La répression s'intensifie contre les manifestations populaires qui continuent de se dérouler au Kurdistan iranien et dans un grand nombre de villes iraniennes depuis la mort en garde à vue, le 16 septembre de la jeune femme kurde Jîna Mahsa AMINI.
Sur ordre de l'Ayatollah Khamenei, les forces de répression agissent avec une extrême brutalité contre des manifestants pacifiques que le pouvoir qualifie d'émeutiers manipulés par des puissances étrangères. Le président Raïssi affirme : "Nous n'aurons aucune pitié pour les éléments hostiles". Fin janvier, on comptait plus de 488 morts, 18.000 blessés et près de 14.000 arrestations selon les ONG des droits de l'homme.
Le sort des prisonniers est particulièrement préoccupant. La torture est systématique et les viols et abus sexuels sont fréquents comme en témoigne la militante des droits de l'homme Narges Mohammadi dans un témoignage accablant publié par le quotidien Le Monde dans son édition du 2 janvier et sur le site de la BBC-persan. Selon l'universitaire français Yan Richard, spécialiste de l'Iran, "le régime peut encore durcir la répression" (Le Monde du 2 janvier 2023).
A ce jour, 4 manifestants ont été exécutés à l'issue de procès sommaires. Pour l'ONU ces exécutions sont "des privations arbitraires de la vie" et "elles confinent au meurtre d'État". Lors d'un point de presse à Genève, le 10 janvier, la porte-parole du Haut-Commissariat aux Droits humains de l'ONU, Mme Ravina Shamdasani a dénoncé dans les procès des Iraniens condamnés à mort "un manque de respect des procédures, des accusations qui sont complètement fallacieuses et qui n'ont aucun sens." "Ce sont des accusations de corruption sur Terre et Guerre contre Dieu qui sont formulées de manière très vague" a-t-elle souligné. Elle a évoqué également "de graves allégations de tortures et de mauvais traitements, des traitements humiliants avant leurs exécutions (AFP 10/01).
Dans son édition du 12 janvier, le quotidien américain New York Times publie les portraits des exécutés et des condamnés à mort en attente d'exécution tandis que Le Parisien du 16 janvier dresse le portrait du "juge de mort", Abdol Qasem Salavati, "élément clé de la répression en Iran".
Le 14 janvier, un Irano-Britannique, Alireza Akbari, ancien haut responsable du ministère iranien de la défense, exilé à Londres et devenu citoyen britannique, a été exécuté à Téhéran. Il avait été arrêté en 2019 lors d'un voyage en Iran et sévèrement torturé pour faire des "aveux". Son exécution a provoqué la colère du gouvernement britannique qui a promis des sanctions.
Des sanctions qui n'impressionnait guère les dirigeants de la République islamique. Pour réagir à la vague de répression qui s'abat sur le mouvement populaire de contestation, l'Union européenne a elle aussi adopté une série de nouvelles sanctions contre certains responsables iraniens impliqués les interdisant de visa ou confisquant leurs éventuels biens sur le territoire européen. Mais ces sanctions restent symboliques et sans portée réelle. Les dirigeants européens n'ont d'ailleurs pas réussi à se mettre d'd'accord sur la question de mettre les Gardiens de la révolution iranienne sur la liste des organisations terroristes. Par peur de représailles iraniennes l'affaire a été renvoyée à une date ultérieure (Le Figaro du 23/01). Téhéran n'a d'ailleurs pas tardé à annoncer de nouvelles sanctions contre l'Union européenne et le Royaume-Uni (Le Figaro du 25/01).
L'Iran pratique sans complexe une diplomatie de prises d'otage afin d'exercer un maximum de pression sur les Occidentaux. 7 français croupissent actuellement dans les geôles iraniennes dont un Franco-Irlandais, Bernard Phelan, qui d'après ses proches cités par AFP (18/01) serait "dans un état de santé critique". La ministre Française des Affaires étrangères a, le 26 janvier (AFP) a appelé Téhéran à libérer les otages français. Un appel qui risque de rester sans effet dans l'actuel climat de vives tensions des relations franco-iraniennes.
