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Bulletin N° 417 | Décembre 2019

 

 

IRAN: BILAN DES MORTS EN HAUSSE POUR NOVEMBRE, NOUVELLE CAMPAGNE D’ARRESTATIONS

Le black-out du régime sur les manifestations de novembre rend difficile tout décompte précis des victimes. Mais au fur et à mesure que les Iraniens parviennent à faire sortir des informations du pays, le bilan se précise et l’horreur augmente… Selon les sources gouvernementales elles-mêmes, 120.000 à 200.000 manifestants ont participé aux cinq jours de protestations. Le 3 décembre, Amnesty International donnait un chiffre minimum de 208 morts, déjà en hausse par rapport aux estimations précédentes de 106, 143, puis 161. Le site Kalemeh, proche du «mouvement vert» d’opposition, estimait pour sa part qu’il y avait eu au moins 366 morts. Le 5, l’envoyé spécial du Département d’État américain pour la Syrie, Brian Hook, a déclaré que le nombre de victimes pourrait dépasser 1.000, pointant notamment une vidéo montrant plus de cent manifestants abattus en un seul lieu. Puis le 23, Reuters a annoncé avoir reçu de sources proches du Guide Suprême une information selon laquelle Ali Khamenei avait ordonné personnellement la répression: «La République islamique est en danger. Faites tout ce qu'il faut pour mettre fin [aux protestations]. Vous avez mon ordre», aurait-il déclaré. À partir des comptages des forces de sécurité, des morgues, des hôpitaux et des médecins légistes, ces sources chiffraient les victimes à 1.500 morts, dont 400 femmes et 17 adolescents, un chiffre effrayant très supérieur à toutes les estimations précédentes. Le régime a qualifié l’information de «fake news», sans pour autant proposer son propre décompte… Le 3, la télévision d’État avait pourtant reconnu que les forces de sécurité avaient ouvert le feu sur les «émeutiers» dans au moins dix villes du pays, et notamment à Mahshahr dans la province pétrolière (et arabophone) du Khouzistan (Radio Farda).

Il n’y a pas eu davantage de chiffres officiels concernant les blessés. L'Association des droits de l'homme du Kurdistan (KMMK) les a estimés à plus de 4.000. Quant au nombre d’arrestations, le 5, Brian Hook l’avait estimé à au moins 7.000. Rien que pour la province de Téhéran, son gouverneur général les a le 5 chiffrées à 2021. Après la suppression sanglante des protestations, les forces de répression ont incarcéré dans une série de raids de nombreuses personnes y ayant participé, notamment des centaines de Kurdes. Radio Farda a compilé pour les provinces kurdes du pays les chiffres suivants: à Kermanshah, 1.370 arrestations, 1.230 durant les protestations, rapportées par l’ONG Hengaw, et 140 ensuite, selon les pasdaran (Gardiens de la Révolution). Dans la province du Kurdistan, plus de 500 arrestations (sources ONG locales), et pour les provinces de l’Ouest-Azerbaïdjan, Mazandaran, Kerman, et Bushehr, 100 arrestations minimum chaque (sources réseaux sociaux et déclarations officielles). Au Lorestan, le chef de la police a mentionné 300 arrestations, la plupart à Khorramabad, la capitale. Mais les estimations n’ont cessé d’augmenter durant le mois, les arrestations se poursuivant quotidiennement. Par exemple le 4, l’écrivaine et activiste kurde Mozhgan Kawasi a été arrêtée à Kelardasht (Mazanderan) pour «soutien aux protestations». À Bokan, l’Etelaat (Renseignement) a arrêté l’activiste kurde Azad Mahmoudian. Certaines agences de presse locales ont publié des détails sur les arrestations dans des villes comme Marivan et Javanrud où une douzaine de manifestants ont été tués par les forces de sécurité. Fereshta Chraghy, journaliste kurde et membre de la minorité religieuse kurde Yarsan, a été arrêtée à Sarpol-e Zahab tandis que des dizaines de militants et de manifestants étaient incarcérés à Kermanshah, Marivan, Sanandaj, Saqqez, Salas-e Bawajani et Javanrud (WKI). Le lundi 9 à Marivan, l’Etelaat a arrêté l’activiste kurde Arman Shakiri, blessé durant les manifestations (KMMK). À Sanandaj, l’Etelaat a arrêté et mis au secret l’activiste kurde Akbar Kawyli. À Kermanshah, deux militants kurdes Yarsan ont été arrêtés, dont l’un grièvement blessé durant l’opération. Enfin, à Oshnavieh (Shino), le militant politique kurde Rashid Naserzade, précédemment déjà emprisonné pour son opposition à la peine capitale, a été de nouveau arrêté (WKI)

Selon les informations recueillies par Amnesty, les forces de répression ont aussi menacé les familles des victimes, leur interdisant de parler aux médias ou d’organiser des cérémonies funéraires pour leurs proches. Certains ont été battus, d’autres emprisonnés pour avoir tenté de visiter la tombe d’un proche tué durant les protestations. La famille du jeune Pouya Bakhtiari, tué à Karaj, a refusé d’obéir à ces consignes. Son père a donné une interview à Radio Farda, n’hésitant pas à poster sur sa page Instagram une photo du prince Reza Pahlavi, qui lui avait envoyé ses condoléances... Le 23 au soir, plusieurs membres de la famille ont été arrêtés, dont les parents et les grands-parents du jeune homme.

Des familles de victimes ont dû payer pour récupérer la dépouille de leur proche, comme celle du chanteur Mustafa Frazmi à Kermanshah… Les familles des personnes arrêtées ont parfois aussi été soumises à un chantage, comme celle de l’étudiante Soha Motezaei, secrétaire du Conseil central des étudiants de l'université de Téhéran, arrêtée durant les protestations, convoquée et menacée, d’abord par les autorités universitaires, puis par un service de sécurité… Déjà arrêtée et condamnée à six ans de prison en 2018, la jeune étudiante en Master, bien que classée 10e au concours national d’entrée en doctorat, s’était vue en septembre 2019 interdire l’inscription en thèse par la Sécurité de l’université de Téhéran… Après avoir entamé un sit-in de protestation sur le campus, elle avait été de nouveau arrêtée le 17 novembre au dortoir de l’université. L’université a menacé sa famille d’une peine de prison supplémentaire ou d’un transfert en institution psychiatrique, où elle serait soumise à des chocs électriques…

À Sanandaj, l’activiste kurde Fatima Darwand, arrêtée le 17 novembre, a été accusée le 16 décembre d’incitation à la violence: elle avait pris la parole lors des rassemblements, scandant notamment: «Le gouvernement affame la nation». Elle devait être libérée sous caution, mais le tribunal a révoqué cette possibilité quand la famille a demandé une réduction du montant. Sa famille n’a pas les moyens de prendre un avocat (Rûdaw). Le Washington Kurdish Institute (WKI) a rapporté le 18 d’autres arrestations: à Javanrud, deux activistes, Kawa Salih et Hamza Azizi, arrêtés et mis au secret; à Dehgolan, le défenseur de l'environnement Sabir Qadiri. À Bokan, l’activiste Simko Maroofi, a été condamné à deux ans de prison pour «atteinte à la sécurité nationale»: il avait organisé une manifestation de solidarité contre l'invasion turque du Rojava. À Kermanshah, 250 personnes ont été arrêtées (le chef de la police a parlé de «meneurs»). Toujours le 18, selon le Kurdistan Human Rights Network (KHRN), les activistes Fouad Mozaffari et Farzad Sofrah ont été arrêtés chez eux. La tension demeure élevée à Kermanshah, où lors des manifestations de novembre plus de vingt personnes ont été abattues et beaucoup de blessés ont été arrêtés à l’hôpital. Plusieurs journalistes ont aussi été arrêtés, comme, à Téhéran, le rédacteur en chef du mensuel politique Zhilwan, publié en kurde et en persan, Houmayoon Abbasi (Rûdaw).

Les organes de répression ont aussi procédé à de nombreuses «arrestations préventives», ce qui en dit long sur la peur du régime… Celui-ci tente d’utiliser les minorités comme boucs émissaires, les accusant d’être responsables de tentatives de déstabilisation du pays. La répression a été particulièrement violente dans les zones habitées par des minorités ethno-religieuses, Kurdes, Arabes du Khouzistan, Azéris et Baloutches (UNPO). Les Kurdes, notamment, ont été mis publiquement en accusation comme agents travaillant pour les USA et Israël. Ils sont depuis longtemps particulièrement ciblés par la répression: constituant moins de 10 % de la population, ils fournissent presque la moitié des prisonniers politiques.

Que s’est-il passé au Kurdistan en novembre? Des témoignages ont commencé à apparaître sur internet début décembre. À Marivan, les protestations ont débuté pacifiquement par un blocage des rues avec des voitures portant des messages dénonçant la hausse du carburant. Dans l’après-midi, les forces de sécurité ont commencé à retirer les plaques minéralogiques ou casser les pare-brise des voitures, menaçant ou attaquant les habitants. Mais la population a contre-attaqué, forçant les attaquants à chercher refuge dans un bâtiment, que des provocateurs ont poussé en vain les habitants à attaquer. À l’arrivée de la nuit, des tireurs ont tiré à balles réelles sur les manifestants depuis le toit, tuant deux jeunes. Ces morts inattendues ont mis la ville en état de choc, avant de provoquer un soulèvement général et l’occupation des rues par une foule de jeunes et de femmes. Les manifestations, accompagnées de caillassages des casernes, des stations-service ou des banques ont duré une semaine… À 60 km au sud, à Javanroud, ville pauvre subsistant grâce aux kolbars (porteurs transfrontaliers), l’annonce du triplement du prix de l’essence a fait descendre les habitants dans la rue. Les forces de sécurité les a rapidement dispersés (la ville héberge une base militaire). Des membres du renseignement (Etelaat) en civil se sont également mêlés à la foule. Des snipers ont tiré pour tuer, mais certains habitants ont également été victimes de balles perdues. Dans certains hôpitaux, certaines familles ont dû payer jusqu’à 70 millions de tomans (environ 15.000 €) pour récupérer les corps de leurs proches. Ceux-ci ont dû être enterrés silencieusement et la cérémonie mortuaire tenue à la maison. Depuis les événements, selon des sources locales, les forces de répression lancent le matin de 5 à 6 h des raids incessants sur les maisons des habitants suspectés d’avoir participé aux manifestations (Rûdaw).

Les informations sur la répression ont provoqué des réactions à l’international. Le 6 décembre, la Haute Commissaire aux Droits de l’Homme, Michèle Bachelet, a exprimé son inquiétude devant de «graves violations des Droits de l’Homme» et demandé que «les responsables rendent des comptes». Confirmant l’arrestation d’«au moins 7000 personnes», sa déclaration a exprimé sa «préoccupation extrême» quant au «traitement physique des détenus, [aux] violations de leur droit à un procès équitable», et aux témoignages d’«aveux forcés». Le 8, le Haut Représentant de l’Union Européenne pour les Affaires étrangères, Josep Borrell, a demandé aux autorités iraniennes d’«enquêter et poursuivre les responsables des morts, et garantir à tous les détenus un procès régulier» (->) (Bianet). Dans une pétition publiée le 9, Amnesty International et plusieurs autres ONG ont exhorté les pays membres de l'ONU à condamner les «graves violations des droits de l'homme» commises par les autorités iraniennes. Le 12, la prix Nobel de la paix iranienne Shirin Ebadi a déclaré de Bruxelles que «le séparatisme est une étiquette que la République islamique utilise pour opprimer les groupes ethniques». Critiquant les pays européens qui maintiennent des contacts avec l’Iran malgré la répression féroce qui s’y déroule, Ebadi les a exhortés à conditionner les affaires avec ce pays à «l’arrêt de la répression et la libération des prisonniers politiques, qui ne demandent que le pain et le travail» (Rûdaw). Le 16, une coalition de 23 ONG de défense des droits de l’homme, dont le CHRI, a appelé le Conseil des Droits de l’Homme des Nations-Unies à lancer une enquête indépendante, tandis qu’Amnesty International accusait dans son rapport sur la répression le régime d’avoir caché des corps de victimes pour dissimuler le nombre réel de morts. Ainsi, le 17, le corps d’un manifestant disparu a été retrouvé près de Marivan, celui d’un autre dans la banlieue de Javanroud. Selon KMMK, les deux disparus avaient probablement été enlevés et assassinés après les manifestations; leur corps montraient des traces de torture.

