Après de longs mois de négociations et de marchandages entre partis et factions, le Parlement irakien a adopté le 12 juin un projet de loi sur les budgets de 2023, 2024 et 2025. Ce texte de 69 articles a été âprement discuté. Sous la pression des partis chiites pro-iraniens plusieurs articles fragilisant le statut fédéral de la Région du Kurdistan et de ce fait contraire à la Constitution, à l’accord de gouvernement signé entre les partis kurdes et ceux des blocs chiites et sunnites ont été adoptés au grand dam du gouvernement du Kurdistan. La part de la Région du Kurdistan dans le budget fédéral qui était théoriquement de 17% dans les années 2013-2014 est ramenée à 12,7%. Son versement, y compris pour la partie consacrée au paiement des salaires des fonctionnaires et employés des services publics, est soumis à des conditions dont la livraison quotidienne de 400.000 barils de pétrole kurde à la compagnie nationale irakienne SOMO. La Constitution irakienne de 2005, approuvée par referendum par plus de 80% des Irakiens, prévoyait le partage du budget du pays au prorata de la population sans aucune condition, à charge pour la Région du Kurdistan bénéficiant d’une large autonomie financière d’utiliser sa dotation pour payer les salaires de ses fonctionnaires, employés, policiers et peshmergas et de financer ses propres projets d’infrastructure et de développement.
Privé, en 2014, en pleine guerre contre Daech, de sa dotation budgétaire par le gouvernement chiite de Nouri al-Maliki, le Kurdistan a dû construire un oléoduc pour expédier son pétrole via la Turquie afin d’assurer sa survie économique. La décision de Bagdad de priver de budget une partie du pays et de sa population était totalement anticonstitutionnelle, illégale et contraire à la morale la plus élémentaire. Faute d’instance d’arbitrage reconnue des conflits entre Erbil et Bagdad, les Kurdes n’ont rien pu faire et les Alliés occidentaux se sont contentés de leur prodiguer des conseils pour trouver un compromis avec un gouvernement irakien intraitable rêvant toujours d’un centralisme à la Saddam Hussein. C’est l’une des raisons, avec la non application de l’article 140 de la Constitution stipulant la tenue d’un referendum sur le statut des territoires à majorité kurde situés hors de la Région du Kurdistan, pour lesquelles les dirigeants kurdes avaient décidé d’organiser en septembre 2017 leur propre referendum d’autodétermination. La population s’y est prononcé à 92,7% en faveur de l’indépendance du Kurdistan. Mais même les pays occidentaux qui invoquent sans cesse le Droit international, et qui ont créé par la force un Kosovo indépendant pour 1,7 millions d’Albanais de Serbie, sont restés sourds aux aspirations de leurs alliés kurdes dans la guerre contre Daech.
Amers, mais réalistes, les Kurdes se sont mis à la recherche d’un nouveau compromis avec Bagdad. Pour sortir le pays de l’impasse politique consécutive aux élections de 2021, ils ont négocié un accord avec des blocs chiites et sunnites pour la formation d’un gouvernement de coalition majoritaire sous la direction d’un nouveau premier ministre, al-Soudani, connaissant bien le Kurdistan pour y avoir séjourné pendant plusieurs années. C’est cet accord écrit qui a mis un terme à une année de vide politique en Irak, sans gouvernement légitime ni budget légal, qui vient d’être allègrement violé par les partis chiites, manœuvrés par l’Iran qui veut sinon détruire du moins affaiblir le Kurdistan fédéré qui échappe à son contrôle.
La tension est donc à nouveau vive entre Bagdad et Erbil. L’ex-président Massoud Barzani, principal architecte de l’accord de gouvernement et en colère et parle de trahison et de la remise en cause du statut du Kurdistan. Une délégation a été dépêchée à Bagdad pour tenter de remédier à la situation. Comment lier le versement des salaires des fonctionnaires du Kurdistan à la livraison ou à l’exportation quotidienne de 400.000 barils du pétrole alors que depuis le 25 mars toute exportation via la Turquie est interrompue à la suite d’une plainte de Bagdad devant la chambre d’arbitration internationale et que l’Irak ne dispose pas d’infrastructures nécessaires pour que le pétrole du Kurdistan soit acheminé vers le port de Bassorah ?
Intervenant quelques jours après l’arrêt du 30 mai d’une Cour fédérale suprême de facto, qui n’a aucune base constitutionnelle ni légale, jugeant « inconstitutionnelle » la décision du 9 octobre 2022 du Parlement du Kurdistan de proroger son mandat d’un an. Cette décision avait été prise à la suite de désaccords entre les trois partis de la coalition au pouvoir, le PDK, l’UPK et le mouvement Goran sur les modifications de la loi électorale. Le Kurdistan se retrouve donc sans Parlement d’ici les élections parlementaires prévues en principe pour le 18 novembre 2023. Sous le choc, les parlementaires kurdes sont invités à restituer leurs indemnités de 2023 et d’évacuer les logements de fonction qu’ils occupent.
Fragilisé économiquement, victime de bombardements turcs incessants à ses frontières, le Kurdistan fait ainsi face à une crise politique sérieuse aux conséquences imprévisibles.
Le budget irakien pour l’exercice 2023 est de 153 milliards de dollars. Il est calculé sur la base d’un baril de pétrole de 70 dollars. Les ressources budgétaires proviennent pour plus de 80% des recettes des exportations du pétrole (3,2 millions de barils par jour) ; ce budget controversé reste donc tributaire des aléas du marché du pétrole et toute chute importante du prix du baril aura un impact direct sur la vie quotidienne des citoyens d’un pays où l’Etat reste de très loin le principal employeur. Le budget irakien ne prend pas en compte les salaires des milliers d’enseignants kurdes servant dans les territoires dits disputés sous contrôle du gouvernement irakien payés depuis 2014 par le gouvernement du Kurdistan, ni les réductions des salaires des fonctionnaires du Kurdistan pendant la période dite d’austérité de 2016 à 2021 où le Kurdistan a dû survivre avec ses propres moyens faute de recevoir sa part du budget fédéral. Ce même budget irakien pourvoit généreusement à l’entretien et l’armement des milices chiites dites Hachd al-Chaabi sous contrôle iranien.
Par ailleurs, le 4 juin, le gouvernement régional kurde (GRK) a rouvert le point de passage frontalier de Fish Khabour avec la Syrie qui avait été fermé le 11 mai. Le point de passage de Fish Khabour reste un lien économique clé entre le Kurdistan irakien et l'administration autonome du nord et de l'est de la Syrie ( AANES) et une voie d'accès majeure pour l'aide humanitaire. Sur une autre note, le ministre irakien du Pétrole et vice-Premier ministre chargé des Affaires énergétiques, Hayyan Abdul Ghani, a annoncé qu'il avait informé la Turquie que le gouvernement irakien était prêt à reprendre les exportations de pétrole le 3 juin. Les exportations ont été interrompues en mars lorsque la Chambre d’arbitration de commerce international a ordonné à la Turquie de payer 1,5 milliard de dollars en dommages-intérêts pour avoir facilité les exportations non autorisées du GRK. Abdul Ghani a déclaré que son ministère examinait les contrats en cours et élaborait un plan alternatif avec le ministère des Ressources naturelles du GRK pour maintenir le prix de l'essence au cas où un accord ne serait pas conclu pour reprendre les exportations.
Le 19 juin, les délégations irakienne et turque ont discuté de la reprise des exportations de pétrole du Kurdistan irakien via l'oléoduc turc de Ceyhan. Le gel actuel des exportations de pétrole coûte au Kurdistan irakien 80 % de ses revenus et menace de créer une crise économique majeure dans la région.
