Publications


Bulletin complet

avec revues de presse

Bulletin N° 457 | Avril 2023

 

 

BAGDAD ET ERBIL PARVIENNENT À UN ACCORD SUR LES EXPORTATIONS DU PÉTROLE DU KURDISTAN

Un accord sur la reprise des exportations pétrolières du Kurdistan a été signé le 4 avril à Bagdad en présence du Premier Ministre irakien Mohamed Chia al-Soudani et du Premier Ministre du Kurdistan Masrour Barzani. Il prévoit la reprise des exportations du pétrole kurde jusqu’au port turc de Ceyhan « dès le 4 avril » selon une dépêche de l’AFP. Selon cet accord - considéré comme un « compromis temporaire - les ventes du pétrole kurde passent désormais entre les mains de la compagnie pétrolière irakienne (SOMO) mais les revenus seront versés sur un compte géré par Erbil et supervisé par Bagdad.

La signature de cet accord constitue une avancée significative dans le contentieux qui depuis 2014 oppose Bagdad à Erbil et à Ankara. Elle intervient au lendemain d’une décision d’arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale (ICC) basée à Paris, saisie par le Ministère irakien du pétrole en mai 2014. Privé par Bagdad de sa dotation financière prévue par la Constitution, le Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) avait signé, en novembre 2013, avec la Turquie un « accord énergétique » stratégique permettant d’exporter via un oléoduc le pétrole kurde vers le port turc de Ceyhan et de le vendre sur les marchés internationaux. Pour ce faire le GRK avait consenti un rabais de 5,77 dollars par baril par rapport au prix pratiqué par la compagnie irakienne SOMO et une surtaxe du prix de transit et de l‘usage de la section turque de l’oléoduc.

Dans son arrêt, l’ICC accède à l’une des requêtes de Bagdad et condamne la Turquie à une amende de $1,471 milliards, somme relativement modique par rapport aux $30,5 milliards réclamés par Bagdad pour « dommages subis par l’Etat irakien par ces exportations illégales entre mai 2014 et septembre 2018 ». De son côté, la Turquie réclamait à l’Irak une somme de $1,3 milliards pour frais de transit du pétrole irakien depuis 1990 qui n’ont pas été réglés.

Le Tribunal estime que « la Turquie n’étant pas entièrement responsable pour les prix à rabais » et que sa responsabilité devrait être calculée sur la base de la différence entre les revenus pétroliers historiques réels du GRK et ce que l’Irak aurait gagné si la Turquie avait totalement respecté le traité Iraq-Turkey Pipeline (ITP) signé dans les années 1960 et renouvelé en 2010. Dans ce cas de figure, le Gouvernement du Kurdistan aurait encore exporté d’importants volumes de pétrole indépendamment à un prix réduit selon les accords budgétaires convenus avec Bagdad.

Après des calculs compliqués, l’ICC accorde à l’Irak une compensation totale de $ 1.998 milliards, dont 1.325 milliards pour les coûts surfacturés de l’oléoduc par rapport à ceux relativement bas prévus par le traité ITC, le reste pour dommages subis. De son côté, la Turquie a obtenu une indemnité de $ 527 millions pour frais dûs de transport et de transit de pétrole irakien depuis 1990. Au total, de ce fait, l’Irak dervait obtenir une indemnité de 1.461 milliards de dollars.

La décision de l’ICC est basée sur les provisions du traité ITT qui définit le ministère du pétrole irakien comme « la seule autorité » qui peut envoyer du pétrole à partir de l’Irak via le système de l’oléoduc.

La question est de savoir si la Turquie va accepter de reprendre les exportations du pétrole du Kurdistan sans rabais et sans surtaxe de transit aux conditions de l’Irak. Certes, le traité stipule qu’à « l’exception de force majeure la partie turque doit garantir le flow continu et la sécurité du pétrole provenant de l’Irak à travers le territoire turc via ITT » et que « la partie turque garantit le chargement du pétrole brut provenant de l’Irak sur des tankers sur instructions de la partie irakienne sans délai ». Cependant, la Turquie peut toujours avancer des prétextes « techniques » pour retarder la reprise des exportations. Jusqu’à quand sans encourir des condamnations ? Fin avril, la question n’était toujours pas réglée. Un long et difficile marchandage s’annonce entre Ankara, Bagdad et Erbil.

On peut s’attendre aussi à ce que Bagdad et Ankara se renvoient la balle pour faire durer quelque temps le processus de reprise d’exportation afin d’exercer un maximum de pression sur la Région du Kurdistan et fragiliser sa vie économique et politique. Le coût de chaque jour d’arrêt d’exportation est évalué à $ 40 millions.

A terme, en cas de nouvelle crise avec Bagdad, rien dans la décision de l’ICC n’empêche le Gouvernement du Kurdistan d’exporter son pétrole vers la Turquie par des camions-tankers ou par un oléoduc séparé du système ITP faisant l’objet du traité turco-irakien. Il en va de même pour les futures exportations du gaz du Kurdistan.

Avant la décision de l’ICC, le Kurdistan exportait via la Turquie 450.000 barils de pétrole par jour, plus 75.000 barils de Kirkouk. L’arrêt de ces exportations s’ajoutant à une réduction dès mai 2023 de 211.000 barils par jour des exportations de l’Irak, conformément à une récente décision de l’OPEP, aura une incidence majeure sur le budget du Kurdistan et sur celui d’Irak qui dépend à plus de 90% des revenus du pétrole.

La Turquie, en pleine campagne électorale, où le président Erdogan joue à fond la carte de la lutte contre le terrorisme, a poursuivi sans relâche ses bombardements aériens contre les zones frontalières (voir le dossier du MONDE du 8 avril : La Turquie traque le PKK au-delà de ses frontières). Elle a décidé, le 5 avril, d’interdire son espace aérien aux avions en provenance et à destination de la ville kurde de Suleimanieh en affirmant, contre toute évidence, que son aéroport serait sous le contrôle du PKK. Le 7 avril, un drone turc a bombardé un convoi kurdo-américain passant près de cet aéroport visant le général Mazloum Kobani, commandant en chef des Forces démocratiques syriennes, en visite pour une réunion régionale sur la coordination de la guerre contre Daech. Attaque condamnée avec fermeté par le président le République irakienne mais restée impunie.

