Ce mois d’octobre 2019 restera dans l’histoire comme celui durant lequel les Forces démocratiques syriennes (FDS) ont été abandonnées quasiment du jour au lendemain par leur allié militaire américain face à une offensive turque. En annonçant le 6 octobre par un communiqué de deux paragraphes le retrait de ses troupes de Syrie, le président Donald Trump a implicitement donné le feu vert à son homologue turc pour qu’il déclenche l’invasion qu’il souhaitait lancer depuis longtemps. Ce faisant, il a littéralement poignardé dans le dos des alliés depuis cinq ans en première ligne face à Daech, et qui ont laissé dans cette guerre 11.000 combattants tués et plus de 23.000 blessés. Mais il a aussi trahi ses propres diplomates, qui depuis des semaines, tentaient de prévenir une attaque turque en négociant la mise en place dans le nord syrien d’une zone de sécurité garantie par les troupes américaines. Alors que les FDS, avec la médiation américaine, avaient accepté un mécanisme de sécurité répondant aux demandes turques, s’étaient retirés de plusieurs postes et avaient même détruit certaines de leurs fortifications frontalières, l’accord avec Ankara, difficilement obtenu fin septembre, a fini aux oubliettes, sans aucune consultation de la Maison Blanche avec le Pentagone ou le Département d’État…
Le 6 au soir, alors que la Turquie renforçait son dispositif militaire à la frontière, les États-Unis ont annoncé que celle-ci mènerait «bientôt» une incursion militaire «prévue de longue date dans le nord de la Syrie» et que les troupes américaines stationnées dans le pays quitteraient la zone (AFP). Le 7, alors que le Pentagone annonçait «ne pas cautionner» d’offensive turque, les militaires américains entamaient leur retrait des abords de la frontière… Devant une attaque semblant imminente, l’ONU déclarait «se préparer au pire». Les avertissements sur les risques de résurgence de Daech, et notamment une mise en garde de l’Union européenne, n’ont pas été entendus. Et les messages ambigus du président américain, qui a semblé tenter un temps de revenir sur ses déclarations de la veille en menaçant l’économie turque de «destruction», n’ont rien changé. Le 8, après le vote par le parlement d’Ankara de l’extension de l’autorisation à des opérations militaires extérieures (auquel seul le parti «pro-kurde» HDP s’est opposé), le ministère de la Défense a annoncé que ses préparatifs étaient terminés.
Le lendemain, les autorités du Rojava ont décrété une mobilisation générale, exhortant les habitants à la «résistance». Le 9 vers 14 h, M. Erdoğan annonçait que l’opération, baptisée cyniquement «Source de paix», avait commencé. La première phase a consisté en frappes aériennes, notamment sur les environs de Ras al-Aïn / Serê Kaniyê. Très vite, les FDS ont indiqué qu’au moins deux civils avaient été blessés, bilan rapidement revu à 15 morts, dont 8 civils (OSDH). L’offensive terrestre a débuté le soir même, avec l’entrée dans le secteur de Tell Abyad / Girê Sipî de militaires turcs accompagnés de supplétifs syriens, dont Ankara avait préparé des dizaines de milliers. Selon le porte-parole des FDS Mustefa Balî, cette première avance a été rapidement repoussée, de même qu’un nouvel assaut sur Ras al-Aïn le 10 au matin, alors que des tirs d’artillerie turcs visaient tant cette ville que Tell Abyad. L’administration semi-autonome du Rojava a aussi annoncé que des bombardements turcs avaient touché une prison abritant des combattants étrangers de Daech. Déjà, 60.000 civils avaient fui les combats à la frontière pour se diriger vers l’Est, notamment la ville de Hassaké (OSDH). Côté turc, une vingtaine de personnes ont été blessées à Akçakale et Ceylanpinar par des obus en provenance de Syrie. Le 11, alors que de violents combats se déroulaient au long des 120 km séparant Tell Abyad de Ras al-Aïn, la première perte côté turc a été annoncée avec la mort d’un soldat, bientôt suivie de celle d’un autre, trois autres étant blessés. Parallèlement, à l’ouest de la zone d’invasion, deux militaires turcs ont été tués et trois blessés par des obus dans une base militaire près d'Azaz. Le 11 au soir, le bilan s’établissait côté FDS à 41 combattants et 17 civils tués. Selon l’OSDH, les Turcs et leurs supplétifs ont conquis onze villages, dont deux rapidement repris par les FDS. Certaines tribus arabes ont rejoint les troupes turques.
Toujours le 11, l’administration autonome a annoncé qu’après que des tirs turcs avaient visé plusieurs camps de déplacés, Mabrouka (7.000 résidents) et Ain Issa (13.000 résidents), elle avait entamé l’évacuation du premier. Le second camp héberge notamment 785 membres de familles de combattants de Daech. L’ONU a indiqué que l’opération turque avait provoqué le déplacement de 100.000 personnes; quatorze organisations humanitaires ont averti que la situation risquait de compromettre l'acheminement de l’aide aux civils. Cependant, la Turquie a intensifié ses bombardements, et le président turc a répété que la Turquie n’arrêterait pas son opération. Le lendemain matin, samedi 12, quatrième jour de l’opération, Ankara, après un barrage d’artillerie et une attaque simultanée sur trois côtés de Ras al-Aïn, a annoncé la prise de la ville, nouvelle presque immédiatement démentie par les FDS, qui ont indiqué que les combats se poursuivaient. L’OSDH a comptabilisé 23 villages pris par les Turcs depuis le début de l’offensive. Le même jour, le Pentagone a déclaré que ses troupes près de Kobané avaient subi la veille des tirs turcs qui n’avaient pas fait de victimes. Washington a demandé à Ankara «d'éviter toute action pouvant conduire à une riposte immédiate». La Turquie a nié avoir visé les Américains.
Le 12, les supplétifs syriens pro-turcs d’Ahrar al Sharqiya ont intercepté sur la route Qamichli-Manbij la voiture de Hevrin Khalaf, secrétaire générale du «Parti du futur de la Syrie». La jeune femme de 34 ans, non armée, a été frappée et abattue, ainsi que son chauffeur. Au moins dix civils ont été sommairement exécutés dans divers lieux durant cette journée (OSDH). L’ONU a par ailleurs chiffré les déplacés à près de 130.000, s’inquiétant que ce nombre atteigne rapidement les 400.000… Le 13, alors que les combats se poursuivaient entre Tell Abyad et Ras al-Aïn, près de cette dernière ville, les Turcs ont dû reculer devant la défense des FDS, qui selon un de leurs commandants ont utilisé «des tunnels souterrains» pour surprendre les assaillants (AFP). Selon l’OSDH, ceux-ci avaient alors pris 36 villages, mais aucune ville majeure, pour un bilan de 104 combattants FDS et 52 civils tués. Les FDS, accusant les États-Unis de les avoir «poignardées dans le dos», les ont appelés à «assumer leurs responsabilités morales» en fermant l'espace aérien syrien à l'aviation turque. En milieu de journée, l’OSDH a annoncé que les forces turques et leurs supplétifs syriens avaient emporté Tell Abyad / Girê Spî, première ville importante tombée entre leurs mains depuis le 9. Le même jour, la Turquie a annoncé avoir pris le contrôle de l’autoroute M4, qui relie d’est en ouest les territoires contrôlés par les FDS. En fin de journée, l’agence officielle syrienne Sana a annoncé un accord entre Damas et les autorités du Rojava, selon lequel l’armée syrienne pourra se déployer près de la frontière turque. La Russie a indiqué avoir joué un rôle de facilitateur dans les discussions. Le lendemain matin, l’armée de Damas, entamant son mouvement vers la frontière turque, est entrée dans Manbij, ville qu’elle a annoncé le lendemain contrôler totalement, alors que les États-Unis en annonçaient leur retrait. Un soldat turc a été tué dans des combats nocturnes autour de la ville avec les combattants de son Conseil militaire. Le 16 au soir, la Turquie a dénoncé comme «inacceptable» un éventuel maintien des YPG à Manbij sous drapeau russe…
Plus à l’est, à Ras al-Aïn, les FDS résistaient toujours le 15 avec acharnement aux Turcs et à leurs alliés. L’OSDH chiffrait alors le bilan de sept jours d’offensive turque à 135 combattants FDS, 120 combattants pro-turcs, et 70 civils tués. L’ONU estimait le nombre de déplacés à 160.000, alors que selon les Autorités du Rojava, les 32 ONGs internationales présentes sur place avaient retiré leur personnel pour raison de sécurité et donc arrêté toute activité humanitaire (AFP). Le 15 au soir, deux soldats du régime syrien ont été tués par des tirs d’artillerie de rebelles pro-turcs (OSDH) près d’Aïn Issa (à mi-chemin entre Raqqa et la frontière), et le 16 au matin, près de l’autoroute M4, au Nord-Est d’Aïn Issa, de «violents combats» ont opposé les FDS assistés de forces du régime aux rebelles pro-Ankara. D’autres combats se poursuivaient à la frontière près de Ras al-Aïn, visée durant la nuit par des frappes aériennes et des tirs d’artillerie. Dans l’après-midi, des troupes du régime accompagnées de militaires russes sont entrées à Kobané où, accompagnées de FDS, elles ont pris possession d’une ancienne base militaire américaine (OSDH). Le même jour, le Vice-président américain Mike Pence et le Secrétaire d’État Mike Pompeo se sont envolés vers Ankara pour tenter d’obtenir l’arrêt des opérations turques en Syrie. Après des déclarations à usage interne selon lesquelles il ne les recevrait pas, le président turc a fini par accepter une rencontre, qui s’est déroulée le 17.
En fin de soirée, après quatre heures d’entretiens, Mike Pence a annoncé que la Turquie avait accepté un cessez-le-feu de 120 heures (cinq jours), période durant laquelle les FDS devraient se retirer de la zone de sécurité souhaitée par la Turquie, une bande frontalière de 32 km de profondeur. Le chef des FDS, Mazloum Abdi, a déclaré sur la chaîne de télévision kurde Ronahi que celles-ci étaient «prêtes à respecter le cessez-le-feu». Pence a également indiqué que la Turquie s’était engagée à ce que sa présence militaire demeure temporaire et qu’il n’y ait pas de transferts massifs de population…
Le bilan tiré le 17 par l’OSDH de l’impact humanitaire de l’opération turque, complété par les chiffres cités par l’AFP, est effrayant. L’offensive a forcé à fuir 300.000 personnes, une des vagues les plus importantes depuis le début du conflit en 2011; seulement du 13 au 16, un millier de Kurdes ont fui vers le Kurdistan irakien. 83.000 déplacés ont dû recevoir l’aide alimentaire du Programme alimentaire mondial. L'ONU a aussi annoncé avoir fourni des couvertures pour 52.000 personnes. Quarante écoles de la province de Hassaké ont dû être transformées en centres d’hébergement d’urgence (OSDH). Enfin, 400.000 habitants de la ville et de la région de Hassaké sont menacés de manquer d’eau potable (ONU). Concernant les pertes civiles, 72 civils ont été tués côté syrien (et 20 côté turc selon Ankara). Le même jour, l’administration autonome a accusé la Turquie d’avoir recouru à des bombes incendiaires au phosphore, pourtant interdites, contre des populations civiles. L’OSDH n’a pu confirmer leur usage, mais a fait état de l’arrivée de plusieurs blessés souffrant de brûlures à l'hôpital de Tal Tamr dans les deux jours précédents. Des vidéos postées sur internet montent des enfants dont les brûlures sont susceptibles de provenir de telles armes. Mustafa Balî a appelé à l’intervention d’experts internationaux pour les examiner, tous ceux présents antérieurement ayant quitté la région durant le retrait des ONG provoqué par l'invasion turque (AFP).
Si un calme précaire s’est instauré le 18 au matin près de la frontière turque, les combats en cours à Ras al-Aïn durant la réunion d’Ankara se sont poursuivis de manière intermittente. Dans une violation du cessez-le-feu dénoncée par les FDS, dix nouveaux raids aériens et tirs d’artillerie turcs et 27 attaques au sol ont tué au moins quatorze civils côté syrien, notamment dans le village de Bab al-Kheir, selon l’OSDH, qui a aussi établi le bilan à 275 combattants des FDS tués depuis le début de l’invasion. Toujours selon l’OSDH, le personnel de l’hôpital de Ras al-Aïn, endommagé par des frappes, s’y trouvait bloqué. Le 19, le commandant des FDS Mazloum Abdi a accusé les Turcs de «bloquer la sortie [de Ras al-Aïn] de nos forces, des blessés et des civils», empêchant de fait le retrait des FDS pour leur faire porter la responsabilité de la poursuite de l’opération. Abdi a pointé la responsabilité des Américains, garants de l’accord qui prévoyait bien l’ouverture d’un couloir humanitaire permettant l’évacuation… Finalement, le dimanche 20, un convoi de plus de quatre-vingt véhicules, incluant pick-ups et ambulances, a pu emmener blessés et combattants FDS vers Tal Tamr (30 km au sud-est, sur la route de Hassaké), laissant Ras al-Aïn aux forces turques…
Le 21, veille du jour ou M. Erdoğan devait rencontrer son homologue russe à Sotchi, la Turquie a annoncé son intention d’entamer la mise en place de «sa» zone de sécurité dans le Nord-Est syrien. En contradiction avec les déclarations faites le 17 par Mike Pence, le ministre turc de la Défense, Hulusi Akar, a réitéré son intention d’y installer «deux millions» de réfugiés syriens (AFP). Avec 120 km de longueur entre les villes de Ras al-Aïn et Tell Abyad, au lieu des 440 km souhaités initialement, la zone sera pour l’instant quatre fois moins longue qu’initialement souhaitée. L’étendre davantage nécessiterait de négocier avec la Russie, puisque l’armée de Damas, avec laquelle les FDS ont conclu une alliance militaire contre l’offensive turque, s’est déployée plus à l’Ouest, accompagnée de troupes russes qui tentent de s’interposer pour éviter des affrontements directs turco-syriens…
Le 22, jour où la trêve devait expirer à 19h00 GMT, Vladimir Poutine a donc reçu son homologue turc à Sotchi, tandis que le président syrien, effectuant une visite inédite à ses troupes dans la région d’Idlib, réaffirmait être prêt à soutenir «toute résistance à l’agression turque»: manière d’apparaître soutenir sans les nommer explicitement ces mêmes FDS qu’il avait précédemment qualifiées de «traîtres»… De leur côté, les FDS indiquaient avoir «totalement» rempli les conditions de l’accord turco-américain par la voix de Redur Khalil, qui déclarait: «Nous nous sommes pleinement conformés aux termes du cessez-le-feu [...] et avons retiré tous nos combattants et forces sécuritaires de la zone d'opérations militaires allant de Ras al-Aïn à Tell Abyad», ajoutant: «Nous avons également défini les lignes de démarcation entre nous et les Turcs, à l'est de Ras al-Aïn et à l'ouest de Tell Abyad» (AFP). Parallèlement, les États-Unis ont annoncé qu’ils lèveraient les sanctions imposées le 14 contre trois ministres turcs si Ankara respectait l’accord négocié le 16, mais que dans le cas contraire, de nouvelles sanctions frapperaient le pays.
