Après quelques semaines d’hésitations et de consultations le président Erdogan a annoncé le 8 mars que les élections présidentielles et législatives auront lieu à la date prévue du 14 mai. L’annonce est intervenue au milieu de débat sur la pertinence de maintenir le scrutin à une date si proche dans un pays lourdement affecté par le tremblement de terre.
Le séisme a touché, à des degrés divers, environ 14 millions de personnes : 3,3 millions d’habitants ont fui les zones sinistrées vers d’autres provinces du pays. Près de 2 millions de rescapés restés sur place vivent sous des tentes ou dans des containers. La Banque mondiale estime qu’environ 214.000 bâtiments, certains d’une douzaine d’étages, ont été détruits ou condamnés, représentant plus de 600.000 logements. Elle évalue à 34 milliards de dollars, soit 4% du PIB turc, le montant des dégâts matériels. Le coût de la reconstruction serait, selon ses premières estimations, de plus de 70 milliards de dollars.
Invoquant cette dévastation gigantesque et les déplacements de population qu’elle a provoqués, des cercles proches du pouvoir, dont l’ancien Premier vice-ministre Bulent Arinc, ont plaidé pour le report d’un an des élections. Proposition qui a suscité un tollé dans les rangs de l’opposition mais aussi parmi les juristes. Ces derniers rappellent que la Constitution turque ne prévoit le report éventuel d’échéances électorales qu’en cas de guerre. Aucune disposition n’est prévue pour les crises consécutives aux tremblements de terre, pourtant fréquents dans le pays, quelle qu’en soit l’ampleur. Dans ce contexte, le gouvernement turc doit organiser le scrutin au plus tard le 18 juin 2023. Critiqué de toutes parts pour la gestion ultra centralisée et chaotique de la catastrophe, le président turc s’est résolu à relever le défi et a annoncé le maintien de la date prévue, le 14 mai.
Dans cette perspective et pour faire oublier l’incurie des autorités civiles et militaires pendant les premiers jours décisifs du séisme, le président Erdogan a décidé de mobiliser toutes les ressources de l’État pour consoler et si possible séduire les millions de sinistrés. En campagne électorale, il a annoncé dès le 6 mars le versement de 100.000LT (5.000 euros) aux proches de personnes décédées. Près d’un million de personnes affectées par le séisme ont reçu un premier secours de 10.000 LT (500 euros), soit au total une aide d’urgence d’un demi-milliard d’euros. Il promet la construction « d’ici un an » de 450.000 logements aux normes antisismiques pour reloger ceux qui ont perdu les leurs. Un chantier gigantesque qui, s’il est réélu et tient ses promesses, sera attribué à la petite dizaine d’entreprises du bâtiment des oligarques proches d’Erdogan.
La reconstruction sera pour une bonne part financée par des dons et crédits de la communauté internationale. Le 20 mars, une conférence des donateurs organisée par l’Union européenne a permis de récolter 7 milliards d’euros. La Commission européenne apporte une contribution d’un milliard d’euros « pour rétablir les écoles, les hôpitaux et les infrastructures » détruites par le séisme. De son côté, la Banque européenne pour la Reconstruction et le Développement BERD) a promis d’investir jusqu’à 1,5 milliards dans les régions sinistrées (Le Figaro du 9 mars).
L’utilisation partisane de cette manne par le pouvoir suscite de vives inquiétudes des ONG indépendantes et de l’opposition turque. Les aides aux sinistrés apportées par la communauté internationale jusqu’ici ont été centralisées par l’Agence gouvernementale AFAD dirigée par des religieux proches du pouvoir. Celui-ci a délibérément écarté les ONG indépendantes, émanation de la société civile et proches de la population, de la distribution des secours au profit de la tentaculaire et très opaque AFAD et d’une kyrielle de confréries religieuses pro-Erdogan qui instrumentalisent l’aide humanitaire et la présente comme une œuvre de bienfaisance du « frère Erdogan ». Alors que des pays occidentaux envoient des dizaines de milliers de tentes et containers pour les sinistrés, le Croissant Rouge turc, lui, vend des tentes aux plus offrants. Les ONG locales parlent de détournement de l’aide internationale comme cela était déjà largement pratiqué après le séisme de 1999 qui avait fait 17.000 morts dans la région de Marmara. Elles déplorent aussi « le gâchis humain » consistant à les empêcher de venir en aide aux plus nécessiteux par un pouvoir obsédé par un contrôle absolu de la société civile et guidé par des calculs électoraux (Le Monde du 1er mars, New York Times du 10 mars) qui occulte « la catastrophe environnementale et sanitaire consécutive au séisme qui menace la région » (Libération du 11 mars).
De son côté l’Alliance nationale (Millet Ittifak) qui regroupe six partis d’opposition à l’exclusion du parti pro-kurde HDP, a, le 8 mars désigné son candidat à l’élection présidentielle du 14 mai. Il s’agit du président général du Parti républicain du peuple (CHP) Kemal Kiliçdaroglu, désigné par 5 partis malgré les réserves du 6ème partenaire de l’Alliance, le Bon Parti (Iyi Parti). La présidente de cette formation d’extrême droite nationaliste, Mme Aksener, estimant que Kiliçdaroglu qui manque de charisme n’est pas assez rassembleur pour battre le redoutable Erdogan, a menacé de quitter l’Alliance et proposé un autre candidat du CHP, le populaire maire d’Istanbul Ekrem Imamoglu ou celui d’Ankara. Après un long weekend de conciliabules un compromis a été trouvé. Les maires d’Istanbul et d’Ankara accompagneront Kiliçdaroglu dans la campagne électorale et seront « le moment venu » nommés vice-présidents de la République tout comme les leaders des 5 autres partis de l’Alliance. S‘il est élu, Kiliçdaroglu sera donc entouré de 7 vice-présidents qui auront leur mot à dire sur les décisions importantes et les orientations stratégiques de la coalition qui substituera ainsi « l’intelligence collective au pouvoir autocratique absolu ». Le candidat Kiliçdaroglu, 74 ans, dont chacun connaît l’intégrité et l’attachement aux valeurs laïques et républicaines, présente aux yeux des nationalistes et des conservateurs turcs « l’inconvénient » d’être de confession alévie dans une société en grande majorité sunnite. De plus, même s’il ne l’affiche pas publiquement, il est d’origine kurde. Cette identité plurielle et minoritaire le rend en revanche compatible avec l’électorat kurde progressiste du parti démocratique des peuples (HDP) qui le 22 a annoncé qu’il ne présenterait pas de candidat à l’élection présidentielle et qu’il apporterait de ce fait son soutien à la candidature de Kiliçdaroglu. Un soutien décisif car avec ses 6 millions d’électeurs représentant de 11% à 13% de l’électorat, le HDP est la deuxième force de l’opposition. Le maire CHP d’Ankara, issu de l’extrême droite nationaliste et proposé comme candidat alternatif par Madame Aksener, présidente du Bon parti, n’avait guère de chance d’être, même tacitement, soutenu par le HDP. Celui-ci aurait probablement mesuré son soutien au maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, musulman pratiquant susceptible d’attirer une partie de l’élecorat sunnite. En ne présentant pas de candidat contre lui aux élections municipales pour faire battre le candidat d’AKP, le HDP a permis l’élection d’Imamoglu mais ce dernier n’a guère manifesté sa reconnaissance envers son électorat kurde et la Mairie d’Istanbul n’a pratiquement rien fait pour l’expression de la culture et de l’identité kurdes des quelques trois millions de Kurdes de sa métropole.