La publication dans un numéro spécial "7 janvier", date anniversaire de l'attentat contre Charlie Hebdo, des caricatures de Khamenei a envenimé encore ces relations. Après des manifestations de protestations contre ces caricatures "insultantes" pour le "Guide Suprême" que l'hebdomadaire satirique présente comme "une râclée aux mollahs", l'Iran a décidé de fermer l'Institut Français de recherche en Iran (IFRI) (Le Monde du 5/01).
Dans toute l'Europe et aux Etats-Unis, des manifestations de soutien aux femmes kurdes et iraniennes se sont multipliés. Ainsi, le 16 janvier après un rassemblement de soutien dans les jardins du Trocadéro, Anne Hidalgo, la maire de Paris, entourée de ses conseillers municipaux de tous bords, a fait projeter sur la Tour Eiffel le mot d'ordre de ce combat "Femme, Vie, Liberté" qu'elle a récité dans son discours en kurde "Jin, Jiyan, Azadî". Le même jour, des milliers d'iraniens venant de plusieurs pays européens ont manifesté à Strasbourg devant le Parlement européen.
Toujours en janvier, l'Iran a adopté un nouveau budget réservant la part de lion aux forces armées et aux dépenses sécuritaires. Aucune amélioration économique en vue pour la population civile. Le régime semble estimer que la précarisation inciterait les gens à ne s'occuper que de leur survie au quotidien en renonçant à toute activité politique lourde de conséquences. Cependant, l'année 2023 pourrait être encore plus agitée tant au plan intérieur qu'en politique étrangère. Ainsi, dès son retour au pouvoir, Benyamin Netanyahou a ordonné une frappe ciblée contre un important site nucléaire iranien à Ispahan, et une frappe contre un convoi d'armes iraniennes en Syrie (Le Monde du 29/01). Les négociations sur le dossier nucléaire iraniens sont, elles, au point mort.
L’actualité politique turque de janvier est centrée sur les prochaines élections parlementaires et présidentielles. Le président turc, dans une rencontre avec la jeunesse à Bursa, a déclaré le 22 janvier « Je ferai usage de mon autorité pour avancer l’élection au 14 mai » (AFP). Une date symbolique qui marquera le 73è anniversaire de la victoire du Parti démocrate d’Adnan Menderès qui a mis fin au long règne du Parti républicain du peuple (CHP) fondé par Ataturk. Dix ans après cette victoire, Menderès, conservateur pro-occidental qui avait fait entrer la Turquie dans l’OTAN, a été renversé par le coup d’Etat du 27 mai 1960 et a été condamné à mort et pendu avec deux de ses ministres un an plus tard à l’issue d’un procès sommaire par la junte militaire.
Le président turc se réclame de cet héritage et prédit une victoire tout aussi éclatante contre la coalition de six partis de l’opposition menée par le même CHP, ex-parti unique laïc, bête noire de l’électorat musulman conservateur.
Malgré la dégradation de la situation économique qui se traduit par une forte inflation (officiellement 85%, mais en fait plus de 140% selon les économistes indépendants) une dépréciation incessante de la livre turque (30% en un an) et un déficit record de la balance des paiements ($ 40 milliards en 202, soit 5% du P.I.B.) M. Erdogan, qui depuis 20 ans a gagné 10 élections parlementaires ou locales, 2 élections présidentielles et 3 referendum, croit en ses chances d’une nouvelle victoire. Sous sa direction, son parti, qui s’est emparé de tous les rouages de l’État, est devenu un parti-Etat. Il dispose des ressources du Trésor et de la banque centrale pour dépenser sans compter afin de séduire l’électorat indécis et la classe moyenne précarisée. Il promet ainsi de construire en cinq ans 500.000 nouveaux logements sociaux dans un pays qui, à cause d’une démographie galopante et de l’exode rural, connaît une crise de logement. Une loi adoptée en janvier permet une retraite anticipée, moyennant paiement de quelques trimestres, à 2,3 millions de salariés qui devraient se montrer reconnaissants en votant pour lui. Le salaire minimum a été augmenté de 55% et les traitements des fonctionnaires de 30%. Une subvention de 600 milliards de livres (environ 30 milliards d’euros) est promise pour faire face à l’augmentation considérable des factures d’énergie.
Avec quel argent ?
