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Bulletin N° 416 | Novembre 2019

 

 

IRAN: LA RÉPRESSION SAUVAGE DES PROTESTATIONS CONTRE LE TRIPLEMENT DU PRIX DE L’ESSENCE FAIT PRÈS DE 400 MORTS

Le mois de novembre a été marqué en Iran par des manifestations massives, réprimées avec férocité. Déclenchées le 15 par l’annonce du triplement du prix de l’essence, les protestations ont rapidement tourné à la contestation globale du régime, les manifestants commençant à demander la destitution des principaux dirigeants. Ce sont les troubles les plus importants dans le pays depuis la contestation de l’élection truquée d’Ahmadinejad en 2009, et peut-être même depuis la Révolution islamique en 1979.

Les protestations ont commencé dès le lendemain de l’annonce, le 14 au soir, du passage du prix de l'essence de 10.000 à 30.000 rials par litre, avec l’instauration d’un «quota» mensuel par véhicule de 60 litres à 15.000 rials. Selon le gouvernement, les 2,55 milliards de dollars ainsi récupérés annuellement financeront des subventions supplémentaires pour 18 millions de familles pauvres. Mais vu le niveau de corruption gangrénant le pays, ce discours n’a convaincu personne… La manière dont a été prise une décision avec un tel impact sur l’ensemble des Iraniens a aussi suscité la colère: dans une réunion des responsables des trois pouvoirs du gouvernement, judiciaire, exécutif et législatif, en court-circuitant le Parlement!

Traitant les manifestants de «voyous» en lien avec les opposants en exil et les États-Unis, Israël ou l’Arabie saoudite, le régime a noyé les protestations dans le sang. Dès le lendemain des premiers mouvements, le 16, le Conseil suprême de la sécurité nationale a ordonné la fermeture d’internet dans la majeure partie du pays, même si pour cela il fallait interrompre l’électricité. Le pouvoir espérait ainsi à la fois empêcher les protestataires de se coordonner et dissimuler la répression, mais des vidéos sont pourtant parvenues à sortir d’Iran, et des rapports de décès ont rapidement émergé. En fin de mois, Amnesty International comptait au moins 143 tués par les forces de sécurité, un nombre ensuite révisé à 161, mais il ne s’agissait que des morts que l’organisation a pu confirmer. Radio Farda a estimé pour sa part le 21 qu’au minimum 138 protestataires avaient été tués en six jours par les forces de sécurité, mais l’Association des Droits de l’Homme du Kurdistan KMMK a estimé qu’il y avait eu 300 morts et plus de 4.000 blessés, et le 28, le site d’information Kalameh, proche de l'ancien candidat à la présidence Mir Hossein Mousavi, a indiqué qu'au moins 366 personnes, dont un enfant de neuf ans, avaient été abattues depuis le 15. Concernant les arrestations, un membre de la commission parlementaire de la sécurité nationale, le député Hossein Naqavi-Hosseini, les a, selon le site d'information Entekhab, chiffré en fin de mois à sept-mille…

Les vidéos parvenues sur les réseaux sociaux malgré la censure, témoignant de la férocité de la répression, rendent malheureusement vraisemblables les estimations les plus élevées. On y voit les forces de sécurité, notamment des Bassidji, appartenant aux Gardiens de la révolution, tirer à balles réelles directement sur des manifestants, des faits confirmés auprès de médias étrangers par des proches de plusieurs victimes. Des tweets ont mentionné la mort d’enfants ou d’adolescents, notamment une jeune fille de quatorze ans. Par ailleurs, le Centre des Droits de l’Homme en Iran (CHRI) s’est inquiété de l’absence d’information sur les personnes disparues, blessés, tuées, ou bien emprisonnées et mises au secret… Le 17, le gouvernement n’avait pourtant reconnu que la mort de trois personnes.

Les manifestations avaient commencé pacifiquement le 16 dans plus de cinquante villes, dont Téhéran, Mashhad, Shiraz, Isfahan, Tabriz, Qazvin, Kermanshah, Ouroumiyeh, Marivan, Sanandaj, Saveh, Behbahan et Sirjan. Mais la violente répression, loin de stopper le mouvement, l’a au contraire radicalisé et provoqué son extension. Des tirs ont été entendus à Shiraz, Bushehr et Téhéran où les forces de sécurité auraient ouvert le feu à l'intersection d'Azari dans le sud-ouest de la ville. Des heurts ont été rapportés dans au moins trois villes, Mashhad, Ahvaz (Khouzistan) et Sirjan (Kerman). Dans cette dernière ville, où les forces de sécurité ont selon l’agence IRNA repoussé une attaque des manifestants contre un dépôt de carburant, les réseaux sociaux ont fait état d’un mort parmi les protestataires (Radio Farda). Le 17, les autorités ont annoncé des centaines d’arrestations à Yazd, tandis que le bazar de Téhéran se mettait en grève et que des troubles étaient rapportés à l’université de Tabriz. Le 18, quarante-huit villes étaient touchées par les protestations, dont au Kurdistan Ilam, Sanandadj, Mariwan et Ouroumieh. À Sanandadj, la manifestation a tourné à la violence, des vidéos semblant montrer la police usant de gaz lacrymogènes sur les manifestants et des foules tentant d’incendier des bâtiments officiels.

Le 19, le CHRI a appelé à l’arrêt de la violence d’État, à une enquête indépendante sur celle-ci, et au respect des droits de la défense des personnes arrêtées. Il a aussi demandé que les familles des personnes tuées, blessées et arrêtées soient informées de leur sort, et a exhorté la communauté internationale à condamner tant la force excessive de l'État que le black-out sur l'information. Les États-Unis, l’ONU, l’Allemagne et la France ont exprimé leur condamnation.

Devant l’impossibilité de dissimuler l’ampleur des manifestations, les responsables politiques du régime ont choisi d’en faire état, voire d’en exagérer la violence pour justifier leur répression. Le 26 au soir sur la chaîne publique Channel One, le ministre de l'Intérieur, Abdolreza Rahmani-Fazli, a déclaré que jusqu’à 200.000 personnes y avaient pris part dans tout le pays, qu’environ 731 banques, 70 stations d'essence et 140 sites gouvernementaux avaient été incendiés, et plus de 50 bases des forces de sécurité attaquées (Radio Farda). Le 16, Fars News avait déjà annoncé l’incendie de cent banques et 57 supermarchés: au moins une partie de ces incendies, notamment le mardi 19 au matin, semble avoir été le fait de membres des services de sécurité en civil infiltrés parmi les manifestants afin de fournir un prétexte à la répression. Rahmani-Fazli a également indiqué que la plupart des manifestations avaient pris place «dans les banlieues et dans les quartiers pauvres des villes», et que particulièrement les villes du Khouzistan avaient connu des troubles importants, ainsi que les villes proches de l'ouest de Téhéran, Baharestan, Malard, Shahriar et Shahr-i Qods. Il a également reconnu que 4 provinces sur 31 seulement étaient demeurées calmes… Les déclarations de Rahmani-Fazli corroborent en partie les informations diffusées le 20 par Radio Farda, qui avait indiqué avoir reçu des témoignages d’auditeurs selon lesquels des affrontements armés avaient opposé manifestants et forces de sécurité dans plusieurs villes du Khouzistan, en particulier Mahshahr et Behbahan, et qu’à Mashhad, des protestataires avaient tenté d’attaquer le bureau de l’Ayatollah conservateur Ahmad Alamolhoda, représentant local du Guide suprême. Une vidéo des manifestations à l'université de Shiraz montre des pasdaran ouvrant le feu sur les manifestants avec des mitrailleuses, une autre tournée ailleurs montre des snipers tirant sur les manifestants depuis les toits des bâtiments publics. Selon ces rapports, après cinq jours de répression, les protestataires ont commencé à sortir la nuit pour attaquer les forces de sécurité. À Mahshahr, certains rapports ont parlé de citoyens armés se confrontant à des blindés. Le porte-parole du gouvernement, Ali Rabiei, a reconnu l’usage d’«armes illégales» par des manifestants.

Les affrontements auraient été les plus violents et les victimes de la répression les plus nombreuses au Khouzistan et dans la province du Kurdistan (capitale Sanandadj). Amnesty a indiqué dans son rapport daté du 26 qu’après le Khouzistan (40 tués), c’était la province de Kermanshah, au sud de celle du Kurdistan, qui avait connu le plus de morts (34 tués), et qu’en Azerbaïdjan occidental (où se trouve Mahabad), il y avait eu quatre tués. Selon un journaliste de Mariwan, Adnan Hasanpour, à Javanrud les forces de sécurité ont tiré sur la foule, tuant au moins sept personnes. À Sanandaj, une personne a été tuée et plusieurs autres blessées (Bianet). Il semble que les provinces constituant le Kurdistan d’Iran aient été particulièrement touchées par la violence. De nombreuses personnes auraient été tuées dès le début des manifestations. Des forces de répression supplémentaires ont été déployées très tôt à Marivan et Kermanshah, villes mises sous couvre-feu alors qu’Internet était déconnecté. Marivan a connu dix morts et dix blessés, Kermanshah, quinze morts et un nombre indéterminé de blessés, et selon le chef des forces de l'ordre, un major y a été tué le 16 dans des combats avec les manifestants. À Bokan, trois Kurdes ont été tués. Le 19, plusieurs dizaines d’habitants de Marivan ont organisé une grève pour protester contre l'usage excessif de la force par le régime.