Le 18, l’Assemblée générale des Nations Unies a voté par 80 voix contre 30 et 70 abstentions une résolution soumise par le Canada appelant l’Iran à mettre fin à ses violations des droits de l’homme et notamment à relâcher les personnes arrêtées seulement pour avoir participé à des manifestations pacifiques. Le ministre iranien des Affaires étrangères Abbas Mousavi a qualifié cette résolution de «partiale». Le 20, le Secrétaire d’État américain Mike Pompeo a annoncé des sanctions contre deux juges iraniens, Mohammad Moghiseh et Abolghassem Salavati, tous deux à la tête de «Tribunaux révolutionnaires», déjà sanctionnés en 2009 par l’UE après la répression du «mouvement vert» d’opposition à la réélection frauduleuse de Mahmoud Ahmadinejad. Mohammad Moghiseh est également tristement célèbre pour son rôle dans la torture et l'exécution de nombreux prisonniers politiques dans les années 1980… Enfin, le 27, au sommet du G7 sur l’égalité des genres, tenu à l’Élysée à Paris, une chaise a été symboliquement laissée vide pour l’avocate iranienne emprisonnée Nasrin Sotoudeh, invitée par le président français, mais incapable de se rendre en France.

À l’intérieur du pays également, la violence de la répression a provoqué des réactions. Le 1er décembre, depuis sa cellule de la prison d’Evin, où elle est emprisonnée depuis 2015 pour seize ans, la défenseuse des Droits de l’homme Nargis Mohammadi a courageusement diffusé une lettre ouverte où elle écrit que «l’État ne peut offrir aucune justification» à une telle violence: «Il ne peut y avoir qu'une seule exigence, c'est la punition des responsables du massacre de personnes sans défense» (->). Plusieurs députés du parlement ont pris la parole pour protester ou demander des éclaircissements sur le nombre de morts. Le 2, le député de Téhéran Mahmoud Sadeqi a averti le pouvoir dans un tweet que si aucun bilan officiel n’était publié, le parlement devrait produire le sien en appelant les citoyens à témoigner. Une autre députée, Mme Paravaneh Salahshouri, a demandé une commission d’enquête parlementaire, puis a repris la parole le 9 pour qualifier la République islamique de «sombre despotisme» et dénoncer la concentration des pouvoirs au sein de structures non-élues contrôlées par le Guide Suprême, qui «échappent ensuite à toute responsabilité pour leurs actes». Le lendemain, le député Ali Motahari a formulé des critiques analogues, demandant notamment la dissolution du «Conseil de coordination économique», composé du président, du président de la Cour suprême et du président du parlement – qui avait précisément décidé du triplement du prix de l’essence. Le même jour, le gouvernement a promis de publier un bilan des manifestations, dont le nombre de personnes tuées. De semblables promesses, faites après les manifestations étudiantes de 1989, celles post-électorales de 2009, les meurtres d’intellectuels de 1998, et plus récemment en 2017 et 2018, n’ont jamais été tenues… (Radio Farda)

Le 9, 160 avocats ont écrit au président Rouhani pour dénoncer la caractérisation de «protestations légitimes» comme des «complots de l’étranger» et demander une enquête approfondie sur la répression et la punition des responsables…

En parallèle à la répression des participants aux protestations de novembre, arrestations, condamnations et même exécutions sans rapport direct avec celles-ci se sont poursuivies. Ainsi le 4 décembre, la section 28 du tribunal révolutionnaire de Téhéran, présidée par le juge Moghiseh a condamné Neda Naji, arrêtée lors des manifestations du 1er mai, à cinq ans de prison pour entre autres «rassemblement et collusion», «propagande contre l’État» et «trouble à l’ordre public»… Selon son mari, Naji, battue deux fois en prison par un autre détenu et un responsable pénitentiaire, a dû être transférée à l’infirmerie (HRANA). Le 6, les réseaux sociaux du Kurdistan ont rapporté l’exécution du chanteur Mohsen Lorestani, condamné pour avoir «répandu la corruption sur terre» (fasad fil arz) par un tribunal présidé par le juge Moghiseh. La raison de cette condamnation n’est pas claire, elle pourrait être liée à la création par le chanteur d’un groupe Instagram avec des personnes transsexuelles.

Une rare bonne nouvelle concerne Zahra Mohammadi, la directrice de l'Association culturelle Nojin pour l’enseignement du kurde. Arrêtée à Sanandaj en mai dernier, Mohammadi a été selon Hengaw libérée sous caution le 2 décembre. Mais elle n’en a pas fini avec la justice, puisqu’elle doit encore passer en procès (Rûdaw). Selon Amnesty international, elle a rapporté avoir avoué sous la contrainte alors qu’elle était placée à l’isolement (->).

La veille de Noël, deux universitaires étrangères détenues à la prison d’Evin sous l’accusation d’espionnage, la Franco-iranienne Fariba Adelkhah et l’Australienne Kylie Moore-Gilbert, ont annoncé dans une lettre ouverte au Center for Human Rights in Iran (CHRI), qu’elles sont parvenues à faire sortir de l’établissement, qu’elles entamaient un jeûne complet pour protester contre leur détention. Au moins onze autres ressortissants étrangers sont emprisonnés comme elles.

Le 25, cinq prisonniers ont été condamnés à Téhéran par un tribunal présidé par le juge Salavati à recevoir publiquement 74 coups de fouet chacun. Cette punition est fréquente en Iran: la veille, un jeune homme avait été condamné à être fouetté pour des relations extramaritales (HRANA). Enfin, le 27 à Shiraz, un conseiller municipal musulman a reçu un an d’emprisonnement pour avoir demandé la libération de deux Baha’i, et un autre conseiller a été suspendu pour dix mois pour avoir défendu son collègue (CHRI).

Aux frontières, les forces de sécurité continuent à assassiner les porteurs kurdes connus sous le nom de kolbars. Le Washington Kurdish Institute (WKI) en a dressé un bilan sinistre: en début de mois, un kolbar a été abattu près de Saqqez, et un autre a été blessé à Sardahst quand le groupe auquel il appartenait a été pris pour cible. Un autre est mort d’une crise cardiaque près de Marivan. La semaine suivante, un autre a été abattu près de cette ville, puis un autre de 16 ans près de Sardasht et un autre à Baneh. Enfin, un kolbar a été blessé près de Pawa par une mine placée par des garde-frontière. Le 21, Rûdaw a compté au Hawraman cinq kolbars gelés à mort et plus de dix disparus dans une tempête de neige à la frontière avec l’Irak. Le 28, le frère d’un kolbar mort à l’hôpital a indiqué dans une interview donnée au travers de ses larmes: «Quand les hôpitaux savent que le blessé est un kolbar, ils ne s'occupent pas très bien de lui, car ils pensent qu’il est un contrebandier… Mon frère et des milliers d'autres comme lui font ce travail risqué pour gagner leur vie, pour s'offrir un morceau de pain, à cause du manque d'emplois au Kurdistan. C’est la pauvreté qui les contraint à offrir leur poitrine aux balles des garde-frontière…».

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ROJAVA: LES RUSSES MAÎTRES DU JEU EN SYRIE, LES KURDES CONTRAINTS À CHERCHER UN ARRANGEMENT AVEC EUX

Depuis le retrait effectué sans préavis (puis en partie annulé) des Américains, Moscou apparaît plus que jamais comme le maître du jeu en Syrie. Dans le Nord-est du pays, les Russes se sont portés garants du retrait des milices kurdes, et la Turquie a bien dû s’en remettre à eux… Les patrouilles communes russo-turques se poursuivent, et trois officiers russes ont même été légèrement blessés par un engin explosif près de Kobanê: dès le début de ces patrouilles, les Kurdes syriens ont exprimé leur rejet de la présence militaire turque, et au moins deux civils ont été tués dans des affrontements, soit par des tirs turcs, soit renversés par leurs véhicules…

Le commandant des Forces démocratiques syriennes (FDS), Mazloum Kobani, a annoncé le 2 que celles-ci étaient parvenues à un accord avec les forces russes. Ces dernières se déploieront à Amouda, Tell Tamr et Aïn Issa (Ahval), ce qui empêchera de fait une action turque à l’encontre de ces villes. Les accrochages sont réguliers entre les FDS et les militaires turcs ou leurs supplétifs, ainsi un soldat turc a été tué le 2 par des tirs de mortiers… (AFP) La complexité de la situation est bien illustrée par le fait que la coalition anti-Daech et les FDS sont revenues à Hassaké, Qamishli, Derîk et Deir Ezzor pour poursuivre la lutte contre les cellules djihadistes dormantes (Ahval). À Amouda, le déploiement russe a été rapporté le 4 (Asharq Al-Awsat). Le 7, Rûdaw à rapporté que les discussions entre FDS et forces russes s’étaient poursuivies et prévoyaient en une deuxième phase le déploiement de garde-frontière syriens le long de la frontière entre Kobanê et Semelka, face à l’Irak, notamment dans les villes de Manbij, Derbasiya, Amouda, Qamishli et Derîk. Les militaires syriens seront cantonnés dans les bases évacuées par les Américains. Le régime fait ainsi sa réapparition progressive au Rojava… Le 10, l'envoyé spécial du président russe pour la Syrie, Alexander Lavrentiev, a déclaré que la Russie s’opposait à l’expansion de la «zone de sécurité» de la Turquie au nord de la Syrie: la Turquie doit demeurer dans les limites de la zone «clairement définie» par l’accord passé en octobre avec la Russie, et ne doit pas l'étendre au-delà, a-t-il indiqué (Ahval, TASS).

La Russie a aussi servi d’intermédiaire pour les discussions entre l’Administration autonome du Nord-est syrien (AANES), dominée par le PYD, et le régime de Damas. Le 12, cependant, Mohammed Ismail, un responsable du Conseil national kurde (ENKS), rassemblant l’opposition à l’AANES, a déclaré que celle-ci était prête à entrer également en discussion avec Damas… si la Russie jouait le rôle de garant. En effet, l’ENKS ne fait guère confiance au régime, avec lequel aucune discussion n’a eu lieu jusqu’à présent, l’ENKS appartenant à la coalition d’opposition soutenue par la Turquie. Par contre, une délégation ENKS de trois membres a récemment tenu à Moscou plusieurs réunions avec Mikhail Bogdanov, vice-ministre russe des Affaires étrangères et envoyé spécial du Président Poutine au Moyen-Orient. Bogdanov a déclaré à la délégation qu'elle devait clarifier ses exigences et s'unir aux autres forces kurdes… L’ENKS est également présent au «Comité constitutionnel syrien», dont l’AANES est exclue suite à l’opposition de la Turquie. Rassemblant Nations-Unies, régime et opposition, ce Comité doit élaborer un projet de nouvelle constitution pour la Syrie, mais il progresse très lentement (Rûdaw). L’AANES a rejeté les discussions du Comité, s’étonnant de son exclusion, alors qu’y participent des groupes djihadistes comme le Jabhat Fatah al-Sham, ex-Al-Nosra et Al-Qaida au Levant (Al-Qa’ida fi Bilad al-Sham).

