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avec revues de presse

Bulletin N° 429 | Décembre 2020

 

 

ROJAVA: LA TURQUIE POURSUIT SES INTIMIDATIONS MILITAIRES CONTRE L’AANES

Durant tout le mois de décembre, la Turquie, notamment par le truchement de ses supplétifs syriens, a continué à exercer une forte pression militaire sur les territoires contrôlés par l’Administration autonome du Nord-Est Syrien (AANES) dominée par le parti kurde PYD. Tout en concentrant des troupes à la frontière, Ankara a en particulier poursuivi ses attaques incessantes contre la ville stratégique d’Ain-Issa, et tenté de s’emparer de l’autoroute M4 qui joint d’est en ouest la Djéziré à Kobanê et constitue la limite sud de sa soi-disant «zone de sécurité». Contrôler cette route lui permettrait quasiment de couper le Rojava en deux…

Les autorités du Rojava se sont inquiétées du possible lancement rapide d’une nouvelle opération militaire turque. En effet, Ankara peut craindre que le nouveau président américain, Joe Biden, adopte à son égard des positions autrement plus dures que son prédécesseur. La période de transition entre les deux administrations est donc particulièrement à risque. Le mois de décembre s’est finalement terminé sans nouvelle attaque turque, mais l’inquiétude reste d’actualité jusqu’au 20 janvier 2021, date à laquelle le nouveau président américain prêtera serment et accédera réellement au pouvoir…

Durant cette période, les Russes ont tenté de tirer parti de la situation pour obliger l’AANES à céder au régime de Damas le contrôle total ou partiel d’Ain-Issa. Ils réactualisent ainsi la stratégie qu’ils avaient mise en œuvre en 2018 pour Afrin avant l’attaque turque sur cette région. À l’époque, les Kurdes ayant refusé de céder Afrin au régime, les Russes avaient laissé le champ libre aux Turcs… Selon Al-Monitor, après le refus des Forces démocratiques syriennes (FDS) de céder Ain-Issa, les Russes, déjà installés dans l’ancienne base américaine de la ville, auraient alors proposé une solution de type Qamishli, une ville dont Damas contrôle l’aéroport et certains quartiers. Après des bombardements d’artillerie turcs particulièrement violents, les FDS auraient seulement accepté mi-décembre l’installation près de la ville sur l’autoroute M4 de trois postes d’observation «trilatéraux», c’est-à-dire tenus en commun par des combattants des FDS et des militaires russes et syriens. Les militaires russes, qui patrouillent la région en commun avec l’armée turque, suscitent la défiance de la population locale. En novembre, celle-ci avait manifesté contre l’absence de réaction russe aux violations turques du cessez-le-feu, qui au 15 décembre avaient déplacé selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) quelque 4.500 habitants d’Ain Issa, soit 40 % de sa population, et 2.500 habitants des villages environnants…

C’est que depuis fin novembre, ces violations n’ont cessé de s’amplifier, avec des bombardements d’artillerie quasi-quotidiens. Le 6, la radio Voice of America (VOA) indiquait que les tirs avaient ciblé non seulement la ville elle-même, mais aussi les villages alentours et un camp de personnes déplacées (dont des anciens membres de Daech), blessant neuf civils dont deux enfants. Outre les bombardements, les Turcs ont empêché à plusieurs reprises des civils d’emprunter la M4, alors qu’ils sont censés pouvoir y circuler justement sous la protection des patrouilles turco-russes…

Par ailleurs, les mercenaires pro-turcs ont continué d’interrompre régulièrement l’alimentation en eau potable de toute la région de l’Est de l’Euphrate, dont la ville de Hassaké, en coupant l’eau provenant de la station d’Allouk. Située près de Ras al-Ain (Serê Kaniyê), celle-ci était tombée entre leurs mains lors de l'opération «Source de paix» en octobre 2019. Un accord avait pourtant été conclu avec la médiation russe: en échange de l’eau potable, l’AANES fournissait de l'électricité aux zones occupées par les Turcs. Mais depuis, les mercenaires syriens n’ont cessé de couper l’eau tout en exigeant toujours plus d’électricité. Selon un rapport publié le 30 novembre par le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), en collaboration avec l'Organisation mondiale de la santé (OMS), la fourniture d’eau de cette région où vivent 460.000 personnes a été perturbée plus d'une douzaine de fois cette année. L'AANES a dénoncé ces coupures, qu’elle a qualifiées d’«extermination biologique» (WKI). Le 13, Sozdar Ahmed, co-président de la Direction de l'eau de l’AANES, a indiqué à Kurdistan-24 que la ville de Hassaké était privée d'eau depuis 25 jours! Ankara vise manifestement à accroître le mécontentement des habitants vis-à-vis de l’AANES.

Le 14 à Derbasiya, des tireurs non identifiés ont ouvert le feu sur le bureau de l’ENKS – le Conseil national kurde de Syrie, regroupant une quinzaine de partis d’opposition à l’AANES. Le commandant général des FDS, Mazloum Abdi, a immédiatement dénoncé cette attaque (WKI), mais celle-ci n’en fait pas moins courir des risques aux négociations en cours entre l’AANES et l’opposition, qui depuis leur lancement sous l’égide des Américains et des Français, suscitent la colère turque…

Le 16, dans une interview accordée à l’agence kurde Firat News (ANF), Emine Osê, vice-coprésidente de l’AANES, a livré son analyse du jeu régional de la Turquie: en Syrie, exploitant le vide créé par les élections américaines et le blocage des processus d’Astana et de Genève du fait des marchandages russes concernant Idlib, elle redouble d’attaques contre Ain-Issa et l’autoroute M4, tout en cherchant à attiser les divisions intra-Kurdes et entre Kurdes et Arabes. Au Kurdistan d’Irak, où elle accroît encore ses empiétements, elle attise là aussi les tensions intra-kurdes.

Dans la nuit du 18, de nouveaux affrontements ont opposé les mercenaires syriens de la Turquie aux FDS, toujours près d’Ain-Issa. Un commandant des FDS a indiqué qu’une attaque visant à saisir des terres agricoles tout près de la ville avait été repoussée (Reuters).

Les affrontements se sont également poursuivis dans la région d’Afrin. Le 3, un militaire turc y a perdu la vie (AFP).