Après l’écrasement des protestations, les forces de répression ont interpellé dans une série de raids leurs soi-disant «organisateurs» et leurs participants, arrêtant des centaines de personnes au Kurdistan, notamment à Javanrud, Kermanshah, Marivan, Sanandadj, Saqqez et Salas-e Bawajani. À Bokan, l’Etelaat (Service de renseignement) a arrêté l’activiste kurde Azad Mahmodian. À Kelardasht (Mazanderan), l’écrivaine kurde Mozhgan Kawasi, accusée de «soutien aux protestations», a été arrêtée. À Sarpol-e Zahab, la journaliste Fereshta Chraghy, membre de la minorité religieuse kurde Yarsan, a également été arrêtée… (WKI)

Plus choquant encore, le CHRI a appris le 25 que, dès avant l’annonce de la hausse ayant déclenché les protestations, le ministère du Renseignement avait averti les journalistes de respecter sous peine d’inculpation la description officielle des événements. Ainsi le régime, prévoyant les protestations, avait préparé d’avance sa répression. Comme l’a déclaré le directeur du CHRI, M. Ghaemi: «La violence de l'État n'est pas le produit d'un chaos imprévu, mais bien une décision planifiée de l'État pour écraser les troubles violemment et sans pitié»… Le ministère de la Culture et de l'Orientation islamique a également fait signer à certains journalistes l’engagement de ne pas diffuser de reportages sur les protestations ni le black-out de l’internet sous peine d’inculpation pour aide à l’ennemi étranger… Le CHRI a pu obtenir le texte envoyé aux médias par le ministère et l’a reproduit intégralement sur son site.

Amnesty a également critiqué la réaction insuffisante de la communauté internationale alors que les nombreuses séquences vidéo analysées par le Digital Verification Corps de l’ONG fournissent des preuves évidentes que les forces de sécurité iraniennes ont utilisé intentionnellement des armes à feu contre des manifestants non armés qui ne représentaient aucune menace vitale. Amnesty indique aussi que les autorités iraniennes ont harcelé les familles des victimes, refusé de leur remettre les corps de leurs proches, emprisonné des manifestants hôpistalisés, refusé de fournir aux prisonniers des soins médicaux, et dans certains cas, réclamé aux familles le paiement des balles ayant tué leurs proches ou des destructions occasionnées par les manifestations.

Plus inquiétant encore pour l’avenir, Rahmani-Fazli a déclaré que les personnes arrêtées devraient «confesser» leurs méfaits, alors que l’on sait comment les forces de répression iraniennes utilisent la torture pour obtenir des «confessions» des suspects… Le 27, une cinquantaine de personnes ont été arrêtées dans une nouvelle vague de raids policiers. La police a indiqué avoir obtenu plusieurs «confessions» de personnes incarcérées, que le pouvoir pourra utiliser pour «prouver» l’existence d’un complot de l’étranger. Déjà, plusieurs personnes accusées d’avoir envoyé aux États-Unis des photographies des manifestations ont été arrêtées…

Indépendamment des manifestations et de leur répression, les garde-frontières iraniens ont poursuivi ce mois les assassinats de kolbars, ces porteurs transfrontaliers kurdes dont 64 ont été tués et 129 blessés depuis début 2019. Le 31 octobre, un agriculteur de Sewlawa travaillant dans son champ, Djemal Mohammidî, a été abattu parce qu’il avait été pris pour un kolbar. Un autre kolbar, Peyman Yousifî, blessé fin octobre près de Sardasht, est mort à l’hôpital en début de mois. Près de Saqqez, un jeune berger a perdu une jambe sur une mine. Dans la région du Hewraman, plus au sud, un autre porteur kurde a été abattu par des gardes-frontières alors qu'il tentait d’entrer au Kurdistan irakien. Dans la campagne de Khoy, un autre, grièvement blessé par balles, a dû être hospitalisé. Le 9, deux autres ont été blessés près de Sardasht et, en raison de la gravité de leur état, transférés à l’hôpital de Qala Diza, côté irakien. Le 10, un autre encore a été blessé dans la même région. Le 26, l’Institut kurde de Washington a rapporté trois autres incidents du même type dans la semaine précédente: un kolbar de 23 ans tué près du poste-frontière de Hadji Omran, un autre de 33 ans près de Baneh, et enfin un groupe pris en embuscade dans le Hewraman, marchandises confisquées. En fin de mois, les garde-frontières ont blessé un autre kolbar près de Saqqez, et ont pris un groupe en embuscade à Sardasht, blessant un de ses membres. Par ailleurs, un kolbar est mort d’une crise cardiaque près de Marivan (WKI).

Parallèlement, plusieurs activistes kurdes arrêtés après avoir protesté en octobre contre l’invasion turque du Rojava étaient toujours emprisonnés en début de mois (ils seraient dix-huit selon l’Association des droits de l’homme du Kurdistan KMMK). Pour certains qui ont été mis au secret, le 6 on était toujours sans nouvelle d’eux. Le prisonnier politique Iqbal Zerai, condamné en 2015 à cinq ans de prison pour «appartenance à un parti kurde d’opposition», et qui aurait dû être libéré après avoir purgé sa peine, a entamé une grève de la faim pour protester contre la décision de l’Etelaat de le maintenir en détention. Le 10, le tribunal révolutionnaire d’Ouroumieh a condamné Celal Tahîrî à cinq ans de prison pour «appartenance à un parti kurde d’opposition» (WKI). Le même jour, selon l’association des droits de l’homme HRANA, un détenu condamné pour meurtre est mort de maladie à la prison d’Ouroumieh après que l’administration lui ait refusé son transfert à l’hôpital. Le 11, au moins deux détenus de cette même prison, condamnés à mort pour meurtres, ont été transférés dans des cellules d'isolement, en préparation à leur exécution. Le 12, HRANA a annoncé l’exécution d’au moins quatre détenus condamnés pour des meurtres à Tabriz, Shiraz, Ardabil et Borujerd, ainsi que la condamnation à mort et à des coups de fouet de trois prisonniers, deux accusés de trafic de drogue à Ispahan et le troisième d'agression sexuelle à Téhéran.

Les Baha’is, dont la religion n’est pas reconnue en Iran, continuent à être victimes de la répression. HRANA a donné écho à plusieurs affaires ce mois-ci, indiquant le 15 que des Baha’is de Semnan avaient vu leurs libérations temporaires suspendues et avaient été incarcérés avec interdiction de visites. Condamnés pour des délits imaginaires en rapport avec de soi-disant «activités contre la sécurité nationale», ils devront faire de cinq à dix ans de prison. Le 16, un résident baha’i de Karaj a été arrêté. Le 25, HRANA a annoncé que sept autres avaient vu leurs condamnations à trois ans de prison chacun confirmées par la Cour d’appel de Bushehr. En fin de mois, neuf autres Baha’is ont été arrêtés à Ispahan, puis encore onze à Ispahan et Omidiyeh (Khouzistan), parfois ensuite mis au secret. Dans plusieurs cas, les maisons des personnes arrêtées ont été perquisitionnées et des objets (ordinateurs, smartphones…) confisqués, probablement pour recherche de «preuves».

Par ailleurs, le 20, on a appris que six des huit défenseurs de la faune et de la flore détenus en Iran depuis janvier 2018 avaient été condamnés à des peines de six à dix ans d’emprisonnement. Après avoir passé près de deux ans dans la prison d'Evin à Téhéran, avec de longues périodes d'isolement et souvent sans accès à des avocats, ils ont été reconnus coupables d’espionnage ou de «contacts avec l'État ennemi des États-Unis». Le tribunal n’a pas encore annoncé son verdict pour les deux derniers accusés. L’une des condamnées, Niloufar Bayani, condamnée à dix ans, devra aussi rembourser des années de salaires perçus des Nations-Unies. Comme souvent en Iran pour les procès politiques, les condamnés, informés oralement des peines prononcées contre eux, n’ont pas reçu de copie écrite du verdict. L’un des avocats de la défense a indiqué n’avoir pas été autorisé à assister au procès (CHRI).

Le 21, les deux plus anciens prisonniers politiques d’Iran, Osman Mostafapour et Mohammad Nazari, ont été libérés sur parole. Ils étaient respectivement incarcérés à Tabriz depuis 1991 et à Ouroumieh depuis 1994. Mostafapour avait été d’abord condamné pour «participation à un meurtre», puis pour «coopération avec un groupe d’opposition kurde», une accusation également lancée contre Nazari. Ils auraient été libérés suite au pardon accordé par le Guide suprême à l’occasion de l’anniversaire du Prophète, en même temps que 32 «prisonniers de sécurité».

Enfin, l’association Hengaw pour les droits de l’homme a indiqué le 6 novembre que le taux de suicide au Kurdistan iranien continuait à augmenter suite aux mauvaises conditions de vie et à l’oppression politique: sept personnes se sont suicidées à Sanandadj au cours des dernières semaines ; un jeune de 28 ans s'est suicidé à Dehgolan et à Mahabad c’est un habitant de 63 ans qui a mis fin à ses jours…

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ROJAVA : LES PREUVES DES CRIMES DE GUERRE DE LA TURQUIE ET DE SES SUPPLÉRIFS DJIHADISTES S’ACCUMULENT

Le dossier des crimes de guerre perpétrés au Rojava depuis le 9 octobre par les forces turques et leurs supplétifs djihadistes syriens ne cesse de s’épaissir. Déjà à Afrîn, après l’invasion par exactement les mêmes forces, il y a un an, celles-ci s’étaient tristement illustrées par des exactions massives contre les civils kurdes. Au début de l’opération d’octobre dernier, l’assassinat d’Hevrin Khalaf, la jeune secrétaire générale du parti Avenir de la Syrie et de son chauffeur, après l’interception de son véhicule, avait été perpétré par ces mêmes djihadistes pro-turcs, Ahrar al-Sharqiya qui avaient affronté d’autres groupes quelques mois avant à Afrîn dans une dispute pour s’approprier les olives volées aux Kurdes. Parallèlement, les premiers témoignages de civils blessés par des munitions au phosphore avaient émergé.