À Sotchi, après six heures de réunion, le président turc a annoncé un «accord historique» avec son homologue russe. Les deux pays se sont entendus pour prendre en commun le contrôle de la majeure partie de la bande frontalière syrienne, après que la Russie aura supervisé le retrait des FDS sur une profondeur de 30 km. Les FDS n’ont eu d’autre choix que d’accepter un accord qui certes permet de stopper l’opération turque, mais met en question l’existence même de leur «administration autonome». En effet, réitérant la volonté commune russo-turque de «résister aux aspirations séparatistes sur le territoire syrien», l’accord prétend préserver «l’intégrité territoriale de la Syrie». Pour autant, il laisse à la Turquie le contrôle de la zone comprise entre Tell Abyad et Ras al-Aïn, sans qu’aucune échéance de retrait soit précisée. À l’est et à l’ouest de cette zone, une fois les FDS retirées à 30 km de profondeur, le contrôle sera pris par des patrouilles communes russo-turques jusqu’à 10 km. Des efforts russo-turcs pour «faciliter le retour volontaire et sécurisé de réfugiés» sont mentionnés, ce qui laisse planer la menace d’un nettoyage ethnique comme celui mené par les Turcs à Afrin…
Le 22 au soir, le ministère turc de la Défense a annoncé qu’il n’avait «pas besoin» de reprendre son offensive, les FDS s’étant retirées de la zone frontalière. Le 23, le ministère russe de la Défense a annoncé qu’à 12h locales (9h00 GMT), une colonne de la police militaire russe avait franchi l'Euphrate en direction de la frontière syro-turque, «pour aider au retrait des YPG et à leur désarmement sur 30 km de profondeur». Leurs premières patrouilles frontalières ont eu lieu le jour même. Le porte-parole des FDS, Mazloum Abdi, a remercié la Russie d’avoir mis fin à l’offensive turque, tout en exprimant des «réserves» sur un accord russo-turc qui permet au régime de Damas de revenir au Rojava «dans les wagons russes»… Selon l’OSDH, «les FDS se sont retirées de positions comprises entre Derbasiyeh et Amouda, dans la région de Hassaké», mais se sont maintenus en de nombreux points de la bande frontalière syro-turque qui s'étend au total sur quelque 440 km.
Le 24, Mazloum Abdi a déclaré à des journalistes à Qamichli que les FDS étaient favorables au plan allemand visant à créer une «zone de sécurité» sous contrôle international, qui devait être discuté ce même jour à Bruxelles au sommet des ministres des Affaires étrangères de l’Otan. Mais sans surprise, avec la participation de la Turquie et après la conclusion d’un accord russo-turc sur le terrain, cette proposition qui aurait risqué de provoquer un affrontement direct avec la Russie, n’a guère reçu de soutien. Dès le lendemain, les troupes syriennes, réapparaissant dans le Nord-Est syrien pour la première fois depuis 2012, sont entrées dans Hassaké (70 km au sud-est de Ras al-Aïn). Le 26, 2.000 soldats syriens, appuyés par des centaines de véhicules militaires et des éléments de la police militaire russe, se sont déployés au sud de la zone contrôlée par la Turquie. La veille, Syrie et Turquie avaient pourtant échangé des invectives au Conseil de sécurité… Le même jour, l’ONU a ouvert un deuxième camp au Kurdistan irakien pour accueillir les réfugiés kurdes syriens, le premier étant saturé, avec 11.000 réfugiés (AFP).
En soirée, entre Tal Tamr et Ras al-Aïn, des affrontements ont opposé forces pro-Ankara, soutenues par l'aviation turque, et FDS appuyées par l'armée syrienne, faisant neuf morts parmi les combattants pro-turcs et six chez les FDS (OSDH). Des échanges de tirs se sont poursuivis le lendemain près de Ras al-Aïn. Le 27, les FDS ont confirmé dans un communiqué leur annonce du 24 qu’elles allaient «se retirer sur une profondeur de 32 km» et que «des garde-frontières du gouvernement central [allaient se déployer] au long de la frontière». L'agence officielle Sana a confirmé le retrait, opéré en coordination avec l’armée syrienne. Ces divers mouvements n’ont pas empêché de nouveaux combats le 29, qui pour la première fois ont opposé directement forces du régime et forces turques. Cinq soldats syriens ont été tués par des tirs d'artillerie turcs, un sixième «exécuté» par des rebelles syriens proturcs. Plus à l’est, à Derbassiyé, une patrouille russe a reçu «par erreur» des tirs d'obus turcs (OSDH). Ce même jour, Russie et Turquie ont confirmé séparément le retrait total des FDS des zones frontalières. Ceci n’a pas empêché la Turquie de continuer à apporter un soutien aérien à ses supplétifs djihadistes dans leurs attaques lancées depuis la «zone de sécurité» contre des villages kurdes, vers l’ouest entre Tal Abyad et Kobané, et vers l’est entre Ras al-Aïn et Tal Tamr. Fidèles à leurs habitudes, les djihadistes pro-turcs se sont également livrés à des pillages à Ras al-Aïn et dans plusieurs villages environnants, volant notamment 48.000 tonnes de blé dans les silos… Le même jour, l’ONU a indiqué que l’invasion turque avait déplacé au moins 80.000 enfants (WKI). Le 30, le président turc a annoncé que des patrouilles conjointes avec la Russie commenceraient le 1er novembre.
Toujours le 30, Damas a appelé les FDS à intégrer l’armée syrienne. Le ministère de l’Intérieur a lancé un appel identique aux Asayish (sécurité kurde) pour qu’ils rejoignent la police. Les FDS ont immédiatement répondu qu’il faudrait d’abord que Damas reconnaisse dans un «accord politique […] leur structure et leur statut spécifiques». Selon Mazloum Abdi, les FDS ont fait au régime des propositions concrètes à ce propos…
La Turquie avait assuré à Mike Pence que sa présence militaire demeurerait temporaire, mais l’accord russo-turc n’a spécifié aucune échéance de retrait… Quel est le degré de sincérité du président turc? M. Erdoğan a signé le 4 octobre un décret ordonnant l’ouverture de plusieurs établissements d’enseignement supérieur dans les territoires syriens contrôlés par la Turquie: un institut de sciences économiques et administratives à Al-Bab, une Faculté des sciences islamiques à Azaz et une Faculté d’éducation à Afrin, qui seront tous rattachés au rectorat de Gaziantep… La poste turque a déjà ouvert un bureau à Al-Bab, et la Turquie a installé des écoles et sa propre police dans les territoires syriens qu’elle contrôle. Se dirige-t-on dans le Nord syrien vers une situation du type «Chypre-Nord», sous occupation turque depuis 1974?
L’attaque turque sur le Nord-Est syrien a provoqué de nombreuses réactions de colère, de solidarité et de soutien en France et dans le monde. En France, les manifestations se sont succédé dès le 9. À Rennes, une cinquantaine de membres de la communauté Kurde se sont rassemblés devant la gare pour dénoncer l’attaque turque et l'attentisme de la communauté internationale, et appeler à une grande manifestation le 11 (France Bleu). Le soir à Nice, un groupe de la même taille a manifesté sur l’avenue Jean-Medecin (Nice Matin), et à Grenoble, une centaine de manifestants ont répondu à l’appel de l’Association iséroise des amis des Kurdes, dont des syndicalistes de Solidaires, des militants des droits de migrants et plusieurs élus municipaux. Le lendemain à Quimper, s’est tenu un rassemblement place Terre-au-Duc à l’appel d’associations et de partis locaux, dont le communiqué reproduisait l’appel du Conseil démocratique kurde de France (CDK-F): «L’invasion turque est synonyme de massacres, de nettoyage ethnique, de drame humanitaire. Elle va enliser la Syrie dans une guerre encore plus profonde et provoquer un exode massif de la population civile qui va amplifier le flux des réfugiés vers l’Europe… Les Kurdes qui ont donné 11 000 vies dans la guerre contre Daesh et développé dans la région un système politique fondé sur la démocratie, le pluralisme et l’égalité des genres, ne représentent une menace pour personne» (Le Télégramme). À Marseille, quelque 300 personnes ont défilé sur la Canebière.
Le 11, des manifestations ont pris place à Rennes, à 17 h Place de la République à l’appel des associations kurdes rennaises (Ouest France), de nouveau à Marseille avec des centaines de personnes, à Nancy place Maginot à l’appel d’un collectif. À Dreux, un rassemblement s’est tenu au pied du beffroi (L’Echo Républicain), à Montpellier, plus de 300 personnes ont réclamé des sanctions économiques et diplomatiques contre la Turquie et surtout, une solution politique durable pour le Kurdistan (France 3 Occitanie).
Le 12, un samedi, de nombreuses manifestations ont pris place dans toute la France à l’appel du CDK-F, souvent relayé localement par des partis de gauche, des associations et des syndicats. À Angers, à l’appel du Mouvement pour la Paix, deux cent personnes se sont rassemblées place du Ralliement (Fr3 Pays de la Loire). À Avignon, c’était à 14 h sur la place de l'Horloge (Le Dauphiné), à Bordeaux (un millier de participants), à Châteaubriant à 18 h sur le parvis de la mairie, où la gendarmerie a dû intervenir quand des membres de la communauté turque ont tenté de brûler une banderole (Ouest France). À Fougères, l’appel à manifester place Aristide Briand lancé par l’UCL a reçu entre autres le soutien du groupe France insoumise local (Actu.fr). À Grenoble, la manifestation a rassemblé 500 participants au centre-ville (France Bleu Isère). Au Mans, une centaine de manifestants se sont rassemblés Place des Jacobins à l’appel du Collectif 72 pour la Paix (Ouest France). À Lille, près de 300 personnes se sont retrouvées à 15 heures place de la République pour scander «Erdogan terroriste!». À Marseille, pour le troisième rassemblement, plusieurs milliers de participants ont défilé en haut de la Canebière à partir de 14h (AFP). À Montbéliard, le rassemblement s’est tenu à 15 h parvis des droits de l’Homme à l’appel d’un Collectif de solidarité tout juste créé pour demander l’arrêt de l’agression turque, l’interdiction de l’espace aérien à l’armée turque, la création d’une zone de sécurité pour les Kurdes du Rojava, la garantie de l’accès de l’aide humanitaire et «des sanctions de la France et de l’Union Européenne contre la Turquie d’Erdogan si l’agression ne cesse pas immédiatement» (France Bleu Doubs). À Lyon, la manifestation à rassemblé 500 personnes, marquée par la provocation d’un conducteur qui a montré un drapeau turc, déclenchant la colère des manifestants et s’enfuyant en manquant renverser un gendarme. À Morlaix, le rassemblement de soutien au peuple kurde s’est tenu à midi au kiosque (Ouest France). À Nantes place du Commerce à 16h, plus de 3000 personnes ont répondu à l'appel du MRAP, qui s’était joint à la Coordination Nationale Solidarité Kurdistan dans différentes villes de France pour dénoncer l'action militaire turque. L’ancien Premier ministre de François Hollande, le Nantais Jean-Marc Ayrault, a exprimé son soutien sur Twitter. La manifestation s’est terminée sans violence devant le consulat turc de Nantes, protégé par les gendarmes mobiles (Fr3 Pays de la Loire). À Nevers, le rassemblement s’est tenu à 10h30 place Carnot (Journal du Centre). À Nimes, il s’est tenu en fin de matinée sur le parvis des arènes à l’initiative du PCF (Midi Libre). À Pau, une soixantaine de personnes se sont rassemblées place Clémenceau, politiques, syndicalistes, militants associatifs ou simples citoyens (France Bleu Pyrénées-Atlantiques). À Poitiers, plusieurs dizaines de personnes ont manifesté, le matin dans le centre-ville, pour dénoncer l’intervention militaire de la Turquie, en un rassemblement soutenu par l’UCL (La Nouvelle République). À Strasbourg, la manifestation s’est tenue de 14 à 16h place Kléber à l’appel d’EELV. À Tours, 150 à 200 participants se sont rassemblés place Jean Jaurès à l'appel notamment du PCF et de l'association «France-Kurdistan 37» (France Indre-et-Loire).
À Paris, deux manifestations de soutien au Rojava ont pris place le samedi 12, la première, à l'appel notamment de l'Institut kurde de Paris, de la revue La règle du jeu du philosophe Bernard-Henri Levy et du Conseil de coordination des organisations arméniennes de France (CCAF) s’est déroulée à 11h30 sur l'Esplanade des droits de l'homme, place du Trocadéro. Dans une tribune publiée le 10 dans Le Monde, les organisateurs ont dénoncé le président turc comme «pendant les années de la guerre contre Daech, le passeur en chef des milliers de djihadistes ralliant le Califat via la Turquie». La seconde, à 14 h Place de la République, faisait suite à l’appel à la mobilisation du CDK-F.
