Dix-huit mois avant les prochaines présidentielles, l’économie turque poursuit son effondrement, avec un terrible bilan 2021: la livre a perdu 50% de sa valeur face au dollar, l’inflation officielle a atteint 21,4% , mais selon le Groupe de recherche sur l'inflation (ENAGrup), l’indice des prix est réellement à 82,10%, plus du double du chiffre de l’Institut statistique Tüik (WKI), accusé par l’opposition de sous-estimation systématique. Le chef du CHP (opposition kémaliste), Kemal Kilicdaroğlu, s’y est rendu sans succès le 3 pour réclamer «les vrais chiffres». La situation est telle que le responsable des investissements d'UBS a arrêté le 14 de couvrir la paire dollar-livre (Reuters). À Diyarbakir, des milliers de Kurdes ont manifesté le 18 pour protester contre la politique économique d’Erdoğan, qui aggrave partout la pauvreté (WKI).
Ce sont les produits de consommation courante (huile, viande, œufs…) qui ont le plus augmenté, affectant ménages modestes et classe moyenne. Le 6, présentant les calculs du Comité municipal de planification, le maire CHP d’Istanbul, Ekrem Imamoğlu, a indiqué une augmentation moyenne du coût de la vie de 50,18%. Selon le Comité, l’huile de tournesol a pris 137,59%! (Le Monde). Loyers et transports deviennent exorbitants (le carburant a pris 40%). Face aux pénuries qui s’amplifient, les signes de détresse dans la population se multiplient: files d'attente devant boulangeries et stations-service, manifestations spontanées sporadiques, agriculteurs incapables de rembourser leurs prêts, tout comme les entreprises ayant emprunté à l’étranger… De nombreux jeunes quittent le pays. À Istanbul, les queues s’allongent devant les kiosques municipaux vendant à moitié prix le pain subventionné, devenu nourriture de base pour beaucoup. Dans la file, personne ne veut donner son nom aux journalistes étrangers: la moindre critique peut mener au tribunal; pour avoir diffusé des interviews de passants mécontents, plusieurs youtubeurs attendent leur jugement en résidence surveillée, interdits de quitter le pays (Le Monde). Les prisons sont remplies de manifestants arrêtés… Le coût de l’électricité aussi est devenu prohibitif: le 20, un bébé est mort de froid à Diyarbakir après que le distributeur d’électricité DEDAŞ a coupé le courant à la famille faute de paiement.
Si la crise connait des causes structurelles anciennes, le président Erdoğan est le principal responsable de l’effondrement actuel par son insistance à décider seul la politique monétaire et à maintenir des taux d'intérêt bas, suivant les préceptes économiques... du Coran. Ses déclarations télévisées fin novembre ont tellement précipité la chute de la monnaie (–8% quasiment pendant qu’il parlait!) que son ancien Premier ministre Ahmet Davutoğlu lui a twitté: «Pour l'amour de Dieu, taisez-vous!».
Depuis l’instauration en 2018 d’un système présidentiel fort, l’isolement de M. Erdoğan et son refus de toute critique se sont accentués. Sa constante réponse à la crise: autisme et répression. En 2019, il avait limogé un directeur de Banque centrale (pourtant censée décider de la politique monétaire sans interférence du politique) qui refusait d’abaisser le taux d'intérêt de 24 %. C’était le premier de nombreux limogeages… Le dernier en date est celui, le 2 , du ministre des Finances Lütfi Elvan, un économiste chevronné peu favorable aux théories présidentielles, remplacé par Nureddin Nebati, un homme d’affaires AKP adepte du «nouveau modèle économique» (Le Monde) «à la chinoise» prôné par le Président: une monnaie faible dope les exportations, et des taux d'intérêt bas encouragent transactions, emprunts, investissements et embauches. Malheureusement, dans un pays aussi dépendant des importations que la Turquie, les prix des matières premières, pièces automobiles, médicaments, carburant et engrais deviennent prohibitifs; et les investisseurs étrangers, effrayés de l’effondrement de la livre, se retirent en masse. Enfin, plus les taux baissent, plus l'inflation augmente rapidement (NY Times).
Le 20, le Président turc a dû faire des concessions en indexant au dollar certains dépôts bancaires en livres turques (Le Monde). Il a ainsi réussi à faire provisoirement remonter la monnaie de 34%. Mais si l’inflation se poursuit, ce qui plus que probable, l’effet de cette mesure ne durera guère… Par ailleurs, la répression politique exercée par M. Erdoğan commence à s’inviter dans le champ économique: le 3, le Conseil de l’Europe, réuni à Strasbourg, a annoncé l’ouverture d’une rare procédure d’infraction pouvant conduire à des sanctions contre Ankara. Motif: le maintien en détention sans jugement depuis quatre ans d’Osman Kavala, malgré la décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme demandant sa «libération immédiate» depuis décembre 2019 . En tant que membre fondatrice du Conseil de l’Europe, la Turquie pourrait perdre son droit de veto et de vote si elle refuse toujours d’appliquer les jugements de la CEDH.
En quête de liquidités, Erdoğan s’est lancé à l’extérieur dans ce que le périodique en ligne Orient-XXI appelle «Nouvelle Realpolitik», une «quête d’alliances tous azimuts au Proche-Orient, fût-ce au prix d’amers renoncements idéologiques». Les contacts ont repris avec Israël, l’Arabie saoudite, l’Egypte, l’Arménie, les Emirats… Le 24 novembre, ceux-ci ont signé des accords économiques avec Ankara et annoncé 10 milliards de dollars d’investissements dans l’économie turque. En échange, Ankara devrait «calmer» les médias proches des Frères Musulmans installés sur son sol. Autre cible, le marché africain: les 17 et 18, s’est tenu à Istanbul le 3e «Sommet Turquie-Afrique», avec une quarantaine de hauts responsables africains, dont 13 chefs d’État et 2 Premiers ministres. La chose militaire y figurait en bonne place: déjà présente en Libye, la Turquie dispose depuis 2017 d’une base en Somalie, et a signé en 2020 avec le Niger des accords militaires restés secrets prévoyant probablement l’installation d’une base turque. Par ailleurs, les drones turcs se vendent bien… Sur le plan éducatif enfin, Ankara a récupéré après 2016 la gestion d’une centaine d’écoles Gülen, qui concurrencent la France en proposant des formations en anglais.
À l’intérieur, le pouvoir AKP continue à tenter de détourner la colère des citoyens vers les Kurdes et les migrants syriens, contre lesquels les actes d’agressions racistes se sont récemment multipliés.
Ainsi le 20, l’OSDH a révélé que le 16 novembre, trois jeunes Syriens étaient morts dans un incendie raciste à Güzelbahçe (Izmir). Soumis à la censure, les médias n’avaient rien publié. L’agresseur, relâché, avait poignardé deux autres personnes quelques jours plus tard. Le 26, l’OSDH, rapportant une autre affaire, a parlé d’une «vague d’assassinats» visant les migrants syriens en Turquie: le 22, un jeune Syrien ayant voulu s’interposer entre son colocataire et un Turc armé entré dans l'immeuble a été tué. Sur les médias sociaux, les messages appelant à une expulsion massive des Syriens se répandent comme une traînée de poudre.
L’autre bouc émissaire demeure la communauté kurde, soumise à toujours plus de discrimination et de répression, et également victime de nombreuses agressions racistes, dont les auteurs demeurent fréquemment impunis. Ainsi le 3, le sergent Musa Orhan, qui avait kidnappé et violé pendant 20 jours une jeune Kurde de 18 ans, İpek Er, qui s’est ensuite suicidée par balle, a été condamné à Siirt à 10 ans de prison, mais pas même incarcéré! (Duvar) Rapidement relâché en attente de son procès en appel, Orhan a simplement été licencié de l’armée et selon Hürriyet placé sous contrôle judiciaire avec interdiction de quitter le pays durant cette période (Rûdaw).