Le 1er novembre, un nouveau témoignage des crimes de guerre turcs au Rojava a été publié sur le site web «Peace in Kurdistan Campaign» (PIKC), celui d’un médecin irano-suédois, le Dr. Abbas Mansouran. Venu comme volontaire au Rojava et y a examiné des centaines de blessés, majoritairement des civils. Ayant une grande expérience des armes chimiques, le Dr. Mansouran a conclu de ses examens qu’une trentaine de ses patients avaient été victimes de munitions au phosphore blanc et d’autres armes chimiques de nature qui lui est inconnue utilisées par l’armée turque: «Le 13 octobre 2019, [écrit le médecin], j'ai rejoint le personnel médical de l'hôpital principal de Hassakeh pour aider les blessés […]. Pendant mon séjour sur place, j'ai rencontré de nombreux patients souffrant de brûlures graves que, sur la base de mon expérience comme fondateur et responsable du Comité de contrôle des infections nosocomiales de l'hôpital universitaire de Shiraz, dans le sud de l'Iran, je considérerais comme anormales. […] La forme et l'apparence des brûlures que j'ai traitées ici au Rojava sont clairement très différentes des brûlures habituelles […]. Elles montrent que les forces armées turques ont utilisé des munitions chimiques. Je peux souligner que du phosphore blanc et d'autres produits chimiques inconnus tels que des munitions DIME (Dense Inert Metal Explosive) ont été utilisés en octobre au Rojava. […] Ces bombes en alliage de tungstène sont constituées de microfibres contenant des micro-éclats de 1 à 2 mm de métaux lourds comme le cobalt, le tungstène et la poudre de nickel. Les caractéristiques des blessures causées par ces DIME sont très similaires à celles des munitions au phosphore blanc et sont souvent mortelles».

Tous les patients concernés ont rapporté avoir été victimes de munitions larguées ou tirées par des drones dans différents endroits et lors de différentes attaques. La Turquie, qui produit maintenant ses propres drones, en fait manifestement un usage massif, puisqu’elle les utilise aussi régulièrement dans ses opérations au Kurdistan irakien, et il apparaît qu’elle les a maintenant armés, et avec des munitions du type décrit par les témoins, dont l’usage indiscriminé contre des civils est constitutif de crimes de guerre. En 2009, un groupe de scientifiques italiens affiliés au groupe de surveillance du New Weapons Research Committee (NWRC) avait caractérisé les blessures faites par des munitions de type DIME comme «incurables», car la poudre de tungstène que ces munitions y instillent ne peut être retirée par des moyens chirurgicaux…

Le 26 octobre, le Guardian mentionnait les nombreuses vidéos circulant sur les réseaux sociaux et mettant en évidence des «crimes de guerre potentiels» commis par les supplétifs syriens de l’armée turque, filmés torturant leurs prisonniers ou mutilant des cadavres de combattants kurdes… Le journal britannique citait les déclarations d’Elizabeth Tsurkov, du Foreign Policy Research Institute (Philadelphie), qui indiquait que, depuis 2016, lorsque la Turquie avait renoncé à faire tomber le régime d’Assad, ceux qui avaient rejoint les milices pro-turques étaient majoritairement «des individuels prêts à combattre, contre rémunération, au service des intérêts turcs». À côté de ces exactions, le caractère indiscriminé des frappes turques a été démontré par la mort le 3 d’un secouriste birman de l'organisation médicale Free Burma Rangers, tué par un tir d’obus près de Tall Tamr (AFP). Le commandant des FDS Mazloum Abdi, indiquant qu’une famille kurde de Kobané avait été massacrée le 21 dans une frappe de drone, tandis que la Turquie avait déclaré avoir éliminé sept terroristes, a de nouveau appelé les États-Unis et la Russie à remplir leur rôle de garants du cessez-le-feu.

Par ailleurs, la situation humanitaire dans les régions touchées par l’invasion turque inspire de plus en plus d’inquiétude, le froid hivernal risquant rapidement de rendre les conditions plus difficiles pour les déplacés. Le Croissant rouge kurde (Heyva Sor, CRK), a publié un rapport le 30 octobre, toujours sur PIKC. À Hassakeh seulement on recensait à cette date près de 3.000 familles déplacées et environ 11.500 individus, dont plus de 5.000 enfants de moins de treize ans, et plus de 400 femmes enceintes ou allaitantes. Mais le nombre de déplacés autour de Raqqa, Tabqa, Qamishli etc, est bien plus important. Alors qu’un millier de Kurdes du Rojava était arrivé côté irakien, l’administration autonome a commencé la construction d’un nouveau camp près de Hassakeh qui pourrait recevoir 40-50.000 personnes. Un autre camp pour les Yézidis, «Newrouz» devrait recevoir 10-15.000 personnes. Le manque de camps a en effet obligé à héberger des centaines de déplacés dans des écoles, notamment près de Tell Tamr, où il a a fallu interrompre les classes. Concernant les victimes civiles de l’invasion, le CRK a compté 87 morts dont 6 de moins de 18 ans et 9 de sexe féminin, et 2.472 blessés (ou choqués), 43 de moins de 18 ans et 61 de sexe féminin. Une grande partie des pertes civiles est due à l’usage massif de drones armés par l’armée turque, à propos desquels les Kurdes syriens n’ont cessé de demander au Pentagone de bloquer l'espace aérien, contrôlé par les Etats-Unis… Ilham Ahmed, la co-présidente du Conseil démocratique syrien (CDS), a déclaré que les Kurdes tiendraient le Pentagone pour responsable des crimes de guerre turcs s'ils ne faisaient rien pour garantir leur protection aérienne. Contredisant les déclarations américaines selon lesquelles le cessez-le-feu en Syrie serait respecté, elle a déclaré que les attaques de drones, d'artillerie et de milices soutenues par la Turquie se poursuivaient, et que depuis le début de l’invasion, 509 civils et 412 combattants des FDS avaient été tués. Ahmed a aussi déclaré que déployer des troupes sur les champs de pétrole près de Deir Ezzor ne protégerait en rien son peuple…

Au 10 novembre, les Nations-Unies ont recensé plus de 200.000 déplacés, dont les témoignages affluaient sur les brutalités, les exécutions sommaires de «blasphémateurs» , les enlèvements et les pillages perpétrés par les djihadistes. Un habitant (pourtant turcophone) de Ras al-Aïn a décrit les combattants de l’«Armée nationale syrienne» comme «remplis de haine et de soif de sang». Un autre civil a indiqué que cette invasion lui rappelait celle de Daech en 2014: «[Ils ont] a détruit un lion de pierre à l'entrée de notre bâtiment, pensant que c'était de l'idolâtrie»… (Washington Post). Les témoignages qui s’accumulent n’ont pas empêché le président turc de défendre ses supplétifs devant les journalistes, déclarant qu'ils n'étaient nullement des terroristes mais des «guerriers islamiques sacrés […] défendant leur terre là-bas, main dans la main, bras dans le bras, épaule contre épaule avec nos soldats»…

En fait, si la diffusion de ces vidéos d’exactions a clairement nui à l’image de la Turquie, elle a aussi contribué aux projets turcs de nettoyage ethnique en semant délibérément la terreur parmi la population, provoquant la fuite de tous ceux qui craignaient d’être assassinés pour des raisons ethniques. Selon un dirigeant yézidi local, 45 familles yézidies ont fui, rien que dans la région de Ras al-Aïn ; au moins trois-cent chrétiens de plusieurs villes du Nord-Est ont quitté leurs habitations, dont des dizaines de familles autour de Tal Tamr. Le 8, William Roebuck, l'envoyé américain de la coalition anti-Daech, a fustigé dans un rapport cité par le New York Times «les efforts déterminés de nettoyage ethnique» contre les Kurdes en Syrie de la Turquie et de ses alliés (AFP). Le 13, le Conseiller américain à la sécurité Robert O'Brien a déclaré être «très préoccupé» des crimes de guerre turcs en Syrue. Le 19, c’est le porte-parole du Pentagone, Jonathan Hoffman, qui a indiqué que les États-Unis attendaient de la Turquie qu'elle veille à ce que l'Armée nationale syrienne (SNA) rende des comptes pour ses crimes de guerre (Bianet). La question demeure de savoir si ces multiples déclarations demeureront de simple vœux pieux…

Le 23, selon l’OSDH, de violents combats opposaient toujours les FDS aux forces d’invasion près d’Aïn Issa, que cherchaient à conquérir les assaillants. La ville, qui se trouve au Sud-Est de Kobané, est pourtant à l’extérieur de la soi-disant «zone de sécurité» sur laquelle la Turquie a passé un accord avec Américains et Russes… Les FDS ont annoncé le 25 avoir repris plusieurs villages dans ce secteur, critiquant l’inaction des Russes, pourtant supposés être garants du cessez-le-feu, face à l’avancée turque. À Tall Tamr, les drones turcs ont frappé les forces de Damas, qui avaient remplacé les FDS sous contrôle russe.

Le 27, l’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch a dénoncé dans un rapport les «exécutions sommaires» et les «expropriations» perpétrées par la Turquie dans les territoires syriens sous son contrôle effectif. L’ONG a également indiqué que les combattants pro-Ankara étaient incapables d'éclaircir le sort des travailleurs humanitaires portés disparus dans leurs zones d’opération. Le même jour, deux soldats turcs ont été tués par des obus de mortier tirés sur leur poste à la frontière syrienne dans le sud-ouest de la Turquie. De source militaire, une riposte a été lancée. L’attaque a été imputée aux YPG. Le lendemain, la Turquie a renouvelé ses accusations de «soutien au terrorisme» contre le président français Emmanuel Macron, pour avoir déclaré qu’Ankara avait mis «ses alliés devant le fait accompli» et mis «en péril l'action de la coalition contre Daech». «De toute façon, il [Macron] est un parrain de l'organisation terroriste, il les reçoit régulièrement à l'Elysée», a réagi le chef de la diplomatie turque Mevlüt Cavusoglu (AFP)…

En fin de mois, une nouvelle frappe d’artillerie turque à Tell Rifat a tué huit enfants et deux adultes dans une école, blessant également huit enfants et deux adultes.