Durant ce mois, de nouvelles informations ont également émergé sur les exactions hallucinantes des mercenaires pro-turcs. Selon un rapport diffusé le 23 par la chaîne britannique Sky News en arabe, les combattants du Jaysh al-Nukhbah ont transféré en Libye des femmes kurdes d’Afrin kidnappées en 2018 et réduites en esclavage, comme l’avaient fait en 2014 les djihadistes de Daech avec les femmes yézidies du Sinjar. Le rapport cite des témoignages diffusés par le réseau d’information Afrin Post selon lesquels «le viol, la captivité et l’oppression des femmes kurdes à Afrin», incluant «l’assassinat de dizaines de femmes, en particulier des mineures», […] «sont perpétrés avec la connaissance et l’approbation de la Turquie». Ces informations proviennent notamment du témoignage d’une jeune femme que sa famille a réussi à libérer de sa captivité. Ibrahim Sheikho, directeur de l’«Organisation Afrin pour les droits de l’Homme», a par ailleurs comptabilisé des centaines de cas d’enlèvements, de viols collectifs et de meurtres (Kurdistan au Féminin).

Par ailleurs, les djihadistes de Daech, s’ils ont perdu leurs territoires en Syrie, sont pour autant loin d’avoir disparu et poursuivent leurs attaques terroristes. L’Institut kurde de Washington (WKI) a indiqué le 8 que dans les zones rurales des provinces de Deir Ezzor et de Hassaké, au moins cinq combattants des FDS avaient perdu la vie dans les villes de Dhiban et Tayanna lors d’attaques utilisant bombes artisanales et armes légères. Le 10, les FDS ont annoncé la capture de trois djihadistes à Deir Ezzor grâce à un raid opéré avec le soutien américain. Au même moment, l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH) a rapporté que des travailleurs de la raffinerie de pétrole de Tayanna (Deir Ezzor) s’étaient vus réclamer le paiement de la zakat par des membres de Daech…

Toujours à propos de Daech, le 20, l'Allemagne et la Finlande ont annoncé avoir rapatrié la veille pour raison humanitaire par avion charter spécialement affrété cinq femmes, dont certaines poursuivies pour appartenance à Daech, et dix-huit enfants, tous jusque-là internés dans des camps de l’AANES. Le ministère finlandais des Affaires étrangères a souligné qu’il était impossible légalement de rapatrier les enfants sans leur mère. L'Allemagne a ainsi rapatrié trois femmes et douze enfants, parmi lesquels certains des leurs, et la Finlande deux femmes et six enfants. La plupart des femmes, en très mauvaise santé selon un responsable de l’AANES, nécessitaient un traitement médical. Pour la première fois, le rapatriement ne s’est pas fait via la Turquie, mais par l’Irak. Soupçonnée d’avoir, avec son époux, maintenant décédé, utilisé une jeune femme yézidie comme esclave à Raqqa, une des trois Allemandes a été arrêtée dès son arrivée à Francfort.

Il reste dans les camps de Syrie plus de 6.000 enfants et environ 3.000 mères de nationalité étrangère, dont 600 enfants et 300 femmes de nationalités européennes. La moitié des enfants ont moins de cinq ans (AFP).

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TURQUIE: NOUVELLES EXACTIONS POLICIÈRES ET MILITAIRES ; LE MHP DEMANDE L’INTERDICTION DU HDP

Le bilan de la répression en Turquie pour l’année 2020 – et plus largement, depuis 2015 – est effarant. Le parti «pro-kurde» HDP en a été la principale victime. Selon un rapport qu’il a récemment publié, près de 20.000 de ses membres ont été mis en garde à vue, dont 10.000 ensuite emprisonnés (Ahval), ainsi que 200 élus et 7 députés; 51 co-maires HDP élus en mars 2019 ont été démis et remplacés par des administrateurs, 6 maires ayant remporté les élections ont été privés de leur mandat au prétexte d’une révocation antérieure par décret d’urgence, et 36 co-maires ont été emprisonnés, dont 17 sont toujours derrière les barreaux. Fin décembre, sur 65 maires HDP originellement élus, on n’en comptait plus que 5 en poste… Pour la correspondante du Guardian en Turquie, Bethan McKernan, Erdoğan semble avoir choisi de vider le HDP de sa substance plutôt que de l’interdire formellement afin d’éviter la création d’un front uni de l’opposition… (Ahval)

Plus largement, le système judiciaire turc, perdant toute indépendance, est totalement passé au service du pouvoir. Un symptôme de cette situation est le nombre de poursuites judiciaires pour «insulte au président», faisant souvent suite à simples critiques sur les réseaux sociaux: durant les six dernières années, 9.556 condamnations dont 2.676 à des peines de prison allant de un à quatre ans ont été prononcées. Parmi les personnes inculpées, on compte 903 mineurs âgés de 12 à 17 ans et 264 enfants de 12 à 14 ans (Duvar).

Confronté à un nombre record de cas de COVID-19, le pouvoir a su faire de l’épidémie une opportunité pour interdire toutes les activités politiques qui lui déplaisent… tout en tentant de dissimuler la gravité de la situation sanitaire. Début décembre, le ministère de la Santé annonçait 31.923 nouveaux cas et 193 morts en 24 heures, alors que la ville d’Istanbul à elle seule en comptabilisait 199… (Bianet) La présidente de l’Union des médecins de Turquie (TTB), Sebnem Korur Fincanci, dressant par ailleurs un bilan alarmant de la situation hospitalière, a estimé que le nombre réel de cas était plutôt proche du double, 60.000. La récente décision des autorités de prendre en compte les patients asymptomatiques, jusqu’alors exclus des statistiques, n’a pas abouti à des chiffres plus crédibles…

Dans plusieurs cas, les membres du HDP ont été victimes de violences policières lors de descentes à leur domicile. Ainsi Meryem Aşkara qui a témoigné avoir été battue pendant 20 mn et menacée des pistolets des forces spéciales chez elle à Şırnak le 2 décembre, avant que ses parents, alertés par ses cris, ne soient également battus (Mezopotamya). Les policiers auteurs des faits ont ensuite porté plainte pour agression contre Aşkara et sa colocataire, l’ancienne co-maire de Cizre Berivan Kutlu. D’autres cas de ce genre avaient déjà été relatés, dont certains contre des enfants, impliquant parfois l’usage de chiens de police (SCF). Dans d’autres cas, ce sont des militaires qui se livrent à des exactions contre des civils, comme Özcan Erbaş, un jeune homme de 18 ans tué le 20 novembre à Hakkari par des tirs venus du poste de police alors qu’il pique-niquait avec des amis. Après son décès à l’hôpital, le bureau du gouverneur a déclaré qu’il avait été tué après des sommations tandis qu’il se livrait à la contrebande (Duvar). L’impunité est malheureusement la règle dans la plupart de ces affaires: neuf ans après le massacre de Roboski (Şırnak), où 34 civils, dont dix-neuf mineurs, avaient péri sous les bombes des F-16 turcs à la frontière turco-irakienne, ce sont les proches des victimes qui sont jugés pour avoir dénoncé la tuerie ou participé à des commémorations… Les victimes avaient été visées alors qu’elles ramenaient d’Irak à dos d’âne des biens de première nécessité, carburant, thé, sucre et cigarettes (RojInfo). En 2017, les autorités ont fait retirer à Diyarbakir un monument à la mémoire des victimes. Une cour martiale ayant jugé que l’armée turque n’avait pas été négligente, aucun des auteurs du massacre n’a été inquiété (Rûdaw).

