Le 5 septembre, a débuté la campagne officielle pour le référendum d’autodétermination du 25. Ce même jour, 58 organisations de la diaspora kurde ont lancé depuis Bruxelles un appel pour que la communauté internationale reconnaisse ses résultats, rappelant que «le droit à l’autodétermination des peuples est inscrit dans la Charte des nations Unies». Le 10, le Haut comité pour le référendum a réaffirmé sa tenue à la date prévue et annoncé la prochaine réactivation du parlement d’Erbil, suite à l’accord «en sept points» obtenu entre PDK et UPK: réactivation du parlement, fin des réductions de salaire des fonctionnaires, modification de la loi sur la Présidence, adoption de la nouvelle constitution pour le Kurdistan, adoption d’une loi permettant la représentation des territoires contestés au Parlement kurde. Le 12, le parlement a annoncé que la session de réactivation se tiendrait le 15 à 19 h. Le même jour, dans une session immédiatement quittée en protestation par les députés kurdes, le parlement de Bagdad a voté contre le référendum, et a le lendemain, à l'appel du Premier ministre, dans une séance de nouveau boycottée par les députés kurdes, démis le gouverneur kurde de Kirkouk, Najmaddine Karim, qui avait soutenu l’organisation du référendum dans sa province. Karim a dénié toute légitimité à cette décision, déclarant qu’il tenait sa fonction du Conseil provincial et des citoyens qui l’avaient élu et non du gouvernement central, qui n’a aucun pouvoir constitutionnel pour le démettre.
Le 15, le Parlement d’Erbil, réuni en session exceptionnelle après 2 ans de non-fonctionnement, a voté l’organisation du référendum par 65 voix sur les 68 parlementaires présents. Le parti Gorran (24 députés), avait refusé de participer, de même que Jamaa islamiya (6 députés), proche de l’Iran. Après ce vote, la Maison Blanche a redemandé l’annulation du référendum, qualifié de «provocateur» au profit d’un «dialogue sérieux» avec Bagdad. Le 16, l'émissaire des Nations Unies en Irak, Jan Kubis, a déclaré à l’AFP avoir proposé par écrit à Massoud Barzani, en contrepartie de l’ajournement du référendum, la médiation des Nations Unies dans des négociations sans préalable avec Bagdad sur 3 ans, l’ONU s’engageant également à ce que le Conseil de sécurité demeure saisi sur la suite donnée au dossier. Le 17, l’ancien Premier ministre irakien Nouri al-Maliki, reprenant mot pour mot les termes utilisés en leur temps par les membres du parti Ba’th de Saddam Hussein, déclarait: «Nous ne permettrons pas la création d'un second Israël au nord de l'Irak»… En contraste, l’ancien ministre français des Affaires étrangères Bernard Kouchner a soutenu le référendum sur TV5 Monde: «Tout le monde profite des Kurdes, mais on ne veut pas qu'ils soient indépendants. Quand même, c'est d'un cynisme invraisemblable!», ajoutant: «Il n'y a pas de bon moment pour choisir l'indépendance, il n'y a jamais de bon moment et tout le monde refuse d'avance. […] Laissons-les décider pour eux-mêmes!»
Le 18, l’armée turque a annoncé des manœuvres à la frontière irakienne, et le président turc a annoncé qu’il discuterait [du référendum] avec le Premier ministre irakien durant l'Assemblée générale de l'ONU à New York. La Cour fédérale suprême irakienne, saisie notamment par des députés chiites et turkmènes de Kirkouk, et suite à une requête en inconstitutionnalité du Premier ministre, a ordonné la suspension du référendum jusqu'à ce qu'elle puisse examiner sa constitutionnalité. Le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian s’est déclaré depuis New York en faveur d’un dialogue entre Erbil et Bagdad, précisant que «les éléments très importants sur l’autonomie» présents dans la Constitution irakienne [devaient] être respectés, validés et sécurisés» et ajoutant que «toute autre initiative» (incluant le référendum) lui semblait «inopportune». Ce même jour, un incident s’est produit à Kirkouk, des miliciens turkmènes d’un parti soutenu par la Turquie ayant ouvert le feu sur un groupe de jeunes Kurdes soutenant le référendum, faisant un tué et 5 blessés. Le 21, en marge de l'Assemblée générale des Nations Unies, les diplomates irakiens, iraniens et turcs ont tenu une réunion durant laquelle ils ont réitéré leur «opposition sans équivoque au référendum» et ont menacé le Kurdistan de «mesures de rétorsion coordonnées». Le 22, le Président Massoud Barzani, multipliant les meetings, a confirmé ne pas vouloir céder aux pressions, et avoir rejeté le 21 une proposition du président irakien, le Kurde Fouad Massoum, reprenant l’offre de l’ONU de «négociations sans conditions préalables», au travers d'un «Haut comité» présidé par le chef de l'État et comprenant les Premiers ministres d'Irak et du Kurdistan ainsi que le président du Parlement irakien. Le 23, Mollah Bakhtiar, membre du bureau politique de l'UPK, a déclaré que ce parti avait informé Massoud Barzani et le PDK qu’il estimait cette proposition «acceptable».