Enfin, selon le commandant de la coalition internationale anti-djihadiste, le major-général Matthew McFarlane, on assiste à une décrue importante des attaques de Daech en Irak et en Syrie. Dans une conférence de presse en ligne le 24 avril, il affirme que « depuis le début de cette année en Irak jusqu’à la première semaine d’avril, nous avons vu une réduction record de 68% des attaques comparées à celles de la même période de l’année dernière ». Pendant la même période on a enregistré une baisse de 55% en Syrie, a-t-il ajouté. Le mois de Ramadan été l’un des plus paisibles depuis des années. Le général a également indiqué que « plus de 1300 nationaux de pays tiers ont été rapatriés des camps Al-Hol » du Rojava qui abrite encore environ 50.000 personnes, y compris des membres de familles de djihadistes suspectés (Kurdistan 24, 24 avril).

A signaler aussi que le Parlement irakien a adopté une loi faisant de la ville martyre de Halabja la quatrième province du Kurdistan irakien. Le Gouvernement Régional du Kurdistan est chargé de délimiter les frontières administratives de cette nouvelle province dont la création avait été adoptée par le Parlement du Kurdistan en 2013.

Le Parlement irakien a examiné le 17 avril en deuxième lecture un projet de loi de finances sur 3 ans. Le budget proposé 2023 est d’environ 151 milliards de dollars. Il s’agit du budget le plus important de l’histoire de l’Irak calculé sur la base d’un baril de pétrole à 70 dollars. La Région du Kurdistan devrait recevoir 12,6 % de ce budget qui devrait être soumis au vote en mai, si tout va bien.

La bonne nouvelle de ce mois d’avril agité concerne la météo. Pour la plus grande joie des agriculteurs, il a beaucoup plu en avril au point où il y a eu, çà et là, notamment à Duhok, Akre et Suleimanieh, des inondations et quelques dommages matériels. Les 11 et 12 avril il est tombé plus de 128 mm de pluie à Barzan, 101 mm à Akre et 90 mm à Suleimanieh. Après des neiges et pluies abondantes de l’hiver, les nappes phréatiques semblent s’être reconstituées, les barrages bien remplis dans une région où, en raison du contrôle exercé en amont par la Turquie sur les débits du Tigre et de l’Euphrate, l’eau est devenue une ressource précieuse et convoitée (Kurdistan 24, 13 avril).

 

TURQUIE : LES MEDIAS ET L’APPAREIL D’ÉTAT AU SERVICE DU CANDIDAT ERDOGAN

La campagne pour les élections législatives et présidentielle du 14 mai a été marquée par une forte mobilisation des partisans des principaux candidats en lice tout au long du mois d’avril. Le président sortant Erdogan et le candidat de l’Alliance nationale regroupant 6 partis d’opposition, à l’exclusion du parti pro-kurde HDP, ont tenu de vastes rassemblements électoraux dans pratiquement toutes les villes du pays pour mobiliser leurs sympathisants et convaincre les indécis. Cette compétition d’apparence démocratique, s’est révélée assez rapidement très inégalitaire, voire inique. Le président sortant, dont les proches contrôlent 90% des médias du pays selon une estimation de l’hebdomadaire britannique The Economist, a été omniprésent sur les écrans. Ses discours ont été transmis en direct par la plupart de ses médias. Son challenger Kemal Kılıçdaroğlu n’a eu droit qu’à quelques bref passages et reportages sur les chaînes publiques et privées. Les commentateurs, dans leur très grande majorité pro-Erdogan, ont animé les talk-show pour expliquer les messages d’Erdogan à l’électorat turc islamique et nationaliste. Dewlet Bahçeli, chef du parti d’extrême droite MHP (Parti de l’action nationaliste), allié du pouvoir, a été beaucoup plus présent dans les médias que le leader d’Iyi parti (Bon parti) issu de la même mouvance mais membre de l’Alliance nationale. Les candidats kurdes issus du Parti démocratique des peuples (HDP) se présentant sous l’étiquette du Parti de la gauche verte (YSP) car le HDP est menacé d’interdiction, n’ont eu aucun accès aux écrans des médias turcs.

Les thèmes de campagne, développés et sérinés de meeting en meeting par le candidat Erdogan, visent à regrouper l’électorat islamo-nationalistes turc autour de lui. Pour lui, la Turquie fait face à un complot impérialiste « visant à l’empêcher d’occuper la place qu’elle mérite dans la région et sur l’échiquier international ». L’impérialisme soutient « les terroristes de la confrérie Gulen » son ex-alliée accusée de la tentative ratée de coup d’Etat de juillet 2016, et il arme « les terroristes du PKK » (Parti des travailleurs du Kurdistan) et sa branche syrienne le YPG, (Unité de protection du Peuple) épine dorsale des Forces démocratiques syriennes (FDS), alliés de la coalition internationale anti-djihadiste. Le HDP et son avatar le YSP ne seraient que des vitrines politiques du PKK. En s’alliant à ce parti, le candidat Kılıçdaroglu fait le jeu des terroristes, devient leur otage et met en péril la survie même de l’État turc. Allié des terroristes et des LGBT, Kılıçdaroğlu s’il arrive au pouvoir abolira les acquis des musulmans, le port du hijab dans les écoles, les universités et les administrations, mettra en cause les valeurs fondamentales traditionnelles et, avec sa coalition à 6 ou7 têtes, il sèmera rapidement les chaos. L’heure est grave. Oubliez les difficultés économiques du moment, pensez à la défense de votre foi et de vos valeurs islamiques. Avec Erdogan, le 21e siècle sera un siècle turc, avec Kılıçdaroğlu la Turquie deviendra une colonie de l’impérialisme occidental risquant de perdre son indépendance et son intégrité territoriale.