Des manifestations se sont aussi produites à l’étranger. Dès le 11 au Kurdistan d’Irak, des milliers de manifestants ont conspué le président turc. À Liège, environ 400 Kurdes se sont réunis place Saint-Lambert à 17h (RTBF). En Suisse, un millier de personnes ont manifesté à Berne et 200 à 250 à Genève place des Nations. Le 12, plusieurs milliers de personnes ont manifesté à Zurich, et 300 à 400 à Bellinzone, scandant «Erdogan assassin» et réclamant la liberté pour le peuple kurde (Swissinfo.ch). En Allemagne, où vit une importante communauté kurde, des manifestations ont eu lieu le 12 à Cologne (plus de 10.000 participants), Francfort (4.000), Hambourg (3.000), Hannover (3.000), ainsi qu’à Berlin, Brême et Sarrebruck. À Manchester (Royaume-Uni), 250 à 300 manifestants, rassemblés à Piccadilly Gardens ont brandi drapeaux kurdes et pancartes portant notamment «Stop au nettoyage ethnique des Kurdes», et «Boycott de la Turquie» (Manchester Evening News). Des manifestations ont aussi eu lieu en Irlande, notamment à Dublin, Rue O’Connell. Au Québec, environ 200 manifestants se sont rassemblés le 12 au centre-ville de Montréal, au carré Phillps. Le Canada figure parmi les pays qui ont condamné l’attaque. «C’est très apprécié, mais on doit faire beaucoup plus, a observé Hovig Tufenkjian, du Comité national arménien du Canada» (Le Devoir).
En Grèce, un millier de Kurdes et sympathisants ont manifesté à Thessalonique, avec des pancartes demandant notamment «Où est l’ONU?». À Athènes, 2.000 manifestants ont marché jusqu’à l’ambassade turque, protégée par la police, et un autre groupe de 150 personnes jusqu’à l’ambassade américaine. À Jérusalem, plusieurs dizaines de personnes, certaines d'origine kurde, ont manifesté devant la résidence du Premier ministre Netanyahou. Le 10, des dizaines d'officiers des forces de défense israéliennes avaient signé une pétition appelant l'État à fournir une assistance humanitaire aux combattants kurdes du nord de la Syrie (i24). À Beyrouth, près de 300 Kurdes ont manifesté le 13 place des Martyrs (L’Orient Le Jour). Des rassemblements ont aussi eu lieu à Chypre, Varsovie, Bruxelles et La Haye, ville où la police a dû intervenir pour séparer des Néerlandais d'origine turque et des manifestants.
En Turquie même, le 10, Sezai Temelli, co-président du HDP, seul parti à s’être opposé à l’opération au parlement, a demandé au gouvernement d’y mettre fin immédiatement; appelant le CHP (opposition kémaliste), qui l’avait approuvée, à «se débarrasser de ses contradictions», Temelli a appelé l’UE, les USA et l’ONU à agir.
À côté de la solidarité exprimée par les citoyens de nombreux pays, l’invasion turque a aussi provoqué des réactions des politiques. Ainsi le 7, deux jours avant l’attaque, le Président et le Premier ministre français avaient exprimé leurs inquiétudes, exhortant la Turquie à renoncer à une opération risquant de contribuer à une résurgence de Daech. Le président a reçu à l’Elysée la responsable kurde Ilham Ahmed, exprimant la volonté de préserver les FDS. Le 8, le Royaume-Uni s’est déclaré «profondément préoccupé». Après le lancement de l’invasion, les réactions négatives se sont multipliées en France: Amélie de Montchalin, secrétaire d'État aux Affaires européennes, a annoncé une condamnation commune France-Allemagne-Royaume-Uni, Marielle de Sarnez, présidente de la Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale, Bruno Retailleau, président des Sénateurs LR, et Jean-Luc Mélenchon (LFI) ont notamment condamné l’invasion. L'ex-président François Hollande a demandé des sanctions contre la Turquie si l’offensive se poursuivait. Aux Pays-Bas, l'ambassadeur turc a été convoqué. Le même jour, la France a saisi le Conseil de sécurité de l'ONU.
Le 10, Ilham Ahmed a appelé en vain à Bruxelles les pays de l'UE à «geler leurs relations diplomatiques avec la Turquie en rappelant leurs ambassadeurs immédiatement».
Plusieurs pays européens ont annoncé un à un la suspension de toute exportation d'armes vers Ankara: la Norvège le 10, les Pays-Bas le 11, suivis le 12 par l’Allemagne (242,8 millions d'euros d’armement exportés vers la Turquie en 2018, près d'un tiers de ses exportations d’armes), et le 15 par le Royaume-Uni. Le 13, le président turc, rétorquant que ces embargos ne feraient pas reculer la Turquie, a répété sa menace habituelle d’«envoyer 3,6 millions de migrants» vers l’UE, suscitant l’indignation de Donald Tusk, président du Conseil de l'UE Donald Tusk, qui a dénoncé (depuis Chypre…) un chantage «inacceptable». L’UE, rappelant par ailleurs avoir alloué à la Turquie 97% des fonds d’aide prévus, a réitéré son opposition à tout changement démographique en Syrie, précisant qu’elle n’accorderait aucun financement pour y réinstaller des réfugiés…
À New York, à l'issue d'une réunion d'urgence du Conseil de sécurité, les cinq pays européens y siégeant – Paris, Berlin, Bruxelles, Londres, Varsovie – ont exigé l'arrêt de l’«action militaire unilatérale», et la France a demandé une réunion d'urgence de la coalition internationale anti-Daech.
Le 13, le président français et la chancelière allemande ont appelé ensemble la Turquie à cesser l’opération. En Italie (l'un des principaux fournisseurs d'armes à la Turquie), le chef du gouvernement Giuseppe Conte a indiqué souhaiter l’instauration «le plus rapidement possible» d’un «moratoire sur les ventes d'armes à la Turquie » dans le cadre de l'UE. Mais le 14, la réunion des ministres des Affaires étrangères de l’UE n’a abouti à aucune décision formelle. À son arrivée à Luxembourg, le futur chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, avait souligné que les ventes d’armes à la Turquie résultaient d'«accords conclus pays par pays» et que la décision de les cesser relevait de la souveraineté de chaque État membre. Le communiqué final de la réunion a condamné l'opération turque et annoncé des sanctions contre… les forages illégaux turcs au large de Chypre. L'accord s'est fait a minima sur une «stricte application» de la politique d'exportations d'armements, qui prévoit qu’elles ne doivent pas «contribuer à l'instabilité régionale». Si l’Espagne a annoncé le retrait en décembre de sa batterie de missiles Patriot déployée par l'Otan à Adana, un haut responsable européen a expliqué que l’appartenance de la Turquie à l'Otan rendait impossible un embargo par ses alliés…
Le 17, au terme de la première journée d'un sommet tenu à Bruxelles, le Conseil européen a pris note de la suspension de l'opération turque et, renouvelant sa condamnation, a de nouveau appelé Ankara à retirer ses troupes. Le 20, le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, a déclaré que l’attaque turque violait le droit international. Le lendemain, le président turc a accusé les pays occidentaux de «s'être rangés aux côtés des terroristes». Le 23, le gouvernement allemand, critiquant l'accord russo-turc du 22, a proposé une solution internationale impliquant aussi l'Europe pour régler le conflit. Le même jour, une déclaration commune de parlementaires européens et américains a réitéré la condamnation de l’opération turque, avant une nouvelle condamnation le lendemain du Parlement européen caractérisant celle-ci comme «une violation grave du droit international». Entre autres demandes, la résolution votée à main levée demandait aux États membres des «sanctions ciblées et interdictions de visa» contre les hauts fonctionnaires turcs «responsables des atteintes aux droits de l'homme perpétrées dans le cadre de l'intervention militaire en cours» et ceux «responsables de la répression des droits fondamentaux en Turquie» et, en dernier recours, la suspension de l'union douanière entre UE et Turquie. De nombreux députés ont durant les débats dénoncé l’impuissance de l’UE.
La même impuissance a caractérisé l’OTAN, dont s’ouvrait le 23 la réunion semestrielle des ministres de la Défense. Au moment du lancement de l’offensive, le 9, l’organisation s’était bornée à appeler la Turquie à la «retenue». Le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, s’est refusé à toute condamnation, mentionnant les «légitimes préoccupations [d’Ankara] pour sa sécurité»… Effrayés d’un nouveau rapprochement Ankara-Moscou, les alliés n’ont guère examiné sérieusement la proposition allemande d’une zone de protection sous contrôle international, soutenue par les Autorités kurdes de Syrie: «Il n'y a pas eu de demande pour une mission de l'OTAN dans le nord-est de la Syrie, a déclaré Stoltenberg…
Le 30, l’Assemblée nationale française a adopté à l'unanimité une résolution (non contraignante, contrairement aux lois) proposée par Marielle de Sarnez, Présidente de la commission des Affaires étrangères, condamnant l'offensive turque. Co-signée par les présidents des huit groupes politiques de l'Assemblée, celle-ci «condamne fermement» l'offensive turque, «demande l'arrêt immédiat des hostilités» et «affirme son indéfectible soutien aux FDS». Tous les orateurs des groupes lui ont apporté leur appui, certains déplorant que l'Europe soit demeurée «spectatrice». La Turquie l’a «fermement» rejetée et a convoqué le lendemain l’ambassadeur français à Ankara.
À Washington, la brusque décision de retrait militaire de Donald Trump a provoqué un tollé, plusieurs soutiens républicains du président, Lindsey Graham, Liz Cheney ou encore Marco Rubio, l’exhortant à revenir sur cette «erreur». L'ancienne ambassadrice à l'ONU, Nikki Haley, s'est aussi émue. Côté démocrate, Hillary Clinton a qualifié la décision de «trahison ignoble», et Bernie Sanders, pourtant partisan d’un désengagement, d’«extrêmement irresponsable» dans sa soudaineté. Le Pentagone a indiqué «ne pas cautionner» l’opération turque, et le 10, l’ancien chef des forces américaines au Moyen-Orient, le général Joseph Votel, a accusé Trump d'avoir «abandonné» les Kurdes.
Le 9, deux sénateurs, le républicain Lindsey Graham et le démocrate Chris Van Hollen, ont dévoilé une proposition commune de sévères sanctions contre la Turquie si elle ne retirait pas ses troupes: gel des biens aux États-Unis du président turc et de plusieurs ministres, arrêt des ventes d’armes américaines à la Turquie, sanctions contre toute entité vendant des armes au pays, restriction des visas aux responsables turcs. Le texte prévoyait aussi la mise en œuvre rapide des sanctions prévues pour l’achat turc du système russe de défense antimissiles S-400. Le 13, le ministre de la Défense Mark Esper, qualifiant l'offensive d'Ankara d’«inacceptable», a déclaré que la Turquie semblait commettre des crimes de guerre. Le 14, les États-Unis ont condamné «le plus fermement possible» l'exécution «extrajudiciaire» de Hevrin Khalaf par des rebelles syriens pro-Ankara, et le président a signé un décret présidentiel imposant des sanctions ciblées à trois ministres turcs. Le 16, la Chambre des représentants a adopté à une large majorité, dont deux-tiers des républicains, une résolution (non-contraignante) condamnant le retrait. Alors que le projet de sanctions de Lindsey Graham et Chris Van Hollen arrivait au vote au Sénat, l’annonce du cessez-le-feu obtenu à Ankara par Mike Pence et Mike Pompeo a largement calmé la fronde, même si des élus républicains comme Marco Rubio ou encore Mitt Romney sont demeurés critiques, ce dernier déclarant que cet accord était «loin d’être une victoire». Mais le 23, Donald Trump annonçait la levée des sanctions du 14: elles n’auraient duré que dix jours…
Le lendemain, les États-Unis annonçaient le maintien dans l'est syrien de militaires pour empêcher la prise de contrôle de ses champs pétroliers par le régime et ses alliés russe et surtout iranien, alors qu’Ilham Ahmed, co-présidente du Comité exécutif du Conseil démocratique syrien, tentait d’obtenir un soutien politique minimum du Congrès et de l’administration Trump. Selon Al-Monitor, elle a présenté plusieurs demandes, parmi lesquelles l’imposition de sanctions contre la Turquie, le déploiement d’une force internationale de maintien de la paix à la frontière syro-turque, la suspension de l’article 5 de la charte de l’OTAN pour ce qui est de l’agression turque en Syrie, l’imposition dans l’espace aérien contrôlé par la coalition anti-Daech d’une zone d’exclusion aérienne empêchant les bombardements turcs. Enfin, elle a demandé un soutien américain pour que le CDS puisse participer aux discussions entamées sous l’égide de l’ONU. En fin de mois, aucune de ces demandes n’apparaissait avoir été entendue …
Au total, si indignation et expression du soutien ont été générales en Europe comme aux États-Unis, au niveau institutionnel, les alliés occidentaux du Rojava ont fait preuve de leur impuissance, de leurs divisions, et de leur manque de volonté politique pour arrêter l’opération turque. Au-delà des condamnations en paroles de la Turquie, aucune des demandes désespérées de ses Autorités n’a reçu de réponse concrète.
Confronté à des difficultés économiques et politiques croissantes, M. Erdoğan, selon une recette éprouvée, a tenté de les faire oublier en lancant le 9 octobre contre le Rojava l’opération militaire «Source de paix». L’«ennemi extérieur kurde» semble bien jouer son rôle, mais reste à voir combien de temps cette diversion fonctionnera. Comme l’a déclaré à Özgür Politika l’ancien co-président du parti «pro-kurde» HDP, Selahattin Demirtaş: «L’AKP […] sait très bien qu’il ne pourrait pas rester au pouvoir même un mois sans une politique de guerre. […] Mais la guerre est un couteau à double tranchant: si vous n’obtenez pas de résultats, il vous coupera à la fin».
Comme après les attaques sur les villes kurdes de Turquie en 2016, puis l’invasion d’Afrin l’an dernier, les autorités turques ont lancé la chasse contre tous ceux osant critiquer l’opération sur les réseaux sociaux et envoyé la police réprimer toute manifestation, avant de reprendre les destitutions d’élus du HDP.