Le 14, avec l’ouverture du procès de l’assassinat raciste de 7 membres de la famille Dedeoğulları près de Konya le 30 juillet dernier, des éléments accablants ont émergé. Le tueur fasciste, Mehmet Altun, avait abattu les 5 femmes et 2 hommes dans leur maison avant d’incendier celle-ci. L’avocat des survivants, Abdurrahman Karabulut, a dénoncé un meurtre prémédité auquel ont participé des paramilitaires. Une première attaque impliquant 60 agresseurs, dans laquelle 7 membres de la famille avaient été grièvement blessés, avait eu lieu le 12 mai précédent, mais la sécurité locale, le procureur et le juge de paix pénal n’avaient tenu aucun compte des demandes de protection de la famille. Karabulut a déposé plainte contre eux. De plus, bien que plusieurs des attaquants se retrouvent dans les deux affaires, le tribunal a refusé de lier les deux dossiers, et n’a même pas répondu aux demandes de nouvelles arrestations de Karabulut. Des 13 personnes arrêtées après le meurtre, seul Altun est demeuré incarcéré. Le tribunal a également rejeté les demandes de constitution de parties civiles de l’Union des barreaux turcs (TBB) et de l’Association des droits de l’homme (İHD). Enfin, l’assassin, pourtant chômeur, possédait un compte en banque bien garni…
Le 20, une nouvelle attaque raciste s’est produite dans le quartier Türközü d’Ankara, où un groupe de fascistes armés de couteaux et de bâtons ont blessé un jeune Kurde de 17 ans, Volkan Temel, en le menaçant de mort: «Türközü sera le tombeau des sales Kurdes». Là encore, c’est la deuxième attaque contre cette famille. Le frère de Volkan a indiqué qu’au commissariat, les policiers ont refusé de prendre leur plainte, déclarant: «Sortez d’ici, nous ne pouvons pas vous jeter en prison mais nous pouvons dresser un procès-verbal contre vous» (Kurdistan au féminin).
Le 28, un homme armé a attaqué le bâtiment du HDP dans le quartier Bahcelievler d’Istanbul et blessé deux membres qui s’y trouvaient. Selon les médias locaux, l’homme est entré dans le bâtiment en menaçant de tuer les membres qui s’y trouvaient. L’assaillant a été arrêté.
Il faut ajouter à cette liste les atrocités perpétrées dans les prisons turques ce mois-ci qui font l’objet d’un article séparé – et notamment le sort terrible de la jeune prisonnière kurde Garibe Gezer, torturée, violée et assassinée dans la prison pour femmes de Kandıra (Kocaeli).
Parallèlement, la répression politique s’est poursuivie en un cycle ininterrompu d’arrestations, de procès et de condamnations. La 7e audience du «Procès Kobanê» contre 108 membres du HDP s’est ouverte le 5, mais n’a duré que 5 mn suite à l'absence des avocats de la défense, qui avaient refusé de se soumettre aux conditions qui leur étaient imposées. Le 21, à la 8e audience, l'ancien membre du Bureau exécutif du HDP Bülent Parmaksız, accusé de «parler politique» par le Président parce qu’il critiquait la politique économique du gouvernement, a rétorqué: «Cette affaire est une affaire politique. Il n'y a rien à dire ici sur le plan juridique» (Bianet). Intervenant depuis sa cellule, Selahattin Demirtaş a dénoncé les conditions imposées aux avocats de la défense, obligés de se rendre en plein hiver chaque matin à la prison de Sinjan hors d’Ankara. Parallèlement, le gouvernement a entamé une procédure visant à retirer leur immunité parlementaire à 15 nouveaux députés HDP.
Par ailleurs, le 4, la police a perquisitionné le domicile de la Vice-présidente de l’Association des droits humains İHD, Eren Keskin. Le 11, au moins onze membres et sympathisants du HDP ont été arrêtés lors de raids simultanés à Sirnak, Cizre et Silopi. Parallèlement, à Diyarbakir, la coprésidente de l'association de solidarité kurde MEBYA-DER, Yüksel Almas, a été condamnée à dix ans de prison pour «appartenance» au PKK. En novembre, le coprésident masculin de l'association, Şeyhmus Karadağ, avait reçu six ans et trois mois de prison pour avoir demandé des informations sur les personnes tuées dans la répression anti-kurde de 2015.
Par ailleurs, la langue kurde est toujours interdite de fait. Le 5, l’année du 400e anniversaire de la naissance de Molière, le gouverneur de Mardin a interdit la représentation de la version kurde de sa pièce Tartuffe (RojInfo). Serait-ce aussi parce que son personnage principal est un faux religieux hypocrite? Au parlement le 12, en signe de protestation, la députée kurde Feleknas Uca, après avoir prononcé son intervention sur l’éducation en turc, a tenté malgré les hurlements des députés AKP et MHP de la répéter en allemand puis en kurde: «Tout le monde sauf vous est conscient qu’être multiculturel et multilingue ne divise pas mais enrichit un pays», a-t-elle notamment déclaré. «Vous êtes si mal à l’aise avec la langue kurde qu’intervenir au plan national n’était pas suffisant; vous avez fait pression sur le Japon pour qu’il abolisse les cours de kurde qui ont commencé à l’Université de Tokyo. […] Pourquoi avez-vous si peur de la langue kurde ? (Kurdistan au Féminin)
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La situation générale en Syrie est toujours caractérisée par des confrontations multiples entre adversaires locaux et étrangers. L’organisation djihadiste Daech pose toujours un réel défi dans tout le pays, et l’aviation russe l’a frappée à de nombreuses reprises dans le désert syrien. Elle a aussi lancé durant ce mois plus de 40 frappes contre le réduit djihadiste d’Idlib, visant parfois ses soutiens turcs. Le 7 décembre, Israël a bombardé dans le port de Lattaquié un chargement iranien, probablement de l’armement, avant de frapper de nouveau le 28, tuant deux membres d’une milice pro-régime. Au sol, les acteurs internationaux, États-Unis, Russie et Turquie, poursuivent leurs activités militaires, s’opposant parfois localement. À neuf reprises, des convois militaires américains ont été bloqués à des points de contrôle du régime.
Dans le Nord-Est syrien, la Turquie et ses mercenaires ont poursuivi leur harcèlement de l’Administration Autonome (AANES) et ses Forces démocratiques syriennes (FDS). Des accrochages ont pris place tout au long de la ligne de front entre zones d’occupation turque et positions des FDS, notamment près de l'autoroute stratégique M4 (Hasakeh-Alep).
Les bombardements turcs et affrontements avec les FDS ont notamment concerné Ain-Issa, entre Raqqa et Tell Abyad. Le 2, les FDS ont mené une opération d’infiltration contre une base turque près de Tell Tamr et de l’autoroute M4, échangeant des tirs durant plusieurs heures avec la garnison turque avant de se retirer. Les combats ainsi initiés se sont poursuivis plusieurs jours. Le 8, après des tirs de mortier d’origine non précisée sur une base turque près d’Al-Bab, l’armée turque et ses supplétifs ont lancé plus de 30 roquettes sur les zones contrôlées par le Conseil militaire d’Al-Bab (qui cherche à reprendre cette ville sous contrôle turc). Le 13, les factions djihadistes ont lancé une attaque au sol près d’Ain-Issa avec le soutien de l’artillerie turque. Les obus ont endommagé le réseau électrique et privé de courant la ville chrétienne de Tell Tamr, de nouveau atteinte par une coupure le 17 pour la même raison. Plusieurs jours de suite, Turco-djihadistes et FDS ont échangé des tirs nourris de Tell Tamr à Zarkan, à une trentaine de kilomètres à l’est de Serê Kaniyê (Ras al-Aïn). Le 19, selon l’OSDH, un convoi de huit camions militaires du régime ont apporté dans la campagne d'Ain-Issa près de 2.300 mines destinées à barrer la route aux Turco-djihadistes en cas d’attaque sur la M4.