Le MHP ne cesse d’ailleurs de demander l’interdiction du HDP. Le 11, Bahçeli a déclaré que «la politique turque n'[avait] plus la capacité de tolérer» celui-ci. Le lendemain, le député MHP Semih Yalçın a à son tour appelé à «éradiquer» le HDP, l’accusant d’avoir pour «sous-traitant» le PKK, ajoutant que HDP et PKK sont tous deux des «ennemis du peuple, de la nature et de l'humanité»… (Ahval)

D’autres affaires de crimes racistes, plus anciennes, sont aussi marquées par l’impunité. Ainsi le massacre des Kurdes alévis de Maraş, perpétré entre le 19 et le 26 décembre 1978 par des islamo-fascistes se revendiquant des Loups gris, avec la complicité des forces de l’ordre. 42 ans après, ses centaines de victimes ne connaissent toujours pas le repos que devrait leur apporter la justice… Dernier cas en date, l’attaque de travailleurs saisonniers kurdes perpétrée à Sakarya en septembre dernier, pour laquelle le tribunal a décidé le 25 décembre de ne pas poursuivre les agresseurs… (Bianet)

Dans une autre affaire, 27 hommes appartenant aux forces de l’ordre, policiers, militaires et gardes de village (korucu) sont accusés d’avoir violé collectivement une jeune fille kurde de 15 ans. L’affaire a été révélée lorsque l’agence Jin News a rapporté qu'une mineure kurde de 15 ans s'était présentée à l’hôpital à Gercus (Batman) se plaignant de douleurs au ventre, avant que les médecins ne découvrent qu'elle était enceinte. Pour cette révélation, l’agence de presse a été menacée et son site web fermé, et seulement deux des suspects ont été arrêtés. La porte-parole de la commission des femmes du HDP, Ayse Acar Basaran, a fustigé l’AKP pour avoir laissé les violeurs dans l’impunité. Le 7, la police a violemment attaqué et battu les femmes qui s’étaient rassemblées devant les locaux du HDP à Van pour protester (Morning Star). Le 9, avant le procès (qui ne concerne que 11 accusés sur les 27 suspects), l’avocate Eren Keskin, coprésidente de l’Association des droits de l’Homme (IHD), a déclaré: «L’impunité est à l’origine de l’augmentation des violences sexuelles». À propos des violences sexuelles commises par des militaires et d’autres depuis 1997, elle a déclaré que jusqu’à présent, même si toutes les preuves sont disponibles, à l’exception de deux gardes de village, aucun membre des forces de sécurité n’a été puni… Me Keskin a notamment rappelé le cas le cas d’Ipek Er, suicidée après son viol par un sous-officier, qui a été ensuite libéré. «Ce n’est pas pour rien que nous disons que les meurtres sont politiques , a-t-elle ajouté : Alaatin Çakıcı, qui a assassiné une femme devant un enfant, peut maintenant menacer librement et ouvertement n’importe qui». Pour mémoire, Çakıcı est ce chef de mafia fasciste et ami du président du parti d’extrême-droite MHP, Devlet Bahçeli, qui a été libéré de prison grâce à la réforme judiciaire mise en place par le pouvoir AKP-MHP.

Les inculpations et condamnations d’élus HDP, mais aussi de dirigeants de la société civile et de journalistes ayant osé dénoncer la situation des droits de l’homme, se sont poursuivies jusqu’à la fin du mois. Le pouvoir utilise notamment les violences dans les manifestations de protestation contre le siège de Kobanê par Daech en 2014 pour inculper les dirigeants du HDP de l’époque. Ainsi le 8, l’ancienne membre du Conseil exécutif du HDP Meryem Adibelli a été arrêtée, puis inculpée le 11 d’«appartenance à une organisation terroriste». Le 14, Rojda Nazlier, co-maire de Kocaköy (Diyarbakır), destituée et arrêtée le 20 octobre 2019 puis remplacée par un administrateur, a été condamnée à neuf ans de prison pour la même charge sur des témoignages en partie anonymes. Parallèlement, trois personnes ont été arrêtées sous la même accusation à Adana, trois autres à Mersin, cinq à Mus et six à Cizre, et le parlement a commencé à examiner la levée de l'immunité législative de 17 autres députés HDP.

Dans les prisons, les conditions de détention, déjà inhumaines, se sont encore aggravées en raison de l’épidémie de Covid-19. Protestant contre les violations de leurs droits ainsi que contre l’isolement total imposé à Abdullah Ocalan sur l’île-prison d’Imrali, un premier groupe de prisonniers, essentiellement des membres du PKK et du PJAK, était entré en grève de la faim le 27 novembre. Il s’agit d’une grève de la faim illimitée, avec des alternances de 5 jours. Un second groupe a donc pris le relais le 2 décembre. Le 16, après 20 jours de jeûne, alors qu’un quatrième groupe de grévistes prenait le relais, le prisonnier Mehmet Kurt a déclaré: «Si notre grève de la faim alternée ne donne pas de résultats, nous passerons à une grève de la faim non alternée» (RojInfo).

Le 21, l'ex-députée HDP Leyla Güven a été reconnue coupable d’«appartenance à un groupe terroriste» pour son ancienne fonction de co-présidente du DTK (Congrès de la société démocratique) et condamnée à 22 ans et trois mois de prison par un tribunal de Diyarbakir. Güven, quand elle était détenue, avait elle aussi initié, en novembre 2018, un mouvement de grève de la faim dans les prisons (AFP).

Le 23, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a annoncé que, alors qu’elle venait la veille de publier un arrêt condamnant de nouveau très sévèrement la Turquie pour la détention de l’ancien co-président du HDP Selahattin Demirtaş, elle avait été victime d’une «cyberattaque de grande ampleur» qui a duré plusieurs heures et a rendu son site web temporairement inaccessible… Relevant dans son arrêt plusieurs violations de la Convention européenne des droits de l'homme, la Cour avait une fois de plus exigé la libération «immédiate» du prisonnier. Le président turc a le même jour violemment condamné cet arrêt, le qualifiant de «décision entièrement politique» (L’Express). Le 30, Demirtaş, en même temps que 108 personnes, a été visé par un nouvel acte d’accusation du bureau du procureur d’Ankara, toujours en rapport avec l’«affaire de Kobanê» en 2014. Selon l’agence d’État Anatolie, les charges incluent l’atteinte à l'unité et à l'intégrité territoriale de l'État ainsi que 37 homicides: les victimes des violences lors des protestations (Reuters).

