Malgré la fermeture de la région d’Afrîn occupée par la Turquie, de nombreux témoignages font état d’exactions des djihadistes alliés des occupants, kidnappings, viols, tortures et assassinats visant particulièrement Kurdes et minorités, chrétiens ou yézidis. La Turquie poursuit aussi son nettoyage ethnique, avec la réinstallation de combattants rebelles venus d’Idlib ou de la Ghouta orientale dans les maisons de familles kurdes empêchées de revenir… Elle a aussi commencé l’installation de plusieurs bases militaires permanentes: sur le mont Nishan (Sarteh), dans la région de Bish Baraq, à l'ouest de Kakhara, et dans le district de Cindirêsê (Jandairis), au sud-ouest d’Afrîn. L’OSDH a aussi rapporté plusieurs réunions avec des organisations djihadistes, notamment l’unité Al-Rahman, qui pourrait se voir confier l’organisation d’une police islamique et la mise en place de tribunaux jugeant selon la charia. Si des centaines de résidents déplacés de la Ghouta orientale ont refusé d’être réinstallés dans des maisons de familles kurdes déplacées, 700 familles de membres d’al-Rahman sont arrivées dans la région, notamment à Jandairis.
Début mai, l’ONU a estimé à 126.000 les déplacés d’Afrîn, hommes, femmes et enfants, désignant à mots couverts comme responsables la Turquie et le régime de Damas: «Plusieurs parties au conflit continuent d'entraver le mouvement des personnes déplacées, les empêchant de […] regagner leurs régions d'origine» (Rûdaw). L’administration du Rojava a dénoncé les violations par Ankara des droits des populations civiles d’Afrîn dans un courrier adressé début mai notamment à l’ONU et à l'Union européenne (ANHA). Tout indique que l’accord tacite entre Damas et ses alliés russes d’une part et Ankara d’autre part comporte un nettoyage ethnique permettant à chacun de renforcer son contrôle sur ses propres territoires, la Ghouta orientale comme Afrîn…
Les Yézidis semblent particulièrement visés. Omar Memo Abo Hanna, un yézidi du village de Qibar, enlevé par des groupes djihadistes vers le 10 mai, a été retrouvé 3 jours plus tard une balle dans la poitrine. En réponse aux enlèvements, le Centre Yézidi de Djéziré et l'Union des Yézidis d'Afrîn ont publié une déclaration condamnant le gouvernement turc pour sa «mentalité raciste et chauvine» anti-kurde et anti-yézidie (WKI). Le 21, les djihadistes ont détruit le Centre yézidi d’Afrîn, et le lendemain le temple et le cimetière yézidis du village de Feqîra. Les Yézidis déplacés en Turquie par la guerre ne sont guère mieux traités. Ceux emmenés de force du camp de réfugiés de la province de Diyarbakır au camp de l'AFAD situé dans la province de Mardin dénoncent les discours de haine incessants du personnel et des responsables du camp, leur manque d’accès aux médecins, les médicaments payants…
Parmi les personnes enlevées, figure aussi un journaliste kurde disparu depuis deux semaines, Ahmed Shafi Bilal. Une vidéo le mettant en scène est brièvement apparue sur sa page Facebook, le montrant apparemment entre les mains du régiment Mashaal Tamo. Selon une source anonyme, il aurait été obligé d'enregistrer la vidéo par ses ravisseurs (Rûdaw). Plusieurs autres personnes ont déjà fait de cette manière l’objet de demandes de rançon. Un Kurde d’Afrîn de 23 ans, Safkan Khalil, libéré après paiement, a témoigné avoir été emprisonné et torturé 40 jours (WKI). D’autres ont été enlevés car soupçonnés de liens avec l’administration du Rojava, où parce que yézidis… Le 20 mai, quelque 16 Kurdes de Bulbul, enlevés sans que l’on sache par quelle faction, étaient toujours portés disparus. Une femme d’Afrîn libérée de l'ASL a témoigné avoir échappé de peu à un mariage forcé avec un djihadiste, et avoir assisté à la décapitation d'un autre prisonnier (Jin News) – des pratiques qui évoquent Daech…
Poursuivant leur résistance contre les occupants, les YPG ont annoncé le 4 mai avoir éliminé à Afrîn un Syrien chargé du nettoyage ethnique: Jamal al-Zakhlul «forçait les résidents d’Afrin à fuir et plaçait des terroristes et leurs familles dans les maisons abandonnées» en coordination avec les services secrets turcs. Dans les zones qu’il contrôlait, il imposait la charia… Dans la nuit du 11 au 12, des combats ont opposé occupants et YPG à 6 kilomètres au nord-est de la ville d'Afrin (OSDH), et la chasse turque est intervenue (Rûdaw). Les YPG ont annoncé avoir tué 15 occupants en 2 semaines.
Le 15 mai, la milice djihadiste Ahrar Al-Sham a enlevé 25 civils du village de Kurzila, et selon un rapport des autorités du Rojava, plusieurs femmes ont été enlevées, certaines violées ou torturées. Le 27, le Conseil des femmes syriennes a indiqué que 119 femmes avaient été enlevées et victimes d'abus sexuels et d'agressions (Jin News). Un homme yézidi a également été retrouvé assassiné à Afrin. Les occupants ont attaqué des villages, certains à plusieurs reprises, blessant et tuant des civils. Un convoi de 200 véhicules venu de Shehba et du nord d'Alep, amenant 1.500 déplacés voulant regagner Afrîn, a été bloqué 3 jours avant d’être attaqué près du village de Gilbara par des miliciens qui ont kidnappé 50 civils…
La menace turque perdure aussi sur le reste du Rojava. Le 6, le Président turc a réitéré en meeting électoral sa volonté de mener de nouvelles opérations pouvant aller jusqu’à la frontière irakienne… La veille, des résidents d'Al-Bab, ville contrôlée par Ankara et le groupe Al-Hamza, avaient organisé une grève générale et une manifestation après que des djihadistes aient fait irruption dans l'hôpital et assassiné des membres du personnel. Les soldats turcs auraient alors ouvert le feu sur les manifestants (AfrinResist). Le 11, l'armée turque a visé le village de Ghazil (district de Girê Spî) avec un missile qui n'a pas explosé, puis a lancé des tirs sur des véhicules et des personnes du village d'Ali Shibar, près de Kobanê, sans qu’aucune victime ne soit signalée. Des tirs turcs contre des ouvriers près de Kobanê et Qamishlo ont obligé à interrompre l’entretien de plusieurs canalisations d’eau. Le 26, lors de la «Journée d'action mondiale pour Afrîn» organisée par les autorités du Rojava, les habitants de Qamishlo et de Shehba ont manifesté contre l'occupation turque.