Bien que les deux parties semblent avoir résolu tous les problèmes techniques en suspens, de nombreux problèmes politiques subsistent. Rudaw a rapporté que la Turquie avait demandé à l'Irak de payer les frais d'entretien du pipeline de Kirkouk, mais l'Irak avait refusé parce que la Turquie avait arrêté les exportations. En outre, la Turquie a demandé à l'Irak de retirer sa plainte auprès de la Chambre de commerce internationale (CCI) et a demandé qu'elle soit autorisée à payer les 1,3 milliard de dollars que la CPI a jugé devoir à l'Irak en plusieurs versements. L'Irak a toutefois demandé à la Turquie d'accepter de bonne foi la reprise des exportations de pétrole avant les négociations sur ces questions. Pendant ce temps, le Premier ministre de la région du Kurdistan Masrour Barzini a rencontré le président turc Recep Tayyip Erdogan le 20 juin pour discuter de divers développements régionaux et des relations bilatérales entre le GRK et la Turquie.
Par ailleurs, les corps de 39 Yézidis assassinés par l'État islamique (Daech) ont finalement été ramenés à Mossoul après avoir été identifiés il y a deux ans. Le gouvernement irakien n'a offert aucune cérémonie officielle et n'a envoyé aucun haut responsable pour superviser le retour des victimes à Mossoul ou saluer leurs proches. Les familles des victimes ont également dû acheter leurs propres cercueils et drapeaux irakiens.
Les tensions restent vives entre le gouvernement irakien, les Turkmènes et les Kurdes dans les territoires dits contestés de l'Irak à propos de la saisie par le ministère irakien de la Défense des terres agricoles turkmènes et kurdes. Le 18 juin, le Haut Comité sur l'article 140 a envoyé une lettre au ministère de l'Agriculture qui, citant une décision du gouvernement irakien de 2012, exigeait qu'il restitue les terres saisies aux agriculteurs kurdes et turkmènes. Le Conseil des ministres irakien a accepté la décision du Comité suprême pour la mise en œuvre de l'article 140 et a demandé au comité de coordonner le processus de restitution des terres avec les factions kurdes au sein du Conseil des ministres et de la Chambre des représentants. Cependant, on ne sait toujours pas si cela conduira à une résolution du problème. Environ 500 agriculteurs kurdes et turkmènes ont continué à faire grève pendant les célébrations de l'Aïd al Adha et se sont rassemblés sous une tente pour demander au gouvernement irakien de transmettre leurs revendications.
Le 21 juin, le House Armed Services Committee des États-Unis a adopté un amendement à la loi de 2024 sur l'autorisation de la défense nationale (NDAA) qui soutenait la fourniture de systèmes de défense aérienne aux peshmergas kurdes. Le représentant Don Bacon (R-NE-02) a parrainé l'amendement et a déclaré que les systèmes aideront les peshmergas à se défendre contre les drones et les missiles iraniens. Les Gardiens de la révolution iranienne ont attaqué le Kurdistan irakien des dizaines de fois depuis 2018, tuant et blessant des dizaines de civils. L'Iran a réagi négativement à l'amendement et le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Nasir Kenani, a demandé au gouvernement régional du Kurdistan (GRK) des éclaircissements supplémentaires sur ce que la fourniture des systèmes de défense aérienne implique tout en accusant les États-Unis de tenter de perturber la stabilité des États régionaux et leurs relations avec leurs voisins.
Le Président turc fraîchement réélu s’est offert le 3 juin une cérémonie d’investiture grandiose transmise en direct sur toutes les chaînes de télévision du pays digne de l’intronisation d’un nouveau sultan. Des chefs d’État et de gouvernement de quelques pays amis (Azerbaïdjan, Hongrie, Qatar, Chypre du Nord, Venezuela), les élus et les obligés de l’autocrate turc ont assisté à la cérémonie puis au dîner de gala qui l’a suivi. Les Européens et les Américains étaient représentés par leurs ambassadeurs.
Après son investiture le président turc a formé rapidement son gouvernement qui sans surprise a obtenu la confiance de l’Assemblée nationale turque où la coalition au pouvoir formée de l’AKP islamo-nationaliste et du parti d’extrême droite MHP disposent d’une assez confortable majorité. Le nouveau cabinet, censé relancer « le siècle turc » par des initiatives spectaculaires, est formé de collaborateurs fidèles d’Erdogan qui, comme dans un jeu de chaises musicales, changent d’affectation. Ainsi son secrétaire général de la présidence, Ibrahim Kalin devient le nouveau chef des services de renseignement (MIT) dont le titulaire Hakan Fidan « la boîte noire d’Erdogan », est nommé ministre des Affaires étrangères. Un ancien préfet, d’origine kurde et kurdophone, Cevdet Yilmaz, docteur en sciences-politiques, devient vice-président, sorte d’assistant exécutif de son chef. La nomination la plus remarquée est celle de Mehmet Simsek au poste de ministre des Finances et du Trésor, poste qu’il avait déjà occupé dans le passé. D’origine kurde revendiquée et kurdophone, de formation anglo-saxonne, cet ancien la banque Merril Lynch semble très apprécié par les marchés financiers en Turquie et à l’étranger. Il a accepté ce poste en posant ses conditions d’autonomie de décision pour les politiques monétaires à mettre en place. Vu l’état alarmant de l’économie turque, le président turc a dû y consentir dans l’espoir qu’il remettra de l’ordre dans l’économie et attirera de nouveaux investisseurs étrangers. Considéré comme l’architecte du « miracle économique turc » de la décennie passée, M. Simsek a aussi obtenu la nomination de sa candidate Hafize Gaye Erkan, ancienne de Goldman Sachs, au poste de directrice générale de la Banque Centrale. Ensemble, ils comptent revenir à l’orthodoxie monétaire pour rassurer les marchés. Aussitôt nommé, il a effectué une mission au Qatar en compagnie du vice-président turc sans doute pour obtenir une aide d’urgence afin de renflouer les réserves de la Banque centrale qui n’a plus les moyens de soutenir la monnaie turque qui se déprécie de jour en jour. Le ministre de l’Intérieur sortant, Suleyman Soylu, connu pour ses discours virulents et racistes, a été remplacé par un ancien gouverneur d’Istanbul plus modéré. A la Défense, un général Yasar Guler, remplace l’autre Hulusi Akar.
La situation économique va sans doute obliger le président turc de se réconcilier avec les pays occidentaux et ceux du Proche-Orient en monnayant au mieux son véto à l’adhésion à l’OTAN de la Suède. Son « ami » Poutine n’est pas en mesure de sauver l’économie turque et les pétromonarchies du Golfe n’oublient pas ses insultes et incartades du passé. Elles ne se presseront pas pour lui venir en aide. Nombre de pays arabes demandent d’ailleurs le retrait des troupes turques de Syrie pour une normalisation progressive de leurs relations.
Malgré les défis politiques et économiques qu’il affronte, le président turc promet de continuer sans relâche sa « guerre contre le terrorisme du PKK » au Kurdistan irakien et dans le Rojava. En nommant un vice-président et trois ministres d’origine kurde, il veut montrer qu’il n’est pas anti-kurde mais anti-terrorisme incluant dans cette catégorie les maires et députés kurdes emprisonnés et l’ancien co-président du parti pro-kurde HDP Selahettin Demirtas. La décision de la Cour européenne des droits de l’homme demandant à nouveau sa libération ou celle intervenue le 7 juin condamnant la Turquie dans l’affaire Osman Baydemir poursuivi et condamné en Turquie pour délit d’opinion n’ont aucun effet sur sa politique belliqueuse qui lui permet aussi de consolider autour de lui sa base islamo-nationaliste prête à tout sacrificier au nom de la patrie turque menacée par « le terrorisme et l’impérialisme global » que promet de combattre leur champion Erdogan.
