Malgré les doutes entourant l’accord sur les «zones de désescalade» entre Russie, Turquie et Iran, la Russie a annoncé le 4 avoir mis en place la 3e des 4 zones prévues, au nord de Homs. Bien que l’OSDH ait annoncé des dizaines de violations du cessez-le-feu dans les heures qui ont suivi sa mise en place officielle, la police militaire russe s’y est déployée. Le Secrétaire d’État américain Rex Tillerson a par ailleurs déclaré vouloir travailler avec la Russie pour stabiliser la Syrie dans la période post-Daech.
L’opération sur Raqqa des Forces démocratiques syriennes (FDS), l’alliance arabo-kurde soutenue par la coalition anti-Daech dirigée par les États-Unis, s’est poursuivie ce mois-ci. Le 27 juillet, l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) avait annoncé que les FDS avaient capturé la moitié de Raqqa. Le 1er août, la coalition a annoncé que les combattants des FDS qui avançaient des limites ouest et est des quartiers sud de Raqqa se trouvaient à présent à moins de 300 m les uns des autres – seulement quelques rues – ce qui a fait penser que tout le sud de la ville pourrait tomber rapidement. Mais cet espoir s’est révélé prématuré: les deux colonnes des FDS n’ont fait leur jonction que le 10, et Heval Gabar, le commandant des YPG dirigeant l’assaut, a annoncé que si ses combattants tenaient à présent la moitié de la ville, la reconquête complète de celle-ci face à des snipers djihadistes, notamment Tchéchènes, «excellents», pourrait prendre jusqu’à quatre mois. Autre facteur de ralentissement de l’avance, selon l’ONU, 50.000 civils pourraient être piégés en ville, et probablement utilisés selon les méthodes habituelles des djihadistes comme «boucliers humains»… Le 13, des combats très violents se poursuivaient dans la vieille ville. Finalement, le 29, Newroz Ahmed, commandante des YPJ et membre du Conseil militaire des FDS, a déclaré ne pouvoir indiquer quand la ville serait prise, même si elle pensait que la bataille «ne devrait pas prendre plus de deux mois»… Estimant le nombre de djihadistes encore en ville à 700 ou 1000, elle a déclaré s’attendre à une intensification des combats, précisant que les FDS ne prévoyaient pas de demeurer dans Raqqa une fois Daech chassé.
Cette dernière déclaration est sans nul doute une tentative pour désamorcer la tension avec la Turquie, qui a poursuivi durant tout le mois ses pressions sur la coalition – et en particulier les États-Unis – pour que les FDS soient écartés de l’opération. Le 2, deux Tchèques accusés par la Turquie d’être venus combattre aux côtés des YPG ont d’ailleurs été condamnés à des peines de prison, et le 3, l’ambassade américaine à Ankara a dû réfuter un rapport des médias turcs selon lequel les États-Unis avaient depuis l’Irak fourni aux YPG des tanks et des quantités importantes d’armement. L’ambassade a répondu que l’immense majorité des camions passant d’Irak en Syrie transportaient de l’aide humanitaire, nourriture et médicaments…
Cependant, tant que Daech conservera des places-fortes dans la région, il y a peu de chances que le Pentagone accède aux exigences turques de «laisser tomber » les FDS. Depuis que, le 4 août, le Président Trump a mis fin au programme de soutien militaire par la CIA à l’opposition syrienne initié en 2013 par son prédécesseur (déjà avec réticence), les Américains ont maintenant comme seuls partenaires sur le terrain… les FDS.
La Turquie est visiblement tentée de prendre elle-même les choses en main. L’agence semi-officielle Anatolie a annoncé le 5 la concentration de nouvelles troupes près de la frontière du Rojava, avec l’envoi notamment d’artillerie dans la province de Kilis, face à Afrîn, une zone où des accrochages opposent régulièrement les troupes turques et leurs supplétifs syriens aux YPG. Le même jour, le président turc, dans un discours prononcé à l’occasion de l’inauguration d’un stade à Malatya, a de nouveau critiqué la ligne américaine de soutien aux «terroristes» et annoncé de nouvelles opérations militaires turques côté syrien, avant de réitérer ses critiques et d’exprimer son «embarras» le 24 auprès du secrétaire d’État James Mattis, qu’il recevait à Ankara. Ces pressions turques n’ont pas empêché une rencontre le 17 au Rojava entre une délégation militaire américaine accompagnée de Brett McGurk, l’envoyé présidentiel spécial pour la coalition anti-Daech, et le Conseil civil de Raqqa. Selon certains participants à la réunion, il a été question de l’aide de la coalition au Conseil civil pour l’approvisionnement en eau et en électricité, le nettoyage et l’aide aux écoles. McGurk a aussi déclaré que la coalition protégerait les civils de la région contre le régime, dont les appareils étaient interdits de survol, rappelant que des avions syriens avaient été abattus dans le passé après avoir frappé les FDS. Face aux attaques répétées sur Afrîn des supplétifs syriens de la Turquie, les FDS, qualifiant ceux-ci de «mercenaires», ne sont pas demeurées inactives: le 8, elles ont bombardé ces groupes rebelles à l’artillerie dans le nord de la province d’Alep.