Le jour même de l’attaque, la Direction de la sécurité a annoncé avoir lancé des enquêtes contre 78 personnes (TIHV). Le 10 à Ankara, huit personnes ont été incarcérées lorsque le HDP a tenté de donner une conférence de presse pour protester. Elles ont été relâchées le lendemain, mais onze autres ont été incarcérées lors d’une nouvelle conference de presse (TIHV). Le même jour, plus de vingt personnes étaient arrêtées à Mardin pour «propagande terroriste» (Anatolie) et «incitation du public à la haine», dont le co-maire de Derik (Mardin) Şerif Kıran et plusieurs conseillers municipaux… Une information judiciaire a été ouverte contre les co-présidents du HDP, Sezai Temelli et Pervin Buldan, pour avoir qualifié l’opération d’«invasion», ainsi que contre la députée HDP de Muş, Gülüstan Kılıç Koçyiğit, et les députés HDP Leyla Güven et Berdan Öztürk, aussi coprésidents du Congrès pour une société démocratique (DTK). Le responsable du site Internet du journal Birgün, Hakan Demir, et l’éditeur du site d’actualités Diken ont été interpellés dans la nuit à leur domicile, accusés d’«incitation du public à la haine», avant d’être remis le lendemain en liberté conditionnelle, passeport confisqué. Birgün avait simplement relayé sur Twitter un article rapportant la mort de civils dans des frappes turques… Deux journalistes ayant rapporté des déclarations des FDS ont été incarcérés. Les gouverneurs d’Urfa puis de Kocaeli ont annoncé l’interdiction pour quinze jours de toute protestation publique.
Le 11, le Conseil supérieur de la radio et de la télévision (RTÜK) a annoncé la censure de toute critique en indiquant qu’aucune émission «soutenant le terrorisme» ne serait tolérée. Le même jour, les barreaux de Diyarbakır, Van, Urfa, Mardin, Şırnak, Muş, Adıyaman, Bingöl et Dersim ont appelé conjointement à «l’arrêt immédiat de la guerre». Le ministre de l’Intérieur Suleiman Soylu a annoncé que depuis le 9 octobre, 121 personnes avaient été placées en garde à vue dans tout le pays. Il a ajouté le 13 que des mesures avaient visé 500 personnes ayant «insulté l’opération ou défini notre pays comme un envahisseur sur les médias sociaux». Le même jour, le président turc a indiqué que 109 personnes avaient été incarcérées et 589 autres visées par des mesures administratives (Bianet).
Toujours le 11, treize personnes ont été incarcérées à Izmir, douze relâchées le lendemain et une arrêtée pour «propagande pour une organisation illégale», huit à Nusaybin, dont le co-président local du BDP et plusieurs conseillers municipaux. À Diyarbakir, les co-maires du district de Bismil, Gülşen Özer et Orhan Ayaz, ont été incarcérés puis relâchés le même jour. Le 12, la police a empêché une conférence de presse du HDP à Adana, et la co-présidente du HDP d’Iskenderun, Hülya Ateş, a été incarcérée puis inculpée d’«appartenance à une organisation illégale». À Antalya et au Hatay, d’autres membres de partis de gauche ont été arrêtés. Le journaliste d’Arabiya Zidan Zankloi, qui couvrait l’opération à Urfa, a été arrêté. À Diyarbakir, Vahit Aba, dirigeant du Partiya Azadiya Kurdistan (PAK), a été incarcéré puis placé en résidence surveillée. À Şırnak, cinq personnes ont été incarcérées, et deux à Silopi. À Izmir, seize membres du parti communiste de Turquie (TKP) et quatre du Mouvement communiste (TKH) qui distribuaient le journal Boyun Eğme et Sosyalist Cumhuriyet, dont la Une portait sur l’opération, ont été incarcérés. Le 13, les co-présidents HDP du district de Ceyhan, Delal Mamuk et Seyfettin Aydemir, ont été incarcérés, puis relâchés après déposition. Un responsable HDP, Tahir Özdemir, a été arrêté pour «appartenance à une organisation illégale». Le 14, le procureur d’Ankara a lancé une enquête contre le député CHP d’Istanbul Sezgin Tanrıkulu pour avoir qualifié publiquement au 759e rassemblement des «Mères du Samedi» l’opération de «guerre injuste» (Bianet).
Le 15, soixante-dix-neuf «Artistes contre la guerre» ont courageusement lancé sur change.org une pétition en turc, kurde et anglais, proclamant: «Non à la guerre, aux mensonges, au pillage!». Le 16, l’agence Anatolie a rapporté 186 incarcérations pour «désinformation» sur les réseaux sociaux. 38 personnes ont été relâchées et 40 libérées sous contrôle judiciaire. À Bursa, sur quinze personnes incarcérées, cinq ont été inculpées le lendemain de «propagande pour une organisation illégale». À Erzincan, l’ancien co-président HDP local, Ayhan Pakan, a été arrêté. D’autres incarcérations ont eu lieu à Istanbul, Izmir, Çanakkale et Diyarbakir, où l’un des dix incarcérés, âgé de 17 ans, a été inculpé d’«appartenance à une organisation illégale». À Istanbul, neuf des dix-sept personnes incarcérées ont été inculpées. À Diyarbakir, Mersin et Şırnak, la police a empêché des conférences de presse du HDP. À Şırnak la députée Nuran İmir et la co-maire d’İdil Songül Erden ont été gravement affectées par le gaz poivre. À Şişli (Istanbul), deux membres de Dev-Güç qui avaient occupé les locaux du CHP et suspendu des bannières opposées à l’opération ont été arrêtés. À Izmir, Adana et à Şırnak, des rassemblements du HDP ont été interdits d’avance par le gouverneur en raison d’«éventuelles protestations» contre l’opération militaire.
Le 17 octobre, quatre personnes ont été incarcérées à Kocaeli, treize à Adana, huit à Denizli, dix à Ankara, une à Urfa, huit à Mardin, quatorze à Elazığ, et au moins six à Çanakkale. Huit personnes ont été arrêtées à Bursa, Kocaeli, Antalya et Konya. Les détentions de trente personnes incarcérées le 11 à Nusaybin ont été prolongées. Trois des onze personnes incarcérées à Antalya ont été inculpées. À Istanbul, l’éditeur du magazine Meşale, Özgür Sazlık, a été incarcéré lors d’un raid chez lui ainsi qu’un membre d’un parti révolutionnaire. Le responsable du Partîya Komunîst a Kurdistan (KKPê) Sinan Çiftyürek, incarcéré à Diyarbakīr la veille, a été relâché sous contrôle judiciaire. Le même jour, les gouverneurs de Mardin, Eskişehir et Adana ont interdit par avance tout événement public en raison d’«éventuelles protestations» contre l’opération. À Urfa, déjà soumise à l’interdiction depuis le 19 août, le gouverneur a pris la même décision le 21. Le 25, les gouverneurs d’Adana, Batman et Van (où tous événements publics étaient déjà interdits depuis le 21 septembre) ont fait de même; Iğdır a suivi le 28.
Le 18, trois enfants ont été incarcérés dans des raids à domicile à Istanbul, pour avoir participé à des manifestations de protestation. Ils ont été libérés le 21. À Mardin le 21, le reponsable local HDP Abidin Uyan, incarcéré le 10, a été inculpé d’«appartenance à une organisation illégale». Dix-huit autres personnes incarcérées dans la même enquête ont été relâchées sous contrôle judiciaire, quatre demeurant détenues. Le 23, trois responsables HDP de Kocaeli ont été incarcérés pour leurs messages sur les réseaux sociaux, de même qu’à Istanbul un reporter de NetNews, Emre Orman. Plusieurs personnes incarcérées les jours précédents dans tout le pays ont été inculpées. Le 24, cinq personnes ont été incarcérées à Adiyaman. Certains témoignages rapportent des violences policières: le 16 à Diyarbakir, lors d’un raid chez elle, Çimen Ülker a été frappée à coups de pieds, et sa mère menacée d’étranglement par un officier lui pointant son pistolet sur la tempe. Le 28 à Urfa, un père et ses deux fils ont été menottés dans le dos, allongés sur le sol, frappés et menacés de mort («L’État nous a ordonné de tirer, nous pouvons vous tuer»). Emmenés à la Sécurité, ils ont été de nouveau frappés. Un médecin a rédigé un faux certificat pour la police sans même les examiner… (TIHV)
Les critiques du HDP contre l’invasion du Rojava ont fourni de nouveaux prétextes au pouvoir pour réprimer les membres et les élus de ce parti, le seul ayant refusé d’approuver l’invasion du Rojava au parlement; de nouveaux élus municipaux HDP ont été destitués.
Le mois a commencé avec le procès le 1er de 12 membres et responsables du HDP à Istanbul, dont l’ancien co-président local, Doğan Erbaş, tous accusés d’«appartenance à une organisation illégale». Le procès a été ajourné au 30 janvier. Parallèlement, quatre membres du DEV-GÜÇ (Jeunes révolutionnaires) ont été incarcérés lors de raids lancés à Istanbul et Izmir. À Tunceli (Dersim), les co-présidents HDP provinciaux Hıdır Çiçek et Özlem Toprak ont été incarcérés en même temps que le responsable İHD Gürbüz Solmaz et d’autres responsables HDP locaux, notamment celui du district de Mazgirt Celal Aydın. À Diyarbakir, le procureur a demandé la levée d’immunité de la députée HDP d’Hakkari et co-présidente du DTP Leyla Güven pour ses critiques publiques de la nomination d’un administrateur à la mairie de Diyarbakir. À Şırnak, le gouverneur a de nouveau interdit toute manifestation pour 15 jours; la première interdiction faisait suite à la nomination d’administrateurs aux mairies de Diyarbakir, Mardin et Van. Le lendemain, le gouverneur d’Adana a pris, pour la quatrième fois, la même décision (TIHV).
Le 2, s’est tenue à Diyarbakir l’audience finale du procès de l’avocate Feride Laçin pour participation aux activités du Congrès pour une société démocratique (DTK). Accusée de «création et direction d’une organisation illégale», elle a été acquitée. Le 4, l’ancien député HDP Sirri Süreyya Önder, condamné à 3 ans et demi de prison pour propagande terroriste suite à son discours de Newrouz 2013, a été remis en liberté sur décision de la Cour constitutionnelle, qui a jugé que sa liberté d'expression avait été violée. Un des avocats de Selahattin Demirtaş, Me. Kayaoğlu, a fait remarquer que la Cour constitutionnelle s’était bien gardée de rendre un verdict sur la violation des droits de son client, pour lequel un dossier avait été soumis deux jours avant celle concernant Önder et pour les mêmes faits… (Bianet) Par ailleurs, Demirtaş a été de nouveau condamné le 7 à un an et trois mois d’emprisonnement avec sursis pour avoir participé à un événement en 2013 (TIHV)…
Le 5, quatorze personnes ont été interpellées chez elles à Şırnak, dont la conseillère municipale Gurbet Güleş. Huit ont été relâchées le 8. Le 6, seize membres du HDP de Kayapınar (Diyarbakir) dont le co-président du district, ont été incarcérés lors de raids chez eux, puis relâchés le lendemain. Le 7, neuf personnes, membres du HDP, du DTP et de la Fédération des assemblées socialistes, ont été de même incarcérées à Tunceli. Le 7, le gouverneur d’Urfa a annoncé le renouvellement de l’interdiction de tout événement public pour quinze jours. C’est la troisième interdiction de ce type depuis la nomination d’administrateurs à Diyarbakır, Mardin et Van (TIHV).
Le 8, l’ancienne co-présidente du HDP Figen Yüksekdağ a été acquittée durant l’audience finale de son procès à Ankara pour «insulte à la nation turque, à la République de Turquie et à ses institutions». Cet acquittement n’a pas eu d’incidence sur son incarcération, car elle reste inculpée dans de nombreuses autres affaires.
Le 9, au moins trente-et-une personnes, dont des membres de conseils municipaaux et des dirigeants de partis politiques et de syndicats, ont été incarcérées dans des raids dans plusieurs districts de la province d’Urfa. Le même jour, quatre membres du HDP ont été incarcérés à Diyarbakir, avant d’être libérés le même jour. Le 11, le tribunal a accepté l’acte d’accusation contre l’ex-co-maire métropolitaine de Van, Özgökçe Ertan, destituée le 19 août dernier. Accusée notamment d’«appartenance à une organisation terroriste», elle risque jusqu’à trente ans de prison (Bianet). Les 11, 12 et 13, la police a empêché devant le bureau du HDP à Diyarbakir plusieurs sit-in de protestation contre la nomination d’administrateurs à Diyarbakır, Mardin et Van, interpellant vingt-six personnes en vertu de l’interdiction de manifestation publique du gouverneur. Parmi elles, deux responsables HDP du district de Bağlar, sa co-présidente Fatma Kavmaz, et la membre de l'assemblée du parti Şahin Tanrıverdi, accusées de «propagande pour une organisation illégale», ont été placées en résidence surveillée avec interdiction de quitter le pays. Un rassemblement de soutien devant le tribunal a été dispersé violemment. Un autre sit-in HDP à Van a été également empêché.
Toujours le 13, à istanbul, une commémoration pour le septième anniversaire de la fondation du HDP a été attaquée par la police d’Istanbul avec des balles de caoutchouc et du gaz poivre, et neuf personnes interpellées, dont le co-président du district de Şişli Mutlu Öztürk, et celui du district de Küçükçekmece Hüseyin Fidanboy. Les personnes interpellées ont été formellement inculpées le 15 de «violation de la loi sur les réunions et rassemblements» et «propagande terroriste». Le 14, Hülya Ertaş, membre du bureau exécutif du HDP, a été interpellée à Diyarbakir.
Le 15 à l’aube, la police a lancé des raids dans plusieurs municipalités des provinces de Hakkari, Mardin et Van et a arrêté de nombreux membres et élus locaux du HDP, dont les co-maires de Hakkari, Yüksekova, Erciş et Nusaybin. À Hakkari, les raids ont visé la mairie et le domicile du co-maire, Cihan Karaman, arrêté chez lui. Les co-maires de Yüksekova, Remziye Yaşar et İrfan Sarı, ainsi que ceux de Nusaybin, Semire Nergiz et Ferhat Kut, ont aussi été arrêtés à leur domicile. Un raid violent a aussi visé le «centre de crise» installé à Nusaybin par le HDP pour aider les habitants de cette ville frontalière devenue la cible d'attaques au mortier depuis le début de l'offensive turque au Rojava. La police a brisé la porte, frappé plusieurs personnes présentes, et interpellé sur place le conseiller municipal Mehmet Emin Alkan. À Van, la police a interpellé à la mairie les co-maires du district d’Erciş Yıldız Çetin et Bayram Çilek. Le conseiller municipal Erhan Akbaş et les co-présidents HDP du district Hicran Kandemir et Şakir Asıl, et Baran Karaca ont été arrêtés chez eux. Enfin, le mardi 15 au matin, la police a arrêté plusieurs membres du HDP à Bursa, Istanbul et Malatya. Le 17, Nergiz, Kurt, Karaman, Yaşar et Sarı ont été inculpés d’«appartenance à une organisation illégale» et «propagande pour une organisation illégale». Ils ont été immédiatement suspendus de leur poste par le ministère de l’Intérieur, qui a nommé administrateurs à leur place le gouverneur ou sous-gouverneur de leur juridiction. Alkan a été relâché.