Le 23, l’artillerie turque a fait 3 morts et 9 blessés, dont 3 enfants de 4, 8 et 11 ans grièvement touchés; 3 membres de l’«Armée nationale syrienne» (malgré son nom une milice au service d’Ankara) ont été tués. Après la mort de plusieurs civils, dont une femme et sa très jeune fille, des chefs tribaux et responsables religieux de la Djézireh ont condamné les frappes turques sur Tell Tamr et Zarkan dans une déclaration commune adressée à la Coalition internationale, à la Russie, au Conseil de sécurité et aux organisations de défense des droits humains. Le texte demande aux destinataires d’enquêter sur «les violations sans pitié ni humanité» de l’armée turque, perpétrées «malgré des accords de cessez-le-feu garantis par plusieurs pays» (OSDH).
Le 25, un drone turc a tué 5 membres des «Jeunesses révolutionnaires» dans une maison de Kobanê. Le 27, les habitants de deux villages proches, furieux de cette frappe, ont interdit à coups de pierres le passage à une patrouille russo-turque escortée de deux hélicoptères russes (OSDH). Le 30, les obsèques d’une des victimes se sont transformées en protestation contre l’agression turque. Parallèlement, les Turcs ont bombardé les zones situées entre Tel Rifaat et Cheikh Issa, où sont stationnées les forces russes et celles du régime. Le 26, un drone turc a bombardé un poste militaire du régime à Tel Rifaat. En réponse, celui-ci a frappé une zone résidentielle près de Marea, sans faire de victimes. Le 28, de violents affrontements ont opposé près de Marea «Armée nationale» et forces kurdes.
Le 27 et les jours suivants, des affrontements ont de nouveau opposé les factions pro-turques et le Conseil militaire de Manbij, affilié aux FDS, sur la ligne de front avec la zone d’occupation turque «Bouclier de l’Euphrate». Le 29 au soir, plus de 50 roquettes turques sont tombées près d’Al-Farat, à l’ouest de Manbij, tuant une femme et sa très jeune fille. Le 29, l’armée turque a amené des renforts près de Tell Abyad, avant d’utiliser de nouveau son artillerie contre la route M4 près d’Ain-Issa, sans faire de victimes.
À la frontière syro-turque, les Jandarma («Gendarmes») turcs ont poursuivi leurs exactions. Le 7, ils ont abattu au nord d’Idlib un civil syrien tentant d’entrer en Turquie. Le 20, ils ont battu à mort un autre civil. Le 29, ils ont grièvement blessé par balles près d'Hassakeh un berger gardant des moutons. Selon l’OSDH, ils ont ainsi tué depuis le début de la révolution syrienne 496 personnes, dont 45 femmes et 90 enfants, et seulement en 2021, 35 civils, dont une femme et huit enfants. L’OSDH, qui a publié en ligne (->) un bilan accablant de ces meurtres, a appelé le 22 à la transmission du cas aux tribunaux internationaux.
La Turquie a également poursuivi sa «Guerre de l’eau» contre l’AANES, comme le montrait déjà fin novembre le rapport détaillé de l’ONG néerlandaise Pax for Peace (->). Ces activités délétères visant directement la population civile, coupure du Khabour et rétention des eaux de l’Euphrate, viennent ajouter à la gravité d’une sécheresse qui, encore accentuée par le changement climatique, frappe l’ensemble de la Syrie depuis 15 ans. C’est la région AANES, traditionnel grenier à blé du pays, qui est la plus touchée par le manque de pluies. Certains réservoirs y sont à sec pour la première fois depuis 30 ans, et la production de blé y a été divisée au moins par deux. Dans le contexte d’une grave «crise du pain», le régime, manquant de devises, a stoppé les subventions aux engrais l’été dernier, et Damas et AANES se disputent le blé qui reste. Autre facteur d’aggravation, les sanctions occidentales provoquent pénuries et hausses de prix du carburant utilisé dans les pompes d’irrigation. Enfin, en fin de mois, ce sont paradoxalement des orages et des inondations qui ont frappé Syrie comme Irak, endommageant ou détruisant le 19 dans le Nord-Ouest syrien plus de 1.200 tentes dans des camps de personnes déplacées…
À Afrin et dans les autres zones occupées par les Turcs et leurs mercenaires, les exactions se poursuivent et semblent même s’amplifier, tant elles se suivent à un rythme soutenu… Trop nombreuses pour pouvoir être toutes rapportées, elles comprennent enlèvements déguisés en arrestations, vols de maisons, d’arbres fruitiers, de récoltes et pillage du patrimoine, avec pour but unique l’argent: vente des objets archéologiques, des biens volés, imposition d’amendes ou de taxes (sur les récoltes par exemple), ou tout simplement de rançons pour sauver la vie du proche enlevé. Fréquemment, les personnes ainsi «arrêtées» ne sont accusées de rien de spécifique, même si le motif «relations avec l’ancienne administration» peut être pris comme prétexte. Parfois, une personne dont la famille a déjà payé est «arrêtée» de nouveau, voire à plusieurs reprises, pour extorquer de nouvelles rançons… L’Organisation des droits de l’homme Afrin-Syrie a compté plus de 660 enlèvements en 2021 dans la région d’Afrîn (Rûdaw).
Les destructions d’arbres fruitiers ne se comptent plus et nous n’en rapportons que quelques exemples, dont des informateurs de l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) ont témoigné. Le 1er, la faction Al-Jabha Al-Shamiyah en a abattu des centaines dans le quartier d'Al-Maabatli pour les vendre à Afrin. À Aukan (Bulbul), ce sont 120 oliviers qui ont été abattus… Les voleurs ne sont jamais arrêtés aux points de contrôle des djihadistes soutenus par Ankara. À Serê Kaniyê, dans la zone d’occupation turque «Source de paix», les membres de Ahrar Al-Sharqiyah, Sultan Murad et Division Al-Hamza ont également poursuivi leurs abattages systématiques dans les vergers pour vendre les arbres fruitiers comme bois de chauffage… À Tell Halaf, à 2 km, le Conseil municipal installé par les occupants a fait détruire le 18 une vingtaine de boutiques que les tenanciers refusaient de céder aux combattants pro-turcs.
Le 29, des membres des factions Ahfad Muhammad et Sultan Murad se sont appropriés par la force 20 maisons appartenant à des personnes déplacées à Hassan Dera (Bulbul) et dans Afrîn: elles pourront être ensuite revendues à des déplacés venus d’autres régions…
Reprenant des pratiques apprises de Daech, les factions pillent également les richesses archéologiques des régions qu’ils contrôlent pour revendre leurs trouvailles au marché noir. Ainsi deux sites près des villages de Ma’rata et de Samalka, jadis enregistrés auprès de la Direction syrienne des antiquités, sont-ils maintenant presque détruits par les bulldozers de l’«Armée nationale». À Kali Khariba (Raju), la faction Mohamed Al-Fateh a amené des engins d’excavation et fouille les lieux depuis le 22 novembre, au vu et au su des forces turques.
À tout ceci il faut ajouter les activités de Daech. Dès le 2, l’organisation djihadiste s’est rappelée au souvenir du régime en attaquant un bus transportant des employés du site pétrolier de Kharata (Deir Ezzor), contrôlé par Damas. L’attaque a fait 10 morts et 1 blessé parmi les passagers. Pour financer ses activités, Daech a aussi commencé à racketter les compagnies pétrolières ayant passé un accord d’exploitation avec l’AANES: les djihadistes exigent 20% de la production pour «protéger» leurs employés…
À Al-Busayra, dans la partie de cette province contrôlée par l’AANES, des motocyclistes armés ont attaqué le 6 les bâtiments de l'Assemblée populaire et du Conseil des femmes, et le 10, plusieurs bases des FDS, cette fois aux roquettes antichar. Le 13, une opération conjointe entre les FDS et la Coalition a permis de repérer et d’éliminer près de la ville 5 djihadistes portant des ceintures d’explosifs, dont deux, se déplaçant à moto, ont été tués par des tirs d’hélicoptères (AFP).
Selon l’OSDH, durant l’année 2021, Daech a mené dans le Nord de la Syrie 342 attaques qui ont fait 228 victimes, dont 5 enfants, 9 femmes et 135 membres des forces de sécurité ou des FDS. Inversement, durant la même période, les FDS ont arrêté dans des opérations conjointes avec la coalition 858 djihadistes suspectés, dont 449 ont été plus tard libérés, les autres étant toujours détenus. Selon leurs propres statistiques, les FDS ont en 2021 mené 115 opérations de sécurité ayant permis de faire échouer 16 attaques de grande ampleur, de démanteler 93 cellules dormantes et d’arrêter 802 terroristes (WKI).