L’Alliance nationale compte dans ses rangs deux anciens ministres d’Erdogan, Ahmet Davudoglu, ancien Premier ministre et ancien ministre des Affaires étrangères et Ali Babacan, ancien ministre des Finances considéré comme « l’architecte du miracle économique turc » des années 2005-2015. Ils devraient à eux deux attirer 5% à 6% de l’électorat musulman d’Erdogan dans un scrutin présidentiel dont l’issue est annoncée « serrée » par les instituts de sondage à la fiabilité incertaine.
Le HDP, menacé d’interdiction par une procédure en cours devant la Cour Constitutionnelle, présentera ses propres candidats aux élections législatives. Dans un contexte où son ancien président, des dizaines de ses élus et environ 26.000 de ses membres et sympathisants sont derrière les barreaux pour délit d’opinion (France 24, 25 mars) il devrait former sa liste électorale avec des candidats de la nouvelle génération. Plus de 400 de ses cadres actuels risquent d’être condamnés et déclarés inéligibles par la Cour constitutionnelle même si, sentant l’ère Erdogan toucher à sa fin, celle-ci peut aussi créer la surprise en rejetant la demande d’interdiction du HDP exigée par le pouvoir et son procureur général. Elle a d’ailleurs décidé le 26 mars de rétablir le financement public du HDP « suspendu à titre temporaire » en janvier dernier à la demande du gouvernement.
Très prudent et, pour parer à toute mauvaise surprise judiciaire au cours de la campagne électorale, le HDP présentera sans doute ses candidats sous un nouveau sigle : le Parti de la gauche verte. L’électorat kurde est habitué à ces changements de noms qualifiés de « guérilla politique » car depuis 1994 sept partis politiques légaux ont été interdits par la Turquie. Et à chaque fois l’électorat kurde a fait preuve de résilience et d’agilité politique pour se regrouper au sein de la nouvelle formation.
En politique étrangère, l’événement le plus notable du mois a été la ratification par le Parlement turc du traité d’adhésion de la Finlande à l’OTAN le31 mars. Cette décision, qui intervient après des mois de menaces et de chantages, a été saluée par le Secrétaire général de l’OTAN qui a appelé, dans la foulée, Budapest et Ankara à ratifier aussi la candidature de la Suède. Washington s’est contenté d’une réaction ad minima tout en gardant ses distances avec le président turc qui, cette année encore, n’a pas été invité au « Sommet de la démocratie » organisé par le président américain Joe Biden pour rassembler les pays démocratiques alliés des Etats-Unis et débattre de l’avenir de la démocratie dans le monde.
Le ministre irakien du Pétrole a annoncé le 25 mars que la Turquie avait cessé ce jour d’importer le pétrole depuis la Région autonome du Kurdistan. Cette décision est intervenue « après que le Tribunal arbitral de la Chambre de commerce internationale à Paris a donné raison à Bagdad dans un contentieux qui l’oppose à la Turquie sur les exportations du pétrole irakien » rapporte l’AFP dans une dépêche datée du 26 mars (voir aussi Le Figaro de 26 mars).
En 2014, alors que le gouvernement irakien de Maliki avait décidé de priver le Kurdistan de sa dotation budgétaire prévue par la Constitution, le gouvernement du Kurdistan avait conclu un accord avec Ankara pour exporter son pétrole via le port turc méditerranéen de Ceyhan afin de financer son administration. Le pétrole kurde, acheminé via un oléoduc construit par le Kurdistan, était vendu sur les marchés internationaux à un prix inférieur à celui du marché pour obtenir des ressources indispensables à la survie de l’économie du Kurdistan confrontée de plus, dès l’été 2014, à l’offensive de Daech et à l’exode de centaines de milliers de déplacés arabes, chrétiens et yézidis vers la Région autonome, mieux sécurisée. Le gouvernement irakien avait alors menacé les compagnies étrangères exploitant et exportant le pétrole du Kurdistan ainsi que celles achetant ce pétrole des pires sanctions en interdisant notamment leur accès au marché irakien. Dans ce contexte houleux, il avait porté plainte contre Ankara devant la Chambre de commerce internationale basée à Paris estimant être « le gestionnaire exclusif de ce pétrole et des revenus qui en découlent ». Après neuf années de procédure compliquée (la Constitution irakienne prévoit l’exploitation par les régions autonomes des ressources de leur sous-sol mais l’acheminement du pétrole de l’Irak vers le port de Ceyhan est déjà régi par un accord turco-irakien de 1963) le Tribunal arbitral de Paris a statué en faveur de Bagdad et la Turquie s’est conformée à cette décision en cessant de pomper le pétrole du Kurdistan dès le samedi 25 mars à 9h35 GMT.
Le Gouvernement du Kurdistan a réagi avec sérénité à cette décision. Il a annoncé l’envoi à Bagdad d’une délégation pour trouver rapidement une solution car l’arrêt des exportations n’est ni dans l’intérêt du Kurdistan ni dans celui de l’Irak. De son côté Bagdad a fait savoir qu’il s’agissait d’un « arrêt temporaire » que les exportations reprendraient « dans quelques jours » dès qu’un compromis aura été trouvé. Avec un volume de 24 millions de dollars d’exportation vers l’Irak, la Turquie est un partenaire commercial incontournable que Bagdad ne peut défier d’autant que l’Irak dépend aussi de son voisin turc pour le partage des eaux du Tigre et de l’Euphrate.