Le 16, le procureur de Diyarbakir a lancé une enquête contre le maire HDP de Mardin suspendu en août dernier, Ahmet Türk, pour «propagande pour une organisation illégale», sur la base d’un discours prononcé au Newrouz 2018. Dans sa déposition, Türk a déclaré avoir défendu la paix et la démocratie. Le 17, la police d’Izmir a empêché un «rassemblement pour la démocratie» devant le bureau du HDP, autorisant seulement le co-président du HDP Sezai Temelli à faire une déclaration dans son bureau. Les mêmes événements se sont produits à Van. Le même jour, plusieurs responsables d’associations de femmes incarcérées à Diyarbakir durant des raids à leur domicile ont été soumises par les policiers à des insultes et menaces sexistes (TIHV). Toujours le 17, le co-président HDP d’Hakkari Sinan Kaya a été condamné à dix ans et quatre mois d’emprisonnement pour notamment «propagande pour une organisation illégale» et «résistance à un officier de police».
Le 21 tôt le matin, quatre nouveaux co-maires HDP ont été incarcérés après des raids sur leur domicile: Selçuk Mızraklı, co-maire de Diyarbakır, démis le 19 août dernier, Keziban Yılmaz, co-maire (femme) de Kayapınar, Orhan Ayaz, co-maire de Bismil, et Rojda Nazlıer, co-maire (femme) de Kocaköy. La police a bouclé et persuisitionné les mairies des districts de Kayapınar, Bismil et Kocaköy, et l’enquête a été déclarée confidentielle. Le HDP a appelé l’opposition à ne «pas garder le silence», par la voix de son responsable adjoint de groupe parlementaire Saruhan Oluç, qui a déclaré que le gouvernement continuait à «bafouer la volonté du peuple en utilisant la guerre comme prétexte». Le 22, Mizraklı a été inculpé d’«appartenance à une organisation terroriste», et Yılmaz et Nazlıer ont également été arrêtées et remplacées par des administrateurs, tandis que le co-maire de Cizre, Mehmet Zırığ, était suspendu et remplacé par un administrateur. Le même jour, Mesut Ürün, coprésident HDP de Mazıdağı (entre Diyarbakir et Mardin), a été incarcéré, et quatre personnes ont été incarcérées à Tatvan avant d’être relâchées sous contrôle judiciaire. Le 23, trois membres du HDP ont été incarcérés à Muş et deux à Malatya, dont à chaque fois le co-président local. Deux des détenus de Muş ont été inculpés le 25 de «propagande pour une organisation illégale» et la troisième relâchée sous contrôle judiciaire. À cette date, onze élus HDP avaient été démis depuis les élections du 31 mars. Mais le gouvernement ne s’en est pas tenu là. Le 24, il a lancé au parlement une large offensive anti-HDP, avec le dépôt de 31 demandes diférentes de poursuites auprès de la Commission Constitution et Justice contre un député du parti İYİ et 19 députés HDP, incluant Sezai Temelli (visé par cinq procédures) et Pervin Buldan (une procédure).
Le 28, les trois maires démis Mızraklı, Yılmaz et Nazlıer, ont été transférés de Diyarbakir à Kayzeri, 600 km à l’ouest, sans raison invoquée. Le 29, la police a violemment dispersé à Şırnak une protestation contre la destitution de Zırığ, blessant de nombreuses personnes et en interpellant quatre, dont deux conseillers municipaux de Cizre, Mesut Uçkaç et Serhat Küçük. Ce jour, le nombre de maires HDP démis depuis les élections du 31 mars dernier se montait à treize, dont ceux des municipalités métropolitaines de Van, Diyarbakır et Mardin.
Après son invasion du Rojava, le pouvoir turc a encore redoublé de répression, visant tous ceux qui osaient critiquer son opération militaire et lançant une nouvelle vague de destitutions d’élus HDP. Parallèlement, il a aussi poursuivi ses attaques contre les médias, les défenseurs des droits de l’homme et plus globalement, toutes les victimes de sa politique qui osaient relever la tête, comme les fonctionnaires licenciés qui osaient protester ou tout simplement ceux qui parlent kurde…
Le 1er du mois s’est tenue à Istanbul une audience du procès de l’ancien rédacteur en chef du journal Yeni Yaşam, Osman Akın, immédiatement ajourné au 9 janvier 2020, et le lendemain le 2, une audience à Ankara de celui de Rahmi Yıldırım, contre lequel sont requis deux à quatre ans de prison pour un article sur le ministre de la Défense, Hulusi Akar. Le procès a été renvoyé au 25 décembre. Le même jour, se tenait à Diyarbakir le procès de huit prévenus dont sept journalistes de la Dicle News Agency (DİHA), fermée depuis par décret d’urgence, pour des articles sur Musa Çitil, brigadier-général de gendarmerie, durant le couvre-feu du quartier de Sur (Diyarbakir). Un à cinq ans sont requis pour «divulgation de l’identité d’officiels chargés de la lutte antiterroriste»… Le procès a été ajourné au 18 décembre. Le 9, la Cour suprême d’appel a confirmé la peine de huit ans et neuf mois pour «appartenance à une organisation illégale» du journaliste Türfent, aussi de l’agence DİHA: il avait rapporté les violations des droits de l’homme du couvre-feu sur Yüksekova, et interviewé des membres du groupe armé YPS.
Le 18, le journaliste Hayri Demir, accusé d’«appartenance à une organisation illégale», a dénoncé l’inclusion dans l’acte d’accusation d’une photo prise avec Selahattin Demirtaş lors d’une interview d’octobre 2015, volée chez lui en février 2018, et «mystérieusement» transmise à la police… «Est-ce un crime d'interviewer le président d'un parti qui a reçu six millions de votes?» a demandé Demir, ajoutant: «Nous allons vers des jours où même respirer sera considéré comme un crime» (Bianet). Le 24, le journaliste Emre Orman, qui couvrait régulièrement les protestations des «Mères du samedi» à Istanbul, a été inculpé de «propagande pour une organisation terroriste». Le 25, le président turc a porté plainte contre le magazine français Le Point, qui en Une de son dernier numéro, l’avait qualifié d'«éradicateur» des Kurdes de Syrie. Le même jour, le vice-président turc Fuat Oktay, répondant à une question parlementaire du député CHP Fethi Gürer, a indiqué que depuis 2015, 3.804 cartes de presse turques avaient été annulées, dont 715 depuis janvier 2019, leur nombre étant passé de 15.485 à 12.735 (Bianet). La veille, le site Bianet avait indiqué que sur les trois derniers mois, 31 journalistes avaient été licenciés, 212 jugés et 13 incarcérés, et que 577 articles en ligne avaient été bloqués. Le 27, Nurcan Kaya, journaliste du site Artı Gerçek, a été incarcérée à l’aéroport d’Istanbul. Accusée d’«incitation à la haine et à l’hostilité» suite à ses publications sur les réseaux sociaux, elle a été relâchée après déposition. Le 28, s’est tenue l’audience du procès du journal Sözcü, dont plusieurs employés, dont son rédacteur en chef, sont accusés de «direction d’une organisation illégale». Il a été ajourné au 27 décembre.
Enfin, le 30, huit journalistes du quotidien Hürriyet ont été informés de leur licenciement par courrier. Selon OdaTV, le rédacteur en chef, Vahap Munyar, n’était pas au courant. Le lendemain, plus d’une douzaine de journalistes supplémentaires ont été licenciés. Dans ce contexte, les éditorialistes Gülse Birsel et Naim Dilmener ont annoncé leur démission sur Twitter. Depuis mars 2018, le groupe Doğan, propriétaire d’Hürriyet, appartient à la famille Demirören, très liée à M. Erdoğan (Bianet)…
Au chapitres de rares bonnes nouvelles, le 11, Necla Demir, ancienne directrice de publication du site d'information Gazete Karınca, a été acquittée de «propagande répétée pour une organisation terroriste», dont elle avait été inculpée après sa couverture de l'attaque d’Afrin. Le 16, Beritan Canözer, de l’agence JINHA, accusée d’«appartenance à une organisation illégale» pour sa couverture des violences subies par les habitants de Sur (Diyarbakir), a été acquittée. Le 23, la Cour constitutionnelle a jugé que quatre interdictions de publication imposées à des médias avaient violé leurs droits. Parmi les affaires concernées, l’interdiction imposée à Cumhuriyet sur la livraison d’armes par le MIT aux rebelles syriens, et celle imposée à Bianet concernant l’enquête parlementaire pour corruption visant quatre ministres AKP en 2013. Le 25, lendemain de l’entrée en application du nouveau «paquet judiciaire», le dernier accusé de l’affaire Cumhuriyet, Emre İper, originellement condamné à plus de trois ans d’emprisonnement, a été libéré en appel. Le même jour, le tribunal a ordonné la libération d’Hüseyin Aykol, ancien co-rédacteur en chef d’Özgür Gündem, fermé par un décret d’urgence, originellement condamné à près de quatre ans d’emprisonnement le 12 juillet. Aykol a déclaré qu’il pensait avoir été «relâché temporairement pour amadouer l’Europe», la Turquie ayant besoin de ses fonds pour réinstaller les réfugiés en Syrie… Aussi le 25, Meltem Oktay et Uğur Akgül, de l’agence DİHA, ont été relâchés après action de leurs avocats. Ils étaient accusés d’«appartenance à une organisation terroriste» pour avoir couvert les couvre-feux de 2015-2016.
À Istanbul, la police a continué à empêcher les rassemblements des «Mères du samedi» en bloquant les accès à la Place Galatasaray les 12 et 26 octobre. Le 12, les Mères et leurs soutiens ont voulu lire devant les locaux du İHD une déclaration à propos de Cemil Kırbayır, disparu en détention après le coup d’État de 1980, et exprimant l’opposition à l’invasion turque du Rojava, mais la police les a dispersés avec matraques et gaz poivre. La police a aussi empêché la participation de Mères à une réunion du HDP le 7 à Ankara. L’une d’elles, Nazife Yiğit, a été arrêtée en route, à Urfa, d’autres remises de force au terminal routier d’Adana dans des bus pour leurs villes d’origine.
De nombreuses manifestations de personnes licenciées par décret d’urgence et demandant leur réintégration ont aussi été réprimées. Ce problème concerne aussi les «Universitaires pour la paix», ces enseignants licenciés après avoir signé une pétition contre les violences de 2016 dans les villes kurdes. Si le jugement en leur faveur de la Cour constitutionnelle le 26 juillet a permis l’acquittement de 329 d’entre eux, 406 n’ont toujours pas retrouvé leur emploi, et 549 sont toujours privés de leur passeport. Dans une déclaration commune publiée le 4, ils demandent la restitution de ceux-ci, la réintégration automatique par le Conseil de l’enseignement supérieur (YÖK) ou l’attribution d’un poste équivalent, et le paiement intégral des salaires retenus.
À Ankara, la police a empêché de nombreuses déclarations publiques de fonctionnaires licenciés, organisées deux fois par jour devant le monument des Droits de l’homme de la rue Yüksel, incarcérant à chaque fois plusieurs protestataires, libérés en général en soirée ou le lendemain. Le 1er, le 2 puis le 7 et le 8 octobre, quatre personnes ont été incarcérées. Les incarcérations se sont poursuivies le 9 (six incarcérations), et les 11, 12 et 13 (douze incarcérations sur les trois jours), et ainsi de suite jusqu’en fin de mois. Non seulement, les protestataires n’ont pas obtenu leur réintégration, mais certains ont été inculpés et arrêtés pour avoir protesté! La police a réprimé d’autres protestations: le 7 à Ankara (travailleurs de la santé, deux incarcérés, une nouvelle protestation le 29 également réprimée) et à Istanbul (une femme violemment incarcérée, revenue le 21 et de nouveau incarcérée). Le 5, puis de nouveau le 14, la gendarmerie a empêché une marche vers Ankara des mineurs de Manisa, licenciés sans compensation, alors que le tribunal administratif avait levé l’interdiction du gouverneur. Répression le 17 à Düzce, puis de nouveau à Ankara le 21 contre des travailleurs de la santé, à Istanbul contre le personnel de nettoyage de l’Université Maltepe qui protestait contre des licenciements. Le 24 à Eskişehir, la police a attaqué les employés de Zeytinoğlu Holding, non-payés depuis des mois puis licenciés sans indemnités, avec matraques et gaz poivre, empêchant leur marche vers Ankara (32 interpellations, plusieurs hospitalisations dues au poivre). Enfin, plusieurs personnes licenciées par décret et disparues depuis des mois ont «réapparu» entre les mains de la police, qui les avait mises au secret. D’autres n’ont pas donné de nouvelles depuis près d’un an…
Depuis longtemps en Turquie, les prisons sont un lieu de lutte politique pouvant aller jusqu’à la grève de la faim et de mauvais traitements pouvant aller jusqu’à la torture, sur lesquels le pouvoir ferme les yeux. Les détenus se voient parfois illégalement interdire d’écouter la radio ou d’accéder aux livres qui leur sont envoyés, confisqués avant de leur parvenir. L’ancienne co-maire de Diyarbakir, Gültan Kışanak, détenue dans la prison de Kandıra, a dans une lettre à la presse datée du 21 indiqué que le journal Yeni Yaşam leur était interdit et que l’administration leur refusait les livres qu’on leur envoyait, les obligeant à en acheter sur place. Le 17, un tribunal a répondu à un prisonnier demandant à récupérer la radio qu’il avait achetée en prison et qui lui avait été confiquée qu’il était «légalement autorisé à avoir une radio, mais ne [pouvait] pas utiliser ce droit, sur décision du Ministère de la justice»… Un détenu de la prison de type E d’Amasya, Fethi Yaşa, s’est vu facturer 180 livres turques (25 €) de frais de traduction après avoir envoyé des lettres en kurde.