L’opposition affirme que les caisses d’Etat sont vides. Pour maintenir jusqu’aux élections le cours de la livre (lira), la banque centrale a dépensé en 2022 plus de 100 milliards de dollars. L’afflux des capitaux des oligarques et réfugiés russes a certes apporté une somme de 28 milliards de dollars mais ni cette manne inattendue ni les accords de swap de monnaie signés avec la Chine, la Corée du sud et les Emirats arabes unis n’ont permis de renflouer les caisses. La Russie, qui intervient actuellement pour la réélection d’Erdogan, a opportunément suspendu l’énorme dette turque envers Gazprom. L’économie turque, sous perfusion, pourrait donc tenir jusqu’aux élections. Si Erdogan est réélu, il pourrait, avec son aplomb habituel, incriminer les ennemis extérieurs, notamment les occidentaux, pour le crash économique qui se profile à l’horizon.
L’autre volet de l’arsenal électoral du président turc consiste à faire taire les opposants en utilisant à sa guise les tribunaux. A ce jour, plus de 200.000 citoyens turcs font l’objet de poursuites judiciaires pour « insulte au président » dans la plupart des cas sur les réseaux sociaux. Une récente loi criminalisant la diffusion de « fake news » va censurer davantage ces derniers espaces d’expression que sont ces réseaux dans un pays où plus de 90% des media sont, selon The Economist du 21 janvier (voir revue de presse), « devenus des agences gouvernementales de propagande ». Dans son rapport annuel 2022 de la liberté de presse dans le monde, l’ONG Reporters sans Frontières classe la Turquie au 149ème rang entre le Sri Lanka et la Belorus. Privés de publicité et craignant les poursuites judiciaires les quelques media d’opposition comme Halk TV du CHP n’osent pas critiquer le pouvoir en particulier sa politique étrangère présentée comme « politique de sécurité nationale » dont la moindre critique est qualifiée de « trahison » à l’unisson par le pouvoir et ses médias. Les partis turcs d’opposition ne s’opposent donc pas aux opérations militaires turques contre les Kurdes de Syrie et en Irak ni aux menaces récurrentes contre la Grèce et Chypre.
Le seul parti qui rompt ce consensus et critique ouvertement le pouvoir d’Erdogan est le Parti démocratique des peuples (HDP) qui de ce fait paye un prix fort. Criminalisé et présenté comme « l’aile politique du PKK » il est depuis 2017 banni des media (The Economist). Des milliers de ses militants, y compris des députés et des maires élus, sont en prison. Sur ordre d’Erdogan, il est poursuivi par la Cour Constitutionnelle turque qui pourrait l’interdire à tout moment en fonction de l’agenda électoral du président turc. En attendant, cette Cour Constitutionnelle a, le 5 janvier, décidé par 8 voix contre 7 de « suspendre à titre conservatoire » le financement public dû à ce parti qui, avec six millions d’électeurs, est la troisième force politique du pays. Comme tous les partis représentés au Parlement, il a droit à un financement public au prorata du nombre de ses députés. Il devait en cette année électorale bénéficier d’une subvention publique de 539 millions de livres turques (environ 27 millions d’euros) dont le premier versement devait avoir lieu le 10 janvier (Libération du 6 janvier). Privé de media et de financement, le HDP a promis qu’il continuerait à se battre pacifiquement pour ces élections qui ne seront ni équitables ni libres.