Mais l’épine dans le pied de la Turquie demeure Manbij, ville défendue par les combattants d’un Conseil militaire affilié aux FDS, et où sont stationnés des soldats américains et français. Ankara fait pression sur les États-Unis depuis 4 mois pour obtenir le départ des FDS. Le 9 mai, le porte-parole du Conseil a au contraire confirmé l’installation en ville d’une nouvelle base américaine. Le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Çavuşoğlu, a annoncé le 17 qu'Ankara avait obtenu des Américains un «accord préliminaire» sur la ville, mais la porte-parole du département d'Etat, Heather Nauert, l’a démenti le 19. Entre-temps, une délégation militaire américaine a rencontré le 18 le Conseil militaire, qui a recruté 90 nouveaux combattants… Ce petit jeu turco-américain d’annonces et de démentis concernant Manbij dure depuis le 15 février, date d’une réunion de trois heures entre Tillerson et Erdoğan, sans interprète officiel, Çavuşoglu jouant ce rôle, où avait été décidée la mise en place d’un groupe de travail sur le devenir de la ville. Le 26, a été annoncée dans un communiqué commun l’établissement d’une «feuille de route» pour «assurer la sécurité et la stabilité à Manbij»… Cependant, il apparait de plus en plus que dans leurs discussions avec les Turcs, soit les Américains cherchent surtout à gagner du temps, soit les Turcs publient des annonces à usage intérieur ou prennent leurs désirs pour des réalités: le 29, Heather Nauert a démenti de nouvelles annonces de la presse turque concernant un accord selon lequel les FDS quitteraient la ville qui serait ensuite patrouillée en commun par Américains et Turcs… pour la 4e fois depuis février. Interrogée le 20 février, elle avait déjà répondu ne pouvoir confirmer d’accord, et a toujours fait la même réponse depuis, les 20 mars, 22 mars et 17 mai…
Concernant l’opération anti-Daech dans l’est syrien, interrompue après l’attaque turque d’Afrîn, la porte-parole militaire des FDS pour Deir Ezzor, Lilwa Abdallah, a annoncé le 1er mai le lancement de sa «phase finale», annonce confirmée dans la soirée par le Département d'Etat. Le même jour, le porte-parole des FDS, Gabriel Kino, a accusé Damas d’interférer en prenant les FDS pour cibles le long de l’Euphrate, mentionnant des attaques sur 4 villages le 28 avril. Le 3, la Coalition a annoncé que des soldats français participaient aux opérations, le soutien international aux FDS passant progressivement des frappes aériennes à l’artillerie longue distance. Le 7, les FDS ont annoncé se trouver à 4 km de la frontière irakienne par endroits. Le 10, les FDS ont de nouveau riposté à des tirs attribués à des milices pro-Damas. Le 14, Kino a annoncé la prise du village stratégique de Baghouz, près de l’Euphrate – confirmée par l’OSDH, qui a compté 18 djihadistes tués dans les combats ou des frappes aériennes. Le 20, des combats acharnés ont eu lieu près de Baghouz et du village de Hajine, tandis que les FDS progressaient régulièrement au sol «grâce à des tirs d'artillerie américains et français», après avoir conquis le 19 «une colline surplombant Hajine et deux villages environnants» (OSDH). Les forces irakiennes stationnées de l'autre côté de la frontière fermaient celle-ci à toute fuite des djihadistes. Abou Abdalla, un membre du Conseil militaire de Deir Ezzor, affilié aux FDS, a déclaré que les combattants avaient avancé de 23 km sur Daech (Kurdistan-24).
Le 24, les FDS ont annoncé avoir capturé à Raqqa le djihadiste français Adrien Guihal («Abou Oussama al-Faransi») accusé d'être la voix de la revendication de l'attentat de Nice en juillet 2016. Cette capture a réactivé la question du lieu de jugement des milliers de djihadistes capturés par les Kurdes et actuellement détenus au Rojava: sur place où dans leur pays d’origine. Sauf exceptions (Russie et Indonésie), aucun pays ne semble pressé de récupérer ses ressortissants, face à des opinions publiques très hostiles. Les autorités kurdes s’interrogent: pourquoi garder ces prisonniers occidentaux si leurs pays d’origine ne soutiennent même pas le Rojava face à la Turquie? Quant à ceux qui se trouvaient détenus à Afrîn, on ignore leur sort.
Après un appel à l’unité lancé en début de mois par des dirigeants du Conseil national kurde (ENKS, coalition de partis opposants du PYD au Rojava), une réunion a rassemblé le 20 à Erbil des représentants des autorités du Rojava et du gouvernement régional kurde (GRK) d’Irak, celui-ci ayant proposé sa médiation entre l’ENKS et celles-ci. De telles négociations déjà organisées en 2014 avaient abouti à la création d’un Conseil suprême kurde mais celui-ci n’avait pas fonctionné. L’ENKS demeurait le 23 en attente d’assouplissements concrets sur le terrain, comme la libération de ses membres emprisonnés (Rûdaw). Certains membres de l’ENKS appartiennent à la Coalition nationale syrienne, qui a soutenu l'opération turque à Afrin…
Si les exactions turques ont suscité peu de réactions officielles à l’étranger, il faut relever que le Département d’État américain a critiqué le 4 l’interdiction faite aux déplacés d’Afrîn de regagner leurs foyers et l’installation de déplacés arabes dans les maisons de résidents kurdes. Mais les soutiens sont surtout venus de groupes citoyens. Le 8 mai, une délégation de femmes allemandes venue au Rojava dans le cadre d’une campagne de soutien à Afrîn lancée par Kongra Star a condamné «la coopération des Etats de l'OTAN comme l'Allemagne avec l'Etat turc». Au Royaume-Uni, l’usage le 15 par la Première ministre Theresa May de l’expression «terrorisme kurde» a mis en colère de nombreux utilisateurs des réseaux sociaux estimant que ce «prétendu terrorisme kurde» avait été à l'avant-garde des efforts occidentaux pour vaincre Daech…
Le 31, dans une interview à Russia Today, le président syrien Bachar el-Assad a affirmé être ouvert aux négociations avec les FDS, mais a menacé: «Si [les discussions] n’aboutissent pas, nous libérerons les territoires par la force». Assad a par ailleurs affirmé qu'une confrontation directe entre Russie et États-Unis avait été évitée de justesse lors des combats qui avaient éclaté fin avril entre les forces du régime et les FDS dans la province de Deir Ezzor…
Après avoir accéléré le calendrier électoral pour profiter de la vague nationaliste ayant suivi la prise d’Afrîn et faire voter avant que la crise économique ne s’amplifie (la livre turque a perdu 17% depuis janvier), Erdoğan utilise tous les moyens pour gagner et «verrouiller» son pouvoir. Une loi adoptée en mars dans des violences physiques limite aux fonctionnaires la fonction d’assesseur dans les bureaux de vote et autorise la Commission électorale (YSK) à fusionner les circonscriptions, déplacer les bureaux de vote et valider les bulletins de vote non estampillés par un bureau – une mesure initiée durant le référendum constitutionnel, véritable «bourrage des urnes» légal… Enfin, les propres chiffres du Conseil supérieur de l’audiovisuel (RTÜK), publiés le 13, témoignent du déni de démocratie: du 17 avril au 6 mai, la TRT (télévision d’État) a attribué à l’alliance AKP-MHP 37 heures d'antenne, au parti ultranationaliste İYİ (scission du MHP, opposée à l’alliance AKP) 9h30, au CHP (opposition kémaliste) 5h30 et au HDP (par ailleurs criminalisé en une véritable guerre judiciaire)… rien! Sur la TRT-6 kurdophone, l'AKP a occupé 28h30, les autres partis chacun moins de 30 mn! M. Erdoğan, craignant les votes kurdes, veut absolument empêcher le HDP de rééditer son score de juin 2015, suite auquel il avait terminé le «processus de paix»...
Dans une interview transmise par ses avocats à Reuters depuis sa prison d’Edirne, l’ex-coprésident du parti «pro-kurde» HDP Selahattin Demirtaş, emprisonné depuis 17 mois, caractérise ainsi la situation: «Les manifestations sont interdites, la discussion est interdite, la critique du gouvernement est interdite, même la défense de la paix est considérée comme de la propagande terroriste. Des centaines de journalistes de l'opposition sont arrêtés, des dizaines de chaînes de télévision et de radio sont fermées. […] Des élections équitables sont impossibles dans un tel contexte». Dans une interview pour la Deutsche Welle, il a ensuite reproché à l’Europe d’avoir abandonné l’opposition démocratique en Turquie… et ses propres principes.
Pour le 1er mai, le pouvoir a sévèrement réprimé les manifestations et interdit les slogans kurdes, «incompréhensibles». À Istanbul, 26.000 policiers ont lancé des gaz lacrymogènes et arrêté les manifestants tentant d’accéder à la place Taksim, interdite, arrêtant 84 personnes après des affrontements dans plusieurs quartiers. HDP, CHP et divers syndicats ont tenu meeting à Maltepe; à Diyarbakir, les partis kurdes ont pu se réunir pacifiquement.
Le jeu trouble de l’opposition non-kurde a contribué à l’isolement du HDP: le CHP, İYİ et le parti islamisant «Félicité» ont annoncé leur alliance «Nationale» contre l'alliance «Populaire» AKP-MHP, en l'absence de tout parti kurde. Le parti İYİ aurait refusé l’intégration du HDP… Alliés aux législatives, ces partis présenteront chacun leur propre candidat aux présidentielles, prévues le même jour.