Parallèlement à cette rhétorique qui fait peur, le candidat Erdogan mobilise toutes les ressources budgétaires de l’État pour augmenter substantiellement les salaires de diverses catégories sociales et mettre en retraite anticipée près de 3 millions d’employés et salariés Aux sinistrés du terrible séisme du 6 février, qui a fait plus de 50.000 morts, il promet de reconstruire leurs logements détruits « d’ici un an », des indemnités de logement pendant un an pour payer leur loyer, des frais de déménagement, des contingents particuliers dans les universités pour leurs enfants. Il multiplie les inaugurations en grande pompe, retransmises en direct par toutes les chaînes de télévisions. La clé de voûte de cette séquence aurait dû être l’inauguration en compagnie de son « cher ami » Poutine de la centrale nucléaire d’Akkuyu, construite par le géant russe Rosatom, le 27 avril même si elle est encore loin d’être terminée. Poutine n’a pas fait le déplacement et Erdogan, victime d’une gastro-entérite, a dû se contenter d’une inauguration en visio-conférence. Comme par hasard, c’est au cours de ce mois qu’il a présenté aux électeurs le premier navire porte-drone « turc » (en fait conçu par les Espagnols), le premier char turc Altay (avec un moteur sud-coréen), le prototype d’un bombardier turc baptisé Kaan, un héros mythique de la préhistoire turque d’Asie centrale, et la première voiture électrique turque TOGG. Un miracle n’arrivant jamais seul, il a aussi annoncé la découverte d’un gisement pétrolier sur les flancs du Mont Gabar, dans la province kurde de Cizre, « désormais nettoyée de terroristes ». Enfin, les gisements de gaz naturel découverts en Mer Noire seront bientôt disponibles et les ménages turcs pourront en bénéficier « gratuitement pendant un an ».

 Ces promesses mirobolantes faites à ses électeurs sont accompagnées de punitions sévères contre ses ennemis kurdes irréductibles. Tout l’appareil policier et judiciaire a été mobilisé en ce sens. Le 12 avril s'est tenu la 24ème audience du procès Kobane devant la 22ème Cour criminelle d'Ankara. 108 militants kurdes, dont les co-président et les principaux dirigeants du HDP, en 2014 pour leur participation aux manifestations des 6 et 8 octobre 2014 contre le soutien de la Turquie aux forces de Daech encerclant la ville kurde syrienne de Kobané sous les yeux des caméras des télévisions turques et internationales présentes à la frontière turco-syrienne L'intervention massive des forces de répression turque s’est traduite par des affrontements qui ont fait 37 morts, dans leur quasi-totalité des civils kurdes. Avec un cynisme et un aplomb à toute épreuve, le gouvernement tient les organisateurs de ces manifestations pour responsables de ces morts, victimes des violences policières à l’exception d’un adolescent tombé d’un balcon. Les 108 responsables du HDP, dont ses co-présidents de l’époque de Selahattin Demirtas et Mme Figen Yuksekdag, sont poursuivis pour « le meurtre de 37 personnes », « atteinte à l’unité et l’intégrité de l’État » et « incitation à la violence ». Si aucun acte violent individuel ne leur est rapproché, le procureur, au terme de trois jours d’audience, a lu pendant 8 heures un réquisitoire de 500 pages réclamant la peine de réclusion à vie contre 36 prévenus dont Dermitas et F. Yuksedag.

Les avocats ont dénoncé cette parodie de justice et reproché aux juges d’aller vite en besogne. Le président de la Cour leur a répondu : « La vie est courte ». Salahettin Demirtas ancien candidat à la présidence de la Républque, détenu depuis 2016 à la prison d’Edirne, en Thrace, est intervenu en visio-conférence. Il a souligné que le président Erdogan est un leader autoritaire qui interfère ouvertement dans les décisions judiciaires. Il a évoqué les nouvelles indiquant qu’Erdogan avait appelé directement les juges de la Cour constitutionnelle dans l’affaire visant à la fermeture du HDP. Si un politicien, menaçant comme Erdogan, appelle directement les membres de la Cour constitutionnelle que ne ferait-il pas avec la 22ème Cour criminelle d’Ankara (qui juge le procès Kobani) a-t-il demandé ? Il a accusé la Cour de faire des décisions politiques plutôt que des jugements juridiques « Quoiqu’agissant comme juges, vous appliquez les instructions de Tayip Erdogan en pratique ». Le candidat Erdogan a demandé que les conclusions du réquisitoire du parquet soient rendues pendant la campagne électorale afin qu’il puisse en parler dans ses meetings électoraux. Quand le juge a voulu lui couper la parole, il a interpelé les juges en ce termes : « Vous décidez comme la Commission électorale d’AKP et nous ne reconnaissons aucune décision que vous prendrez. Ceci n’est pas une Cour et vous n’êtes pas non plus des juges malgré les robes que vous portez. C’est une campagne politique et la décision sera rendue dans les urnes le 14 mai (Gerçek News, 12 avril ; Duwar English, 14 avril).

Une douzaine de jours après ce procès médiatisé, le 25 avril, la police turque a lancé une vaste rafle anti-kurde dans 21 villes. Plus de 120 personnes dont des avocats, ingénieurs, journalistes, militants des droits de l’homme ont été arrêtés pour leur présumés liens avec le PKK. La rafle s’est achevée dans la capitale kurde Diyarbakir par l’arrestation de la moitié des avocats du barreau, d’une partie de la Chambre des ingénieurs des mines, des membres des associations des droits de l’homme, des représentants de l’association des Juristes libres, 11 journalistes dont Abdurahman Gök, rédacteur-en-chef de la Mesopotamya News Agency, ainsi que trois acteurs de théâtre et d’autres représentants de l’élite politico-culturelle kurde (Le Monde, 26 avril). Le dossier judiciaire a été classé confidentiel pour que les prévenus et leurs avocats ne puissent pas y avoir accès, une violation dénoncée par le barreau de Diyarbakir dans un communiqué : « Pour qu’un procès soit équitable les justiciables doivent êre informés dès que possible de la nature des accusations qui pèsent contre eux. Dans le cas présent, l’accès au dossier est empêché et les avocats ne peuvent pas rendre visite à leurs clients ».