Il est courant de transférer de force les détenus loin de leurs proches: Ferhat Kut, co-maire de Nusaybin, arrêté le 17, a été mis à l’isolement à Elaziğ le 26; Keziban Yılmaz, co-maire de Kayapınar (Diyarbakir) et Rojda Nazlıer, co-maire de Kocaköy (Diyarbakir), arrêtées le 22, ont été transférées le 27à Kayseri, en Anatolie centrale, à des centaines de kilomètres de chez elles… La surpopulation carcérale est telle qu’à Izmir, par exemple, les prisonniers dorment sur le sol tandis que les conjoints détenus sont empêchés de se rencontrer. À Çanakkale, les prisonniers s’entassent à quatorze dans des cellules de huit. Les détenus faisant grève de la faim n’ont aucune assistance médicale. Dans la prison de femmes de Sincan, les détenues ne sont pas transférées à l’infirmerie soi-disant faute de médecin… Enfin, la police réprime systématiquement les actions des défenseurs des droits des détenus. Le 12 et le 26 à Istanbul, elle a bloqué l’accès à la place Galatasaray pour empêcher un sit-in de l’association IHD qui demandait la libération des détenus malades. Les membres de l’IHD ont dû faire leur déclaration publique devant leurs locaux. Le 21, Zeynep et Hakan Koçak, dont le fils Mustafa, détenu, est en grève de la faim, ont été arrêtés devant le Parlement où ils venaient rencontrer des députés.
Le 13, la police d’Istanbul a empêché une conférence de presse de l’Association de solidarité des familles de prisonniers (TAYAD) qui voulait annoncer une marche vers Ankara en soutien au groupe musical GrupYorum (TIHV). Plusieurs de ses membres détenus sont en grève de la faim illimitée, certains depuis 144 jours, pour obtenir leur libération, la levée de leurs inculpations et de l’interdiction de leurs concerts, et l’arrêt du harcèlement contre le Centre culturel İdil d’Istanbul où ils répètent, et qui a subi depuis deux ans huit raids policiers durant lesquels trente personnes ont été arrêtées et leurs instruments brisés ou volés. Deux des musiciens, Selma et İnan Altın, ont demandé l’asile en France.
Juristes et défenseurs des droits de l’homme sont toujours systématiquement poursuivis. Le 9 octobre s’est tenue à Istanbul la neuvième audience du procès de onze membres d’associations accusés d’«appartenance à une organisation illégale», dont deux formateurs étrangers (suédois et allemand), et l’avocat Taner Kılıç, président d’honneur d’Amnesty International Turquie. Dix des accusés ont été arrêtés sur l’île de Büyükada (Istanbul) le 5 juillet 2017 alors qu’ils participaient à un atelier intitulé «Sécurité numérique et protection des défenseurs des droits de l’homme». Kılıç a été arrêté avec 22 autres avocats en juin 2017 pour une autre affaire. Le secrétaire général d’Amnesty International, Kumi Naidoo, a demandé «la fin de la farce judiciaire», soulignant qu’en deux ans, l’accusation n’avait apporté aucune preuve d’activité criminelle (Bianet). Le 16, la Cour d’appel a confirmé les 159 années de prison infligées aux membres de l’«Association des juristes modernes». Six d’entre eux, condamnés à des peines inférieures à cinq ans, ne peuvent faire appel; douze autres, condamnés à des peines supérieures à cinq ans, peuvent aller en Cassation.
Le soir du 22, la police a mené un raid au domicile de la co-présidente de l’association de défense des droits de l’homme İHD, l’avocate Eren Keskin, en l’absence de celle-ci. Elle a été convoquée à la branche anti-terroriste. Également ancienne rédactrice en chef et éditorialiste d’Özgür Gundem, accusée de «propagande pour une organisation terroriste», fondatrice du Bureau d’aide juridique contre le harcèlement sexuel et le viol en détention, Keskin est visée par 143 procès différents, dont certains pour «insulte au président» et «dégradation de la nation turque»…
Le procès d’Osman Kavala, arrêté le 1er novembre 2017 dans le cas dit du «Parc Gezi» pour les protestations de 2013, s’est poursuivi, avec une audience le 8 octobre. L’accusation demande la perpétuité pour seize prévenus accusés de «tentative de renverser le gouvernement», et des peines de prison pour d’autres charges. Invoquant un «risque de fuite», le tribunal a décidé de maintenir en détention Kavala, maintenant le seul accusé encore emprisonné, et a ajourné le procès aux 24-25 décembre. Les avocats de Kavala ont dénoncé une incarcération de 707 jours violant la Convention européenne des droits de l’homme, et la constitution de l’intégralité du dossier d’accusation à partir d’enregistrements illégaux (Bianet).
Les arrestations liées à la tentative de coup d’État de juillet 2016 se poursuivent également. Le 1er octobre, trente-six incarcérations ont eu lieu dans dix-huit villes du pays, trente autres ont visé militaires et médecins militaires. Le 8, quatorze incarcérations ont eu lieu dans vingt-et-une villes suite à une enquête menée d’Ankara et trente-six autres dans dix villes suite à une autre enquête menée d’Izmir. Le 24, trente-et-une personnes ont été appréhendées dans quinze villes…
Enfin, parler ou chanter en kurde (ou simplement être kurde) continue à être un motif d’emprisonnement, ou pire. Le 4, sept musiciens de deux groupes différents qui chantaient en kurde à un mariage ont été arrêtés à Şanlıurfa, puis inculpés le 7 de «propagande pour une organisation illégale» (TIHV). Le 13, Şirin Tosun, un travaillleur saisonnier de dix-neuf ans, blessé au pistolet à la tête dans une rue de Sakarya le 23 août parce qu’il parlait kurde est mort de ses blessures à l’hôpital (Evrensel). Le 25, on a appris qu’Ozan Okur, un Kurde attendant le 20 septembre à la gare routière d’Edirne un car pour Adana avait été emmené au commissariat, frappé et dépouillé de son ticket de bus, son argent et son téléphone. Des violences policières ont aussi émaillé les procès contre les habitants de villes kurdes évacués de force durant les couvre-feux. Le 8 octobre, quarante habitants de Sur (Diyarbakir) ont été évacués de la salle d’audience et frappés par les gendarmes, et des membres des familles ont été incarcérés.
À côté de l’invasion du Nord-Est syrien, l’armée turque a poursuivi ses opérations dans les provinces kurdes du pays ainsi qu’au Kurdistan d’Irak. Le 1er octobre, la presse a annoncé la mort de deux militants kurdes dans une frappe aérienne à Şırnak le 28 septembre, et deux personnes présentées comme des militants du MLKP ont été tuées et deux officiers de police blessés dans l’attaque d’une maison à Eskişehir. Les 7 et 8, le ministère de la Défense a annoncé la «neutralisation» de douze combattants du PKK dans plusieurs frappes aériennes au Kurdistan d’Irak (AFP), et le 10, celle de quatre militants du THKP-C/MLSPB près de Dohouk le 16 septembre. Le 8, en relation à l’attaque en Syrie, le gouverneur d’Hakkari a annoncé la désignation de quatorze zones frontalières comme zones de sécurité, interdites d’entrée. Le 14, les districts de Hakkari centre, Çukurca, Şemdinli, Yüksekova et Derecik ont été désignées zones de sécurité pour deux semaines. Le 17, onze zones de la province ont de nouveau été désignées comme zones de sécurité jusqu’au 21 (TIHV). Le 29, une nouvelle annonce a prolongé ces désignations pour cinq zones jusqu’au 12 novembre (Bianet).
Le 9, un enfant de sept ans a été renversé par un véhicule blindé à Silopi, sans qu’aucune enquête soit ouverte (nouvelle publiée le 24). Le 15, le ministère de l’intérieur a annoncé l’incarcération de 391 personnes durant les trois jours précédents dans une opération visant le PKK (245 incarcérations dans 36 provinces) et Daech (146 incarcérations dans 25 provinces), opération encore en cours (Bianet). Le 17, un civil a été tué par des tirs de soldats à Lice durant l’attaque d’une maison (TIHV). Le 18, le gouverneur de Van a annoncé la mort d’un soldat en patrouille à Çaldiran dans une attaque où deux autres ont été blessés. Le 21, un couvre-feu d’une journée a été imposé sur quatre districts de Derik (Mardin). Le même jour, a été annoncée dans cette région la mort d’un soldat, et une autre mort à Şemdinli (Hakkari). Par ailleurs, cinq soldats et trois gardes de village ont été blessés dans une attaque sur une patrouille à Kağızman (Kars). Le 27, un soldat blessé par un missile le 23 à Yüksekova est mort à l’hôpital. Ce même jour, l’armée a annoncé la «neutralisation» par frappe aérienne de quatre combattants kurdes à Haftanin au Kurdistan d’Irak, et le lendemain celle de trois autres à Derik (Mardin).
Dès avant l’invasion turque du Rojava, le Middle East Monitor (MEMO) pointait le 1er octobre la résurgence de Daech en Syrie. À Palmyre, les djihadistes ont lancé une voiture piégée sur des milices pro-régime et des Forces spéciales russes, et ont encerclé et attaqué un convoi russe, qu’il a fallu dégager par des frappes aériennes. Près de Raqqa, ancienne capitale du «Califat», l’organisation a revendiqué une attaque contre les FDS dont cinq combattants ont été tués ou blessés. Mais l’opération la plus importante mentionnée par MEMO demeure la prise d’Al-Sukhna, petite ville de 16.000 habitants sur la route Palmyre-Raqqa, le 29 septembre. Contraints de se retirer par les frappes aériennes russes, les djihadistes ont repris la ville le 1er octobre, tuant vingt miliciens pro-Damas. Également le 29, trois civils ont été tués dans une attaque à la bombe près du champ pétrolier d'Al-Omar, contrôlé par les FDS qui l’utilisent aussi comme base militaire. L'attaque visait les FDS mais c'est un véhicule transportant des employés du champ qui a été touché… (OSDH) L'attentat n'a pas été immédiatement revendiqué mais dans cette région les FDS sont souvent la cible d'attaques de Daech. L'organisation djihadiste contrôlait auparavant le champ d'Al-Omar, qui, avant d'être détruit en octobre 2015 par des raids de la coalition internationale, lui rapportait entre 1,7 et 5,1 millions de dollars par mois (1,5 et 4,6 millions d'euros) (AFP).
Le 9, Daech a revendiqué un autre attentat suicide à Raqqa qui n'a pas fait de victimes. Le 11, c’est l'explosion d'une voiture piégée, garée près d'un restaurant populaire à Qamishli et qui a tué six personnes dont des civils et en a blessé neuf, qui a été revendiquée. Le même jour, à la faveur de l’attaque turque, cinq membres de Daech ont pu s’enfuir de la prison «Navkur», située dans la périphérie ouest de Qamichli, après des frappes aériennes turques à proximité. Et dans le camp de Al-Hol, où sont gardés plus de 70.000 déplacés, dont 3.000 familles de djijhadistes, une émeute a éclaté quand les Assayish locaux ont été attaqués par des femmes du camp qui avaient organisé une manifestation et refusé d'obéir aux gardiens. L'incident s’est produit après qu’une partie des forces de sécurité kurdes du camp a été redéployée plus au nord pour participer à la lutte contre l’attaque turque. Un responsable kurde a assuré qu’aucun djihadiste n’était parvenu à s’enfuir à la faveur de l’agitation.
Cependant le 13, les autorités kurdes ont annoncé la fuite de 785 proches de djihadistes étrangers du camp d’Aïn Issa, visé par des bombardements aériens turcs, et que ses gardes avaient dû quitter. Exprimant son «inquiétude», la France a réitéré sa demande à la Turquie de «terminer au plus vite son intervention». Le lendemain, la Turquie a accusé les FDS d'avoir délibérément relâché des membres de Daech afin de «semer le chaos» dans la région. Le 15, les avocats de trois Françaises jusqu’à présent détenues par les FDS en Syrie ont appris que celles-ci avaient été «récupérées» par Daech à la faveur de l'intervention militaire turque dans le pays. Le 17, l’organisation a affirmé avoir «libéré» plusieurs prisonnières détenues à Raqqa en attaquant un QG des FDS près de cette ville.
Le 16, le commandant des FDS, Mazloum Abdi, a annoncé la suspension des opérations contre Daech, avant d’annoncer leur reprise le 19: «Nous avons relancé les opérations militaires contre les cellules de l'EI à Deir Ezzor, nos forces y travaillent avec celles de la coalition», a-t-il précisé dans un entretien téléphonique avec l'AFP.
Le 23, James Jeffrey, émissaire américain pour la Syrie, a annoncé devant la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants que plus de cent prisonniers de Daech s’étaient échappés depuis l'offensive turque: «Nous pensons que leur nombre est maintenant supérieur à 100. Nous ne savons pas où ils se trouvent», a-t-il précisé. L’Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH) a aussi rapporté qu’un chef de Daech avec 150 terroristes avait profité du chaos et des pillages causés par de l’opération turque pour faire son retour à Tell Abyad… (WKI)
Le 26 a pourtant été le jour d’un coup important porté à l’organisation djihadiste, avec un raid des Forces spéciales américaines sur la région d’Idlib qui a permis de tuer le chef de Daech, le calife autoproclamé Abou Bakr al-Baghdadi. Des commandos américains ont été transportés près de l’objectif par huit hélicoptères partis du Kurdistan d’Irak, puis débarqués dans la nuit près de la cache du chef djihadiste. Celle-ci, localisée grâce à des informations fournies par les forces kurdes de Syrie, se trouvait dans le petit village de Baricha, à seulement sept kilomètres de la frontière turque… Les FDS étaient parvenues à infiltrer un informateur jusque dans l’entourage du «calife» de Daech; il avait pu se procurer un sous-vêtement de sa cible, puis un échantillon de son sang, éléments précieux pour vérifier l’identité du suspect avant la frappe et assurer plus tard son identification ADN. C’est cet informateur, resté sur place, qui a guidé jusqu’au bout les commandos américains.
