKP ont été abattus: Orhan Mercan à Lice (Diyarbakir) le 30 juin au soir – une action revendiquée par le PKK le 3 – et Aydın Ahi à Özalp (Van) le 1er juillet. Toujours le 1er, l’armée turque a annoncé avoir éliminé dans des frappes aériennes 5 combattants kurdes préparant une attaque contre une base militaire dans la province de Mardin, et lors de combats au sol 5 autres à Bingöl, 4 autres au Kurdistan d’Irak et 3 autres dans plusieurs provinces. Ce même jour, le maire de Mergasur, ville du Kurdistan d’Irak près de la frontière turque, a déclaré que les combats avaient provoqué un incendie encore incontrôlé. Le 3, selon plusieurs sources officielles turques, le PKK a mené plusieurs attaques: une bombe télécommandée a tué un soldat à Cukurca (Hakkari), une autre a blessé deux gardes de village à Çaldiran (Van), l’un étant ensuite décédé à l’hôpital, et une troisième attaque a tué un des ouvriers travaillant sur la route d’accès à une base militaire. Le ministère de l’Intérieur a quant a lui annoncé que les forces de sécurité avaient tué 55 «terroristes» la semaine précédente. Le 7 au matin une bombe télécommandée a explosé sans faire de victimes au passage du convoi du gouverneur du district de Baykan (Siirt), une action revendiquée par le PKK le jour même. Le 17, une bombe a explosé près de Yukçekova (Hakkari) au passage d’un véhicule militaire, blessant 17 soldats.
Le 13, le gouverneur d’Istanbul a annoncé l’arrestation de 44 suspects dans les attentats du TAK l’an dernier, dont un pour l’attentat du stade d’Istanbul qui avait fait 46 morts en décembre et un autre dans l’attaque d’un convoi de policiers ayant fait 11 morts en juin.
Le Kurdistan d’Irak a été frappé tout le mois: le 12 l’artillerie turque a bombardé de 2 h à 10 h du matin des zones près d’Amedî suspectées d’héberger des combattants du PKK, forçant des résidents à fuir leurs habitations, et le 15, l’agence Anatolie a annoncé que des frappes aériennes avaient tué 4 combattants kurdes près de Basyan. D’autres frappes ont eu lieu le 20 sur Qandil, provoquant un incendie, le 27 sur les monts Kurazhari (district de Shiladze), et le 30 au soir au nord de Dohouk (dégâts matériels et un blessé). Enfin, le 28 au soir, 4 pique-niqueurs ont été blessés près de Zakho par des tirs d’artillerie…
La fracture Turquie-Union européenne – et au niveau bilatéral, entre la Turquie et plusieurs pays membres, notamment l’Allemagne – ne cesse de s’élargir. Le 6 juillet, le parlement européen a appelé par 477 voix contre 64 avec 97 abstentions à la suspension des discussions d’adhésion de la Turquie. Certes, le vote concernait seulement un rapport non contraignant du rapporteur sur la Turquie et de sa collègue parlementaire Kati Piri recommandant cette décision en cas de mise en œuvre des réformes voulues par le Président Erdoğan, mais le message est clair. Autre signe de tension, deux jours plus tôt, le 4, la Gauche unitaire européenne avait nominé Selahattin Demirtaş, le co-président du HDP emprisonné depuis 8 mois, pour le Prix Václav Havel 2017, arguant de son combat en faveur des droits du peuple kurde. Ce prix des droits de l’Homme, attribué chaque année depuis 2013 par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), en partenariat avec la Bibliothèque Václav Havel et la Fondation Charte 77, était revenu l’an dernier à la jeune activiste yézidie Nadia Mourad pour avoir attiré l’attention de la communauté internationale sur l’esclavage sexuel institué par Daech sur ses captives yézidies. Le même jour en Allemagne, l’agence ANF, proche du PKK, faisait état de la découverte d’un second agent du MIT, les services de renseignements turcs. Un premier espion, Mehmet Fatih Sayan, avait été récemment arrêté. Comme lui, Mustafa Karadaş, découvert par des écoutes téléphoniques, semblait être chargé de préparer des assassinats d’activistes