Les charges inaccessibles aux premiers concernés ont été en revanche exposées dans le détail sur le plateau de TRT, la chaîne de télévision publique pro-gouvernementale, qui en a révélé la teneur juste après la vague d’arrestations. La divulgation de la procédure judiciaire par les média pro-pouvoir, alors que les accusés ne peuvent en avoir connaissance, est devenue emblématique du fonctionnement de la justice en Turquie relève Le Monde. A trois semaines des élections, ces arrestations en série ont pour but d’intimider l’électorat kurde et d’affaiblir davantage le HDP dont des centaines de cadres et plus de 10.000 membres et partisans sont en détention dans les prisons turques.

Par ailleurs, pour la deuxième année consécutive le gouverneur d’Istanbul a interdit les commémorations marquant le génocide des Arméniens. Un rassemblement prévu à Kadiköy, sur la rive asiatique de la ville, qualifié d’« inapproprié » n’a pas été autorisé.

Pour sa part, le candidat Kiliçdaroglu dans ses meetings et dans ses vidéos postées en You Tube, privilégie les thèmes de pouvoir d’achat, de l’inflation, de la pauvreté, la corruption endémique, le népotisme, l’instrumentalisation de la justice. Il évoque un « gang des 5 » oligarques proches d’Erdogan qui ont accumulé une fortune de 418 milliards de dollars grâce aux juteux marchés publics de construction qui leur ont été attribués. Il accuse Erdogan d’associer les Kurdes au terrorisme. « Actuellement des millions de Kurdes sont traités comme des terroristes » dénonce-t-il dans une courte vidéo sur les réseaux sociaux (Le Figaro, 18 avril). Il promet le retour à un régime parlementaire et la restauration de l’État de droit. Un discours apprécié des élites urbaines éduquées et occidentalisées mais aux effets incertains sur les habitants de l’Anatolie profonde et conservatrice où son allié de droite extrême Meral Aksemer joue, dans ses meetings, la carte du nationalisme turc.

Le parti pro-kurde HDP n’a pas présenté de candidat à l’élection présidentielle et a apporté son soutien à Kiliçdaroglu afin de battre Erdogan et de « fermer les portes de l’enfer ». Mais le candidat de l’Alliance nationale, certes alévi et d’origine kurde non revendiquée, est chef d’un parti républicain du peuple (CHP), fondé par Ataturk qui, dans les années 1920-1940, a massacré, déporté des centaines de milliers de Kurdes, interdit la langue et la culture kurdes. Ce parti, à l’exception de la province de Dersim à majorité alévie, n’a qu’une présence marginale au Kurdistan. Les électeurs kurdes, dans leur très grande majorité hostiles à Erdogan, voteront-ils pour un Kiliçdaroglu allié à un parti d’extrême droite (Bon Parti) nationaliste et anti-kurde ? Le vote kurde qui pourrait être décisif est scruté de près par les observateurs qui s’interrogent aussi sur la sécurité des urnes où, en raison d’une forte présence policière dans la région, toutes les manipulations restent possibles.

 

IRAN : HAUSSE DE 75% DES EXÉCUTIONS EN 2022

Iran Human Rights (IHR), une ONG en Norvège et Ensemble contre la Peine de Mort, basé à Paris, ont dénoncé le jeudi 13 avril la hausse massive des exécutions judiciaires en Iran. Selon un décompte établi par les deux ONG, en 2022, 582 personnes ont été pendues, contre 333 exécutions en 2021 soit une hausse effarante de 75%. Plus de la moitié de ces exécutions sont intervenues après le début des manifestations consécutives à la mort en garde à vue pour un voile « mal porté » de la jeune femme kurde Jina Mahsa Amini. 44% des exécutions enregistrées en 2022 seraient liées à « des affaires de drogue » indique ce rapport, soit le double du chiffre de 2021 et dix fois ceux de 2020.

La « machine à tuer » iranienne s’emballe et vise à « installer la peur » sur fond de contestation grandissante contre le régime islamique souligne les deux ONG qui estiment que la peine de mort a été « une fois de plus utilisée comme ultime outil d’intimidation et d’oppression par le régime iranien dans le but de maintenir la stabilité de son pouvoir ». Selon le directeur d’IHR, Mahmoud Amiry Moghadara, « les autorités iraniennes intensifient les exécutions de prisonniers autres que politiques afin de distiller la peur au sein de la population et de la jeunesse contestataire ». Une centaine de détenus sont actuellement soit condamnés à mort, soit poursuivis pour des accusations passibles de la peine capitale selon les lois draconniennes de la Répulique islamique. Les membres de la communauté baloutche, sunnite, représentent 30% des exécutions alors qu’ils ne forment qu’environ 4 à 6% de la population iranienne. Viennent ensuite les Kurdes et les Arabes du Khouzistan. Au moins 3 pendus étaient mineurs et 16 des femmes.

Cette répression massive suscite de vives réactions dans les pays occidentaux qui comptent d’importantes communautés iraniennes. En France, plusieurs associations iraniennes ont organisé le 1er avril à l’Espace des Blancs Manteaux à Paris un forum « Femme, Vie, Liberté » pour célébrer les six mois de la « révolution Jîna ». La réalisatrice et auteure de bandes dessinées, Marjane Satrapi, a rappelé que se révolter est une vieille tradition en Iran puisqu’il est « le pays au monde qui aux XXè et XXIè siècles a le plus de révolutions et de changements de régime ». Le 13 avril, des avocats parisiens ont organisé à la Maison du barreau une soirée de solidarité avec de nombreux témoignages et des interventions musicales. Richard Sédillot, avocat et porte-parole de l’association Ensemble contre la Peine de Mort, a rappelé qu’aucun Etat dans le monde ne tue davantage de condamnés que l’Iran : 582 en 2022 et au moins 170 depuis le début de l’année 2023. La Chine, par rapport à sa population arrive loin derrière. Invité de marque de la soirée, Me. Henri Leclerc, président d’honneur de la Ligue des droits l’homme, a évoqué les années 1970 où il défendait les exilés iraniens qui avaient fui la monarchie du Chah et qui sont rentrés dans l’euphorie en 1979 en Iran pour y construire la démocratie et qui n’ont pas tardé à déchanter. L’un de ses clients, Sadegh Ghotzadeh, devenu ministre de la République islamique, fut condamné à mort après une parodie de procès et fusillé en 1982 par ce régime qu’il avait contribué à mettre en place (Libération, 14 avril). Le 17 avril c’était au tour des artistes d’organiser une soirée de solidarité avec la « révolution Jîna » au Théâtre du Châtelet.