La vindicte du pouvoir poursuit également tous ceux qui mettent en cause sa répression, notamment les journalistes. Le 7, Ayşegül Doğan, ancienne coordinatrice des programmes de la chaîne d'opposition et pro-kurde IMC-TV, fermée en 2016, a été condamnée à six ans et trois mois de prison pour «appartenance au DTK», une organisation dont elle avait couvert les activités comme journaliste (AFP, SCF). Le 17, c’est la journaliste de l’agence Mezopotamya Zeynep Durgut qui a été arrêtée lors d’un contrôle d’identité à Cizre, alors qu’elle était accompagnée de trois autres journalistes. Durgut avait couvert l’affaire des deux villageois de Van jetés d’un hélicoptère de l’armée turque, et dont l’un est mort de ses blessures. Le 23, l’ex-rédacteur en chef du journal Cumhuriyet Can Dündar a été condamné en son absence à plus de 27 ans de prison, 18 ans et neuf mois pour avoir «obtenu des informations confidentielles à des fins d'espionnage», et huit ans et neuf mois supplémentaires pour avoir aidé les partisans du prédicateur en exil Fethullah Gülen. En fait, le président turc lui reproche surtout d’avoir révélé au public comment un soi-disant convoi d’aide humanitaire pour la Syrie était en réalité une livraison d’armes du MIT (les services secrets turcs) à des combattants islamistes syriens. La Turquie a demandé à l’Allemagne l'extradition de Dündar, et a gelé en octobre dernier ses avoirs en Turquie. Selon le rapport mondial annuel du Comité pour la protection des journalistes (CPJ), publié ce mois-ci, 37 journalistes ont été arrêtés en Turquie en 2020 (The Guardian).

Autre scandale judiciaire en Turquie, le maintien en détention depuis octobre 2017 de l’homme d’affaires et activiste de la société civile Osman Kavala. Acquitté en février 2020 dans le procès des manifestations du Parc Gezi, il avait été maintenu en prison sous l’accusation ridicule de tentative de coup d’État et espionnage. Dans une résolution intérimaire adoptée le 3 décembre, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a exigé sa libération immédiate. Le 17, la veille du jour où devait se tenir la première audience de son affaire, la Cour constitutionnelle turque a transmis son dossier à son Assemblée générale, retardant ainsi le moment de trancher jusqu’à après l’audience du 18. Durant celle-ci, la Cour a décidé du maintien en prison de l’homme d’affaires, suscitant un communiqué conjoint très critique du rapporteur du Parlement européen pour la Turquie et du président de la délégation parlementaire conjointe Union européenne-Turquie auprès du Parlement européen, respectivement Nacho Sanchez Amor et Sergey Lagodinsky. Tous deux dénoncent «le manque de volonté des autorités turques de mettre en œuvre des réformes substantielles dans le domaine de l’Etat de droit, de l’indépendance de la justice et des droits fondamentaux».

L’État turc poursuit aussi sa politique de destruction culturelle du patrimoine kurde. On sait que la cité médiévale de Hasankeyf a été engloutie en 2019 malgré les protestations. À Diyarbakir, plusieurs bâtiments du centre historique, dans le quartier enceint de murailles médiévales de Sur, ont été démolis au cours des dernières semaines. Des commerces auraient par ailleurs été démolis sans l’accord des propriétaires…

Enfin, sur le plan des relations extérieures, la position de la Turquie a continué à se dégrader ce mois-ci. À l’OTAN, le secrétaire d’État américain maintenant sur le départ, Mike Pompeo, a provoqué la surprise le 2 en dénonçant dans son «discours-testament» la «politique du fait accompli» de la Turquie dans plusieurs crises régionales et en demandant au régime du président turc de «revenir à un comportement d’allié» (le Monde). Les relations se tendent aussi progressivement avec l’Union européenne où, depuis que le 20 novembre des militaires allemands ont perquisitionné en Méditerranée un navire turc soupçonné de violer l’embargo libyen, l’Allemagne elle-même semble durcir sa position… (Le Figaro) Le 10, le sommet de Bruxelles a décidé de sanctionner les actions qualifiées d'«illégales et agressives» de la Turquie en Méditerranée contre la Grèce et Chypre. Selon le secrétaire d'Etat aux Affaires européennes français Clément Beaune, il s’agit pour l’instant de «sanctions individuelles», mais «des mesures supplémentaires pourront être décidées si la Turquie poursuit ses actions». Le 16, Washington a à son tour sanctionné Ankara pour l'acquisition du système anti-aérien russe S-400, interdisant toute exportation d'armes pour le SSB, l'agence turque d’achats militaires. Erdoğan a dénoncé une attaque contre la «souveraineté» de la Turquie, mais aussi bien pour l’UE que pour les USA, il s’agit encore de sanctions ciblées, en quelque sorte a minima. Et contrairement à Washington, Bruxelles n’a pas imposé d’embargo sur les ventes d’armes à la Turquie, comme le demandait Athènes…

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IRAK: BRAS DE FER BUDGÉTAIRE BAGDAD-ERBIL; VIOLENTES MANIFESTATIONS AU KURDISTAN

Le différend budgétaire avec Bagdad a de nouveau aggravé la crise financière chronique dans laquelle se trouve plongée la Région du Kurdistan depuis que le Premier ministre irakien Nouri al Maliki a cessé de lui verser sa fraction du budget fédéral en 2014. Les retards de paiement et les coupes affectant les salaires des nombreux fonctionnaires ont provoqué des manifestations dès début décembre, en particulier dans la province de Souleimaniyeh. Celles-ci ont fini par dégénérer dans la violence.

De nombreux employés du Gouvernement régional du Kurdistan (GRK), notamment les enseignants, sont descendus dans la rue après n’avoir perçu aucun salaire depuis plusieurs mois. Les manifestations ont été plus fournies dans les petites villes, où la sécurité était moins stricte que dans la capitale provinciale, Souleimaniyeh. C’est dans une de ces villes, Chamchamal, qu’une manifestation a dérapé le 4 quand, selon une source médicale, un jeune homme a été tué par balle par les forces de sécurité protégeant des bureaux de plusieurs partis politiques (AFP). Le 7 au soir, on comptait au moins quatre victimes parmi les manifestants, avec notamment deux morts à Kifri et Derbandikhan. À Seidsadiq, les locaux de plusieurs partis politiques ont été incendiés. Le président irakien Barham Salih, lui-même kurde, a appelé les responsables politiques à éviter la violence contre les manifestants et à laisser les médias faire leur travail. La chaîne NRT, proche de l’opposition, a été inquiétée, a subi une descente de police, et plusieurs de ses bureaux ont été fermés, avant que le GRK ne suspende ses émissions pour une semaine, l’accusant d’«irresponsabilité». La chaîne a pourtant réussi à reprendre sa diffusion plus tard à partir d'un lieu non divulgué à l'étranger. Le même jour, le Premier ministre du KRG, Masrour Barzani, a déclaré que si manifester était un droit légitime, les tentatives de destructions étaient à différencier de l’expression de revendications légitimes et que les auteurs de violences devaient être traduits en justice.

