La politique extérieure agressive du président turc et son virage autocratique à l’intérieur ont provoqué l’isolement diplomatique croissant du pays… et de M. Erdoğan lui-même. La personnalisation extrême du pouvoir qu’il a instituée le fait percevoir par les Turcs comme le premier responsable de la situation économique, du chômage de masse et de la gestion calamiteuse de la pandémie de Covid… Affaibli, isolé, ne pouvant combattre sur deux fronts, il modère maintenant ses propos à l’égard des dirigeants européens qu’il qualifiait il n’y a pas si longtemps de «nazis» ou de «malades mentaux» dans l’espoir d’un réchauffement de ses relations économiques avec l’Union européenne. …
L’arrivée d’un nouveau locataire à la Maison Blanche a aussi changé la donne. Donald Trump avait laissé à la Turquie le champ libre contre les Kurdes de Syrie et, après l’achat du système antiaérien russe S-400, avait en partie protégé Ankara des sanctions souhaitées par le Congrès. Contrairement à son prédécesseur, Joe Biden n’a pas hésité à critiquer la situation des droits de l’homme en Turquie, mentionnant même durant sa campagne un soutien possible à l’opposition turque. Depuis son accession au pouvoir, le seul appel qu’il ait passé à son homologue turc, le 23 avril, était pour lui annoncer la reconnaissance par les États-Unis du génocide arménien de 1915! Le message était clair. M. Erdoğan ne s’y est pas trompé: loin des envolées nationalistes qu’il affectionne, il est resté sans réaction 48 heures avant de s’exprimer, parlant sobrement d’une «reconnaissance sans fondement». Après la rencontre Biden-Erdoğan de Bruxelles, le 14 juin en marge du sommet de l’OTAN, la Maison Blanche n’a pas publié de communiqué, mais le président turc a qualifié en conférence de presse la réunion de «fructueuse et sincère», sans apporter de détails ni annoncer l’accord espéré sur la question des S-400… Le 21, revenant sur la rencontre, il a annoncé l’ouverture d’une «nouvelle ère avec les États-Unis sur une base positive et constructive»; derrière les mots, les désaccords demeurent en suspens…
Sur le plan régional, la Turquie, qui se rêvait il y a dix ans en «leader naturel» du monde sunnite, s’est finalement brouillée avec la plupart des pays arabes par son soutien aux Frères Musulmans. Elle tente maintenant des manœuvres diplomatiques de normalisation, en commençant avec l’Égypte, où elle a envoyé une délégation le 5 mai. Ankara et Le Caire n’ont plus de relations diplomatiques depuis 2013, lorsqu’Erdoğan, soutien du président islamiste Mohammed Morsi, a traité de «gangster» le maréchal Abdel Fattah Al-Sissi, qui l’avait renversé. Férocement opposée à la présence turque en Lybie, l’Égypte a profité de la visite turque pour réclamer également le retrait d’Ankara du Nord Syrien… Puis le 10 mai, le chef de la diplomation turque, Mevlut Çavuşoğlu, s’est rendu en Arabie Saoudite, la première visite de ce type depuis 2018 et l’assassinat à Istanbul du journaliste saoudien Jamal Khashoggi. Le chemin diplomatique semble semé d’embûches pour Ankara…
À l’intérieur, le parti présidentiel, prisonnier de son allié d’extrême-droite, le MHP, dont les voix lui sont indispensables, poursuit une répression toujours plus implacable pour étouffer toute voix dissidente. …
Ainsi, le parti porteur de l’opposition la plus résolue à Erdoğan, le HDP «pro-kurde» et progressiste, dont des milliers de membres sont déjà emprisonnés, est maintenant menacé d’interdiction. Début juin, le procureur de la Cour de cassation Bekir Şahin a soumis à la Cour constitutionnelle turque une nouvelle demande de fermeture de ce parti, dont une première mouture avait été rejetée fin mars pour «vice de procédure». Le 21 juin, la Cour constitutionnelle a accepté d'ouvrir une procédure d’examen. Le document accuse le HDP d’«atteinte à l’unité de la Nation et [d’]activités terroristes», des thèmes régulièrement agités par le pouvoir, qui n’a cessé d’accuser le HDP de liens avec la guérilla kurde du PKK. «Chacun doit se rendre compte que le procureur de ce procès, c'est le gouvernement lui-même», a réagi le coprésident du HDP, Mithat Sancar. Pour éviter que le HDP, comme l’avaient fait en leur temps la dizaine de partis «pro-kurdes» interdits en Turquie depuis 1993, ne se reconstitue sous un autre nom, le procureur a pris soin de demander la saisie des avoirs du parti et l'exclusion de 451 de ses membres dirigeants pour cinq ans de toute activité politique… Ceci démontre clairement qu’il s’agit d’un procès politique visant à empêcher l’alliance kurdo-progressiste en Turquie d’interdire la réélection du président en 2023 (AFP).
Pour appuyer les futures interdictions d’activités politiques, le pouvoir continue d’instrumentaliser l’appareil judiciaire. De nouvelles procédures pénales ont été lancées contre plusieurs membres du HDP, dont l'ancien député Sırrı Süreyya Önder. En début de mois, un procureur a requis cinq ans de prison contre la coprésidente du «Congrès pour une la société démocratique» (DTK), Leyla Güven, pour avoir mentionné le leader kurde emprisonné Abdullah Öcalan en l'appelant «Monsieur Öcalan». La police a aussi arrêté l'ancien co-maire de la municipalité métropolitaine de Van, Mustafa Avci, déjà démis et remplacé par un administrateur en août 2019. La semaine suivante, une cour d'appel a confirmé la condamnation de Güven à 22 ans et trois mois de prison pour «appartenance à une organisation terroriste» et «propagande». À Urfa, Sevda Çelik Özbingöl, l’avocate qui avait représenté les victimes de l’attentat de Daech à Suruç en juillet 2015,qui avait fait une trentaine de morts, a été condamnée à 11 ans de prison. Par ailleurs, 24 personnes, pour la plupart des membres du HDP, ont été arrêtées: quatre à Cizre, cinq à Van, neuf à Diyarbakir, quatre à Hakkari et deux à Istanbul. Enfin, le «procès Kobanê», visant 108 membres du HDP, s’est également poursuivi. Durant sa troisième audience, qui a pris place le 14, plusieurs des prévenus incarcérés ont accusé les responsables pénitentiaires de harcèlement et de mauvais traitements. Le lendemain, des centaines de mandats d'arrêt ont été lancés contre des membres du HDP, dont 105 à Diyarbakir.
C’est dans ce contexte extrêmement tendu, et après des mois de discours de haine anti-kurde et anti-HDP tenus par de nombreux responsables au pouvoir, à commencer par M. Erdoğan lui-même, qu’un homme armé membre de la milice fasciste des Loups gris, Onur Gencer, a attaqué le 17 le local du parti à Izmir. Après avoir ouvert la porte avec son fusil, il a tiré 35 balles dans le bureau, tuant une jeune militante du HDP, Deniz Poyraz, âgée de 40 ans, qui était en train de prendre son petit déjeuner. La jeune femme, qui devait se marier prochainement, était venue pour nettoyer le local en remplacement de sa mère, retenue par une petite opération chirurgicale.