kurdes sur le sol allemand (il y aurait une liste écrite de cibles potentielles). Le point embarrassant est qu’il semble en même temps avoir servi d’informateur aux services de renseignement allemands… En tant que partenaires au sein de l’OTAN, l’Allemagne et la Turquie sont amenés à échanger des renseignements, d’où une situation ambiguë, les deux pays échangeant aussi… des accusations d’espionnage réciproque. Ceci pourrait expliquer pourquoi la presse allemande a peu mentionné cette découverte: la situation est déjà suffisamment tendue entre les deux alliés, alors que, suite aux refus répétés de la Turquie d’autoriser des parlementaires allemands à visiter les troupes positionnées sur la base de l’OTAN à Incirlik, celles-ci ont commencé le 9 à s’en retirer. Le Bundestag a approuvé le mois précédent la décision de les réinstaller en Jordanie dès octobre prochain (Reuters). Et le 15, la Turquie a récidivé, interdisant les visites des parlementaires allemands sur la base de Konya quelques jours avant une visite prévue. Le président de la Commission de la défense du parlement allemand, le député Wolfgang Hellmich (SPD), a déclaré que, l’installation de Konya étant une base de l'OTAN, cette nouvelle décision turque devenait «vraiment un problème de l'OTAN»…
Autre point de tension, l’arrestation le 5 juillet de l’activiste allemand des droits de l’Homme Peter Steudtner avec 5 autres défenseurs des droits de l’Homme, dont le directeur d’Amnesty international pour la Turquie, Idil Eser. Steudtner participait comme spécialiste de l’action non violente à l’encadrement d’une formation dans les locaux stambouliotes d’Amnesty International. Le Ministère allemand des Affaires étrangères a exigé sa libération le 18, une demande qualifiée le 20 par la Turquie d’«inacceptable» et de tentative d’interférence avec le système judiciaire turc. Suite à ces déclarations, le ministre allemand des Affaires étrangères Sigmar Gabriel a averti les ressortissants allemands de ne pas se rendre en Turquie, précisant que «tout Allemand se rendant en Turquie peut être arrêté». Parallèlement, l’hebdomadaire allemand Bild a publié un article selon lequel l’Allemagne allait suspendre les ventes d’armes et la coopération militaire avec la Turquie.
Cette tension produit des effets sur le plan judiciaire: le 13, un tribunal de Stuttgart ayant condamné à 3 ans de prison un accusé pour appartenance au PKK, propagande, collecte de fonds et recrutement pour cette organisation a mentionné dans les attendus du jugement des circonstances atténuantes constituées par le fait que l’accusé avait été «personnellement soumis à des mauvais traitements de la part de l’État turc en raison de son ethnicité kurde avant de quitter le pays»…
Les tensions risquent aussi de monter avec la Suède, où 5 parlementaires Verts et de gauche ont annoncé le 10 avoir déposé conjointement devant le Bureau international du Ministère public une plainte contre le Président et le Premier ministre turcs pour «génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre» à propos des opérations militaires menées au Kurdistan de Turquie et des exactions qu’elles ont occasionnées. Mentionnant aussi Binali Yıldırım et plusieurs autres ministres, cette plainte, la première jamais déposée en Suède contre un Chef d’État en exercice, a été rendue possible par une loi de 2014 permettant aux tribunaux suédois de se prononcer sur des cas de crimes contre l’humanité indépendamment de leurs auteurs et du lieu où ils ont été commis. Si le tribunal décide d’ouvrir une enquête préliminaire, elle pourrait aboutir à l’émission d’un mandat d’arrêt contre le Président turc. Le député Vert Carl Schlyter a déclaré espérer que d’autres parlementaires européens suivraient l’exemple suédois, une impossibilité de voyager en Europe pouvant obliger M. Erdoğan à infléchir sa politique.