Le 19, VOA a indiqué que la Russie avait entamé la création dans le Nord-est syrien d’une nouvelle force militaire devant être déployée à la frontière. Deux centres de recrutement ont été ouverts à Amouda et Tell Tamr. Un commandant des FDS a indiqué que celles-ci étaient «impliquées dans le processus de recrutement et de vérification des nouveaux combattants». Au plan politique, le 25, le ministre syrien des Affaires étrangères, Walid Muallem, a déclaré sur Russia Today que les pourparlers avec l’AANES étaient «terminés […] en raison des fluctuations dans les relations entre les États-Unis et les Kurdes» (Ahval).

Conforté par ce qu’il voit comme sa reprise progressive de contrôle du Nord-est, le régime, appuyé par ses alliés russes, s’est lancé dans une offensive violente sur la province d’Idleb. En début de mois, les combats s’y sont faits de plus en plus violents. Dominée par les djihadistes d’Hayat Tahrir al-Cham, ex-branche syrienne d'Al-Qaïda, la province est devenue une véritable nasse où ont afflué les islamistes et djihadistes progressivement chassés du reste de la Syrie, mais aussi des millions de déplacés, une véritable inquiétude pour la Turquie voisine. Le 2 décembre, des bombardements ont fait près de vingt morts en Syrie, dont treize lors de frappes du régime sur un marché de cette province. Cette évolution dramatique reflète l’échec de la politique syrienne de la Turquie. Notamment, le président turc, tout à son obsession kurde, n’a pu remplir les engagements pris vis-à-vis de la Russie: désarmer ses «clients» rebelles. Les troupes turques se retrouvent en très mauvaise posture sur le terrain, au point d’être parfois encerclées dans leurs postes d’observation, installés après un accord de cessez-le-feu passé avec Moscou, mais dépendant du désarmement… Si en fin de mois, le ministre de la Défense Hulusi Akar a pris publiquement une posture martiale, déclarant que la Turquie n’évacuerait aucun de ses postes, la diplomatie turque a dû se résoudre en sous-main à quémander une sortie honorable à Moscou, prié d’intervenir pour faire baisser l’intensité de l’offensive de Damas.

Par ailleurs, la Turquie, après son invasion solitaire du Rojava et l’achat d’un système de défense antiaérienne russe, ne peut espérer compter sur une assistance automatique de ses alliés de l’OTAN, vis-à-vis desquels elle se retrouve en porte-à-faux. Les tentatives de chantage du président turc, qui a menacé de bloquer plusieurs décisions de l’OTAN devant renforcer les défenses des pays baltes et de la Pologne face à la Russie, pour forcer l’Alliance à adopter un texte décrivant les YPG comme une menace terroriste, n’ont pas abouti. Le président français, notamment, s’est montré extrêmement critique de l’attitude turque, déclarant avant le sommet de l’Alliance: «Je suis désolé de dire que nous n'avons pas la même définition du terrorisme autour de la table», et «Quand je regarde la Turquie, ils combattent ceux qui se sont battus au coude à coude avec nous contre l'État islamique et parfois ils travaillent avec ses mandataires». M. Erdoğan a fini par renoncer à ses pressions.

Sur le plan des relations intra-kurdes, quelques tentatives d’amélioration sont à noter, sans nul doute poussées par l'invasion turque d’octobre. Le 17, l’AANES a annoncé autoriser l’ENKS à ouvrir des bureaux dans la région qu’elle administre sans demander d’autorisation préalable et renoncer à toute poursuite contre ses membres. Le 21, les forces de sécurité kurdes (Asayish) ont annoncé la libération d'un membre de l'ENKS récemment incarcéré, Suud Mizar Issa. Il avait été accusé de «collusion avec des parties extérieures» mettant en danger le Rojava, ce que l’ENKS avait dénié, accusant l’administration de l’avoir emprisonné en raison de ses activités politiques. L’administration autonome a aussi formé une Commission d’enquête sur les emprisonnements pour raisons politiques que dénonce l’ENKS. Ne reconnaissant pas l'AANES, l’ENKS a jusqu’à présent refusé de suivre les procédures imposées pour l'ouverture de bureaux politiques, ce qui a conduit en 2016 à une vague de répression dans laquelle les autorités ont fermé une quarantaine de ses bureaux et emprisonné des centaines de ses membres, ensuite libérés. L’AANES a déclaré qu'il n'y avait plus de prisonniers politiques de l'ENKS au Rojava, mais l'ENKS a répondu en publiant une liste de dix de ses membres selon lui toujours détenus.

Membre de la direction de l'ENKS, Fesla Yousef a salué la décision de l’AANES, tout en appelant à sa mise en œuvre immédiate. Cependant, le 27, réuni à Qamishli, l’ENKS a décidé de refuser de rouvrir ses bureaux au Rojava. Bashar Amin, membre du secrétariat général de l'ENKS, a déclaré à Rûdaw que le principal problème est le manque de confiance dans l’administration: «Pour nous, l'essentiel est de créer la confiance entre nous. De plus, nous donnons la priorité à la question des détenus [par rapport à la réouverture des bureaux]».

Par ailleurs, les attaques turques, si elles ont poussé à ces récentes tentatives de rétablir l’unité, ont aussi provoqué une crise de confiance dans l’autre sens: plusieurs des dirigeants de l’ENKS ont ainsi été interdits de séjour au Rojava en raison de leurs liens avec la Turquie au travers de leur appartenance à la coalition d’opposition au régime soutenue par Ankara, qui les a fait accuser de complicité dans l’invasion turque d’Afrîn.

Concernant Daech, en raison de l’insécurité et de la difficulté à contrôler le camp d’Al-Hol, où plusieurs assassinats imputés aux djihadistes se sont produits ce mois-ci, et aussi pour éviter le risque d’une rupture avec leurs alliés arabes, les FDS ont accepté en début de mois la libération de quelque 300 Syriens, puis le 8 de 200 supplémentaires. Ce sont en majorité des femmes et des enfants, dont des proches de djihadistes appartenant à certaines tribus ayant choisi un temps le camp de l’organisation djihadiste. Le but est de libérer progressivement et de réinsérer dans la société les 28.000 Syriens incarcérés (chiffre de l’ONU), tandis que l’AANES demande toujours aux pays étrangers, en particulier occidentaux, de reprendre leurs 12.000 ressortissants – sans grand succès jusqu’à présent.

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ROJAVA: POURSUITE DES EXACTIONS TURQUES ET DU NETTOYAGE ETHNIQUE

Le 2 décembre, à Tal Rifaat (province d’Alep), ville sous contrôle kurde où se trouvent aussi troupes russes et syriennes, au moins onze civils dont huit enfants ont été tués par des tirs d'artillerie turcs alors qu’ils sortaient de l’école, selon l'OSDH, qui a aussi dénombré 21 blessés. La plupart des victimes sont des Kurdes déjà déplacés par l’invasion turque d’Afrin (AFP).

Ce mois-ci, un certain nombre de données publiées récemment permettent de tenter une courte synthèse concernant les exactions turques au Rojava. Concernant l’invasion d’octobre dernier, le Rojava Information Center a publié le 1er décembre le rapport Turkey’s war against civilians (Guerre turque contre les civils ->, lien de téléchargement PDF en bas de page), apportant de nombreux témoignages ainsi qu’une base de données listant preuves à l’appui toutes les violations des droits subies par les populations civiles (->).

Depuis quatre ans, la Turquie a mené trois opérations militaires au Rojava: Bouclier de l’Euphrate en août 2016 dans la région Jerablous–Al-Bab, Rameau d’olivier contre le canton d’Afrin en février-mars 2018, et enfin Source de paix en octobre 2019, dans la zone frontalière s’étirant de Kobanê à la frontière irakienne. Ce sont des invasions (à ce jour aucun retrait n’a eu lieu) où l’on retrouve à des degrés divers les mêmes éléments: utilisation au sol, en sus de l’armée régulière, de supplétifs djihadistes syriens se livrant à des exactions contre les populations civiles; frappes aériennes turques contre ces mêmes civils durant et après l’invasion, et parfois usage d’armes interdites contre les civils, comme le phosphore. Tous ces éléments sont constitutifs de crimes de guerre, voire potentiellement de crime contre l’humanité, d’autant plus que leur répétition à chaque opération montre qu’il ne s’agit pas de «bavures» résultant d’un manque de contrôle de la Turquie sur ses auxiliaires, mais d’une politique délibérée, anti-kurde (et non anti-terroriste) visant à créer la terreur pour modifier la composition démographique des territoires: en clair, il s’agit d’opérations de nettoyage ethnique visant à détruire le Kurdistan de Syrie.

Dès le 17 novembre, Sheri Laizer rappelait dans eKurd le témoignage glaçant d’un cultivateur d’Afrin, recueilli après l’opération Rameau d’olivier: «Les djihadistes parrainés par les Turcs m'ont enlevé chez moi – je ne suis pas membre du PYD, juste un cultivateur d'oliviers. Ils m'ont détenu et torturé pendant trois semaines, m’ont brûlé, ont menacé de me tuer, m’ont battu jusqu'à me briser les os et m'ont affamé. Puis ils ont exigé une rançon, ont occupé mes terres, nous ont expulsé, moi et ma famille, vers un village éloigné afin de pouvoir s'emparer de notre maison et de nos oliveraies. Après que ma famille les a eu payés pour ma libération, j'étais si faible que je pouvais à peine tenir debout. Je n'avais plus que la peau sur les os. [Ils] m'ont menacé de me reprendre et de tuer ma femme et mes enfants si je racontais quoi que ce soit…».

Publié le 18 octobre dernier, le rapport d'Amnesty International sur l’opération Source de paix, parlant du «mépris honteux pour la vie des civils» des envahisseurs, atteste également de «preuves accablantes de crimes de guerre et autres violations commises par les forces turques et leurs alliés». Des témoignages récents font écho à celui reproduit ci-dessus, comme celui, daté du 5 décembre, de cette mère de 65 ans déplacée de Ras al-Aïn / Serê Kaniyê, qui a reçu sur son téléphone portable le message «Venez chercher votre fils», accompagné d'une photo d’un cadavre ensanglanté. Toute la famille s’était réfugiée à Qamishli au moment de l’invasion, mais le fils a dû revenir récupérer des papiers administratifs. Il a été tué avec quatre autres personnes venues avec lui s’informer du sort de leur maison (AFP).

Le 29 novembre, The Independant mentionnait «les vidéos mises en ligne par les soldats de l’«Armée nationale syrienne» soutenue par la Turquie – montrant des exécutions sommaires, des mutilations de cadavres, des menaces contre les Kurdes et des pillages généralisés», et rappelait un clip précédent montrant des djihadistes paradant un prisonnier kurde et menaçant de tuer les «porcs» et les «infidèles»… Ces nombreuses vidéos ont atteint leur but: semer la terreur, en particulier parmi les Kurdes et les minorités non-sunnites, pour provoquer un exode massif. Ainsi témoignait une Yézidie déplacée de Ras al-Ain avec sa famille: «Quand nous avons vu le meurtre de […] Havrin Khalaf, nous avons vu qu'ils faisaient la même chose que Daech». La famille s’est réinstallée dans un camp construit à la hâte près de Tell Tamr. Il s’agit d’une répétition à l’identique de ce qui s’est passé à Afrin, dont plus de 130 000 résidents, pour la plupart des Kurdes, sont toujours déplacés dans des camps, leurs maisons maintenant occupées par des Syriens venus d'autres régions. Selon les chiffres compilés par l’OSDH le 2 décembre, l’invasion turque d’octobre a causé la mort de 150 civils et déplacé plus de 300.000 personnes. La semaine suivante, les chiffres se montaient à 490 morts et 1.070 blessés. Par ailleurs, plus de 18.000 réfugiés ont dû se réinstaller au Kurdistan d’Irak.