Le 22, Erdoğan a répété que la Turquie n’autoriserait jamais les milices kurdes de Syrie à «créer un État kurde» dans le nord du pays. Cette déclaration arrive quelques jours après une visite à Ankara du chef d’état-major iranien et la veille d’une visite en Irak du ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Çavuşoğlu. Les différentes discussions tenues récemment à Ankara avec de hauts responsables militaires iranien, russe et américain en visite pourraient viser à dégager la voie à une intervention plus importante contre Afrîn. Cependant, après que M. Erdoğan ait fait allusion à Qandil et au Sinjar comme lieux possibles d’une opération commune turco-iranienne, les Gardiens de la Révolution iraniens ont le 23 démenti tout projet d’opération hors d’Iran contre les rebelles kurdes. Le 29 au soir, des bombardements turcs de roquettes puis de mortiers ont blessé plusieurs civils dans la ville d’Afrîn, dont une femme et un enfant.
Si le soutien militaire américain aux FDS semble devoir se maintenir tant que Daech demeurera un danger, que se passera-t-il ensuite? Les dirigeants du Rojava, et, au-delà, de la Région fédérale du nord-Syrien, proclamée unilatéralement le 17 mars 2016, peuvent à bon droit s’inquiéter de la manière dont évoluera l’attitude des Américains à leur égard une fois Daech éliminé des territoires qu’il contrôle dans le pays. L’histoire récente des Kurdes est parsemée d’exemples dramatiques de tels «lâchages», y compris américain, comme en Irak en 1975… Le 18, le porte-parole des FDS, Telal Selo, a déclaré à Reuters qu’il pensait que les États-Unis avaient un «intérêt stratégique» à demeurer au Rojava une fois Daech éliminé – les Américains ont installé sept bases militaires dans les zones contrôlées par les FDS, dont une importante près de Kobanê. Cependant, dès le lendemain, la porte-parole du Département d’État, Heather Nauert, a indirectement répondu à Selo que le plan était (seulement) de vaincre Daech, et que les États-Unis voulaient que la Syrie soit gouvernée «par les Syriens, et pas par les États-Unis». Du côté des relations avec les Russes, les YPG ont passé un accord avec les militaires russes pour le stationnement de forces russes d’observation à Afrîn et Sheba, le canton du Rojava nouvellement créé directement au contact des territoires tenus par les Turcs et leurs supplétifs.