Le 23, le Parlement turc a adopté en session extraordinaire retransmise à la télévision la prolongation du mandat autorisant l'armée à intervenir en Irak et en Syrie, justifiant cette mesure les menaces contre «la sécurité nationale» turque constituées entre autres par les «projets séparatistes illégitimes» en Irak et les activités des milices kurdes YPG en Syrie. Les 3 principaux partis politiques turcs, AKP (au pouvoir), CHP (kémalistes, opposition) et MHP (ultranationalistes, alliés de fait de l’AKP) ont approuvé la motion, rejetée par le parti «pro-kurde» HDP. Le 24, l’agence iranienne officielle IRNA a annoncé qu’à la demande de Bagdad, l’Iran avait mis fin à tous les vols aériens avec le Kurdistan irakien.
C’est dans ce contexte régional tendu que le référendum sur l’indépendance s’est tenu dans les trois gouvernorats de la Région du Kurdistan (Erbil, Suleimaniyeh et Duhok) et dans les territoires du Kurdistan irakien administrativement situés hors de cette région où des conseils provinciaux ou municipaux s’étaient prononcés en faveur de la tenue de cette consultation. Déterminés à faire entendre leur voix malgré l’inquiétude légitime causée par les énormes pressions internationales et régionales, les Kurdes se sont rendus en masse aux bureaux de vote des trois capitales provinciales ainsi que dans les quartiers kurdes de Kirkouk – où les électeurs ont voté en arborant des drapeaux, au son de la musique et de tirs de joie. Dans les territoires dits disputés, situés hors de la Région du Kurdistan, la mobilisation des Kurdes a été massive. Environ, un tiers des électeurs arabes et turkmènes de ces territoires ont également participé au vote malgré les appels au boycott de certains partis de leur communauté. Enfin, rappelons que dans certaines localités arabes de la province de Kirkouk, comme Hawija, 70.000 habitants, le scrutin n’a pas été organisé et cela a eu une incidence significative sur le taux de participation. La diaspora kurde irakienne a également participé au scrutin par vote électronique. Sur 98.000 votes, près de 12.000 ont été invalidés en raison de pièces justificatives (carte d’identité, passeport) non conformes ou expirées. Le score de «Oui» parmi les électeurs de la diaspora a atteint 99,13%.
On ne peut que relever le contraste entre le ton quasi-hystérique des réactions qu’a provoquées le référendum et le calme et l’organisation dans lequel il s’est déroulé. Après plus de trois mois de préparatifs techniques, la Haute Commission électorale du Kurdistan avait recruté environ 60.000 agents temporaires pour assurer son bon déroulement. Les listes électorales étaient affichées à l’entrée des bureaux de vote et consultables par tous. Les électeurs dont le nom figurait sur la liste se présentaient au bureau de vote correspondant à l’ordre alphabétique de leur nom, présentaient leur pièce d’identité, signaient la case correspondante du registre électoral, recevaient un bulletin de vote et une enveloppe, se rendaient dans l’isoloir pour faire leur choix et venaient déposer leur bulletin dans l’urne avant de tremper leur index dans un encrier contenant une encre indélébile afin d’éviter des votes multiples. Des scrutateurs représentant des partis politiques étaient présents dans tous les bureaux de vote. Le bulletin de vote, rédigé en quatre langues usitées au Kurdistan (kurde, araméen, arabe et turkmène), était ainsi libellé : « Voulez-vous que la Région du Kurdistan et les territoires du Kurdistan situés en dehors de cette Région deviennent un État indépendant? »
Après dépouillement des votes et examen des litiges éventuels, la Commission a rendu publics les résultats officiels au cours d’une conférence de presse le mercredi 27 septembre à 17h, en présence de tous ses membres, de très nombreux journalistes et observateurs internationaux.