Le député HDP Murat Çepni a déclaré à Bianet qu’il ne s’agissait pas de la première attaque contre le bureau d’Izmir, et que depuis des mois, le gouvernement avait organisé des provocations devant les locaux du HDP: «Il y a eu plusieurs tentatives de provocations. L'attaque s’est produite alors que le bâtiment du parti se trouve en face du poste de police […] C'est une attaque organisée». Le HDP a indiqué dans une déclaration qu’«aucune intervention» n'avait été faite contre l'assaillant qui avait eu tout le temps pour ouvrir le feu et tenter d’incendier le bâtiment. Les porte-parole du HDP pour les affaires étrangères, Feleknas Uca et Hişyar Özsoy, ont confirmé ce point dans leur propre communiqué: «Depuis environ un mois, la police a mis en place un point de contrôle devant le bâtiment du parti, suite à la présence permanente d’une famille qui monte la garde devant le bâtiment pour protester, alléguant que leur enfant a été emmené dans les montagnes par le PKK. Les responsables de notre parti à İzmir avaient parlé avec les responsables de la police et le gouvernorat concernant les risques de provocation, mais sans résultats. Il est également important de préciser que cette attaque, comme les précédentes, s'est déroulée sous les yeux de la police sans aucune intervention ni prévention. Notre bâtiment a été bloqué par la police juste après l'incident et celle-ci en a interdit l’accès aux responsables du parti ainsi qu’à la mère de Deniz Poyraz. Ce n'est pas la première fois que nos bureaux sont attaqués. Juste après les élections générales de juin 2015, puis à nouveau en 2016, des centaines de nos bureaux, dont notre siège à Ankara, avaient été attaqués par des foules racistes, et beaucoup avaient été incendiés. Ces attaques également s’étaient produites en pleine connaissance de la police et du ministère de l'Intérieur, qui n'avaient pris aucune mesure pour les empêcher ou poursuivre leurs auteurs. Tout au long de ces attaques, toutes nos tentatives de communication avec les représentants de l'État et du gouvernement sont restées sans réponse. Jusqu'à présent, aucun auteur n'a été traduit en justice […]. Cette dernière attaque meurtrière, dans laquelle une jeune femme a été assassinée, est le résultat de la politique de criminalisation du gouvernement contre le HDP. Ce n'est pas une coïncidence si l'attaque a eu lieu alors que le procès ‘‘Kobanê’’ se poursuit et que le HDP est menacé de fermeture» (HDP Europe).
La personnalité de l’assassin est révélatrice: Gencer avait participé comme paramilitaire à l’invasion du Rojava en 2019 et avait publié sur Instagram des photos le montrant vêtu d’un uniforme, portant une arme, et faisant de la main le signe fasciste des «Loups gris» (WKI). Loin d’être isolé, il démontre concrètement la présence au cœur de l’«État profond» turc (derin devlet) de la mouvance fasciste et ultra-nationaliste.
La sœur de la victime a témoigné de l’attitude scandaleuse de la police, qui non seulement a laissé le champ libre au meurtrier, mais a ensuite adopté à son égard une attitude quasiment amicale: «Il a fait feu 35 fois, mais la police n'a rien fait. [Les policiers] ont empêché d’entrer ceux qui avaient entendu les tirs, en disant: ‘‘Il y a un conflit à l'intérieur, nous attendons les gilets pare-balles’’. Ils ont juste attendu là». [Quand le meurtrier est descendu], ils ne l’ont pas menotté. Ils l'ont emmené, lui ont pris le bras et lui ont demandé: ‘‘Quel est ton nom, frère, où habites-tu ?’’ Tous les jours, notre maison est perquisitionnée sans raison. On nous menotte dans le dos, on nous oblige à nous allonger sur le sol et on nous place en garde à vue. Mais ils n'ont même pas menotté celui qui a perpétré un massacre» (Bianet).
Le bilan de l’attaque aurait pu être encore plus grave: selon le co-président du HDP, Mithat Sancar, 40 cadres du parti devaient se réunir dans le bureau d'Izmir, mais la rencontre a été annulée peu avant l'attaque, sans lien avec une quelconque menace (France-24). Il est permis de se demander si l’assassin n’a pas été téléguidé en vue d’attaquer justement ce meeting…
Le 18, les obsèques de Deniz Poyraz se sont déroulées sous surveillance de milliers de policiers. Les autorités ont interdit aux participants toute déclaration politique . Cette obligation de mutisme ne s’est pas étendue au leader du MHP: le 22, Devlet Bahçeli a justifié l’assassinat, accusant la victime d’avoir été membre du PKK. Ses propos ont attiré de nombreuses condamnations. La présidente de l’Association des droits de l’homme (İHD), l’avocate Eren Keskin, a indiqué son intention de déposer plainte pour incitation à la haine: «[Bahçeli] s’en est pris à une personne décédée et a approuvé l’attaque, [incitant] clairement les gens à la haine et à l’animosité. En tant qu’Association des droits de l’homme, nous allons déposer une plainte pénale conformément à l’article 216 du Code pénal turc» .
La semaine suivante, alors que la répression anti-HDP du gouvernement turc reprenait avec notamment trois arrestations de membres du HDP à Beytüşşebap (Şırnak), quatre personnes qui tentaient de commémorer la mort de Deniz Poyraz ont été placées en garde à vue. Parallèlement, l'armée a lancé une opération dans le district de Hizan (Bitlis) (WKI).
Parallèlement, la langue kurde continue à être victime de nombreuses discriminations. En 2020, une représentation théâtrale de la pièce de l’auteur italien Dario Fo Klaxon, trompettes... et pétarades, traduite en kurde sous le titre Bêrû («Sans visage») par l’écrivain Dilawer Zeraq devait être jouée à Istanbul le 14 octobre par la troupe du Teatra Jiyana Nû (TJN, «Théâtre de la Vie Nouvelle»). Elle avait été interdite par le gouverneur du sous-district de Küçükçekmece quelques heures à peine avant la représentation. L’Association des études sur le droit et les médias avait alors contesté l’interdiction devant le tribunal administratif. Le 31 mai dernier, celui-ci a rejeté la demande, argumentant que le TJN est affilié au Centre culturel Mezopotamia (MKM), lui-même «affilié à l'organisation terroriste du PKK». Ainsi, l’interdiction relèverait du «maintien de la sécurité nationale et de la continuité de l'État, comme l'exige la sensibilité de la question» et aurait visé à «prévenir le soutien au terrorisme» en évitant que les revenus générés par la représentation ne puissent être utilisés «dans des activités visant à soutenir l'organisation terroriste séparatiste». L’association, ainsi que l’un des acteurs de la troupe, Ömer Şahin, ont indiqué vouloir aller en appel puis devant la Cour constitutionnelle, et si nécessaire, saisir la Cour européenne des Droits de l’homme (Bianet).
Le mouvement kurde ne reste pas sans réaction face à la discrimination linguistique. Ainsi le HDP et l’Association de recherche sur la langue et les cultures mésopotamiennes (MED-DER) ont coorganisé les 28 et 29 à Diyarbakir un atelier intitulé Dem Dema Parastina Ziman e, «Il est temps de défendre la langue». Ont été discutées la politique d’assimilation de l’État turc et les mesures politiques à prendre pour défendre le kurde. Étaient présents des membres d’associations de défense de la langue et de la culture kurdes et des personnalités politiques comme la députée HDP de Diyarbakir Dersim Dağ, des responsables du Parti communiste du Kurdistan (KKP) et des activistes du Mouvement des femmes libres (TJA). Dans son discours d’ouverture, la co-présidente du MED-DER, Şilan Elmas Kan, a dénoncé la politique linguistique discriminatoire des administrateurs municipaux pro-AKP et plaidé pour la reconnaissance de la langue kurde dans la vie politique et sociale. Le co-président, Rıfat Roni, à peine libéré de la prison de type D de Diyarbakır, transmettant le salut des prisonniers politiques, a rappelé: «La langue maternelle a un rôle déterminant pour la reconnaissance d’une nation. Nous défendrons notre langue et la transmettrons aux générations suivantes». Après les discours, un documentaire sur l’importance de la langue kurde a été projeté .