Parallèlement, les institutions de la Région fédérale s’étoffent. Sur le plan de la défense, la première académie militaire du Rojava a ouvert le 23 dans le district d’Amouda du canton de Qamishlo avec la promotion «Çiya Rûs», du nom d’un combattant «martyr». Le premier cours, proposant une formation dans les domaines militaire, culturel et politique, durera 3 mois, avant que les participants ne reçoivent leur grade. Sur le plan de la gouvernance, Hadiya Youssef, co-présidente de l’Assemblée constituante de la Région fédérale du nord syrien, a déclaré à l’AFP le 27 août, que, selon le plan d’organisation d’un système de gouvernement fédéral approuvé le 29 décembre 2016, trois tours d’élections locales allaient prendre place à partir de septembre: le 22 septembre, seront élus les représentants de quartier, puis le 3 novembre se tiendront les élections pour les Conseils exécutifs des villes et des régions, et enfin le 19 janvier, seront élus les membres des Conseils législatifs de chacun des trois cantons, qui siègeront 2 ans, et une Assemblée législative commune, à renouveler au bout de 4 ans. «Chaque région, a ajouté Youssef, aura son propre Conseil législatif, qui pourra voter des lois dans sa région à condition qu’elles ne soient pas en contradiction avec le contrat social». Ces consultations se tiendront malgré l’hostilité du régime de Damas, dont le vice-ministre des Affaires étrangères, Faisal Mekdad, les a écartées comme une «farce» dans une interview donnée le 6 à Reuters et à la BBC. Mekdad a ajouté que le régime n’autoriserait pas une «division du pays», et qu’il entendait bien, et même «devait» reprendre à terme le contrôle des zones actuellement contrôlées par les milices kurdes…
Le 1er août, s’est ouvert le procès de 486 personnes suspectées d’avoir participé à la tentative de coup d’État des 15-16 juillet, dont de nombreux officiers supérieurs et pilotes de l’armée de l’air. Les accusés, tous escortés jusqu’au tribunal menottés et encadrés par des gendarmes, risquent l’emprisonnement à perpétuité dans ce procès, où est aussi jugé in absentia le prédicateur Fethullah Gülen, exilé en Pennsylvanie. Le 15, dans une opération couvrant six provinces , la police a arrêté 33 membres du Conseil de la recherche scientifique turque (TÜBITAK), aussi soupçonnés de participation au coup d’État. Le même jour, 30 personnes soupçonnées de liens avec le PKK ont été arrêtées à Şırnak. En Turquie à présent, tout peut donner matière à accusation de terrorisme, comme le montre le cas de ce chauffeur de bus de 47 ans incarcéré le 28 à Ağrı pour avoir porté un t-shirt marqué «Kurdistan»: placé en détention préventive par les unités anti-terroristes, il doit être jugé pour «dissémination de propagande pour une organisation terroriste»…
Pour protester contre la répression implacable dont il est l’objet depuis deux ans, le parti «pro-kurde» HDP a organisé une série de «Veilles pour la conscience et la justice». Celles-ci ont d’abord pris place à Diyarbakir et à Istanbul, puis le 8, à Van, pour une semaine, avant de se poursuivre à Izmir. La veille de Diyarbakir, qui s’est terminée le 31 juillet, s’est déroulée dans un parc de la ville sous la pression de la police qui avait installé des barricades et même fait évacuer les rues proches. Face à ce déploiement répressif, le porte-parole du HDP, Osman Baydemir, a déclaré à la fin de l’action: «Le fascisme a montré sa peur du peuple; le fascisme a de nouveau perdu la partie».
Les arrestations de journalistes et d’activistes étrangers se sont également poursuivies dans le pays. Le 2, l’agence semi-officielle Anatolie a annoncé que le journaliste français Loup Bureau, entré en Turquie depuis le Kurdistan d’Irak, avait été arrêté le 26 juillet dans la province de Şırnak pour «aide et soutien à une organisation terroriste» suite à la publication sur les médias sociaux de photos le montrant en compagnie de combattants des YPG. Le même jour, deux ressortissants tchèques, Miroslav Farkaš et Markéta Všelichová, arrêtés en novembre 2016 dans la province de Sirnak alors qu’ils tentaient de passer au Kurdistan irakien, ont été condamnés à six ans et trois mois de prison comme «membres des YPG». L’accusation se base sur des documents trouvés sur leurs téléphones: photos avec les YPG, chansons de marche des YPG… Les deux Tchèques ont nié toute activité militaire ou politique et affirmé être des travailleurs humanitaires. Le ministre tchèque des Affaires étrangères, Lubomir Zaoralek, a qualifié le verdict d'«énorme déception» et a déclaré qu’il y aurait appel.