Concernant les proches de djihadistes détenus, les rapatriements d’étrangers se poursuivent au compte-gouttes. Le 7, l’AANES a remis aux autorités suisses 2 filles de 9 et 15 ans détenues avec leur mère au camp de Roj. Avec l’accord de leur mère et de son avocate, elles ont rejoint la Suisse en transitant par l’Irak. Le 8, ce sont 100 Irakiens qui ont été rapatriés en Irak. La moitié des quelque 60.000 internés d’Al-Hol sont irakiens (Le Figaro). Dans ce camp, la situation sécuritaire demeure exécrable. Le 15, l’OSDH y a rapporté 3 meurtres en 24 heures, probablement le fait de cellules djihadistes. Le même jour, une détenue française de 28 ans est décédée de son diabète au camp de Roj. Son avocate, Me Marie Dosé, a demandé le rapatriement de sa petite fille de 6 ans, dont le père est mort, et a déclaré vouloir saisir, pour la troisième fois, la Cour de Justice de la République pour «omission de porter secours»: elle avait dès 2019 informé l'Elysée et le Quai d'Orsay de «l'état de santé catastrophique» de cette femme, par de nombreux courriels qui n'ont «jamais reçu aucune réponse». Le 16, le gouvernement a réagi a minima en qualifiant la mort de la détenue de «triste nouvelle»…
Le 31, l’OSDH a calculé qu’en 2021, le nombre de meurtres avait fortement augmenté à Al-Hol par rapport à 2020: 89 cas contre 33. Par ailleurs, 74 enfants y ont été victimes des mauvaises conditions: 41 Irakiens, 23 Syriens, 10 Européens…
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Depuis les élections législatives du 10 octobre, l’Irak attend toujours la formation de son nouveau gouvernement. Début décembre, les différents blocs chiites du parlement de Bagdad ont entamé une nouvelle série de négociations, mais les discussions entre sadristes et partis soutenus par l'Iran, furieux des résultats des élections, s’annonçaient toujours aussi difficiles. Après la confirmation définitive des résultats par la Cour suprême, une délégation sadriste s’est rendue à Erbil pour rencontrer des représentants du Parti Démocratique du Kurdistan (PDK), avec l'Union Patriotique du Kurdistan (UPK) l’un des deux principaux vainqueurs kurdes du scrutin. Pour s’engager à leur tour dans les négociations, PDK et UPK attendent que les blocs chiites parviennent à un accord.
La situation des territoires disputés entre Kurdistan et Bagdad est toujours aussi tendue. Leurs habitants se sentent abandonnés face à Daech, qui profite du vide laissé entre lignes kurdes et irakiennes pour intensifier ses attaques. À l’ouest de Kirkouk, les djihadistes harcèlent la zone chaque nuit, provoquant la fuite de nombreuses familles. Le 5, autorités kurdes et irakiennes ont annoncé des opérations coordonnées pour protéger la zone, et le 6, peshmerga et forces irakiennes sont entrées dans l'un des villages concernés, permettant le retour des familles (RFI). Au-delà de ce cas, les Kurdes réclament une coordination sécuritaire globale avec le retour des peshmerga dans certaines zones. Les accords déjà passés ne sont encore guère appliqués.
L’opposition féroce des milices chiites pro-iraniennes du Hashd al-Shaabi à la présence américaine impacte aussi la lutte anti-Daech. Certains groupes ont déjà attaqué à la roquette ou aux drones les militaires américains ou même l’ambassade. Opérant sous surveillance, la Coalition anti-Daech fait profil bas. Le 9, Qassem al-Aaraji, conseiller à la sécurité nationale, a annoncé qu’elle avait «terminé sa mission de combat» en Irak pour passer à un rôle «de formation et de conseil». Cette transition avait déjà été annoncée cet été par Joe Biden, et les quelque 2.500 militaires américains et le millier de soldats de la coalition déployés en Irak devraient y demeurer (Le Figaro).
Loin d’être terminée, la lutte anti-Daech se poursuit sur tous les fronts. À Khanaqin, face à l’Iran, novembre s’était terminé avec une série d'attaques contre les peshmerga près de Kifri et l’attaque d’un convoi militaire irakien sur la route principale de Qara Tapa, la première depuis 2017. Le 2, les médias ont rapporté l’arrestation le 29 novembre par la Sécurité de Kirkouk dans le district de Taza d’une espionne de Daech, veuve d’un combattant tué à Hawija en 2017. Par ailleurs, la police fédérale a annoncé avoir empêché un attentat et arrêté 5 djihadistes (WKI). Le 2 au soir, les jihadistes ont attaqué le village de Khidir-Jija, au sud d'Erbil, et tué 3 civils et 2 peshmerga. Les renforts envoyés sur place, frappés par une bombe artisanale, ont perdu 7 combattants, et un dernier s’est tué dans un accident, portant le bilan à 13 victimes. Le Premier ministre du Kurdistan Masrour Barzani a demandé à la Coalition et à Bagdad «la fourniture d’armements aux peshmerga car ils défendent la patrie» (AFP). Le lendemain, une réunion des peshmerga et des forces de sécurité de Bagdad a conclu (pour la n-ième fois) à la nécessité d’«une coordination sur le terrain».
Le 5 dans la nuit, une nouvelle attaque contre un avant-poste de peshmerga près de Qara Salem, au nord de Kirkouk, a fait 4 morts et 5 blessés. Le Washington Kurdish Institute a indiqué le 7 qu’en trois semaines, 24 peshmerga avaient été tués. Ces attaques de Daech ont «ravivé la colère des Kurdes face au vide sécuritaire dans la région, causé depuis le 16 octobre 2017 par la politique du gouvernement irakien». En réponse, les peshmerga ont lancé la semaine suivante plusieurs opérations de «nettoyage», tandis que de nouvelles réunions de coordination kurdo-irakiennes et plusieurs opérations conjointes prenaient place, notamment à Makhmour, Kifri et Shwan. Le 11, le commandant des opérations de Kirkouk, Ali al-Fariji, et le Vice-ministre des peshmerga, le général Jabar Yawer, se sont rencontrés à Erbil. La Sécurité de Sulaimaniyeh a annoncé le démantèlement de plusieurs cellules dormantes à Halabja et Sayid Sadiq et l’arrestation de 17 djihadistes, dont un commandant. La sécurité d’Erbil a également annoncé la capture de plusieurs djihadistes, dont certains ont avoué leur soutien logistique à des attaques menées à Bagdad (WKI).
Aussi le 11, la police de Kirkouk a annoncé l'arrestation de 60 mendiants de rue, 23 femmes et 37 enfants de 6 à 12 ans, utilisés selon ses informations comme espions par Daech… Le 16, un charnier contenant les corps de dizaines de policiers irakiens assassinés par Daech en 2018, a été découvert dans les territoires disputés, à Douraji, au nord-ouest de Kifrî (AFP). Le 17, les peshmerga ont saisi une cache de Daech et «désamorcé une série d’engins explosifs disposés le long de la route près de Qarah Tapa» (WKI).
Makhmour et ses installations pétrolières ont été également ciblées. Le 4, Le Mouvement de la liberté (Tevgera Azadî) a condamné l’attaque revendiquée par Daech la nuit du 30 au 31 novembre, qui a fait 10 morts peshmerga et 3 civils. L’organisation a également critiqué les autorités pour l’absence de protection des civils près de Makhmour. Une attaque précédente contre le village de Qarach, près de Makhmour, avait été repoussée fin novembre par les habitants... Les djihadistes demeurent retranchés dans les monts Qara Chokh, dont les forces de sécurité irakiennes ont rompu le siège fin novembre. Le 19, Daech a attaqué deux postes militaires irakiens, blessant un soldat. Le 31, une force de volontaires kurdes a repoussé une autre attaque dans cettre zone, tuant 4 terroristes. La Sécurité irakienne a indiqué craindre d’autres attaques visant les installations pétrolières.