Voici les résultats officiels du référendum :
Inscrits : 4.581.248
Votants: 3.305.925
Taux de participation: 72,16%
Votes blancs: 40.011
Votes invalides et annulés: 179.979
Votes valides: 3.085.935
«Oui» à l’indépendance: 2.861.471 (92,73 %)
«Non» à l’indépendance: 224.464 (7,25 %)
La campagne référendaire où les partisans du «Oui» et du «Non» ont pu s’exprimer en toute liberté, organiser des meetings et des rassemblements n’a donné lieu à aucun incident, aucune violence, et cela dans un pays encore en guerre contre Daech. Les observateurs internationaux dont les anciens ministres des Affaires étrangères de France et de Croatie, l’ancien vice-Premier Ministre de Géorgie, l’ancien ministre de la Sécurité publique du Québec, des députés, des universitaires, d’anciens ambassadeurs et des représentants d’ONG, ont donné une Conférence de presse au siège de la Haute Commission électorale pour témoigner de la régularité et de la sincérité du scrutin et du processus référendaire – une position contredisant clairement les déclarations du secrétaire d'État américain Rex Tillerson, qui, sans avoir assisté au scrutin, a déclaré le 29 que «le vote et les résultats [manquaient] de légitimité»…
Dès la publication des résultats, le parti «pro-kurde» HDP en Turquie a déclaré dans un communiqué qu’il considérait au contraire le référendum et ses résultats comme «légitimes»: «Bien qu'il ait suscité divers débats et ait été critiqué pour ses méthodes de prise de décision, de préparation et de mise en œuvre, ce référendum s'est déroulé de manière transparente et sur la base de principes participatifs. Nous percevons comme légitime, et aussi comme la manifestation de la volonté du peuple, [son] résultat officiel proclamé […] et saluons ce résultat. Nous félicitons par le présent communiqué la population, les partis politiques et les organes administratifs du Gouvernement régional du Kurdistan qui ont déployé de grands efforts pour organiser ce référendum».
Tandis que se déroulait le vote, les pressions continuaient de s’accentuer: quelques heures après l’ouverture des bureaux, les députés arabes du Parlement de Bagdad, en l'absence de leurs collègues kurdes, ont voté un texte exigeant l'envoi de l'armée dans les zones disputées; en Turquie, l’Autorité des médias RTÜK a tenté d’empêcher la diffusion d’informations sur le vote en interdisant la diffusion des 3 chaînes kurdes d’Irak Rûdaw, Waar et Kurdistan-24. Le HDP a critiqué cette décision «politique», prise par les seuls représentants au RTÜK de l’AKP et du MHP… Le lendemain 26 septembre, tandis que le Département d’État américain de déclarait «profondément déçu», des soldats irakiens participaient avec l’armée turque à des exercices militaires près de Silopi, à la frontière avec le Kurdistan. Puis le gouvernement irakien a lancé un ultimatum au Kurdistan, exigeant la remise sous 3 jours du contrôle de ses deux aéroports, Erbil et Souleimaniyeh, et menaçant autrement d’interdire tous les vols internationaux. Le 27, le Premier ministre irakien a posé comme condition à toute négociation avec le Kurdistan l'annulation des résultats du référendum, tandis que le Parlement de Bagdad votait la fermeture des postes-frontières non contrôlés par le gouvernement central, considérant dès lors toutes les marchandises y transitant «comme de la contrebande». Le lendemain, l’Irak a annoncé la suspension à partir de vendredi 29 à 18 h de tous les vols internationaux en provenance de et vers le Kurdistan. De nombreux étrangers, arrivés au Kurdistan directement et ne disposant donc pas de visas irakiens, ont commencé à rechercher des vols pour partir avant l’arrêt des vols. Le 30, l’Iran a fermé ses frontières au transport de produits pétroliers depuis et vers le Kurdistan et a annoncé des manœuvres militaires communes avec l’Irak, face aux postes-frontières tenus par les pechmergas.
Toujours le 30, le parlement d’Erbil, après une session de plus de six heures, a rejeté toutes les mesures punitives de Bagdad, appelant la communauté internationale comme les pays voisins à «respecter la décision du peuple du Kurdistan d’Irak».