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C’est le 18 de ce mois que s’est déroulée en Iran une parodie d’ «l’élection présidentielle». Le candidat officiel du régime Ebrahim Raïssi a été, sans surprise, proclamé vainqueur d’un scrutin très largement boycotté par la population. Le nouveau président, qui a été longtemps chef du pouvoir judiciaire, est impliqué dans nombre d’assassinats d’opposants et dans des violations massives des droits d de l’homme. Il figure sur la liste rouge des «criminels» du Département d’Etat américain.
Dès le début du mois, le Centre de coopération des partis politiques du Kurdistan iranien, qui regroupe la plupart des partis kurdes d'opposition d’Iran, avait publié plusieurs déclarations appelant les Kurdes à boycotter le scrutin. L’une d’elle disait: «Voter pour le régime, c'est voter pour la terreur et les massacres» (WKI). Quelques jours avant la mascarade de vote organisée par le régime, la chaîne kurde d’Irak Rûdaw notait le désintérêt et même l’apathie des habitants du Kurdistan d’Iran. Au-delà même des consignes politiques des partis, la majorité des Kurdes d’Iran a perdu tout espoir qu’une élection puisse apporter un quelconque changement. L’expérience de toutes les promesses précédentes, jamais honorées, les a tenus écartés des urnes. Lors des élections précédentes, beaucoup avaient voté pour le camp réformateur, essentiellement pour faire barrage aux conservateurs. Mais parmi eux, un grand nombre a cette fois perdu tout intérêt, comme cet enseignant à la retraite obligé de conduire un taxi pour survivre, qui déclarait: «Pendant des années, j'ai participé aux élections dans l'espoir d'un changement, mais la situation empire chaque année». Comme lui, nombreux sont ceux qui, confrontés à la situation économique catastrophique, avec une inflation, un chômage et une pauvreté de plus en plus élevés, et aux promesses vides, ont décidé de ne pas voter.
Même les menaces de poursuites proférées par les autorités à l’encontre de ceux qui encouragent le boycott n’y ont rien fait. Le mois dernier, plus de 230 militants de premier plan ont signé une lettre ouverte appelant au boycott des élections, déclarant que leur objectif était d'assurer «une transition non violente de la République islamique vers le pouvoir au peuple». Sur les réseaux sociaux, de nombreuses vidéos ont été diffusées à visage découvert par des Iraniens ordinaires, et notamment des proches de personnes tuées dans la répression de ces dernières années. L’appel était à chaque fois le même: «Ne votez pas». Une mère dont le fils avait été tué d’une balle en plein cœur lors des manifestations de novembre 2019 a même déclaré dans sa vidéo: «Voter c’est trahir» (New York Times). Enfin, même des personnalités politiques peu suspectes d’opposition au régime ont appelé au boycott. Ainsi de Mir Hossein Moussavi, candidat malheureux à la présidentielle de 2009, mais aussi de son rival de l’époque, Mahmoud Ahmadinejad, qui a déclaré qu’il ne se déplacerait pas! Cent dix personnalités ont annoncé dans un communiqué commun leur refus de participer.
Par ailleurs, le président modéré Hassan Rouhani a énormément déçu. Son échec à améliorer la situation des droits de l’homme durant ses deux mandats, la dégradation de l’économie due en partie aux sanctions américaines, plus l’absence de tout candidat de la même tendance suffisamment crédible pour faire barrage à Raïssi n’ont fait qu’accroître le désenchantement. La corruption est également pointée, comme par ce travailleur journalier de Sanandaj qui déclarait à Rûdaw: «Ceux qui sont candidats à la présidence et aux conseils municipaux [dont les élections se tenaient en même temps] promettent d'abord tout, mais nous avons vu que rien de tout cela ne s'avère vrai. Ils travaillent tous pour remplir leurs propres poches». La perte de confiance envers le régime s’est ainsi en partie étendue aux élus locaux.
Le fait que les Gardiens de la constitution aient cette fois-ci écarté tout candidat réformateur d’importance, mettant fin même à l’apparence de jeu démocratique ayant accompagné les élections précédentes, la rupture croissante entre le régime et ses administrés, leur désintérêt, les appels au boycott de l’opposition et aussi, fait nouveau, d’un grand nombre de personnalités politiques, ajoutés à l’omniprésence de la propagande pour Raïssi dans une élection littéralement verrouillée en sa faveur, tout cela laissait prévoir le résultat obtenu… Le candidat conservateur l’a emporté, certes, mais sa légitimité restera handicapée par un taux officiel d’abstention de 51,2%, le plus élevé depuis la fondation de la République islamique. Et très probablement largement en dessous de la réalité car les observateurs et la plupart des opposants parlent d’un taux de participation inférieur à 25%... En attendant, comme l’écrivait Le Monde le lendemain du scrutin, l’élection de Raïssi est «une très mauvaise nouvelle pour la société civile iranienne».
Raïssi apparaît en effet aux opposants iraniens comme l’incarnation même de la répression. Son bilan en matière de droits de l’homme est effrayant. «Depuis l'âge de 20 ans, il émet des ordres d'exécution et des peines de prison», a déclaré Hadi Ghaemi, directeur du Centre pour les droits de l'homme en Iran, une organisation indépendante basée à New York. En 1988, âgé seulement de 28 ans, il a été membre de la sinistre «Commission de la mort» qui envoya à la potence en secret des milliers, peut-être des dizaines de milliers, de prisonniers politiques. Il a déclaré en 2018 être «fier» de son action d’alors. En 2009, il a fait le choix de la répression des manifestations du «mouvement vert» contre la réélection douteuse de Mahmoud Ahmadinejad. Enfin, après les manifestations de novembre 2019, il a été à la manœuvre comme chef du judiciaire pour distribuer années de prison et pendaisons aux protestataires ayant survécu à la répression sanglante menée par le régime. Selon des groupes de défense des droits de l’homme, au moins 7.000 d’entre eux ont été arrêtés, torturés et condamnés à de lourdes peines de prison par le système judiciaire dirigé par M. Raïssi. Contre les tueries des forces de répression, il n’a lancé aucune investigation, assurant ainsi l’impunité à leurs perpétrateurs. Dénoncé par Amnesty International, il fait partie des personnalités politiques iraniennes auxquelles l’administration Trump a imposé des sanctions ciblées en 2019 (New York Times). Le 3 juin, le Center for Human Rights in Iran (CHRI) a appelé dans un communiqué à une enquête indépendante contre Raïssi pour crimes contre l’humanité. Le 7, l’organisation a appelé l’attention sur la mort en début de mois dans la prison centrale de Téhéran de Sassan Niknafs, incarcéré malgré son état de santé – un décès dont Raïssi, en tant que chef du judiciaire, porte en dernier ressort la responsabilité. Niknafs est le deuxième prisonnier politique au moins en quatre mois à mourir en détention. Ces crimes récents viennent s’ajouter à tous ceux commis par Raïssi depuis des décennies.