Face à cette exclusion, les partis kurdes ont tenté de se rassembler. Le 2, 5 petites formations kurdes, Azadi, le Parti de la liberté du Kurdistan (PAK), le Parti socialiste du Kurdistan (PSK), le Parti démocratique du Kurdistan (PDK-T) et la Plateforme pour les Démocrates du Kurdistan, ont annoncé depuis Diyarbakir une coalition «Kurdistan», devant «défendre les droits des Kurdes» et des discussions avec le HDP, qui jouerait le rôle de structure d’appui (aucun de ces groupes ne peut participer lui-même aux législatives, la loi électorale imposant un recrutement national). Au niveau local, cette nouvelle alliance a déjà fait élire son candidat à la présidence de la Chambre de commerce de Diyarbakir, évinçant le candidat AKP… (Al-Monitor). L’alliance AKP-MHP a joué le rôle de repoussoir même pour le Parti islamiste kurde Hüda-Par, ennemi traditionnel de la mouvance «pro-kurde». Son porte-parole, Sait Şahin, a déclaré le 26 être prêt à normaliser les relations avec le HDP (Cumhuriyet), critiquant notamment les félicitations posthumes adressées par le dirigeant MHP Devlet Bahçeli au leader maffieux d'extrême-droite Abdullah Çatlı pour avoir «rendu de grands services à l'Etat turc». Mort en 1996 dans le célèbre accident de Susurluk qui avait dévoilé les liens entre État, maffia et fascistes, Çatlı avait fait assassiner de nombreux militants kurdes… Autre tentative d’unir les voix kurdes, le 9, Ahmed Türk, ancien député et maire de Mardin, a emmené une délégation HDP au HAK-PAR (Hak ve Özgürlükler Partisi).
Le 4, le HDP a annoncé la candidature présidentielle de Selahattin Demirtas, officialisant une décision prise le 25 avril en Conseil exécutif, après laquelle un tribunal d'Istanbul avait requis 5 ans de prison contre lui et reporté le jugement au 8 juin, deux semaines avant les élections… Demirtaş a dénoncé cette réquisition, rappelant que le discours de 2013 qui lui vaut l'accusation de «propagande terroriste» avait été prononcé en soutien au processus de paix pour lequel le HDP jouait alors l’intermédiaire entre gouvernement et PKK. La nomination de Demirtaş a été annoncée sur internet par l’actuelle co-présidente du HDP, Pervin Buldan, toutes les télévisions ayant censuré l’information. Le HDP a lancé sa campagne à Istanbul dans un meeting en présence de son co-président actuel, Sezai Temelli, dont la police a confisqué le même jour le passeport pour l’empêcher de mener campagne à l’étranger.
En contraste avec l’attitude d’autres membres de l’opposition non-kurde, le candidat CHP à la présidentielle, Muharrem İnce, déjà l’un des seuls au CHP à s’opposer en mai 2016 à la levée de l'immunité parlementaire des députés HDP, a critiqué l'emprisonnement de Demirtaş et, accompagné d'avocats, lui a rendu visite le 9 dans sa cellule. Demirtaş a salué cette initiative de «courtoisie politique». Quand le 5, la Commission électorale (YSK) avait annoncé que les candidats des partis comptant moins de 20 députés devraient recueillir 100.000 signatures d'électeurs pour pouvoir se présenter à la présidence, Ince avait exprimé son opposition et demandé aux membres du CHP de signer pour les autres candidats…
Aussi le 5, un tribunal d’Istanbul a prononcé l’arrestation pour «propagande terroriste» de 10 figures politiques pro-kurdes placées en garde à vue depuis le 28 avril, dont Cengiz Çiçek, coprésident HDP d'Istanbul (NTV). Les preuves de l’accusation: des affiches d’Abdullah Öcalan, le leader emprisonné du PKK. D’autres membres du HDP ont été incarcérés le même jour lors de raids dans la province de Denizli, notamment chez la coprésidente provinciale HDP, Cevahir Kayar (ANF). Le 8, Dirayet Taşdemir, députée HDP d'Ağrı, a été condamnée à Erzurum à 20 mois de prison pour terrorisme: elle s’était rendue aux obsèques de membres du PKK (Stockholm Centre for Freedom, SCF). Le 9, après des perquisitions dans la province de Van, 5 personnes ont été arrêtées (Rojinfo), dont Bülent Aydın, coprésident du BDP (Parti des régions démocratiques, branche kurde du HDP) du district de Gevaş.
Malgré la répression, près de 2 millions de Turcs ont osé exprimer leur ras-le-bol d’Erdoğan en envoyant en deux jours une avalanche de tweets rageurs contenant le mot «tamam» («assez»): le président turc avait déclaré le 8 au Parlement qu’il partirait si la Nation disait «assez»… Devant l’ampleur du mouvement, plusieurs leaders d’opposition l’ont rejoint, dont Muharrem İnce.
Malgré les demandes répétées du HDP, aucun tribunal n’a accordé la libération de Demirtaş. La situation est devenue si scandaleuse que le 15, même Meral Akşener, la candidate İYİ aux présidentielles, a appelé à sa libération. Le 17, l’ancienne coprésidente du HDP, Figen Yuksekdağ, a formulé la même demande lors de sa 5e comparution à la prison de Sincan à Ankara, où les autorités ont refusé l’entrée à l'ambassadeur suédois et à une délégation internationale. Demirtaş est aussi maintenu dans l’isolement; le 25, les autorités ont rejeté la demande de visite des co-présidents du HDP. Le 29, le HDP a saisi la Cour constitutionnelle.
Le 14, le HDP a annoncé ses slogans de campagne lors d'un meeting à Ankara: «Changement avec vous», «Changement avec les femmes» et «Changement avec les jeunes». Demirtaş a annoncé un programme comprenant des mesures sociales pour les retraités et les jeunes et en faveur de l’égalité des femmes, mais le vrai enjeu c’est le retour à la démocratie…
Le 16, la candidate HDP aux législatives Sidar Zana Bilir a été incarcérée par la police pour «propagande terroriste» après un raid sur sa résidence dans la province de Batman (Turkey Purge). Le 17, un procureur d'Ankara a demandé la privation d’immunité parlementaire du député arménien Garo Paylan pour «insulte à la turcité» et à la République de Turquie (article 301 du Code pénal). Paylan avait comparé dans l’hebdomadaire canado-arménien Horizon Weekly la situation de «génocide quotidien» actuel à «1915». Le 23, la cour d'appel de Gaziantep a approuvé la peine de de 16 ans et 8 mois prononcée contre İdris Baluken, député HDP de Diyarbakir (SCF). Le 25, la co-présidente du BDP Sebahat Tuncel a été condamnée à 5 mois de prison pour avoir participé en 2012 à une marche pacifique de soutien aux prisonniers en grève de la faim. Le 26, quatre candidats HDP aux législatives, Leyla Güven, Tayyip Temel, Musa Farisoğulları et Pero Dündar, arrêtés en 2009, ont été condamnés à des peines de prison dans l’affaire du KCK (Union des communautés du Kurdistan) (SCF).
Le 28, la Commission électorale a annoncé le déplacement des bureaux de vote dans certaines régions majoritairement kurdes, concernant 144.000 votants, «pour empêcher l’intimidation des électeurs». Le HDP a dénoncé leur transfert vers des villages pro-AKP, qui vise selon lui à le maintenir sous le seuil des 10% nécessaires à entrer au Parlement, et a promis d'aider ses électeurs à se rendre aux nouveaux bureaux.