Concernant les relations russo-turques, les premières patrouilles communes prévues dans l’accord passé le 22 octobre à Sotchi entre MM. Erdoğan et Poutine ont pris place dès le 1er novembre près de Derbassiyé, après le retrait de la zone des YPG. Selon l’AFP, aucun véhicule ne portait de drapeau, à la demande de Moscou. Ces patrouilles conjointes couvrent une profondeur de 10 km en territoire syrien entre Tall Abyad et Ras el-Aïn. Le président syrien avait déclaré la veille que cet accord russo-turc était «temporaire» et permettrait au régime de reprendre «progressivement» le contrôle de ces territoires, quelques jours avant la réunion de Genève sur l’avenir du pays, où se sont rencontrés, une première, représentants du régime et de l’opposition. Une seconde patrouille commune russo-turque, démarrée le 5 près de Kobané, a été la cible de jets de pierre de villageois kurdes. L’un des civils kurdes, un jeune homme renversé par un des blindés, est ensuite décédé d’une hémorragie interne à l’hôpital. Le 12, un second civil a été tué par des tirs de forces turques en patrouille avec les forces russes, lors d'une manifestation dans la région de Kobané. Selon un communiqué des Asayish (Sécurité kurde), «des véhicules turcs participant à une patrouille commune avec la police militaire russe ont visé des civils sans arme à leur passage dans la région de Kobané». «Les forces turques ont utilisé des gaz lacrymogènes et en riposte les manifestants ont lancé des pierres sur les véhicules turcs. Les soldats de l'occupation [turque] ont ensuite tiré sur les civils, tuant l'un d'eux et blessant six autres dont certains grièvement» (AFP).

Parallèlement, le régime de Damas tente toujours d’exploiter les difficultés créées pour les FDS par l’invasion turque. Ainsi le ministère syrien de la Défense a de nouveau appelé les combattants des FDS à rejoindre ses forces sur une base individuelle, une approche critiquée par Mazloum Abdi. Le 26, le vice-ministre russe des Affaires étrangères Mikhail Bogdanov a appelé les FDS à rejoindre l'armée syrienne le plus rapidement possible…

De leur côté, les troupes américaines se sont redéployées à l’est de Derbassiyé, dans la région de Deir Ezzor, près de la frontière irakienne. Quelques blindés ont été vus le 31 octobre près du village de Qahtaniya, puis le 2 novembre, ont visité plusieurs bases kurdes près de Qamishli. Interrogé sur la mission des troupes américaines sur les champs pétroliers syriens, le ministre de la Défense Mark Esper a répondu sans préciser davantage qu'il s'agissait d'en «interdire l'accès au groupe État islamique et à d'autres acteurs de la région». La co-présidente du CDS Ilham Ahmad a déclaré de son côté être opposée à un contrôle américain de ces champs pétroliers… Le 19, le porte-parole du Pentagone, Jonathan Hoffman, a indiqué que les revenus du pétrole de ces champs seraient remis aux FDS (Bianet).

Enfin, la région a connu plusieurs attentats durant ce mois. Le 2 à Tell Abyad, une ville contrôlée par la Turquie depuis le 9 octobre, une voiture piégée a tué au moins treize personnes sur un marché, civils et rebelles pro-turcs, et en a blessé trente-et-un autres. La Turquie a imputé l’attentat aux YPG, tandis que l’OSDH indiquait ne pouvoir identifier les responsables. «L'armée turque et ses supplétifs créent le chaos à Tall Abyad avec des explosions visant les civils» pour les pousser à fuir et les remplacer par des réfugiés syriens installés en Turquie, a réagi Mustafa Bali sur Twitter, une accusation également formulée par Ilham Ahmad (AFP, WKI). À Qamishli le 11, trois attentats simultanés, non revendiqués, utilisant deux voitures et une moto piégée ont fait six morts et quarante-deux blessés civils. Ces attaques sont intervnues juste après que Daech a revendiqué l’assassinat d’un prêtre catholique et de son fils, sur la route de Deir Ezzor, où ils se rendaient pour superviser les travaux de restauration d'une église justement détruite par Daech… Le 10, Tell Abyad a été de nouveau été frappée par une explosion qui a tué huit personnes, et de nouveau le 16 quand une voiture piégée a tué neuf personnes et en a blessé vingt-deux autres. Le 26, une voiture piégée a tué dix-sept personnes à Tell Halaf, une ville sous contrôle des supplétifs syriens de la Turquie à l’ouest de Ras al-Aïn, et a fait plus de vingt blessés. La plupart des victimes sont des combattants syriens (AFP).

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IRAK : PLUS DE 400 MORTS PARMI LES PROTESTATAIRES, DÉMISSION DU PREMIER MINISTRE

Depuis le début du mouvement de contestation en Irak, plus de 400 personnes – en majorité des manifestants – ont perdu la vie dans les violences. Le 4, de violents affrontements ont opposé à Bagdad jusque tard dans la nuit manifestants et forces de l’ordre, notamment sur les ponts enjambant le Tigre et menant vers l'ambassade d'Iran, le siège du gouvernement et les ministères des Affaires étrangères et de la Justice. Les forces de l’ordre ont tiré à balles réelles, faisant deux morts. Le 5, malgré l’annonce du début des travaux d’une commission parlementaire chargée de proposer des amendements constitutionnels, et après la mort en 36 heures d’au moins dix manifestants, la rue a continué à exiger le départ de tous les responsables et un nouveau système politique. Des manifestations ou rassemblements ont aussi touché Kerbala, Nassiriya, Kout, Diwaniya, Bassora et le port d’Oum Qasr. Celui-ci n’a pu reprendre ses opérations normalement que le 9. Parallèlement, le parlement de Bagdad a dissous les Conseils provinciaux dans tout le pays sauf au Kurdistan.

Bien que l’interruption d’Internet du 3 au 17 octobre n’ait eu aucun impact sur les manifestations, le gouvernement a de nouveau tenté d’utiliser ce moyen, sans plus de succès. Le mouvement a pris une orientation de plus en plus ouvertement anti-iranienne, et le général Qassem Soleimani, chef des opérations extérieures de ce pays, a multiplié les visites en Irak pour faire pression contre un changement de gouvernement. Le Guide Suprême Ali Khamenei a dénoncé un complot américain et israélien, ce qui n’a fait qu’exacerber la colère des manifestants (AFP).

Le 4, l’association de défense des droits de l’homme Human Rights Watch (HRW) a accusé les autorités de la province d’Al-Anbar d’arrêter les personnes ayant exprimé sur les réseaux sociaux leur soutien aux manifestations, et la Commission irakienne des droits de l’homme a demandé une enquête sur l’enlèvement de l’activiste et soignante volontaire Saba al-Madawi, survenu à Bagdad le 2 (ISHM).

Les protestataires ont aussi bloqué plusieurs installations et champs pétroliers dans le sud du pays: champ de Qurna le 4, raffinerie de Nassiriya le 6, raffinerie de Shanfiyah (Diwaniya). Le gouvernement a en réponse intensifié la répression. La mission des Nations-Unies pour l’Irak (UNAMI) a présenté en vain le 10 une feuille de route prévoyant la libération des manifestants arrêtés et des enquêtes sur les disparitions et l’usage excessif de la violence par les forces de sécurité, n’a guère été entendue. Au contraire, ce même jour, les forces de sécurité ont ouvert le feu à Nassiriya, faisant trois morts et des centaines de blessés. À Bagdad, elles ont lancé des munitions au gaz sur la foule, blessant vingt personnes. Dans la province de Dhi-Qar, 25 policiers ont été blessés dans les affrontements, tandis que la Commission irakienne des droits de l’homme rapportait quatre morts, 130 blessés et 34 arrestations arbitraires parmi les manifestants. Le 12, des dizaines de policiers ont rejoint les manifestants à Karbala. Le 13, les forces de sécurité ont continué à utiliser gaz lacrymogènes, balles en caoutchouc et balles réelles, tuant au moins quatre manifestants et en blessant 52. Selon des sources médicales, près de la moitié des blessés avaient été atteints par des tirs à balles réelles (Reuters). Le 14, HRW a indiqué dans un rapport que la sécurité avait directement visé avec des bombes lacrymogènes et des balles réelles les médecins volontaires ainsi que leurs tentes et ambulances. Au 14, au moins 327 manifestants avaient été tués depuis le 1er octobre. Le 15, une bombe artisanale a tué trois manifestants et en a blessé 18 à Bagdad, et une autre en a blessé 18 dans une tente à Nassiriya (ISHM). Les manifestations et blocages se sont néanmoins poursuivis. Le 21, quatre manifestants ont été tués par des tirs à balles réelles et des munitions militaires au gaz à Bagdad, portant le nombre de morts à au moins 330 depuis le début du mouvement.

Le 26, alors qu’à Karbala, quatre manifestants étaient tués par des tirs à balles réelles, la coalition Sayrûn (soutiens de Moqtada Sadr et communistes) a annoncé son opposition au projet de loi électorale, dont l’examen avait commencé le 19, estimant que celle-ci ne ferait que perpétuer le pouvoir des partis actuels. Sayrûn ne disposant pas d’assez de sièges pour bloquer seule l’adoption de la loi, celle-ci, qui prévoit notamment la réduction du nombre de parlementaires à 251, contre 329 actuellement, est donc allée en deuxième lecture. Une autre loi approuvée le 19 avait aussi réduit les avantages financiers dont bénéficiaient les hauts fonctionnaires.