Toujours dans le délicat chapitre des relations internationales, la Turquie a finalement accepté le 8 que les parlementaires allemands visitent leurs troupes stationnées à la base militaire de l’OTAN près de Konya: une délégation dirigée par la vice-secrétaire générale de l’OTAN elle-même, Rose Gottemöller, accompagnée de plusieurs parlementaires, devrait pouvoir se rendre sur place le 8 septembre. La Turquie avait refusé une autre visite mi-juillet, mais s’est probablement vue forcer la main par l’implication d’un haut responsable de l’OTAN : cette acceptation, qui pourrait apparaître à première vue comme un signe de réchauffement (relatif) des relations turco-allemandes, ne doit donc pas être sur-interprétée… D’ailleurs, le ministre allemand des Affaires étrangères Sigmar Gabriel a déclaré le 24 que «tant que la Turquie est dirigée par Erdoğan, elle ne pourra pas devenir membre de l’Union européenne» -- une déclaration faite après qu’Erdoğan ait appelé les Allemands d’origine turque à boycotter les principaux partis allemands dans les élections de septembre prochain. Du côté des relations avec les États-Unis, les choses ne s’améliorent pas non plus – y compris pour le président Erdoğan personnellement : le 30 août, un «Grand jury» américain a inculpé dans l’affaire de l’attaque des manifestants à Washington en mai dernier 19 personnes, dont 15 membres de la sécurité du Président turc. Tous sont accusés de «conspiration en vue de commettre un crime de violence» et risquent 15 ans de prison. Seuls 2 des 19 accusés sont déjà en prison aux États-Unis et doivent être jugés le 7 septembre…
Aussi, la Turquie s’emmure contre les Kurdes: comme annoncé en mai, la construction d’un mur de 144 km de long a commencé dans la province d’Ağrı à la frontière avec le Kurdistan d’Iran, pour empêcher les mouvements des séparatistes kurdes du PKK; mais le mur le plus long en construction demeure celui entamé à la frontière avec le Rojava, qui doit faire 828 km. Selon le ministre turc de la Défense, 690 km en étaient achevés en juin. Au-delà de la construction de murs physiques, le pays a aussi entamé des tractations avec ses voisins en vue de mettre sur pied un véritable «mur diplomatique», une alliance régionale essentiellement orientée contre les Kurdes. Si, au début, les cibles principales envisagées lors de ces discussions étaient le PKK et le PYD au Rojava, considéré comme un simple avatar du précédent, la proximité grandissante du référendum d’indépendance qui doit se tenir le 25 septembre au Kurdistan d’Irak a amené un élargissement incluant dans la liste les Kurdes d’Irak. De son côté, l’Iran craint que le Kurdistan d’Irak ne puisse servir de base à des attaques contre son territoire. C’est officiellement dans le cadre de l’accord tripartite sur la Syrie (Iran, Russie, Turquie) que le commandant des forces armées iraniennes, le général Mohammad Hossein Bagheri, s’est rendu à Ankara le 15 août pour une visite de trois jours. Mais cette première visite à un tel niveau depuis la Révolution islamique de 1979, au cours de laquelle Bagheri a été reçu par le président Erdoğan, a été suivie de l’annonce par ce dernier une semaine plus tard le 21 d’une possible action conjointe turco-iranienne contre les rebelles kurdes au Kurdistan d’Irak… Un journal turc a même annoncé que Téhéran avait proposé une attaque commune. Mais l’agence iranienne ISNA a publié dès le 22 un communiqué du commandement régional des forces terrestres des Gardiens de la révolution démentant «toute préparation pour une action hors des frontières iraniennes» – le document déclare en même temps que les Gardiens confronteront tout groupe cherchant à pénétrer sur le territoire de l’Iran. Deux jours plus tard, le 23, le ministre des Affaires étrangères turc Mevlut Çavuşoğlu a rencontré à Bagdad son homologue irakien Ibrahim al-Jaafari. Lors de la conférence de presse commune ayant suivi, il a déclaré que les deux pays coopéreraient dans leur lutte contre le PKK, qui constitue selon les termes de Çavuşoğlu «une menace pour l’unité du territoire irakien».