Ces problèmes qui s’accumulent ont-ils des conséquences concrètes ? Cela ne semble pas (encore?) être le cas. Alors qu’après le coup d’État militaire de 1980, l’UE avait gelé les relations avec la Turquie, jusqu’à présent, l’aide européenne continue à arriver et un montant de 4,45 milliards est toujours prévu jusqu’à 2020, venant s’ajouter à près de 200 millions déjà versés. Sur son site, la radio Europe 1 publiait en avril dernier, en réponse à la question: «L’Europe a déjà donné plus de six milliards à la Turquie, c’est vrai ou c’est faux?» des chiffres qui sont toujours d’actualité: «C’est vrai. La Turquie a même touché un peu plus, selon le décompte que nous a fourni la Commission européenne. Sept milliards européens sont déjà entrés dans ses caisses et six milliards supplémentaires doivent lui être versés dans les trois ans qui viennent. Principalement de deux sources : les trois milliards promis pour la gestion des réfugiés, c’est l’accord de l’an dernier, un tiers a déjà été versé et l’instrument d’aide de préadhésion, ce sont des fonds que touche la Turquie depuis 2002 déjà, qui se sont étoffés quand les négociations se sont ouvertes en 2005» (->).
Le 10 juillet, les forces irakiennes, en annonçant la reprise totale de Mossoul, ont fait un pas supplémentaire vers un après-Daech semé d’incertitudes. Au Kurdistan, on semble s’acheminer vers un accord sur le référendum et la réactivation du parlement – dans un contexte économique quotidien toujours aussi pénible pour la population. Le 6, le président Barzani a réaffirmé qu’il ne reculerait pas sur le référendum, quelles que soient les réactions de Bagdad et des pays voisins…
Arrivé à Mossoul le 9, le Premier ministre irakien a félicité ses troupes pour leur «victoire totale» – mais celle-ci laisse un arrière-goût amer: 9 mois pour reprendre une ville conquise par les djihadistes en 2014 en quelques jours, un champ de ruines, des milliers de morts et 900.000 personnes déplacées. Après avoir repris le quartier d’al-Shifaa, les militaires irakiens avaient avancé malgré des contre-attaques suicides de Daech utilisant parfois des femmes dissimulées parmi des civils en fuite, dont une a fait 15 victimes près de la mosquée al-Nouri le 3 au matin, tendant à l’extrême les relations entre militaires et habitants. Quatre jours après la déclaration de victoire d’Abadi, les combats se poursuivaient autour de plusieurs poches djihadistes, survolées par des hélicoptères, alors qu’un général américain déclarait qu’il restait peut-être encore 200 djihadistes en ville. Le 15, une parade militaire célébrant la victoire était organisée à… Bagdad; le 17, Daech attaquait un village au Nord-Ouest de la province de Mossoul, tuant 5 personnes dont le chef du village, et en capturant 5 autres. Le sort du leader de Daech, Abou Bakr al-Bagdadi, demeure incertain: le 11, l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme (OSDH) a annoncé à Reuters sa mort de source djihadiste officieuse, mais le 17, Lahur Talabani, responsable de la sécurité de l’UPK, a déclaré être d’avis qu’il était encore vivant au sud de Raqqa, ajoutant que l’homme avait l’expérience de la clandestinité…
Les accusations d’exactions irakiennes lors de la bataille de Mossoul ont rapidement pris de l’ampleur. Le 1er, des témoins ont déclaré à Human Rights Watch (HRW) avoir assisté à des passages à tabac de civils fuyant Mossoul et entendu des officiers se vanter d’exécutions illégales. L’ONG a demandé une enquête indépendante. Le 11, Amnesty International a indiqué à son tour soupçonner de violations du droit humanitaire les troupes irakiennes et leurs soutiens aériens américains, par l’emploi d’armes mettant inutilement en danger des vies civiles. Selon Médecins sans Frontières, le coût humain de l’attaque finale a été «dévastateur» pour les civils de la vieille ville. Le 27, HRW a publié un rapport accusant d’exécutions illégales une unité formée par les militaires américains (->), demandant que les Etats-Unis suspendent toute assistance à la 16e division dans l’attente d’une enquête irakienne.