Le président turc continue d’instrumentaliser la politique étrangère pour se poser en homme d’Etat respecté de Poutine, faiseur de paix, défenseur des droits des Turcs et des musulmans à travers le monde et tenant tête aux « impérialistes » (américains et européens) qui ourdissent des sombres complots pour affaiblir la Turquie et soutenant les terroristes. Cette rhétorique répétée chaque jour sur les écrans de télévision du pays finit par convaincre nombre de Turcs dont il caresse les sentiments nationalistes. Des parlementaires turcs et certains de leurs collègues pakistanais et indonésiens ont même poussé la flagornerie jusqu’à proposer la candidature d’Erdogan pour le prix Nobel de la Paix. Ils feignent d’ignorer que le président turc, qui bloque l’adhésion à l’OTAN de la Suède et de la Finlande, n’est vraiment pas en odeur de sainteté dans les pays scandinaves. Un groupe de Suédois sympathisants des combattants kurdes de Rojava ont exhibé devant la mairie de Stockholm la marionnette d’Erdogan pendu par le pied à l’instar de Mussolini avec cette légende « Ainsi finissent les dictateurs ». Fureur d’Ankara qui a convoqué l’ambassadeur suédois en Turquie. Impuissance et exaspération du gouvernement suédois qui déclare « ne pas pouvoir répondre aux demandes turques » (Le Monde du 24 janvier) incompatibles avec un Etat de droit et la liberté d’expression. Nombre d’intellectuels, d’artistes et de personnalités politiques suédois critiquent la lâcheté et l’amateurisme de leur gouvernement. Un militant radical suédois est allé jusqu’à brûler un Coran devant l’ambassade turque à Stockholm. Le gouvernement suédois a condamné cet acte « irresponsable » et « irrespectueux envers les croyants » sans engager des poursuites car profaner n’est pas un délit en droit suédois. Ce geste a permis eu président turc de se poser en défenseur de l’islam et de ses valeurs et de déclarer qu’il fermait la porte à l’adhésion de la Suède à l’OTAN tout en étant prêt à envisager favorablement celle de la Finlande qui a, de son côté, autorisé les premières exportations militaires vers la Turquie depuis l’embargo décidé en 2019 après l’invasion turque du canton kurde syrien d’Afrin. La Turquie a décidé d’annuler la visite à Ankara d’un ministre suédois. Cette crise diplomatique et l’obstination turque de bloquer l’entrée dans l’OTAN de la Suède et de la Finlande auront très probablement un impact négatif sur les négociations en cours sur la vente à la Turquie des bombardiers F16 américains. D’ores et déjà de nombreux sénateurs et congressmen ont déclaré qu’ils s’y opposeraient.
La Cour fédérale suprême d’Irak a rendu le 25 janvier un arrêt surprenant estimant « inconstitutionnels » les transferts financiers effectués par le Gouvernement irakien dirigé par Mustafa al-Khadémi vers le Gouvernement régional du Kurdistan. Ces transferts représentent une petite partie de la dotation financière que Bagdad est tenu d’allouer à la Région du Kurdistan pour payer les salaires des fonctionnaires, des policiers et des Peshmergas.
Depuis 2014, sous des prétextes divers les gouvernements irakiens successifs rechignent à verser à Erbil cette dotation calculée au prorata de la population du Kurdistan par rapport à celle de l’Irak, qui était en 2015, lors de l’adoption de la Constitution estimée à 17% du budget de l’Irak une fois déduites les dépenses régaliennes (armée, Affaires étrangères, banque centrale). Le non versement de cette dotation par le gouvernement à dominante chiite pro-iranienne de Nouri al-Maliki à partir de 2014 a été l’une des raisons principales pour lesquelles le gouvernement du Kurdistan a décidé d’user de son droit à l’auto-détermination en organisant en octobre 2017 un référendum sur l’indépendance du Kurdistan où près de 93% des électeurs se sont prononcés en faveur de l’indépendance.
Pourquoi rester au sein d’un État qui continue de verser des salaires aux fonctionnaires arabes des vastes zones alors sous contrôle du Daech et prive de budget le Kurdistan en lutte contre Daech et abritant près de 1,5 million de déplacés ?
Après ce quasi-divorce, grâce à la médiation de plusieurs États, dont la France, le gouvernement irakien a promis de reprendre le versement à la Région du Kurdistan, sa part du budget. Promesse tenue partiellement et par intermittence en fonction de la conjoncture politique. Le gouvernement de Mustafa al-Kadhimi avait accepté, dans le cadre d’un processus de normalisation, de verser chaque mois environ un tiers de la dotation mensuelle due, soit $400 millions pour payer en partie les salaires des fonctionnaires, à charge pour le gouvernement régional du Kurdistan de compléter ces financements par les ventes de son pétrole en attendant le règlement des divers litiges opposant Bagdad à Erbil.
Ce sont ces transferts que la Cour fédérale Suprême juge inconstitutionnels. Cette cour ad hoc, mise en place avant même l’adoption d’une loi définissant ses compétences et son fonctionnement, a été rapidement investie par des chiites pro-Iraniens qui l’ont transformée en un instrument politique de l’influence iranienne. En quelques mois, la Cour a ainsi « disqualifié » le candidat kurde favori pour l’élection présidentielle l’ancien ministres des Affaires étrangères, puis des Finances, Hoshyar Zebari, jouissant d’une grande notoriété dans le monde arabe et apprécié par les chancelleries occidentales mais inacceptable pour l’Iran car « pro-occidental », la loi sur les hydrocarbures adoptée souverainement par le Parlement du Kurdistan en 2007 qui a favorisé considérablement les investissements étrangers dans le secteur énergétique alors que vingt ans après la chute de la dictature de Saddam Hussein l’Irak n’a pas encore été capable de légiférer dans ce domaine.