Si M. Erdoğan a pu ainsi répéter l’invasion d’Afrin, c’est que celle-ci n’avait provoqué de la part de ses alliés occidentaux que quelques remontrances choquées. Il peut donc maintenant étendre son nettoyage ethnique anti-kurde aux territoires nouvellement conquis, comme il le laissait entendre dans une interview accordée à la TRT le 24 octobre, où il décrit la zone désignée pour sa «zone de sécurité» comme «inappropriée pour les Kurdes»: «Les personnes les plus appropriées pour cette zone sont les Arabes. Ces zones ne sont pas adaptées au mode de vie des Kurdes», et d’expliquer: «Parce que ce sont des régions désertiques»… Le 9 décembre, Foreign Policy a rapporté que la Turquie avait commencé à renvoyer des réfugiés syriens vers le Nord-est de la Syrie. Selon le magazine américain, les rapports des médias locaux et les informations du Rojava Information Center montrent qu’il s’agit majoritairement de familles de combattants arabes et turkmènes soutenus par la Turquie, originaires d'autres régions de Syrie… Le 16, Mazloum Abdi, commandant général des FDS, a demandé au président américain dans Foreign Policy de faire respecter intégralement l'accord américano-turc négocié à Ankara le 17 octobre, et notamment la condition que les deux parties protègent les minorités religieuses et ethniques à l'intérieur de la «zone de sécurité» contrôlée par la Turquie. Abdi a en particulier demandé à Trump et aux Nations-Unies d'envoyer des observateurs internationaux dans cette zone pour garantir la situation des Kurdes. Il a également demandé à la Russie, signataire elle aussi d’un accord avec la Turquie, de jouer son rôle de garant du respect de ce second accord, qui prévoit l’arrêt des opérations. En effet, les envahisseurs ont poursuivi attaques au sol et frappes aériennes sur la population civile, notamment avec un important usage de drones armés, suivies de nombreuses attaques utilisant des bombes artisanales. Le 6, le Haut-commissaire des Nations-Unies aux Droits de l’homme a exprimé son inquiétude à ce propos (->): «[…] Nous sommes préoccupés par deux développements inquiétants et leur impact direct sur les civils. Tout d'abord, nous constatons un pic dans ce qui semble être une utilisation aveugle d'attaques d'engins explosifs improvisés dans les quartiers résidentiels et les marchés locaux. Ces attaques ont principalement été menées dans des zones sous le contrôle des forces turques et des groupes armés affiliés et, dans une moindre mesure, dans des zones sous le contrôle de groupes armés kurdes dans le nord et le nord-est de la Syrie. […] Nous sommes gravement préoccupés par l'utilisation accrue des bombes artisanales dans les zones peuplées. Une telle utilisation peut constituer une attaque aveugle, une violation grave du droit humanitaire international et un crime de guerre».

Pour accomplir ses objectifs de destruction du Rojava, la Turquie demeure depuis 2014 fidèle à sa politique dans la durée de collaboration avec les membres de Daech et de soutien en sous-main à l’organisation terroriste. N’est-il pas remarquable que, quand les forces américaines et kurdes ont traqué et tué Al-Baghdadi dans la nuit du 26 au 27 octobre, ç’a été sans aide turque, alors que le leader djihadiste se trouvait à Idlib, donc dans une enclave protégée par la Turquie? Dès le lendemain, le porte-parole de Daech, Abou al-Hassan Al-Muhajir, a été tué à Ain al-Baydah près de Jerablous, ville sous contrôle turc depuis Bouclier de l'Euphrate. Al-Monitor a également rappelé le 9 décembre qu’en novembre 2015, alors que la Turquie venait d’abattre un Mig russe, la Russie avait diffusé des images satellites prouvant d’après elle que la Turquie achetait du pétrole à Daech. Peu après, le vice-ministre russe de la Défense Anatoly Antonov avait accusé le président turc d'être personnellement impliqué «dans ces affaires criminelles». Erdoğan a publié un démenti furieux, et après la réconciliation turco-russe, toute l’affaire a été commodément enterrée… Pourtant, l’équipe ayant élaboré le rapport du Rojava Information Center sur les exactions turques travaille toujours à la vérification des informations concernant 70 personnes, aux noms fournis par la presse locale, qui pourraient avoir appartenu à Daech et seraient revenues une fois la «zone de sécurité» turque installée (Foreign Policy).

Le 18, Mazloum Abdi a accusé sur Sky News la Turquie d’avoir recruté des combattants de Daech pour participer à l’invasion du Rojava (NRT). Dans un article publié le lendemain par le Washington Examiner, l’ancien officiel du Pentagone Michael Rubin note que les supplétifs syriens de la Turquie, dont certains miliciens avaient auparavant travaillé pour Al-Qaïda et Daech, imposent, d’Afrin à la dernière invasion, un ordre social proche de celui précédemment imposé par cette organisation. Pire, Rubin cite des témoignages de Yézidis selon lesquels non seulement, le régime d’Erdoğan favorise sur son territoire les réfugiés arabes sunnites, refusant aide et assistance aux Yézidis, mais de plus, laisse sans intervenir des captives yézidies aux mains de leurs bourreaux dans les territoires qu’il contrôle en Syrie, et dans certains cas en Turquie même. Rubin écrit: «Le fait que la Turquie du président Recep Tayyip Erdogan soit devenue un État islamiste est une évidence» et lance un appel aux politiques américains, républicains comme démocrates: «Erdogan et les forces sous son contrôle doivent libérer immédiatement toutes les filles et femmes yézidies demeurant en esclavage ou mariées contre leur gré en Turquie ou dans les territoires contrôlés par la Turquie».

La politique menée par la Turquie dans les territoires qu’elle occupe s’inscrit dans une présence de longue durée… Dès le début du mois, les forces d’occupation turques ont installé de nouveaux maires dans les villes qu’elles ont prises dans le Nord-est syrien, Serê Kaniyê et Girê Spî. Le gouverneur de la province turque limitrophe de Şanlıurfa, Abdullah Erin, est venu le 5 superviser la nouvelle administration. Plusieurs sources en Syrie ont indiqué que les Kurdes y étaient exclus des postes de responsabilité, que la langue kurde avait été supprimée des programmes scolaires et que les indications en kurde avaient été retirées des institutions locales… (Rûdaw) Erin a indiqué que la Turquie avait nommé des gouverneurs pour les deux villes, et prévoyait de créer une force de police de 3.500 à 4.000 hommes pour cette zone, qui serait recrutée en deux étapes parmi les Syriens, un premier groupe de 1.800 devant commencer son entraînement dans la semaine. Il s’agit de la même politique déjà menée à Jerablous et à Al-Bab, puis à Afrin, après leur invasion. Ainsi la poste turque est présente à Jerablous depuis 2017, et l'université de Gaziantep a établi des facultés dans la province… C’est une annexion rampante des territoires conquis, où la Turquie applique sa propre loi: depuis le début de l’invasion, 104 Kurdes de Syrie ont été arrêtés et transférés en Turquie par le MIT (services secrets) pour des poursuites judiciaires. Le procureur de Şanlıurfa a indiqué que 99 d’entre eux étaient accusés de «mise en danger de l'unité et l'intégrité de l'État» et d’«appartenance à une organisation terroriste armée» (WKI). Le 14, trois d’entre eux ont été condamnés à la prison à perpétuité pour le premier chef d’accusation, et quatre autres ont reçu douze ans pour le second (Turkey Purge).

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TURQUIE: ÉLUS ET MEMBRES DU HDP TOUJOURS CIBLES PRINCIPALES DE LA RÉPRESSION

Le 2 décembre, on a appris que, suite à un malaise survenu le 26 novembre dans sa cellule, où il avait été retrouvé inconscient, l’ex-dirigeant emprisonné du HDP (Parti démocratique des peuples) Selahattin Demirtaş avait été transféré à l'hôpital pour des examens (AFP). Selon la sœur et avocate du détenu, Aygül Demirtaş, malgré ses «difficultés respiratoires et douleurs à la poitrine», l’administration pénitentiaire avait d'abord refusé son transfert. Demirtaş est détenu depuis novembre 2016 sur la base d’accusations fabriquées de «propagande terroriste». Ensuite ramené dans sa cellule, il a pu le 9 donner une interview au quotidien Evrensel, dans laquelle il a notamment accusé l’institution judiciaire turque d’être au service de la guerre d’annihilation menée par le bloc fasciste AKP-MHP contre les Kurdes et tous les dissidents. Comme pour une autre interview donnée le 13 au journal Bir Gün, l’administration pénitentiaire a refusé de lui communiquer le numéro du journal contenant sa propre interview: cela aurait «alimenté l'opposition à l'État» (Bianet).

Par ailleurs, élus et membres du HDP subissent toujours une répression impitoyable. Fin novembre, la police avait incarcéré près de cent membres du HDP et journalistes kurdes à Ankara, Gaziantep, Urfa, Diyarbakir, Ağrı, Adiyaman et Batman, puis à Muş et à Van. Le 6 décembre à l’aube, les co-maires HDP de plusieurs districts de la province de Van, Muradiye (Yılmaz Şalan et Leyla Balkan), Özalp (Yakup Almaç et Dilan Örenci), et Başkale (Erkan Acar et Şengül Polat) ont été incarcérés suite à des enquêtes lancées contre eux. La police a empêché tout accès ou sortie des bâtiments municipaux. À Diyarbakır, la conseillère municipale HDP de Bağlar, Naşide Buluttekin Can, a également été placée en détention. Démise le 22 octobre avec les cinq autres conseillers HDP, elle avait été remplacée par un administrateur (kayyım) nommé par le gouvernement. La police a également arrêté Osman Karabulut, co-maire d’Ikikopru (Batman). Le 7, trois autres co-maires ont été remplacés par des administrateurs nommés. Dans la province de Kocaeli, 14 des 22 membres du HDP précédemment arrêtés le 26 novembre ont été emprisonnés, tandis que huit autres étaient libérés sous caution. À Antalya, 29 personnes, pour la plupart membres du HDP, ont été arrêtées dans des raids domiciliaires. À Muş, les autorités ont incarcéré deux membres du conseil provincial, Mehmet Demir et Mehmet Tuğrul (WKI). Le 9, les élus incarcérés le 6 ont été inculpés d’«appartenance à» et «propagande pour» une organisation terroriste et arrêtés, sauf Leila Balkan et les co-maires de Başkale, remis en liberté conditionnelle (Bianet).

Le 10 décembre, 27 des accusés dans le procès dit du KCK (Union des Communautés du Kurdistan) dans lequel 96 personnes sont poursuivies depuis 2008, ont été condamnés à Adana à six ans et trois mois de prison chacun pour «appartenance à une organisation terroriste». Parmi eux, la co-présidente du DTK (Congrès pour une Société démocratique) Leyla Güven. Elle avait fin 2018 initié une grève de la faim dans les prisons pour protester contre l’isolement du leader du PKK emprisonné et les conditions de détention des prisonniers politiques kurdes. Les avocats des intéressés ont annoncé qu’ils feraient appel . Le même jour, à l’occasion de la semaine des Droits de l’homme, le HDP a publié un rapport sur les violations subies durant l’année 2019: 1.674 de ses membres ont été incarcérés et 200 arrêtés. Depuis 2015, ce sont 6.000 membres du HDP qui ont été arrêtés. Pour les municipales du 31 mars, 750 membres ont été incarcérés et 107 arrêtés, dont neuf candidats maires, neuf aux conseils municipaux, six co-présidents provinciaux, et une dizaine de co-présidents de district ou de provinces…

Le 11, la police a arrêté de nombreuses personnes dans des descentes à Lice (Diyarbakir) et dans plusieurs districts de Mardin, dont le responsable local du HDP. Le 12, la co-maire de district de Kızıltepe (Mardin), Nilüfer Elik Yılmaz, a été incarcérée, tandis qu’étaient libérés Mehmet Fatih Taş et Fatma Ay, les co-maires de Kulp (Diyarbakir) incarcérés depuis le 17 septembre après l’explosion d’une bombe artisanale qui avait fait sept morts et 13 blessés à Ağaçkorur. Après l’attaque, le journal pro-AKP Yeni Safak avait accusé le HDP. Le 16, Nilüfer Elik Yılmaz a été inculpée pour ses activités au sein du DTK (Congrès pour une société démocratique) sur la base de témoignages anonymes, et remplacée par un administrateur.