Avant cette mascarade de vote, il fallait, encore plus que d’habitude, faire taire toute voix dissidente. Les forces de sécurité s’y sont employées, et notamment au Kurdistan. En début de mois, l’activiste kurde Erfan Saedpanah, disparu depuis deux jours, a été retrouvé mort à Sanandaj. Membre de l’organisation Zagros, il avait dans son dernier post Facebook déclaré vouloir faire des révélations. À Kamyaran, un autre activiste, Haidar Qorbani, a été condamné à 11 ans de prison pour «diffusion de propagande contre l'État». À Mahabad, Farzad Samani, arrêté en janvier dernier, est entré en grève de la faim pour protester contre la sixième prolongation de sa détention par l’Etelaat (Renseignement) (WKI). Dans la semaine précédant l’élection, l’activiste Barzan Mohammadi a été arrêté à Sarvabad par l’Etelaat pour avoir lancé une campagne intitulée «Non à la République islamique» (KMMK). Selon l'organisation Hengaw pour les droits humains, des agents de l’Etelaat se sont fait passer sur les réseaux sociaux pour des militants arrêtés à Sanandaj des mois auparavant afin d’amener d’autres militants à révéler leur identité et leurs activités. Le 17, la militante kurde Soria Haqdost a été arrêtée à Marivan. D’autres activistes ont été arrêtés à Sanandaj, Piranshahr, Naghadeh, Sardasht ou encore à Oshnavieh, et d’autres arrestations ont pris place en fin de mois à Divandara, Oshnavieh et Sanandaj; enfin, un militant de confession yarsan, Kharollah Haqjoian, a été arrêté à Sahneh (Kermanshah) (WKI).
Ce mois encore, de nombreux porteurs kurdes transfrontaliers, ou kolbars, ont aussi été victimes des forces de répression. Deux d’entre eux ont été blessés par des tirs de garde-frontière près de Baneh et Marivan la première semaine du mois. Le 5, un autre a été blessé par des garde-frontière turcs près de Mako, et un quatrième est mort d’une crise cardiaque causée par l’épuisement à Pawa. La semaine précédant l’élection, deux kolbars ont été blessés dans des embuscades séparées des garde-frontière iraniens près de Baneh, et un autre s’est tué en tombant dans un ravin à Nowsud. Le 21, de nouveau près de Mako, ce sont les gardes-frontières turcs qui ont tué un kolbar, tandis que deux autres étaient abattus à Baneh. Enfin, selon le KMMK (Association du Kurdistan pour les droits de l'homme), au Hawraman, un autre kolbar a succombé après quatre jours à ses blessures infligées par des gardes-frontières iraniens. La dernière semaine du mois, trois derniers kolbars ont été blessés, dont encore un au Hawraman, les autres à Sardasht le 23 et à Salas-e Babajani (WKI).
À noter qu’à la 47e session du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, le Secrétaire général Antonio Guterres a présenté son rapport annuel sur les droits de l'homme en République islamique d'Iran (https://undocs.org/A/HRC/47/22). Ce document mentionne que 60 kolbars ont été assassinés en 2020 et au moins 69 Kurdes exécutés. Par ailleurs, il dénonce «la privation arbitraire de la vie» ayant cours en Iran, «notamment par l'imposition de la peine de mort d'une manière violant le droit international […], l'utilisation mortelle de la force par les agents de l'État, et la privation de soins médicaux en détention» (WKI).
Enfin, si l’élection présidentielle a largement détourné l’attention des médias de la situation sanitaire du pays, l’épidémie de COVID-19 continue à progresser. Le 10, le ministère iranien de la Santé a annoncé que l’Iran avait franchi le seuil des trois millions de contaminations, avec à cette date 12.398 nouveaux cas et 153 décès en 24h pour un total officiel de 81.672 décès (Le Figaro), ce qui fait de l’Iran le pays du Proche et du Moyen-Orient le plus touché par la pandémie. Et encore ne s’agit-il là que des chiffres officiels, de l’aveu même de certains responsables sanitaires extrêmement sous-estimés. L’opposition iranienne du CNRI (Conseil national de la résistance), et particulièrement sa composante des Moudjahidine du peuple, qui compilent pour l’épidémie leurs propres chiffres en agglomérant des données publiques régionales, arrivent à des totaux plus de quatre fois plus élevés. Pour le 30 juin, ils ont estimé le nombre de décès dus a coronavirus à plus de 320.000 dans 547 villes du pays… Devant le retard apporté à vacciner les citoyens, le pouvoir en a été réduit à annoncer le 14 avoir approuvé en urgence l’utilisation pour la seconde dose d’un vaccin développé par la «Fondation de l'ordre de l'Imam», le Barekat, n'ayant pas encore obtenu d'autorisation de mise sur le marché.
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La Turquie poursuit son harcèlement du Rojava, tant par des attaques directes que par la rétention d’eau. L’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) a rapporté de nombreux tirs turcs vers les territoires contrôlés par l’Administration autonome du Nord-Est syrien (AANES) ou par le régime, notamment dans la partie Est de la province d’Alep. Le 1er du mois, des tirs de roquettes ont visé plusieurs villages près de Manbij, sans faire de victimes. Des tirs d’artillerie ont frappé le 1 et le 2 des villages du district de Sharra, à l’est d’Afrin. Le 2 juin, un lieutenant de l’armée du régime blessé par des roquettes turques quelques jours plus tôt est mort de ses blessures. Les échanges de tirs se sont poursuivis le 3, avec des destructions d’habitations civiles et des tirs de représailles des FDS sur les positions turques près d’Afrin et sur des véhicules de l’«Armée nationale syrienne» (ANS), malgré son nom, une force mercenaire de la Turquie. Les Turcs auraient eu deux morts et leurs supplétifs de l’ANS de nombreux blessés. L’OSDH a confirmé le 4 la mort d’un soldat et d’un milicien et plusieurs blessés turcs et syriens. Le 5 très tôt, de nombreux tirs d’artillerie turcs sur le village de Kaloutah dans le district de Shirawa (Afrin) ont tué une fillette et blessé son frère et son père. Toujours selon l’OSDH, «les forces turques stationnées à la périphérie des villes de Darat Izza et d’al-Basoutah ont ciblé plusieurs zones sous contrôle kurde dans le nord d'Alep avec plus de 100 obus d'artillerie au cours des 12 dernières heures». Le 6, les roquettes turques ont provoqué d’importants incendies de terres agricoles, notamment près de Tell Rifaat, sans faire de victimes. Cependant, un officier syrien originaire d’al-Qardaha, la ville natale de Bachar el-Assad, a été tué par l'artillerie turque dans le village de Mayyasah (Shirawa), où forces kurdes et de Damas sont déployées (OSDH). Les militaires turcs ont poursuivi les jours suivants leurs tirs de roquettes sur les zones de la province d’Alep tenues par les Kurdes, notamment Deir Gamal, où se trouvent de nombreux déplacés d’Afrin.
Le 10, les Turcs et leurs mercenaires ont de nouveau tiré des roquettes sur les villages environnant Tell Rifaat, blessant trois soldats du régime sur la base aérienne de Minagh, avant de tirer le 12 plus de 180 roquettes sur les positions kurdes, causant des dégâts matériels et blessant un enfant à Aqbiya (OSDH). Les jours suivants, des tirs turcs sur des villages au Sud-Ouest de Girê Spî (Tell Abyad), sous occupation turque, et vers Tell Rifaat et plusieurs zones au nord de Manbij, ont blessé au moins un soldat du régime (WKI).
Le 19, les militaires turcs stationnés à Azaz ont échangé des tirs d’artillerie avec les Kurdes positionnés autour de Tell Rifaat, frappant de nouveau la base de Minagh. Une base turque près d’Al-Bab a aussi été touchée. Les échanges de tirs se sont poursuivis les 20 et 21, accompagnés de tentatives d’attaques turques au sol. Le 22, suite à une avancée des FDS, les tirs turcs ont redoublé d’intensité sur la banlieue de Manbij (OSDH). Les jours suivants, des attaques turques ont aussi visé Girê Spî et la ville chrétienne de Tell Tamer (Hassaké). Le Conseil militaire syriaque, affilié aux FDS, a dénoncé une violation du droit international par la Turquie qui a transféré trois de ses combattants sur son sol pour les y juger (WKI).