Le 1er septembre, Talal Sello, porte-parole de l’alliance kurdo-arabe des Forces démocratiques syriennes (FDS), soutenues par la coalition anti-Daech dirigée par les États-Unis, a annoncé que celles-ci se trouvaient près du centre ville de Raqqa et des centres de commandement de Daech et contrôlaient à présent «la totalité de la vieille ville». Entrées en ville le 6 juin, les FDS avaient annoncé le 27 août avoir libéré 15 quartiers de la ville et en contrôler environ 60 %, un millier de djihadistes menant toujours des combats acharnés dans le centre ville et plusieurs quartiers nord où selon l’ONU 25.000 civils étaient pris au piège. Le 14 septembre, l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme (OSDH) a annoncé que les FDS contrôlaient à présent plus des deux-tiers de Raqqa, estimant le nombre des djihadistes restants seulement à quelques centaines, ce qui laissait prévoir une issue prochaine. Le 30, alors que la presque totalité de la ville avait été reconquise, les derniers djihadistes s’étaient retranchés dans un réduit du centre-ville comprenant le principal hôpital et le stade. Mais Daech conservait encore une importante capacité de nuisance, sans doute grâce à ses cellules dormantes et aux tunnels qu’il avait creusés en ville: une trentaine de djihadistes, portant des uniformes des YPG, ont réussi à s’infiltrer dans Mechleb, un quartier périphérique parmi les premiers reconquis en juin par les FDS et supposé sécurisé, et y ont mené une attaque meurtrière contre un centre de médias. Les affrontements ont duré plusieurs heures et ont fait deux morts parmi les FDS…
Dans la province de Deir Ezzor, à l’est du pays, la dernière contrôlée par Daech en Syrie, la situation demeure complexe. Sa capitale, la ville du même nom, est en partie tenue par une garnison syrienne qui y est encerclée et assiégée par les djihadistes depuis plus de deux ans. La ville de Deir Ezzor est maintenant visée par deux offensives séparées: avançant par le sud-ouest, les troupes de Damas, soutenues par la Russie, cherchent à briser le siège djihadiste, tandis que les FDS, soutenues par la coalition internationale, s’approchent par le nord. Le 5, l'armée syrienne a remporté une importante victoire en parvenant enfin à briser le siège de la ville, mais Daech a conservé le contrôle d’environ la moitié de celle-ci, avec selon l’ONU 90.000 civils pris au piège. Tandis que les combats se poursuivaient, Ahmad Abou Khawla, chef du Conseil militaire de Deir Ezzor, affilié aux FDS, a annoncé le 9 le lancement d’une offensive pour reprendre à Daech le sud de la province de Hassaké et l’est de celle de Deir Ezzor. Il a indiqué que l’opération, lancée depuis la province voisine de Hassaké, contrôlée en majorité par les FDS, se faisait dans le cadre de la coalition internationale et avec le soutien américain, sans coordination avec l’armée syrienne ni la Russie. Cette situation n’a pas tardé à poser des problèmes, et les tensions sont rapidement montées entre les deux forces: le 16, les FDS ont accusé les aviations russe et syrienne d'avoir bombardé leurs combattants dans la province de Deir Ezzor, une accusation rejetée par le porte-parole de l’état-major russe Igor Konashenkov, qui a répondu qu’il n’y avait aucune raison pour que l’aviation russe agisse de la sorte. Il semble bien cependant que les avions de combat russes aient frappé les positions des FDS, peut-être pour arrêter leur progression et donner une avance aux forces de Damas. Qui tiendra Deir Ezzor emportera un avantage décisif dans l’est du pays pour la suite… Les FDS ont publié une déclaration selon laquelle: «Le samedi 16 septembre 2017 à 03h00, nos forces sur la rive orientale de l'Euphrate ont été exposées à une attaque par les avions de guerre du régime syrien et russes qui […] ont blessé 6 de nos combattants», dénonçant ces attaques et demandant leur arrêt. Le 21, Moscou a à son tour accusé les FDS d’avoir ouvert le feu à 2 reprises sur les troupes du régime la semaine précédente et a menacé de riposter si cela se reproduisait. Le 25, après que les FDS aient annoncé la prise de l’usine et du champ gazier de Conoco, une importante ressource économique qui produisait avant la guerre civile 13 millions de m³ de gaz par jour, Lilwa Abdallah, porte-parole de l’offensive des FDS sur Deir Ezzor, a déclaré à l’AFP que la Russie avait bombardé Conoco, tuant un combattant FDS et en blessant au moins six autres.