Le 13, la Commission électorale suprême (YSK, Yüksek Seçim Kurulu) a révoqué le certificat électoral du maire AKP du district de Ceylanpınar, Abdullah Aksak, en raison d’une condamnation antérieure. Mais contrairement aux élus HDP, tous sans exception remplacés par des administrateurs, le nouveau maire sera élu par les membres du conseil municipal… (Bianet)

Le 17 au matin, les co-maires HDP des districts de Bulanık, Eylem Saruca et Adnan Topçu, et de Varto, Ülkü Karaaslan et Mahmut Yalçın (province de Muş), ont été incarcérés au terme des raids domiciliaires de même qu’un conseiller municipal de Varto, Mahmut Yalçın. La police a perquisitionné les bâtiments municipaux. Le même jour, huit membres du HDP et d'associations locales ont été arrêtés à Adana et Malatya (WKI), et le maire d'Urla, İbrahim Burak Oğuz (CHP), a été arrêté sous l’accusation d’«appartenance à l'organisation terroriste armée FETÖ» (nom donné par l’AKP au réseau güleniste, ). Le 18, le ministère de l'intérieur a nommé des administrateurs pour les municipalités HDP de Bulanık, Varto et Erentepe (Muş), ainsi que pour celle d’Urla (Izmir). À cette date, Bianet a compté 32 maires remplacés par des administrateurs depuis les municipales du 31 mars 2019, dont 31 du HDP. Les villes concernées sont: municipalités métropolitaines de Diyarbakir (Adnan Selçuk Mızraklı), Mardin (Ahmet Türk) et Van (Bedia Özgökçe Ertan), municipalités de Hakkari (Cihan Karaman), Yüksekova (Remziye Yaşar), Nusaybin (Semire Nergiz), Kulp (Mehmet Fatih Taş), Kayapınar (Keziban Yılmaz), Bismil (Gülcan Özer), Kocaköy (Rojda Nazlıer), Erciş (Yıldız Çetin), Karayazı (Melike Göksu), Cizre (Mehmet Zırığ), Saray (Caziye Duman), Kızıltepe (Nilüfer Elik Yılmaz), Yenişehir (Belgin Diken), Hazro (Ahmet Çevik), İdil (Songül Erden), Akpazar (Orhan Çelebi), İpekyolu (Azim Yacan), Savur (Gülistan Öncü), Mazıdağı (Nalan Özaydın), Derik (Mülkiye Esmez), Suruç (Hatice Çevik), Bulanık (Adnan Topçu), Varto (Ülkü Karaaslan Baytaş), Erentepe (Dilaver Kesik), Urla (İbrahim Burak Oğuz, CHP).

Le 20, la co-maire HDP du district de Sur (vieille ville de Diyarbakır), Filiz Buluttekin, et deux conseillers municipaux ont été arrêtés lors de raids de police à leur domicile. Chez Filiz Buluttekin, les policiers ont selon son avocat mis à terre celle-ci, son époux et son enfant de 10 ans et leur ont pointé des armes sur la tête: «La violence et l'illégalité policières sont devenues la routine maintenant» a-t-il commenté (Bianet). Les deux co-maires ont été inculpés le 24 d’«appartenance à une organisation terroriste». Le 23, trois conseillers municipaux de Bağlar (quartier de Diyarbakir), Zeki Kanay, Ramazan Özçelik et Nursel Örnek, ont été démis suite à une enquête pour «terrorisme», sans même en être notifiés. Six autres conseillers de Bağlar avaient déjà été démis. Aux municipales de mars, le HDP avait remporté 30 des 37 sièges au conseil. Le 25, le tribunal a prolongé la détention du co-maire métropolitain de Diyarbakir, Adnan Selçuk Mızraklı. Inculpé d’«appartenance à une organisation terroriste», il risque 7 à 15 ans de prison.

Les informations continuent aussi à s’accumuler sur les abus subis par les détenus dans les prisons turques, au point qu’en fin de mois, le 25, le co-président du HDP Sezai Temelli a déclaré que «la torture en détention» était devenue «systématique», ajoutant que les prisonniers malades se trouvaient dans une situation «insupportable». Plusieurs rapports publiés en début de mois attestent d’une situation inacceptable. Le 2, l’«Initiative pour les droits» (Hak İnisiyatifi) indiquait que le nombre d’enfants de moins de sept ans détenus était passé à 780 en novembre 2019, contre 743 l’année précédente. 543 enfants détenus ont moins de quatre ans et 37 moins de six mois… Autres chiffres effrayants, il y a 35 détenues enceintes, 519 mères condamnées et 224 incarcérées. Le 5, l’Institut statistique public TurkStat a publié ses chiffres, pour 2018 cette fois (->). Ceux-ci s’établissent à 264.842 détenus, en accroissement constant depuis 2013, avec un passage de 188 détenus sur 100.000 habitants cette année-là à 401 sur 100.000 en 2018…

Au-delà des chiffres, certains cas montrent les abus auxquels peuvent être confrontés les détenu(e)s. Le 2, Esin Kavruk a été emmenée de force pour un prélèvement ADN qu’elle avait refusé. La police a pénétré dans une section de la prison et a frappé les détenues qui s’y trouvaient, traînant certaines femmes par les cheveux, confisquant leurs affaires. Deux femmes ont dû être hospitalisées. Le 6, le député CHP d’Istanbul Turan Aydoğan a fait remarquer: «Selon les dernières données partagées par l'Association des droits de l'homme (İHD), il y a 1.333 détenus malades, dont 457 dans un état grave. Les responsables de l'association ont indiqué que bien que l'état d'urgence ait été levé, ses pratiques sont devenues permanentes dans les prisons». Rappelant les normes européennes en matière d’incarcération, il a regretté qu’elles ne soient pas respectées en Turquie. Le 17, alors que la Cour constitutionnelle avait jugé (après quatre ans de délibéré !) que le magazine Yürüyüş pouvait être délivré à un détenu de la prison de Van, celle-ci a refusé d’appliquer la décision. Certaines interdictions vont jusqu’au névrotique: toujours à Van, Mecit Şahinkaya s’est vu refuser un oiseau femelle pour tenir compagnie à son mâle: «Ils ont décidé de n'autoriser que les oiseaux mâles dans la même cage!», a indiqué à Bianet le détenu.

La question de la torture à la Direction de la sécurité d'Ankara a donné lieu à une passe d’armes entre le député HDP de Kocaeli Ömer Faruk Gergerlioğlu, qui l’a dénoncée, et le ministre de l’intérieur AKP Süleyman Soylu, qui a déclaré le 23: «Ces allégations récemment formulées par un député infiltré au Parlement par le FETÖ sont incohérentes, infondées, mensongères et diffamatoires». Gergerlioğlu avait indiqué disposer de témoignages d’avocats et de familles pour 46 personnes torturées durant leur incarcération à Ankara, incluant des anciens fonctionnaires des ministères des Affaires étrangères et de la Justice… Gergerlioğlu a réagi le lendemain en interpelant le ministre sur Twitter: «Vos calomnies ne peuvent pas couvrir la torture», et ajoutant que «quelqu’un qui refuse le rapport d'un barreau aura évidemment recours à la calomnie».

Concernant la situation militaire, le 18, le gouverneur d’Hakkari a déclaré cinq secteurs de la province «zones de sécurité», à l’accès interdit jusqu’au 22, incluant Hakkari, et les districts de Yüksekova, Şemdinli et Çukurca. Parallèlement, plus de quarante villages autour de Bitlis demeuraient sous couvre-feu à durée illimitée en raison d’opérations militaires anti-PKK (WKI). Le 27, le gouverneur d’Hakkari a prolongé pour 15 jours la durée des «zones de sécurité», y incluant Derecik, avant d’interdire le 30 pour 15 jours toute manifestation dans la province. Le 31, le gouverneur de Gaziantep a déclaré «zones de sécurité» pour 15 jours 48 secteurs près de la frontière syrienne (Bianet).

Au Kurdistan d’Irak voisin, l’opération anti-PKK «Griffes», lancée en mai, s’est poursuivie avec des frappes aériennes régulières, comme celle qui a touché le 13 le village de Sidekan dans le district de Soran. Ces attaques ont déjà déplacé des milliers d’habitants.

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TURQUIE: RÉPRESSION DE LA SOCIÉTÉ CIVILE, JOURNALISTES, FEMMES, AVOCATS ET DÉFENSEURS DES DROITS DE L’HOMME PERSÉCUTÉS

En Turquie, au-delà du parti d’opposition HDP, c’est toute la société civile qui est sous surveillance. Les médias sont toujours particulièrement ciblés par les autorités. Le vice-président Fuat Oktay a d’ailleurs déclaré le 2 décembre devant une Commission parlementaire que 685 cartes de presse avaient été supprimées «pour des raisons de sécurité nationale», et leur apparence changée pour «éviter les faux» (Bianet). Le 4, les journalistes de l’Agence Mezopotamya Sadiye Eser et Sadık Topaloğlu ont été arrêtés à Istanbul sous l’accusation d’«appartenance à une organisation terroriste» appuyée par un témoignage anonyme. La Cour a ordonné leur arrestation. Le 5, Hacı Yusuf Topaloğlu , journaliste de l’agence (fermée par décret d’urgence) Dicle (DIHA), incarcéré depuis le 27 novembre, a été inculpé d’«appartenance à une organisation terroriste» et arrêté. Le 11, le journaliste de DIHA Aziz Oruç a été incarcéré à Ağrı, puis a reçu la même inculpation le 18. Le co-responsable HDP du district de Doğubayazıt, Abdullah Ekelek ainsi que Muhammet İkram Müftüoğlu, ont été arrêtés le 13 pour l’avoir assisté. Exilé en Irak, Oruç avait lors d’un voyage vers l’Europe été frappé puis renvoyé en Turquie par la police arménienne des frontières.

Le 18, sept journalistes accusés d’avoir «ciblé un officier public ayant servi dans la lutte contre le terrorisme» pour avoir rapporté et partagé des informations sur le commandant général adjoint de la gendarmerie Musa Çitil ont été acquittés par le tribunal de Diyarbakır. Parmi eux le responsable de l’actualité Ömer Çelik et trois reporters de DIHA, et le directeur de publication du journal Özgür Gündem İnan Kızılkaya. Çitil avait déposé plainte contre eux pour un article rapportant l'opération qu'il avait dirigée à Sur (Diyarbakır) lorsqu'il était commandant régional de la gendarmerie. Lui-même visé par une plainte pour meurtre sur treize villageois à Derik entre 1993 et 1994 (l’acte d’accusation contre lui mentionne qu’il les avait qualifiés de «terroristes» dans ses rapports), Çitil  avait été acquitté en mai 2014. Les familles des villageois assassinés avaient fait appel, mais la Cour suprême avait confirmé l’acquittement…

Le 23, l’Union des journalistes turcs (TGS) a dénoncé dans une déclaration lue devant les locaux du journal Cumhuriyet les récentes incitations d’un présentateur d’Akit-TV: «Allons-y. Rassemblons-nous et lançons une grenade à main devant Cumhuriyet». La chaîne s’était déjà distinguée en 2018 quand après l’attaque d’Afrin le présentateur Ahmet Keser avait critiqué les médias rapportant des morts civiles en déclarant que si l’armée turque devait tuer des civils, autant commencer par les «traîtres» en Turquie même : «Il y a plein de traîtres. Il y en a aussi à l'Assemblée nationale», en une allusion transparente aux députés HDP. Keser avait dû ensuite démissionner. Le 27, sept membres de la rédaction du quotidien Sözcü, contre lequel un raid policier avait été lancé en mai 2016, ont été condamnés à des peines de prison de deux à trois ans et demi pour plusieurs charges dont «assistance au [réseau güléniste] FETÖ». Le 30, plusieurs habitants d’Elaziğ ont été condamnés à des amendes de 153 livres turques (environ 20 €) pour «troubles à la paix»: ils avaient distribué par solidarité l’almanach du quotidien de gauche Evrensel

Concernant la censure, l’Association turque pour la liberté d’expression (İFÖD) notait le 9 décembre que le nombre de sites web bloqués dans le pays en octobre était de 288.310, contre «seulement» 80.553 début 2015, auxquels il fallait ajouter plus de 150.000 URLs (pages) bloquées. Par ailleurs, le 26, la Cour constitutionnelle, examinant la demande de la fondation Wikimedia, a jugé que le blocage en Turquie de l'accès à Wikipedia constituait une atteinte à la liberté d'expression. Un tribunal d’Ankara avait décidé du blocage le 29 avril 2017 en considérant que certains contenus «tentaient de faire croire que la Turquie opérait […] en coopération avec diverses organisations terroristes». Le 30, deux juristes ont demandé la mise en application immédiate du verdict sans attendre sa diffusion écrite.