Se voulant rassurant, le Premier ministre du Kurdistan a, le 26 mars, déclaré « Nos accords récents avec Bagdad ont jeté les bases pour que nous puissions surmonter la décision d’arbitrage d’aujourd’hui ». L’une des dispositions principales du récent accord entre Erbil et Bagdad garantit que le gouvernement irakien paiera le salaire des employés et des fonctionnaires du Kurdistan à hauteur de 307 millions de dollars en échange de l’exportation au profit du gouvernement fédéral de 400.000 barils par jour du pétrole du Kurdistan.
Quelques jours avant la décision du Tribunal arbitral de Paris, le Premier ministre irakien Mohammed Shi’a al Sudani s’était rendu à Erbil et à Suleimanieh où il a rencontré les principaux dirigeants kurdes pour discuter des contentieux en cours entre Bagdad et Erbil. De sources bien informées, on indique que les deux parties ont trouvé un compromis sur la part du Kurdistan dans le budget fédéral et convenu de travailler ensemble sur l’élaboration et l’adoption d’un nouveau projet de loi sur le pétrole et le gaz attendu depuis 2005 ! A cette occasion on a annoncé que la ville martyre de Halabja sera désormais reconnue comme une province à part entière.
Le gouvernement irakien a enfin soumis au Parlement irakien un projet de loi budgétaire sur trois ans. Pour l’exercice 2023, le montant du budget prévu est de 152 milliards de dollars. Les voix des députés kurdes sont indispensables pour l’adoption de ce budget car sans elles le gouvernement fédéral ne dispose pas de majorité au Parlement.
Par ailleurs, le Parlement fédéral a voté le 20 mars la tenue d’élections provinciales le 6 novembre 2023. Ces élections seront les premières depuis plus d’une décennie. Dans la province à majorité kurde de Kirkouk, sous contrôle du gouvernement irakien, il n’y a pas eu d’élection depuis 2005. Son dernier gouverneur élu, le Dr. Najmaldin Karim, avait été destitué par Bagdad et remplacé par son adjoint arabe en octobre 2017 à la suite du referendum d’autodétermination où une écrasante majorité d’électeurs de cette province s’était prononcée en faveur de son rattachement au Kurdistan et pour l’indépendance du Kurdistan. Les résultats du referendum n’ont pas été reconnus par Bagdad qui a choisi la répression en y dépêchant son armée et des milices chiites pro-iraniennes qui y ont commis de nombreux meurtres et exactions provoquant l’exode d’une partie de la population kurde locale. Le scrutin du 6 novembre donnera une image des rapports de force démographiques entre les diverses communautés de la province.
La capitale de la Région fédérale du Kurdistan est devenue une étape incontournable pour les dirigeants occidentaux en visite officielle en Irak. Elle a connu en mars un intense trafic diplomatique.
C’est le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guteres qui, au début mars, a ouvert cette séquence en se rendant à Erbil où il a longuement rencontré le président du Kurdistan, Nechirvan Barzani, le Premier ministre et plusieurs autres hauts responsables kurdes. Selon le communiqué de son bureau de presse, au cours de ces entretiens « les derniers développements politiques en Irak et dans la Région du Kurdistan, les relations entre Erbil et Bagdad et les efforts en cours pour résoudre leurs différends existants, l’agenda du gouvernement fédéral irakien et le statut du district de Sinjar ont été abordés ». M. Guteres a qualifié de « fructueux » ses entretiens avec les responsables irakiens et kurdes et ajouté : « Dans mes discussions ici (Erbil) et à Bagdad, j’ai senti un véritable engagement à aller de l’avant et j’exhorte tous à traduire cet engagement en réalité ». Bon connaisseur du Kurdistan où il s’était rendu à plusieurs reprises en qualité de Haut-commissaire aux réfugiés des Nations-Unies, le secrétaire général a loué le rôle des Peshmergas kurdes dans la guerre contre Daech, l’accueil généreux réservé par le Kurdistan aux déplacés de la guerre et aux réfugiés syriens et exprimé son admiration pour le courage et la résilience du peuple kurde. De son côté, le président du Kurdistan a rendu hommage au travail fondamental des agences des Nations-Unies en faveur des déplacés et réfugiés et le rôle de médiation de l’ONU dans le règlement des conflits en Irak et au Kurdistan.
Erbil a, quelques jours plus tard, reçu la visite du Secrétaire américain à la Défense Lloyd Austin. Au cours de ses entretiens avec le président du Kurdistan, le secrétaire Austin a réaffirmé l’engagement des Etats-Unis à fournir une assistance en matière de sécurité aux peshmergas et à travailler avec le gouvernement régional du Kurdistan sur les réformes institutionnelles. Il a également dénoncé les attaques répétées de l’Iran contre le Kurdistan irakien sans évoquer celles plus récurrentes et plus meurtrières de la Turquie. Il a également appelé les dirigeants kurdes à surmonter leurs divisions.
Le 15 mars, le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a envoyé une lettre au président du Kurdistan où il souligne « le besoin de résoudre complètement les questions litigieuses entre Erbil et Bagdad par le dialogue et la compréhension mutuelle » et réitéré l’engagement américain pour « une coopération et un partenariat fort avec la République fédérale de l’Irak et la Région du Kurdistan. Cultiver des relations de coopération entre le gouvernement fédéral d’Irak et le gouvernement régional du Kurdistan (KRG) est une question clé pour Washington ».
A un moment où la guerre contre Daech reste toujours d’actualité et la crise iranienne imprévisible, Washington redouble d’assurances envers ses alliés kurdes et encourage le règlement rapide des contentieux qui empoisonnent depuis des années les relations entre Erbil et Bagdad afin de stabiliser l’Irak et d’y réduire l’influence iranienne.
Pour préparer la visite à Erbil de Lloyd Austin, le chef d’état-major des armées américaines, le général Mark A. Milley s’était d’abord rendu à Erbil puis de là au Rojava, le 4 mars, où il a rencontré, outre les responsables militaires américains sur place, le général kurde Mazloum Kobani et son état-major. Cette visite du plus haut gradé américain « aux terroristes d’YPG » a suscité la colère du président turc et de son gouvernement. Le ministre turc des Affaires étrangères a, le 8 mars, convoqué l’ambassadeur américain à Ankara, Jeff Flake, pour lui remettre des « avertissements et des messages nécessaires ». Le général Milley, lors d’un briefing au Pentagone le 15 mars s’est contenté d’affirmer qu’il s’agissait d’une « visite de routine » (Rudaw 16 mars).