Certes étape décisive, la reprise de Mossoul ne signifie pas la fin des combats: de source sécuritaire, l’organisation djihadiste disposerait toujours en Irak de 4.000 militants plus 3.000 membres rémunérés, et contrôle encore trois villes: Tell Afar, à 77 km à l’ouest de Mossoul, près de la frontière syrienne, al-Qaim, à l’ouest d’al-Anbar, et Hawija, au sud de Kirkouk, devenue sa base principale dans le centre de l’Irak d’où elle lance des attaques incessantes vers Touz Khourmatou et tente d’infiltrer Kirkouk. Le 3, le Ministère des Pechmergas a demandé à la coalition à participer à l’attaque contre Hawija, mais celle-ci semble vouloir libérer d’abord Tell Afar puis la région de Ramadi. Le 5, 3 djihadistes infiltrés depuis Hawija ont été arrêtés à Kirkouk avant d’avoir pu agir. Le 14, la police a arrêté une femme suspectée d’être une cadre de Daech, et le 17, alors qu’une attaque djihadiste faisait 5 morts, la sécurité a arrêté 5 suspects originaires de Hawija, puis 35 autres au sud de la ville. À l’ouest de Touz Khourmatou, ville mixte kurdo-turkmène, les pechmergas ont commencé fin juin à creuser sur la ligne de front une tranchée de 43 km de long pour se protéger. L’un d’eux a été tué par un sniper près du village de Zarga, cible d’une attaque dans la nuit du 3. Le 28, l’explosion d’un pick-up garé devant un restaurant sur la route Kirkouk-Bagdad, près de Touz Khourmatou, a blessé 3 personnes, sans que l’on sache s’il s’agissait d’un déclenchement à distance ou d’une attaque-suicide. Le 29 au soir, une autre attaque sur Zarga a fait 2 morts et 2 blessés: depuis 2014 on compte 1.745 pechmergas tués, 10.069 blessés et 63 disparus dans la guerre contre Daech…
Au plan politique, le référendum d’autodétermination, fixé au 25 septembre, continue de provoquer des réactions: le 4, le leader chiite Moqtada al-Sadr a appelé à le retarder, voire à l’annuler, le 10, le président turc a réitéré son opposition, et le 16, c’est l’ancien gouverneur sunnite de Mossoul, Athîl al-Nujaïfi, qui a demandé son annulation dans cette province où les Hashd al-Shaabi sont très nombreux, de peur de «conséquences négatives». Le Premier ministre irakien a qualifié le référendum d’«inconstitutionnel», mais la Russie a fait entendre sa différence: Sergueï Lavrov a déclaré le 24 dans une longue interview à Rûdaw qu’il correspondait «au droit des Kurdes à exprimer leurs aspirations».
Le 9, une délégation du Comité référendaire dirigée par Massoud Barzani et comprenant des membres du PDK, de l’UPK, des Turkmènes, des chrétiens et des yézidis s’est envolée vers Bruxelles pour promouvoir le référendum auprès des officiels européens et tenir des réunions bilatérales avec des dirigeants de l’EU. Le 12, Massoud Barzani, a argumenté devant des députés européens que Bagdad n’avait pas respecté la Constitution de 2005 et que tous les gouvernements irakiens, sunnites comme chiites, avaient «traité les Kurdes avec hostilité», demandant aux pays de l’UE, à défaut de soutenir officiellement le référendum, de «demeurer neutres».
Si la plupart des partis politiques du Kurdistan soutiennent le principe d’un référendum comme conforme au droit des Kurdes à l’autodétermination, la question de la réactivation du parlement demeure un grave point de désaccord, et le PDK et Massoud Barzani sont parfois accusés d’instrumentaliser la consultation pour leurs propres intérêts, comme l’a encore déclaré le 1er juillet Kawa Mohammed, chef du bloc Gorran au parlement irakien. L’UPK, par la voix d’un de ses dirigeants, Mahmoud Sangawî, a réitéré le 8 sa position: soutien au référendum, mais subordonné à la réactivation du parlement, une position réaffirmée le même jour par la direction commune Gorran-UPK, puis le 13 par le Bureau politique de l’UPK. L’UPK a bien envoyé le 8 des membres à la réunion du Comité de préparation référendaire, mais ceux-ci, le vice Premier-ministre Qubad Talabani et le gouverneur de Kirkouk Najmaddine Karim, y ont participé au titre de leurs fonctions et non comme représentants du parti. Le 11, Gorran et le Groupe Islamique du Kurdistan (Komal) ont exprimé une position similaire, demandant également que les élections législatives de novembre soient avancées pour se tenir le jour ou la veille du référendum afin que le parlement puisse être réactivé (ou que le référendum soit au contraire retardé). Le lendemain, Gorran et l’Union islamique du Kurdistan (Yekgirtû) ont publié un communiqué commun exprimant la même position.