Le 8, l’AFP a comptabilisé six manifestants tués. Le bureau des Nations unies en Irak a dénoncé les violences, appelant à «l'ouverture rapide d'une enquête pour identifier les auteurs des violences et leur faire rendre des comptes». Le 9, de nouvelles manifestations ont rassemblé des centaines de personnes dans plusieurs villes du Kurdistan, notamment à Dokan, Ranya, Derbandikhan, Piramagrûn et Chamchamal. Selon des sources locales et médicales et la Commission irakienne des droits humains, les violences des deux jours précédents ont fait six morts et des dizaines de blessés quand les forces de sécurité de plusieurs villes ont tiré à balles réelles. Le 11, les protestataires rassemblés devant le siège du gouvernorat de la province de Souleimaniyeh ont été rapidement dispersés par les gaz lacrymogènes de la police anti-émeute (AFP). Dans les provinces de Dohouk et d’Erbil, contrôlées par le PDK, la situation apparaissait plus calme, sans doute en partie parce que depuis plusieurs mois, les forces de sécurité, cherchant en amont à éviter les manifestations, y ont appréhendé de nombreux activistes (RFI). Le 15, le Washington Kurdish Institute (WKI) établissait le bilan des jours précédents à la mort de neuf manifestants, celle d'un colonel des peshmergas à Dokan, et l'incendie de bâtiments gouvernementaux et de bureaux politiques dans les villes de Sulaymaniyeh, Ranya, Dokan, Kalar, Halabja et Kifri. Au moins 60 manifestants avaient également été arrêtés.

Durant tout le mois, le GRK a poursuivi ses discussions avec le gouvernement de Bagdad concernant sa part du budget fédéral et les retards dans les fonds affectés au paiement des salaires des fonctionnaires. Son vice-premier ministre Qubad Talibani a indiqué lors d'une conférence de presse à Bagdad que les pourparlers se poursuivaient, soulignant que le GRK était prêt à échanger ses revenus et sa production pétrolière contre sa part du budget fédéral.

Au niveau irakien, la situation financière n’est guère meilleure. Les cours historiquement bas du pétrole ont placé le pays dans une situation économique et financière alarmante. Le 19, en une tentative pour améliorer celle-ci, le gouvernement a décidé d’une dévaluation du dinar qui a provoqué presque immédiatement des manifestations de protestation, la population craignant un renchérissement des biens d’importation. Le 21 décembre, l’approbation par le Conseil des ministres d’un budget prévisionnel 2021 de 103 milliards de dollars, en déficit de 43 milliards, n’a guère mieux été accueillie; les Irakiens s’inquiétant notamment de coupes aux salaires des fonctionnaires (celles-ci ont été rapidement démenties par le Premier ministre Kadhimi). Dans les minutes ayant suivi l'approbation du budget, le hashtag «Reject_Kadhimi's_BudgetBill» s’est envolé sur Twitter… Ce budget devra maintenant être soumis au Parlement pour approbation finale.

S’exprimant ensuite à propos du conflit budgétaire persistant entre Erbil et Bagdad, M. Kadhimi a exprimé l’espoir de parvenir prochainement à un accord avec les Kurdes, qui, a-t-il rappelé, «sont aussi des habitants de l'Irak» (Rûdaw). Cependant, selon un conseiller économique du gouvernement fédéral, les divergences toujours non résolues avec le GRK concernant les exportations de pétrole kurde et les dettes de la Région rendent peu probable la perspective d’un accord rapide… (Gulf Times)

Le 22 au soir pourtant, le vice-premier ministre du GRK, Qubad Talabani, a déclaré qu'Erbil et Bagdad étaient parvenus à un accord sur le budget fédéral irakien 2021. Le 23, le Premier ministre Masrour Barzani a cependant «[appelé] les Nations Unies à assister aux discussions entre la Région du Kurdistan et le gouvernement fédéral en tant que tierce partie, afin que les droits et les devoirs de chaque partie soient clairs». Barzani a également accusé le gouvernement irakien d'utiliser les questions budgétaires comme «un atout contre le peuple de la Région du Kurdistan» (Rûdaw).

Parallèlement, le Kurdistan a continué à lutter contre l’épidémie de coronavirus. Au 30 novembre, on comptait 96.201 cas depuis l’apparition du virus; au 31 décembre, le chiffre était passé à plus de 103.000. Tout effrayants que soient ces chiffres, il faut noter que le Kurdistan a connu ces derniers mois une relative décroissance du nombre de nouveaux cas quotidiens, qui s’étaient montés à un moment jusqu’à 1.600. Au 30 novembre, on comptait 410 nouveaux cas et 14 décès, pour un total de 3.146 morts; au 7 décembre, il y avait 372 nouveaux cas, au 14, 201, avec neuf décès: quatre dans la province de Dohouk, quatre pour Suleimaniyeh, et un à Erbil. À l'approche de l'hiver, les responsables de la santé n’ont cessé d’avertir les habitants de respecter strictement les mesures sanitaires afin d’éviter que la combinaison grippe-coronavirus ne surcharge le système de santé (Kurdistan-24). Le 16, le ministère de la Santé du GRK a annoncé 238 nouveaux cas et onze décès: sept à Suleimaniyeh, trois à Dohouk et un à Raparin (Kurdiu). Le 24, le GRK, suivant en cela le gouvernement fédéral, a interdit tout voyage entre la Région et neuf pays différents en raison de l’apparition de nouveaux variants du COVID-19: Royaume-Uni, Afrique du Sud, Danemark, Pays-Bas, Belgique, Iran, et Japon. Les citoyens irakiens revenant de ces pays devront s’isoler 14 jours à leur retour. Par ailleurs, les frontières avec l’Iran ont été fermées aux déplacements touristiques (mais pas professionnels). À l’approche des Fêtes de fin d’année, le ministère de l'Intérieur a également interdit tout rassemblement ou célébration dans les restaurants, bars, night-clubs ou cafétérias de la Région. Si des feux d’artifice ont bien été tirés pour commémorer la nuit du Nouvel An, les festivités ont été, comme dans la plupart des pays du monde, un ton en dessous des années précédentes.