Le 10 mars c’est la directrice générale de l’UNESCO, Mme Audrey Azoulay, qui s’est rendue à Erbil où elle a été reçue par le président Barzani avec qui elle a évoqué les projets en cours de l’UNESCO à Mossoul et dans la citadelle d’Erbil. Le président kurde lui a parlé d’autres sites historiques du Kurdistan qui ont besoin du soutien de l’UNESCO pour leur restauration et leur préservation.
Le même jour, une délégation du Parlement européen dirigée par Mme Sara Skyttedal est arrivée au Kurdistan où elle a eu des entretiens au Parlement du Kurdistan avant d’être reçue par le Premier ministre puis par le Président du Kurdistan. Evoquant le rôle décisif des Peshmermergas kurdes dans la guerre contre Daech, la cheffe de la délégation européenne a souligné « que la sécurité de l‘Union européenne passe par la sécurité et la stabilité du Kurdistan et que le Parlement européen continuerait d’œuvrer pour le renforcement des liens entre l’Union européenne et le Kurdistan ». Le président Barzani a exprimé les remerciements et la reconnaissance du peuple kurde pour l’Union européenne pour le soutien et l’aide qu’elle apporte depuis des années dans tous les domaines au Kurdistan et à l’ensemble de l’Irak. « Nous avons toujours besoin du soutien politique et de l’expertise technique de l’Union européenne pour notre développelent et nous souhaitons développer nos échanges et notre coopération avec l’UE et avec ses Etats membres » a ajouté Nechirvan Barzani.
Autre développement important du mois, après de longues et difficiles négociations, les partis kurdes se sont entendus sur la date des prochaines élections parlementaires : elles se tiendront le 16 novembre 2023.
Pour la première fois le Conseil des droits de l’homme de l’ONU dénonce la Commission des crimes contre l’humanité en en Iran. « L’ampleur et la gravité des violations commises par les autorités iraniennes, en particulier depuis la mort de Mahsa Amini, laissent présager la commission de crimes internationaux, notamment des crimes contre l’humanité que sont le meurtre, l’emprisonnement, les disparitions forcées, la torture, le viol et les violences sexuelles, ainsi que la persécution », a déclaré le rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Iran, Monsieur Javaid Rahman, lors de de la présentation de son rapport devant le Conseil des droits de l’homme, le 7 février.
L’expert indépendant onusien a notamment regretté l’absence de poursuites pour les violations graves des droits de l’homme et les crimes relevant du droit international.
« En l’absence d’obligation de rendre des comptes au niveau national, j’ai fortement préconisé la mise en place d’une mission d’enquête internationale indépendante et je compte bien coopérer pleinement avec elle pour que les victimes de violations des droits de l’homme obtiennent justice », a-t-il insisté.
Lors des manifestations ayant suivi la mort de Mme Amini, les forces de sécurité ont tiré à balles réelles directement sur des manifestants non armés et pacifiques, parmi lesquels de nombreux enfants et jeunes qui ne représentaient aucune menace ainsi que sur des passants et des personnes qui s’enfuyaient. Des manifestants, dont des enfants, ont été battus à mort. 527 personnes, dont 71 enfants, ont été tués et des centaines de manifestants gravement blessés. « Des dizaines de personnes ont perdu leurs yeux à la suite de tirs directs visant la tête », a dit J. Rahman, relevant que des médecins iraniens ont également signalé que des femmes et des jeunes filles participant aux manifestations avaient été visées par des tirs de fusil de chasse au niveau du visage, des seins et des organes génitaux.
Selon Javid Rahman, des enfants libérés ont décrit des abus sexuels, des menaces de viol, des flagellations, l’administration de chocs électriques, le maintien de leur tête sous l’eau, leur suspension par les bras ou par des nœuds coulants autour du cou.
Téhéran a également procédé à des arrestations et des détentions arbitraires massives. Des dizaines de défenseurs des droits de l’homme, au moins 600 étudiants, 45 avocats, 576 militants de la société civile, 170 femmes défenseurs des droits de l’homme, au moins 62 journalistes, artistes et universitaires ont été arbitrairement arrêtés et détenus.
« Récemment, les autorités ont reconnu que plus de 22.000 personnes avaient été arrêtées » a indiqué l’expert indépendant onusien.
Par ailleurs, cette répression s’est traduite par l’exécution d’au moins quatre personnes associées à des manifestations à l’issue de « procès arbitraires, sommaires et simulés, entachés d’allégations de torture ».
Au moins 17 manifestants ont déjà été condamnés à mort et plus de 100 sont actuellement sous le coup d’accusations passibles de la peine de mort. « Ces exécutions sommaires sont le symbole d’un État prêt à utiliser tous les moyens pour instiller la peur et étouffer les protestations », a fustigé l'expert, relevant son inquiétude sur « la poursuite des violences contre les femmes et les filles, notamment les attaques chimiques coordonnées dans tout le pays contre des écolières, qui ont été niées à plusieurs reprises et jusqu’à récemment par le gouvernement ».
Selon l’expert, au moins 500 personnes, dont deux condamnés mineurs et 13 femmes, ont été exécutées en 2022, ce qui représente le nombre d’exécutions le plus élevé des cinq dernières années. Depuis janvier 2023, 143 personnes ont déjà été exécutées à l’issue de « procès manifestement inéquitables ».
D’autre part, Amnesty international affirme dans son rapport annuel : « Les autorités iraniennes ont procédé à l’agression sexuelle des enfants pour briser le moral et l'esprit des manifestants, les Baloutches et les Kurdes des provinces du Kurdistan et de l'Azerbaïdjan occidental ont été la cible principale de cette agression ». Dans son rapport annuel publié les 8 et 28 mars, Amnesty International a documenté des cas généralisés de violations des droits humains par les autorités de la République islamique d’Iran contre des manifestants et a révélé que les forces de sécurité iraniennes, en plus d’avoir recours à la torture contre des manifestants pour réprimer les manifestations, tentent d’écraser l’esprit de contestation chez les jeunes, ils ont également utilisé le viol et de la violence sexuelle contre des enfants de 12 ans. Des manifestants mineurs « parfois âgés de seulement 12 ans » auraient subi des «coups de fouet, des décharges électriques et des violences sexuelles» aux mains des forces de l’ordre iraniennes, indiquait le jeudi 16 mars 2023 Amnesty International. «Les agents de l’État iranien arrachent des enfants à leur famille et les soumettent à des cruautés sans nom», a déclaré Diana Eltahawy, directrice adjointe régionale pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International, citée dans le rapport de l’ONG.