Dans ce contexte, l’arrêt du 25 janvier de cette cour jugeant « inconstitutionnels » les transferts de financement vers le gouvernement du Kurdistan a provoqué des réactions vives des autorités kurdes. L’ancien président Massoud Barzani a comparé cette cour à « un tribunal baasiste » bafouant le droit. Le Premier ministre du Kurdistan s’est dit choqué et a appelé le nouveau gouvernement irakien de Mohammed Shia al-Soudani à préparer enfin une loi sur le rôle, le fonctionnement, le mode de désignation et les compétences précises d’une cour supérieure, prévue par la constitution pour statuer sur les litiges relatifs à l’interprétation de celle-ci. L’adoption d’une loi fédérale sur les hydrocarbures devient aussi une urgence. Dans le contexte international où en raison de la guerre en Ukraine l’approvisionnement en gaz et en pétrole devient un enjeu stratégique, les pays occidentaux, les États-Unis et la France en tête, encouragent fortement Bagdad à adopter rapidement une telle loi pour permettre aux compagnies pétrolières et gazières internationales d’agir dans un cadre juridique clair et stable. Washington a dépêché à Bagdad et à Erbil son coordinateur spécial pour les infrastructures globales et la sécurité énergétique Amos Hochtein pour les inciter à s’entendre et à régler par la négociation leurs litiges. La sous-secrétaire générale de l’ONU pour les Affaires politiques Rosemary A. Di Carlo s’est rendue du 22 au 24 janvier à Bagdad et à Erbil pour plaider dans le même sens et favoriser le nécessaire dialogue kurdo-irakien.
Enfin, le nouveau Premier ministre irakien al-Soudani, a effectué le 26 janvier une visite à Paris où il a été reçu à dîner à l’Elysée par le président Macron. Il était accompagné par son vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères Fuad Hussein. Les questions d’énergie, de stabilisation de l’Irak et les relations économiques et sécuritaires étaient au centre de cette courte visite intervenant en pleine crise provoquée par l’arrêt de la Cour fédérale.
Le nouveau gouvernement irakien a besoin des voix des députés kurdes pour enfin faire adopter son budget. Il a promis qu’il continuerait d’envoyer au Kurdistan sa part du budget qui devrait, si ses promesses sont tenues, s’élever à 14% du budget fédéral. Les négociations sur ces questions devraient reprendre début février.
Le sort de quelques 3,6 millions de réfugiés syriens en Turquie est l’un des enjeux majeurs des prochaines élections turques. La crise économique a exacerbé les sentiments nationalistes turcs contre les étrangers, notamment les occidentaux qui, selon la théorie complotiste favorite du pouvoir, seraient à l’origine de tous les problèmes de la Turquie et des malheurs de sa population. Désarmés face à ces « ennemis » puissants et hors de portée, les passions nationalistes turques sont canalisées vers les ennemis proches comme les Kurdes qu’ils soient de Turquie, d’Irak ou de Syrie qui ne font pas allégeance à Erdogan et les Grecs, qualifiés d’«enfants gâtés des occidentaux » menacés d’une « bonne leçon ». S’ajoutent à ces « ennemis de toujours » des nationalistes de nouveaux boucs-émissaires : les réfugiés syriens qui par leur grand nombre exerceraient une forte pression sur le marché du travail et sur le parc déjà très tendu du logement.
A l’exception du parti démocratique des peuples (HDP), pro-kurde, tous les autres partis d’opposition promettent en cas de victoire de renvoyer chez eux dans un délai d’un an tous ces réfugiés syriens en normalisant les relations avec Damas. Ils incriminent Erdogan et sa politique syrienne aventurière pour l’afflux de ces réfugiés. Ce discours trouve un assez large écho auprès de l’électorat turc.