Le 27 a marqué une escalade décisive dans le mouvement: à Nadjaf, les protestataires ont pris et incendié le consulat iranien, dont le personnel avait été précédemment évacué, y remplaçant le drapeau qui y flottait par un drapeau irakien; les tirs à balles réelles de la police qui protégeait le bâtiment ont fait au moins 37 morts. À Bagdad, il y a eu deux morts et 35 blessés Rue Rachid. Le bilan compilé par l’AFP comptait alors plus de 390 morts et 15.000 blessés… À Nassiriya, où la police a fait 25 morts et plus de 250 blessés, les manifestants ont défié le couvre-feu pour enterrer les victimes. Sur le site des milices pro-iraniennes Hashd al-Shaabi, leur commandant militaire, l’irako-iranien Abou-Mahdi al-Mouhandis, a menacé de «couper les mains» de quiconque menacerait le clergé chiite de Nadjaf, en particulier l’ayatollah Al-Sistani – qui a pourtant paru soutenir les protestataires depuis le début du mouvement…

Le 29 novembre, Moqtada Sadr a réitéré son appel à la démission du gouvernement, et le représentant de l’ayatollah Sistani, dans son prêche du vendredi, a appelé le parlement à lui retirer sa confiance. Après avoir longtemps résisté, le Premier ministre irakien Adil Abdul-Mahdi a alors annoncé qu’il allait présenter sa démission devant le parlement, une décision accueillie par une explosion de joie dans les rues de Bagdad. Le bilan s’établissait alors selon Reuters à au moins 408 morts depuis le 1er octobre…

Devant la dégradation de la situation politique en Irak, autorités et partis politiques du Kurdistan ont été tiraillés entre leur tendance à préserver un Premier ministre irakien avec lequel les négociations progressaient et la nécessité de ne pas paraître s’opposer aux revendications des protestataires. Le 4, le Président de la Région, Nechirvan Barzani, a mis en garde contre toute modification radicale de la Constitution irakienne risquant d’avoir un impact sur les droits et les intérêts du Kurdistan et a exprimé son opposition à des élections nationales anticipées. Le 5, les dirigeants de la Région du Kurdistan d’Irak ont tenu plusieurs réunions auxquelles a participé le président irakien Barham Saleh, lui-même kurde. À l’issue des discussions, Nechirvan Barzani a souligné le soutien de la Région aux «demandes légitimes» des manifestants, tout en indiquant que toute modification constitutionnelle devait être faite dans une «atmosphère stable». Le 11, la décision du parlement irakien d’accroître de trois à six le nombre de membres kurdes de la Commission des amendements constitutionnels a contribué à rassurer les Kurdes. Le 13, Barzani a déclaré au Président du parlement irakien, Mohammed al-Halbousi, qu'il soutiendrait «tout amendement constitutionnel contribuant à la stabilité de l'Irak et répondant aux exigences du peuple». Des experts des Nations unies devraient participer aux travaux de la commission (ISHM).

Autre sujet de satisfaction pour les Kurdes, la décision prise le 12 par le parlement de Bagdad de retarder sine die pour raisons «logistiques et sécuritaires» les élections provinciales, originellement prévues au 20 avril 2020. Ce report coïncide avec la décision de la Cour suprême irakienne d’autoriser les personnes déplacées des territoires disputés à voter sur leur lieu de résidence actuel plutôt que dans leur province d’origine si elles n’ont pu regagner celle-ci. Cette décision faisait suite à la plainte déposée contre la loi électorale par plusieurs députés kurdes: de nombreux Kurdes originaires de Kirkouk, Shingal (Sindjar) ou Khanaqin n’ont toujours pas pu rentrer depuis la prise de contrôle de ces territoires par Bagdad en octobre 2017…

Concernant la dispute entre Erbil et Bagdad sur la gestion du pétrole du Kurdistan, le ministre du Pétrole irakien, Thamir Ghadhban, a indiqué le 21 dans une interview télévisée que le Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) pourrait commencer à livrer à Bagdad les 250.000 barils de pétrole quotidiens prévus dans le budget à partir de janvier 2020. Le pétrole serait délivré à la compagnie d’État SOMO qui l’exporterait par le port turc de Ceyhan. Ce pétrole, dont la fourniture aurait dû commencer il y a deux ans lorsque l’accord le concernant a été conclu entre Bagdad et Erbil, vient en échange du paiement par Bagdad des salaires des fonctionnaires du GRK. Celui-ci n’a pas commencé les livraisons en raison de son endettement auprès des compagnies pétrolières opérant dans sa Région, qui résulte du défaut de paiement par Bagdad de la dotation financière due au Kurdistan depuis 2014. Le 25, après un échange de visites entre délégations des deux gouvernements, le ministre a formellement annoncé l’accord en conférence de presse.

Concernant la politique intérieure de la Région du Kurdistan, le vice-président du parlement d’Erbil, Hêmin Hewramî, a annoncé le 14 que le parlement rédigerait durant son présent mandat un projet de Constitution pour la Région qui serait soumis aux députés. La Région fonctionne maintenant depuis 28 ans sans constitution écrite – comme par exemple le Royaume-Uni. Une commission avait entamé cette rédaction durant la précédente législature mais n’avait pu la terminer, le parlement ayant cessé de fonctionner suite aux désaccords entre partis quant au mode de désignation du Président de Région – une question que la nouvelle constitution devrait justement régler (eKurd).

Dans les territoires disputés, les attaques, attentats, embuscades, bombes de l’organisation djihadiste Daech ont connu une ampleur sans précédent durant tout le mois. Cette détérioration de la sécurité démontre que la défaite territoriale de Daech et la mort de son chef historique ne signifient nullement la fin du danger. Le 18, le lieutenant-général Saad al-Allaq, chef du Renseignement irakien, a d’ailleurs déclaré sur CNN disposer d’informations selon lesquelles les leaders djihadistes avaient pu se regrouper à Gaziantep en Turquie et préparaient une série d’évasions en Irak comme en Syrie pour reconstruire leur organisation…

La région de Diyala a été particulièrement affectée, les milices Hashd al-Shaabi qui la contrôlent n’arrivant guère à en assurer la sécurité. Des djihadistes avaient déjà enlevé un civil et en avaient tué un autre près de Khanaqin fin octobre; le 3, selon des sources locales, plusieurs familles terrorisées quittaient le village de Ramadan, près de Khanaqin. Le 11, l’attaque d’une patrouille irakienne venue inspecter le site d’une frappe aérienne a fait quatre morts, six blessés et quatre disparus. Le même jour, une autre frappe aérienne a tué quatre djihadistes près de Kenaan dans le sud de la province, et une autre le lendemain dix entre Khanaqin et Jalawla. Une colonne au sol envoyée après la frappe a éliminé quatre autres militants de Daech, et une autre frappe au nord-est de Baqouba en a tué douze supplémentaires. Le 14, une autre frappe aérienne a permis d’éliminer cinq djihadistes et de détruire six caches dans la région d’Hamrin (Nord-est de Baqouba); le lendemain, un chef local de Daech a été tué dans la même zone. Le 17 novembre, 55 nouvelles familles ont fui leur village d’Abou-Karma, dans la même zone, tandis que 30 familles attendaient des véhicules pour partir… L’exode est particulièrement marqué dans la région de Khanaqin. Le 20, une bombe artisanale a explosé sans faire de victimes près d’un café fréquenté par les jeunes de Qara Tapa. La dernière semaine du mois, une série d’attaques a fait des victimes parmi civils, pechmergas, miliciens et forces de sécurité irakiens…

Des attaques ont aussi touché la province de Kirkouk. Le 10, une bombe artisanale a blessé cinq soldats des Forces spéciales italiennes présents près de la ville pour une action de conseil et de formation. Deux d’entre eux ont dû être amputés, d’une jambe et d’un pied. Le lendemain, une frappe aérienne a tué deux djihadistes et détruit deux caches dans les villages d’al-Awashra et Shabija. Le 12, une opération conjointe près de Hawija entre Hashd et police a tué trois djihadistes, dont un dirigeant important, Ali Hashim Moulan. Le même jour, un policier fédéral a été tué par une bombe artisanale à Rashad, au sud de Kirkouk. À Sargaran, dans le village de Palkan, les pechmergas ont lancé le 13 avec support aérien français un raid contre des caches de Daech. Le 16, deux chefs djihadistes ont été tués par la sécurité irakienne à Riyadh. Le 20, trois policiers ont été tués et un quatrième blessé dans une attaque sur leur patrouille à Rashad. Le 30, trois bombes artisanales ont blessé seize personnes à Kirkouk-ville, deux dans un bazar, la troisième dans le quartier de Domiz. Un couple kurde a été assassiné le 27 à Haftaghar (Daqouq). Aussi en fin de mois, une attaque au mortier a frappé un village au Sud-est de Kifri. Les Asayish (sécurité kurde) venus en riposte ont été attaqués par des snipers et une bombe artisanale; trois d’entre eux ont été tués et trois autres blessés.

Dans la province de Ninawa (Mossoul), dix-sept roquettes Katyusha ont été tirées le 8 sur la base de Qayyara, au sud de la ville, hébergeant aussi des militaires américains. La riposte a permis de tuer trois assaillants et de détruire le véhicule lance-roquettes. Le 9, une bombe artisanale visant une patrouille irakienne près de Tal Afar a blessé deux civils. Trois autres ont été pareillement atteints le lendemain à Qaraj (sud de Mossoul). Le 11, quatorze djihadistes ont été tués par une frappe aérienne dans les montagnes près de Makhmour, et le lendemain une autre frappe a tué deux djihadistes et détruit deux tunnels servant de caches dans les Monts Badoush (nord-ouest de Mossoul); une nouvelle opération le 20 dans la même zone a permis de tuer six djihadistes, qui préparaient une attaque en ville. Le 18, un moukhtar (chef de village) de l’Ouest de Mossoul a été tué par balles.