Les journalistes, et en particulier ceux des médias «pro-kurdes», ont continué à subir des persécutions. Le 2, Sıddık Damar, de l'agence DİHA (maintenant fermée), a été arrêté à Istanbul pour ses posts sur les réseaux sociaux et ses reportages sur les villes kurdes sous couvre-feu (SCF). Le 6, Gökhan Öner, du site internet Dihaber (également fermé), a été placé en détention préventive pour terrorisme. Le 8, un autre journaliste de DIHA, Şerife Oruç, a comparu à Batman pour «appartenance à une organisation terroriste», tandis que İshak Karakaş, rédacteur en chef du journal Halkın Nabzı, comparaissait à Istanbul pour le même motif (Turkey purge). Le 11, Kemal Sancılı, l'éditeur du journal Özgür Gündem (fermé), a été placé en détention provisoire avant jugement. Lors d'une conférence de presse donnée le 8 à la branche de Diyarbakir de l'Association des droits de l'homme (İHD), Durket Süren et Nurcan Yalçın, de l'agence féminine Jinnews ont témoigné avoir été menacées durant leurs gardes à vue pour travailler comme informatrices de la police. İHD a parlé de nombreux cas similaires…
Les persécutions judiciaires ont aussi touché d’autres personnes, comme le pasteur américain Andrew Brunson, détenu depuis octobre 2016 pour terrorisme et espionnage (à la fois!!) pour le réseau Gülen et le PKK, dont le procès s’est poursuivi le 7, et a décidé de son maintien en détention en raison des «risques de fuite», avant d’ajourner l'affaire au 18 juillet. Triste ironie, les autorités turques opposent aux demandes de libération américaines l’«indépendance» du pouvoir judiciaire, alors que l’accusation fait grand usage de… témoins anonymes.
Appartenir à la famille d’un opposant peut justifier la perte d’un emploi, comme pour le frère de la députée HDP Meral Danış Bektaş, néphrologue à l’hôpital de Diyarbakir: il a été licencié par un décret d’urgence, alors que son dossier était vide. Et être Kurde peut justifier la persécution, comme pour le soldat Fikret Aydemir, battu jusqu’au coma par 2 autres soldats, et qui a dû être hospitalisé.
Enfin, les arrestations post-coup d’État n’ont pas cessé: le 11, 80 membres de l'armée de l'air et 150 soldats accusés d’appartenir au réseau Gülen ont été arrêtés (Anadolu). Ils appartiennent à un groupe de 300, dont 211 officiers en service, sur lesquels enquêtent les procureurs d’istanbul.
A l’étranger, si les gouvernements, comme Theresa May au Royaume-Uni, pratiquent largement le «business as usual» avec la Turquie, partout les oppositions se mobilisent contre Erdoğan. Le 9, le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Zeid Ra'ad Al Hussein, a déclaré les restrictions aux «libertés d'expression, de réunion et d'association» incompatibles avec la tenue d '«élections crédibles», appelant à la levée de l’état d’urgence. En Allemagne, le parti social-démocrate Die Linke, rappelant l’usage à Afrîn des chars allemands Leopard, a déposé un projet de loi pour rendre illégale la vente d’armes et de compétences militaires à plusieurs pays, dont la Turquie et même réviser des accords déjà conclus. Le 4, un projet de loi similaire a été proposé par la Chambre des représentants américaine, qui bloquerait toute vente jusqu’à l’audition d'un rapport du Département de la Défense sur les relations américano-turques… A ce propos, on reste frappé par le caractère quasiment surréaliste des déclarations du récent Secrétaire d’État américain Mike Pompeo lors d'une audience à la Commission des affaires étrangères le 23: il travaillerait à «amener [la Turquie] à rejoindre l’OTAN, et […] à ne pas mener d’actions sapant ses efforts». Sorry Mr. Secretary? La Turquie a rejoint l’OTAN en… 1952. Mais on peut comprendre les préoccupations de M. Pompeo, vu la rhétorique guerrière incessante de M. Erdoğan: le pouvoir AKP se nourrit de la guerre…
Au Royaume-Uni, Theresa May, en quête d’un accord de libre échange post-Brexit, a déroulé du 13 au 15 le tapis rouge pour la visite d’État d’Erdoğan, alors que de nouveaux chiffres révèlent que la Grande-Bretagne a vendu plus d'un milliard de dollars d'armes à Ankara depuis le coup d'État (Middle-East Eye). Le Financial Times relève que le commerce turco-britannique, dopé par les incertitudes du Brexit, a atteint son plus haut niveau depuis dix ans, 16 milliards de dollars. Militants des droits de l'homme, politiciens d'opposition et même (signe de la gravité de la situation) hommes d'affaires turcs exilés, ont appelé à dénoncer la «chasse aux sorcières anti-terroriste» en Turquie (The Guardian). Des manifestations à l'appel notamment de Reporters sans frontières, qui ont même provoqué de légers heurts avec la police, ont eu lieu à Londres dès avant l’arrivée du Président turc, reçu par la Reine à Buckingham en audience privée… Celui-ci, dans sa conférence de presse commune avec la Première ministre britannique, a appelé Londres à extrader toute personne liée au PKK, et Theresa May, si elle a suscité la polémique en parlant de «terrorisme kurde», a cependant rappelé la nécessité de «preuves d’une activité terroriste». Fidèle à lui-même, Erdoğan a terminé sa visite officielle en traitant de «terroristes» tous les journalistes turcs emprisonnés…
Plusieurs opposants turcs ont été honorés ce mois-ci à l’étranger par des organisations de défense des droits de l’homme. Le 18, la journaliste kurde d'Ahval Nurcan Baysal a reçu le Prix du groupe irlandais Front Line Defenders. Incarcérée en janvier pour ses tweets condamnant l’opération d’Afrîn, condamnée en février à 10 mois avec sursis pour avoir dénoncé les exactions dans les villes kurdes, quotidiennement menacée de mort par les ultranationalistes, Baysal a prononcé un discours à la mairie de Dublin. Le 26, c’est l’avocate Eren Keskin, défenseuse infatigable des droits de l’homme, qui a été récompensée par le prix suédois Anna Lindh 2018, décerné par le Anna Lindh Memorial Fund, qu’elle recevra officiellement à Stockholm le 19 juin (Turkey Purge). Enfin, le 30, un appel à soutenir Pinar Selek, sociologue turque exilée en Europe suite à sa défense des minorités, menacée à nouveau d'une condamnation à perpétuité par la Cour suprême turque, a été lancé en France. Soutenu notamment par le CNRS. Il vise notamment à attirer l’attention sur les risques courus par sa famille, demeurée en Turquie où elle risque d’être prise en otage.
Le 6, le Président turc, présentant son programme électoral, a réaffirmé sa volonté de lancer de nouvelles opérations militaires extérieures «pour nettoyer les frontières des groupes terroristes». Au Kurdistan d’Irak, l’opération «Bouclier du Tigre», la plus importante depuis une décennie, dure depuis plus de deux mois. L’armée turque a pénétré sur 20 km de profondeur dans le territoire du Gouvernement régional du Kurdistan (GRK), occupant au moins 30 villages pris au PKK, en forçant à l'évacuation plus de 350 autres et établissant des bases sur 8 sommets de la région de Sidakan, entre Qandil, fief du PKK, et la frontière turque. Le PKK a attaqué les envahisseurs dans la région de Bradost, tuant 2 soldats turcs et en blessant 5 autres le 6 mai (Rojinfo). Dans 2 autres attaques revendiquées, 5 soldats auraient été tués et 9 blessés. Après des combats au sol le 10, l’artillerie turque a bombardé le 11 plusieurs villages de cette région, alors que le PKK revendiquait 19 soldats turcs tués et 8 autres blessés dans une attaque sur un camp turc à Lelikan. Des images de la chaîne de TV kurde irakienne Rûdaw ont montré des colonnes de fumée dans les montagnes. Le 16, le PKK a de nouveau annoncé la mort de 5 soldats turcs à Lelikan. Le 18, l’armée turque a à son tour annoncé que des raids aériens avaient permis de détruire 12 cibles du PKK durant les deux derniers jours (Anadolu), et a annoncé le 20 qu’entre les 10 et 17 mai, 23 combattants du PKK avaient été «neutralisés». Le 22, l’armée turque a annoncé la mort de 2 de ses soldats dans une attaque au mortier à Lelikan, 2 autres étant blessés (Kurdistan 24). Les forces turques ont riposté à l’aide d’un drone. Le PKK a revendiqué la mort de 11 soldats. Enfin, le 31, l’armée a annoncé la mort de 3 soldats au Kurdistan irakien, sans préciser le lieu. Le 29, la mort d’un autre soldat avait été annoncée, ainsi que des frappes aériennes en riposte.