La réélection du président turc n’a rien changé à sa politique envers les Kurdes de Rojava. La Turquie continue ses bombardements aériens ciblés contre les infrastructures civiles et militaires du Rojava et procède par des attaques de drones à l’assassinat des responsables des autorités locales dépourvues de tout moyen de défense aérienne. La terreur ainsi semée méthodiquement par les forces turques s’ajoute aux calamités comme la sécheresse et la pénurie d’eau rendant très difficile la survie d’une population déjà très éprouvée par des années de guerre de privation.
Voici quelques événements marquants du mois.
Les Forces démocratiques syriennes (FDS) ont annoncé la capture réussie d'un terroriste de l'EI (Daech) à Deir Ez Zor. Cette opération a été menée avec le soutien de la coalition dirigée par les États-Unis. Les FDS ont également saisi des armes lors du raid, renforçant encore leurs efforts dans la lutte contre l'Etat islamique. Par ailleurs, les FDS ont détenu deux individus accusés d'agir en tant qu'« agents » de la Turquie. Ces personnes auraient recueilli des informations sensibles concernant les emplacements des forces de sécurité et militaires, ainsi que les centres de l'administration autonome. Les SDF ont déclaré que les détenus étaient impliqués dans l'identification des dirigeants des SDF et recevaient une compensation financière pour leurs activités.
Le 5 juin, l’agence syrienne North Press a rapporté que le nombre de projets de logements turcs à Afrin occupé est passé de 19 en 2022 à 28 en 2023. Ces projets sont souvent construits dans des quartiers yézidis et kurdes voués à l’arabisation.
Le 10 juin, l'Administration autonome dirigée par les Kurdes dans le nord et l'est de la Syrie (AANES) a annoncé qu'elle entreprendrait le procès des combattants étrangers de l'EI (Daech) conformément aux lois du nord-est de la Syrie et aux lois internationales pertinentes. La détention depuis la chute du califat islamique de près de 5 000 djihadistes étrangers pose un risque important pour la sécurité de la population locale. Les terroristes de Daech ont tenté à plusieurs reprises de libérer les djihadistes emprisonnés à la prison d'al-Sina, faisant plus de 140 victimes. Malgré l'urgence de la situation, les pays d'origine de ces djihadistes étrangers se sont montrés réticents à les rapatrier, laissant à l'AANES la responsabilité de gérer leurs procès. De plus, la communauté internationale n'a pas assumé la responsabilité d'établir un tribunal pour traiter de cette question pressante.
En Juin, l'Observatoire syrien des droits de l'homme indique que des drones turcs ont tué 24 personnes et en ont blessé 28 autres dans le territoire contrôlé par l’AANES depuis le 1er juin. L'une des frappes a ciblé l'hôpital de Tal Rifaat le 18 juin et mis des milliers de vies en danger en interrompant les opérations médicales vitales et d'autres procédures essentielles.
Le 17 juin, l'Observatoire syrien des droits de l'homme a indiqué que 40 familles irakiennes affiliées à l'Etat islamique (Daech) seraient rapatriées en Irak depuis le nord de la Syrie occupée par la Turquie. Des officiers corrompus de l'Armée nationale syrienne, une milice auxiliaire de l’armée turque, ont aidé 37 prisonniers de Daech à s'évader d'une prison de Ras al Ain sous contrôle turc. Près de la moitié des évadés étaient peut-être des commandants de Daech, et plusieurs sources locales ont affirmé qu'ils avaient été envoyés dans des zones contrôlées par les FDS pour organiser des attaques. Les forces turques auraient arrêté cinq évadés et six gardiens de prison à la suite de l'évasion, mais plusieurs commentateurs ont mis en doute les affirmations turques et ont accusé la Turquie d'utiliser l'épisode comme prétexte pour poursuivre sa campagne d'arrestations arbitraires.
Le 20 juin, un drone turc a pris pour cible un véhicule transportant plusieurs responsables de l'AANES, tuant la coprésidente du Conseil régional de Qamishli, Yusra Darwish ; le coprésident adjoint, Leyman Shouish et leur chauffeur Farat Toma. L'attaque, qui a également blessé l'autre coprésident adjoint du Conseil de la région de Qamishli, Gabi Shamoun, est survenue quelques jours après que l'AANES a annoncé qu'elle commencerait à juger les combattants de Daech détenus dans ses centres de détention, une décision à laquelle la Turquie s'oppose. Shamoun a déclaré plus tard que les attaques turques répétées visaient à déstabiliser la région et a souligné que les attaques avaient forcé la population civile de la région à vivre dans un état de peur et de terreur. Simultanément, les habitants de Raqqa, les chefs tribaux arabes, les anciens et les membres du Conseil civique de Raqqa ont manifesté publiquement contre les attaques turques en cours.
La Turquie a poursuivi ses efforts pour « arabiser » les zones qu’elle occupe en Syrie en brisant les économies locales et en terrorisant les populations indigènes. Au cours des trois derniers mois, 256 familles autochtones, pour la plupart des Kurdes, ont fui les zones d'occupation turque vers des zones contrôlées par les Forces démocratiques syriennes (SDF) parce que les politiques de la Turquie et le comportement prédateur de ses mercenaires soutenus par la Turquie ont rendu leurs maisons inhabitables. La Turquie prévoit de repeupler ces zones avec des réfugiés arabes rapatriés. Le 25 juin, les autorités turques ont expulsé 130 personnes de Turquie vers des zones au nord d'Alep. Dans le même temps, l'agence syrienne North Press Agency a rapporté que la politique de réinstallation de la Turquie avait réduit le pourcentage de Kurdes à Afrin de 90-95% à environ 33%. Les forces turques ont tué un membre des Forces de libération d'Afrin et la gendarmerie turque a tué un civil pour avoir traversé la frontière syro-turque.
Le 25 juin, les FDS ont arrêté trois hommes à Qamishli et les ont accusés d'avoir recruté de jeunes hommes pour le compte de milices affiliées à l'Iran. Les suspects ont affirmé que le Hezbollah libanais et le régime d'Assad recrutaient, armaient et entraînaient des jeunes hommes de Hasakah et Deir Ez Zor pour renverser l'AANES.
Sur le plan diplomatique, le ministre syrien des Affaires étrangères Faisal Mekdad a rencontré plusieurs hauts responsables irakiens à Bagdad, dont le président Latif Rashid, le Premier ministre Mohammed Shia al Sudani et le ministre des Affaires étrangères Fuad Hussein. Le bureau de Sudani a alors annoncé qu'il avait accepté une invitation formelle à Damas. De son côté, Hussein a salué le retour de la Syrie dans la Ligue arabe lors d'une conférence de presse et a déclaré : « La Syrie traverse une situation très difficile et elle a besoin d'une action aux niveaux régional et international. La question des réfugiés syriens est un élément essentiel de cette situation ». Hussein a poursuivi en disant que l'Irak accueille 250 000 réfugiés syriens, principalement au Kurdistan irakien.
Le Kazakhstan a accueilli le 20e cycle des pourparlers d'Astana les 20 et 21 juin. La Syrie, la Russie, l'Iran, la Turquie et des membres de l'opposition syrienne y ont participé. Des observateurs des Nations Unies (ONU), du Liban, de la Jordanie et de l'Irak ont également été invités. L'objectif de ces pourparlers était de reconstruire les relations entre la Turquie et la Syrie et de faciliter la réintégration du régime d'Assad dans l'ordre régional. Un porte-parole de l'Administration autonome du nord et de l'est de la Syrie (AANES), Bedran Chiya Kurd, a déclaré que l'élément antiterroriste des pourparlers était cadré dans l'intérêt de la Turquie et dépeint le peuple kurde et l'AANES comme faisant partie du problème de la terreur. Malgré une pléthore de problèmes non résolus, le Kazakhstan a proposé de manière inattendue la conclusion des pourparlers, affirmant que leur objectif avait été atteint avec la réémergence progressive de la Syrie de son isolement. La Russie a exprimé le souhait de poursuivre les pourparlers et a proposé d'organiser des cycles alternés en Turquie et en Russie.