Avocats et défenseurs des droits de l’homme ont aussi été réprimés. Ainsi le 2 décembre, la Cour pénale de Batman a lancé une procédure contre le bâtonnier et le Bureau exécutif du Barreau de Diyarbakir pour leur déclaration du 24 avril dans laquelle ils déclaraient «partager le chagrin du peuple arménien». Ils sont accusés d’«incitation du public à l’inimitié et la haine». La déclaration disait notamment: «Nous nous rappelons avec respect tous les innocents civils arméniens d'Anatolie qui ont perdu la vie dans le génocide».

Le 3, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a condamné la Turquie pour avoir saisi les données électroniques protégées par le secret professionnel de trois avocats et avoir refusé de les restituer ou de les détruire. Cette saisie visait à connaître les moyens de communications entre Abdullah Öcalan, leader emprisonné du PKK, et son ex-organisation. Saisie par les avocats en 2012, la CEDH aura mis sept ans pour statuer. La Turquie devra verser 3.500 € à chacun d’eux (AFP). Ce long délai et ces faibles indemnités posent inévitablement la question des limites de l’action de la CEDH…

Le même jour, l’Initiative pour la liberté d’expression (Düşünce Suçu(!?)na Karşı Girişim) a mis en ligne son rapport pour octobre 2019 sur les violations de la liberté d'expression, de la liberté de réunion et de manifestations pacifiques (->). Ce document a été préparé en coopération avec l'Association des droits de l'homme (İHD) et la Fondation des droits de l'homme de Turquie (TİHV). Le 18, la présidente de la section de Malatya de l’İHD, Gönül Öztürkoğlu, a été condamnée à six ans et trois mois de prison pour «propagande pour une organisation terroriste» pour ses activités, notamment sa préparation d’une réunion dans le cadre de la Journée mondiale des femmes…  

Les manifestations pacifiques de femmes contre les violences et les féminicides ont d’ailleurs continué d’être la cible d’attaques de la police, une situation dénoncée le 9 par les barreaux de Turquie dans une déclaration commune qui a déclaré particulièrement «inacceptable» l'intervention violente de la police la veille contre la manifestation à Kadıköy, durant laquelle sept femmes ont été menottées dans le dos et arrêtées. Le 12, intervenant contre une nouvelle manifestation où les femmes ont dansé sur l’air chilien Las Tesis à Ankara, la police a arrêté une dizaine de participantes. Le 14, les femmes parlementaires du CHP ont protesté dans l’enceinte du Parlement contre les récentes violences policières en utilisant le même air. L’une d’elles, Sera Kadıgil, a déclaré en séance à propos de la danse chilienne: «Grâce à vous, la Turquie est devenue le seul pays où il faut avoir l'immunité [parlementaire] pour tenir cette protestation». Le 17, une enquête a été ouverte à Izmir contre 25 femmes ayant utilisé la danse Las Tesis pour protester, et le 29, une manifestation de femmes a été empêchée par la police à Antalya.

Comble de l’ironie, la réunion organisée le 19 dans les bureaux du gouverneur d’Ankara pour discuter du «Plan 2020-2021 de lutte contre les violences faites aux femmes» ne comprenait aucune participante, tous les fonctionnaires présents étant des hommes.

À propos du procès des manifestations du parc Gezi et de l’incarcération d’Osman Kavala, la CEDH a annoncé son verdict le 10. Pour l’institution européenne, la détention de l’homme d’affaires, défenseur des droits de l’homme et philanthrope a été décidée et prolongée de mauvaise foi, à des fins illégales et en violation de la Convention européenne des droits de l'homme, et il devrait être libéré immédiatement. Le lendemain, Human Right Watch et Amnesty International ont appelé dans une déclaration commune la Turquie à respecter ce jugement, un appel aussi lancé le 13 par la Présidente de la sous-commission des droits de l'homme du Parlement européen Maria Arena. Seul accusé incarcéré sur les seize du procès de Gezi, Kavala se trouve en détention depuis le 1er novembre 2017. Ses avocats en avaient appelé à la CEDH le 8 juin 2018. Le 24, cependant, lors de la quatrième audience de l’affaire, la Cour l’a maintenu en détention avant d’ajourner le procès au 28 janvier 2020. La Cour a déclaré le lendemain ne pas avoir été notifiée de la décision de la CEDH, mais le ministère de la Justice l’a démentie. Le 31, la défense a fait appel du maintien en détention et a demandé la récusation du juge en raison de la non-application du verdict de la CEDH.

Par ailleurs, trois journalistes ayant rapporté sur l’enquête lancée après la mort de Berkin Elvan, 15 ans, tué par une bombe lacrymogène durant les protestations du parc Gezi ont été inculpés pour avoir «ciblé un agent public ayant servi dans la lutte contre le terrorisme». Ils sont accusés d’avoir révélé l'identité d'un des officiers de police suspects dans l'enquête, faisant ainsi de cet officier une cible pour les organisations gauchistes. Dans un autre cas, celui de l’étudiant Duran Eren Şahin, cette fois blessé par une grenade lacrymogène, la Cour constitutionnelle a jugé que ses droits avaient été violés et a décidé d’une compensation financière de 20 .000 livres (3.100 €). Le bureau du procureur a cependant classé sans suite la plainte criminelle contre les policiers déposée par l’avocat de Şahin: les vidéos de surveillance ayant été détruites, il n’était plus possible de déterminer l’identité du tireur, et la décision du bureau a fait valoir que l'agent faisait son devoir.

Il faudrait ajouter à la liste déjà rapportée d’exactions judiciaires plusieurs dénis de justice qui montrent à quel point l’indépendance de celle-ci est devenue inexistante sous le régime AKP-MHP. La place manquant, nous ne feront que les résumer. Le 13, à l'audience finale de l'affaire du JİTEM d'Ankara (Organisation du renseignement de la gendarmerie, créée illégalement et impliquée dans des dizaines d’exécutions extra-judiciaires au Kurdistan) tous les accusés, dont le ministre de l'Intérieur de l'époque, Mehmet Ağar, ont été acquittés. L’accusation portait sur les disparitions forcées et exécutions extrajudiciaires de 19 personnes dans les années 1990. Le 17, l’audience pour le cas de Medeni Yıldırım, 18 ans, tué lors d’une protestation à Lice (Diyarbakir) en 2013 par des tirs des militaires qui ont aussi fait huit blessés dans la foule. N’ayant reçu aucun des rapports demandés à la télévision ou à la médecine légale, la Cour a ajourné l’audience au bout de 5 mn. Nombreux sont les fonctionnaires démis à poursuivre la lutte pour leur réintégration. Des centaines d’«Universitaires pour la paix», pourtant théoriquement blanchis par la Cour constitutionnelle et acquittés, n’ont toujours pas pu reprendre leur poste ni obtenir le paiement des salaires retenus. Certains se sont suicidés. La Commission d’enquête sur l’état d’urgence chargée depuis le 27 mai 2017 d’examiner les demandes de réintégration a traité 98.300 demandes sur les 126.000 reçues mais n’en a accepté que 9.600. 28.000 demandes sont toujours en cours d’examen. Les délais de traitement se comptent en années. Derrière ces chiffres se cachent des milliers de drames personnels. La durée d’action de la Commission a été étendue d’un an le 26 décembre par décret présidentiel.

Le 10, un étudiant en histoire de l’art d’Eskişehir, Furkan Sevim, a été condamné à neuf ans et neuf mois d’emprisonnement pour «appartenance à et propagande pour le DHKP-C» à partir des «preuves» suivantes trouvées chez lui: une casquette portant une étoile et une biographie d’İbrahim Kaypakkaya, le fondateur du Parti communiste (M-L) de Turquie (TKP/ML)… La défense a fait appel. Le 31, un employé d’une agence de développement de Gaziantep, Hasan Emre Şentürk, licencié après le coup d’État, s’est vu refuser sa réintégration, pourtant prononcée légalement. Interrogé sur son cas par son père, le gouverneur Davut Gül lui a répondu: «Devons-nous réintégrer tous ceux qui ont gagné un procès?». Şentürk a remarqué: «Je n'ai pas d'ami au tribunal et je suis alévi»…

En une rare nouvelle plus positive, un tribunal de Mardin a acquitté le 27 Mürvet Aslan de «propagande pour une organisation terroriste». Inculpée pour avoir cliqué ‘J’aime’ sur des messages de réseaux sociaux, l’accusée n’avait rien écrit elle-même. La Cour a jugé que ces ‘J’aime’ «ne peuvent à eux seuls être considérés comme un crime». Ce jugement pourrait faire jurisprudence pour d’autres affaires, mais étant donné l’état de la justice en Turquie, on ne peut guère en être sûr…

Au plan des relations internationales, la Turquie essuie toujours revers sur revers, notamment aux États-Unis. Le 10, la Chambre des représentants américaine a voté une loi de défense incluant des sanctions pour l’achat par le pays du système antiaérien russe S-400, notamment l’interdiction de transfert d’avions F-35 à la Turquie. Le 12, le Sénat américain a approuvé à l’unanimité la résolution reconnaissant le génocide arménien de 1915, bloquée auparavant à trois reprises par les Républicains à la demande de la Présidence. Les États-Unis rejoignent ainsi les 29 pays reconnaissant déjà ce génocide: Allemagne, Argentine, Arménie, Autriche, Bolivie, Brésil, Bulgarie, Canada, Chili, Chypre, France, Grèce, Italie, Liban, Libye, Lituanie, Luxembourg, Paraguay, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Russie, Slovaquie, Suède, Suisse, Syrie, Tchéquie, Vatican, Vénézuela. Parallèlement, l'influent président de la Commission des affaires étrangères de la Chambre, Eliot Engel, a condamné les actions d'Ankara dans le Nord-est de la Syrie dans une déclaration commençant par ces mots: «Le président turc Erdogan a mené une campagne sanglante de nettoyage ethnique contre les Kurdes syriens dans le nord-est de la Syrie […]». Le lendemain, l’ambassadeur américain à Ankara a été convoqué par le ministère turc des Affaires étrangères et le président turc a menacé de fermer Incirlik (base aérienne de l’OTAN) et Kürecik (radar anti-missiles près de Malatya). Le 18, le Sénat américain a approuvé la loi de défense déjà votée par les Représentants. Autre défi à la Turquie, la loi sur les aides à l’étranger prévoit 1,5 millions de dollars de formation militaire pour Chypre… (Al-Monitor)

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IRAK: FRAGILISÉ PAR UN CONTEXTE POLITIQUE DE PLUS EN PLUS TENDU, LE KURDISTAN TENTE DE SE PROTÉGER

Les protestations contre la corruption et l’absence de services et d’emplois entamées début octobre n’ont fait que s’accroître dans la partie arabe de l’Irak, de même que la violence contre les manifestants. Après plus de 400 morts, la démission finalement arrachée au Premier ministre Adel Abdul Mahdi le 29 novembre et acceptée par le parlement le 1er décembre, n’a pas suffi à calmer la rue.