Le lendemain, c’est le porte-parole de Daech, Abou Hassan Al-Mouhadjir, qui a été tué dans un nouveau raid, dans le village d'Aïn al-Bayda près de Jerablous – une ville sous le contrôle de la Turquie. Le 31, Daech a confirmé la mort de son chef, et désigné son successeur, Abou Ibrahim al-Hachemi al-Qourachi, en menaçant les États-Unis de représailles.
Le mois d’octobre a été marqué par l’extension des protestations populaires déclenchées fin septembre par la destitution du lieutenant-général Abdul Wahab Al-Saadi. Largement considéré par l’opinion publique comme l’un des principaux artisans de la victoire contre Daech, Al-Saadi, transféré le 27 septembre au ministère de la Défense, avait déclaré avoir ressenti cette décision comme «une humiliation dans sa carrière militaire». Les autorités ont même fait voiler une statue le représentant et l’ont mise sous bonne garde pour empêcher qu’elle ne soit dévoilée par la population! Il devrait sa disgrâce à ses mauvais rapports avec les milices Hashd al-Shaabi pro-Téhéran…
Les revendications des manifestants se sont rapidement élargies, les protestataires réclamant le départ des élites politiques corrompues et responsables de la situation désastreuse du pays avec son chômage massif et l’absence de services de base. Lorsque le 1er octobre des milliers de citoyens sont descendus dans les rues à Bagdad, notamment Place Tahrir, les forces de sécurité n’ont pas hésité à tirer à balles réelles pour les disperser. Loin de stopper le mouvement, cet usage excessif de la violence a accéléré son extension dans tout le pays, incluant Kirkouk… La répression a fait 21 morts et plus de 800 blessés.
Le 2, le gouvernement a bloqué Internet et déclaré un couvre-feu à Bagdad. Le 3 au soir, le Premier ministre Abd al-Mahdi est intervenu pour déclarer qu’il avait entendu les demandes des manifestants et s’efforcerait d’y répondre, bien qu’il n’ait aucune «solution magique». Il a annoncé la prochaine instauration d’un revenu minimum. Durant la semaine suivante, 1,3 millions d’Irakiens ont demandé les allocations chômage créées ensuite par le ministère des Finances, mais cela n’a aucunement calmé les protestataires. Le grand ayatollah Ali Sistani a exhorté le gouvernement à répondre aux revendications et Amnesty International a demandé une enquête sur les violences des forces de sécurité et le jugement des responsables.
Le 5, le bilan était monté à plus de cent morts et 6.000 blessés. Le Président du parlement, Mohammad Al-Halbousi, a annoncé une session spéciale pour discuter des demandes des manifestants. Mais dans la nuit du 6 au 7, à Sadr City, dans l’est de Bagdad, les forces de l’ordre ont utilisé des armes lourdes et treize personnes ont été tuées… Le 7, le Président Barham Saleh a appelé à «cesser l’escalade» et appelé à un «dialogue politique franc et total» sans «ingérence de l’étranger». L’armée a reconnu un «usage excessif» de la force, d’ailleurs condamné par la Haute commission irakienne des droits de l’homme.
Les manifestations ont pris un tour de plus en plus anti-iranien, beaucoup de protestataires accusant Téhéran d’avoir cherché à affaiblir l’armée irakienne au profit des milices qui lui sont favorables… Ont été pointés du doigt le commandant iranien de la Force d’action extérieure des pasdaran, «Al-Qods», Qassem Soleimani, et le chef des milices chiites Hashd Al-Sha'abi, l’Irano-Irakien Abu Mahdi Al-Mouhandis. D’ailleurs en fin de mois, Reuters comme Associated Press ont rapporté que, dès le début des protestations, Soleimani s’était rendu à Bagdad pour pousser les responsables de la sécurité à appliquer les violentes méthodes iraniennes de répression, avec les résultats que l’on connait… Le 30, le Guide suprême iranien, Ali Khamenei, a attribué les protestations, en Irak comme au Liban, à l’instigation des pays du Golfe… Le 9, Amnesty a publié un rapport documentant l’usage de snipers par les forces de l’ordre, et le 10, c’est Human Rights Watch (HRW) qui a rendu compte des intimidations et agressions visant les journalistes couvrant les manifestations.
Le Premier ministre a entamé un remaniement ministériel; les leaders du Kurdistan lui ont apporté leur soutien. En effet, Bagdad et Erbil étaient sur le point de conclure un accord budgétaire pour les six prochaines années: Bagdad paierait les fonctionnaires du Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) et lui allouerait 13% de son budget, en échange de la livraison quotidienne de 250.000 barils de pétrole. Le GRK n’était donc guère enthousiaste à l’idée de changer d’interlocuteur, ce qui pourrait l’obliger à reprendre les discussions à zéro…
Le 11, l’Ayatollah Sistani a blâmé le gouvernement pour les nombreux morts et a donné aux leaders irakiens deux semaines pour mener une enquête sur leur cause et en faire connaître les résultats. Le Premier ministre a obtempéré le lendemain en créant une Commission d’enquête. Le 14, l'Association des avocats irakiens a déclaré que le gouvernement, malgré ses promesses de libérer tous les manifestants arrêtés, maintenait toujours en détention plus de 6.000 personnes, majoritairement des adolescents. Le 17, deux responsables de la Sécurité ont révélé le rôle joué par les snipers des milices pro-iraniennes dans les meurtres de protestataires. Le 22, le rapport de la Commission d’enquête a déçu: bien qu’admettant un usage excessif de la violence et recommandant la destitution de plusieurs responsables de la Sécurité, il n’a pas abordé les responsabilités des milices pro-iraniennes. Le même jour, la mission de l’ONU en Irak (UNAMI) a publié son propre rapport où elle estimait que les Forces de sécurité irakiennes avaient violé «le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité des personnes, de même que celui à la liberté d’expression et aux rassemblements pacifiques». Le 18, Amnesty s’était de nouveau exprimé, appelant le gouvernement irakien à mettre fin à ses violations et en particulier aux disparitions de protestataires (ISHM). Des annonces de créations de 4.500 postes de fonctionnaires pour les étudiants le 19 n’ont pas empêché la reprise des manifestations le 25 dans plusieurs villes, dont Baghdad, Nasiriya, Bassora et Samawa. Les forces de sécurité ont de nouveau tiré à balles réelles et le 31, on estimait que depuis le 25, plus de cent Irakiens avaient été tués et 5.500 blessés…
Alors que les pressions montaient pour forcer le Premier ministre à la démission et organiser des élections anticipées, le parlement a lancé le 26 une série de mesures: vote d’une loi pour dissoudre les conseils de province, de district et de sous-district, création d’une Commission devant présenter des recommandations pour modifier la Constitution, vote d’une loi pour éliminer les avantages financiers des membres du gouvernement. Parallèlement, les manifestations ont commencé à avoir un impact économique: le 29, le port d’Oum-Qasr (Bassora) était bloqué par les manifestants, et la 46e Foire internationale de Bagdad, prévue au 1er novembre, était reportée. Le 31, le président Salih a déclaré à la télévision soutenir les demandes des protestataires et soutenir des élections anticipées.
L’extension des protestations a aussi provoqué la suspension des négociations Bagdad-Erbil. Plusieurs visites de délégations à Bagdad ou Erbil ont été annulées, et le 22, le responsable des relations extérieures du GRK, Safîn Dizayî, a annoncé officiellement la situation avait forcé Bagdad à modifier ses priorités. Il a indiqué que le GRK était prêt à reprendre les discussions dès que possible. Le 27, le Premier ministre du GRK Masrour Barzani et le conseiller irakien à la sécurité Falih Fayyadh, après une réunion sur la situation sécuritaire des territoires disputés, ont réaffirmé «la poursuite de la coopération entre les pechmergas et les forces de sécurité irakiennes». De fait, depuis le départ des pechmergas en octobre 2017, la situation sécuritaire de ces territoires demeure catastrophique… Par ailleurs, la décision de Bagdad d’organiser les élections provinciales dans ces territoires a provoqué de nouvelles tensions entre Erbil et Bagdad. Ainsi la chaîne kurde NRT a-t-elle rapporté le 1er octobre que le ministre de la Justice du GRK, Farsat Ahmad, avait déposé plainte le 24 septembre devant la Cour suprême contre le Président du parlement fédéral, Muhammad al-Halbousi, pour avoir ratifié une loi électorale illégale car inconstitutionnelle. NRT ne précise pas les raisons de cette inconstitutionnalité, mais il est hautement vraisemblable qu’elle concerne le non-respect de l’article 140, qui soumet la définition du corps électoral dans les territoires disputés à un processus de validation qui n’a jamais été mené…
Contestant la tenue des élections provinciales dans les territoires disputés, les partis kurdes ont aussi pris leurs dispositions pour y participer si elles se tiennent. Ils ont formé pour chacune des provinces de Kirkouk, Diyala, Salahaddine et Ninewa une liste électorale commune, appelée «Kurdistanî». Pour Kirkouk, le Parti démocratique du Kurdistan (PDK), l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), l’Union islamique du Kurdistan (Yekgirtûy Îslamî), le Mouvement du changement (Goran) et le Groupe islamique (Komal), réunis le 1er octobre, ont choisi comme candidat commun au poste de gouverneur Abdulrahman Mustafa, ancien gouverneur de Kirkouk de 2003 à 2011. Celui-ci a indiqué qu’il ferait campagne sur la coexistence intercommunautaire et la mise en œuvre de l’article 140. À Kirkouk, le conseil provincial est toujours en conflit avec le gouverneur intérimaire nommé par Bagdad après la destitution de Nejmeddine Karim, Rakan Said Al-Jabouri, dont il a rejeté le budget et qu’il accuse d’avoir dissimulé des documents. En fin de mois, la Commission d’intégrité irakienne a d’ailleurs arrêté sept fonctionnaires provinciaux et a lancé des mandats d’arrêts contre plusieurs autres pour corruption: ils auraient utilisé de l’argent public pour payer des dépenses personnelles d’Al-Jabouri…
À Touz Khourmatou, les commerçants kurdes de la ville ont observé le 16 octobre une grève de 24h pour le second anniversaire de l’attaque lancée sur la ville en 2017 par l’armée irakienne et les milices pro-iraniennes, qui avait provoqué la destruction de 160 maisons kurdes et de nombreuses exactions. À Kirkouk, après le retour en ville du PDK, qui en était parti ce même jour de 2017, un petit groupe d’habitants turkmènes et arabes de la ville s’est rassemblé pour protester contre ce retour et lancer des slogans racistes anti-kurdes (WKI)…
La chronique du mois des attaques djihadistes dans les territoires disputés est effrayante, avec de nombreux attentats utilisant des bombes artisanales. Le 2, une d’elles a tué deux combattants tribaux à Al-Shoura (Ninewa), tandis qu’une frappe aérienne de la coalition tuait dix djihadistes à Hawija (Kirkouk) et une autre cinq à Salahaddine, dans les Monts Hamrin (ISHM). Les djihadistes ont repris tant d’assurance qu’ils ont pu couper brièvement le 3 la route Bagdad-Samarra avant que la Sécurité ne rétablisse le passage. Le 10, selon des responsables locaux, l’accroissement des activités djihadistes au Nord-Est de Baqoubah (Diyala) a poussé au départ 140 familles, qui ont le 11 assassiné le moukhtar de Rashad (sud-ouest de Kirkouk) et probablement tué un civil dans la vieille ville de Mossoul. Le 12, deux civils ont été tués par une bombe au sud de cette ville. Le 13, deux attentats séparés ont tué un officier et blessé deux soldats à Anbar (voiture piégée), et blessé trois membres des forces de Sécurité au sud de Kirkouk (bombe artisanale). Le lendemain, une bombe a blessé deux fermiers à Diyala et une autre deux démineurs des Hashd al-Shaabi à Salahaddine, et le 16 un civil au nord de Mossoul. Le même jour les forces de sécurité ont pu neutraliser sept djihadistes à Daqouq (Kirkouk) avec le soutien de la Coalition, mais des affrontements avec Daech ont fait un mort et deux blessés parmi des miliciens à Diyala, où une bombe a blessé trois soldats le lendemain. Le 18, Bagdad a fermé la frontière syrienne pour tenter d’empêcher l’infiltration de djihadistes. Mais à partir du lendemain, une série de bombes artisanales a frappé l’Irak: le 19, un civil blessé à Taza (Kirkouk), un policier blessé au sud de Kirkouk, deux civils blessés en ville, et une quatrième qui n’a pas fait de victime. Le 23, une autre tuait trois civils et en blessait un quatrième à Riyadh (ouest de Kirkouk), et le 24, deux civils tués et deux blessés à Khazir (nord-ouest de Kirkouk). Parallèlement, deux officiers de police et quatre membres de leur escorte étaient tués dans une embuscade le 22 à Salahaddine, et les forces de sécurité avaient deux morts et trois blessés dans une attaque séparée sur un champ pétrolier. Le 24 à Abou-Saïda (Diyala), des snipers ont abattu trois responsables locaux et au moins un civil. Le 19, vingt nouvelles familles terrorisées ont quitté leur village près de Khanaqin. Le 25, des snipers ont fait deux morts et trois blessés chez les policiers fédéraux à Taza (sud de Kirkouk).
La mort dans un raid américain du leader de Daech en Syrie le 26 n’a pas interrompu les activités des djihadistes en Irak. Le 27, ils ont blessé quatre membres des Hashd al-Shaabi à Diyala dans une attaque sur leur avant-poste et lancé une attaque sur un champ pétrolier. Le 28, deux civils ont péri dans l’explosion d’une bombe à Mouqdadiyah, et le 30, des tirs de mortiers ont visé le siège du gouvernement provincial à Baqoubah sans faire de victime. Le 31, alors que Daech annonçait la nomination du successeur de Bagdadi, une attaque sur un barrage à Tarmiyah (près de Baqoubah) faisait un mort et cinq blessés parmi les forces de sécurité (ISHM).