Le 19, a été publié un décret signé par Massoud Barzani le 12, fixant officiellement les élections législatives au 1er novembre – de quoi susciter l’opposition des responsables politiques ayant demandé la concomitance des consultations référendaire et législative, comme venaient de le faire par écrit plusieurs membres de la Haute commission indépendante des élections et du référendum, arguant aussi que cela permettrait de réduire le budget…
Le 22, la chaîne NTV a annoncé que Gorran avait choisi Rauf Osman comme nouveau Président de son Conseil général, et le 25, celui-ci a élu 7 membres du Comité exécutif et un nouveau coordinateur général, Omar Saïd Ali, ancien pechmerga, et membre de l’UPK jusqu’en 2009. Dès son élection, Ali a réitéré l’importance pour Gorran de l’existence d’un système parlementaire au Kurdistan. Dès le lendemain, une délégation PDK menée par Adham Barzani, cousin de Massoud Barzani, a visité Gorran à Sulaimaniyeh, déclarant ensuite en conférence de presse être venue pour féliciter Gorran pour l’élection de ses nouveaux dirigeants et exprimer la volonté du PDK de «résoudre ensemble les désaccords». Le 27, selon Rûdaw, l’UPK a annoncé que le Parlement du Kurdistan devait être réactivé avant le 10 août, et qu’il ne fallait «plus perdre de temps» et organiser une réunion générale entre tous les partis ayant décidé ensemble du référendum.
Mais l’accord est encore loin d’être acquis: le 30, après que le Comité du référendum ait demandé aux partis politiques de travailler ensemble à mettre fin au blocage sur la question du parlement dans les deux semaines, afin de permettre au Conseil de commencer la préparation du référendum, le coordinateur des relations extérieures de Gorran, Hama Tawfiq Rahim, a répondu le 31 que son mouvement ne pouvait pas envoyer de représentant au Comité tant que le parlement n’avait pas pris une décision sur la question, ajoutant que le référendum devait être discuté au parlement et qu’il n’appartenait pas aux partis politiques de prendre des décisions sur les lois de la Région…
Autre aspect peu mentionné dans les médias: l’exaspération grandissante de la population devant une situation économique qui ne s’améliore pas et délégitime un référendum perçu comme éloigné des préoccupations quotidiennes. Le 31, une manifestation s’est tenue devant le GRK à Erbil pour protester contre les mesures d’austérité. Parmi les revendications, celle que les montants retirés des salaires soient mis sur un compte spécial permettant de payer les services gouvernementaux comme l’électricité et l’eau. Les pressions des pays voisins suscitent aussi des inquiétudes, ainsi l’Iran est soupçonné d’avoir coupé l’eau des rivières s’écoulant vers le Kurdistan pour exprimer son opposition au référendum. Le 26, le propriétaire de la chaîne NRT, Shaswar Abdulwahîd Qadir, a même annoncé qu’il mènerait campagne pour le «Non pour l’instant» (Nexêr le êsta da), défendant un report pour obtenir davantage de soutiens internationaux et aussi permettre la réconciliation nationale entre les partis et la création d’une force de pechmergas unifiée. Dès le lendemain, un groupe de parlementaires a déposé plainte contre lui.
Le 30, le Comité du référendum a annoncé qu’une délégation se rendrait à Bagdad avant le 10 août pour discuter du référendum. L’Irak s’inquiète de ce que le but du référendum est plutôt les territoires disputés que l’indépendance… Le 19, Salah Dilo, responsable du PDK pour Kirkouk, a déclaré qu’un Comité de préparation du référendum serait rapidement constitué dans la ville, insistant que le référendum serait tenu à Kirkouk en même temps que dans les autres villes de la Région du Kurdistan et des territoires kurdistanais hors de l’administration de la Région.
Nous avons eu la tristesse d’apprendre ce 31 juillet que le journaliste Chris Kutschera, né en 1938, grand connaisseur, et grand ami, du peuple kurde, venait de nous quitter à Guéret après une longue lutte contre la maladie.