Durant les deux dernières semaines de décembre, l'amélioration de la coopération irako-kurde a enfin permis d’amorcer une certaine réduction des attaques de Daech dans les «Territoires disputés». Mais le groupe terroriste a conservé la capacité de lancer des opérations et l’a montré en blessant le 31 un soldat irakien à Touz Khourmatou. Le même jour cependant, les peshmerga ont annoncé avoir saisi munitions et engins explosifs près de Kifrî lors d'une opération conjointe avec les forces irakiennes… (WKI)
Outre le risque djihadiste, la situation des territoires disputés demeure marquée par la mauvaise qualité des services de base, la corruption, et la reprise de la politique d’arabisation visant les Kurdes, mais parfois aussi les Turkmènes. Le 2, la Commission d’intégrité de Kirkouk a lancé une nouvelle enquête contre le responsable du Département de l’éducation. Ali Tuma est visé par plusieurs plaintes pour corruption concernant le recrutement des enseignants: en 2019 et 2021, il avait recruté 77% d’Arabes au détriment des Kurdes et des Turkmènes. L’homme est déjà connu pour avoir fait chasser par ses gardes du corps les journalistes de la cérémonie de rentrée scolaire du 1er novembre dernier, et avoir lancé une enquête sur le directeur d’une des écoles kurdes de la ville, coupable d’avoir pour la rentrée hissé le drapeau du Kurdistan au son de l’hymne kurde… Toujours au chapitre de la corruption, la cour d'appel de Kirkouk a annulé les peines de prison infligées à 4 fonctionnaires provinciaux proches du gouverneur par intérim Rakan al-Jabouri, renvoyant l’affaire au tribunal pour rejugement. Les accusés, dont le frère d’al-Jabouri, avaient reçu 9 mois de prison suite à une plainte de la Commission d'intégrité.
Ce même Rakan al-Jabouri continue à soutenir les tentatives d’arabisation des terres agricoles dans la province. Le 14, plusieurs partis kurdes ont tenu une réunion conjointe pour appeler à l’élection d’un nouveau gouverneur et à la participation des peshmerga au maintien de la sécurité de la province. Le PDK, qui n’a pas participé à la réunion, a par la voix du député Shakhwan Abdullah critiqué la déclaration finale qui «ne comprenait pas une seule ligne sur le processus d'arabisation auquel les Kurdes sont confrontés dans la province».
La présence militaire et les frappes turques, pour lesquelles Ankara prend prétexte de la présence du PKK, se poursuivent dans tout le Nord de l’Irak, provoquant inquiétude, colère et tensions. Le 7, un drone turc a tué dans sa voiture un commandant des Unités de résistance du Sinjar (YPŞ), une force yézidie proche du PKK. Dénonçant l’attaque, la Free Yezidi Foundation a appelé Bagdad comme Erbil, mais aussi l’OTAN, dont la Turquie est membre, et le Conseil de sécurité des Nations-Unies, à mettre fin à ces frappes scandaleuses contre la communauté yézidie: «N'était-il pas suffisant de subir le #GénocideYazidi ?» a twitté la Fondation.
Le 9, le ministère turc de la Défense a annoncé la mort en Irak de 3 soldats dans une attaque attribuée au PKK, et la «neutralisation» en réponse de «six terroristes». Le 12, l’«Administration autonome» du Sinjar, soutenue par le PKK, a imposé un boycott général des services publics en raison du silence de Bagdad face aux frappes turques. Dans le district de Sinunî, deux protestataires ont été blessés quand les forces de sécurité irakiennes ont ouvert le feu sur une manifestation; un soldat irakien a également été blessé. Une nouvelle frappe de drone sur un bâtiment administratif utilisé par les YPŞ à Khana Sor, aurait fait 2 morts, selon des rapports initiaux ensuite non confirmés. En fin de mois, des tirs d’artillerie turque dans la province de Dohouk ont frappé le village de Hiror, et plusieurs frappes aériennes le district de Sharbashjer (Sulaimaniyeh).
Le 23, l’ambassadeur turc en Irak, Ali Rıza Güney, a visité Kirkouk et tenu une réunion au QG du Front turkmène soutenu par Ankara, durant laquelle il a rencontré le gouverneur. Celui-ci a été critiqué pour s’être rendu sur place plutôt que de recevoir l’ambassadeur au gouvernorat, où selon le protocole il aurait dû se rendre d’abord.
Par ailleurs, alors que la Turquie est depuis des mois accusée d’utiliser des armes chimiques dans ses opérations anti-kurdes en Irak et en Syrie, l’Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC/OCPW), qui a tenu sa 26e Conférence annuelle à La Hague (Pays-Bas) du 29 novembre au 3 décembre, n’a même pas discuté la question. Dans un communiqué de presse publié pour l’ouverture de la session, le Congrès national kurde (KNK) avait réitéré son appel à l’envoi d’une délégation d'experts dans la zone touchée, observant que «si l'OIAC devait ignorer sa responsabilité de protéger toutes les personnes contre les armes chimiques, elle violerait ses propres règlements et nuirait gravement à la crédibilité de la Convention sur les armes chimiques (CAC)» (MedyaNews). L’absence de réaction de l’OIAC a déclenché des manifestations kurdes à La Hague, au cours desquelles 50 personnes ont été arrêtées (France-24). Par ailleurs, une «Coalition contre les armes chimiques au Kurdistan», s’est formée et a préparé sa propre délégation internationale pour visiter la région. Murat Karayilan, membre du comité exécutif du PKK, a déclaré sur Stêrk TV que cinq gaz différents utilisés par la Turquie avaient pu être identifiés, du gaz moutarde au neurotoxique Tabun.
Ce mois a également été marqué par la douleur des familles des migrants morts noyés dans la Manche le 24 novembre dernier, dont la plupart étaient Kurdes d’Irak. Première victime identifiée, la jeune Maryam, partie de Soran pour rejoindre son fiancé déjà installé au Royaume-Uni, est devenue le symbole de ce malheur. S’étant vue refuser plusieurs fois un visa de regroupement, elle avait fini par tenter une traversée illégale. Mi-décembre, plus de 3.000 Kurdes bloqués des semaines à la frontière Belarus-Pologne avaient été rapatriés par avion, mais les cercueils des victimes de la Manche n’ont atterri que le 26. Des familles, et beaucoup de jeunes, certains très diplômés mais désespérés par l’absence de perspectives.
Enfin, le 17, des inondations causées par des pluies exceptionnelles ont fait de nuit au moins 12 morts dans la banlieue d’Erbil, dont des femmes et des enfants. Les victimes ont été en majorité noyées chez elles. Les inondations ont aussi frappé la province de Suleimaniyeh, où le corps d’un jeune de 18 ans a été retrouvé à Takya.
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La réouverture des négociations sur le nucléaire iranien, le 29 novembre à Vienne, a rapidement abouti à une déception pour les Occidentaux. Cinq jours de discussions n’ont permis quasiment aucun progrès, et une suspension a été annoncée le 3 décembre pour que chaque délégation puisse rentrer consulter son gouvernement, avant l’annonce d’une possible reprise le 8… Les Européens, notamment, ont dénoncé une «marche arrière» de l’Iran, qu’ils soupçonnent de jouer la montre pour poursuivre son programme d’enrichissement: «Les différentes parties s’étaient quittées en juin avec l’espoir d’une conclusion imminente, mais l’arrivée au pouvoir en Iran du président ultraconservateur Ebrahim Raïssi a changé la donne», écrit Le Monde. Les nouveaux négociateurs ont de fait remis en cause quasiment 90% de ce qui avait été conclu lors des discussions entre l’administration Biden et le pouvoir iranien sortant. Les sessions sont aussi compliquées par le fait qu’à la demande des représentants iraniens, les discussions avec les Américains sont indirectes: les diplomates iraniens, français, allemands, britanniques, russes et chinois – en bref, ceux des pays n’ayant pas dénoncé l’accord – se trouvent dans un hôtel, la délégation américaine dans un autre; des messages passent d’un hôtel à l’autre.