La Turquie et ses mercenaires continuent par ailleurs à retenir les eaux de l’Euphrate, ce qui oblige à arrêter les centrales hydroélectriques et cause de graves pénuries d’électricité. La Turquie utilise aussi son contrôle sur le haut cours du Khabour, dans la région de Serê Kaniye (Ras al-Aïn), pour assoiffer l’aval, en Jéziré (RojInfo): à Tell Tamer, les mercenaires pro-turcs ont commencé à creuser des tunnels et ériger des barrages sur le Khabour (OSDH). Détourner ou bloquer cette rivière leur permettrait de priver d’eau toute la région de la Jéziré, dont la riche agriculture dépend presque totalement de l’irrigation. La situation a mené plusieurs responsables de l’ONU à exprimer leur inquiétude. En pleine période de COVID-19, l’AANES a indiqué que la pénurie d'eau en cours créait une crise humanitaire et facilitait la propagation des maladies dans la région (WKI).
Parallèlement, dans la région d’Afrin, occupée par les Turcs et leurs mercenaires djihadistes depuis mars 2018, les opérations de nettoyage ethnique se poursuivent. Selon un rapport récent du Rojava Center for Strategic Studies (RCSS) (->), la campagne de déplacements forcés menée par la Turquie à Afrin a réduit la population d’origine du territoire de 75%, et les mercenaires pro-turcs et leurs familles représentent maintenant 65% minimum de la population. Par ailleurs, au moins 7.500 Palestiniens ont été installés sur des terres kurdes spécialement confisquées. Le Washington Kurdish Institute estime quant à lui que la population kurde d'Afrin, estimée avant l’invasion turque à 95% de la population totale, est maintenant tombée à environ 40%.
Parmi les agents du nettoyage ethnique, le site RojInfo a notamment pointé l’association turque des «Mains blanches» (Beyaz Eller), affiliée aux Frères musulmans, qui travaille, dans le cadre du projet Nur al-Huda, à la construction de mosquées dans la plupart des villages situés dans des zones occupées, et en particulier des villages yézidis d’Afrin. La conversion forcée accompagne donc la spoliation foncière caractéristique d’opérations de colonisation qu’on aurait pu croire d’un autre temps… L’Organisation des droits humains d’Afrin a aussi fait état de la construction par l’organisation Sham Charity d’une nouvelle implantation de colonisation dans le district Sherawa d’Afrin, devant accueillir les familles de mercenaires syriens venus d’autres régions, un projet parrainé par le Croissant Rouge qatari. C’est la quatrième implantation de ce type. «Un autre complexe de colonies a été construit dans le village yézidi de Shadireh, toujours dans le district de Sherawa, par les associations Mains Blanches et Vivre dans la Dignité, avec le soutien et le financement de l’organisation dite Peuple de Palestine 48», indique RojInfo. La Turquie bénéficie non seulement du soutien financier des Pays du Golfe, mais aussi probablement des fonds de l’Union européenne destinés à l’aide à la réinstallation des réfugiés! L’OSDH a aussi rapporté que les factions Furqat al-Hamza («Division Hamza», connue pour avoir envoyé des combattants en Libye) et Faylaq as-Sham avaient confisqué de nouvelles terres kurdes à Afrin.
Enfin, le RCSS note que, pour isoler les Kurdes de Syrie de ceux de Turquie, l’État turc reprend à son compte le vieux projet de «ceinture arabe» du Ba’th syrien, à un détail près: il s’agit cette fois d’une «ceinture turkmène», entamée côté syrien de la frontière. Comme le relève le RCSS, la Turquie d’Erdoğan reprend là une tradition ottomane de renforcement des frontières…
Parallèlement, le harcèlement des civils kurdes pour les chasser des régions occupées s’est poursuivi. En milieu de mois, l’OSDH a rapporté que des officiers du MIT et des mercenaires syriens ont arrêté quatre Kurdes, dont une femme et deux enfants, dans la région d'Afrin. Par ailleurs, deux groupes de mercenaires pro-turcs se sont de nouveau affrontés, , cette fois-ci les factions Suqur al-Shamal et Jaysh al-Nukhba («Armée d’élite», ancienne Jaysh al-Tahrir, «Armée de la libération»), fort probablement comme toujours pour le contrôle des ressources pillées aux habitants.
Le 12, une série de frappes d’artillerie sur l’hôpital d'al-Shifaa, dans la région d'Afrin, a fait 18 morts dont 14 civils, un bilan monté rapidement à 21 morts et 23 blessés, parmi lesquels quatre travailleurs de santé, au moins deux femmes et deux enfants et un commandant rebelle. «Les tirs ont visé plusieurs quartiers de la ville et ont touché l'hôpital», a indiqué à l'AFP le directeur de l’OSDH. Ankara en a immédiatement accusé les YPG (Unités de protection du peuple, affiliées au PYD, Parti de l’unité populaire, composante principale des Forces démocratiques syriennes). Les FDS comme les YPG ont nié toute implication, le commandant des FDS, Mazloum Abdi (Mazloum Kobanê), ayant posté sur Twitter un message déclarant: «Les FDS démentent catégoriquement être responsables ou impliquées dans l'attaque tragique de l’hôpital d'Afrin. Nous sommes profondément attristés par la perte de vies innocentes et nous condamnons l'attaque sans réserve. Cibler des hôpitaux est une violation du droit international». Le Washington Kurdish Institute, reprenant semble-t-il un communiqué d’un analyste du Middle East Institute, Charles Lister, notait quant à lui que les preuves disponibles incriminaient plutôt le régime de Damas, celui-ci ayant déjà ciblé à plusieurs reprises des hôpitaux depuis le début de la guerre civile syrienne. Le 15, Afrin a de nouveau été touchée, cette fois par un attentat à la voiture piégée qui a fait deux victimes et quatre blessés, puis un nouvel attentat du même type s’est de nouveau produit le 26 quand une voiture piégée a explosé à l’entrée de la ville, tuant trois personnes dont un enfant et en blessant plusieurs autres (Kurdistan-24).
Les tensions continuent aussi à être élevées avec Damas. À Manbij et dans les villages environnants, les 31 mai et 1er juin, des manifestations ont éclaté contre la conscription imposée par l’AANES au sein des forces du Conseil militaire de Manbij, affilié aux FDS. Des agents de Damas ont clairement joué un rôle de provocateurs, en poussant les protestataires à s’en prendre aux bâtiments de l’administration autonome. Le Conseil militaire, dénonçant des «attaques» contre des locaux des forces de l'ordre, a pointé du doigt des acteurs cherchant à «pousser la région vers le chaos, […] [en prenant] prétexte de l’enrôlement dans l'auto-défense», alors que celle-ci «est en vigueur depuis sept ans sans aucun problème» (AFP). La mort d’un premier manifestant, tué par les tirs des forces de sécurité, a provoqué de nouvelles protestations. Après avoir fourni un premier bilan de quatre morts, l’OSDH a rapporté que «six manifestants ont été tués en 48 heures par des tirs des forces de sécurité [...] durant des manifestations organisées contre la conscription obligatoire» (AFP). Pour désamorcer la situation, une rencontre a eu lieu entre responsables locaux et chefs de tribus arabes de la région (WKI). La conscription a finalement été suspendue le 2 pour discussions. Le communiqué du Conseil militaire a aussi annoncé la libération de manifestants arrêtés et la création d'une commission pour enquêter sur les violences des jours précédents. Depuis fin 2019, suite à un accord entre Damas et l’AANES, alors confrontée à une attaque turque, des soldats du régime sont stationnés à Manbij, et Damas cherche clairement à reprendre pied dans le Nord, qu’il avait dû quitter en 2012 (AFP).