Les autorités iraniennes ont poursuivi leur répression des manifestations qui ont eu lieu au cours des derniers mois. Des rapports indiquent qu'au moins 10 Kurdes ont été arrêtés dans diverses villes, dont Téhéran, Senna, Ahwaz, Bandar Abbas, Karaj et Sahna. Bien que les manifestations anti-gouvernementales se soient calmées, les tribunaux du régime prononcent toujours activement des condamnations à la fois contre les organisateurs et les participants. L'Organisation Hengaw pour les droits de l'homme a rapporté que le tribunal révolutionnaire islamique de Mahabad a récemment rendu un verdict condamnant un père et son fils à trois ans et sept mois de prison. Cela fait suite à une série d'autres peines infligées à diverses personnes. Parmi eux, un imam kurde de Senna a été condamné à sept mois et demi, le fils d'une victime politique décédée à Shinno a été condamné à trois ans de prison, un syndicaliste kurde à Baneh a été condamné à quinze mois et une militante à Ilam a été condamné à trois mois de prison. Des gardes-frontières iraniens ont blessé au moins dix portefaix transfrontaliers (kolbar) dans la région kurde au cours des deux premières semaines de juin.
Les autorités iraniennes ont arrêté une star du football kurde nommée Voria Ghafouri à Téhéran après avoir annoncé sa retraite et adressé un message d'adieu aux fans. Ghafouri a soutenu plusieurs manifestations anti-gouvernementales, dont le soulèvement de Jîna Amini, et a été accusé d'"incitation contre le régime". Le régime iranien a également intensifié sa campagne de répression contre le Kurdistan iranien et a détenu Shoresh Mohammedpour, Melad Nasri, Saman Aslani, Mokhtar Minbari à Senna, un Kurde franco-iranien nommé Amen Haidari à Kermanshah, un jeune de 18 ans nommé Kawian Mawlodi à Mahabad et Arash Younis à Ilam.. De plus, l'Organisation Hengaw pour les droits de l'homme a signalé que le régime iranien avait arrêté plus de 100 civils en mai, dont 54 Kurdes. Par ailleurs, le département américain du Trésor a sanctionné une société technologique iranienne nommée Arvan Cloud et sa filiale basée aux Émirats arabes unis (EAU) pour avoir censuré Internet en Iran.
Parallèlement à une intense répression contre les militants et les civils kurdes dans la région du Kurdistan d'Iran, le régime a renforcé sa présence aux frontières kurdes. Les forces de sécurité ont arrêté au moins 30 civils à leur retour d'une visite sur les tombes de manifestants tombés à Senna, Dewalan et Diwandara, y compris des membres de leur famille. Deux militants kurdes, Farzad Karimi et Hemin Ahmadzadeh, ont été condamnés à cinq ans et 18 mois de prison pour des accusations liées aux récentes manifestations antigouvernementales. En outre, les forces du régime ont procédé à des arrestations dans diverses villes, dont Marivan, Ilam, Saqqez, Piranshahr, Senna et Kamyaran. Parmi les personnes détenues figurent des enseignants, des écrivains, des athlètes et des étudiants.
Hengaw a rapporté que les forces de sécurité iraniennes avaient arrêté 168 Iraniens, dont 77 Kurdes et 50 Baloutches, en juin. Les autorités iraniennes ont arrêté neuf autres Kurdes à Saqqez, dont une femme nommée Shahla Chopani, ce qui porte à 14 le nombre total de Kurdes arrêtés au cours des deux dernières semaines de juin. Le régime iranien a détenu plusieurs autres Kurdes à Senna, Mahabad et Naghadeh. Dans le même temps, le tribunal révolutionnaire islamique d'Ilam a condamné un Kurde à neuf ans de prison pour "manque de respect au dirigeant de la République islamique" et participation à des manifestations anti-gouvernementales. De plus, un manifestant kurde du nom de Mehdi Sadiqi a mis fin à ses jours deux semaines après avoir passé six mois dans les prisons iraniennes. Plusieurs organisations de défense des droits humains ont affirmé que Sadiqi avait été torturé pendant son emprisonnement. Enfin, les forces iraniennes ont continué d'attaquer plusieurs villages le long de la frontière irano-turque près d'Ourmia avec des tirs indirects et ont saisi au moins 700 têtes de bétail appartenant à des Kurdes locaux.
Le régime iranien a condamné deux imams kurdes, Ibrahim Karimi et Loqman Amini, à des peines de prison pour "propagande contre le régime" pour avoir soutenu des manifestations anti-gouvernementales à Senna l'année dernière. Karimi a été condamné à 12 ans de prison et Amini à 11 ans. Hengaw rapporte que le régime iranien avait limogé 16 imams kurdes depuis le début des manifestations en septembre 2022. Douze des imams limogés ont été condamnés à de longues peines de prison et les quatre autres attendent leur condamnation. Parallèlement, le tribunal révolutionnaire islamique de Mahabad a condamné quatre manifestants kurdes de Piranshahr à des peines de prison allant de trois à quatre ans. Les autorités iraniennes ont également arrêté plusieurs Kurdes à Saqqez, Mahabad, Ourmia, Piranshahr et Shabad. Des affrontements armés entre le Parti de la vie libre du Kurdistan (PJAK) et le Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) ont éclaté près de Marivan et Swalawa. L'IRGC a confirmé qu'un de ses membres avait été tué pendant les combats, mais le PJAK n'a publié aucune déclaration officielle concernant l'incident. Par ailleurs, les forces de sécurité iraniennes ont arrêté trois militants et un adolescent à Saqqez, un militant nommé Wahid Chawaran à Ilam, un journaliste nommé Jabar Azizi à Jwanro et trois militants écologistes à Kamyaran. Dans le même temps, les tribunaux de Téhéran ont ajouté 91 jours à la peine de trois ans et huit mois de prison du militant Ahmed Deraza pour son soutien aux manifestations anti-gouvernementales et ont condamné un autre militant du nom de Parham Parwari à 15 ans de prison pour « atteinte à la sécurité nationale ». Enfin, des gardes-frontières iraniens ont tué samedi un porfefaix kurde près de Baneh. Hengaw a déclaré que le régime avait tué cinq portefaix et blessé au moins 32 depuis le 20 mars.
Sur le plan diplomatique, le Conseil de l'Union européenne (UE) a sanctionné sept responsables iraniens pour "graves violations des droits de l'homme". Parmi les personnes sanctionnées figurent le commandant du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) dans la province d'Ispahan et le gouverneur de la province de Guilan. Le Conseil a affirmé qu'il avait désormais sanctionné 223 individus et 37 entités iraniens, gelé leurs avoirs et leur avait interdit de se rendre dans l'UE.
Le secrétaire d'État américain Tony Blinken a démenti les affirmations de plusieurs responsables iraniens et a nié que les États-Unis aient conclu un accord avec l'Iran sur son programme nucléaire. Pendant ce temps, la Russie a exprimé son intention de finaliser la création d'une « zone de libre-échange » avec l'Iran et plusieurs autres nations d'ici la fin de l'année. Il convient de noter que la Russie et l'Iran ont déjà réduit les droits de douane sur des centaines de marchandises échangées entre eux. L'Iran a également soutenu la guerre de la Russie en Ukraine et l'a aidée à échapper aux sanctions occidentales.