Dans les territoires disputés entre GRK et gouvernement fédéral, à Kirkouk, en début de mois, les forces de sécurité irakiennes ont commencé à restituer à la police locale le contrôle des points d’entrée dans la ville. Ce mouvement pourrait s’étendre à l’ensemble de la province, les représentants kurdes et arabes de celle-ci ayant entamé des discussions en vue de la création d’une force de sécurité provinciale multiethnique. C’est bien la seule avancée quelque peu positive dans un ensemble de zones où la sécurité demeure extrêmement problématique. En effet, tirant profit de l’absence de coordination effective entre forces kurdes et fédérales, les djihadistes de Daech y poursuivent leurs activités terroristes. Six d’entre eux ont été tués le 6 par une frappe américaine dans le sud de la province, où par ailleurs les forces irakiennes en ont appréhendé six autres, dont un officier de renseignement (WKI). Le 9 au matin, deux puits de pétrole du champ de Khabbaz ont été incendiés, sans que l’opération soit revendiquée. Par contre, le lendemain, Daech a revendiqué l’assassinat d’au moins 19 membres des forces de sécurité de Kirkouk durant les trois semaines précédentes. C’est précisément la persistance de cette menace qui a poussé en début de mois des représentants du Majlis al-Arabi (Conseil arabe) de Kirkouk et de l'Union patriotique du Kurdistan (UPK) à rencontrer à Bagdad le gouverneur de Kirkouk, Rakan al-Jabouri. La réunion, dirigée par le président irakien Barham Saleh lui-même, a discuté comment renforcer la sécurité de Kirkouk grâce à une «force unie» (Reuters). Enfin, le 26, deux djihadistes de Daech ont été tués dans une opération de la police fédérale dans le sud-ouest de la province (Rûdaw).

Parallèlement, les Kurdes des zones rurales de Kirkouk continuent à être confrontés à des tentatives d’éviction de la part d’anciens colons arabes de l’époque de Saddam Hussein. Ainsi un représentant du village de Palkana, dans le sous-district de Sargaran, à l’ouest de Kirkouk, a affirmé que les milices soutenues par l'Iran avaient donné aux habitants 48 heures pour évacuer le village et laisser la place à des tribus arabes (WKI). Les habitants ayant rejeté l’ultimatum, l’intimidation s’est poursuivie avec le déploiement dans le village de forces de police et de sécurité. Les villageois en ont appelé au Premier ministre du GRK et à l’UPK. Cédant sous la pression, constante depuis un certain temps, plusieurs familles kurdes avaient déjà quitté le village. Le 13, des représentants de Palkana ont remis aux députés kurdes un rapport détaillé des violations commises par les colons arabes. Le vice-président du parlement irakien a ordonné la création d'un comité conjoint dont une délégation viendra examiner la situation (Rûdaw). Les forces de sécurité irakiennes ont brièvement détenu quatre journalistes kurdes qui tentaient de couvrir les développements en cours dans les villages menacés (WKI).

Enfin, plus au nord cette fois, la Région du Kurdistan connait d’autres tensions dues à la présence militaire turque. Depuis le lancement des opérations anti-PKK «Serre d’Aigle» (aérienne) puis «Griffe de Tigre» (terrestre) en juin dernier, l’armée d’Ankara s’est progressivement déployée sur le territoire de la Région, y installant des dizaines de bases, y lançant frappes aériennes et drones. Selon l’ONG Christian Peacemaker Team, les opérations turques au Kurdistan ont fait depuis 2015 plus de 100 blessés et 97 morts civils, et forcé à l’abandon de 126 villages. Un récent rapport du GRK compte quant à lui plus de 500 villages abandonnés depuis le début des années 1990 du fait des affrontements entre PKK et Turquie… La Turquie se comporte comme en terrain conquis, ne prenant visiblement aucune précaution pour épargner les civils, et allant jusqu’à cibler les garde-frontière irakiens déployés au Nord pour tenter d’apaiser les tensions. Deux d’entre eux ont encore été tués récemment par une frappe turque. «La Turquie ne répond pas de ses exactions et bavures», expliquait à Orient XXI une représentante de l’ONG Human Rights Watch. Une telle attitude ne peut qu’augmenter l’hostilité des populations locales à son égard. Mais le jeu turc vise aussi à exacerber les tensions intra-kurdes préexistantes. Parallèlement, lors de la visite le 17 du Premier ministre irakien à Ankara, le Président turc a exhorté celui-ci à agir contre le PKK, un «ennemi commun». M. Kadhimi a ensuite déclaré «[condamner] toute action […] partant du territoire irakien pour attaquer la Turquie», précisant: «Nous avons aussi empêché ces groupes [menaçant la sécurité régionale] de pénétrer en Irak à travers la frontière avec la Syrie» (AFP).

Et en effet, les tensions sont montées à la frontière syrienne ce mois-ci, non seulement avec le gouvernement irakien, mais aussi avec le GRK: juste la veille de cette déclaration de M. Kadhimi, le 16, le vice-ministre des pechmergas, Serbest Lazgîn, a annoncé que ses pechmergas avaient été attaqués par une force de 50 à 60 combattants venus du Rojava, apparemment des membres des YPG. L’attaque est survenue après qu’un groupe d’une dizaine de membres des YPG tentant d’entrer au Kurdistan se soit vu ordonner de rebrousser chemin (Rûdaw). Le 17, les YPG ont nié dans un communiqué avoir attaqué les peshmergas. Soulignant leur «respect pour la souveraineté de la Région du Kurdistan», elles ont déclaré que ce qui s'est passé n'était rien d'autre que le résultat d'un manque de coordination entre les forces en présence, ajoutant qu’il n'y avait aucune bonne raison pour une telle attaque (Shafaq). Quelle que soit la nature réelle de l’incident, la nervosité du côté des pechmergas est compréhensible, car celui-ci s’est produit seulement deux jours après qu’un des leurs a été tué dans un affrontement avec le PKK sur un de leurs postes de contrôle près d’Amêdî (Dohouk), au cours duquel trois membres du PKK ont également été grièvement blessés, et l’un est ensuite mort de ses blessures. Cet échange de tirs, déclenché lorsque les combattants du PKK ont tenté de forcer le passage, faisait lui-même suite à plusieurs autres.

Le 23, le GRK a officiellement demandé aux États-Unis de déployer des forces le long de la frontière Syrie-Irak afin d'empêcher de nouveaux affrontements entre pechmergas et YPG. Le porte-parole du GRK, Jutiar Adil, a indiqué en conférence de presse que cette demande visait à «exprimer la bonne volonté de la Région du Kurdistan et montrer qu'elle ne fait pas campagne pour la guerre», et qu’il s’agissait que «les forces américaines deviennent un modérateur entre les deux forces afin qu'aucun combat n'ait lieu» (Rûdaw).