Selon un communiqué du 21 février 2023 Amnesty International: « Les agents de renseignement et de sécurité iraniennes ont commis des tortures brutales, notamment des passages à tabac, des coups de fouet, des décharges électriques, des viols et d’autres violences à caractère sexuel à l’encontre d’enfants de 12 ans qui manifestaient dans le but de détruire leur mouvement à l’échelle nationale. Et cela a également été fait pour écraser l’esprit de résistance des jeunes ».
Le 15 mars, Shilan Kurdestani, l'une des militantes des droits des femmes de Sanandaj qui a été arrêtée pendant les manifestations consécutivesà la mort de Jîna Mahsa Amini, a été condamnée à 40 mois de prison ferme par le Tribunal révolutionnaire de Sanandaj. Selon le rapport reçu par l'organisation de défense des droits de l'homme Hengaw, vers la fin de l’année kurde, la première Chambre du tribunal révolutionnaire de Sanandaj, dirigée par le juge Saeedi, a jugé les soi-disant infractions commises par Shilan Kurdestani, traductrice et militante bien connue dans le domaine des droits des femmes. Elle est accusée d’«appartenance au groupe illégal Jivano et de propagande contre le régime ». Cette militante des droits des femmes avait été enlevée par les services du ministère du Renseignement iranien le dimanche 23 octobre 2022, après les funérailles de sa grand-mère dans une rue de la ville de Sanandaj. Shilan Kurdestani a été provisoirement libérée sous caution après deux semaines de détention au département du Renseignementsde Sanandaj jusqu'à la fin de la procédure.
Le 16 mars, des manifestations anti-gouvernementales ont eu lieu à Bokan après le meurtre de Shirzad Ahmadinejad dans le centre de détention des Gardiens de la révolution. Shirzad Ahmadinejad, l'un des habitants de la ville, avait a été arrêté par les forces de sécurité lors des manifestations de ces derniers mois. Les manifestants avaient scandé "Mort au dictateur, Mort à Khamenei" lors de ces rassemblements.
Le 17 mars, l'organisation iranienne des Droits de l'homme fait part de l'exécution de Mohyeddin Ebrahimi, prisonnier politique kurde, pendu ce jour à la prison d'Ourmia. Mahmoud Amiri-Moghadam, le directeur de cette organisation, a déclaré : « Mohyeddin Ebrahimi a été condamné à mort sans procès équitable devant le tribunal révolutionnaire, et son exécution est une violation des lois nationales et internationales. Mohyeddin, comme plus de 140 personnes qui ont été exécutées jusqu'à présent en 2023, a été victime de la machine à élimination d’opposants du gouvernement dont le but est d'intimider les gens et d'empêcher les manifestations. Ali Khamenei et le système judiciaire sous son commandement doivent être tenus responsables de ces crimes ». Il a ajouté : « La communauté internationale doit réagir aux exécutions arbitraires du gouvernement. Le silence est interprété comme une approbation légitimant ces vagues d’exécutions ». Mohyeddin Ebrahimi, le prisonnier politique kurde, avait été arrêté par le corps des Gardiens de la révolution le 12 novembre 2016. La deuxième Chambre du tribunal révolutionnaire d'Ourmia avait prononcé pour la première fois une condamnation à mort au préjudice de ce prisonnier politique, qui fut cassée et infirmée par la 16ème branche de la Cour suprême. Cependant, la deuxième chambre du tribunal révolutionnaire a de nouveau prononcé la peine de mort pour ce prisonnier. Les avocats de celui-ci, Me Mozzin, Me Alizadeh et Me Tatai ont souligné que Mohyeddin Ebrahimi était un simple Kolbar (portefaix) en raison de la pauvreté et du chômage, et qu'il ne devrait pas être accusé de port d'armes et de lutte armée contre le gouvernement. Cependant, les autorités gouvernementales l'ont transféré du quartier politique de la prison centrale d'Ourmia aux cellules d'isolement de cette prison le mardi 16 mars et ont convoqué sa famille pour une dernière réunion. L'Organisation iranienne des droits de l'homme avait précédemment publié les détails de son cas et sa lettre à cette organisation, demandant à la communauté internationale de faire pression sur la République islamique pour qu'elle annule sa condamnation à mort.
Le 27 mars, l'organisation Hengaw a signalé la mort d'un membre du Corps des gardiens de la révolution islamique nommé Anwar Azizi à Mahabad et précise que cette personne avait joué un rôle redoutable dans la répression des manifestations des derniers mois à Mahabad. Selon le rapport de Hengaw, Anwar Azizi Gorub a été abattu par des inconnus armés à son domicile le vendredi 26 mars. Ce rapport indique qu'Anwar Azizi était un "membre important du corps des Gardiens de la révolution dans la région et il était le commandant de la base de Basidji de Gog Tepe de Mahabad. Aucun groupe politique n'a revendiqué ce meurtre et les médias de la République islamique n'y ont pas réagi non plus. Selon Hengaw, Anwar Azizi a été présenté par des témoins oculaires comme l'un des commandants sur le terrain lors de la répression des habitants de Mahabad. Au cours des six derniers mois, lors de manifestations nationales dans la ville de Mahabad, au moins 13 citoyens ont été tués par des tirs directs des forces armées de la République islamique.
Le 18 mars : Suleiman Abdi, membre du Syndicat des enseignants du Kurdistan, a été arrêté par les forces de sécurité. Selon le rapport reçu par l'organisation de défense des droits de l'homme Hengaw, il a été arrêté sur son lieu de travail et emmené à un endroit inconnu. Selon des sources bien informées, après avoir arrêté cet enseignant, les agents du ministère du Renseignement avaient perquisitionné le magasin où il travaillait ainsi que le jardin appartenant à son frère. Après avoir arrêté S. Abdi, ils ont effectué une descente dans son domicile et ont confisqué ses appareils de téléphone et d’ordinateur portable ainsi que les téléphones portables de sa femme et de son fils. Une semaine après cet enlèvement il n'y a aucune information sur son sort ni sur l'endroit où il se trouve.
Le 22 mars : Behzad Azizi, 19 ans originaire de la ville de Baneh a été froidement abattu par les gardiens de la révolution qui l’avaient sciemment visé à la tête. Ce meurtre est survenu alors que le jeune homme regagnait paisiblement son domicile dans son village natal, une localité dans la vallée du Cheikhan. C’est au niveau du poste de contrôle de Karimabad (à 3 km de Baneh) que les pasdarans ont tiré sur lui et l’ont abattu.