Pendant ce temps, la répression contre « les rebelles du voile obligatoire » s’est poursuivie en Iran où le régime fait désormais appel aux caméras pour identifier les contrevenantes et punir les commerces qui laissent entrer les femmes sans hijab. En quelques semaines 150 commerces ont été condamnés à fermer pour « non-respect du voile obligatoire » (Challenge, 15 avril ; 20 minutes 16 avril)

Pour compléter les événements marquants du mois d’avril en Iran, voici la chronologie de la répression ordinaire.

Début avril, le tribunal révolutionnaire islamique de Saqqez a condamné une femme kurde nommée Paria Adnani à quatre mois de prison et 14 coups de fouet pour "propagande". De même, le tribunal révolutionnaire de Sineh a condamné un syndicaliste kurde du nom de Khabat Shakiba à deux ans de prison pour « appartenance » à un parti d'opposition kurde. À Shino, quatre Kurdes ont été condamnés à des peines allant de deux à quatre ans pour avoir participé à des manifestations. Un Kurde de confession yarsanie a été abattu à Kermanshah pour "ne pas s'être arrêté" à un point de contrôle. Et un portefaix kurde (kolbar) et a été tué près de Shino par des gardes iraniens.

Le 9 avril, des auteurs non identifiés ont attaqué 12 autres écoles de filles à travers l'Iran avec du gaz toxique, y compris des écoles dans les villes kurdes de Saqqez, Diwandarah, Urmia, Naghedeh et Sineh. Les attaques ont envoyé plus d'une centaine de collégiens dans des hôpitaux et déclenché des manifestations anti-régime dans plusieurs villes kurdes. À Saqqez, les forces du régime ont ouvert le feu sur des manifestants qui exprimaient leur désapprobation du guide suprême iranien Ali Khamenei et retiraient les drapeaux iraniens des écoles.

Le 10 avril, plusieurs commerçants de la ville ont organisé une grève générale pour protester contre les attaques en cours contre les écolières iraniennes. Ces manifestations ont coïncidé avec la mort d'un adolescent kurde qui a été empoisonné il y a plusieurs semaines lors d'une attaque au gaz à Kamyaran. Parallèlement, le régime a installé des caméras de sécurité pour identifier les femmes iraniennes défiant la loi du pays sur le hijab. En outre, le régime a arrêté une enseignante à Sineh nommée Fariba Karimi, ce qui a porté à 16 le nombre d'enseignants détenus en 2023. Un tribunal iranien a condamné un imam de Sineh à deux ans de prison pour « tromperie de l'opinion publique » après avoir soutenu des manifestations anti-gouvernementales.

La chaîne d’infos kurde irakienne Rudaw a rapporté que le commandant de la base d'al-Hamza du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI), Mohammad Taghi Osanlu, avait recommandé le dépeuplement de 33 villages frontaliers kurdes. Al-Hamza est l'une des dix principales bases du CGRI et elle est située au Kurdistan iranien.

Dans la deuxième semaine d’avril, des attaques au gaz toxique ont ciblé des dizaines d'autres écoles de filles en Iran notamment des écoles à Téhéran, Islamshahr, Karaj, Urmia, Qazvin, Babulsar, Harsin, Kermanshah et Shiraz. Au moins 70 écolières ont été emmenées dans des hôpitaux à la suite de la dernière vague d'attaques. Les élèves de la plupart des écoles de Mahabad ont protesté contre ces attaques en boycottant les cours. Bien que le régime iranien continue de nier toute implication, plusieurs organisations de défense des droits humains ont accusé le régime de fermer les yeux sur les extrémistes qui commettent de tels crimes pour décourager l'éducation des femmes. De plus, le régime a condamné à mort pour la deuxième fois un prisonnier politique kurde Nayeb Askari pour « inimitié contre Dieu ». Un célèbre rappeur kurde Saman Yasin risque également d'être exécuté pour avoir chanté des chansons en faveur de manifestations anti-gouvernementales. À Sineh, capitale de la province de Kurdistan, un tribunal a condamné un militant syndical du nom de Rafiq Salimi à cinq mois de prison pour « atteinte à la sécurité nationale ». En outre, le régime a arrêté quatre civils à Bokan et le père d'un manifestant est décédé à Dewalan. Par ailleurs, les cadavres de deux porteurs frontaliers kurdes (kolbar) qui se seraient noyés il y a dix jours ont été retrouvés près de Baneh.

Par ailleurs, une délégation du ministère iranien du renseignement et de la sécurité (VAJA) a rencontré plusieurs responsables kurdes irakiens à Suleimanieh et à Erbil. Le secrétaire du Parti socialiste kurde irakien, Mohammed Haji Mohammed, a révélé que les deux parties avaient discuté de plusieurs questions, notamment des "désaccords" entre le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) et l'Union patriotique du Kurdistan (UPK) et du statut des partis d'opposition iraniens exilés en Irak. Plusieurs rapports divulgués ont affirmé que la délégation de VAJA avait fait pression sur le gouvernement régional du Kurdistan (KRG) pour qu'il expulse et désarme les partis kurdes iraniens réfugiés au Kurdistan irakien dans le but de donner suite à un récent accord de sécurité entre Bagdad et Téhéran.

Fin avril, des attaques au gaz toxique ont frappé 19 autres écoles de filles à Téhéran, Saqqez, Kermanshah, Urmia, Karaj, Ahvaz et Islamshahr. Amnesty International dans une déclaration affirme que « depuis novembre 2022, des milliers d'écolières ont été empoisonnées et hospitalisées. Les autorités n'ont pas enquêté de manière adéquate sur les attaques et ont qualifié les symptômes des filles de stress, d'excitation et/ou de contagion mentale ». Séparément, le régime a arrêté 12 Kurdes, dont un médecin à Bokan, fin avril. L'Organisation Hengaw pour les droits de l'homme a déclaré que les autorités iraniennes n'avaient fourni aucune information sur les raisons pour lesquelles les détenus avaient été arrêtés ou sur les charges qui leur étaient reprochées. À Sineh, les autorités ont menacé d'expulser plusieurs étudiants des collèges locaux s'ils ne respectaient pas les lois sur le hijab. Une enseignante kurde de l'Université Azad de Sineh a été licenciée pour activisme féministe.