Par ailleurs, une opération manquée des services de renseignement turcs (le MIT) au Kurdistan d’Irak a envenimé les relations entre la Turquie et l’Union Patriotique du Kurdistan (UPK, le parti de l’ancien président irakien Jalal Talabani), menant à l’expulsion le 23 du représentant de ce parti à Ankara. Selon la chaîne kurde d’Irak NRT, il semble que deux agents du MIT, arrivés à l’aéroport de Suleimaniyeh sans avoir informé de leur présence les autorités de la province, gérée par l’UPK, peut-être chargés d’éliminer un haut responsable du PKK, aient été capturés par ce parti à Dokan et emmenés à Qandil… Le PKK a confirmé le 28 avoir «arrêté» 2 agents du MIT turc à Suleimaniyeh… L’UPK, requise par la Turquie d’aider à la libération de ses agents, a accepté de servir d’intermédiaire tout en ajoutant que la Turquie n’avait aucun droit de conduire une telle opération sur son territoire…
Au Kurdistan de Turquie, les violences entre militaires turcs et guérilla kurde du PKK se sont poursuivies. Le 1er du mois, 2 soldats turcs ont été tués dans la province de Diyarbakir par l’explosion d’une bombe au passage de leur véhicule. A Tunceli, au Dersim, 3 combattants kurdes ont été tués après avoir été repérés par un drone. Le 7, une bombe a explosé près de Batifa, dans le district de Zakho au Kurdistan d’Irak, au passage d’un convoi militaire turc, blessant trois militaires. Le 11 au matin, des bombardements turcs sur la région de Bradost, au Kurdistan irakien, ont provoqué un incendie, de même le lendemain au pied des montagnes de Qandil. Le 13, 2 soldats ont été tués dans la province de Batman dans une attaque à la bombe sur leur véhicule. Enfin, le 24, deux villages de la région d’Aqre, au Kurdistan d’Irak, à 120 km au sud-est de Dohouk, ont été bombardés. Le 31, une explosion qui s’est produite à Izmir au passage d’un bus transportant des gardiens de prison a fait 7 blessés. Probablement due à une bombe placée dans une poubelle, elle pourrait résulter d’une attaque terroriste, mais n’a pas été revendiquée.
Après la reprise de Mossoul, l’objectif suivant des militaires irakiens était Tell Afar, à 80 km à l’ouest, où seraient encerclés 1.500 à 2.000 djihadistes, et que l’aviation a bombardé régulièrement en préparation de l’offensive au sol. Celle-ci a été ordonnée tôt le 20 par le Premier ministre Abadi, et dès le 21, l’armée irakienne a annoncé avoir repris plusieurs villages. Les Hashd al-Shaabi, milices principalement chiites, qui s’étaient tenues à l’écart de Mossoul, ville sunnite, sont en première ligne pour Tell Afar, ville principalement turkmène et chiite. Le 26, les Irakiens ont hissé leur drapeau sur la citadelle de la ville, et ont annoncé le lendemain contrôler celle-ci presque totalement, bien que des combats se poursuivent alentours. Le 29, les pechmergas ont annoncé avoir tué en 3 jours 130 djihadistes tentant de fuir en Syrie. Les djihadistes poursuivent cependant la lutte: indiquant peut-être de quoi sera fait l’avenir, une femme s’est fait exploser dans une école de village hébergeant des personnes déplacées, faisant plusieurs victimes civiles et 3 morts et 2 blessés parmi les pechmergas gardant les lieux. Abadi a finalement annoncé le 31 la «libération complète» de la ville, consacrant du même coup la reprise de toute la province de Ninive – la première prise par les djihadistes en 2014. Daech ne conserve donc plus en Irak qu’Hawija et quelques zones frontalières de la Syrie.
Le ministre de l’Intérieur du Gouvernement régional du Kurdistan (GRK), Karim Sinjari, avait bien rappelé le 7 que la lutte contre Daech était «loin d’être terminée», en raison notamment de la présence de cellules dormantes, ainsi que de djihadistes infiltrés dans les camps de déplacés du Kurdistan, où 1.700 suspects ont déjà été arrêtés. A Kirkouk, la Sécurité de la ville a annoncé le 21 que 200 suspects avaient été arrêtés depuis un mois. Enfin, selon plusieurs rapports, des djihadistes ayant fui Mossoul se sont réinstallés aux Monts Hamrin, au sud de Kirkouk, entre Tikrit et Touz Khourmatou, où ils sont venus épauler ceux tenant Hawija à l’ouest, qui lancent des attaques régulières vers le district de Daquq, majoritairement peuplé de Kurdes de confession kakaï. Dans la nuit du 3, deux pechmergas ont été tués et 2 blessés, et 3 autres ont été tués et 7 blessés dans la nuit du 11 en repoussant des attaques. L’après-midi du 13, les pechmergas ont repoussé une autre attaque sur Daquq, et le 15, 5 membres d’une famille arabe ont été tués près de Touz Khourmatou. Le 15 dans la nuit, une nouvelle attaque repoussée sur le village de Zarga, aussi près de Touz Khourmatou, a tué 3 pechmergas, et le 21, 2 pechmergas ont été blessés dans leur véhicule par une bombe. Dans la nuit du 24, les pechmergas ont combattu plusieurs heures pour repousser une forte attaque sur Daquq, et le 29, plusieurs autres assauts sur Zarga. Le 26, un pechmerga a été tué et 5 autres blessés à l’ouest de Kirkouk par l’explosion d’une bombe au passage de leur véhicule. Enfin, le 16, plus à l’est, dans la province de Diyala, à la frontière iranienne, après que Daech ait bombardé plusieurs tours de transmission d’électricité et tué des civils avec des bombes improvisées, les pechmergas ont avec l’assistance des Asayish de Germyan lancé une opération dans le district de Jalawla.