Lorsque les tensions ont commencé à monter à Manbij, le régime a exprimé son hostilité envers les Kurdes en s’en prenant aux habitants d’Alep, que les miliciens Shabiha pro-Damas ont commencé à harceler aux points de contrôle séparant les zones tenues par le régime des quartiers contrôlés par les FDS. Durant la première semaine du mois, plus d’une quinzaine d’habitants des quartiers d’Ashrafieh et Cheikh Maqsoud, en majorité des femmes et de jeunes gens, ont même été arrêtés. Les milices pro-iraniennes, notamment la «Brigade Al-Baqer», se sont montrées particulièrement brutales, et des informations ont même émergé concernant la mort sous la torture d’un des civils appréhendés. La dernière semaine du mois, à Raqqa, la 4e division de l’armée du régime a empêché les Kurdes de franchir ses postes de contrôle depuis et vers les zones tenues par les FDS, forçant notamment une vingtaine de passagers kurdes à descendre de cars se rendant à Damas (OSDH).
L’organisation djihadiste Daech demeure toujours un danger, particulièrement dans le désert de Badiya as-Sham, ainsi que dans la province de Deir Ezzor, où 23 soldats syriens ont été tués début juin. Avec le soutien de la coalition internationale, les FDS poursuivent régulièrement contre elle leurs opérations militaires dans cette province, et ont pu y arrêter quatre membres de cellules djihadistes. Des points de contrôle ont été établis à Diban et Tayyana afin de gêner les déplacements des terroristes. Les FDS ont annoncé en milieu de mois avoir capturé à Busayrah (Deir Ezzor) 17 terroristes le 22 juin lors de raids. Par ailleurs, quatre djihadistes responsables de plusieurs assassinats ont été arrêtés dans le camp d’Al-Hol. Le 28, les djihadistes ont lancé des tirs contre une base des FDS située près du champ pétrolier d’al-Omar, à l’est de Mayadin (Deir Ezzor), causant des dégâts matériels, tandis que les FDS annonçaient avoir arrêté 22 djihadistes à Basirah (Deir Ezzor) (WKI).
Le 27, le commandant des FDS, Mazloum Kobanê, a de nouveau interpellé sur Twitter la communauté internationale à propos des proches de djihadistes: «Pour assurer une victoire durable [sur Daech], nous ne devons pas oublier que des dizaines de milliers de femmes, d'enfants et de combattants demeurent dans les camps de déplacés et les centres de détention [...]. Nous appelons la Coalition à aider au retour de ces personnes dans leur pays d'origine, à financer des programmes d'éducation et de déradicalisation, et à soutenir la stabilité et une forte reprise économique dans les zones libérées afin de s'attaquer aux causes profondes de l'extrémisme» (Twitter).
Malheureusement, la plupart des pays concernés sont toujours aussi réticents à récupérer leurs ressortissants. Lorsque l’AANES a remis le 5 quatre Néerlandais proches de combattants de Daech, une femme et ses deux enfrants, ainsi qu’une adolescente de 12 ans, à une délégation diplomatique venue les rapatrier pour raison humanitaire, l’événement a déclenché des critiques aux Pays-Bas et divisé le gouvernement démissionnaire. L’un des membres de la délégation, l’envoyé spécial des Pays-Bas en Syrie, Emiel de Bont, a indiqué que cette «mission consulaire très spécifique» résultait de jugements de «la Cour de Justice néerlandaise» [s’appliquant] dans ces cas précis» (AFP). Cependant, les appels à mettre fin à cette situation de «Guantanamo de l’Europe», comme l’appelle l’ONG Rights and Security International, se multiplient. Notamment l’Unicef, le Comité international de la Croix-Rouge et la Haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, Michelle Bachelet ont appelé au rapatriement des enfants détenus dans leur intérêt supérieur. En France, quelque 110 personnalités, artistes, médecins, universitaires ou magistrats ont publié le 18 dans Le Monde une tribune appelant au rapatriement des enfants français et de leurs mères détenus depuis plus de deux ans dans des conditions désastreuses (Le Monde).
Enfin, concernant les relations internationales, une délégation de l’AANES a été reçue le 9 par le président de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, Jean-Louis Bourlanges. Outre le représentant du Rojava en France, Khaled Issa, elle comprenait le co-président du conseil exécutif de l’AANES, Hamdan al-Abd, la co-présidente du Conseil civil de Raqqa, Leyla Mustefa, la coprésidente de l’université du Rojava, Gulistan Sido. Selon Al-Abd, la délégation a demandé le soutien de la France sur plusieurs points: l’implication de l’AANES dans le processus politique et la rédaction de la future constitution syrienne, conformément à la résolution 2254 du Conseil de sécurité; «un soutien international pour la reconstruction et la mise en place de projets de développement pour éliminer le chômage et fournir un soutien humanitaire aux camps de réfugiés dans le nord-est de la Syrie», ainsi qu’un soutien aux secteurs de l’éducation et de la santé (Kurdistan au Féminin). Interviewée dans Le Monde, Leyla Mustefa a quant à elle déploré le soutien «presque insignifiant» apporté par la coalition internationale à la reconstruction de la ville: «Les infrastructures vitales, comme les réseaux d’adduction d’eau et d’électricité, ont été annihilées. Pour rendre la ville habitable de nouveau, nous avons bénéficié d’un soutien minimal de la coalition internationale, presque insignifiant cependant au regard des destructions. Il a donc fallu que les nouvelles autorités locales et les habitants prennent en main eux-mêmes l’effort de reconstruction, rue par rue. Aujourd’hui, la vie est de retour à Rakka, avec de nouveaux habitants venus des zones contrôlées par le régime et des régions occupées par la Turquie et ses mercenaires. […] Lorsque nos fils et nos filles combattaient pour reprendre Rakka à l’EI, nous étions le centre de l’attention internationale. Mais [maintenant] nous nous retrouvons pratiquement seuls. Cette situation est liée à la position de la Turquie que les pays occidentaux ne veulent pas se mettre tout à fait à dos».
En fin de mois, le Secrétaire d'Etat américain Antony Blinken a annoncé depuis l’Italie une aide humanitaire supplémentaire de 436 millions de dollars aux Syriens vulnérables en Syrie et dans les pays voisins. Elle servira notamment à combattre le COVID-19 et assurer l'accès à «la nourriture, l'eau potable, les abris, les soins de santé, la nutrition, la protection et l'éducation».
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Les opérations militaires turques dans la Région du Kurdistan d’Irak se font de plus en plus insupportables, pour les habitants comme pour le Gouvernement régional (GRK). Depuis le 23 avril, l’armée turque, accompagnée de ses mercenaires djihadistes syriens, lance attaque sur attaque dans la Région. L’objectif officiel, combattre la guérilla du PKK, ne convainc guère les Kurdes de la région, qui craignent comme au Rojava une occupation turque permanente. Il est vrai que la ligne «néo-ottomane» d’Erdoğan s’accommoderait très bien d’une «reconquête» du Vilayet de Mossoul, qui historiquement incluait non seulement l’actuelle province de Ninive (capitale Mossoul), mais aussi l’ensemble de la Région du Kurdistan d’Irak actuelle! L’armée d’Ankara, qui opère dans les régions de Metîna, Zap et Avashîn et dans les zones frontalières de la province kurde de Dohouk, a installé dans la région du Kurdistan au moins quatre nouvelles bases militaires, pour un total maintenant de près de quarante.