Le groupe d'opposition iranien connu sous le nom d'Alliance pour la liberté et la démocratie vient de subir un revers : l'un de ses membres éminent Hamed Esmaelian, a démissionné fin avril. Esmaelian est un activiste social représentant les familles du vol PS752 d'Ukraine International Airlines, que le régime iranien a abattu en 2020. Selon lui « des groupes de pression extérieurs à l'Alliance ont tenté d'imposer leurs positions par des méthodes antidémocratiques ». Simultanément, un rapport d'Iran International a noté que des membres de l'Alliance pour la liberté et la démocratie ont été harcelés sur les réseaux sociaux par des partisans de Reza Pahlavi. L'Alliance pour la liberté et la démocratie comprend un dirigeant kurde, Abdullah Mohtadi, mais le Parti démocratique du Kurdistan iranien (PDKI) et plusieurs autres partis d'opposition iraniens restent réticents à y adhérer.

 

ROJAVA: LE GÉNÉRAL MAZLOUM KOBANI VISÉ PAR UN DRONE TURC

Le 7 avril, une frappe de drone turc a visé le général Mazloum Abdi Kobani, commandant-en-chef des Forces démocratiques syriennes (SDF), près de l’aéroport international de Suleimanieh, au Kurdistan irakien. Son convoi de cinq véhicules, transportant de hauts responsables kurdes syriens ainsi que trois militaires américains, a été pris pour cible par un missile tiré depuis un drone. Le missile s’est enfoncé dans le sol avant d’exploser quelques secondes après le passage du convoi qui se dirigeait vers l’aéroport. Aucun membre de la délégation kurde n’a été blessé et les dégâts matériels sont mineurs. Le général Kobani et sa suite s’étaient rendus au Kurdistan irakien pour une réunion de coordination sur la guerre contre Daech et ses résseaux terroristes au Kurdistan irakien et au Rojava.

Immédiatement après cette attaque, des drones turcs ont été détectés par le forces américaines. Le ministère turc de la Défense a démenti « toute implication » dans ce bombardement qui semble être l’œuvre du MIT (Services de renseignements turcs) qui dispose de ses propres drones armés et qui opère de manière autonome dans la région sous l’autorité unique du président turc Erdogan.

Choqué par cette attaque mettant en péril la vie de ses principaux alliés dans la guerre contre Daech et de trois militaires américaines, le Pentagone a promis de mener une enquête sur cet incident. Cependant, le Département d’État et la Maison Blanche ont choisi d’adopter un profil bas dans cette période électorale pour ne pas faire le jeu du candidat Erdogan dont la rhétorique nationaliste s’en prend régulièrement « au complot de l’impérialisme contre la Turquie et son soutien aux organisations terroristes PKK et sa branche syrienne ». Les relations turco-américaines sont déjà au plus bas et les contentieux sont nombreux. Dans sa guerre contre Daech, Washington et la coalition internationale anti-djihadiste comptent depuis 2014 sur les Forces démocratiques syriennes, (FDS) à dominante kurde, qui ont sacrifié plus de 13.000 combattants et déplorent 24.000 blessés.

Mais Ankara, qui a laissé des dizaines de milliers de djihadistes venant de tous les pays du monde traverser son territoire pour rejoindre Daech, qui, d’après les témoignages même des medias turcs, a formé, armé et financé toute une kyrielle de milices islamistes, qui a transformé ses zones d’occupation au Kurdistan syrien en refuge et terrain de butin pour les djihadites de tous poils y compris ceux de Daech recyclés, continue imperturbablement de qualifier de « terroristes » les combattants kurdes qui avec le soutien des Alliés luttent contre Daech. La Turquie, qui n’applique pas non plus les sanctions occidentales contre la Russie, continue de lui acheter à prix d’amis du gaz et du pétrole abrite aussi sans complexe les oligarques russes bannis en Europe, leurs capitaux et leurs yachts et joue un rôle crucial dans le contournement des sanctions occidentales contre la Russie. Les Américains ne sont pas dupes. Après avoir exclu la Turquie de leur programme de F35, sous la pression du Congrès, ils mettent des conditions à la livraison éventuelle des F16 à l’armée turque. De son côté, le président américain Joe Biden n’a à ce jour jamais reçu son homologue turc à la Maison Blanche. Cette prise de distance avec une alliée dite « stratégique » de l’OTAN est pour le moins inédite.

L’Irak, par la voix de son président, Dr. Latif Rashid, a fermement condamné ce bombardement soulignant qu’il n’y avait « aucune base légale au fait d’intimider des civils sous le prétexte de la présence sur le sol irakien d’une force hostile à la Turquie. Le président irakien a demandé à Ankara de « prendre ses responsabilités et de présenter des excuses officielles ». Des excuses qui ne viendront sans doute jamais.

En avril, les forces turques ont continué de bombarder certains districts du Rojava notamment la localité d’Ain Issa, détruisant les silos à grains (Rudaw 24, 13 avril) et d’autres positions des SDF (Kurdistan 24, 20 avril) voir la région du nord d’Alep où deux combattants kurdes ont été tués (K24, 16 avril). De son côté, un raid par hélicoptère a tué un chef important de Daech, responsable de la planification d’attentats terroristes au Moyen-Orient et en Europe, dans un village du district de Jarablous sous occupation turque (K24, 17 avril) révélant pour la nième fois la complicité des Turcs avec les djihadistes de Daech qu’ils hébergent dans leurs zones d’occupation.