Par ailleurs, les tensions demeurent toujours vives avec la Turquie, au point que les militaires américains ont annoncé en début de mois avoir été directement attaqués fin août par des rebelles soutenus par la Turquie près de la ville de Manbij! Un responsable a déclaré que les troupes américaines avaient riposté, mais qu’il n'y avait eu aucune victime de part et d’autre: «Des incidents récents ont eu lieu dans des territoires contrôlés principalement par des combattants soutenus par la Turquie», a déclaré à CNN le porte-parole du Pentagone, Eric Pahon. «Nous discutons avec Ankara et d'autres forces pour gérer ce danger ». La Turquie vise toujours la région d’Afrin, considérée comme un «nid de terroristes», mais ses plans d’attaque ont semblé compromis après que, le 6, l'armée russe ait annoncé la création d'une zone dite de «désescalade» («déconfliction») dans la région de Tell Rifaat, au nord d’Alep. Les combattants kurdes des YPG présents dans cette zone ont cédé la place à des unités de la police militaire russe, qui ont installé le 7 un point d’observation à Afrin. Le déplaisir de la Turquie a été manifeste, le journal pro-gouvernemental Yeni Safak ayant titré le lendemain: «La Russie protège les terroristes du PKK»… Mais malgré les obstacles se dressant sur son chemin, M. Erdoğan n’a pas abandonné l’idée d’une attaque – ou tout au moins d’un encerclement – d’Afrin. Le 19, depuis New York, où il était présent pour l’Assemblée générale des Nations Unies, le président turc a réitéré devant Reuters sa volonté de déployer des troupes dans la province d’Idlib dans le cadre d’un accord de «désescalade» avec la Russie, qui devrait être finalisé avec le président russe lors de la prochaine visite de celui-ci à Ankara. «Selon cet accord, les Russes assureront la sécurité hors de la région d’Idlib, et les Turcs dans cette région», a-t-il précisé.
Sur le plan des affaires civiles, les élections se sont déroulées dans le calme le vendredi 22 dans la «Région fédérale du Nord syrien», autoproclamée par le CDS, émanation politique des FDS, et incluant les «Cantons» de Kobanê, Jézireh et Afrin, mais aussi celui de Shehba. Le 12, les autorités avaient annoncé la distribution de cartes d’électeurs par la Haute Commission électorale dans plusieurs zones, indiquant qu’environ 12.000 personnes s’étaient portées candidates dans près de 4.000 communes. Un attentat à la moto piégée dans la ville à majorité kurde de Qamichli (Qamichlo), qui a tué un enfant et blessé sept passants, et dont un porte-parole des Asaysh (Sécurité) de la ville a accusé une milice pro-régime, n’a pas perturbé durablement la préparation, bien qu’il se soit produit 4 jours seulement avant le scrutin. Ces élections, dites «communales», qui ont permis d’élire des comités dirigés par des co-présidents, un homme et une femme, représentent la première étape d’opérations électorales qui doivent en compter trois: le 3 novembre, un second vote permettra de désigner des «Conseils municipaux», échelon d’administration locale, puis, le 18 janvier, les habitants éliront pour chaque Canton un «Conseil législatif», ainsi qu'une «Assemblée législative» pour l’ensemble de la Région fédérale.
Pour Deir Ezzor, que les FDS espèrent prendre et gérer, la Conférence constituante du Conseil civil de la ville a selon l’agence ANHA élu deux co-présidents, Ghassan al-Yousef et Laila al-Hassan, et a décidé de la mise en place de 15 comités thématiques de 5 membres, 2 co-présidents et 3 suppléants, pour administrer les zones libérées de la ville. Les thèmes d’action concernent les services municipaux, les femmes, l’éducation…
Il est à noter que le 26, le ministre syrien des Affaires étrangères, Walid Mouallem, qui avait le même jour rejeté le référendum tenu la veille au Kurdistan irakien, a indiqué en soirée dans une interview à Russia Today, reprise par l'agence officielle Sana, que la question d’une «forme d'autonomie dans le cadre de la République arabe syrienne» pour les Kurdes syriens était négociable et [pouvait] faire l'objet d'un dialogue». Il s’agit d’un ton quelque peu nouveau pour un représentant d’un régime ayant précédemment qualifié ces élections de «farce».
Le 27, le PYD a tenu sa 7e conférence, au cours de laquelle deux nouveaux dirigeants ont été élus pour remplacer les co-présidents Salih Moslim et Asya Abdullah, dont les mandats se terminaient et qui ne se représentaient pas. Les deux nouveaux co-présidents, Şahoz Hesen et Ayşe Hisso, occuperont leurs postes jusqu'à la prochaine conférence du parti.