La menace djihadiste perdant de son ampleur territoriale, les différends opposant GRK et Gouvernement central reviennent au-devant de la scène, d’autant qu’ils s’accroissent avec l’approche du référendum d’indépendance, que ses partisans, regroupés derrière Massoud Barzani, maintiennent fixé au 25 septembre comme décidé le 7 juin dernier par cinq partis kurdes. Ainsi, répondant le 4 au Secrétaire général de la Ligue arabe, Ahmed Aboul Gheit, qui lui demandait de revenir sur cette décision, Massoud Barzani a déclaré que [les Kurdes d’Irak] étaient arrivés à la conclusion qu’ils n’étaient «ni les bienvenus ni acceptés comme citoyens et réels partenaires», et que c’était l’attitude de Bagdad qui les avait poussés à organiser ce référendum. D’autres oppositions à la consultation n’ont cessé de se manifester, régionalement comme internationalement, évoquant l’image d’une véritable «coordination anti-Kurdes»: le 9, l’Iran a menacé de fermer sa frontière et de cesser son soutien aux pechmergas contre Daech, le 11, le Secrétaire d’État américain Rex Tillerson a demandé à Massoud Barzani de reporter une consultation «risquant de nuire à la lutte contre Daech», une demande réitérée par le Secrétaire à la Défense James Mattis le 23. La sensation de «coordination anti-Kurdes» a été renforcée du fait que Mattis, qui venait de Bagdad où il avait rencontré Abadi, s’est ensuite rendu à Ankara pour rencontrer le ministre turc de la Défense puis le président Erdoğan… La Turquie a aussi exprimé de manière répétée son opposition au référendum: le 15, son vice-premier ministre Bekir Bozdağ a déclaré qu’il violait la Constitution irakienne et risquait de contribuer à l’instabilité régionale, tandis que le ministre des Affaires étrangères Mevlut Çavuşoğlu déclarait craindre une guerre civile. Enfin, fait exceptionnel depuis la Révolution islamique de 1979, de hauts responsables iraniens ont visité Ankara à plusieurs reprises ce mois-ci, et durant l’une de ces visites, le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères a exprimé son «soutien à l’intégrité territoriale de l’Irak», ajoutant que les décisions unilatérales menées hors de la Constitution irakienne ne peuvent que «créer de nouveaux problèmes»… Çavuşoğlu s’est également rendu à Bagdad le 23 avant de réitérer son opposition le lendemain à Erbil – même s’il a pris soin de séparer le politique des relations commerciales fructueuses que la Turquie entretient avec le Kurdistan irakien, excluant tout blocus turc. Le leader du parti ultranationaliste turc MHP, lui, n’a pas pris de telles précautions: Devlet Bahceli a déclaré le 23 que la Turquie devait «prendre position […] contre les préparatifs de Barzani pour un référendum d’indépendance incorporant les villes turkmènes», ajoutant que «si nécessaire, la Turquie devrait considérer ce référendum comme une cause de guerre». Enfin, deux ministres français, Défense (Jean-Yves Le Drian), et Affaires étrangères (Florence Parly), arrivés de Bagdad à Erbil le 27, ont exprimé leur «préférence pour un Kurdistan autonome demeurant au sein d’un État irakien».
La position d’Ismail Beşikçi tranche sur les autres. Interviewé en Allemagne par Rûdaw, le sociologue turc, qui a payé de 17 ans de prison ses travaux sur les Kurdes, a déclaré que non seulement le moment pour que le Kurdistan demande son indépendance était venu, mais qu’il était même bien tard…
Aux demandes américaines, Barzani a répondu que «toute demande de report du référendum devrait être accompagnée d’une proposition alternative plus forte que celui-ci», et qu’en l’absence d’une telle proposition, le référendum ne saurait être reporté… Dans une interview à Al-Shark al-Awsat publiée le 30, il a déclaré qu’un report du référendum d’un an au 25 septembre 2018 était envisageable… si le gouvernement irakien et la communauté internationale (les États-Unis, la coalition internationale, l'Union européenne, l’ONU) garantissaient que ses résultats seraient alors acceptés – une position proche de celle exprimée le 3 par Molla Bakhtyar, Secrétaire du bureau politique de l’UPK: le Kurdistan pourrait accepter une «alternative» au référendum… si les Kurdes obtenaient des garanties régionales et internationales que leurs droits seraient respectés dans un nouvel accord avec l’Irak.