Une autre milice djihadiste pro-turque, Ahrar al-Sharqiya, a annoncé la construction d’un immense complexe sous occupation turque pour y loger ses membres et leurs familles avec les bénédiction d’Ankara qui veut dékurdiser ce canton kurde rebelle (K24,21 avril). De son côté, la milice Hayat Tahrir al-Sham (HTS), ex Front al-Nosra , branche syrienne d’al-Qaida et alliée des Turcs, qui régente la province d’Idlib, construit un camp pour former les « Louveteaux du Califat » chargés de combattre les Kurdes. Une organisation « caritative » basée en Turquie « Wafaa al-Mohsenin » a annoncé mi-avril avoir terminé la construction d’une nouvelle colonie à Afrin pour y loger des déplacés arabes.

L’Observatoire syrien des droits de l’homme (SOHR) basé à Londres a documenté 53 opérations de Daech contre les cibles militaires des FDS depuis le 1er janvier. Le 22 avril une opération conjointe américano-kurde a permis de récupérer « les trésors cachés de Daech », notamment un stock d’or et d’armes dans une ferme du sud du gouvernorat de Raqqa. Daech a répliqué en attaquant le 24 avril une unité des FDS tuant deux de ses combattants : Mahmoud al-Jamida et Mahmoud al-Hamada. Quoiqu’en baisse, les escarmouches entre Daech et les FDS se sont poursuivis tout au long du mois d’avril.

 

PARIS : CÉLÉBRATION DU 40e ANNIVERSAIRE DE L’INSTITUT KURDE

L’Institut kurde de Paris qui a ouvert ses portes le 24 février 1983 fête cette année son 40e anniversaire.

Fondé par une douzaine d’intellectuels et artistes kurdes représentatifs de toutes les parties du Kurdistan dans une période particulièrement sombre de l’histoire kurde il avait pour ambition d’incarner au-delà des clivages politiques et régionaux, une sorte d’unité morale du peuple kurde, d’œuvrer pour la préservation et la promotion de la culture kurde, et de faire connaître à l’opinion publique occidentale le sort et les aspirations du peuple kurde. Cette initiative citoyenne non partisane et laïque à l’avenir incertain, en raison notamment de la précarité de son financement, a pu malgré les vissicitudes de l’histoire mouvementée du Kurdistan et les pressions des États de la région, résister et s’inscrire dans le paysage culturel français et kurde avec un rayonnement international reconnu.

Tenir, dans la durée dans un contexte compliqué et incertain constitue une belle performance qui mérite d’être célébrée. Des célébrations qui se traduiront par une série d’événements tout au long de l’année : colloques, publications, soirées festives. La première de ces soirées devait se tenir fin février. En raison du terrible tremblement de terre du 6 février qui a fait plus de 50.000 morts et endeuillé le peuple kurde, elle a été reportée. Elle s’est finalement tenue le 4 avril de 19h à 22h30 dans la magnifique, et historique salle des fêtes de l’Hôtel de Ville de Paris.

Environ 250 personnalités kurdes et françaises ont participé à cette soirée à l’invitation de Mme Anne Hidalgo, Maire de Paris et de Kendal Nezan, président de l’Institut kurde. L’ancien président de la République François Hollande, l’ancien Premier ministre Lionel Jospin, l’ancien Ministre de la Culture et président de l’Institut du Monde arabe Jack Lang, l’ambassadrice d’Arménie et de nombreux diplomates étaient présents pour témoigner de leur amitié et de leur solidarité avec l’Institut kurde et avec le peuple kurde.

Dans un discours de bienvenue chaleureux la Maire de Paris a évoqué les programmes de coopération de sa ville avec l’Institut kurde et avec le Kurdistan où elle compte se rendre en mai. Elle a également souligné les sacrifices consentis par les Kurdes pour notre liberté et notre sécurité dans le combat commun contre Daesh. Le président de la Ligue des droits de l’homme Me Patrick Baudoin, a rappelé les combats menés pour la défense du peuple kurde depuis sa toute première visite au Kurdistan en 1974 et le rôle pivot de l’Institut kurde dans l’information et la sensibilisation de l’opinion publique sur la situation des droits de l’homme au Kurdistan. De son côté, l’ancien président du Conseil national de l’Ordre des avocats, Me Christian Charrière-Bournazel a témoigné de la persécution des démocrates kurdes, y compris des députés et des maires, en Turquie où il s’est rendu à plusieurs reprises dans les années 1990 pour la défense de Mme Leyla Zana et de ses collègues députés kurdes qui ont passé 10 ans dans les prisons turques pour délit d’opinion. A son tour, le président de l’Institut a remercié la Maire de son accueil et les invités pour leur présence et leur solidarité. Il a brièvement évoqué les faits marquants des quatre décennies de l’histoire de l’Institut kurde. Il a mis en perspective les activités présentes et les projets futurs de l’Institut. La soirée s’est achevée sur une partie musicale suivie d’un cocktail permettant des échanges informels et amicaux entres les invités.

L’Institut kurde conclura cette année d’anniversaire par un colloque sur la diaspora kurde prévu le 27 octobre au Sénat suivi d’un dîner rassemblant les membres bénévoles et amis de l’Institut venant de plusieurs pays d’Europe.

 

VATICAN : LA SEMAINE KURDE DU PAPE

Le pape François est très préoccupé par le sort des chrétiens d’Orient, notamment ceux de Mésopotamie. Ces derniers, cibles des attaques d’abord d’al-Qaida en Irak, puis de Daech ont dû chercher refuge au Kurdistan ou s’exiler en Europe. Le Gouvernement du Kurdistan les a accueillis bras ouverts leur assurant assistance et protection, finançant la construction de nouvelles églises et des écoles. Le pape, qui s’était rendu au Kurdistan en mars 2021, très sensible à cette politique de fraternité et de coexistence pacifique prônée et mise en œuvre par les autorités kurdes dans une région du monde dominée les fanatismes religieux et par les nationalismes intolérants, il tient à recevoir des responsables kurdes pour échanger avec eux les encourager et leur exprimer son soutien.