Déjà glaciales fin août, quand le ministre allemand de l'Intérieur déclarait: «Notre définition de la terreur est différente de celle de la Turquie. […] Nous ne considérons pas forcément un membre de l'opposition kurde comme un terroriste», les relations germano-turques semblent destinées à toujours empirer. Le 1er septembre, le magazine Spiegel a encore ajouté de l’huile sur le feu en révélant qu'un citoyen allemand d’origine turque, Mehmet Fatih Saylan, arrêté en décembre dernier, avait reconnu durant son interrogatoire devant la Cour fédérale de justice travailler pour le MIT (services de renseignements turcs). Sa tâche aurait été de surveiller les activistes kurdes, voire de coopérer à des projets d’assassinat contre des responsables kurdes, et très concrètement à la préparation d’une attaque contre Cem Özdemir, responsable du Parti vert, lui-même d’origine turque et très opposé au président Erdoğan. En contrepoint, les troupes allemandes stationnées sur la base turque d’Incirlik ont définitivement quitté celle-ci le 28 pour la Jordanie: la Turquie avait à plusieurs reprises refusé à des délégations parlementaires allemandes l’autorisation de visiter leurs propres troupes.
Mais c’est avec toute l’Europe que les relations sont difficiles: le 15, le Parlement européen a annoncé avoir nominé comme éventuels lauréats du prix Sakharov les deux co-présidents HDP emprisonnés, Selahattin Demirtaş et Figen Yuksekdağ. Le même jour, la Cour d’appel de Bruxelles, saisie à la fois par la Turquie et le parquet fédéral belge, a confirmé son jugement de non-lieu de novembre 2016 contre des militants kurdes accusés d’avoir recruté pour le PKK en Belgique. La Cour a motivé ce refus d’appliquer la législation antiterroriste par le fait que le PKK est engagé «dans un conflit armé contre l'État turc au sens du droit humanitaire international». Colère de la Turquie, dont le ministère des Affaires étrangères a déclaré qu’il s’agissait d’«un nouvel exemple du soutien accordé aux groupes terroristes qui s'attaquent à la sécurité de la Turquie».
Avec le système judiciaire des États-Unis non plus, les relations ne vont guère s’améliorer: alors que 15 d’entre eux font déjà l’objet de poursuites outre-Atlantique, les gardes du corps du président turc ont à nouveau attaqué des manifestants lors d'un événement à New York le 26: après sa participation à l'Assemblée générale des Nations Unies, M. Erdoğan s'est rendu à un rassemblement organisé par le Comité national turco-américain à New York. Là, comme en témoignent plusieurs vidéos postées sur les réseaux sociaux, sa sécurité a attaqué et frappé des militants américains venus exprimer leur opposition.
A l’intérieur du pays, la répression judiciaire se poursuit. Si le député et ex-porte-parole du HDP Ayhan Bilgen, accusé d’«appartenance à une organisation terroriste» pour avoir appelé en octobre 2014 à soutenir les combattants kurdes de Syrie contre Daech, a été remis en liberté provisoire le 8, quelques jours plus tard, le 11, un autre tribunal a décidé du maintien en détention de cinq membres de la rédaction du journal Cumhuriyet: accusés d’avoir visé le président Erdoğan par des «méthodes de guerre asymétrique», ils risquent jusqu’à 43 ans de prison… Le 12, le président du Parlement turc, Ismail Kahraman (AKP), a demandé la privation du statut de député de cinq parlementaires d'opposition, 3 HDP et 1 CHP.