Côté turc, le gouverneur de Hakkari a imposé du 8 au 23 un couvre-feu dans 30 zones différentes, notamment dans les districts de Cukurca, Şemdinli et Yuksekova, et le 21, le ministère turc de l’Intérieur a annoncé l’élimination de 23 combattants PKK. Le 23, c’est l’état-major qui a annoncé l’élimination de 15 militants PKK, 12 dans la province de Kars et 3 à Siirt. Par ailleurs, à Muş, un garçon de 12 ans a été grièvement blessé le 24 au deuxième étage d'un immeuble par les tirs d’un véhicule blindé (ANF). Selon des témoins, la police a attaqué aux gaz lacrymogènes des résidents protestant contre l'incident.
L'événement majeur ce mois-ci en Irak a été le déroulement avec relativement peu de violences des quatrièmes élections législatives depuis la chute de Saddam Hussein, et les premières depuis la défaite de Daech. Tant leur taux de participation, le plus bas depuis 2003 (44,25%), que leurs résultats (la première place est allée à l’improbable alliance Sayirûn du leader chi’ite Moqtada Sadr avec les communistes), ont exprimé le rejet de la corruption. Au Kurdistan, cependant, malgré les années de crise institutionnelle, politique et économique, les résultats ont montré davantage de stabilité, les deux partis traditionnels, PDK et UPK, conservant dans l’ensemble leur place. Mais dans tout le pays, les accusations de fraude, notamment contre les machines électroniques de décompte des votes ont immédiatement suivi et n’ont fait que s’amplifier. Enfin, la fragmentation politique touchant chaque communauté est telle qu’aucune liste n’a obtenu assez de sièges pour former seule un gouvernement, ce qui laisse prévoir de longues tractations…
Au Kurdistan, la situation sociale a continué à s’apaiser progressivement, le GRK (Gouvernement régional du Kurdistan) parvenant de nouveau à payer ses fonctionnaires grâce aux 317 milliards de dinars reçus mensuellement de Bagdad complétées par ses ventes d’hydrocarbures. Les retenues sur salaires ont diminué, mais il reste encore à régler des arriérés de 2015 et 2017… Le 7, des fonctionnaires du ministère de l'Intérieur ont manifesté à Ranya pour l’alignement de leurs salaires sur ceux des militaires irakiens (NRT). Le 24, le Département de la Défense des États-Unis a attribué aux pechmergas 290 millions de dollars pour 2019. L’économie figurait évidemment dans les déclarations de campagne des partis kurdes: Barham Salih, ancien Premier ministre et leader de la Coalition pour la démocratie et la justice (CDJ), a promis la fin et le remboursement progressif des retenues…
La question des ventes d’hydrocarbures du GRK, éternelle pomme de discorde entre Bagdad et Erbil, était devant la Cour fédérale suite à une plainte du Ministère irakien du pétrole, mais le 6, celle-ci a encore retardé au 3 juin son audition, alors que Bagdad annonçait un accord avec BP pour tripler la production des champs de Kirkouk… Autre contentieux Bagdad-Erbil en voie de règlement, le paiement des récoltes vendues à Bagdad par les agriculteurs kurdes, suspendu en 2014 en même temps que l’envoi du budget fédéral: après Sulaimaniyeh et Dohouk, les fermiers kurdes d’Erbil vont être payés, Bagdad ayant envoyé les fonds le 28 (Rûdaw). Enfin, la normalisation gagne les liaisons aériennes, avec la reprise annoncée le 10 juin des vols Sulaimaniyeh-Iran (les vols Sulaimaniyeh-Turquie demeurent suspendus, à cause selon Ankara des liens UPK-PKK…).
Concernant l’électricité, les élections approchant, le GRK a annoncé le 17 qu’il fournirait quotidiennement 15h durant le Ramadan, et le 24, Erbil a même promis 24 heures avec l’appoint de générateurs privés!
Les partis kurdes ont commencé leur campagne dès le début du mois, Qubad Talabani appelant le 1er l’UPK à la réconciliation, et le PDK lançant le 4 son 1er meeting à Sulaimaniyeh avec Nechirvan Barzani. Le mouvement d’opposition Goran a publié un programme de «défense des intérêts kurdes» à Bagdad, promettant de «corriger les énormes erreurs» du PDK et de l’UPK responsables selon lui de la perte de nombreux territoires. Le 7, le leader du Groupe islamique du Kurdistan (Komal), Ali Bapir, a exhorté à ne pas voter pour des candidats ne faisant pas leurs prières… Si la campagne a été peu marquée par la violence, quelques incidents sont à relever. Le 7, le leader de «Nouvelle Génération» de Shaswar Abdullah à Erbil, Rabun Maruf, a été attaqué et a dû être hospitalisé. Le 10 à Khanaqîn, dans les territoires contestés, le candidat PDK pour Diyala a été blessé et a accusé des supporters de la liste chiite Fatih («Conquête»). La candidate UPK pour la province a également été attaquée et blessée.
Dans le reste de l’Irak, alors que Daech avait menacé de perturber le vote, provoquant une alerte de sécurité de l'ambassade américaine, les djihadistes n’ont pu mener que des actions limitées. Le 1er mai au soir, 20 membres des forces de sécurité ont été tués ou blessées à Tarmiyah, au nord de Bagdad (Kurdistan-24); le 9, une autre attaque a été repoussée à Jalawla (Diyala) (iraqinews.com). À Kirkouk, une bombe a été désamorcée près d’un bureau de vote, et au sud de la ville, au moins 9 policiers ont été tués. A Diyala, un tir de mortier a visé durant le vote un village à 15 km à l’est de Bakouba, blessant 2 membres de la sécurité. Le 12, une bombe a tué un Kurde kakayi près de Zaqar (district de Daquq, Kirkouk), provoquant une riposte des forces de sécurité qui ont tué 12 djihadistes (Kurdistan-24). Une autre bombe a tué 3 personnes à al-Khan (sud de Kirkouk), dont un observateur du scrutin (NRT). Le 13, une bombe a tué un policier sur la route Khanaqin-Kalar. Enfin, le 23, les djihadistes ont attaqué un village arabe de Diyala, Sleman Wahab (Jalawla), dont les habitants ont riposté.
Pour assurer la sécurité du scrutin, le gouvernement a fait fermer frontières et espace aérien, et un million de militaires, policiers et pechmergas ont voté 2 jours en avance (en même temps que les détenus, les malades hospitalisés et les Irakiens de l’étranger) pour pouvoir protéger les bureaux le 12. Si les policiers kurdes des territoires contestés ont pu voter sans problème, certains pechmergas ont rencontré des difficultés en l’absence d’un accord Bagdad-Erbil sur leur présence. Ce vote anticipé a aussi révélé les premières pannes des appareils électroniques de comptage: à Kirkouk, malgré l’envoi d’équipes de maintenance, elles ont empêché 34% des électeurs de voter! Dès le 9, un responsable de la Commission électorale du Kurdistan, Ismail Khurmali, avait averti des risques de fraude indétectables par les superviseurs en l’absence de recomptage manuel que représentaient ces machines, faciles à reprogrammer… (Kurdistan-24)
Ces élections ont aussi posé le problème des minorités. Certaines (chrétiens, yézidis…), bénéficient de sièges réservés au Parlement (9 sur 329), répartis sur 6 provinces, mais pas les turkmènes du Kurdistan, présents notamment sur les listes du PDK, qui ont fait campagne pour en obtenir un (Rûdaw). Les Failis (Kurdes chiites de Bagdad), qui viennent d’en obtenir un, ont demandé à la Cour fédérale que leurs votes soient comptés globalement et non par provinces. En effet, ces Kurdes majoritairement de Bagdad ont vu leur siège assigné à la province de Wasit (ancienne province de Kut), véritable expulsion symbolique de la capitale… La Cour a renvoyé la décision au Parlement. Enfin, les communautés dispersées sur plusieurs listes ont parfois été pénalisées, comme les Yézidis du Sindjar (Shengal), qui n’ont pas eu d’élu; sur 22 candidats yézidis, le siège réservé a été à celui de Bashiqa (Ninive).