C’est ainsi qu’il a le 13 avril reçu au Vatican le président du Kurdistan Nechirvan Barzani. Leur entretien a porté sur « la promotion d’une coexistence pacifique dans la Région du Kurdistan irakien ainsi qu’au Moyen Orient ». Il a souligné l’importance de « préserver la paix et la fraternité parmi les communautés d’Irak ». Le président Barzani a « réitéré l’engagement de son gouvernement à « continuer à promouvoir la paix et la coexistence au Kurdistan, en Irak et au-delà ». Il a présenté au pape un tableau représentant des membres de différentes religions du Kurdistan dansant ensemble avec en arrière-plan des sites des principales religion. Il lui a également offert un album de photos de sa visite au Kurdistan où après avoir rencontré les dignitaires des plusieurs religions il a avait célébré à Erbil une messe devant plusieurs milliers de chrétiens, une visite qualifiée « d’historique » car la première d’un pape dans l’histoire de l’Irak.

La veille de la rencontre avec les président Barzani, le pape avait reçu en audience privée l’ancien maire de la vieille ville (Sur) de Diyarbakir, Abdullah Demirtas. Pendant son mandat, celui-ci avec le soutien du Maire du Grand Diyarbakir, Osman Baydemir, avait mis en œuvre un vaste plan de restauration des églises de la capitale kurde, dont la cathédrale arménienne et plusieurs églises syriaques. Il avait également imprimé des guides touristiques de la ville en arménien et en syriaque au même titre que l’anglais, le français, le turc, le kurde et l’arabe, par respect pour ces langues qui firent pendant des siècles celles d’une partie importante de la population multi-ethnique et multiconfessionnelle de Diyarbakir. Ces actions « séparatistes » stigmatisées par Ankara l’ont forcé à s’exiler en Europe. En l’honorant d’une audience le Pape a tenu à lui exprimer sa considération et ses remerciements.

 

LA FÊTE DU « MERCREDI ROUGE » DES KURDES YÉZIDIS

Les Kurdes de confession yézidie célèbrent ce 19 avril leur « mercredi rouge », une fête traditionnelle marquant le début du printemps et de l’année nouvelle.

La fête est célébrée le premier mercredi du calendrier julien, qui est décalé de 13 jours par rapport au calendrier grégorien en usage actuellement un peu partout dans le monde.  Ce calendrier est encore utilisé par les églises orthodoxes et celles d’Orient où, par exemple, le Noël est célébré le 7 janvier au lieu  du 25 décembre.  Jusqu’à une date récente le calendrier julien était asez couramment utilisé dans une grande partie du Kurdistan comme « calendrier kurde ».

Cette année, le premier mercredi d’avril tombe au 19 avril. À cette occasion des festivités de « Mercredi Rouge » (Çarşema sor) sont organisées dans toutes les communautés yézidies du Kurdistan et de la diaspora (Arménie, Géorgie, Allemagne).  La plus spectaculaire se déroule autour du Temple de Lalesh, situé dans la province de Dohuk au Kurdistan irakien et considéré comme « la Mecque » des Yézidis. A cette occasion les jeunes en habits traditionnels festifs blancs, couleur fétiche des Yézidis, portent des guirlandes de fleurs du printemps et fêtent l’événement par des danses.  On colorie aussi des œufs durs, à l’instar des voisins chrétiens pour la Pâques appelée en kurde « fête de la Résurrection » (Cejna vejînê ou qiyamê) connue aussi populairement sous le nom de « Cejna hêkesorê » (la fête des œufs rouges).  Chez les Yézidis, les oeufs teints en rouge en les faisant bouillir avec des oignons rouges, sont ensevelis dans des champs afin qu’ils leur apportent abondance et fertilité.

On ne sait pas si le nom de « mercredi rouge » chez les Yézidis vient de la couleur des oeufs teints en rouge à cette occasion, du feu zoroastrien ou des fleurs rouges comme les coquelicots qui couvrent soudainement les prairies en ce mois d’avril qu’ils considèrent comme « la reine de l’année ».

Chez les autres Kurdes ainsi que chez les Iraniens le « mercredi rouge » est un jour important du calendrier qui correspond au dernier mercredi avant le Newroz célébré le 21 mars.  Cette année, le mercredi rouge tombait le 15 mars.  A cette occasion d’immenses feux sont allumés sur les places ou sur les hauteurs autour desquels on danse pour fêter la fin de la sombre saison d’hiver et pour fêter le printemps qui s’annonce.  Le rouge de ce mercredi est la couleur du feu, objet de vénération dans le zoroastrisme qui a été, avant l’arrivée de l’islam, la religion dominante des Kurdes dont les ancêtres, les Mèdes, fournissaient le clergé, et de l’ensemble du monde iranien.

Le yézidisme, dont le livre sacré, Mishefa Reş (La Bible noire), les prières et les cantiques sont tous en kurde, contient de nombreuses survivances du zoroastrisme, du culte des Anges et du mithraïsme, antiques religions du monde iranien.  Au fil des siècles, cette religion éclectique a également intégré des éléments du christianisme voire de l’islam même si les adeptes fondamentalistes de ce dernier stigmatisent les Yézidis comme des « Adorateurs du Diable » donc des « mécréants » à convertir ou à éliminer en cas de refus.  C’est au nom de cette idéologie barbare que Daech a mené une véritable campagne génocidaire contre les Yézidis.

Selon les estimations récentes, il y aurait actuellement environ 600.000 Yézidis au Kurdistan irakien, notamment dans la région de Sinjar (Şengal en kurde) il y a aussi d’importantes communautés yézidies en Syrie, en Turquie, en Géorgie et en Arménie.

En dépit de tous les bouleversements démographiques intervenus au cours d’un 20ème siècle où les régimes nationalistes (turcs, arabes) ont fait beaucoup de dégâts, le Kurdistan demeure encore un « musée ethnographique » où des Sabéens aux Zoroastriens en passant par les Assyro-chaldéens et juifs parlant encore l’araméen, la langue du Christ, aux Fidèles de la Vérité (Ehli Heqq) et autres Yarsans, Alevis et diverses obédiences musulmanes ont réussi à survivre et à vivre ensemble.

Après le Gouvernement du Kurdistan, le nouveau gouvernement irakien a affirmé vouloir préserver cette extraordinaire diversité.  Il vient de faire un geste en direction des Yézidis en décrétant le « Mercredi Rouge » comme jour férié.