A l’approche du centenaire de la signature du Traité de Lausanne du 24 juillet 1923 qui a consacré la fondation de la Turquie dans ses frontières actuelle et entériné la partition du Kurdistan entre quatre États de la région, de nombreuses initiatives de commémoration se font jour au sein de la diaspora et au Kurdistan.
Des conférences, des colloques, des manifestations sont organisées ou prévues un peu partout en juin et juillet par des associations ou partis politiques kurdes.
Dans ce contexte, l’Institut kurde a organisé le 10 juin 2023 en partenariat avec deux associations suisses (Suisse-Arménie et AFKIV) et la Ville de Lausanne un colloque international dans la salle historique du Conseil municipal de l’Hôtel de Ville de Lausanne.Le colloque a d’ailleurs été ouvert par le discours de bienvenue du Syndic (Maire) de Lausanne, M. Grégoire Junod, qui a rappelé que la ville avait été choisie par les Alliés en raison de la neutralité suisse et de ses excellentes infrastructures hôtelières et parce qu’elle se trouvait aussi sur la ligne du fameux Orient-Express reliant Constantinople à Paris. Hôte de la conférence, Lausanne et plus généralement la Suisse ne sont pas responsables pour les conséquences dramatiques de ce Traité pour les peuples exclus : Kurdes, Arméniens, Assyro-Chaldéens… Il a exprimé toute la sympathie de sa ville pour le peuple kurde, une ville qui après avoir accueilli et formé dans ses universités d’éminents intellectuels kurdes comme Noureddine Zaza et Ismet Cheriff Vanly, accueille aujourd’hui une importante communauté kurde bien intégrée et originaire de toutes les régions du Kurdistan.
Le colloque a réuni autour de quatre table rondes des universitaires spécialisés arménien, assyro-chaldéen, kurdes, turcs et occidentaux ainsi que des élus suisses, français et kurdes pour dresser l’état des lieux des conséquence de ce Traité pour les peuples exclus de la région et esquisser des perspectives pour le futur.
Dans une première table ronde dirigée par Mme Joyce Blau consacrée aux contexte historique, le professeur Hamit Bozarslan (EHESS) a évoqué la situation politique de l’Empire ottoman après la Première guerre mondiale où, allié à l’Allemagne, il a été vaincu et a été obligé de consentir par le Traité de Sèvres d’août 1920 à la création d’une Arménie et d’un Kurdistan indépendants et de renoncer à ses provinces arabes (Syrie, Mésopotamie, Transjordanie) désormais sous contrôle des Britanniques et des Français ou devenus indépendants de fait (Arabie, Egypte). La résistance turque sous la conduite de Mustafa Kemal, soutenue par une partie des élites traditionnelles kurdes, financée et armée par la Russie bolchévique de Lénine a fini par gagner la guerre d’indépendance face au corps expéditionnaire grec soutenu par les Britanniques. C’est cette victoire qui a permis aux nationalistes turcs issus pour l’essentiel des rangs du Comité Union et Progrès qui a perpétré en 1915 un véritable génocide contre les Arméniens de l’empire ottoman et chassé par la force près d’un million de Grecs d’Anatolie afin de créer une Turquie religieusement homogène où les musulmans non turcs, principalement les Kurdes doivent être assimilés et turquisés par la force.
Ces nouvelles réalités du terrain ont obligé les Alliés à convoquer une nouvelle conférence de paix afin de négocier un nouveau traité entérinant de fait le Traité de Sèvres. L’universitaire et chercheur suisse Hans-Lukas Kieser, auteur notamment d’un ouvrage de référence sur Lausanne « When Democracy Died. The Middle East’s Enduring Peace of Lausanne » (Cambridge University Press 2023) a décrit le processus des négociations et les principales dispositions du Traité de Lausanne. Il a également évoqué l’idéologie et la vision du monde darwiniste et profondément raciste de certains négociateurs turcs, dont le n°2 de la Délégation du Gouvernement de la Grande Assemblée nationale turque, le Dr. Riza Nur, haineux et méprisant vis-à-vis des Arméniens et des Kurdes, obsédé par la crainte de création d’un Kurdistan autonome ou indépendant dans le vilayet de Mossoul (actuel Kurdistan irakien) sous contrôle britannique. Enfin l’admiration vouée par Hitler à Mustefa Kemal qui a su imposer par les armes la révision du système des traités de Versailles. On sait aussi qu’avant d’entreprendre la Shoah, Hitler avait dit à ses partisans : « Qui se souvient encore de l’extermination des Arméniens ?». L’avocate Derya Bayir a présenté une analyse pointue des minorités et du nationalisme dans les lois turques tandis que le chercheur américain de l’Université d’Oberlin, Ohio, Leonard Smith a traité des échanges de populations gréco-turques et gréco-bulgares dans une période dominée par l’obsession nationaliste de former des États ethniquement et religieusement homogènes arrachant des centaines de milliers de personnes à leurs terres natales. Ces échanges qu’on qualifierait aujourd’hui d’épuration ethniques dont les principales victimes furent les Grecs d’Anatolie, une terre où toutes les villes, tous les villages avaient été fondés par leurs ancêtres qui y ont développé une brillante civilisation d’où ils ont été arrachés comme des mauvaises herbes.
Dans la 2è table-ronde dirigée par Mme Nazand Begikhani, les professeurs émérites Raymond Kévorkian (Sorbonne) et Joseph Yacoub (Université Catholique de Lyon) ont respectivement évoque le sort tragique des Arméniens et des Assyro-Chaldéens après le Traité de Lausanne. Certes, celui-ci, comme l’a rappelé le professeur turc Baskin Oran (Université d’Ankara), a reconnu dans ses articles 38, 39, 40 des droits pour les minorités, pour la libre pratique de leur culte, pour des écoles, des églises et des publications dans leur langue ainsi que l’égalité pour les droits politiques et civils. Bien que « garanties » par la Société des Nations ces droits n’ont pas été respectés par les autorités turques. De toutes façons ces minorités non musulmanes sont devenues numériquement résiduelles. Ainsi les Grecs qui après les pogroms massifs de 1922 et l’échange des populations de 1923 représentaient encore 2,7% de la population au recensement de 1927 sont actuellement moins d’un millième, à peine 2500-3000 personnes. Les Arméniens sont environ 50.000. Le professeur Oran a rappelé que population musulmane, les Kurdes n’ont pas été considérés comme une minorité protégée par le Traité de Lausanne. Même les dispositions garantissant à tout citoyen du pays le libre usage oral de sa langue, y compris devant les tribunaux, le droit à utiliser librement sa langue dans la vie économique et sociale, dans la presse et les publications ont été refusé aux Kurdes dont la langue et la culture ont été interdites jusqu’en 1992. Il a cité de nombreux exemples récents de restriction de l’usage de la langue kurde dans l’espace public.
Ce sujet a été abordé avec plus de détails dans l’exposé du professeur Mesut Yegen (Université d’Ankara) au cours de la 3è table-ronde dirigée par Hamit Bozarslan. Evoquant les déportations des populations kurdes, des massacres frisant le génocide comme à Dersim en 1937-1938, le bannissement de la langue, de la culture, de l’histoire kurde, la turquisation des noms géographiques kurdes, le professeur Yegen a souligné que les Kurdes ont subi un véritable génocide culturel sous la république turque. Dans la même table ronde le professeur Jordi Tejel Gorgas (Université de Neuchâtel) a évoqué le sort des Kurdes en Syrie sous le mandat français et puis sous les régimes nationalistes arabes. De son côté, le professeur Sherko Kirmanj (Université d’Ulster) a évoqué l’impact du Traité de Lausanne sur le sort du vilayet de Mossoul et la question kurde en Irak sous le mandat britannique et dans les décennies suivantes. Mme Nazand Begikhani (professeure invitée à Sciences-Po Paris) a fait une présentation intitulée « Repenser l’histoire kurde dans une perspective féministe ».