Le président Barham Salih a immédiatement commencé les consultations pour identifier un possible successeur. La constitution prévoit que le plus grand bloc au Parlement doit désigner un candidat dans les quinze jours, mais vu l’instabilité des alliances qui y sont représentées, le parlement est incapable de s’entendre même sur quel bloc doit être considéré comme le plus grand… L’Iran suit les événements de très près; selon Reuters, le général iranien Qassem Soleimani est arrivé à Bagdad pour tenter d’influencer le choix, mais aucun candidat ne s’est pour autant dégagé. Concernant les futures élections, le parlement a approuvé le 5 la loi précisant la composition de la Haute Commission électorale indépendante, qui devra comprendre sept juges.

Parallèlement, les attaques contre les protestataires se sont poursuivies. Certains ont disparu depuis les premiers rassemblements place Tahrir à Bagdad le 7 octobre, et leurs familles refusent souvent d’en parler pour ne pas leur faire courir de risques. Le 6, des tireurs non identifiés ont commis un véritable massacre en ouvrant le feu sur la foule place Tahrir: 25 morts et au moins 130 blessés. Des milices pro-iraniennes sont soupçonnées, sans qu’une véritable enquête soit semble-t-il menée. Le 8 à Kerbela, des activistes ont été assassinés par balles, tandis que d’autres échappaient à des tentatives utilisant des armes munies de silencieux et des bombes artisanales. Le 10, un activiste disparu à Bagdad a été retrouvé tué de plusieurs balles dans la tête. Le 9, un rapport du bureau de la Commission irakienne des droits de l'homme à Dhi-Qar comptait, sur 94 manifestants morts dans la province, 88 tués par balles. Au 11 décembre, le ministère de la Santé dénombrait 511 morts…

Le 13, alors que le parlement, incapable de s’accorder sur un successeur à Abdul-Mahdi, était contraint de prolonger le délai de désignation jusqu’au 22, le leader religieux chiite le plus important du pays, l’Ayatollah Ali al-Sistani, a appelé le gouvernement à réprimer les groupes armés illégaux et veiller à ce que toutes les armes et personnes armées reviennent sous le contrôle exclusif de l’État. Amnesty International a demandé également la fin d’une «campagne meurtrière» contre les protestataires, tandis qu’un rapport de Human Rights Watch révélait que des forces gouvernementales avaient probablement assisté les auteurs du massacre du 6. Le 15, alors qu’une bombe placée sous leur véhicule blessait deux activistes à Diwaniyya, et qu’un commerçant connu pour son soutien aux protestataires était tué par balles dans l’est de Bagdad, la Haute commission irakienne des droits de l’homme a averti d’une escalade dangereuse dans les assassinats et les enlèvements visant les manifestants. Le 17, un autre propriétaire de boutique a été assassiné pour la même raison, cette fois dans l’ouest de la capitale. Le 18, nouveau désaccord au parlement, cette fois sur la loi électorale. Le Conseil judiciaire a annoncé que 2.700 manifestants incarcérés avaient été libérés, 107 demeurant détenus.

Le 17, les manifestants de Bassorah ont bloqué l’accès au champ pétrolier de Rumaila, tandis que ceux de Wasit bloquaient l'entrée de la centrale électrique de Zubaidiyah, l'une des plus grandes d'Irak. Le 20, deux activistes ont été tués et deux autres blessés près de Nassiriya dans trois attaques différentes. À Bagdad, un satiriste politique a échappé à des tirs depuis une voiture. Le Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme a condamné assassinats et disparitions forcées et l’incapacité apparente du gouvernement à amener leurs auteurs devant la justice. Le même jour, l’Ayatollah Sistani a repris la parole pour appeler à des élections anticipées comme «le moyen le plus rapide et le plus sûr de sortir de la crise».

Le 23, le Conseil judiciaire suprême a annoncé son choix pour les sept juges devant constituer la Haute Commission électorale indépendante. Elle comprend notamment un membre de la coalition sadriste, un autre de celle de l’ancien Premier ministre Nouri al-Maliki, un du mouvement chiite Badr dirigé par Hadi al-Amiri, et deux juges kurdes, l’un du PDK et l’autre de l’UPK. Le Conseil a aussi demandé au Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) de sélectionner ses représentants devant servir comme commissaires électoraux (NRT). Le 24, le parlement a approuvé une loi électorale instituant des districts plus petits et permettant à des candidats de se présenter individuellement plutôt que sur des listes de partis, des changements qui n’ont pas convaincu les manifestants. Le 26, la désignation d’un nouveau premier ministre était toujours dans l’impasse, malgré l’expiration du délai originellement au 23. Le président Barham Salih a indiqué qu’il préférerait démissionner plutôt que de soutenir des candidats rejetés par le peuple.

Durant cette période protestations et attaques contre les protestataires se sont poursuivies: le 22, les routes du champ pétrolier de Roumaila, près de Bassora, ont été bloquées, et les manifestants ont tenté le 24 d’entrer sur celui de Qourna-Ouest, tandis que d’autres bloquaient le port de Maqal sur le Chott-el-Arab. Le 25 à Kerbela, un groupe a attaqué des manifestants à l’arme blanche et des tirs, blessant au moins deux personnes. Le 29, les protestataires ont provoqué la suspension pour une journée de l’exploitation du champ pétrolier de Nassiriya (80.000 barils/jour); le lendemain, l'activiste Ali al-Khafaji était assassiné à Nassiriya par des hommes munis d’armes à silencieux. Le 28, la Haute Commission irakienne aux droits de l'homme a chiffré à au moins 68 le nombre de personnes disparues depuis le début des manifestations, ajoutant que durant la même période, au moins 33 tentatives d'assassinat avaient fait 14 morts et 19 blessés.

En plus des violences provoquées par les manifestations et leur répression, il y a celles opposant sur le sol irakien l’Iran et les États-Unis. Le 4, le New York Times a rapporté que l’Iran utilisait des milices irakiennes pour amener des missiles à courte portée dans le pays alors que celui-ci était préoccupé de sa situation politique interne. Le 16, des responsables commerciaux iraniens ont indiqué que le montant mensuel des importations vers l’Irak avait chuté de plus de 200 millions de dollars, une conséquence du boycott des produits iraniens. Le 27, au moins trente roquettes (une dizaine selon des sources de la Coalition) ont frappé la base militaire «K-1» à Kirkouk, tuant un prestataire américain et, selon des sources sécuritaires locales, deux policiers. Les États-Unis, accusant la milice pro-iranienne Kataib Hezbollah, ont mené près d’Al-Qaim une frappe de représailles qui a tué au moins vingt-cinq de ses membres. Le 30, le Premier ministre Abdul-Mahdi, le Président Salih, Moqtada al-Sadr et l'Ayatollah Sistani ont condamné l'action unilatérale des États-Unis, et le Conseil national de sécurité irakien, dénonçant une violation de la souveraineté du pays, a menacé de reconsidérer ses relations avec eux. Le 31, des partisans du Kataib Hezbollah, accompagnés de plusieurs commandants de milices, dont Hadi al-Amiri, Qais al-Khazali et Falih al-Fayadh, ont attaqué l’ambassade américaine à Bagdad, y causant des dégâts superficiels. Le Président, le Premier ministre et le Président du parlement irakiens ont condamné l'attaque et le non-respect des règles de protection des missions diplomatiques.

Dans ce contexte de plus en plus tendu, le GRK a tenté de protéger les premiers résultats des négociations en cours avec Bagdad. Le 1er décembre, alors que le parlement de Bagdad acceptait la démission du Premier ministre irakien, une délégation du GRK se trouvait à Bagdad pour finaliser l’accord sur le budget fédéral 2020. Celui-ci prévoit le paiement par Bagdad des fonctionnaires du GRK, en échange de livraisons de pétrole. Erbil n’avait pas pu respecter un accord similaire pour 2019, et certains députés irakiens ont reproché à Abdul-Mahdi d’avoir été trop complaisant à son égard. Cependant à Erbil, le ministre de la Planification, Dara Rashid, a déclaré sur Rûdaw qu’il n’était pas question de remettre en cause l’accord après la démission d’Abdul-Mahdi… Le 7, le bureau du Premier ministre du GRK a annoncé des progrès dans d’autres domaines, comme un accord avec le ministère de l’Intérieur irakien permettant à la Région du Kurdistan d’émettre ses propres visas, apportant ainsi l’approbation officielle à la pratique déjà en cours. Le 12, le ministère irakien du Pétrole a confirmé la conclusion avec Erbil d’un accord selon lequel le GRK en 2020 livrera quotidiennement 250.000 barils à Bagdad, utilisant le surplus de 200.000 barils pour se désendetter progressivement vis-à-vis des compagnies internationales exploitant ses champs pétroliers, auxquelles il pourrait devoir jusqu’à 18 milliards de dollars (ISHM).

Le 14, le GRK a envoyé à Bagdad une proposition de reprise du processus de mise en œuvre de l’article 140 de la constitution. Cet article, qui vise à résoudre par le dialogue la question des «territoires disputés», à population mixte, prévoyait l’annulation des mesures d’arabisation mises en œuvre par le régime de Saddam Hussein et la tenue d’un référendum dans lequel les résidents de ces zones pourraient choisir entre maintien au sein de l’Irak fédéral et rattachement à la Région du Kurdistan. Mais le référendum, qui devait se tenir avant 2007, n’a jamais eu lieu. Des discussions avaient débuté entre Bagdad et les deux principaux partis kurdes, PDK et UPK, après la nomination d’Abdul-Mahdi comme premier ministre, mais elles ont été interrompues par les protestations. Selon le ministre GRK des Affaires fédérales, Khalid Shwani, la proposition comporte deux étapes: d’abord la normalisation des «conditions militaires, sécuritaires, administratives et démographiques actuelles de Kirkuk et des autres territoires contestés», puis la relance de la mise en œuvre de l'article 140. Les Kurdes recherchent en fait le retour à une forme d’administration conjointe des territoires disputés. Le même jour, le président du Front Turkmène, Arshad Salihi, a déclaré depuis Kirkouk son opposition à l’implication de Bagdad dans une discussion sur une question «concernant [seulement] les composantes de Kirkouk».

Pourtant, considérant l’accroissement constant du danger posé par Daech, qui exploite toujours le vide sécuritaire dans les territoires disputés, une administration plus coordonnée devra bien y être mise en place. Plusieurs attentats le 30 novembre, dont deux bombes dans un marché très fréquenté, ont fait seize blessés à Kirkouk. Le village de Kolajo, au Sud-est de Kifri, a été attaqué au mortier et les Asayish (Sécurité kurde) venus en réponse ont été pris en embuscade et trois d’entre eux tués. Le 3, la police de Hawija a capturé le chef militaire de la région de Salahaddine et ancien adjoint d’Al-Baghdadi, Hamid Shaker – aussi connu comme Abou Khaldoun. Le 4, un couple kurde a été tué par balles au village d’Haftaghar (Daqouq).

La province de Diyala demeure un épicentre de la présence des djihadistes. Daech y a mené en début de mois une série d’attaques incluant des bombardements, des assauts contre les positions des forces de sécurité et des tirs de snipers, qui ont fait au moins 21 morts et 44 blessés, dont des peshmerga, des membres des Hashd al-Shaabi, des militaires et policiers irakiens et des civils. Le 5, le ministre des Peshmerga a demandé un soutien accru à la coalition anti-Daech. Les attaques se sont poursuivies la semaine suivante: un agriculteur tué par des djihadistes et une explosion près d’un sanctuaire religieux le 7, deux autres bombes artisanales le 10 et un civil blessé, et une autre le 12 qui a fait un mort et quatre blessés civils. Le 15, deux attaques sur les forces de sécurité ont fait cinq morts et quatre blessés. Le 17, une attaque et une bombe ont fait un total de deux morts et deux blessés. En réponse, les forces de sécurité kurdes ont mené plusieurs raids près de Khanaqin et capturé dix djihadistes. Le 19, des affrontements tribaux ont tué quatre personnes, dont deux soldats, et en ont blessé quatre autres.