Le 30 juillet, Bakhtyar avait aussi brandi en cas d’échec du référendum la menace d’une demande par les Kurdes de la mise en œuvre de «l’article 140». Cet article de la Constitution de 2005 prévoyait un référendum en 2007 dans les territoires disputés entre Bagdad et Erbil pour que les populations concernées puissent décider elles-mêmes de leur sort. Dix ans après, on attend toujours son organisation, et cet article n’est pas le seul non respecté: le 14, une délégation du Haut comité du référendum a amené à Bagdad une liste de 50 articles non respectés par le gouvernement irakien. Certains concernent justement la gouvernance économique des territoires disputés: le 2, après la conclusion d’un accord Iran-Irak sur la construction d'un pipeline de Kirkouk vers l'Iran, Rebwar Talabani, président du Conseil provincial de Kirkouk, a relevé que celui-ci, négocié sans participation de la province, ne respectait pas l’article 112 de la constitution, qui stipule que «ce qui relève de la politique, de l’administration ou de la gestion du pétrole sur le territoire d'une province productrice doit être décidé en coordination [avec celle-ci]». Mais ceux dénonçant le référendum kurde comme anticonstitutionnel ne s’émeuvent guère des violations du gouvernement central…
Les «territoires disputés» au sud de la Région du Kurdistan, contrôlés par les pechmergas depuis la fuite de l’armée irakienne devant Daech en 2014, constituent le grand point de désaccord. Bagdad demande leur restitution, le GRK répond que les pechmergas ne quitteront pas une terre pour laquelle ils ont donné 2000 martyrs, et a décidé d’y tenir également le référendum. Le 9, la commission électorale du Kurdistan a annoncé qu’elle ouvrirait des bureaux de vote à Mossoul et à Kirkouk… «partout où se trouvent des pechmergas», et le 29, à la demande du gouverneur de Kirkouk, le Conseil provincial, dans une session boycottée par les représentants turkmènes et arabes, a voté en ce sens: le 25, les habitants se prononceront sur l’indépendance du Kurdistan, puis un autre référendum, conforme à celui mentionné dans l’article 140, leur permettra de décider s’ils veulent rejoindre celui-ci.
Le débat sur le référendum a également été vif à l’intérieur de la Région du Kurdistan. Le mouvement du Changement (Gorran) est demeuré sur sa ligne demandant la réactivation du parlement du Kurdistan dans les mêmes conditions qu’au moment de sa fermeture en août 2015 (ce que Gorran appelle «normalisation» et non «réactivation») comme préalable à sa participation au référendum, qualifiant celui-ci d’illégal s’il ne faisait pas l’objet d’une loi votée selon les règles. Le 12, Gorran a appelé à retarder la consultation jusqu’à ce qu’elle puisse être organisée «dans des conditions correctes» et que le Parlement ait pu aussi discuter du mode de désignation du président de la Région (point principal de désaccord entre Gorran et le PDK). Une réunion de plus de 5 h entre PDK et Gorran tenue le 21 à Suleimaniyeh n’a pas permis d’arriver à un accord. Le 24, le Bureau politique de l’UPK a réitéré son insistance pour que le parlement soit réactivé avant le référendum et annoncé une nouvelle rencontre avec Gorran. Certains au Kurdistan ont demandé un report par crainte de ses conséquences, comme le ministre de l’agriculture Abdul Sitar Majid, inquiet d’une pénurie et d’une importante augmentation des prix des denrées agricoles. D’autres analysent la consultation comme une manière de mettre de côté les problèmes politiques internes, comme le millionnaire fondateur et propriétaire de la chaîne de télévision NRT, Shaswar Abdulwahid. Abdulwahid a lancé le 5 une campagne «Non pour l’instant» (Nexêr le êsta da), avant d’annoncer le 8 la création d’un mouvement du même nom appelant au report du vote, puis celle d’un canal de télévision satellitaire sur NileSat, qui a commencé à émettre le 20 au soir – l’UPK a exclu l’un de ses députés, Farhad Sangawi, qui avait rejoint ce mouvement.