Le tribunal révolutionnaire d'Ourmia a condamné à mort cinq prisonniers kurdes de cette ville : Wafa Henare, Aram Omari Bardiani, Rahman Parhazo, Mansour Rasouli et Nasim Namazi. Cinq autres citoyens : Kamran Henare, Fakhruddin Dudkanloi Milan, Ashkan Osmannejad Ganduk, Hassan Omarpour et Amir Mushtaq Gangchin ont été condamnés à dix ans de réclusion.
L’Iran poursuit aussi son bras de fer avec les pays occidentaux. Il a, le 1er mars, expulsé deux diplomates allemands en représailles au renvoi de deux diplomates iraniens par Berlin le 22 février après la condamnation à mort d’un germano-iranien (Le Figaro). Au moins 16 ressortissants occidentaux dont 6 Français sont détenus en Iran. La plupart d’entre eux sont des bi-nationaux mais l’Iran ne reconnaît pas le statut de la double nationalité pour ses ressortissants. L’Allemagne a saisi l’ONU pour que les cas d’empoisonnement de milliers d’écolières soient élucidés (Le Monde du 3 mars).
Selon de nombreux témoignages, cités dans Le Monde du 6 mars, ces empoisonnements pour le moins suspects s’accélèrent et se propagent. Plus de 5000 élèves ont été affectés depuis novembre 2022 dans 230 établissements des 25 des 31 provinces du pays. Ces attaques au gaz sont considérées comme une vengeance contre le rôle joué par les écolières et les lycéennes dans les manifestations du mouvement « Femme, Vie et Liberté ». Les auteurs, islamistes radicaux, chercheraient à remettre en cause la scolarisation des filles de plus de 10 ans alors que l’éducation pour tous, bien que non mixte, reste obligatoire en Iran. Réagissant à la colère des familles victimes l’ayatollah Khamenei a réclamé des « peines sévères » contre les auteurs de ces crimes (Euronews du 6 mars). Selon une dépêche de l’AFP du 12 mars les autorités iraniennes ont annoncé une centaine d’arrestations. On apprend aussi que par solidarité et pour soutenir les femmes en lutte pour leur liberté de nombreux hommes se sont mis à porter le voile islamique en public (Le Figaro du 14 mars).
Sur le plan économique, la situation ne cesse d’empirer. Selon le New York Times du 6 mars, le rial iranien a perdu 30% de sa valeur contre le dollar américain depuis le début de l’année. L’inflation atteint 50% par an. En mars, un dollar américain valait 500.000 rials alors qu’en 2015 il s’échangeait contre 32.000 rials.
Par ailleurs, la Cour de justice internationale, statuant sur l’affaire du gel des fonds iraniens par les Etats-Unis a, le 30 mars, débouté l’Iran.
Les négociations sur le nucléaire iranien restent au point mort mais l’Iran continue de tester « la ligne rouge » des Occidentaux en poursuivant l’enrichissement de l’uranium à des fins militaires. Ainsi, les inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique ont découvert des particules d’uranium enrichi à 83,7% sur un site iranien, juste en deça des 90% nécessaires pour la fabrication d’une bombe atomique (Le Parisien du 2 mars).
Dans le cadre de la coalition internationale de la guerre contre Daech, les Etats-Unis maintiennent un contingent militaire au Rojava dont la mission principale est de former les Forces démocratiqies syriennes (FDS), et de leur assurer une protection aérienne. Les effectifs de ce contingent ont varié au fil des ans et des viscicitudes militaro-diplomatiques. Ainsi lors de l’invasion turque des districts kurdes syriens de Girê Spî (Tell Abyad) et de Serê Kaniyê (Ras al-Ain), en octobre 2019 l‘administration de Donald Trump avait décidé de retirer ses bases situées à proximité de ces territoires et de réduire ses effectifs en Syrie afin d’éviter une confrontation militaire avec la Turquie, son alliée de l’OTAN. Le maintien ou non de cette force, résiduelle mais essentielle pour la sécurité des FDS, fait depuis régulièrement l’objet de débats et de polémiques au Congrès américain.
Le 8 mars la Chambre des représentants des États-Unis a rejeté une nouvelle résolution, appelant au retrait de toutes les forces américaines de Syrie dans les six mois par un vote de 321 voix contre 103. La résolution parrainée par le représentant Matt Gaetz (R-FL) et ses partisans fait valoir, entre autres, qu'une si petite force possédait une capacité limitée à contrer Daech au Moyen-Orient. Cela dit, divers experts et officiers militaires se sont joints à la plupart des membres de la Chambre des représentants pour s'opposer à la résolution. Le commandant américain du CENTCOM, le général Michael Kurilla, et le président du comité des chefs d'état-major interarmées, le général Mark Milley, qui sont récemment revenus de visites au Rojava , ont souligné que le soutien continu aux FDS et les opérations américaines en cours étaient essentiels pour empêcher la résurgence de Daech.
Quelques jours plus tard, le 23 mars, une bombe iranienne a frappé une base américaine près de Hasakah, tuant un entrepreneur militaire américain et blessant un autre entrepreneur et cinq militaires américains. Quelques heures plus tôt, des milices soutenues par l'Iran avaient lancé plusieurs roquettes qui ont frappé le champ gazier de Conoco à Deir ez Zor et des zones résidentielles proches du champ pétrolifère d'al Omar. Liwa al-Ghaliboun, soutenu par l'Iran, a revendiqué l'attaque trois jours plus tard.
Le 24 mars, des frappes aériennes américaines ont frappé plusieurs sites du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) et auraient tué ou blessé 13 membres de ce corps. Les miliciens pro-iraniens ont répondu en tirant des roquettes sur trois installations américaines, mais aucune de ces attaques n'a fait de victimes américaines. Le président américain Joe Biden a annoncé que les États-Unis "agiraient avec force" pour protéger les Américains dans la région. Dans une déclaration séparée, le coordinateur du Conseil de sécurité nationale pour les communications stratégiques, John Kirby, a confirmé que les États-Unis n'avaient pas l'intention de se retirer de la Syrie et poursuivraient leur mission contre Daech.