Dans la dernière table-ronde de cette journée, riche et chargée, dirigée par Kendal Nezan, la parlementaire kurdo-suisse Sibel Arslan et sa collègue Laurence Fehlman-Rielle ont appelé la Suisse à offrir un accueil bienveillant aux réfugiés kurdes fuyant les politiques répressives de Etats issus du Traité de Lausanne, à plaider dans les instances nationales et internationales pour le respect des droits humains des Kurdes et à fournir une aide humanitaire à des populations kurdes en détresse comme celles du Rojava et les déplacés yézidis du Kurdistan irakien. Le sénateur de Paris, Rémi Féraud, a parlé du devoir de solidarité envers le peuple kurde en lutte pour sa liberté, qui combat aussi les djihadistes de Daech pour notre liberté et notre sécurité. La France n’étant plus une grande puissance, elle peut agir au sein de l’Union européenne en faveur d’une politique d’accueil pour les réfugiés kurdes, d’une aide multiforme pour le Kurdistan irakien et pour le Rojava, l’Europe doit user de toute son influence pour que les droits des Kurdes de Turquie et d’Iran soient reconnus et qu’ils puissent vivre sur la terre de leurs ancêtres dans le respect de leur dignité et de leur identité, a-t-il déclaré. De son côté, Oman Baydemir, ancien député et ancien maire de Diyarbakir qui vit en exil, a appelé la diaspora kurde d’Europe à mieux s’organiser pour sensibiliser l’opinion publique occidentale au sort et au combat du peuple kurde en rappelant la responsabilité morale et politique des pays occidentaux dans le sort des Kurdes, victimes des injustices de l’histoire.
Intervenant en visio-conférence depuis le États-Unis, l’ancien ambassadeur américain Peter Galbraith, soutien de longue date de la cause kurde, a appelé les Kurdes a reconnaître leur part de responsabilité dans leur destin. S’ils étaient unis ils auraient pu avoir un impact à Lausanne. Dans le monde actuel, les seules pressions occidentales sur la Turquie et l’Iran ne peuvent produire des résultats que si les Kurdes sont unis et forts sur le terrain. Il n’a pas exclu que le président turc Erdogan, fraîchement réélu, cherche à l’avenir un compromis non seulement avec les Occidentaux pour renflouer son économie mais aussi avec les Kurdes.
Le colloque a été suivi par des représentants des associations kurdes venant de Norvège, de Suède, d’Allemagne, du Danemark, de France, d’Italie, du Kazakhstan, du Kurdistan, des Pays-Bas et des Etats-Unis ainsi que bien sûr de Suisse. De nombreux inscrits sur une liste d’attente n’ont pas pu y assister faute de place.
Pour répondre à ces attentes, toutes les interventions au colloque ont été mises en ligne dans leur version française sur le site site de l’Institut kurde. Elles seront plus tard sous forme de livre.
Par ailleurs, la Ville de Lausanne a organisé une très belle exposition sur la Conférence de Lausanne consacrant une place significative aux doléances des Kurdes, des Arméniens, des Grecs et des Assyro-Chaldéens et aux objets d’art d’artistes kurdes.
Hoshyar Zebari est une personnalité politique reconnue et appréciée tant au Kurdistan qu’en Irak et au Moyen-Orient. Il a longtemps exercé les fonctions de ministre des Affaires étrangères de l’Irak post-Saddam et un temps celles de ministre des Finances. Bête noire des factions chiites pro-iraniennes pour avoir permis le retour des forces américaines en 2014 pour faire face à la déferlante de Daech qui, après la prise de Mossoul, menaçait de marcher sur Bagdad, sa candidature à la présidence de la république irakienne a été écartée en 2021par les manoeuvres de ces factions et de la Cour Suprême irakienne qu’elles contrôlent. Depuis, il vit au Kurdistan où il reste actif au sein du Bureau politique du PDK et dans le débat public.
Le 22 juin, il a été l’invité d’une émission populaire de la chaîne kurde RUDAW où il a répondu aux questions des journalistes et du public sur la situation au Kurdistan et en Irak.
Extraits.
Rûdaw : Il y a des efforts depuis un certain temps en Irak pour affaiblir la position de la région du Kurdistan, qu'en pensez-vous ?
Hoshyar Zebari : Il y a un tel effort et il est en train de s'intensifier. En fait, il y a beaucoup de raisons. Bien sûr, la principale raison est que ceux au pouvoir au nom de l'Alliance de Gouvernance de l'État ou du Cadre de Coordination Chiite n'ont pas respecté l'accord politique écrit signé pour le gouvernement formé sous la présidence d’al-Soudani. Deuxièmement, ils n'ont pas respecté l'accord entre les deux gouvernements (Erbil et Bagdad) et n'ont pas tenu les promesses faites à notre leadership. Par conséquent, lorsque le budget est allé au parlement et a été voté, il est malheureusement apparu qu'ils n'ont pas tenu les engagements pris. C'est un signe fort que nous devons réévaluer notre propre situation.
La question du budget est très importante et j'ai beaucoup de choses à dire sur le budget, mais la partie réservée à la région du Kurdistan est pleine de mines. Nous ne le voyons donc pas aussi simplement parce qu'ils l'ont fait de manière très planifiée et programmée. Comment l'ont-ils fait ? Comme vous l'avez dit, ces efforts ont été en cours depuis le début. Ils s'en prennent aux droits constitutionnels de la région du Kurdistan. La région du Kurdistan a été fondée avec beaucoup de luttes et de sang et, à la fin, nos droits ont été définis par cette constitution. La légitimité du fédéralisme, la question du partenariat et la définition de la région du Kurdistan. Maintenant, leur seul but est de changer cette constitution. Parce qu'ils soutiennent que l'Irak ne devrait pas être gouverné par un système fédéral, mais par un pouvoir central. En d'autres termes, nous nous sommes battus dans le passé pour que l'Irak ne revienne pas à l'époque de la dictature, de l'autoritarisme, de l'homme unique, du parti unique et de la nation unique, mais maintenant l'opinion à Bagdad se tourne à nouveau dans cette direction.
De plus, ces pressions ne s'arrêteront pas là. Ils font de la discrimination sur des choses essentielles comme le budget, le pétrole, les médicaments et les droits financiers des agriculteurs. Si vous posez la question au Ministère de la Santé, vous voyez qu'ils font de la discrimination en matière d'approvisionnement en médicaments. Tous ont un objectif commun ; éliminer ou affaiblir ce statut. Bien sûr, ce n'est pas l'avis de tous, mais celui de certains. "Le pouvoir est désormais entre nos mains, les sunnites sont faibles et dispersés, seule la région du Kurdistan peut s'opposer à nous", pensent-ils.
Une autre raison est les contradictions parmi les Kurdes. Bien sûr, ils profitent de ce vide et utilisent une partie de l'intérieur pour affaiblir la région du Kurdistan. Malheureusement, lorsque nous regardons, nous voyons qu'il y a un effort pour démanteler cette structure de la région du Kurdistan et briser son unité, et une partie accepte cela. Malheureusement, il est malheureux de le dire en tant que Kurde.