Malgré ce contexte pour le moins tendu, les analystes s’accordent à prévoir une victoire massive du «Oui» si le référendum se tient comme annoncé, d’autant que les délégations kurdes récemment venues négocier à Bagdad n’ont obtenu aucune avancée. Le 15, Shakhawan Abdullah, vice-président du bloc PDK au parlement irakien, a même annoncé que son parti ne nommerait aucun ministre sur les postes réservés pour lui au gouvernement central: «Cela ne sert à rien», a-t-il expliqué, «Les salaires ont été coupés au Kurdistan alors que le ministre des Finances était un Kurde. Le chef d’état-major était aussi un Kurde, et les pechmergas n’avaient ni salaires ni armes…».
Le 3 août, les Yézidis ont marqué le troisième anniversaire de l’attaque de Daech sur le Sindjar. Avant celle-ci, il y avait environ 400.000 yézidis au Sindjar. Environ 3.100 ont été tués et 6.800 enlevés pour devenir des combattants ou des esclaves sexuelles. Des milliers d’hommes capturés ont été assassinés. Quelques centaines de familles sont revenues au Sindjar, mais nombreux sont ceux qui ne sont pas rentrés en raison de l’absence de services de santé et d’éducation, voire par peur du retour des djihadistes ou du fait que l’idéologie des djihadistes est encore présente parmi leurs voisins arabes. 3.400 femmes et enfants restent en captivité. 200.000 se trouvent au Kurdistan d’Irak, souvent dans des camps, ou en Syrie. Selon le chef du bureau du maire de la ville de Sindjar, un millier de familles sont revenues. Certains yézidis blâment pour l’invasion de Daech le gouvernement irakien de l’époque, dirigé par Nouri al-Maliki, dont la politique sectaire a mené à la chute de Mossoul. D’autres reprochent aux pechmergas kurdes d’avoir fui en les abandonnant (un rapport non publié du GRK établi en 2015 ferait état de la fuite de 18.000 pechmergas devant Daech juste avant l’attaque sur le Sindjar). Beaucoup déclarent maintenant ne pas faire confiance aux Asayish kurdes présents dans la zone et demandent une protection internationale.
Le même jour, la Commission d’enquête des Nations-Unies sur la Syrie a déclaré que le génocide de Daech contre les Yézidis se poursuivait, les femmes capturées étant encore quotidiennement violées et les enfants battus, tandis que les États manquent à leurs obligations d’empêcher et de punir ces crimes. Les familles de personnes encore aux mains de Daech s’inquiètent du sort de leurs proches: quand Tell Afar a été en partie libéré de l’emprise des djihadistes, seuls 7 Yézidis ont été sauvés, alors qu’on estimait le nombre de prisonniers en ville à plutôt 500, dont beaucoup de femmes et d’enfants. Un membre du bureau du GRK chargé de localiser et d’«exfiltrer» les Yézidis réduits en esclavage par Daech a déclaré craindre que le groupe extrémiste n’ait transféré ses prisonniers en Syrie; certains défenseurs des droits des Yézidis pensent que certains pourraient se trouver en Turquie.
Sur une note moins triste, il a été annoncé en fin de mois qu’un projet commun entre plusieurs agences de l’ONU et la République Fédérale d’Allemagne avait permis de réhabiliter 562 maisons dans 11 villages du sous-district de Sinunî au nord du mont Sindjar. Des centaines de familles yézidies ont reçu le 26 les titres de propriété de leurs nouvelles maisons lors d’une cérémonie co-organisée par ONU-Habitat, le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) et le gouvernement allemand. Autre événement à mentionner, un film sur les souffrances infligées par Daech aux Yézidis du Sindjar, Under Black, de la metteuse en scène kurde Shîrîn Cîhanî, a été présenté durant le 13e festival AOF (Action on Film), qui s’est tenu aux États-Unis du 17 au 26 août. Under Black, dont le titre fait allusion au drapeau noir de l’organisation djihadiste Daech, avait été d’abord présenté dans la Région du Kurdistan le 8 mars dernier, à l’occasion de la Journée des Femmes.