Si les attaques des milices pro-iraniennes visent les forces américaines afin de les harceler et à les contraindre à quitter la Syrie, la Turquie, elle, poursuit méthodiquement sa guerre d’usure contre les FDS dominées par les Kurdes. Début mars, les Forces démocratiques syriennes (FDS) ont publié un rapport résumant les attaques turques contre le nord de la Syrie en février, qui comprenaient deux frappes de drones et 24 attaques avec des armes lourdes et des chars. Les FDS ont affirmé que les attaques avaient tué quatre civils et fait de nombreux blessés. Les FDS ont également réfuté l'affirmation de la Turquie selon laquelle elles auraient été le planificateur de l'attentat d'Istanbul de novembre 2022. « Nous affirmons que la personne susmentionnée n'a aucun lien avec nos forces, et qu'il s'agit d'un civil éloigné des activités militaires et politiques, et le meurtre qui l'a affecté s'ajoutent au bilan des crimes commis par l'occupation et toujours contre notre peuple, », ont déclaré les FDS.
De son côté, l’administration kurde régionale, l'AANES a été attaquée au moins six fois par divers groupes armés au cours de la semaine du 14 au 20 mars, dont Hay'at Tahrir al Sham (HTS), branche syrienne d’Al Qaïda, l'Armée nationale syrienne (SNA) soutenue par la Turquie et Daech. Les attaques ont tué plusieurs membres des Forces démocratiques syriennes (SDF) et détruit un certain nombre de bâtiments. De plus, les cellules de Daech à Deir ez Zor ont menacé de tuer des résidents locaux pour avoir coopéré avec les forces de sécurité intérieure kurdes (Asayish) ou pour avoir omis de payer de l'argent d'extorsion. Enfin, les FDS ont honoré 9 membres des Unités antiterroristes (YAT) qui ont été tués dans un accident d'hélicoptère le 15 mars survenu au Kurdistan irakien (Rudaw du 16 mars). Des milliers de partisans des FDS se sont rendus à Hasakah pour assister à cette cérémonie d’hommage
Par ailleurs, le Sénat français a reçu le 24 mars une délégation de l'Administration autonome du nord et de l'est de la Syrie (AANES) et a honoré les sacrifices des Unités de protection du peuple (YPG) et des Unités de protection des femmes (YPJ) kurdes dans la lutte contre Daech. Les porte-parole des YPG et des YPJ, Nuri Mahmud et Roxsana Muhammad, ont reçu à cette occasion une « Médaille d'honneur ». Le ministère turc des Affaires étrangères a condamné cette action et a sommé l'ambassadeur de France de "dénoncer fermement le Sénat de France" pour sa reconnaissance des YPG/YPJ.
Le 22 mars, la Commission d'enquête internationale indépendante des Nations Unies sur la Syrie a publié un rapport indiquant que la Turquie et ses supplétifs syriens étaient responsables de nombreuses « arrestations arbitraires, disparitions forcées, viols, enlèvements et pillages ». Le 23 mars, 32 partis politiques et organisations du nord-est de la Syrie ont tenu une conférence de presse à Qamishli pour dénoncer le massacre de Jinderes, au cours duquel des mercenaires turcs ont tué quatre Kurdes pour avoir célébré Newroz le 20 mars, et exiger que la SNA soit déclarée organisation terroriste.
Le 27 mars, le représentant du Conseil démocratique syrien aux États-Unis, Sinam Muhammad, a demandé qu'une commission d'enquête soit envoyée à Afrin pour enquêter plus avant sur les crimes contre l'humanité commis par la Turquie et ses mercenaires. Toujours le 27 mars, le Conseil des femmes syriennes a publié une déclaration condamnant le massacre de Jindires et déclarant que l'incident faisait partie d'un génocide organisé contre les Kurdes à Afrin.
La Russie a rapatrié 49 enfants détenus par l'AANES le 11 mars. Une délégation soudanaise a également accepté de rapatrier les femmes et les jeunes parents de Daech du camp d'al Hol. L'AANES et les Forces démocratiques syriennes (FDS) détiennent encore plus de 10 000 proches de membres de Daech dans les camps d'al Hol et de Roj.
A l’occasion de Newroz, les Forces démocratiques syriennes (FDS) ont libéré 19 prisonniers accusés de travailler avec l'État islamique (Daech) après que les preuves de leur participation à à des massacres se soient révélées peu concluantes. Les prisonniers ont été remis aux dirigeants locaux sous caution tribale.
Sur le plan diplomatique, on notera que le président syrien Bashar al Assad a rencontré Vladimir Poutine à Moscou le 16 mars. Assad a exprimé son soutien aux projets russes d'établir de nouvelles bases militaires et de déployer des troupes supplémentaires dans les territoires contrôlés par le gouvernement syrien. Il refuse toujours de rencontrer le président turc Recep Tayyip Erdogan ou des représentants turcs et affirme que tous les problèmes de sécurité de la Syrie sont causés ou exacerbés par la politique d'Erdogan en Syrie. Il a également poursuivi ses efforts pour normaliser les relations avec ses homologues arabes en rencontrant le président des Émirats arabes unis, le cheikh Mohammed bin Zayed al-Nahyan. L'Arabie saoudite, le Qatar et, dans une moindre mesure, les Émirats arabes unis ont soutenu les rebelles anti-Assad lors du soulèvement syrien. Les Émirats arabes unis ont inversé le cap et reconstruit des liens avec Damas ces dernières années, malgré les objections américaines.
Sur le plan humanitaire, les rescapés des tremblements de terre du 6 février sont dans le dénuement total. L’aide internationale est instrumentalisée et détournée par le régime syrien et par les diverses milices islamistes sévissant dans la province d’Idlib et dans les territoires kurdes sous occupation turque. En dépit de cette situation délétère, plus de 40.000 réfugiés syriens installés en Turquie, qui ont tout perdu lors du séisme, sont rentrés en Syrie pour y retrouver leurs proches et leurs foyers.
Le nouvel an kurde et iranien, Newroz, a été célébré partout au Kurdistan, dans la diaspora kurde et même à la Maison Blanche où le Président américain a organisé une réception « en l’honneur des femmes iraniennes courageuses qui, par leur combat, sont devenues une source d’inspiration pour le monde ».