Toutes les personnes qui s’intéressent aux Kurdes connaissent le nom de Chris Kutschera. Son livre de 1979, intitulé Le mouvement national kurde, a été, avec celui dirigé par Gérard Chaliand, Les Kurdes et le Kurdistan, le premier ouvrage en langue française à donner toute leur place aux Kurdes, et constitue probablement toujours la meilleure introduction en cette langue à la longue histoire de la lutte politique des Kurdes pour leurs droits. Chris Kutschera avait ensuite donné en 1997 une suite au Mouvement national kurde, intitulée Le Défi Kurde, ou le rêve fou de l’indépendance, avant de diriger en 2005 l’ouvrage collectif consacré aux crimes de Saddam Hussein, Le Livre noir de Saddam Hussein.
Ce journaliste, qui a aussi publié de nombreux articles pour le Monde diplomatique, Confluences Méditerranée, Politique internationale, Les Cahiers de l’Orient, a passé plus de 40 ans à parcourir en tous sens le Kurdistan, des voyages au cours desquels il avait pu rencontrer quasiment tous les dirigeants des différentes formations politiques kurdes. Il postait aussi régulièrement des articles sur son site (->). Beaucoup de ses ouvrages ou articles ont été traduits en kurde, en soranî comme en kurmancî, mais aussi anglais en allemand ou en néerlandais et bien sur en turc, en arabe et en persan. Si Bernard Kouchner avait accepté de donner une préface au Livre noir de Saddam Hussein, c’est Danielle Mitterrand qui a écrit celle du Défi Kurde, et dans son propre texte, elle rend hommage à la compétence de Kutschera: «Grâce à sa connaissance personnelle des principaux acteurs de l’histoire kurde contemporaine et à ses nombreux déplacements dans la région depuis plus de vingt ans, Chris Kutschera dispose d’informations puisées aux meilleures sources».
L’ouvrage dans lequel Kutschera a rassemblé toutes ses archives photo en 2007 demeure Stories / Kurdistan / Histoires. Beaucoup ne le savent pas, mais Chris Kutschera est en réalité le pseudonyme de deux personnes, Paul et Edith, Paul produisant les textes, Edith photographe de presse – Kutschera étant le nom de jeune fille de la mère de Paul. C’est Paul qui nous a quittés récemment. Dans Stories / Kurdistan / Histoires, publié en trois langues, le français, l’anglais et le kurde (dialecte soranî), et que l’on peut voir dans les vitrines des librairies du Kurdistan d’Irak, on trouve une présentation de tous les dirigeants et responsables kurdes que le couple a côtoyés durant quarante ans, de Molla Moustafa Barzani à Jalal Talabani en passant par Adnan Muftî ou le poète Hajar Charafkandi… Feuilleter ces pages de photos, dont certaines remontent aux années 60, c’est aussi en lire les légendes qui sont autant de petites biographies des personnes représentées. Ces courtes légendes sont souvent des textes très personnels, donnant à voir, en quelque sorte entre les lignes, la profondeur des relations que noua «Chris Kutschera», durant toute sa vie, avec le peuple kurde. En voici une parmi des dizaines, celle accompagnant les photos de Franso Harîrî: «Chrétien du Kurdistan il a toujours été très proche des Barzani. Il est le maire de Galala pendant les années 1970, mais je le prendrai en photo pour la pṛemière fois en 1974 sur le front de Korek, où il est responsable des opérations militaires. Sourire aux lèvres, il annonce sur son téléphone de campagne que ses pechmergas viennent d’abattre un Mig de l’aviation irakienne. Je découvrirai 20 ans plus tard sa passion du football. Devenu gouverneur d’Erbil, il est aussi le responsable de l’équipe de football de sa ville qui vient de remporter la coupe d’Irak. Et c’est un homme comblé qui pose avec les médailles que les joueurs de son équipe lui ont glissé autour du cou».
Non seulement ces petits textes permettent de voir littérallement vivre ceux qui étaient devenus des amis pour Chris Kutschera, mais ils nous donnent aussi à voir le type de relations, profondes et pleines d’empathie, que Chris/Paul établissait avec ses «contacts» et nous donnent un aperçu du type de personne qu’il était, profondément sensible et humain.