C’est pour contrer son impact que le président turc cherche depuis quelques mois à nouer un dialogue avec le régime syrien. Le président russe V. Poutine qui œuvre pour la réélection de son ami Erdogan s’emploie activement à lui rendre service en usant de son influence auprès de Damas. Le président syrien qui ne peut dire non à son bienfaiteur Poutine mais qui ne veut faire aucun cadeau électoral à Erdogan freine des quatre fers. Il pose des conditions préalables comme le retrait des troupes turques des territoires syriens qu’elles occupent jugées irréalistes voire inacceptables par Ankara. La réunion des ministres syriens et turcs des Affaires étrangères annoncée pour la mi-janvier a été repoussée d’un mois a indiqué le 17 janvier le conseiller diplomatique du président turc Ibrahim Kalin (Le Monde du 18 janvier). Vladimir Poutine étant très occupé par la guerre en Ukraine, Ankara semble avoir fait appel à l’Iran, l’autre parrain de Damas pour servir de médiateur. Le 17 janvier, le ministre iranien des Affaires étrangère Hossein Amir Abdollahian s’est rendu à Ankara où il a été longuement reçu par le président Erdogan et son collègue Mevlut Çavusoglu. Au menu des discussions la situation en Syrie et le processus de dialogue turco-syrien ainsi bien sûr que la coopération turco-iranienne contre leur ennemi commun « le terrorisme du PKK et du PYD qui menace l’intégrité territoriale des pays de la région ».
Le ministre iranien s’est rendu ensuite à Damas où la demande turque d’un sommet Assad-Erdogan est fraîchement accueillie car « les conditions ne sont pas réunies ». Ankara sollicite aussi Moscou pour l’organisation d’un sommet réunissant à Téhéran ou dans la capitale russe les présidents Erdogan – Poutine et Raïssi et Assad qui, à quelques mois des élections, renforcerait la stature d’homme d’Etat d’Erdogan aux yeux des électeurs turcs et leur donnerait un signal que le président turc est mieux placé pour régler à travers le dialogue avec Assad la lancinante question des réfugiés syriens.
Le rapprochement entre Ankara et Bagdad suscite beaucoup d’inquiétudes dans les rangs de l’opposition syrienne basée en Turquie et chez les multiples milices syriennes armées et financées par la Turquie comme supplétifs ou comme exécutant des basses œuvres de l’armée turque dans les territoires kurdes syriens occupés, en Lybie ou au Haut-Karabagh.
Pendant ce temps, confrontée au refus de Moscou et de Téhéran et à la ferme opposition américaine à toute nouvelle opération militaire turque contre les territoires syriens sous contrôle kurde, la Turquie hésite encore à lancer son intervention militaire annoncée contre les Kurdes syriens.
Le 19 janvier le Parlement allemand a adopté à l’unanimité une résolution qualifiant de génocide les massacres perpétués par Daech pendant l’été 2014 contre les Yézidis d’Irak et de Syrie.
« L’Etat islamique avait pour objectif l’élimination totale de la communauté yézidie. Plus de 5.000 Yézidis ont été torturés et brutalement assassinés par l’Etat islamique principalement pendant l’année 2014 » souligne cette résolution symboliquement importante de sept pages. Elle rappelle que « les hommes furent contraints de se convertir et en cas de refus immédiatement exécutés ou déportés comme des travailleurs forcés (…) les jeunes garçons envoyés dans les écoles coraniques enrôlés comme enfants-soldats ou utilisés comme kamikaze. Et les femmes réduites en esclavage, violées ou vendues ».
A cette reconnaissance du passé la résolution ajoute une liste de demandes précises adressées au gouvernement allemand appelé à engager des poursuites judiciaires contre les auteurs de ces crimes de masse et à apporter une aide financière à la reconstruction des villes et des villages yézidis détruits du Sinjar pour permettre le retour de quelque 300.000 Yézidis chassés de chez eux.