À Kirkouk, les fermiers kurdes de la province continuent à protester contre des décisions de justice confisquant des parts de leurs terres. Celles-ci sont réattribuées à des colons arabes installés sous le régime précédent, et qui reviennent à présent réclamer avec le soutien du gouverneur intérimaire, lui-même arabe, les parcelles qui leur avaient alors été indûment attribuées. Dans douze villages kurdes de la province, le régime baathiste avait expulsé les agriculteurs kurdes en 1975 sous prétexte qu’ils se trouvaient dans des zones pétrolières interdites… avant de réattribuer leurs terres à des colons arabes en vertu du décret n° 949 du Conseil suprême révolutionnaire baathiste. Un porte-parole des Arabes de Kirkouk a même déclaré à Rûdaw qu’il existe des «preuves officielles» et des documents des années 1940 et 1950 attestant que la zone appartient à la tribu arabe des Shammar… Un comité constitué par le ministère irakien de l'Agriculture suite à une demande du GRK doit examiner tous ces litiges.

Parallèlement, de nouveaux mandats d’arrêts ont été émis en début de mois par la Commission irakienne d’intégrité contre des membres de l’administration de la province, notamment son gouverneur intérimaire nommé par Bagdad Rakan Al-Jabouri. Celui-ci, visé par un premier mandat, avait été remis en liberté conditionnelle. Le 20, la Commission a annoncé avoir émis des mandats contre d’autres officiels, dont le vice-gouverneur chargé des affaires techniques, plusieurs responsables universitaires et pétroliers, certains en poste entre 2015 et 2018, et l’ancien maire de Doubis (eKurd).Enfin, après l’invasion du Rojava lancée le 9 octobre dernier par Ankara, de nombreux Kurdes d’Irak boycottent désormais les produits turcs. «On ne peut pas aller au front combattre les Turcs avec des armes, alors notre arme à nous c'est le boycott des produits turcs», a expliqué à l'AFP Hamid Banye, célèbre chanteur kurde irakien qui a lancé avec d'autres cette campagne. Celle-ci a reçu le soutien des Forces démocratiques syriennes: «Chaque centime dépensé pour acheter des produits turcs ou alimenter le tourisme se transforme en balles et en bombes qui tuent nos enfants dans le Nord-est syrien», a déclaré Mustafa Bali, leur porte-parole.

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TURQUIE - VIOLENCES CONTRE LES FEMMES : AKP ET MHP REJETTENT L’ENQUÊTE PARLEMENTAIRE PROPOSÉE PAR LE HDP

En préparation de la «Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes» le 25 novembre, la députée HDP d’Ağrı et porte-parole de l'Assemblée des femmes du HDP Dilan Dirayet Taşdemir, a déposé le 20 une requête demandant que la violence masculine à l'égard des femmes fasse l'objet d'une enquête par le Parlement. La requête a été rejetée par l'AKP et le MHP au pouvoir, le «Bon parti» İYİ (extrême-droite) s'est abstenu. Taşdemir a critiqué ce rejet et les interdictions ayant frappé plusieurs événements prévus par le HDP sur ce thème. Le 21, l'Assemblée des femmes du Congrès démocratique du peuple (HDK) a exprimé dans un communiqué ses préoccupations quant à l'augmentation de ces violences, accusant les «politiques misogynes du gouvernement» de porter la responsabilité de l’assassinat de Güleda Cankel, survenu le 18 novembre. Selon le bilan préparé par Bianet à partir de journaux locaux et nationaux, de sites Web de nouvelles et d’agences, les hommes ont tué au moins 302 femmes et infligé des violences à au moins 532 femmes entre le 1er janvier et le 20 novembre 2019; 198 femmes ont été tuées par leur mari, leur ex-mari, leur petit ami ou leur ex-petit ami (->). Le bilan mensuel de Bianet a compté sur 2019 21 à 40 féminicides chaque mois (->). Le 25, l’association de défense des droits de l’homme İHD a indiqué estimer que «Les dispositions de la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique ne sont pas respectées» dans le pays, et a appelé l’État à «abandonner sa politique d'impunité pour la violence contre les femmes». «Les dispositions de la Convention İstanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique ne sont pas respectées», a déclaré l'association.

Le même jour, le Bureau juridique d’aide contre le harcèlement sexuel et le viol en détention a publié son propre rapport statistique pour 2019. Le document compte 26 cas de harcèlement sexuel survenus en garde à vue en 2019, pour lesquels onze femmes ont déclaré ne pas avoir osé intenter de poursuites judiciaires «parce qu'elles avaient peur». Trente-et-une femmes, dont onze encore détenues et deux de moins de 18 ans, ont déposé une demande d’aide au bureau. Vingt-quatre d’entre elles sont kurdes, cinq turques et deux azerbaïdjanaises. Vingt-six ont été harcelées et cinq agressées sexuellement. Les signataires du rapport, la co-présidente de l'Association des droits de l'homme (İHD), Eren Keskin, et la défenseuse des droits de l'homme Leman Yurtsever, ont déclaré que «l'augmentation de la violence contre les femmes et des féminicides n'est pas indépendante de la violence politique». Vingt-quatre des auteurs sont des policiers, deux des soldats ou des officiers de gendarmerie, trois des gardiens de prison, trois d'autres fonctionnaires et deux des membres de l'Armée syrienne libre (FSA).

Le gouverneur du district de Beyoğlu a prononcé une interdiction sur la marche des femmes prévue le 25 novembre, puis, après des discussions avec la plate-forme des organisatrices, l’a finalement levée au dernier moment. Le rassemblement a commencé le soir du 25 sur la place Tünel à Taksim, İstanbul, puis les femmes participantes, au nombre d’environ 2.000, se sont engagées sur l'avenue İstiklal en scandant des slogans et en tenant des pancartes avec les noms des femmes tuées. Les députées du Parti démocratique du peuple (HDP) Oya Ersoy et Züleyha Gülüm, la co-présidente du Parti socialiste des opprimés (ESP) Özlem Gümüştaş et la défenseuse des droits des femmes de la Fondation 78ers Nimet Tanrıkulu étaient présentes. Le visage de plusieurs femmes assassinées ou décédées dans des circonstances suspectes est apparu sur de nombreuses pancartes, comme Şule Cet, Ozgecan Aslan, Aysun Yildirim et Rabia Naz Vatan. Mansur Yavas, le maire d'Ankara, a souligné dans un tweet le cas de Ceren Ozdemir, une jeune ballerine assassinée devant son appartement dans la ville portuaire d'Ordu la semaine précédente.

Alors que les gens commençaient à se disperser après la déclaration pour la presse, un petit groupe a tenté de traverser la barricade de la police, ce qui a conduit les policiers à utiliser des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc contre les femmes, parmi lesquelles plusieurs ont été touchées. Le ministre de l'Intérieur, Süleyman Soylu, a démenti toute violence policière durant une réunion des commandants de gendarmerie, déclarant que l’«allégation» selon laquelle la police aurait utilisé la violence contre les femmes est un «énorme mensonge»: «Après la fin du communiqué de presse, 50 LGBTI ont attaqué la police. Un petit coup de gaz a été tiré. Après que le gaz ait été tiré, l'incident a pris fin»…

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TURQUIE: TANDIS QUE L’ÉCONOMIE TURQUE POURSUIT SA DÉGRADATION, LE POUVOIR CONTINUE À RÉPRIMER…

À l’international, le mois a mal commencé pour Ankara, qui a exprimé sa colère après la reconnaissance formelle le 29 octobre par la Chambre des représentants des États-Unis du génocide arménien perpétré par l'Empire ottoman en 1915. Le texte, non-contraignant, a été adopté par 405 voix sur 435 et seulement 11 voix contre, dans une rare union entre démocrates et républicains. L’intense lobbying turc aura été inutile…

Concernant l’économie, le parti d’opposition CHP (Parti républicain du peuple, ex-parti unique kémaliste) a publié le 1er novembre son Rapport sur la jeunesse au sous-titre explosif de: Chômeurs, désespérés et sans avenir, où il indique que 26% des diplômés universitaires, soit 1,34 million, sont maintenant au chômage, contre 97.545 en 2004. Plus, le document prévoit que l’augmentation va se poursuivre… Selon les dernières statistiques officielles de TurkStat, le nombre de chômeurs de plus de 15 ans dépasse maintenant 4,596 millions, une augmentation de 1,65 million en douze mois (Bianet). Le 11, la vice-présidente du CHP, Gamze İlgezdi, a donné les conclusions de son propre rapport, L’armée des chômeurs de Turquie: le rapport 2018 de l’agence pour l’emploi turque (İŞKUR). Le nombre de chômeurs enregistrés par İŞKUR est passé de 587.479 en 2003 à 3.509.603 en 2018, soit +497% durant la période de pouvoir AKP… İlgezdi a aussi pointé l’exclusion du marché du travail frappant femmes et jeunes, qui ensemble fournissent 82% des chômeurs. C’est dans la province kurde de Mardin que le chômage des femmes et des jeunes a le plus augmenté…

Un des scandales de la situation présente en Turquie demeure la manière dont est rendue la «justice», comme le montrent les exemples qui suivent: malgré l’arrêt de la Cour constitutionnelle, qui a conclu le 26 juillet dernier à la violation de la liberté d’expression des universitaires signataires de la pétition pour la paix et a demandé leur acquittement, certains tribunaux poursuivent les procès. À Mersin, le procureur a fait appel de l’acquittement, car la Déclaration de paix «présente des caractéristiques de propagande terroriste» et ne peut entrer dans le cadre de la décision de la Cour constitutionnelle… À Eskişehir, la cour pénale n’a pas non plus acquitté les accusés et a fixé la date d’une prochaine audience… Le 19, le mathématicien et maître de conférences à l'Université Claude-Bernard Lyon-1 Tuna Altınel a suivi la deuxième audience de son procès à Balıkesir. Arrêté en mai lors de vacances en Turquie, Altınel, signataire de la pétition des universitaires pour la paix, avait d’abord été accusé d’«appartenance à une organisation terroriste». Il a ensuite été libéré, mais passeport confisqué, n’a pu rentrer en France. Il est maintenant accusé de «propagande terroriste», notamment pour avoir servi d’interprète à l’ex-député HDP Osman Baydemir lors d’une réunion publique des Amitiés kurdes de Lyon sur les civils tués dans les bombardements de Cizre par l’armée turque en 2015 et 2016. «Ce n'est pas de la propagande terroriste, mais un compte-rendu de la réalité» a répondu le mathématicien en rejetant l’accusation. Le tribunal a renvoyé le procès au 24 janvier 2020 (AFP).