Concernant l’opération turque au Rojava, le GRK a appelé le 8 la Turquie à éviter toute action risquant de compromettre la lutte contre Daech. Le 15, le parlement d’Erbil a à une large majorité appelé à l’arrêt immédiat de l’attaque. Le lendemain, le GRK a critiqué le retrait américain, exprimant son inquiétude face au risque de réémergence de Daech et de nouveaux déplacements de population. Les partis politiques kurdes ont aussi condamné les exactions commises contre les Kurdes de Syrie par les djihadistes pro-Ankara, et des milliers de Kurdes ont manifesté à Erbil et Sulêmanî (WKI). Des collectes ont permis d’envoyer au Rojava soixante-dix camions d’aide. Suite aux nombreux appels au boycott des produits turcs lancés sur les réseaux sociaux, leurs prix se sont littéralement effondrés. Le 17, la compagnie pétrolière russe Rosneft a annoncé la fermeture d’un champ près de la frontière syrienne pour raison de sécurité. Le 31, le Centre de coordination de crise du GRK a annoncé que depuis le 14 octobre, 13.572 réfugiés kurdes de Syrie étaient arrivés dans la Région. Le GRK, qui héberge déjà plus d’1,1 million de réfugiés et de déplacés, a annoncé un plan d’urgence pour les assister.
Parallèlement à l’invasion du Rojava lancée le 9, l’armée turque a poursuivi au Kurdistan d’Irak l’opération anti-PKK «Pinces» lancée en mai dernier. Les 1 et 2 octobre, des frappes aériennes ont tué au moins neuf combattants de cette organisation (ISHM), dont trois dans un véhicule frappé le 1 près d’Ozmana (nord de Dohouk). Une autre frappe près de Zakho a causé des dommages agricoles importants (Kurdistan-24). Le 2, une autre frappe a touché Çemankê, près d’Amêdî, provoquant un incendie et d’importants dégâts matériels (RojInfo). Le 5, le ministère turc de la Défense a annoncé l’élimination à Avashin de dix-sept combattants kurdes, une allégation invérifiable. Le 15, les forces de sécurité de Sulêmanî ont annoncé qu’un drone turc armé avait tué deux combattants; les responsables locaux ont dénoncé une attaque trop proche de zones habitées. Le 16, une nouvelle frappe aérienne a touché le village de Blava (Dohouk).
En début de mois, la Banque mondiale a publié son bilan 2019 pour l’économie iranienne, toujours soumise aux sanctions américaines: c’est une contraction de l’économie de 8,7%. Puis le 15 octobre, le Fonds monétaire international (FMI), dans son rapport sur les Perspectives de l'économie mondiale, a de son côté prévu pour 2019 une contraction de 9,5%. En additionnant la contraction de l’année précédente, on arrive à 14%... C’est la plus mauvaise performance économique de Téhéran depuis 1984. Pour l’inflation 2019, les deux mêmes sources la donnent à 38%, après les 30% de 2018. Pourtant, le gouverneur de la Banque centrale, Abdolnasser Hemmati, a proclamé que le régime avait réussi à stabiliser l’économie, reprenant l’affirmation du président Rouhani devant l’Assemblée générale des Nations-Unies. Celui-ci avait aussi annoncé une inflation en baisse et une croissance 2017 exceptionnelle… Il est vrai, après la levée des sanctions début 2016, les exportations pétrolières avaient arithmétiquement fait remonter la croissance, mais ce n’était que l’expression de nouvelles rentrées d’argent, sans aucun développement, puisque l’industrie n’avait alors cru que de 1%. Quant à la baisse de l’inflation, elle signifie que les prix augmentent moins vite, pas qu’ils se stabilisent… Le 28, le FMI a indiqué que pour équilibrer son budget 2020, l’Iran avait besoin d’un baril de pétrole à 195 $. Il est actuellement à 65 $ (Radio Farda).
Le régime a démenti sa propre propagande en décidant pour faire des économies de supprimer les aides financières instaurées à partir de 2005 par le président Ahmadinejad, en relevant progressivement leurs seuils d’attribution. En septembre, 700.000 Iraniens en ont été privés, puis en octobre 400.000 personnes supplémentaires. Ces suppressions successives se poursuivront jusqu’en mars 2020, quand elles toucheront 24 millions d’Iraniens. Même si la valeur de ces aides, versées en rials, avait déjà bien baissé avec l’effondrement de la monnaie, leur suppression portera un coup aux plus pauvres. C’est dans ce contexte qu’est arrivée la condamnation en appel à cinq ans de prison pour corruption du frère du président Rouhani, Hossein Fereydoun, aussi accusé de blanchiment dans d’autres affaires. Les soutiens du président ont dénoncé une condamnation politique, préparée par les conservateurs. Mais elle montre bien que la République islamique est un régime de profiteurs…
Le 7 octobre, la suppression des subventions au prix de l’essence a été discutée au parlement, dans une session à huis-clos en présence du commandant en second des Gardiens de la révolution, Ali Fadavi. Session à huis-clos, pas de compte-rendu des médias: clairement, le régime craint les réactions de la rue.
La répression exercée par le régime est à la mesure de sa crainte. Le mois a commencé avec l’annonce le 2 de l’exécution le 25 septembre d’au moins huit détenus de la prison de Rajai Shahr (Karaj), condamnés à mort pour meurtre ou trafic de drogue. En Iran, les exécutions prennent souvent place en secret et ne sont connues qu’avec retard. Mais l’Iran est le pays qui exécute le plus en proportion à sa population. Compilant les données de plusieurs rapports, la Human Rights Activists News Agency (HRANA) en a compté 195 du 1er janvier au 20 décembre 2018, dont treize publiques et six concernant des mineurs (ou mineurs au moment des faits reprochés). Selon une autre estimation de HRANA, du 10 octobre 2018 au 8 octobre 2019, il y a eu 134 condamnations à mort et 242 exécutions, dont seize publiques et cinq de mineurs. Vu ces chiffres, peut-on se réjouir que selon HRANA, les tribunaux aient prononcé 47,6% de moins de peines capitales que l’année précédente? Les exécutions ont quant à elles baissé de 5,4%...
Depuis peu, les femmes semblent plus particulièrement visées par la répression: huit Iraniennes ont été exécutées sur trois mois. Parmi les prisonnières politiques qui refusent de céder, Atena Daemi, détenue à la prison d’Evine. Elle avait déjà reçu trois ans d’emprisonnement supplémentaire pour avoir protesté contre les exécutions des trois prisonniers politiques kurdes Zanyar et Loghman Moradi, et Ramin Hossein Panahi. À l’occasion de l’anniversaire de leurs exécutions, elle a réitéré son opposition à la peine de mort dans une lettre ouverte envoyée depuis sa cellule, où elle se déclare «honorée» de cette nouvelle peine. Le 2, on a appris que la peine de l’activiste étudiante Parisa Rafiyeh avait été confirmée en appel à Téhéran le 25 septembre. Arrêtée en février 2018 devant son université, cette étudiante en arts plastiques avait été condamnée à sept ans de prison et 74 coups de fouet pour «propagande contre l’État», «trouble à l’ordre public» et «assemblée et collusion contre la sécurité nationale». Selon une source anonyme, Rafiyeh a été maltraitée durant ses interrogatoires, ayant été notamment obligée de subir un test de virginité, et menacée de torture et d’exécution…
Le 10 octobre, pour la première fois depuis 1981, des femmes iraniennes ont pu acheter légalement des billets pour un match de football à Téhéran. Pour parvenir à ce résultat, la FIFA a dû menacer de suspendre l’Iran des tournois internationaux. Mais le déclencheur a été le suicide de Sahar Khodayari. Arrêtée pour avoir tenté d’entrer dans un stade déguisée en homme, celle que l’on a appelée «la fille bleue», de la couleur de l’équipe Istiqlal qu’elle supportait, avait été condamnée à six mois de prison. Terrifiée à cette perspective, elle s’était immolée par le feu devant le tribunal, et était morte à l’hôpital le 9 septembre dernier.
Le 14 octobre, la cour d’appel de Téhéran a confirmé les trois ans d’emprisonnement infligés à la défenseuse des droits des femmes Aliyeh Motalebzadeh pour «propagande contre l’État» et «collusion». Signataire de l’appel «Un million de signatures contre les lois discriminatoires», Motalebzadeh avait déjà été arrêtée plusieurs fois (HRANA).
Les travailleurs osant protester contre leurs faibles salaires, retards de paiement ou conditions de travail, ainsi que les activistes tentant de les défendre sont aussi dans le collimateur du régime. Selon le syndicat de l’industrie agro-alimentaire, les contrats de 150 ouvriers de la sucrerie Haft Tappeh, à Shush, n’ont pas été renouvelés. Les protestations dans cette sucrerie de 4.000 employés, la plus ancienne d’Iran, ont démarré le 23 septembre après le licenciement de 21 ouvriers.
Le 14, la responsable syndicale Nahid Khodajû, arrêtée le 1er mai devant le parlement avec d’autres manifestants, a été condamnée à six ans de prison et 74 coups de fouet pour pour «trouble à l’ordre public» et «assemblée et collusion contre la sécurité nationale». Selon le code pénal iranien, elle devra accomplir la condamnation la plus élevée, soit cinq ans pour «assemblée et collusion». Arrêtée dans les mêmes circonstances, Atefeh Rangriz, condamnée à onze ans de prison et 74 coups de fouet et incarcérée dans la prison de Qarchak, est entrée en grève de la faim le 16 (HRANA). À Sanandaj, l’Etelaat a arrêté le 19 le syndicaliste Faramarz Sharyatî, et le 23, un autre syndicaliste, Saman Malakî (WKI). Le 20, treize employés d’une entreprise sous-traitante de la municipalité de Kut-e Abdollah (Khuzistan) ont été arrêtés pour avoir tenté de lancer une grève après avoir réclamé en vain le paiement de leurs salaires.
Les Kurdes sont toujours autant visés par la répression, et parmi eux les porteurs transfrontaliers ou kolbars, un métier dangereux qu’en raison de la désastreuse situation économique, selon l’Association des droits de l’homme du Kurdistan (KMMK), exercent de plus en plus de Kurdes, et même récemment un nombre croissant de femmes… En fin de mois, KMMK a compté depuis début 2019 60 kolbars tués et au moins 119 blessés par le régime. Le 13, deux porteurs, Abdulrahman et Sadiq Mouradî, ont été tués par les forces de sécurité près de Piranshahr. À Pawa, un autre, victime d’une mine, a dû être amputé des deux jambes. Au Hewraman, un commerçant a été abattu pour ses relations avec des kolbars. Le 15, de nouveau à Piranshahr, un kolbar a été grièvement blessé dans une embuscade, et un tué et un autre blessé à Sardacht. Le 16, un a été blessé à Salmas, un second le lendemain, de nouveau à Piranshahr, et un troisième le surlendemain encore à Sardacht, où le 21, un kolbar a été tué dans une embuscade. Le 23, un autre a été abattu dans son véhicule dans une embuscade tendue à un groupe près de Javanrud. Le 24, un autre est mort d’une chute dans un ravin après avoir été attaqué par des garde-frontières à Nowsud. Le 27, un autre a été blessé près de Baneh (WKI).
Les Kurdes qui se sont réunis pour protester contre l’invasion du Rojava par la Turquie (pourtant dénoncée par Téhéran) ont aussi été visés par la répression. Nombreux sont ceux à être descendus dans les rues le samedi 12, comme en témoignent des vidéos postées sur les réseaux sociaux depuis Piranshahr, Sanandaj, Baneh, Marivan… Des manifestations ont eu lieu dans une vingtaine de villes du Kurdistan d’Iran ainsi qu’à Téhéran. Les protestataires ont utilisé le hashtag #Resistance sur Twitter pour se mobiliser. Les autorités n’ont pas réagi immédiatement, laissant les manifestations se dérouler, ce qui a permis qu’elles se passent sans heurts. Mais dès le lundi suivant, 14 octobre, l’Etelaat a arrêté plus de vingt personnes ayant participé à l’organisation des protestations, dont beaucoup de Marivan, et les ont accusés de «trouble à l’ordre public». La même semaine, l’activiste kurde Arman Ghafûrî a été condamné à six mois de prison sur le même chef d’accusation pour avoir organisé une protestation contre l’invasion turque d’Afrîn… Quatre autres activistes ont été arrêtés à Bokan le 19. En fin de mois, à Ilam, le «tribunal révolutionnaire» a condamné Ahmed Shokrî à un an de prison pour l’organisation d’une manifestation de protestation contre l’invasion turque du Rojava. Aussi en fin de mois, cinq Kurdes arrêtés cet été à Ouroumieh et Sanandaj par l’Etelaat ont été condamnés à Ouroumieh à un an de prison pour «aide à des partis kurdes d’opposition» et «propagande contre la République islamique».
Aussi visées, les minorités religieuses, et particulièrement les Baha’i, leur religion n’étant pas reconnue. Le 12, trois Baha’i d’Abadan et Ahwaz ont reçu chacun un an de prison pour «propagande contre l’État». Le 21, trois autres Baha’i de Shiraz ont été mis au secret après une campagne de perquisitions ayant touché toute la ville. Pour les Iraniens sunnites, on a appris le 2 octobre qu’un ancien imam de Talesh, Tohid Ghoreishi, avait été condamné le 25 septembre à seize ans de prison pour «soutien à des groupes d’opposition», «assemblée et collusion contre la sécurité nationale» et «propagande contre l’État» (HRNA). Le 11 octobre, un habitant d’Ouroumieh, Seyed Aram Aminzadeh, a été condamné en appel à onze ans d’emprisonnement pour «propagande contre l’État par la création d’un groupe salafiste sur les réseaux sociaux».
Enfin, sont visés les intellectuels, toujours suspects de dissidence: l’écrivain kurde Emîn Massori a été arrêté, et le 13, le réalisateur de courts-métrages Kyumars Marzban a été condamné en appel à 23 ans et neuf mois de prison, en son absence et sans que la défense soit entendue. Suivant le code pénal, il devra accomplir sa condamnation la plus importante, soit onze ans pour «coopération avec un État hostile», une condamnation entièrement fabriquée (l’organisation qui l’emploie est reconnue en Iran comme ONG). L’incroyable liste des autres condamnations de Marzban témoigne de la nature du régime: sept ans et six mois pour «blasphème», trois ans pour «insulte au Guide Suprême et Fondateur de la Révolution» et neuf mois pour «insulte aux autorités»…