Lors des débats, la ministre allemande des Affaires étrangères a critiqué la passivité du gouvernement d’Angela Merkel vis-à-vis du sort des femmes yézidies : « Un jour où des milliers de femmes furent parquées dans une école, des données GPS ont été envoyées. Oui, nous savions où elles se trouvaient (…). Pourquoi n’avons-nous pas agi ? (Le Monde du 20 janvier)
Dans une interview accordée à la chaîne de télévision kurde RUDAW, Mme Baerbock déclare que « l’Allemagne ne peut pas défaire le massacre de masse des Yézidis mais peut apporter justice » (RUDAW 19 janvier)
Le génocide des Yézidis a déjà été reconnu par le Parlement irakien, par les Pays-Bas et la Belgique en juillet 2021 et par le Luxembourg en novembre 2022 ainsi que par l’Arménie, l’Australie et le Canada. Les Nations-Unies et le Parlement européen ont également reconnu ce génocide. Mais à ce jour aucun programme international d’aide aux victimes yézidies pour leur permettre de reconstruire leurs vies, leurs villes et villages détruits n’a été mis en place. Le gouvernement irakien, coupable au premier chef de ne pas avoir protégé ses citoyens yézidis contre la barbarie de Daech, n’a encore adopté aucune mesure de réparation et d’indemnisation.
L’Institut kurde a organisé dans le vaste hall d’accueil de la Mairie du 10e arrondissement de Paris une exposition de peintures et de sculptures d’une vingtaine d’artistes kurdes en exil.
Intervenant quelques jours après le triple assassinat de militants kurdes à Paris, cette exposition, prévue de longue date, voulait signifier que quoique endeuillée, la communauté kurde était résiliente et debout. Plusieurs centaines de personnes, des Kurdes, des amis des Kurdes, et les artistes ont assisté au vernissage de cette exposition le 7 janvier 2023 en présence de Madame la Maire d 10e Alexandra Cordobard, des élus municipaux et de journalistes. Le drapeau kurde était hissé et le slogan emblématique Jin, Jiyan, Azadî (Femme, Vie, Liberté) affiché en gros caractères. Mme Cordobard a fait un discours de bienvenue soulignant la solidarité de longue date de sa mairie avec le peuple kurde, une mairie où la communauté kurde célèbre année après année sa fête nationale le Newroz. Puis le président de l’Institut kurde est intervenu pour remercier la maire et les conseillers de leur accueil chaleureux et de leur solidarité. Il a aussi souligné que dans la tradition kurde la vie prime toujours sur la mort, la résistance sur le deuil et l’abattement. Les artistes présents témoignent de la richesse, de la créativité, de la vitalité, de la diversité de l’art et de la culture kurdes a-t-il ajouté.
L’exposition ouverte au public du 7 janvier au 2 février a rencontré un grand succès auprès du public. Elle a trouvé un large écho au Kurdistan grâce aux reportages de chaines de télévision kurdes. En France aussi certains journaux comme Le Parisien en ont parlé.
Le catalogue de l’exposition est consultable sur le site de l’Institut. Arts kurdes en exil.
- THE ECONOMIST “A SPECIAL REPORT ON ERDOGAN’S EMPIRE”
Le célèbre hebdomadaire britannique The Economist consacre dans son numéro daté du 21 janvier 2023 tout un dossier, bien documenté sur la Turquie (Le titre sur la couverture : « Turkey on the brink of dictatorship » a provoqué de vives réactions de la présidence turque qui dénonce une manipulation des milieux d’affaires occidentaux à la veille des élections turques (voir revue de presse p 51-63.)
- LA TURQUIE AU 149è RANG DU CLASSEMENT DE RSF DE LA LIBERTÉ DE LA PRESSE
Pour la liberté de la presse, la Turquie arrive au 149è rang sur 180 pays, entre le Sri Lanka et Belarus selon le classement 2022 de Reporter sans Frontières. Avec 40 journalistes en prison, elle est aussi, selon RSF, la plus grande prison du monde pour journalistes après la Chine, l’Iran et le Myanmar. https://rsf.org/fr/classement
En l’absence d’une presse libre et critique, la corruption prospère aussi comme dans tous les régimes autocratiques.
Endémique et massive, elle atteint des niveaux record en Turquie selon Transparency International. En 2022, elle arrive ainsi au 101è rang entre Thaïlande et Bosnie dans le classement que vient de rendre public cette ONG anti-corruption. https://www.transparency.org/fr/press/2021-corruption-perceptions-index-press-release?utm_source=twitter&utm_medium=social&utm_campaign=share-button
L’ambition turque de figurer en 2023, année du centenaire de la fondation de la République turque, parmi les 10 premières économies du monde, reste un rêve creux. 17è économie du monde en 2019, la Turquie a dégringolé à la 19è place avec un PIB par habitant de tout juste $ 9600. La dette extérieure dépasse désormais $ 186 milliards.