Autre exemple honteux, celui de Çağlayan Bozacı: le fils de Turan Bozacı, tué avec 102 autres personnes dans l’attentat-suicide de la gare d'Ankara le 10 octobre 2015, a été condamné le 14 à 11 mois d’emprisonnement pour «insulte au président» après ses déclarations au tribunal. Son avocat s’est indigné: il est mis en accusation alors qu’«aucun des responsables du massacre n’a encore été accusé!». Le 15, la députée HDP de Siirt MP Meral Danış Beştaş a soumis une question parlementaire concernant «les causes et les effets des jugements incohérents et illégaux rendus par les organes judiciaires et les mesures à prendre à ce propos» (Bianet). En fin de mois, sept organisations d'avocats, dont l'Association des avocats contemporains (ÇHD) de Turquie, ont dans une déclaration commune appelé l’Union européenne à arrêter toute coopération policière et judiciaire avec la Turquie, et ont exigé la fin de l'accord passé en 2016 avec Ankara sur les réfugiés.

Dans un autre exemple d’incohérence et de manipulation politique, alors que la Cour de cassation avait annulé les condamnations de tous les anciens journalistes de Cumhuriyet, le tribunal les a de nouveau confirmées le 21, sauf celle de Kadri Gürsel. L'affaire reviendra en cassation devant l’assemblée des affaires pénales…

Dernier exemple d’incohérence et d’illégalité manifeste, le maintien en détention de l’ancien co-président du HDP, Selahattin Demirtaş: alors que la 26e Cour pénale d’Istanbul avait ordonné sa libération, la 1ère Cour pénale d’Ankara a fort commodément ordonné son arrestation dans une autre affaire. La fois précédente, sa libération n’avait pas eu lieu car il avait déjà été condamné par… la 26e Cour pénale d’Istanbul. Un de ses avocats, Neşet Giresun, a commenté sur Twitter: «Lorsqu’un ordre de libération est donné dans une affaire où [Demirtaş] a été arrêté, il ne peut pas être libéré parce qu'il est condamné. Lorsqu'un ordre de libération est donné dans l’affaire où il a été condamné, il ne peut pas être libéré parce qu'il est arrêté…». Le 25, les avocats de Demirtaş ont soumis à la Cour constitutionnelle une sixième requête de libération…

De nombreux autres membres du HDP, dont plusieurs élus, ont été visés tout au long du mois par des arrestations ou des condamnations. Le 1er novembre, quinze personnes ont été incarcérées tôt le matin dans des raids domiciliaires. Parmi elles, la co-maire HDP de Saray (Van), Caziye Duman, élue le 31 mars dernier avec 61% des voix, une «Mère du Samedi», Pervin Özgür, une cadre du BDP, et plusieurs membres du «mouvement des femmes libres» TJA. Selon la Sécurité de Van, toutes sont soupçonnées de «participation aux activités de la structure des femmes de l’organisation terroriste». Le même jour, Abubekir Erkmen, lui aussi élu co-maire HDP de Dağpınar (Kars) avec 55% des voix, mais auquel son certificat d’élection avait été refusé pour avoir été destitué par un décret d’urgence du Président Erdoğan en 2016, a été arrêté tôt le matin sans que les charges contre lui aient été précisées. Le 4, c’est la co-maire de Kızıltepe (Mardin), Nilüfer Elik Yılmaz, élue avec 70,45%, qui a été destituée sur soupçon d’«appartenance à une organisation terroriste» et remplacée par le gouverneur du district. Le 6, l’acte d’accusation contre le maire métropolitain de Diyarbakir, le Dr. Adnan Selçuk Mızraklı, démis puis arrêté le 22 octobre sur soupçon de «propagande en faveur d'une organisation terroriste» et d’«appartenance à une organisation terroriste», a été accepté par le tribunal. Cet acte d’accusation scandaleux considère comme éléments à charge plusieurs de ses activités politiques, comme les manifestations auxquelles il a assisté pour Leyla Güven ou ses discours de Newrouz… Le 13, le procureur a requis quinze ans de détention, alors que l’avocat de Mızraklı a découvert qu’un des témoins à charge avait menti en disant avoir travaillé avec l’accusé à l’hôpital et avoir assisté à ses activités pro-PKK (il s’agit d’une femme qui accuse Mızraklı d’avoir opéré un membre du PKK et de l’avoir ensuite laissé partir sans le livrer à la police). En fait, l’accusatrice ne semble même pas avoir travaillé dans cet hôpital durant la période indiquée…

Le 8, le tribunal a accepté un acte d'accusation encore plus scandaleux contre la co-maire de Kocaköy, Rojda Nazlier, qui comprend plusieurs témoignages anonymes – manière d’empêcher ses avocats d’en démontrer la fausseté. Le même jour, les deux co-maires d'Ipekyolu (Van), Azim Yacan et Sehsade Kurt, élus en mars par 54,47% des voix, ont été placés en garde à vue tôt le matin, accusés de «propagande terroriste» et d'«appartenance à une organisation terroriste», tandis que la police perquisitionnait la mairie. Inculpés le 12, ils ont été remplacés par des administrateurs nommés par Ankara et emprisonnés. Le co-porte-parole du Congrès démocratique du peuple (HDK), Sedat Şenoğlu, a également été arrêté chez lui à Diyarbakır. Le même jour, la Cour constitutionnelle a invalidé la condamnation d’Ahmet Urhan pour «appartenance à une organisation terroriste». L’Association des jeunes socialistes (SGD) dont il était membre, étant parfaitement légale, elle a considéré ce verdict comme une violation de la liberté d'association et a demandé un nouveau procès.

À İstanbul, quatre étudiants appartenant aux «Associations de jeunesse révolutionnaire» (DGD) qui avaient accroché le 11 sur le centre commercial Demirören une banderole portant: «Le système AKP tue, les médias du patron cachent la vérité», et distribué des tracts accusant: «Ce n’est pas la dépression qui tue, c’est le système AKP!», ont été incarcérés puis accusés de «propagande terroriste». Ils ont été relâchés le 12 au soir avec interdiction de sortie du pays.

Le 13, quatre nouveaux co-maires HDP ont été démis et remplacés par des administrateurs. À Diyarbakır, ce sont Belgin Diken (district de Yenişehir) et Ahmet Çevik (Hazro), et à Dersim, de Orhan Çelebi, co-maire de la ville d'Akpazar. À Şırnak, c’est la co-maire celle du district d’İdil, Songül Erden (Ahval). Les co-maires d’Ipekyolu, Azim Yacan et Şehsade Kurt, ont aussi été arrêtés. Le procureur d'Istanbul a également ouvert des enquêtes contre les dirigeants du Parti démocratique des Peuples (HDP) Sezai Temelli et Pervin Buldan pour «propagande pour une organisation terroriste».

Le 15, l'une des quatre co-maires HDP incarcérés le 15 octobre, Semire Nergiz, co-maire de Nusaybin, démise de ses fonctions, a été remise en liberté conditionnelle avec interdiction de quitter le pays. Mais quatre femmes co-maires HDP détenues à Mardin, Gülistan Öncü (co-maire du district de Savur), Nalan Özaydın (Mazıdağı), Mülkiye Esmez (Derik), et Hatice Çevik (Suruç) ont été incarcérées. Çevik a été inculpée le 20 d’«appartenance à une organisation terroriste» et de «propagande pour une organisation terroriste», les trois autres co-maires ont été arrêtées le 27. Les mairies concernées ont été bloquées par la police, et plusieurs fonctionnaires municipaux aussi incarcérés. Le 18, l'enquête ouverte contre le maire adjoint de Cizre, Mehmet Zırığ, démis en raison d’un discours de Newroz, s'est terminée en non-lieu. Cette enquête est l'une des deux enquêtes utilisées comme prétextes pour sa destitution. Le bureau du procureur objecté contre le verdict. Les autorités ont aussi demandé la levée de l’immunité de cinq députés HDP, dont son co-président Sezai Temelli. Le 20, le HDP a indiqué dans un rapport publié en ligne (->) que vingt-quatre de ses maires élus avaient été démis et remplacés par des administrateurs, et a demandé des élections municipales anticipées pour mettre fin au contrôle par des personnes non élues. Le 22, le porte-parole du HDP, M. Kubilay, a appelé l’opposition à s’unir pour soutenir cette demande.

Le 27, la police a lancé de nouveaux raids dans les provinces d'Ankara, Antep, Urfa, Diyarbakır, Batman, Ağrı et Adıyaman, incarcérant plus de 70 personnes, dont des membres des partis HDP et DBP et de l’association İHD de défense des droits de l’homme. Onze personnes ont été incarcérées à Ankara, vingt-trois à Kocaeli, à Adıyaman, l’ancien député HDP Behçet Yıldırım et le reporter de l’agence DIHA, fermée par décret d’urgence présidentiel, Hacı Yusuf Topaloğlu, ont été incarcérés. À Diyarbakır, ont été incarcérés notamment le co-vice-président du DBP Mehmet Şirin Tunç, un membre de la direction du DBP pour le district de Bağlar, Tahir Gül, un conseiller municipal HDP de Kayapınar, Songül Dağ Kapancı, et la co-présidente de la branche n° 1 d’Eğitim Sen (Syndicat des sciences et de l’éducation) Hatice Efe, à Siirt, trois personnes et au moins vingt-cinq personnes à Batman et à Ağrı, plusieurs membres du HDP.