Non seulement les frappes des avions ou drones turcs causent des dégâts matériels, provoquent des incendies de terres agricoles et de forêts et ont obligé les résidents de centaines de villages à quitter leurs habitations (selon le ministère irakien des Déplacés, 300 familles, soit environ 1.500 personnes, ont fui leurs villages), mais les militaires d’Ankara ont commencé à se livrer à des activités qui ne peuvent être décrites que comme du pillage, en abattant et en emmenant en Turquie des arbres pour les vendre. Le International Crisis Group a compté en mai 2021 plus de 40 civils tués dans la région du Kurdistan depuis 2015 en raison du conflit Turquie-PKK. Par ailleurs, selon la direction de la police forestière et de l'environnement du Kurdistan, les bombardements turcs ont provoqué l’incendie de plus de 400 ha (4.000 donums) de terres et d'espaces verts dans la province de Duhok depuis le début de l'année…
Courant mai, plusieurs rapports ont donc fait état d'une déforestation à grande échelle par la Turquie dans la province de Dohouk. Selon des témoignages locaux, les militaires turcs abattent les arbres pour construire des routes dans les endroits où ils doivent opérer. Mais d’autres témoins ajoutent que les arbres sont emmenés de l'autre côté de la frontière pour être vendus. Le 7 juin, la chaîne kurde NRT a publié une vidéo montrant un camion rempli de troncs descendant une route de montagne, présenté comme emmenant ceux-ci vers la Turquie (WKI). Les réclamations du Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) à ce propos n’ont semble-t-il guère eu d’effet. Le 31 mai, le GRK avait demandé à la Turquie en des termes inhabituellement forts de cesser ses activités «inacceptables» de déforestation, et l’annonçait officiellement en un communiqué se lisant ainsi: «Le Gouvernement régional du Kurdistan exprime sa préoccupation et son mécontentement face à la déforestation du gouvernement turc et aux dommages causés à l'environnement de la région du Kurdistan, et il a officiellement averti la Turquie de cesser la déforestation dans les zones frontalières, ce qui est inacceptable».
Par ailleurs, le «dépaysement» du conflit Ankara-PKK sur le territoire du GRK a entrainé dans son sillage une forte augmentation de la tension intra-kurde, particulièrement entre PDK et PKK. Le 5, les peshmerga ont accusé le PKK d’une attaque contre l'un de leurs convois se rendant à Metîna qui a fait cinq morts et sept blessés. L’attaque s’est produite non loin de la ville d’Amêdî, avec des armes lourdes et légères. Le GRK a publié un communiqué renvoyant dos à dos les adversaires: «Le ministère des Peshmerga exige une action immédiate du gouvernement fédéral irakien pour mettre fin aux opérations militaires turques en cours dans la région du Kurdistan», tout en demandant au PKK de «porter son combat ailleurs, loin des foyers kurdes et de la région du Kurdistan» (Reuters). Les Forces de défense du peuple (HPG), la branche armée du PKK, ont pour leur part accusé dans un communiqué les peshmergas d'être «entrés dans une zone de conflit à Metina» entre le PKK et l'armée turque «qui veut occuper le Kurdistan» irakien. «Ces mouvements de peshmerga sont un coup de couteau dans le dos du PKK et nous refusons leur entrée dans une zone sous notre contrôle» (AFP). Le 8, des assaillants non identifiés ont tué un autre peshmerga près de Zakho. Suite à ces incidents, une commission d’enquête conjointe entre parlement du Kurdistan et parlement fédéral doit se rendre sur place (WKI). Selon le maire de la commune, Adib Jaafar, cependant, «un peshmerga a été tué par des tirs du PKK alors que les peshmergas et les garde-frontières irakiens patrouillaient dans la zone de Darkar», frontalière de la Turquie (AFP).
Parallèlement, l’aviation turque a lancé plusieurs frappes sur le camp de Makhmour, à 180 km au sud de la frontière turque, dans la province de Ninive. Makhmour héberge des milliers de Kurdes de Turquie réfugiés en Irak depuis les années 90. Le 2, le président turc a réitéré des menaces déjà proférées contre le camp, accusé de servir de sanctuaire aux militants du PKK, et a indiqué que la Turquie pourrait «nettoyer» Makhmour si l’Irak ou l’ONU s’en montraient incapables: «Si les Nations unies ne nettoient pas cet endroit, alors nous nous en chargerons en tant que membre des Nations unies». Le 5, une frappe de drone a tué au moins trois personnes dans le camp, toutes civiles. Ankara n’a tenu aucun compte de l’avertissement lancé la veille par l’ambassadrice des États-Unis à l’ONU, Linda Thomas-Greenfield, qui a «tweeté»: «Hier, j'ai clairement indiqué aux responsables turcs que toute attaque visant les civils du camp de réfugiés de Makhmour constituerait une violation du droit international et humanitaire […]». Selon Rachad Galali, député kurde originaire de Makhmour, le drone a visé «un jardin d'enfants près d'une école», et «Trois civils ont été tués et deux blessés» (AFP). Le lendemain, le président turc a annoncé l’élimination du responsable du PKK à Makhmour, Selman Bozkir, de son nom de guerre «Doktor Hüseyin».
La semaine suivante, l’armée turque a effectué de nouvelles frappes au Kurdistan, tandis que des affrontements au sol se produisaient entre militaires turcs et combattants du PKK près d'Avashin. En revanche, suite aux appels de plusieurs commandants de peshmerga, de personnalités politiques kurdes et d’artistes qui ont fait valoir qu’un conflit intra-kurde laisserait les mains libres à la Turquie pour s'emparer de territoires supplémentaires et étendre ses opérations militaires dans la région, les tensions entre Parti démocratique du Kurdistan (PDK) et PKK ont quelque peu diminué . Le 15, le porte-parole du GRK, Jutyar Adil, a déclaré que celui-ci ne souhaitait pas la guerre avec le PKK: «Nous ne voulons en aucun cas d’une guerre intra-kurde […]», a-t-il indiqué sur Rûdaw. Le PKK a fait des déclarations similaires. Un haut dirigeant du PKK, Murat Karayilan, a averti que la Turquie ne souhaitait rien davantage que de voir PDK et PKK se tourner l’un contre l’autre. Adil a indiqué qu’une des craintes du GRK est que la Région du Kurdistan ne se trouve affaiblie par un tel conflit: «Nous pensons que la présence de cette force [du PKK] sert d'excuse à l'armée turque, et l’objectif principal de celle-ci est à notre avis d'affaiblir la Région du Kurdistan en tant qu'entité», a-t-il ajouté. «La cause du PKK n'est pas dans la région du Kurdistan ou en Irak. Elle se situe en Turquie. Leur présence ici a une raison politique, et à notre avis, leur politique s’oppose à la région du Kurdistan». De son côté, un membre de la direction du KCK (Union des communautés du Kurdistan, un groupe incluant le PKK), Zubeyir Aydar, a déclaré dans une interview à Rûdaw, que le PKK appartient à la Région du Kurdistan, affirmant que les Kurdes ne devraient pas se définir par les frontières internationales qui leur sont imposées: «Le PKK n'est pas une force étrangère, mais une force kurde (kurdistanî)», a-t-il déclaré, ajoutant que le PKK respecte les réalisations et les institutions de la Région du Kurdistan et «veut les protéger et les développer».
Entre temps, le 11, la Turquie a annoncé sans donner de précisions l’élimination près de Makhmour d’un nouveau cadre du PKK, Hasan Adir, aussi connu comme «Salih Cizre», l’un des responsables du PKK pour la zone de Makhmour. Les précédents laissent penser qu’il s’agit d’une frappe de drone (AFP).