Sur les 24,5 millions d’inscrits (dont 1 million à l’étranger), seulement 10 millions se sont déplacés, soit une participation de 44,52%, la plus faible de l’après-Saddam. Toutes les communautés se présentaient divisées: les chiites avaient 5 listes, les Kurdes, affaiblis après les sanctions post- référendum, 7 (PDK, UPK, Goran, 2 partis islamistes, New Generation, CDJ), les Sunnites 4. Au plan national, les vainqueurs ont été 2 listes chiites «anti-système». Arrivée en tête dans 6 provinces dont Bagdad, et en 2e position dans 4 autres, l’alliance anticorruption Sayirûn («En marche»!) entre le leader chiite populiste Moqtada Sadr et les communistes a obtenu 54 sièges. L’Alliance d’anciens membres des Hashd al-Shaabi de Hadi al-Amiri, Fatih («Conquête»), soutenue par l’Iran, arrivée première dans 4 provinces (dont Bassorah), et 2e dans 8 autres, est seconde avec 47 sièges. L'alliance Nasr («Victoire») du Premier ministre sortant Haidar al-Abadi est 3e avec 42 sièges. Le parti «État de droit» de Nouri al-Maliki a obtenu 25 sièges (réévalués ensuite à 26), la liste Hikma du religieux Ammar al-Hakim 19. Chez les Kurdes, le PDK a remporté 25 sièges et l'UPK 18.
Premier, Sadr est cependant loin de la majorité absolue (165 sièges), ce qui laisse prévoir de difficiles négociations, où Kurdes et Sunnites pourraient jouer un rôle: très opposé aux interférences iraniennes, Sadr affirme qu’il ne discutera pas avec Amiri et qu’il ne veut pas non plus de Maliki…
L’annonce des résultats préliminaires le 15 a provoqué un torrent de rejets, qui n’a fait que s’amplifier quand la Commission électorale a publié le 19 des résultats définitifs confirmant largement les premiers, tandis que commençaient immédiatement les tractations post-électorales… Les partis kurdes ont remporté 58 sièges dans 5 provinces, dont le tableau ci-dessous donne la ventilation par parti. Le PDK l’a emporté dans ses fiefs traditionnels, Dohouk et dans une moindre mesure Erbil, l’UPK à Sulaimaniyeh (et à Kirkouk, provoquant la colère des autres communautés de la ville…).
Parti PDK UPK Goran New Generation GIK (Komal) UIK (Yekgirtû) CDJ Sièges 25 18 5 4 2 2 2
Au Kurdistan, des violences intra-kurdes ont été rapportées immédiatement après le vote. Goran a annoncé que son QG à Sulaimaniyeh avait été encerclé puis visé par des tirs d’unités de l’UPK (ce qui a poussé le mouvement à envisager la création d’une milice de 10.000 membres). Mais surtout, au Kurdistan et dans tout l’Irak, de nombreux soupçons de fraude se sont rapidement exprimés. Goran a accusé l'UPK d’avoir reprogrammé les appareils de comptage, et le 14 mai, 6 partis kurdes ont annoncé leur rejet des résultats préliminaires et appelé à de nouvelles élections au Kurdistan et dans les territoires contestés. L’Alliance Wataniya de l'ancien Premier ministre Ayad Allaoui a formulé la même exigence au niveau irakien. Face à la Commission électorale, qui a annoncé la non-prise en compte des votes pour les bureaux revenus au comptage manuel à cause des pannes (NRT), un nombre croissant de listes a demandé un recomptage manuel.
Suspectée de fraude à Sulaimaniyeh et Kirkouk, l’UPK a accusé le PDK d’avoir entravé les déplacements et intimidé des électeurs de Ninive et Shingal (Sindjar) dans la province de Mossoul, où elle n’a obtenu qu’un siège, et a contesté 3 des 7 sièges du PDK. Cependant, le 20, PDK et UPK ont décidé de mettre de côté leurs dissensions pour rencontrer ensemble à Bagdad les partis irakiens dans les négociations de formation du nouveau gouvernement. Les autres partis politiques kurdes, détenant ensemble 18 sièges, ont d’abord poursuivi des pourparlers séparés, certains d’entre eux appelant au boycott du processus politique pour protester contre les fraudes, avant d’envisager une alliance au parlement de Bagdad.
La Commission électorale a finalement aussi été touchée par de graves dissensions internes. L’un de ses membres, Ayad Kakayi, a demandé le 16 un recomptage manuel, alors que son responsable, Riyadh al-Badran, le refusait, accusant Kakayi de subir les pressions de certains partis politiques… Le 17, le président du Parlement irakien, Salim al-Jabouri, a publié une lettre signée par 81 députés décrivant les résultats de l'élection comme «catastrophiques», et demandant une session parlementaire d'urgence pour le 19. PDK et UPK ont décidé de boycotter cette session dont selon eux «rien ne sortirait» (Rûdaw). Le 19, la session n’a pu se tenir faute de quorum, avec seulement 105 présents, et a dû être reconvoquée pour le 24. C’est seulement à la 4e tentative que le 28, le Parlement irakien a pu se réunir valablement en session d’urgence avec 165 présents. Il a approuvé le recomptage manuel de 10% des voix, ajoutant que si 25% de ces votes étaient jugés irréguliers, tous les votes seraient alors recomptés manuellement. Ont aussi été décidés le recomptage manuel pour Kirkouk et certains bureaux des territoires contestés, l’annulation des votes de l’étranger ainsi que des «votes conditionnels» (ceux de nombreux électeurs ayant voté avec des cartes d'identité et non électorales) dans la plupart des camps de réfugiés (l’annulation de nombreux votes exprimés dans les camps a particulièrement touché les yézidis).
De nombreux partis ont considéré que le Parlement avait excédé ses pouvoirs, et l’UPK a décidé de contester ces décisions juridiquement. Le responsable de la Commission électorale les a aussi rejetées, déclarant impossible de priver de leur droit de vote 4 millions de déplacés et 1 million d’Irakiens de l’étranger… Le Conseil des ministres a annoncé la formation d’un Comité composé de diverses branches de l’État et du gouvernement pour superviser les décisions de la Commission électorale. Le 31, la confusion a encore augmenté quand, en tant que gardien de la constitution, le Président Fouad Massoum a déclaré inconstitutionnelles les récentes décisions du Parlement mais aussi demandé à la Cour fédérale de statuer sur la légalité de ce Comité de supervision…
Les résultats étaient très attendus dans les territoires contestés, dont la stratégique province de Kirkouk (13 sièges, dont 1 réservé à un chrétien), riche en pétrole et à la population multiethnique, et ils ont été particulièrement contestés. En 2014, les Kurdes avaient remporté 8 sièges (6 pour l'UPK et 2 pour le PDK), les communautés arabes et turkmènes ayant chacune obtenu 2 sièges (AFP). 291 candidats – dont 80% nouveaux – s’y répartissaient sur 31 listes. Le PDK, qui avait appelé au boycott dans les territoires repris par les Irakiens en octobre, les considérant comme «occupés», n’était pas présent. Les candidats kurdes, notamment de l’UPK, avaient dû y censurer leurs discours de campagne, leurs adversaires turkmènes et arabes multipliant affiches et meetings. Pourtant, aux résultats préliminaires, l’UPK a obtenu 6 sièges, listes arabes et turkmènes chacune 2, 2 autres sièges demeurant en suspens… Les listes turkmènes et arabes ont rejeté ces résultats, puis après la publication des comptes définitifs, où arabes et turkmènes ont obtenu 3 sièges chacun, des partisans armés de la Coalition Fatih des Hashd al-Shaabi ont encerclé le bureau de la Commission électorale, demandant un recomptage manuel (Kurdistan-24). D’autres hommes armés ont encerclé plusieurs bureaux de vote de la ville où se trouvait du personnel de la Commission électorale, dont le responsable a parlé de «prise d’otages». Le gouverneur de la province, Rakan al-Djoubouri, proclamant un couvre-feu nocturne, a ordonné le recomptage manuel, parlant de résultat «illogique» du comptage électronique (Reuters). Le Premier ministre Haider al-Abadi, se distançant du choix des dispositifs électroniques par la Commission électorale, a lui aussi appelé le 15 à un recomptage manuel dans la province, ajoutant qu’en cas de fraudes, il faudrait l’étendre à tout l'Irak. Puis des centaines de membres du Front turkmène irakien ont encerclé les entrepôts où se trouvaient les urnes électorales, empêchant la Commission électorale de les récupérer.