Ce même jour, après Diyarbakir, Istanbul et Izmir, le HDP a tenu une «Veille pour la Conscience et la Justice» à Ankara, dans un parc près de la Cour constitutionnelle. Devant des représentants d'ONGs, membres et députés du HDP, le porte-parole du parti, Osman Baydemir, a critiqué comme autant de «mensonges» les poursuites engagées contre 11 députés, demandant pourquoi, alors que son co-président Selahattin Demirtaş est incarcéré depuis plus de 300 jours, il n’y a encore eu aucune audience…
Le 18, a commencé à Ankara le procès de Figen Yuksekdağ pour «direction d’une organisation terroriste», «propagande terroriste», «incitation à la violence» et «viol de la loi sur les manifestations et les rassemblements». L’accusée, qui risque 83 ans de prison, avait décidé de ne pas se présenter à l’audience pour dénoncer l’organisation inique du procès: la salle d’audience, située à 20 km du centre-ville, ne peut contenir que 20 personnes, et était fermée au public. Lors de l’audience précédente, en juillet dernier, marquée par une imposante présence policière armée, les observateurs internationaux avaient été interdits d’entrée ou harcelés par les forces de l’ordre. Cette fois encore, les journalistes, personnalités politiques et représentants consulaires venus d’Angleterre, de France, d’Italie, de Norvège, du Danemark ou du Canada ont dû attendre des heures en plein soleil avant de se voir refuser l’entrée…
Les affrontements entre militaires turcs et combattants du PKK se sont poursuivis durant tout le mois. Le 1er septembre, un drone militaire turc Bayraktar a tué 1 civil et en a blessé 3 autres près du village d'Oglu (Tale), dans la province de Hakkari. Les villageois blessés, dont 2 gravement, ont été emmenés à l'hôpital de Hakkari, mais selon plusieurs témoignages, les représentants de l’État se sont comportés de manière inacceptable avec la famille du villageois décédé, Mehmet Temel, 35 ans, père de 4 enfants. Celle-ci s’est d'abord vue refuser le transport du corps par l'hôpital et la municipalité, puis, une fois le corps transféré à Hakkari, le gouverneur, qui a accusé les villageois de soutenir le PKK, a empêché la tenue du service religieux, ordonnant la fermeture des mosquées et interdisant toute participation au personnel. Le 7, loin de présenter des excuses, le Ministre de l’intérieur Suleyman Soylu a au contraire menacé le député CHP et avocat Sezgin Tanrikulu, qui avait envoyé de nombreux tweets pour critiquer cette «bavure», l’accusant de «parler au nom du PKK»… Dans un article du 18, le journal en ligne al-Monitor remarque que le conflit opposant PKK et armée turque entre dans une nouvelle phase avec l’usage de plus en plus fréquent de drones. Le PKK a lui-même montré un intérêt grandissant pour cette technologie, utilisée fin août pour attaquer une base militaire. Au Rojava, le PYD a bénéficié de l’assistance américaine en la matière ; les militaires turcs ont rapporté 3 attaques de drones sur leurs positions à la frontière irakienne entre juin et août. Inversement, selon des sources sécuritaires, sur 2.000 militants du PKK «neutralisés» depuis septembre 2016, 600 l’ont été par des drones. Les forces de sécurité, MIT inclus, possèdent maintenant au moins 28 appareils, un nombre devant monter à 120 durant les 4 prochaines années. Aucun mécanisme opérationnel ou juridique de contrôle de leur usage n’étant prévu, al-Monitor avertit que si le théâtre des combats s’urbanisait de nouveau, ces nouvelles armes pourraient faire de nombreuses victimes civiles.
Le 3, selon le bureau du gouverneur, un soldat turc a été tué dans une attaque à la roquette du PKK dans la province de Hakkari. Le même jour, le PKK a revendiqué la mort de 28 militaires turcs durant la semaine précédente, dont 15 lors d’un seul raid nocturne sur un convoi militaire entre Cukurca et Hakkari, durant lequel un véhicule blindé a été détruit. Le 8, selon des communiqués des bureaux des gouverneurs des provinces concernées, un autre soldat a été tué dans des combats à Bingöl, ainsi qu’un militant du PKK à Bitlis dans une opération de la gendarmerie. Le 10, selon l’agence Doğan, un militaire a été blessé dans une attaque à la bombe à Lice (Diyarbakir), et le même jour, selon le bureau du gouverneur de Hakkari, le PKK a attaqué au mortier une zone militaire depuis le côté irakien de la frontière. Le ministère de l’Intérieur turc a de son côté revendiqué le 11 septembre avoir neutralisé en une semaine 57 militants du PKK. Des combats entre militants kurdes et militaires turcs se sont poursuivis dans la région frontalière de Hakkari durant toute la seconde moitié de septembre, avec notamment un nouveau raid nocturne le 25 contre un convoi militaire ayant mené à la mort de 12 soldats. L’armée de l’air turque a également mené des opérations dans le nord de l’Irak, effectuant le 23 des frappes sur des dépôts de munition du PKK, et aurait même transporté le 26 en hélicoptères Sikorski des troupes d’élite jusque dans la région de Barzan (al-Masdar News), s’étant ensuivi des affrontements ayant fait des morts dans les deux camps. Des sources militaires turques ont annoncé la neutralisation de 63 militants kurdes entre le 21 et le 27 dans des «opérations antiterroristes» effectuées dans les provinces kurdes de Turquie, puis le 29 la mort d’un soldat turc et trois autres soldats blessés dans le nord de l'Irak, sans précision sur le lieu exact.