Après qu’enfin quelques progrès techniques ont été obtenus, en particulier la rédaction d’un document commun sur la question nucléaire et sur les sanctions, la délégation iranienne a demandé une nouvelle pause le 17. Les discussions n’ont finalement repris que le 27, alors que les Occidentaux craignent que tout retard supplémentaire ne rende tout accord obsolète au vu des progrès rapides du programme nucléaire iranien, notamment en matière d’enrichissement de l’uranium… (Le Figaro). Le 30, en pleins pourparlers, Téhéran a annoncé l’envoi dans l’espace par son lanceur de satellites Simorgh de trois «instruments de recherche», nourrissant la suspicion occidentale que le régime cherche à se doter de lanceurs balistiques à longue portée, un développement interdit par la résolution 2231 du Conseil de sécurité. Le 24, l’Iran avait déjà tiré plusieurs missiles balistiques, et en avril 2020, les Gardiens de la Révolution avaient lancé leur premier satellite militaire… Le 31, Paris a condamné le lancement, tandis que Washington exprimait sa «préoccupation».
C’est quasiment au même moment, le 27, que l’organisation de défense des droits humains HRANA (Human Rights Activists News Agency) a publié son rapport 2021 sur les violations des droits humains en Iran. Ce document de 53 pages (->), qui couvre la période du 1er janvier au 20 décembre 2021, rassemble des données recueillies par HRANA (38%); 24% des informations proviennent d'autres agences de presse spécialisées dans les droits humains, et 38% des rapports proviennent du gouvernement iranien lui-même où de sources proches. Le document comporte des statistiques et des graphiques concernant les droits des femmes, des enfants, des prisonniers, etc.
Parmi les exactions mentionnées dans ce rapport, on trouve l’assassinat par balles par les forces de sécurité du régime de 36 porteurs kurdes transfrontaliers, les kolbars, et 109 blessés. Après que l’un d’entre eux a été abattu et 2 blessés près de Baneh le 30 novembre, le mois de décembre a poursuivi la terrible litanie, avec un troisième blessé à Sardasht le 2 décembre, et un quatrième tué près de la frontière à Qasr-e Shirin le 3… (Kurdpa) Deux autres ont été blessés près de Nowsud respectivement le 7 et le 9, et le 12, les pasdaran (Gardiens de la révolution) ont tendu une embuscade à un groupe dont ils ont blessé 2 membres près des Monts Qandil, au Kurdistan d’Irak. Par ailleurs, deux personnes ont été blessées par des mines datant de la guerre Iran-Irak à Qasr-e Shirin et Dehloran (Elam) (WKI). Le 29 décembre enfin, un berger de 10 ans appartenant à une communauté d’éleveurs a été grièvement blessé à la poitrine par une mine à Dehloran quand une des bêtes a déclenché l’explosion. L’enfant est décédé à l’hôpital. Loin de déminer ses frontières, le régime utilise toujours ces engins datant de la guerre Iran-Irak pour les «sécuriser», au mépris total de la vie de ses propres citoyens – on sait depuis longtemps, et le régime ne peut l’ignorer, que les mines inexplosées frappent surtout les femmes et les enfants… (HRANA).
Dans la foulée de l’élection à la présidence de l’ultraconservateur Ebrahim Raïssi, connu pour sa participation aux assassinats de masse des prisonniers politiques dans les années 80, les autorités ont encore augmenté leur pression sur la communauté kurde d’iran, à coups d’arrestations, de condamnations et parfois d’exécutions… La première semaine du mois, elles ont arrêté au moins une dizaine de personnes dans tout le Kurdistan d’Iran, dont la militante Chinei Sharifi, à Bokan. Le 5, les forces de sécurité ont arrêté et mis au secret deux habitants du village de Nyar (Sanandaj), Saadi Menbari et Siamak Arang, et fouillé leur maison (selon KHRN, ce sont 5 membres de la famille Menbari, qui ont été arrêtés). Les accusations portées contre eux n’ont pas été révélées (Kurdpa). Le même jour (mais KHRN n’a publié l’information que le 9), deux autres civils kurdes, Mohammad Fadavi et Rahmatollah Salehian, ont été arrêtés dans le village de Malqarani (Saqqez). Le 8, deux habitants du village de Nyar (Marivan), ont été arrêtés et mis au secret, sans indication de ce qui leur est reproché (Kurdpa). D’autres Kurdes ont été arrêtés à Ouroumieh, Qotur et Oshnavieh. Selon l’organisation KHRN, ces arrestations s’inscrivent dans plusieurs vagues d’arrestations successives touchant particulièrement la province iranienne du Kordestan (dénomination persane), au cours desquels les domiciles des personnes visées sont perquisitionnés et les personnes mises au secret de manière illégale, puisqu’aucun mandat officiel n’est montré… Depuis début novembre, 38 personnes auraient ainsi été appréhendées, dont 12 membres de la famille Pezeshki.
Par ailleurs, Qassim Azizian, un militant kurde de Mahabad condamné à 28 mois d’emprisonnement pour «appartenance à un parti kurde d'opposition», a entamé sa peine en début de mois (WKI), et le 8, deux habitants de Mahabad, Amir Bayazidi Azar et Ghasem Azizian, ont été convoqués pour accomplir leur peine de prison, respectivement 3 mois pour «propagande contre le régime» et 28 mois pour «appartenance à un parti d’opposition», des peines confirmées en appel.
Le 12, des agents de l’Etelaat (Renseignement) ont fait un raid au domicile de l’activiste kurde et écologiste Kajal Nasri à Tangesar (Sanandaj) et l’ont arrêtée et mise au secret. On ignorait toujours le 21 sa situation. Par ailleurs, les forces de sécurité ont arrêté de nombreux autres Kurdes, dont le militant écologiste Farhang Ozairi, ainsi que d’autres à Marivan et Mahabad, tandis que 19 personnes arrêtées en novembre à Baneh demeuraient incarcérées (WKI). Le même jour, selon HRANA, quelque 47 prisonniers politiques de la prison d’Ouroumieh sont entrés en grève de la faim. Ils demandent l’annulation de l’ordre du directeur de la prison de les transférer dans un nouveau quartier de haute sécurité où l'espace est insuffisant et l'équipement médiocre. Le 22, donc après 10 jours, ils poursuivaient toujours leur mouvement…
Mais le mois a été particulièrement marqué par l’exécution, accomplie dans le secret le 19 à Sanandaj, de Heidar Ghorbani, immédiatement dénoncée depuis Oslo par l’organisation Iran Human Rights. L'agence IRNA a confirmé l'exécution, décrivant Ghorbani comme un «terroriste» et un membre du Parti Démocratique du Kurdistan d'Iran (PDKI). Des experts des droits de l'Homme de l'ONU, tout comme Amnesty International, avaient exhorté l'Iran à annuler sa condamnation à mort en raison des «graves préoccupations» suscitées par l'absence de procès équitable et des tortures en détention provisoire. Condamné à mort en 2020 pour avoir selon l’accusation fourni en 2016 un soutien logistique aux meurtriers de trois membres du Bassij, branche paramilitaire des Gardiens de la révolution, Ghorbani était emprisonné depuis octobre 2016. La justice iranienne a reconnu qu’il n’avait jamais porté les armes. «Le cas de Heidar Ghorbani était tellement entaché par des anomalies et l'absence de toute preuve crédible que l'horreur de son exécution n'en est que plus grande», a déclaré à l'AFP Raha Bahreïni, chercheuse d'Amnesty International spécialiste de l'Iran. «Des groupes de défense des droits de l’homme affirment que sa condamnation était fondée sur des preuves douteuses obtenues sous la torture et qu’il aurait été privé d’un avocat au cours de l’enquête», a indiqué la BBC, ajoutant que l’accusé «avait nié tout lien avec les meurtres». Passée sous silence dans les médias locaux, l’exécution a suscité de vives réactions sur les réseaux sociaux. Dans la ville natale de Ghorbani, Kamyaran, une foule s’est rassemblée le jour même de son exécution pour lui rendre hommage, scandant: «Les martyrs ne meurent pas» (AFP).