Le 30, la Commission électorale a annulé les votes de 1021 bureaux, dont 186 à Kirkouk et 67 à l’étranger, et annoncé le lancement d’une enquête… Le PDK a apporté son soutien à un recomptage manuel global, tout en critiquant les annulations de votes.
Au milieu de cette confusion, peut-être un point positif: après que, le 8 mai, le Premier ministre GRK Nechirvan Barzani ait fixé les élections présidentielles et législatives du Kurdistan au 30 septembre, la Commission électorale du Kurdistan a annoncé le 22 mai que, suite à la demande de 5 partis kurdes, acceptée à l’unanimité de ses 9 membres, le comptage électronique n’y serait pas utilisé…
Ce mois-ci, commerçants et kolbars (porteurs) kurdes ont poursuivi leur grève contre la fermeture des frontières et les taxes douanières élevées imposées au Kurdistan d’iran. Parti de la ville de Baneh le 15 avril, le mouvement s’est ensuite étendu à Jwanrow, Mariwan, Piranshar, Saqqez et Urmia. En réponse, les autorités iraniennes ont selon la Kurdistan Press Agency (Kurdpa) déployé de nombreuses forces de sécurité dans les villes kurdes, notamment à Baneh, et bloqué Internet (comme elles le font maintenant régulièrement en cas de troubles politiques), pour empêcher les médias de couvrir l’événement. Selon les médias kurdes d’Iran, les forces de sécurité ont procédé à de nombreuses arrestations et menacé les propriétaires de magasins pour les faire rouvrir, comme le 20 avril à Baneh, Piranshahr, Marivan et Javanrud, sans parvenir à arrêter la grève.
Parallèlement, la justice iranienne a interdit l'utilisation de la messagerie sur smartphone Telegram, affirmant que celle-ci avait servi à «commettre différents crimes», et notamment préparer manifestations et attaques, dont celles de Téhéran contre le Parlement et le mausolée de l'ayatollah Khomeini en juin 2017 – un moyen de criminaliser davantage les prévenus dans les milliers d’enquêtes ouvertes en rapport avec les récentes manifestations anti-régime. La télévision d'État a justifié la décision d'interdire Telegram par des préoccupations de «sécurité nationale», et tous les fournisseurs d'accès Internet devaient bloquer l’application et son site web à partir du 30 avril…
En réponse à cette interdiction et à la répression des manifestations, les Iraniens se sont tournés vers des moyens créatifs d’exprimer leur opposition, par exemple en transformant les billets de banque en autant de tracts couverts d’inscriptions anti-régime, dont les photos sont devenues virales sur les réseaux sociaux!
Durant les manifestations du 1er mai, auxquelles la coordination des partis kurdes d’Iran avait appelé à participer (Rûdaw), les autorités ont selon l'agence ILNA arrêté 6 personnes à Téhéran.
Le 4, Baneh étant quadrillée par de nombreuses forces anti-émeutes (Kurdistan Human Rights Network, KHRN), des milliers de résidents sont allés en voiture dans une mosquée à plusieurs kilomètres de la ville pour participer aux prières dirigées par le religieux local, Mohammad Adibi, qui dispense ses encouragements aux fidèles pour qu’ils continuent à participer pacifiquement à la grève générale qui paralyse Baneh depuis le 15 avril (VOA Persan). Ce même jour, KHRN a annoncé l’arrestation de dizaines de grévistes, sans pouvoir fournir de détails en raison de la coupure des communications. Le 6, les commerçants de la région de Baneh ont rouvert temporairement leurs boutiques, tout en indiquant que la grève reprendrait si les autorités ne respectent pas les promesses faites aux grévistes (KHRN). Une délégation du gouvernement iranien aurait promis d'ouvrir un point de passage commercial et deux voies d'accès transfrontalières destinée aux kolbars.
Le 6, 15 parlementaires kurdes ont annoncé en conférence de presse qu'ils démissionneraient collectivement si leurs propositions de modification de la loi n'étaient pas suivies, soulignant que la fermeture semi-officielle des postes frontaliers mettait en jeu la vie quotidienne de millions de leurs électeurs (Rûdaw): leur porte-parole, Jalal Mahmoudzadeh, originaire de Mahabad, a déclaré que des millions d'Iraniens avaient besoin du commerce représenté par les kolbars, et que les restrictions imposées sur celui-ci leur avaient causé de graves difficultés financières. La perte d’emplois causée par la fermeture des points de passage frontaliers avec le Kurdistan irakien a été estimée à plusieurs dizaines de milliers…
Le 8, le Parti démocratique du Kurdistan d’Iran (PDKI) a appelé les habitants du Kurdistan d’Iran à la grève générale, en solidarité avec les villes bordant le Kurdistan d’Irak, mais aussi pour condamner la politique d’«étranglement économique» du régime islamiste. Le 10, ce sont les enseignants qui sont descendus dans la rue à Sanandaj, Ilam, Kermanshah, Marivan, Diwandare et Saqqez (Hengaw Human Rights News) pour protester contre la réduction de leurs salaires et exiger l'amélioration des conditions d'éducation, notamment la possibilité d’enseigner en kurde. Les enseignants de Shiraz, d'Ispahan, de Tabriz et de Kazerun ont également protesté contre leurs faibles salaires et les mauvaises conditions d’éducation (Radio Farda), de même que ceux de Téhéran (BBC Persan), où les forces de sécurité en civil ont attaqué les manifestants, en arrêtant 11.
Dans une interview accordée le 18 à VOA en persan, un porte-parole a réitéré la position des commerçants de Baneh: si le gouvernement ne rouvre pas comme il l’a promis les passages transfrontaliers à la fin du Ramadan, mi-juin, la grève reprendra.
Allant de pair avec les grèves et les manifestations dans les bazars du Kurdistan d’Iran, les exactions des garde-frontières iraniens contre les kolbars se sont multipliées ce mois-ci. Le 1er mai, photos et vidéos de dizaines de chevaux de kolbars abattus à la frontière entre Kurdistan irakien et iranien ont suscité dès leur diffusion sur les réseaux sociaux l’écœurement et la colère des Iraniens, qui n’ont cessé depuis de faire pression pour faire cesser ce genre de massacres visant des animaux innocents. Le sujet a finalement été abordé au Parlement de Téhéran le 7 mai, où un député pro-régime, Ahmad Ali Keykha, a demandé d’utiliser plutôt des tranquillisants et de revendre ensuite les chevaux confisqués (France-24).
Le 5 au soir, les Gardiens de la Révolution ont également arrêté près de la frontière à Piranshahr des dizaines de kolbars pour les empêcher de transporter leurs marchandises, qu’ils leur ont confisquées ou même incendiées (NRT). Selon l'agence de presse Firat, pas moins de 1 300 personnes ont été empêchées de transférer des marchandises à la frontière entre Kurdistan iranien et Région du Kurdistan d’Irak.
Le 15, les garde-frontières iraniens ont de nouveau abattu un kolbar, puis le 20, l'Association des droits de l'homme du Kurdistan a signalé un nouvel assassinat et deux blessés: il s’agit cette fois de paysans visés par des tirs des garde-frontières alors qu’ils… moissonnaient leurs champs près de la frontière du Kurdistan irakien. Le même jour, les autorités iraniennes ont de nouveau abattu des dizaines de chevaux appartenant à des kolbars.
Le 31 mai, l’association Hengaw de défense des droits de l'homme s’est inquiétée dans un communiqué de l’augmentation des morts parmi les kolbars. Kamal Mohammadi, un kolbar de Baneh a été abattu le 30 par des Gardiens de la révolution. Transporté à l’hôpital à Sulaimaniyeh, il est mort avant d’y arriver. Un autre du nom de Salim Khalili aurait été tué par les forces iraniennes à Shino (Oshnavieh, Azerbaïdjan occidental). Durant les 10 derniers jours du mois, Hengaw a dénombré 4 kolbars tués et 7 autres blessés. Le KHRN a quant à lui compté 6 tués, avertissant que «l'assassinat systématique des kolbars est en augmentation».