Le 15, le sénateur et ancien secrétaire national du Parti communiste français Pierre Laurent a appelé à la solidarité avec les Kurdes face aux intrusions et bombardements turcs depuis Erbil, où il venait d’arriver avec une délégation d’une centaine de personnalités et militant(e)s de 14 pays européens venus observer les conséquences de l’offensive militaire turque contre le Kurdistan d’Irak (l’Humanité). Cependant, les deux semaines suivantes, les frappes turques se sont poursuivies. Des cibles ont été frappées près de Kanî Masî (province de Dohouk) et dans les sous-districts de Mawat et Halsho (Souleimaniyeh), puis la dernière semaine de juin, près d’Amêdî (Dohouk), causant la mort de bétail et des coupures d’électricité (WKI).
Dans les territoires disputés entre la Région du Kurdistan et le Gouvernement fédéral, Daech a poursuivi ses attaques durant tout le mois. Déjà, fin mai, les forces de sécurité dans la province de Kirkouk avaient été mises en alerte maximale, avec un déploiement massif dans la capitale et les grandes villes. Des perquisitions ont été menées le 1er juin dans cinq quartiers et deux bazars de Kirkouk. La présence de Daech se fait continuellement sentir, par exemple au travers de graffiti djihadistes sur les murs de la ville. Point positif, ce mois a connu la première opération conjointe entre les peshmerga et les forces irakiennes, le 6 à l’Est de Touz Khourmatou. De source sécuritaire, alors que l’aviation irakienne a appuyé l’opération avec cinq frappes, 13 tunnels utilisés par Daech ont été détruits. Le 9, une nouvelle fosse commune a été découverte au Sinjar, contenant les corps de 11 yézidis, hommes et femmes, assassinés par les djihadistes. Ceux-ci ont été transférés à Bagdad pour examen par les médecins légistes (Kurdistan-24). Durant toute la seconde quinzaine du mois, Daech a lancé de nombreuses attaques dans la région de Hawija, au Sud de Kirkouk, au point que le Conseil national de sécurité irakien averti le Premier ministre al-Kadhimi, que Daech était en cours de réimplantation dans le triangle Kirkuk-Mosul-Tikrit (WKI).
Parallèlement, le quotidien des habitants est dominé par le manque de services de base, eau, électricité, ramassage des déchets, qui provoquent régulièrement des manifestations appelant à la démission du gouverneur Rakan Al-Jabouri. Début juin, des dizaines de chauffeurs de taxi ont manifesté contre la pénurie d’essence, et même des non-Kurdes ont indiqué regretter la gestion de l’ancien gouverneur kurde, Najmeddine Karim, démis par Bagdad après le référendum d’indépendance de septembre 2017 et décédé en 2020. En fin de mois, un député de Kirkouk, Jamal Shkur, a indiqué que l’actuel gouverneur de Kirkouk était impliqué dans 62 cas de corruption à propos de son utilisation des fonds publics…
Depuis le retour de la province sous contrôle irakien en octobre 2017, elle est devenue la principale route du trafic de drogue, principalement par les milices pro-iraniennes Hashd al-Shaabi. Le commandant du département de police chargé de la lutte contre ce trafic, Homa Rawouf, a indiqué récemment que 170 personnes avaient été arrêtées en 2021 pour trafic de stupéfiants…
À Sindjar, ces mêmes Hashd al-Shaabi ont menacé de se confronter à l’armée turque si celle-ci tentait d’envahir la ville, comme le menace régulièrement Ankara. Le 14, le ministre de l'Intérieur irakien, Othman al-Ghanimi, a annoncé la formation d'une nouvelle force de police locale de 1.500 Yézidis pour assurer la sécurité de la ville. Plusieurs forces armées sont présentes dans la ville, dont les milices Hashd, des groupes affiliés au PKK, l'armée irakienne et des unités de peshmerga dans la banlieue. L’accord de sécurité conclu entre Bagdad et Erbil le district attend toujours sa mise en œuvre…
Par ailleurs, de nouvelles frappes anti-américaines ont pris place dans la Région du Kurdistan. La nuit du 26, trois drones chargés d'explosifs ont visé le consulat américain d’Erbil, sans l’atteindre. Deux des drones ont touché et endommagé une maison tandis qu'un troisième n'a pas explosé. Ces tentatives, attribuées aux milices pro-iraniennes Hashd al-Shaabi, ont été condamnées par le consulat américain. Depuis le début de l'année, quelque 43 attaques ont visé les intérêts des Etats-Unis dans le pays. Début juin, trois drones avaient déjà visé l'aéroport de Bagdad, où sont aussi déployés des soldats américains, après que cinq roquettes avaient été tirées plus tôt dans la journée sur une base aérienne où opèrent des compagnies américaines (AFP).
Concernant le budget du GRK, l’accord obtenu entre le GRK et le gouvernement fédéral et l’adoption fin mars du budget fédéral n’ont toujours résulté en aucun paiement de la part attribuée au GRK. Une délégation dirigée par le Vice-premier ministre Qubad Talabani est demeurée à Bagdad quatre jours en début de mois pour tenter de finaliser le mécanisme de mise en œuvre du budget. Le 6, le porte-parole du GRK, Jutyar Adil, a déclaré que deux dossiers importants allaient être envoyés à Bagdad dans la semaine, l'un précisant les coûts de production du pétrole produit dans la Région, l'autre concernant les revenus fédéraux non pétroliers». Adil a ajouté qu’il pensait que le budget serait prochainement mis en œuvre, et qu’une partie de l’accord l’avait déjà été. Le retard dans l'exécution du budget continue à causer des retards dans le paiement des salaires des fonctionnaires de la région du Kurdistan (Rûdaw). Au 15 du mois, malgré les discussions précédentes, aucun progrès concret n’avait été enregistré. Cependant, selon un accord Bagdad-Erbil annoncé le 14 par le premier ministre du GRK, les paiements budgétaires au Kurdistan devaient reprendre sous peu et tenir compte des mois écoulés depuis janvier. Le 16, le Conseil des ministres s’est réuni sous la direction du premier ministre Masrour Barzani pour faire le point sur l’état des discussions avec Bagdad. En fonction des prévisions de paiement, il a été décidé que les bureaux gouvernementaux reprendraient des horaires de travail normaux à compter de la semaine suivante.
Par ailleurs, la question du budget du Kurdistan semble être devenue matière à conflit entre différents blocs au parlement de Bagdad, certains d’entre eux s’en servant pour lancer des attaques contre le Premier ministre Al-Kadhimi. Le 25, après que la commission des finances du Parlement a annoncé publiquement son désaccord avec l'envoi de toute somme d'argent à la Région du Kurdistan, Kadhimi est intervenu sur Al-Iraqiyya en déclarant que l’opposition à cet envoi n’était qu’une manigance électorale, et a réaffirmé le droit du Kurdistan à son budget et celui des fonctionnaires du GRK à leur salaire… «Les affirmations des politiciens et bureaucrates irakiens selon lesquelles de l'argent sera envoyé à la région du Kurdistan sans qu'Erbil ne remplisse ses obligations sont fausses», a-t-il précisé (Kurdistan-24).
Enfin, concernant l’épidémie de COVID-19, le 28 juin, le ministre de la Santé irakien a annoncé 6.346 nouveaux cas dans les dernières 24 h. Après un pic en avril, l’épidémie avait connu une certaine décrue en mai et jusqu’à début juin, mais elle semble reprendre avec ce que le ministre a décrit comme une «troisième vague» plus mortelle que les deux premières.
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