L’horreur de l’exécution est encore augmentée par le traitement réservé à la famille du condamné. Les autorités, faisant croire à celle-ci que leur proche allait être «transféré» vers une prison de Téhéran, l’ont invitée à lui rendre visite avant son départ. À leur arrivée, les agents ont emmené les proches de Ghorbani au cimetière principal de Sanandaj et leur ont indiqué sa tombe. «Ils l'ont enterré eux-mêmes au cimetière Beheshte Mohammadi et ne nous ont pas restitué son corps», a déclaré un proche à Iran Human Rights. Le «Centre de coopération des partis politiques du Kurdistan iranien» (CCIKP) a déclaré que le régime avait utilisé des «accusations sans fondement» pour exécuter Ghorbani et intimider ainsi les autres militants. Quatre Kurdes de Sanandaj qui avaient organisé une cérémonie de funérailles pour Heydar Ghorbani ont été arrêtés (WKI), et le 24, l’imam sunnite Mohammad-Mirza Rahmani, qui avait pris la parole lors de cette cérémonie a lui aussi été arrêté et mis au secret. Le 27 , un autre résident de Kamyaran, Kianush Rahmani, qui avait publié une photo de Haydar Ghorbani sur les médias sociaux, a été à son tour arrêté dans un raid à son domicile (HRANA).
Le 21, également à Kamyaran, le militant écologiste Amanj Ghorbani a été arrêté alors qu’il se présentait à une convocation des forces de sécurité. Les raisons de son arrestation n’ont pas été révélées. Il avait déjà été arrêté en 2018 et condamné à 3 mois de prison. Le 26, deux habitants de Kuyik (Naghadeh), Sarhang Alizadeh et Farzin Abdollahzadeh, ont été arrêtés pour «collaboration avec un parti d’opposition» et mis au secret (HRANA). Le 29, l’ancien prisonnier politique Shirko Agoshî, originaire de Pîranshahr, et Hossein Alvand-Kûhi, de Mahabad, tous deux accusés d’avoir participé à des affrontements armés contre les pasdaran, ont été condamnés à Mahabad à 10 ans de prison pour «appartenance à un parti kurde d’opposition interdit».
S’exiler hors du pays ne suffit pas à protéger les dissidents des assassinats politiques perpétrés par les agents du régime. Ceux-ci n’hésitent pas à pourchasser et à exécuter ceux-ci selon les ordres reçus de Téhéran, en des opérations organisées selon un protocole précis et maintenant bien reconstitué (encadré «Iran's Two-Man 'Hit Teams'» sur cette page). Début décembre, Rashad Minbary, membre du PDKI exilé à Erbil, capitale du Kurdistan d’Irak, a témoigné avoir été victime le 28 novembre d’une tentative d’assassinat par des tireurs qui ont ouvert le feu sur son appartement. Minbary a accusé les autorités iraniennes de les avoir envoyés. Son frère Shoresh, commandant peshmerga, avait déjà été tué en 2016.
Le régime recourt aussi aux cyber-attaques et à la désinformation. Ainsi le site web du PDKI a-t-il récemment été visé par des tentatives de sabotage, et le 7, l’organisation Hengaw, une importante source d’information sur les abus du régime, a publié sur son site un communiqué accusant l’Etelaat d’avoir créé à des fins de propagande un site web en kurde et en persan utilisant son nom et son logo (WKI).
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Le 13 décembre, l’Assemblée des femmes du HDP a publié une déclaration commençant par ces mots: «Sous le gouvernement de l'AKP, presque toutes les institutions turques, et en particulier les prisons, commettent des crimes et méprisent à la fois la loi et la dignité humaine. Les prisons turques sont devenues des centres de torture et de mauvais traitements. Ces pratiques inhumaines, surtout lorsqu'elles sont appliquées aux prisonniers politiques, affectent profondément la conscience humaine. Un exemple particulièrement bouleversant et préoccupant est la mort, le 9 décembre, de la prisonnière politique kurde, Mme Garibe Gezer, dans la prison de haute sécurité de Kandıra», à Kocaeli.
Un peu plus tôt le même jour, les autorités pénitentiaires avaient contacté les avocates et la sœur de Garibe Gezer pour leur annoncer son «suicide» en cellule d’isolement. Mais selon l’avocate Eren Keskin, il est impossible pour un prisonnier de se suicider en cellule d’isolement. Quand elle a reçu l’appel téléphonique l’informant du «suicide» de sa sœur cadette, Asya Gezer a d’ailleurs immédiatement répondu qu’elle n’y croyait pas et qu’elle allait déposer une plainte criminelle contre l’administration.
La famille de la prisonnière et la victime elle-même avaient à plusieurs reprises tenté d’avertir l’opinion publique des menaces pesant sur sa vie. Le 8 octobre, Gezer avait annoncé qu’elle avait été torturée et abusée sexuellement par ses gardiens dans une cellule capitonnée. Eren Keskin avait alors déposé une plainte criminelle contre les gardiens et le médecin de la prison. Plus scandaleux peut-être encore que le meurtre lui-même est le fait qu’aucune de ces démarches n’aura en fin de compte protégé la prisonnière. Alors que les faits avaient été révélés, aucune enquête n’a été ouverte, le système judiciaire n’a pris absolument aucune mesure, et l’impunité des tortionnaires est demeurée totale.
Dès le 8 octobre, les faits étaient connus, ils se trouvent décrits dans un article publié à cette date sur Bianet (->), d’où ils sont repris quasiment à l’identique dans la déclaration du HDP déjà mentionnée, et dont nous donnons une version résumée ci-dessous.
Sitôt transférée de Kayseri à Kandıra le 15 mars 2021, Garibe Gezer a été placée à l’isolement durant 22 jours. Elle a ensuite été transférée, à sa demande, dans une cellule de trois personnes, mais, le 21 mai, on lui a annoncé qu'elle devait retourner à l’isolement. Lorsqu'elle l’a refusé, des gardiennes l’y ont emmenée de force en la traînant au sol et en la tenant par les cheveux et les bras. Elles lui ont enlevé son pantalon avant de la faire volontairement passer devant des gardiens de sexe masculin. Quand elle a commencé à frapper la porte de sa cellule, les gardiens sont entrés et l’ont battue. Ils l’ont prévenue que si elle continuait, ils la mettraient dans une cellule capitonnée. Le 24 mai, huit gardiens sont venus dans sa cellule pour la battre de nouveau, avant de mettre à exécution leur menace. À la porte de la cellule, elle a été déshabillée, fouillée et agressée sexuellement. À l’infirmerie, où on lui a refusé tout traitement médical, elle a également été maltraitée. Ramenée dans une cellule d'isolement, elle a tenté de mettre fin à ses jours.
Dans la pétition qu’elle a soumise au bureau du procureur général de la prison de Kandıra, Keskin décrit la cellule utilisée pour confiner la jeune femme: «Ma cliente a déclaré que la […] «cellule capitonnée» était un endroit de deux à trois mètres de long, entièrement recouverte de mousse, [et] surveillée par une caméra 24h/24. Il y avait des excréments partout dans la pièce, l’odeur d’urine et d’excréments était insupportable, il n’y avait comme toilettes qu’un trou dans la chambre, qui était visible depuis la caméra»… Le 7 juin, Gezer a tenté de mettre le feu à sa cellule et a de nouveau été jetée 24 heures dans une cellule capitonnée. […] Certaines de ses lettres [à ses avocats et sa famille] ont été censurées et d'autres n'ont pas été transmises du tout.
Bien que ces plaintes et allégations soient connues depuis un certain temps, aucune enquête n'a été ouverte par le bureau du procureur et aucune mesure n'a été prise contre les responsables. Le 27 octobre, 22 députés du HDP ont porté le cas de Garibe Gezer devant le Parlement et demandé une enquête, sans plus de succès. La responsabilité première de la mort de la prisonnière incombe au gouvernement AKP, qui a de fait rendu normaux la torture et les mauvais traitements dans les prisons turques. La politique du gouvernement consiste simplement à couvrir, voire à encourager, les crimes commis dans les institutions qui fonctionnent sous son contrôle.