Concernant les journalistes, le mois a commencé avec plusieurs libérations : d’abord celle, le 31 octobre au soir, après objection de ses avocats, du journaliste de l’agence NetNews Emre Orman. Il avait été arrêté le 24 octobre pour «propagande pour une organisation terroriste» suite à sa couverture des manifestations des «Mères du samedi» à Istanbul et ses messages sur les réseaux sociaux. Ensuite, celles des deux journalistes et écrivains Ahmet Altan et Nazlı Ilıcak, sur décision de la 26e Cour pénale d’Istanbul faisant suite au verdict d'annulation de la Cour de cassation. Ils avaient été incarcérés le 1er septembre 2016 après la tentative de coup d'État du 15 juillet. Mme Ilıcak a passé en détention 1.197 jours et Altan 1.138. Le président du Parti du mouvement nationaliste (MHP, extrême-droite, allié à l’AKP), Devlet Bahçeli, a publié une déclaration selon laquelle leur libération «blesse la conscience de la Nation». La liberté d’Ahmet Altan a été de courte durée, puisqu’il a été de nouveau arrêté le 12 après contestation du verdict de libération par le bureau du procureur… Rejugé malgré le verdict d'annulation de la Cour de cassation, il a été condamné à 10 ans et 6 mois de prison pour «aide en connaissance de cause à une organisation terroriste comme non-membre». Le 20, le centre PEN Allemagne l’a en soutien déclaré membre honoraire, et le 26, Amnesty International a appelé à une «action urgente» en sa faveur en demandant à ses adhérents d’écrire au ministre de la Justice turc Abdülhamit Gül (->).

Le 6, quarante-cinq journalistes récemment licenciés par le quotidien Hürriyet ont tenu à l'Union des journalistes de Turquie (TGS) une conférence de presse où ils ont indiqué leur intention de poursuivre la lutte pour leurs droits. Ils ont reçu le soutien de cadres du syndicat et de collègues, notamment les journalistes du quotidien Sözcü, également licenciés parce qu'ils s’étaient syndiqués. Le 10, Hakan Demir, responsable des services digitaux du site d’information BirGün, a été incarcéré pour ses critiques de l'invasion turque du Rojava. Accusé de «provocation à l'inimitié et à la haine» pour un tweet envoyé depuis le compte officiel de BirGün, il a été mis en liberté conditionnelle le 11 avec interdiction de sortie du territoire. La Cour a finalement décidé le 14 de ne pas le poursuivre. Le 12, la journaliste de JinNews Kibriye Evren a été libérée sous contrôle judiciaire à sa huitième audience avec interdiction de voyager à l'étranger. Accusée d’«appartenance à une organisation terroriste» et de «propagande pour une organisation terroriste», en détention préventive depuis plus d’un an, elle risque toujours vingt ans de prison. Le même jour, Ruken Demir, reporter de l'Agence Mezopotamya, a été arrêtée lors d'un raid mené à son domicile à Izmir aux petites heures du matin aujourd'hui. La police a saisi chez elle son ordinateur et son téléphone portables et une partie de son équipement.

Le 18, huit organisations internationales de défense de la liberté de la presse et du journalisme ont publié un rapport sur la situation en Turquie, Les journalistes turcs au banc des accusés: comment le judiciaire a fait taire le quatrième pouvoir, qui a été présenté publiquement à Bruxelles. Ce rapport résulte d’une mission conjointe menée en Turquie en septembre, au cours de laquelle ont été rencontrés la Cour constitutionnelle, la Cour de cassation et le Ministère de la justice turcs, ainsi que des journalistes et des organisations de la société civile (->). Le rapport dénonce «l'emprisonnement continu de plus de 120 journalistes», et le fait que «des dizaines de journalistes [soient] détenus sur les accusations les plus graves liées au terrorisme pendant des mois, parfois des années, sur la base des preuves les plus infimes dans lesquelles le journalisme critique est confondu avec la propagande terroriste, le tout dans le cadre d'une campagne visant à faire taire les voix de l'opposition et à supprimer la liberté d'expression».

Le 21, Ahmet Takan, chroniqueur au quotidien Korkusuz, a été attaqué devant chez lui à Ankara avec une batte de baseball. Il venait d’être dénoncé publiquement par le président et le secrétaire général du MHP. Brièvement hospitalisé, Takan a déposé plainte. Le 28, İdris Sayılğan, journaliste de l’agence Dicle (DİHA), fermée par décret en 2016, a été libéré en appel de la prison fermée de Trabzon Type-E après 1.137 jours d’incarcération. Il avait été condamné à 8 ans et 3 mois de prison pour «appartenance à une organisation illégale» et «propagande pour une organisation illégale». Le 29, Doğan Akın, fondateur et rédacteur en chef du portail d'information T24, a été poursuivi pour assistance à une organisation terroriste sans en être membre après avoir rediffusé 108 tweets d’un compte nommé «Fuat Avni», que la justice considère comme guléniste. Akın risque de 5 à 15 ans de prison.

Par ailleurs, la situation dans les prisons turques est toujours aussi préoccupante: exactions, punitions illégales, passages à tabac... Le site Bianet a rapporté le 1er novembre l’histoire d’Ülkü Şeyda Başaraner, qui, alors qu’elle visitait le 18 octobre à la prison d’Izmir un détenu en grève de la faim, Musa Karakaş, a dit bonjour au compagnon de cellule de celui-ci. Interdite de lui parler par les gardiens, elle l’a simplement salué de la main. Le 21, elle a été informée avoir été interdite de visite pour quatre mois par la direction de la prison pour «mise en danger de la sécurité de l’institution». Le 4, quatre détenus de la prison de Van ont dénoncé dans une lettre à Bianet la punition illégale à laquelle ils ont été soumis: ayant entamé une grève de la faim en soutien des membres de Grup Yorum, ils ont été privés de leur travail rémunéré en prison pour un mois. À Ankara, Erdinç Tulay (63), un détenu de la prison de Sinjan, s’est vu refuser la sortie de six mois qui lui aurait permis de suivre la chimiothérapie nécessaire pour son cancer en phase de métastase: les cinq demandes déposées par son avocat n’ont toujours pas été examinées. Selon la branche d'Ankara de l’Association des droits de l'homme İHD, trente-neuf détenus malades sont décédés en prison entre début 2017 et août 2019. Le 12, l'avocat Mustafa Vefa, membre de la Commission des droits de l'homme du Barreau d'Urfa, a rapporté le passage à tabac de deux détenus par quatre gardiens dans une pièce sans caméra de surveillance. Le médecin de la prison a dû insister pour que les deux hommes soient ensuite envoyés à l’hôpital. L’avocat compte déposer plainte. À Istanbul, trente-six membres de l'Assemblée des jeunes du HDP arrêtés pour avoir scandé des slogans anti-guerre au 3e Congrès du HDP, détenus six jours à la Direction de la sécurité, ont été torturés, «fouillés à nu et battus». Le même jour, les détenus de la prison n° 2 de type T d’Osmaniye se sont mis en en grève de la faim pour protester contre les coups de leurs gardiens (l’un des prisonniers a eu le bras cassé), les punitions arbitraires comme l’interdiction de visites ou de journaux ou livres etc… Le 21, le député HDP de Şırnak, Hüseyin Kaçmaz, a adressé au ministre de la Justice une question parlementaire concernant cette grève de la faim.

Enfin, le site de construction du nouvel aéroport d’Istanbul continue de se distinguer par ses mauvaises conditions de travail et de sécurité. Le 31 octobre, un ouvrier de 18 ans originaire de Gürpınar (Van) s’est tué en tombant dans une cage d’ascenseur non protégée. Trois-cents ouvriers du site se sont mis en grève le 1er pour dénoncer leurs conditions de travail: durée journalière excessive, éclairage insuffisant nécessitant l’usage des lampes de leurs téléphones, cages d’ascenseurs vides non signalées ni bloquées, absence de vêtements chauds adaptés au froid parfois glacial. Si l’on en juge par les chiffres publiés le 9 par le Comité de surveillance des accidents du travail (İSİG), ce chantier semble hélas dans la norme: au moins 155 morts en octobre, et 145 en septembre, pour un total de 1.477 sur les dix premiers mois de 2019…

À côté de ses opérations militaires au Rojava, la Turquie a également poursuivi son opération anti-PKK «Griffes» au Kurdistan et dans le nord de l’Irak. Le 4, des frappes aériennes ont visé la région majoritairement yézidie de Xana Sor, au Nord-ouest du Sindjar (Shengal), dans la province de Ninive; la cible était une base des Unités de résistance du Sindjar (Yekîneyên Berxwedana Şengalê, YBŞ), dont trois membres ont été tués et deux autres blessés. D’autres bases des YBŞ ont été frappées le lendemain à Bara, au Nord du Sindjar, et trois personnes blessées, tandis que des drones armés tuaient cinq combattants du PKK dans la région d’Avashin. Le 12, de nouvelles frappes dans les régions de Qandil et Metina ont tué six combattants du PKK, et le 19, d’autres frappes encore ont de nouveau touché Xana Sor, blessant selon des sources différentes de cinq à vingt combattants des YBŞ. Le 20, c’est la région de Hwakurk qui a été visée, où dix combattants du PKK auraient été tués. L'aviation turque a également bombardé la région de Haji Omran, Smelan, et les monts Halgurd dans le district de Balakayati, sans semble-t-il faire de victime (ISHM).

Côté turc, le gouverneur de Şırnak a annoncé le 11 en raison d’une opération militaire au Mont Cudi le classement de seize zones du district de Silopi en «zones spéciales temporaires de sécurité» interdites d’entrée aux civils du 10 au 17.

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