Un autre point est que nous étions forts à Bagdad auparavant, nous avions une voix, nous avions une couleur, nous avions des décisions, nous étions décisionnaires. Maintenant, cette position s'est affaiblie, la question n'est pas les postes mais le rôle joué à Bagdad était plus fort. À l'époque, il n'était de l'affaire de personne de parler des droits financiers de la région du Kurdistan dans le budget. C'était une ligne rouge, maintenant ils descendent dans les détails. Avant, il n'y avait qu'un seul article dans le budget, maintenant ils en ont rempli deux pages et c'est plein de mines, plein de problèmes. Alors quelle est la sortie de cette situation? Bien sûr, la vérité la plus claire est que nous devons nous réorganiser à l'intérieur.
Un autre sujet est de légitimer les institutions et organisations de la région du Kurdistan. Cela ne peut être réalisé qu'avec des élections transparentes. Mais je pense que ces attaques continueront et ne se limiteront pas à cela.
Rûdaw: Quelles autres étapes prévoyez-vous de Bagdad?
Hoshyar Zebari: Oui, je prévois d'autres choses, demain ils pourraient dire que les postes frontaliers doivent également nous obéir. Ils considèrent les postes frontaliers, les passages frontaliers et même les aéroports comme des points de passage frontaliers.
Demain, ils pourraient dire que l'armée doit contrôler toutes les frontières. Parce que c'est une question de souveraineté et ils peuvent dire beaucoup de choses l'une après l'autre. Bien sûr, ils utilisent les tribunaux contre la région du Kurdistan. Nous avons des problèmes, donc notre situation pourrait être davantage sous pression mais il y a une solution comme je l'ai mentionné, essayons de réorganiser la maison kurde, rapprochons-nous et allons aux élections. Ils s’en prennent à la région du Kurdistan et à son existence. Nous avons vu qu'ils ont pris des décisions très injustes et inconstitutionnelles contre la région du Kurdistan. Ils peuvent utiliser le tribunal comme un outil à leur guise et nous avons des problèmes à ce sujet. (...)
Rûdaw: L'opposition la plus dangereuse n'est-elle pas celle qui se trouve à l'intérieur du Kurdistan, en particulier entre le PDK et l'UPK?
Hoshyar Zebari: Bien sûr, cela crée des tensions. Mais malheureusement, nos frères de l'UPK semblent soutenir l'idée de réduire les pouvoirs de la région du Kurdistan à Bagdad.
Rûdaw: Est-ce que l'UPK veut cela ?
Hoshyar Zebari: Il semble que oui. Leurs actions le suggèrent, mais je ne connais pas les détails. Comme je l'ai dit, nous avons eu des différends et des débats par le passé, mais il y avait certaines lignes rouges que ni le PDK ni l'UPK ne franchissaient. C'était dans le meilleur intérêt de la région du Kurdistan. C'était le statut fédéral uni de la région du Kurdistan. Il y a maintenant des efforts pour éliminer cela aussi. Cela ne signifie pas que nous ne pouvons plus conclure d'accord avec nos frères de l'UPK. Après ces événements, la direction de l'UPK a demandé récemment un rendez-vous au PDK.
Rûdaw: Vous ont-ils transmis cette demande?
Hoshyar Zebari: Oui, nous nous réunirons prochainement pour discuter de tous les problèmes, nous les mettrons sur la table. De plus, notre peuple est sensible, il suit. Ils savent quel est le problème. (...)
Rûdaw: Vous avez dit qu'ils utilisaient un parti de l'intérieur pour affaiblir la région du Kurdistan. Est-ce ce parti l'UPK?
Hoshyar Zebari: Oui, très clairement. En d'autres termes, ils (Bagdad) veulent que le PDK et l'UPK soient en désaccord. C'est pourquoi nous ne devrions pas leur donner cette opportunité.
Rûdaw: Vous avez longtemps été ministre des Affaires étrangères de l'Irak et pendant un certain temps ministre des Finances. Pensez-vous que la loi de finances a été injuste envers la région du Kurdistan?
Hoshyar Zebari: J'ai parlé de ce sujet lors de notre réunion avec les experts du Ministère des Finances il y a deux jours. Quand je suis allé au Parlement irakien en 2015, j'ai présenté le projet de loi de finances. J'y ai noté que le gouvernement irakien devait 15 milliards de dollars à la région du Kurdistan. Imaginez combien nous avons perdu depuis lors.
Rûdaw: À quoi était due cette dette?
Hoshyar Zebari: C'était des arriérés. C'était les droits financiers de la région du Kurdistan, c'était sa part accumulée. Tous nos accords avaient été pris en compte. C'étaient des documents officiels présentés au Parlement sous les yeux du monde entier au nom du Ministère des Finances irakien. On nous fait beaucoup d'injustice.
Rûdaw: Quelle est la mine dont vous parlez dans la loi de finances?
Hoshyar Zebari: Tous les pouvoirs punitifs, toutes les conditions préalables sont comme des mines. Si vous n'obéissez pas, je fais cela, si vous n'appliquez pas, je prends cette mesure contre vous.
Rûdaw: Pourquoi a-t-elle été acceptée?
Hoshyar Zebari: Vous devriez demander à ceux qui ont négocié cela avec Bagdad. A nos responsables au Parlement également.
Rûdaw: Vos représentants au Parlement n'ont-ils pas consulté l'opinion de leur parti?
Hoshyar Zebari: Dans certains cas, ils l'ont fait, mais bien sûr, ils ont été trompés. Jusqu'à ce que la loi de finances soit approuvée, ils ont essayé de les duper en disant que les députés étaient libres de prendre leurs décisions.
Rûdaw: Est-ce que c'est le Cadre de Coordination Chiite qui l'a fait?
Hoshyar Zebari: Cent pour cent.
Rûdaw: Regrettez-vous l'accord que vous avez passé avec eux (le Cadre de Coordination Chiite) ?
Hoshyar Zebari: Bien sûr, mais l'accord n'est pas verbal, il est écrit et signé.
Rûdaw: À chaque fois qu'ils ont besoin des Kurdes, ils signent un accord mais ensuite ils font marche arrière. Pourquoi les Kurdes ne tirent-ils pas de leçon à chaque fois?
Hoshyar Zebari: Nous avons appris la leçon. Mais cela dépend aussi des individus. À quel point devez-vous dire "je ne peux pas accepter cela" ? Maintenant, regardez, dans la région du Kurdistan, le PDK dit non à cela.
Rûdaw: L'UPK ne dit pas non?
Hoshyar Zebari: Je n'ai pas entendu jusqu'à présent. Ils n'ont pas dit non. Ils ont également confirmé qu'ils étaient ouvertement contre la région du Kurdistan.
Rûdaw: Cependant, ils soutiennent que ce qu'ils font est dans l'intérêt de la région du Kurdistan?
Hoshyar Zebari: Si vous demandez à une personne vraiment impartiale, elle vous dira que diviser la région du Kurdistan n'est dans l'intérêt de personne.
Rûdaw: Le président de l'Irak ne peut-il pas empêcher ces pressions sur la région du Kurdistan?
Hoshyar Zebari: Nous sous-estimons le poste de Président alors qu'il est très important selon la Constitution. Il est partenaire de l'exécutif et protecteur de la Constitution. Bien sûr, si demain le Parlement ou la Cour fédérale prend une décision contraire aux droits constitutionnels de la région du Kurdistan, le Président a le droit de l'empêcher. Il a le droit de dire "C'est contraire à la Constitution".
Rûdaw: La loi donne-t-elle aussi ce pouvoir en matière de budget?
Hoshyar Zebari: Bien sûr. Dans le passé, quand Jalal TALABANI était à Bagdad, nous l'avons fait, aucune décision pour laquelle nous n'avons pas voté ne pouvait passer. Malheureusement, ce n'est pas le cas ces dernières années.