Au Kurdistan iranien aussi les célébrations de cette année étaient dédiées à l’icône du combat des femmes Jina Mahsa Amini, morte en garde-à-vue à l’âge de 22 ans pour le port « inadéquat » du voile islamique. Des manifestations anti-gouvernementales ont éclaté dans la plupart des villes kurdes notamment à Mahabad, Bokan, Saqqez, Sinneh (Sanandadj), Urmia, Kermanchah, Piranchahr, Shino, Marivan, Baneh et Jiwanro le « mercredi rouge » (Çarsema Sor) qui commence le soir du dernier mardi de l’année civile iranienne. Des dizaines de milliers de Kurdes ont défié les menaces de répression en brandissant le drapeau du Kurdistan et en chantant des chants patriotiques kurdes. Les forces ont ouvert le feu contre les manifestants dans plusieurs localités, notamment à Saqqez, Mahabad et Dewalan. Une quarantaine de Kurdes ont été blessés, trois autres ont été arrêtés. Contrairement aux Persans qui célèbrent le 21 mars leur « Nourouz » comme une fête de printemps et du Nouvel An avec des pique-niques et des repas familiaux, chez les Kurdes le Newroz a un contenu politique de résistance contre la tyrannie et contre les injustices.
En Turquie, où toute célébration de Newroz était interdite jusqu’en 1992, cette année malgré le deuil des centaines de milliers de familles touchées par le tremblement de terre dévastateur du 6 février et en dépit d’une météo capricieuse, des célébrations massives ont été organisées dans toutes les villes kurdes ainsi que dans les grandes métropoles turques comme Istanbul, Ankara, Izmir et Adana qui comptent d’importantes communautés kurdes. Elles ont été émaillées çà et là, notamment à Istanbul, par des affrontements avec la police. La plus importante célébration s’est tenue, comme chaque année, à Diyarbakir la capitale politico-culturelle du Kurdistan de Turquie avec la participation de plusieurs centaines de milliers d’habitants de tout âge et de toutes conditions sociales.
Au Kurdistan autonome, les célébrations ont été paisibles et calmes. La plus spectaculaire manifestation a été la marche aux flambeaux de plusieurs milliers de personnes à la tombée de la nuit sur le site historique et montagneux d’Akreh, ville située entre Erbil et Duhok.
Au Kurdistan syrien, dans les régions sous contrôle kurde, le Newroz a été célébré partout dans la joie. Dans les territoires sous occupation turque où sévissent des milices islamistes supplétives de l’armée turque toute célébration était interdite. Une famille kurde de 4 personnes, qui avait allumé quelques bougies dans son jardin, a été massacrée le 20 mars par des miliciens islamiques provoquant l’indignation et la colère de la population locale. Le Gouvernement du Kurdistan a condamné ce quadruple meurtre et demandé que ses auteurs soient arrêtés et traduits en justice. Ankara a promis de diligenter une enquête mais nul ne se fait se fait d’illusion à ce sujet. Les nombreux crimes et exactions perpétrés par les milices pro-turques sont restés à ce jour impunis.
Le Nouvel an kurde a également été célébré dans la diaspora kurde d’Europe, du Caucase et d’Asie centrale. A Paris, l’Institut kurde a organisé, le 20 mars à la Mairie du Xème arrondissement de Paris, une fête populaire où plusieurs centaines de familles sont venues avec leurs enfants, souvent vêtus de costumes kurdes, danser aux rythmes de musiques kurdes en compagnie de leurs nombreux amis français et autres. La maire du Xème arrondissement, Mme Alexandra Cordobard, ses conseillers municipaux ainsi que l’ancien maire Rémi Féraud, devenu sénateur de Paris, ont participé à la fête et partagé ce moment de joie et d’amitié avec la communauté kurde.
Il y a 35 ans environ 5.000 civils kurdes ont été tués et plus de 10.000 blessés avec des gaz chimiques largués par 8 bombardiers MiG-23 de l’aviation irakienne dans la ville kurde de Halabja.
Les images de ce massacre chimique ont bouleversé l’opinion publique internationale, mais ni les pays occidentaux, ni l’URSS et ses alliés communistes, ni les États membres de la Ligue arabe n’ont condamné cette barbarie perpétrée par la régime génocidaire de Saddam Hussein qui était leur allié, et un client important de leurs industries d’armement. La mission d’enquête internationale dépêchée sur place par l’ONU, tout en constatant l’ampleur du massacre, s’est abstenue, à la demande notamment de Washington, de désigner les coupables afin de ne pas servir « la propagande iranienne » (Voir le livre d’enquête de Joost R. HILTERMANN, A Poisonous Affair: America, Iraq, and the Gassing of Halabja publié par Cambridge University Press en 2007).
Le gazage de Halabja faisait partie de la vaste campagne génocidaire d’Anfal menée en 1987-1988 par Bagdad pour « régler définitivement la question kurde », en rasant 4.500 des 5.000 villages et une trentaine de bourgades kurdes et en détruisant l’économie agro-pastorale du Kurdistan. Elle a fait 182.000 morts identifiés et enterrés pour la plupart dans des fosses communes dans les déserts du sud irakien après leur exécution sommaire.
Les auteurs de cette campagne génocidaire ont été, eux aussi, identifiés ainsi que leur chaine de commandement grâce à des archives irakiennes capturées par la résistance kurde et par les Américains après la chute de la dictature de Saddam Hussein en avril 2003.
L’architecte de cette campagne, un cousin du dictateur, Ali Hassan Majid, dit Alî le chimique a été jugé et exécuté. Mais le procès bâclé de Saddam Hussein en 2006 et son exécution hâtive décidée par les dirigeants chiites de Bagdad n’ont pas permis d’avoir un procès véritable sur Anfal et Halabja. Un déni de justice pour les victimes, qui attendent toujours que la justice leur soit rendue, que tous les coupables soient jugés et punis. Y compris les entreprises occidentales et russes qui ont fourni au régime de quoi fabriquer et lâcher ces armes sur les populations civiles (voir le dossier d’Amnesty).
Une class action contre ces entreprises est en cours mais elle n’a toujours pas abouti ; Les Kurdes demandent aussi que ce crime de masse soit internationalement reconnu comme un génocide.
Le parlement irakien a bien reconnu ce génocide mais, comme vient de le rappeler, en ce jour d'anniversaire, le Président du Kurdistan, Nechirvan BARZANÎ, le gouvernement irakien n'a encore prévu aucune réparation ni versé aucune indemnisation aux rescapés.
En attendant, les survivants de ce génocide, reconstruisent leur ville et leur vie. Halabja est désormais gérée par une jeune maire, symbole du renouveau démocratique et d’espoir.
Pour le compte-rendu du gazage de Halabja et les réactions internationales de l’époque voir le numéro spécial du Bulletin de l’Institut (Halabja, mars 1988).