Le bilan de l’année 2020 est certes sombre au Kurdistan. À la pandémie qui a frappé le monde entier s’est ajouté pour l’Irak une détresse économique supplémentaire due à l'effondrement des cours du pétrole causé par le virus; pour le Kurdistan, il faut encore y additionner l’impact du différend budgétaire avec Bagdad. Peut-être, pour terminer sur une note d’espoir en l’avenir, peut-on mentionner la nomination par le Conseil provincial de Dohouk le 2 décembre de la première femme maire de district du Kurdistan, Miran Abdulrahman, qui représentera Bamarné.

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IRAN: NOMBREUX ASSASSINATS DE KOLBARS KURDES ; DOUZE EXÉCUTIONS DE CONDAMNÉS EN UNE SEULE SEMAINE…

Décembre a commencé en Iran sous l’ombre de la mort du physicien Mohsen Fakhrizadeh. Celui-ci a en effet été enterré le 30 novembre en une cérémonie officielle digne des plus hauts dignitaires de la République islamique, comme l’avait été le général Ghassem Soleimani, tué en janvier dernier à Bagdad par une frappe de drone américain. Comme Soleimani, Fakhrizadeh, considéré comme l’un des architectes du programme nucléaire iranien, a été victime d’une opération d’assassinat ciblé, cette fois-ci organisée sur le territoire iranien, puisque son véhicule blindé a été attaqué le 27 novembre en périphérie de Téhéran. Le ministre de la défense, Amir Hatami, a déclaré durant la cérémonie que l’assassinat «ne resterait pas sans réponse», avant d’annoncer le doublement du budget de l’organisation de recherche militaire Sepand, dont Fakhrizadeh était l’un des vice-présidents (Le Monde).

Le fait qu’une telle opération ait pu réussir en Iran même, et contre une personnalité importante qui bénéficiait d’une protection permanente, a provoqué d’importantes tensions parmi les dirigeants, chacun tentant de se dédouaner d’un tel échec. Comme l’a écrit le New York Times: «Depuis le meurtre du scientifique vendredi, des rapports contradictoires dans les médias officiels sur l'évasion ou même l'existence d'une équipe de tueurs […] ont révélé des tensions entre agences de renseignement concurrentes, chacune cherchant à éviter le blâme encouru pour un échec sécuritaire aussi flagrant».

Celui-ci a permis aux conservateurs, depuis toujours très opposés à l’accord nucléaire négocié à Vienne par le gouvernement Rohani, d’imposer leurs vues. Le parlement a voté le 1er décembre à une forte majorité une loi qui donne deux mois au gouvernement pour porter l’enrichissement de 120 kg d’uranium à 20 % par an, alors que l’accord le limite à 3,67 %... Le président a immédiatement critiqué une loi «nuisible pour les activités diplomatiques du pays» (Le Monde).

Parallèlement, le pays a continué à lutter contre la pandémie de COVID-19, le pouvoir poursuivant sa dissimulation des chiffres. Le 5, l’Organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran (OMPI), se basant comme pour toutes ses estimations sur une compilation de plusieurs sources provinciales, a comptabilisé plus de 177.300 décès dus au coronavirus dans 465 villes d’Iran – près de 5 fois le chiffre officiel. Les chiffres de l’OMPI pour certaines provinces sont les suivants: Lorestan 7.235, Azerbaïdjan occidental 6.620, Kurdistan 3.106, et Ilam 1.860. Le 13, l’OMPI donnait plus de 184.0000 décès, dont 7.465 au Lorestan, 6.928 en Azerbaïdjan occidental, 3.896 à Kermanchah et 3.191 au Kurdistan. Au 30 décembre, on était passé à plus de 194.400 décès dans 478 villes (contre un chiffre officiel au 25 de 54.440…), alors que le président iranien, après des déclarations faussement optimistes, admettait finalement qu’il était impossible de prédire combien de temps serait nécessaire pour produire le vaccin iranien. À cette date, on comptait 3.336 décès au Kurdistan, et 2.005 à Ilam (NCRI)… La population, indignée par la confusion de la politique de vaccination du pouvoir, a investi les réseaux sociaux en protestations et lancé sur Twitter le hashtag «#Achetez-du-vaccin» (Le Monde).

Ce mois-ci, les forces de répression du régime ont encore assassiné de nouveaux kolbars, ces porteurs transfrontaliers kurdes qui, bien que généralement non armés, sont systématiquement abattus par les pasdaran (Gardiens de la révolution) ou les garde-frontière. Selon l’association des droits de l’homme du Kurdistan KMMK, le nombre total de kolbars ainsi abattus en 2020 se montait début décembre à plus de 70. L’organisation des droits de l'homme Hengaw a quant à elle publié sur son site un rapport complet (->) sur les attaques contre les kolbars pour l’année qui se termine, et les chiffres sont littéralement glaçants. Selon les calculs de Hengaw, au moins 240 kolbars kurdes et commerçants locaux ont été tués ou blessés en 2020, soit une augmentation d'au moins 3 cas par rapport à 2019. Cette augmentation peut sembler insignifiante, mais en fait elle est notable, car les frontières sont restées fermées deux mois en raison de l’épidémie de COVID-19… Sur ces chiffres, les tirs directs des forces armées iraniennes et turques comptent pour 199 cas, soit 49 tués et 150 blessés. Le reste est dû à des mines et des morts de froid, mais il y a aussi des chutes dans des ravins ou des accidents de voiture (13 accidents de voiture ayant fait 4 tués et 9 blessés) dont certains résultent de poursuites par les forces de répression. Durant l’année 2020, on compte au moins 16 kolbars tués ou blessés par des tirs directs des forces armées turques (6 morts et 10 blessés), en augmentation par rapport à 2019. Les commerçants kurdes locaux ont aussi été frappés: 12 d’entre eux ont été tués ou blessés sur les routes, dont 9 visés par des tirs directs des forces de répression. 10 sont décédés, dont 3 dans des accidents survenus durant des poursuites par ces mêmes forces de répression. Enfin, Hengaw a compté au moins 4 kolbars mineurs blessés et un tué.

Durant la première semaine de décembre, de nouveaux kolbars ont été blessés ou tués. Selon KMMK, l’un a été tué près de Sardasht le 3 et un autre s’est blessé en tombant d'une falaise alors qu'il fuyait les garde-frontière près de Baneh. Le 6, ces derniers ont tué un autre kolbar, de nouveau près de Sardasht. La semaine suivante, deux autres kolbars ont été blessés par des tirs près de Paveh et Nowsud, et un troisième par une mine au Hawraman. Enfin, le 17, les garde-frontière ont ouvert le feu sur un groupe près de Baneh et ont grièvement blessé deux de ses membres (WKI).