La déclaration se termine par un appel à la communauté internationale, à tous les démocrates, et en particulier aux organisations de femmes, à élever la voix contre les pratiques inhumaines et les crimes commis dans les prisons turques.
Aussitôt qu’Eren Keskin et les autres avocats ont été informés du décès de Gezer, ils se sont rendus à la prison pour rencontrer l'administration pénitentiaire et obtenir les images du moment de sa mort filmées par la caméra. Mais à leur arrivée, le corps avait déjà été transféré à l'Institut de médecine légale de Kocaeli et l’autopsie menée hors la présence des avocats. Le rapport préliminaire d’autopsie n’indiquait même pas la cause du décès. «Même dans les années 90, une telle chose ne pouvait se produire» a indiqué Keskin.
Après la mort suspecte de Gezer, l’administration pénitentiaire a annoncé le 20 qu’un autre prisonnier kurde, Vedat Erkmen, condamné à perpétuité et incarcéré à la prison de Tekirdağ, s’était «suicidé». Sa famille a immédiatement rejeté la thèse du suicide avancée par le gouvernement et s'est demandé comment Erkmen avait pu obtenir une corde alors qu'il était en isolement. Quand la famille du prisonnier décédé et des avocats de l’Association des droits de l’homme (İHD) et de l’Association des avocats pour la liberté (ÖHD) sont arrivés à la prison, exactement comme dans le cas de Garibe Gezer, ils ont appris que les procédures d’autopsie d’Erkmen avaient déjà été effectuées. Les funérailles de Vedat se sont tenues sous la surveillance d’un important contingent de la police, qui craignait manifestement une explosion des protestations.
Gürkan Isteli, membre de la commission des prisons de la branche d’Istanbul de l’ÖHD, a écrit sur les réseaux sociaux: «Que cachent-ils à qui ? Nous avons fait des allers-retours entre la prison, le palais de justice et l’hôpital pendant des heures. La prison a rejeté toutes nos demandes pour voir le corps. Quelques heures plus tard, nous avons pu joindre le bureau du procureur en service, et avons enfin pu identifier le corps. […] Notre client, Vedat Erkmen, a été déplacé de sa cellule vers une cellule d’isolement il y a quelques jours. La raison de ce transfert est qu’il n’était pas en sécurité. Nous pensons qu’il a été assassiné. Pourquoi Vedat, qui a été déplacé de sa cellule par mesure de sécurité, se serait-il suicidé?»
Dans un cas comme dans l’autre, l’administration pénitentiaire se prépare clairement à poursuivre ses dissimulations afin d’assurer l’impunité des meurtriers.
Par ailleurs, l’administration pénitentiaire continue à refuser aux prisonniers malades des sorties pour motif médical. C’est le cas ce mois-ci notamment d’Aysel Tuğluk, arrêtée en décembre 2016 alors qu’elle était vice-coprésidente du HDP et toujours en détention à la prison de Kandıra. Elle fait aussi partie des 108 inculpés du «Procès Kobanê». Tuğluk éprouve maintenant des difficultés à parler et commence à ne plus reconnaître les gens. En mars, l’université de Kocaeli a diagnostiqué une démence et a indiqué dans un rapport qu'elle ne pouvait plus demeurer seule en prison. Mais l'Institut de médecine légale d'Istanbul (ATK) a publié un rapport contradictoire en septembre, et le tribunal a rejeté les demandes de libération. Selon son frère, Alaattin Tuğluk, l'université avait préparé son rapport après six mois d’examens réguliers, alors que l’ATK «ne l'a vue que deux heures, une seule journée»…
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Privés de leur propre État, privés d’avenir, persécutés par les États qui occupent leur pays, les Kurdes continuent d’émigrer vers l’Europe occidentale en quête de liberté et d’une vie meilleure. Ils sont désormais au moins 1,5 millions dans les pays d’Europe occidentale, dont environ 300.000 en France et plus de 800.000 en Allemagne. Arrivés souvent dans le plus grand dénuement, ils luttent pour s’intégrer au plus vite dans leur pays d’accueil en travaillant dur et en poussant leurs enfants à faire des études. Et ces efforts commencent à porter leurs fruits.
Ainsi, on a appris le 31 décembre qu’une jeune femme originaire de l’emblématique province de Dersim, l’un des hauts lieux de la résistance kurde au régime turc oppressif, allait devenir Ministre de la Justice des Pays-Bas dans le nouveau cabinet Rutte. Des sources fiables ont confirmé cette information après des rapports initiaux du journal De Telegraaf. La future ministre s’appelle Dilan Yesilgoz. Après avoir été députée et porte-parole du Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD), elle avait officié dans le précédent cabinet comme secrétaire d’Etat aux Affaires économiques et à la politique du climat. A 44 ans, après un parcours remarquable, elle devient ainsi titulaire d’un ministère régalien. Son prénom Dilan, ancien et courant au Kurdistan, signifie liesse, fête dansante et traduit un état d’esprit d’aborder la vie avec optimisme et joie en dépit de nombre d’obstacles et de malheurs.
Dilan YESILGOZ
Une autre jeune femme, Zuhal Demir, également originaire de Dersim, est actuellement Ministre de la Justice et de l’Environnement des Flandres.
Zuhal DEMIR
Au Royaume-Uni, l’ancien Ministre de Vaccination, Nadhim Zahaoui, Kurde irakien, a été promu Ministre de l’Education nationale.
En Allemagne, «une fille de Peshmerga» du Kurdistan irakien, Reem Alabali-Radovan, d’origine assyro-chaldéenne, députée du Parti social-démocrate, a été nommée Secrétaire d’Etat pour les migrations, les réfugiées et l’intégration du nouveau gouvernement allemand de coalition.
Reem ALABALI-RADOVAN
De nombreux Kurdes siègent actuellement comme députés dans des parlements nationaux de plusieurs pays européens. Ces exemples de réussite, largement médiatisés, servent de modèles aux jeunes Kurdes ambitieux de la diaspora. Ils inspirent aussi les jeunes du Kurdistan qui souvent prennent des risques considérables pour rejoindre ce havre de paix, de prospérité et d’opportunités que représente à leurs yeux l’Europe.
A la poursuite de ce rêve, une quinzaine d’entre eux sont morts dans le naufrage de leur embarcation de fortune dans les eaux tumultueuses de la Manche fin 221. D’autres ont péri dans les glaciales forêts de la frontière entre la Pologne et la Biélorussie. Ces drames n’empêchent pas que d’autres jeunes Kurdes tentent l’aventure. Cela durera tant qu’ils ne pourront pas vivre libres et en paix dans leur pays actuellement martyrisé.
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On a appris début décembre que la Haute Cour régionale de Francfort, en Allemagne, avait condamné un terroriste irakien de Daech à la prison à vie pour «génocide, crime contre l’humanité, crimes de guerre et complicité de crimes de guerre» à l’encontre de la minorité kurdophone des yézidis. Taha Al-Jumaili avait participé au génocide et avait notamment laissé une enfant mourir de soif. Cette condamnation à perpétuité est la première au monde pour des crimes commis pendant le génocide des yézidis. En octobre dernier, la femme d'al-Jumaili, Jennifer Wenisch, avait été condamnée à 10 ans de prison pour la même affaire.
L’Irakien, qui avait rejoint les rangs de l’EI en 2013, a été condamné pour avoir, durant l’été 2015 à Fallouja, en Irak, laissé mourir de soif une fillette yézidie de 5 ans qu’il avait, avec sa mère, «achetée comme esclave».
«C’est un pas très important et un message d’espoir pour les victimes yézidies et les victimes de génocide en général. Cela montre que justice peut être faite, même si ce n’est pas là où les crimes ont été commis. C’est important pour les victimes d’accéder à la justice, au-delà de la reconnaissance symbolique du génocide: elles veulent pouvoir regarder leurs agresseurs dans les yeux», a déclaré Natia Navrouzov, avocate et membre de l’ONG Yazda, qui rassemble les preuves des crimes commis par l’EI envers les yézidis (Le Monde).
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