Peut-être une bonne nouvelle pour les transfrontaliers kurdes d’Iran, le 24, le point de passage de Sartak-Pishta entre le Kurdistan d’Iran et la Région du Kurdistan, à environ 220 km au sud-est d'Erbil, a été rouvert par le gouvernement irakien après plus de trois mois de fermeture, et des camions ont commencé immédiatement à le traverser pour transporter des marchandises. Bagdad avait fermé ce passage le 10 février, et le GRK (Gouvernement régional du Kurdistan) a fini par obtenir sa réouverture.
Autre préoccupation actuelle des défenseurs des Droits de l’homme à propos du Kurdistan d’Iran, le sort du prisonnier politique condamné à mort Ramin Hossein Panahi. Blessé lors de son arrestation le 22 juin 2017 à Sanandaj, accusé d’appartenir au parti d'opposition kurde du Komala et d'avoir pris les armes contre l'État, il avait été condamné à mort en Janvier 2018. Le KHRN a annoncé que les membres de la famille de Panahi l’avaient informé qu’il avait été transféré en cellule d'isolement de la prison de Sanandaj pour être pendu le 5 mai. La nièce de Panahi, Nishtiman, dont le mari était également détenu par le régime iranien, s'est suicidée à cause du stress causé par le verdict d'exécution de son oncle…
Le 3 mai, le ministère de la Justice de la province du Kurdistan (iranien) a annoncé que Panahi était armé lors de son arrestation et avait «avoué». Dans une «dérision complète du processus judiciaire», le condamné s'est vu proposer de se confesser en ligne en échange de la révocation de sa condamnation à mort… Puis le groupe a tweeté le 2 mai que Panahi avait été «retiré du quartier d'isolement pour être remis dans une cellule normale», ce qui pourrait signifier que sa condamnation est suspendue. Ceci fait suite à plusieurs appels internationaux en sa faveur: le 1er mai, Amnesty International notamment avait appelé le régime iranien à mettre un terme à l'exécution de Panahi, qualifiant son procès d’«inéquitable».
Le 6, en réponse aux déclarations de la justice, Sharifeh Zarînî, la mère de Panahi, contestant les accusations portées par le corps des Gardiens de la révolution, a appelé à un procès public pour son fils en réitérant qu'il est absolument innocent et n'a jamais été armé à aucun moment. Cependant, Panahi a été de nouveau transféré en isolement le 17. Le 25, sa mère a de nouveau pris la parole, demandant cette fois à l’Union européenne de soulever le cas de son fils auprès de Téhéran lors des discussions de Vienne sur l’«accord du nucléaire iranien». Elle a envoyé une lettre ouverte à ce propos à la Haute Représentante de l'UE, Federica Mogherini.
Récemment plusieurs parutions d’ONGs, dont des rapports d’organisations de défense des Droits de l’homme, ont déclenché la colère des autorités turques. Nous en donnons une brève liste et indiquons les liens permettant de les télécharger, car la plupart, en général rédigés en anglais, sont placés sur des sites web.
Le Stockholm Center for Freedom, centre suédois s’intéressant particulièrement aux violations des droits des journalistes, suit de près la situation des journalistes en Turquie, et a publié de nombreux rapports sur la situation dans ce pays, parmi lesquels, par exemple, Abuse of the Interpol system by Turkey (Comment la Turquie abuse du système Interpol), ou Hate speech against Christians in Erdoğan’s Turkey (Discours de haine anti-chrétiens dans la Turquie d’Erdoğan)… Le site de l’organisation est à https://stockholmcf.org/, et on peut accéder aux rapports en choisissant l’item de menu le plus à droite, «Reports».
L’organisation de défense des Droits de l’homme Amnesty International, dont les responsables turcs ont eux-mêmes été victimes de la répression, a récemment publié plusieurs rapports sur la Turquie. Le 26 avril, est paru Weathering the storm: Defending human rights in Turkey's climate of fear (Affronter la tempête: défendre les Droits de l'homme dans le climat de peur de la Turquie), téléchargeable à cette adresse en anglais ou en turc: https://www.amnesty.org/en/documents/eur44/8200/2018/en/. Dans la catégorie «Faits et chiffres», mentionnons l’article publié le 7 mai dernier qui, après avoir rappelé les chiffres de la répression à cette date, dresse une biographie de «12 personnes qui résistent en Turquie», parmi lesquelles sont cités Taner Kiliç (président d’Amnesty Turquie), l’avocate Eren Keskin, le militant de la société civile Osman Kavala, l’artiste kurde Zehra Doğan etc (lien https://www.amnesty.fr/actualites/12-personnes-qui-resistent-en-turquie). Enfin, la «page pays» d’Amnesty sur la Turquie se trouve à cette adresse : https://www.amnesty.org/en/search/?country=38514.
Amnesty a également publié fin avril en coopération avec Justice for Iran un rapport de 31 pages sur l’Iran, intitulé Criminal cover-up: Iran destroying mass graves of victims of 1988 killings (Dissimulation criminelle: l'Iran détruit les charniers des victimes des massacres de 1988). Ce rapport, qui concerne les victimes des massacres de 1988 dans lesquels des milliers de prisonniers politiques ont été tués en secret, utilise de nouvelles preuves, dont des images satellites, des photos et des vidéos, pour révéler que les autorités iraniennes ont tenté dans les semaines précédentes de détruire des sites de fosses communes au bulldozer, de construire sur les lieux des bâtiments ou des routes, voire d’y jeter des ordures ou d’y construire de nouvelles tombes. Le rapport peut être téléchargé en anglais ou en persan à cette adresse: https://www.amnesty.org/en/documents/mde13/8259/2018/en/
Dans un tout autre genre, le rapport américain international sur la liberté religieuse, publié par la U.S. Commission on International Religious Freedom (USCIRF) du Département d'État des États-Unis, a particulièrement irrité le ministère turc des Affaires étrangères (International Religious Freedom Report for 2017). Celui-ci a caractérisé sa section sur la Turquie comme «la répétition de certaines allégations sans fondement». Le rapport, qui vise à faire connaître les problèmes que rencontrent les communautés religieuses, en particulier les minorités, indique notamment que des milliers de suspects d’appartenance au mouvement güléniste ont été arrêtés ou suspendus dans les institutions publiques turques, notamment la Direction des affaires religieuses (Diyanet), et rappelle aussi l'appel du Département d'Etat américain pour la libération du pasteur protestant Andrew Brunson. Le ministère turc reproche au texte de ne pas mentionner que Fethullah Gülen et son mouvement sont des terroristes… Les rapports 2018 et 2017 de l’USCIRF sont visibles et téléchargeables à: http://www.uscirf.gov/reports-briefs/annual-report.
Enfin, le Tribunal Permanent des Peuples (TPP), qui avait tenu à Paris les 15 et 16 mars derniers une session sur la Turquie intitulée: «Session sur les allégations de violations du droit international et du droit international humanitaire par la République turque et ses fonctionnaires dans leurs relations avec le peuple kurde et leurs organisations», a rendu et publié son verdict le 25 mai dans l’enceinte du Parlement européen à Bruxelles. Philippe Texier, vice-président du Tribunal Permanent des Peuples, ancien juge à la Cour de cassation française, a déclaré: «Le président de l’État turc, Recep Tayyip Erdogan, est directement responsable pour les crimes de guerre et les crimes d’État commis en particulier dans le sud-est de l’Anatolie». Il avait déjà indiqué dans les conclusions préliminaires du jury que celui-ci avait constaté que le conflit résultait bien de la violation du droit à l’autodétermination du peuple kurde, et qu’il devait donc être considéré comme un conflit armé non international, tel que défini par le droit international, et non comme une opération de police contre le terrorisme – version défendue par l’État turc.
Le verdict ainsi que la vidéo de l’ensemble de la conférence sont consultables en ligne, sur le site dédié à la session du TPP sur la Turquie et les Kurdes : http://tribunal-turkey-kurds.org/. Une vidéo (moins de 6 mn) montrant juste l’énoncé du verdict est aussi accessible (http://tribunal-turquie-kurdes.org/index.php/verdict/). Enfin, l’acte d’accusation, un gros document (en anglais) de plus de 120 pages contenant tous les témoignages apportés au TPP, est téléchargeable à: http://tribunal-turkey-kurds.org/index.php/in/.