La crise économique et la pauvreté réduisent de plus en plus de jeunes Kurdes d’Iran à se lancer dans le métier de kolbar, malgré son danger. Elles poussent aussi de plus en plus de Kurdes à la perte de tout espoir et au suicide. Selon des chiffres diffusés par Hengaw ce mois-ci, 22 Kurdes iraniens, 12 hommes et 10 femmes, dont 8 mineurs, se sont suicidés rien qu’en novembre. Parmi les mineurs figuraient cinq filles et trois garçons. La plupart des suicides résultaient de problèmes familiaux ou de la pauvreté. Les victimes ont parfois utilisé le poison ou le feu, mais la majorité se sont pendues… Selon l’économiste iranien Ibrahim Razaghi, le pays compte maintenant trente millions de chômeurs et soixante millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté dans le pays.

Cette fin d’année n’a malheureusement pas connu de pause dans la répression antikurde, qui s’est poursuivie avec sa litanie d’arrestations, de condamnations et d’exécutions. Le 22 décembre, le Washington Kurdish Institute (WKI) a publié une estimation d’au moins 257 activistes kurdes arrêtés durant l’année 2020... En début de mois, l’activiste Latif Abdi a entamé une peine de prison de deux ans à Paveh pour «appartenance à un parti kurde». Abdi est entré en grève de la faim en protestation contre son emprisonnement. À Marivan, un autre Kurde du nom de Khairat Paiza a été condamné à six mois d’emprisonnement pour «coopération avec un parti kurde d’opposition», et à Sanandaj, un homme âgé a été incarcéré par l’Etelaat sans que les charges contre lui aient été énoncées à sa famille (WKI). À Ouroumieh, les prisonniers politiques sont aussi entrés en grève de la faim en protestation du refus opposé par les juges à leurs demandes de liberté sur parole ou de libération temporaire pour cause d’épidémie. Le 9, sept Kurdes ont été arrêtés à Baneh, et deux frères à Ouroumieh, Shukar et Kamil Jabarwand, pour «coopération avec un parti kurde contre la République islamique».

Le 14, l’anthropologue et documentariste anglais d’origine kurde Kameel Ahmady a été condamné à Téhéran à neuf ans de prison pour «collaboration avec un gouvernement hostile». Ahmady mène des recherches dans le domaine du genre, travaillant notamment sur le mariage des enfants et les mutilations génitales féminines, mais il s’intéresse également aux droits des minorités ethniques et à et d’autres sujets sensibles (ses travaux, articles, livres et audiovisuels, sont accessibles sur son site web, https://kameelahmady.com/). D’abord arrêté en août 2019, il avait été emprisonné trois mois avant d'être libéré sous caution. Selon une traduction par Associated Press du rapport de l’agence Tasnim, Ahmady a été accusé de «coopération avec les ambassades européennes en faveur de la promotion de l’homosexualité, visite en Israël en tant que journaliste de la BBC, coopération et communication avec les médias étrangers et hostiles, infiltration visant la loi et l’envoi de faux rapports sur le pays au rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’homme en Iran» (Kurdistan au Féminin).

En même temps, arrestations et condamnations se sont poursuivies: quatre Kurdes arrêtés à Oshnavieh, un à Divandareh, un autre condamné à dix mois de prison à Kamyaran et un à deux ans à Saqqez, tous deux pour avoir «coopéré avec un parti d'opposition kurde et fait de la propagande en sa faveur»… Enfin, selon le KMMK, un homme a été arrêté à l’université de Kermanshah pour «manque de respect à Qassem Soleimani»: c’est le cinquième en un an (WKI).

La troisième semaine de décembre a été particulièrement sanglante avec douze exécutions dans les prisons de nombreuses villes, dont plusieurs femmes et un condamné mineur au moment des faits pour lesquels il avait été jugé. Parmi les exécutés de cette semaine-là, Mohammad Moradi, pendu le 17 à la prison centrale de Saqqez. Mais comme le souligne le site web La Minute, il ne s’agit probablement que d’une partie des condamnations à mort, de nombreux prisonniers étant exécutés en secret… Puis le matin du 27, selon un rapport reçu par Hengaw, la condamnation à mort d'une femme kurde de Qorwa, identifiée comme «Zeinab Khodamuradi», âgée de 42 ans, a été exécutée dans la prison centrale de Sanandaj. Psychologiquement instable après sa grossesse, elle avait été arrêtée en 2015 pour le meurtre de son enfant de 12 jours et de sa belle-fille de 7 ans.

Enfin, en matière de terrorisme d’État, la République Islamique ne cesse d’innover. On savait l’Iran capable d’envoyer ses assassins à l’étranger exécuter ses opposants à bout portant ou poser des bombes dans leurs réunions. Les pasdaran n’ont pas hésité à lancer des frappes de missiles sur des bases d’opposants hors des frontières. Les porteurs de double nationalité peuvent aussi être arrêtés durant une visite pour servir ensuite de monnaie d’échange contre des assassins iraniens incarcérés. Été dernièrement, des membres de la diaspora iranienne au Canada ont témoigné avoir été victimes d’intimidations pour avoir trop fouillé le crash de l’avion ukrainien au-dessus de Téhéran…

Non content de toutes ces pratiques, l’Iran a maintenant entrepris d’attirer et d’enlever certains de ses dissidents à l’étranger pour les ramener dans le pays et les juger, voire les condamner à mort. Ainsi, le journaliste iranien Rouhollah Zam, exilé en France depuis 2012, a-t-il été attiré en Irak en 2019 par une proposition d’aide financière de prétendus opposants iraniens pour son projet de chaîne de télévision. Enlevé à Bagdad par les pasdaran, il a été ramené en Iran où il a été jugé à la manière iranienne, c’est-à-dire, sans aucun droit à la défense, déclaré coupable entre autres d’«espionnage» au profit de la France, d’insulte au «caractère sacré de l’islam», et pendu le 12 décembre. Le régime ne lui a pas pardonné son journalisme citoyen lors des manifestations de l’hiver 2017-2018, et surtout pas ses révélations sur la corruption de plusieurs dirigeants iraniens (Le Monde). Une affaire semblable concerne Habib Chaab, un autre dissident iranien originaire du Khouzistan exilé, lui, en Suède. Attiré à Istanbul par une femme travaillant pour les services secrets iraniens, il y a été kidnappé le 9 octobre, pour réapparaître sur la télévision iranienne dans une vidéo où il «avoue» travailler pour les services de renseignements saoudiens et avoir ârticipé à l’attentat d’Ahwaz en septembre 2018. Habib Chaab connaîtra-t-il le même sort que Rouhollah Zam? Quoi qu’il en soit, comme le remarque Le Monde en rendant compte de ces affaires, le développement de ces pratiques, confiées au pasdaran, suggère une militarisation croissante du régime qui ne peut qu’inquiéter pour l’avenir.

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