L’État turc semble avoir aussi malheureusement déclaré la guerre aux villes kurdes, menant contre elles une politique délibérée de destruction; ainsi de Sur, quartier médiéval de Diyarbakir, inscrit en 2015 par l’UNESCO au patrimoine mondial. Lieu d’affrontements armés entre décembre 2015 et mars 2016, ce quartier a pourtant subi la plupart des destructions après la fin des combats. Depuis décembre 2015, le gouvernement a interdit l’accès aux responsables municipaux de la protection du patrimoine. En mars 2016, un décret d’urgence a confisqué 82 % des bâtiments de la vieille ville. 2.000 bâtiments ont été détruits, 20.000 habitants déplacés de force. De nouveaux immeubles ont été construits et vendus fort cher, dans le but évident de modifier la composition de la population… La plate-forme contre la destruction de Sur demande 1- la fin immédiate du couvre-feu illégal de Sur, l’arrêt des expropriations, la compensation financière aux propriétaires des habitations détruites, l’établissement d’un plan de réhabilitation en coopération avec la société civile; 2- l’envoi immédiat sur place d’une mission d’évaluation UNESCO du Patrimoine mondial, en coopération avec la société civile et les ministères turcs concernés ; 3- En cas de refus du gouvernement turc, la convocation d’une réunion d’urgence du Conseil de sécurité des Nations Unies pour discuter des destructions au patrimoine de Sur, sur la base de la résolution 2347 de mars 2017.
Selon le Réseau des droits de l'homme du Kurdistan, le 4 septembre au matin, dans la province du Kordestan, des officiers de la Force de police iranienne (NAJA) chargés du contrôle de la frontière de Siranband ont tué en leur tirant dans la tête deux Kolbars (porteurs) qui se rendaient à la frontière pour y chercher des marchandises. L’un des porteurs assassiné était père de 4 enfants. Après le transfert des corps à l'hôpital de Baneh, des manifestants se sont rassemblés devant le bureau du gouverneur et ont brisé la porte du bâtiment en demandant l'identification et la punition des auteurs de ce crime. Le 5, les magasins de la ville sont restés fermés en signe de solidarité avec les revendications des manifestants kurdes. Les manifestations, qui ont duré deux jours et mobilisé des milliers de participants, ont entraîné des centaines d’arrestations.
Le 19 septembre, les autorités iraniennes ont interdit les visites hebdomadaires de sa famille à Zeynab Jalalian, 35 ans, incarcérée depuis 2008 à perpétuité dans la prison de Khoy, en Azerbaïdjan occidental. Cette militante politique préoccupée de renforcer la capacité d’action de la minorité kurde en Iran, et en particulier des femmes, a été condamnée sans preuves matérielles à la prison à vie pour ses soi-disant liens avec une organisation armée de l’opposition kurde. Lors de son procès, expédié en seulement quelques minutes, et durant lequel elle n’a pas été autorisée à communiquer avec un avocat, elle a été condamnée sur la base d'«aveux» dont elle dit qu’ils lui ont été extorqués sous plusieurs mois de torture, comme des coups de fouet sur la plante des pieds et des chocs sur la tête si violents qu’ils lui ont causé une fracture du crâne et une hémorragie cérébrale. Depuis mars 2017, elle a cessé de prendre tout médicament pour protester contre le refus de traitement médical adéquat dont elle est la victime: atteinte d’une grave affection de l’œil qui menace de la rendre aveugle (ptérygion), souffrant également de troubles cardiaques et de complications intestinales et rénales, Zeynab Jalalian s’est vue refuser un transfert même provisoire dans un hôpital pour y être examinée – sauf si elle accepte de faire des aveux filmés: les autorités utilisent donc son état de santé pour la soumettre à un chantage. Amnesty International a demandé à plusieurs reprises à ses adhérents d’appeler les autorités iraniennes à accepter ses demandes (AU 151/14, MDE 13/7005/2017 - v.fr. v.eng.)
Le 25 au soir, des milliers de Kurdes se sont rassemblés dans les rues de Sanandaj pour soutenir le référendum au Kurdistan d’Irak voisin. Les autorités ont arrêté plusieurs activistes qui avaient levé le drapeau du Kurdistan durant les rassemblements.