Les provinces de Kirkouk et Mossoul ont également été touchées. Le 6, une bombe artisanale a tué un policier et en a blessé deux autres à Kirkouk. Dans le village de Hatin, à l'ouest de Kirkouk, les djihadistes ont tué deux policiers fédéraux irakiens. Le 24, un policier a été tué dans une attaque sur le champ pétrolier de Khabbaz, à l’ouest de Kirkouk, et deux autres blessés. Le soir du 26, un civil a été tué et deux autres blessés (une autre source a compté quatre civils tués) par des tirs contre un véhicule civil sur l'autoroute Kirkuk-Tikrit (Rûdaw). Une bombe a également tué un civil et en a blessé un autre le 6 à Mossoul. Le 15, deux civils ont été tués par une bombe artisanale à l’ouest de Mossoul; le 24, deux bombes ont fait deux morts et cinq blessés parmi les forces de sécurité.

Le 27, Rûdaw a annoncé pour la fin du mois la visite au Kurdistan d’une délégation militaire irakienne de haut niveau, chargée de discuter la sécurité des territoires disputés, ceux sous contrôle irakien comme kurde. Le 29, les forces irakiennes ont lancé une importante opération couvrant les régions de Kirkouk, Diyala, Ninewa (Mossoul), Salahaddine et la zone désertique à la frontière syrienne. Elle a permis de détruire des dizaines de tunnels et de caches d’armes et de combattants, dont neuf ont été tués. Le 30, un officier irakien a été blessé à Kirkouk par une bombe artisanale. Le 31, onze djihadistes ont été tués à Ninewa par des frappes aériennes et une opération au sol. Ces succès ne signifient pas pour autant la fin des attaques djihadistes: le 8 décembre, les forces irakiennes avaient déjà conclu une opération anti-Daech intitulée «Volonté de victoire» qui avait couvert les provinces de Salahaddine, Diyala et Kirkouk sur plus de 3.000 km²…

Concernant la politique intérieure au Kurdistan, le GRK a soumis au parlement du Kurdistan irakien un projet de «loi de réforme» qui a été étiqueté «Urgent» et examiné en première lecture le 16. Le texte, soutenu par la plupart des partis politiques, vise à améliorer la transparence budgétaire: réorganisation des pensions de retraite, diminution des salaires des hauts fonctionnaires, élimination des doubles salaires et mise en ordre du budget des deux principales divisions de peshmerga. La commission juridique du Parlement doit examiner le projet après sa première lecture et le préparera pour une deuxième lecture avant qu’il ne soit soumis au vote.

La question de l’arabisation continue à provoquer des tensions dans les territoires disputés. La dernière en date est liée à la décision inattendue d’un chef tribal et propriétaire terrien de Doubiz, à l’ouest de la province de Kirkouk, de louer pour les vingt prochaines années les 180 donums (environ 45 ha) de terres agricoles qu’il détient dans trois villages à des bédouins arabes. Jamil Talabani a ainsi décidé de ne pas renouveler le bail de ses métayers kurdes, qui louaient ses terres depuis des années et ont refusé de payer le loyer en importante augmentation qu’il leur demandait, cinq millions de dinars (environ 4.000 €) par donum et par an. Les métayers, pris au dépourvu, espèrent un soutien des partis politiques kurdes et envisagent même d’acheter les terres concernées. Après le limogeage du gouverneur kurde de Kirkouk par Bagdad en octobre 2017 et l'installation d'un gouverneur intérimaire arabe, Rakan al-Jabouri, les Kurdes de la région de Doubiz affirment que celui-ci a redémarré le processus d’arabisation dans la province. Depuis deux mois, environ 1.250 donums de terres ont été donnés aux Arabes venus d'autres régions d'Irak. Dans la ville voisine de Sargaran, près de 480.000 donums font l'objet de litiges (Gulan Media).

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HASANKEYF, JOYAU DU PATRIMOINE KURDE BIENTOT ENGLOUTI PAR UN BARRAGE

Le 15 décembre, le dernier bâtiment historique d’Hasankeyf à devoir être déplacé, la mosquée Er-Rızk, a débuté son voyage vers le «Parc Culturel du Nouvel Hasankeyf» où se trouvent déjà six autres bâtiments. Le bâtiment de 1.700 tonnes a été chargé dans un système de transport à 256 roues pour être déplacé. Ce qui ne sera pas transféré sera progressivement submergé sous les eaux du Tigre au fur et à mesure que la retenue du barrage d’Ilisu, en amont, sera remplie. Le remplissage a commencé entre le 20 et le 22 juillet dernier – juste au moment où un incendie s’est déclaré dans la citadelle d’Hasankeyf. Comme si les autorités, qui n’ont pas annoncé officiellement le début du processus, avaient profité de l’incendie pour en détourner l’attention…

La construction du barrage, un élément du gigantesque projet GAP, lancé en 1982, s’est poursuivie malgré toutes les tentatives pour s’y opposer. Les autorités n’ont pas hésité à endommager une partie des richesses de la vallée, en une tentative pour enlever des arguments aux opposants. Deux monuments, dont le pont sur le Tigre, ont été recouverts de pierres sous prétexte de «restauration». Plus de 200 grottes datant du néolithique, et une grande partie de la vallée près de la citadelle ont été remplies de déchets d'excavation.

Ce mépris pour le patrimoine n’appartenant pas à la culture dominante, celle que l’on peut rattacher à l’histoire turque au sens ethniciste le plus étroit, est malheureusement historiquement caractéristique de l’État turc. On peut se rappeler comment celui-ci a détruit dans le passé tout ce qui pouvait rappeler l’histoire kurde, par exemple le Birca Belek, le «Palais bariolé» construit à Cizre par la dynastie kurde des Bedirxan. L’AKP au pouvoir a certes opéré un changement d’orientation en incluant les vestiges ottomans dans ce qui mérite d’être conservé, mais son orientation islamiste le conduit à rejeter le patrimoine des minorités religieuses, comme on le verra plus bas.

Les autorités semblent aussi n’avoir pris aucune mesure pour empêcher le pillage récent des pierres des murailles médiévales et de la citadelle de Diyarbakir, pourtant inscrites au patrimoine mondial par l’UNESCO. C’est ce que montre l’ensemble des questions parlementaires posées en séance le 20 de ce mois au ministre de la Culture Nuri Ersoy par le député HDP Musa Farisoğlulları: «Êtes-vous au courant des pillages dans la zone de la citadelle de Diyarbakır et de Sur? Allez-vous agir pour que des mesures soient prises contre les responsables? Y aura-t-il un programme de restauration des bâtiments endommagés? Est-il prévu d’évaluer l'étendue des destructions dues aux pillages? Allez-vous prendre les précautions et mesures nécessaires pour éviter d’autres événements similaires?». Selon des témoignages d’habitants obtenus par l'agence Mezopotamya, les pierres décorées de figures d'animaux sont particulièrement prisées des voleurs et on les retrouve dans les nouveaux restaurants et cafés du district de Sur (Bianet). Après la destruction d’une grande partie de cet ancien quartier par les forces de sécurité turques entre l’automne 2015 et la fin de l’hiver 2016, la négligence actuelle ne peut avoir qu’une signification: ceci n’est pas un patrimoine digne de conservation.

Le patrimoine immatériel n’est pas mieux considéré, comme le montre une nouvelle question parlementaire posée le 26 par le même député, cette fois sur le «cemevi» de Diyarbakır – le lieu de culte des Alévis, qui doit son nom au fait que ceux-ci y tiennent leur cérémonie appelée djem (écrit dans les alphabets turc et kurde cem, le «c» se prononçant «dj»). Dans sa question, Farisoğulları a demandé comment il se faisait que les cemevis aient été exclus des lieux de culte dont les dépenses annuelles d'électricité sont couverts par les fonds de la Direction des affaires religieuses. Dans un jugement de 2016, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) avait pourtant exprimé un avis en faveur de leur «reconnaissance comme lieux de culte». Le compte-rendu de Bianet ne permet pas de conclure si l’électricité a été coupée au cemevi concerné, mais il est clair que là encore, ceci n’est pas un patrimoine digne de conservation.

Récemment, une nouvelle vague de répression a frappé les musiciens du Dersim. Après le musicien Şenol Akdağ, incarcéré puis arrêté fin novembre après un concert organisé à l'étranger pour «avoir donné un concert sous le drapeau et la bannière d'une organisation illégale», c’est Yılmaz Çelik, incarcéré dans un raid policier à son domicile après avoir donné un concert le 8 décembre à Dersim, qui a été inculpé d’«appartenance à» et de «propagande pour» une organisation terroriste. Comme l’ont déclaré Ferhat Tunç et Mikail Aslan après cette dernière arrestation dans un entretien avec Bianet: «Ils veulent empêcher la langue maternelle et les valeurs culturelles de toucher les gens par le biais de l'art». L’État poursuit ainsi la répression des années 90, qui avait forcé des dizaines de musiciens dersimis, majoritairement kurdes ou alévis à s’exiler en Europe. Non seulement, ce patrimoine n’est pas considéré comme digne de conservation, mais il est pourchassé car considéré comme une menace pour l’État: «La raison pour laquelle nous avons été envoyés en exil dans les années 90 était l'art que nous faisions, et la raison pour laquelle nous sommes exposés à l'oppression aujourd'hui est l'art que nous faisons», a déclaré à Bianet l’un de ces musiciens.

Les Alévis de Turquie ont déjà été pris pour cible dans le passé, notamment dans le quartier Gazi d’İstanbul, où en 1995, 22 personnes étaient mortes et 155 avaient été blessées dans une série d'attaques armées. Ceci explique l’inquiétude des résidents du quartier Piri Reis de Yenişehir (Mersin), majoritairement alévi, quand en début de mois ils ont trouvé un matin une vingtaine de leurs maisons marquées de différentes dates. Cela s’est produit une semaine après un autre incident à Karşıyaka (Izmir) dans lequel des maisons appartenant à des Alévis et à des Kurdes avaient été marquées de croix rouges. Ils ont immédiatement informé la police.

Les autres minorités s’inquiètent également de la mainmise de l’État sur leur représentation communautaire. Le 4 décembre, le groupe arménien Nor Zartonk a publié un communiqué à propos de l’élection de leur nouveau patriarche, dont le processus a été engagé en mars après le décès du patriarche Mesrop Mutayfan. Après que le ministère de l’intérieur a publié une ordonnance empêchant la participation de candidats de l'étranger à l’élection, le groupe a déclaré que cette décision violait la Constitution turque autant que les conventions internationales, citant une décision de la Cour constitutionnelle datée du 22 mai 2019. Se dirige-t-on vers la nomination autoritaire d’un «administrateur» comme patriarche arménien, de manière similaire à ce qui est largement pratiqué pour les élus HDP?

Sans doute certains pourraient estimer que ces blocages mis à l’accès à de nombreux éléments du patrimoine collectif, certes dommageables, constituent un problème exagérément théorique sans impact quotidien ou ne concernent que les acteurs du champ de la culture. Le forum de discussion organisé ce mois-ci durant deux jours à Diyarbakir par la «Fondation Tahir Elçi pour les Droits de l’homme» sur «La Question Kurde» leur apporte un démenti: l’un des participants a rappelé combien une personne empêchée de s'exprimer dans sa langue maternelle reste défavorisée dans tous les domaines de la vie. Les obstacles mis par l’État à l’accès à la langue kurde ont depuis longtemps de graves conséquences socio-économiques pour la communauté kurde de Turquie.

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