Rûdaw: Que peut faire le président maintenant?
Hoshyar Zebari : Il peut prendre position contre cela.
Rûdaw : Bagdad tiendrait-elle compte de cette position ?
Hoshyar Zebari : C'est le président et bien sûr il est pris en compte. La presse irakienne, la presse étrangère tiennent compte, donc ce n'est pas une position sans pouvoir.
Rûdaw : Auparavant, les délégations étrangères qui venaient à Bagdad rendaient également visite à la Région du Kurdistan. Pourquoi le nombre de ces visites a-t-il diminué maintenant ?
Hoshyar Zebari : Hier, une grande délégation commerciale des États-Unis était à Erbil, puis est allée à Suleimanieh. Les délégations viennent. Bien sûr, la situation a changé un peu en raison de la pandémie de coronavirus et ensuite la guerre en Ukraine. Avec le changement d'équilibre entre les États-Unis, la Chine et la Russie, les politiques étrangères de ces pays ont également changé. Ce n'est pas seulement une question qui nous concerne. En général, de nouvelles alliances se forment, il y a une nouvelle conjoncture dans le monde entier. C'est une nouvelle situation, ce n'est plus comme avant. Il y a bien sûr des raisons pour lesquelles le nombre de visites de délégations en Irak et dans la Région du Kurdistan a diminué, mais c'est une situation mondiale et le point de mire du monde a changé.
Rûdaw : Donc il y a une diminution ?
Hoshyar Zebari : Bien sûr, pendant la guerre contre l'EI, il y avait plus de visites, la Région du Kurdistan était en effet plus forte, elle était au centre de l'attention et il y avait plus d'intérêt. La situation interne de la Région du Kurdistan est bien sûr perçue avec tristesse de l'extérieur, il faut dire la vérité.
Rûdaw : La situation dans la Région du Kurdistan entraîne-t-elle un manque d'attention de l'extérieur ?
Hoshyar Zebari : Jusqu'à présent, non. Nos amis sur la scène internationale soutiennent une Région du Kurdistan forte au sein d'un Irak fort. Mais si les problèmes ne sont pas résolus, s'il n'y a pas de production, d'intérêt économique, alors le monde montre moins d'intérêt.
Rûdaw : Est-il vrai que vous avez été injustes envers Suleimanieh ?
Hoshyar Zebari : Nous avons un gouvernement commun. L'UPK et le Mouvement du changement (Goran) sont également présents dans ce gouvernement. Le Premier ministre et les responsables gouvernementaux ont déclaré qu'une telle situation n'existait pas. Mais s'il y a une injustice comme ils le disent, ils viennent s'asseoir et une solution est trouvée avec un budget.
Rûdaw : Le Parlement du Kurdistan ne peut actuellement pas siéger, un budget peut-il être fourni dans ces conditions ?
Hoshyar Zebari : Le Parlement se réunira à temps, des élections auront également lieu. Faisons un budget pour la Région du Kurdistan, que Zaho, Halabja, Suleimanieh, Erbil ne se plaignent pas, que ce soit juste.
Rûdaw : Pourquoi le PDK s'est-il opposé à l'article de la loi sur le budget qui prévoit que les provinces aient directement des relations avec Bagdad ?
Hoshyar Zebari : Parce que cela diviserait la Région du Kurdistan. Il établit des relations avec la Région du Kurdistan en Irak comme une structure fédérale. Si vous faites cela, ce statut ne restera pas.
Rûdaw : Cela pose-t-il une menace sur le statut de la Région du Kurdistan ?
Hoshyar Zebari : En effet, cet article est très astucieusement rédigé. Il doit être juste, si le droit de Suleimanieh n'est pas accordé, alors il est renvoyé au Premier ministre et au Parlement.
Rûdaw: Cela ouvrirait-il la porte à d'autres choses ?
Hoshyar Zebari: Cela ouvrirait évidemment la porte à d'autres décisions. Cela affaiblirait votre position. Par exemple, si des modifications sont apportées à la constitution, elles peuvent le faire malgré votre opposition, alors qu'auparavant, si trois provinces s'y opposaient, aucun changement ne pouvait être fait à la constitution. Ils peuvent également vous retirer ce droit d'opposition.
Rûdaw: Pensez-vous que les élections du Parlement du Kurdistan auront lieu cette année ?
Hoshyar Zebari: D'après nos informations, elles auront lieu. En vérité, c'est aussi un jeu politique. Selon les experts des Nations Unies, elles peuvent avoir lieu. Plus d'importance pourrait être accordée aux élections du Parlement du Kurdistan qu'aux élections des conseils de gouvernorat dans tout l'Irak.
Rûdaw: Est-il certain que les élections du Parlement du Kurdistan seront organisées par la Commission électorale indépendante suprême de l'Irak ?
Hoshyar Zebari: Jusqu'à présent, oui.
Rûdaw: Les élections auront-elles lieu selon l'ancienne loi électorale ?
Hoshyar Zebari: Si aucun nouveau texte de loi ne sort du Parlement, alors oui.
Rûdaw: L'UPK a déposé une plainte devant la Cour fédérale au sujet de l'ancienne loi...
Hoshyar Zebari: Les plaintes devant la Cour fédérale ont augmenté. (Rire) Les portes de la Cour fédérale ont été grand ouvertes pour la Nouvelle Génération (Newey Nwê, parti d’opposition kurde).
Rûdaw: Pourquoi avez-vous ri en disant cela ?
Hoshyar Zebari: Voyons, c'est une évidence.
Rûdaw: Si la Cour fédérale examine la plainte de l'UPK, ne créera-t-elle pas un nouveau problème concernant la loi électorale ?
Hoshyar Zebari: Non, cela ne posera pas de problème. À mon avis, il s'agit simplement d'un défi. En vérité, j'ai aussi des opinions sur la structure de la Cour fédérale, qui n'a été créée ni selon une loi ni selon la constitution. Il y a beaucoup à dire à son sujet.
Rûdaw: Alors pourquoi ont-ils dissous le Parlement du Kurdistan avec une seule décision ?
Hoshyar Zebari: Mon frère, ils ne font pas ce qui est correct, ils interprètent les lois comme bon leur semble. Ils disent qu'il est illégal de prolonger le mandat du Parlement d'un an. Mais pourquoi ne dites-vous pas que c'est illégal de ne pas être en mesure de former votre gouvernement en un an et de le reporter ? Il n'est pas logique de ne pas prêter attention à nos excuses et de ne pas avoir voix au chapitre, mais c'est la situation actuelle.
Rûdaw: La région du Kurdistan n'a pas pris de position contre la décision de la Cour fédérale, ce silence n'est-il pas une acceptation ?
Hoshyar Zebari: Si nous insistions pour les élections, nous serions rejetés.
Rûdaw: Pensez-vous que l'Irak veut que le pétrole du Kurdistan soit à nouveau exporté sur le marché mondial ?
Hoshyar Zebari: Ils jouent un grand jeu, ils se font du tort à eux-mêmes et à la région du Kurdistan. Mais tant qu'ils vont faire perdre la région du Kurdistan, cela ne les dérange pas. Selon leurs calculs, ils ont perdu 2,2 milliards de dollars. Il y a maintenant des pourparlers avec le gouvernement turc. Une délégation d'Ankara est venue à Bagdad. Le Premier ministre Masrour Barzani s'est rendu à Ankara pour discuter de cette question et a été bien accueilli. Il y a certains problèmes techniques, les problèmes techniques concernant l'indemnisation et l'exportation du pétrole de la Turquie seront surmontés. Mais je pense que ces problèmes peuvent être résolus, je pense que ce report est dû à des raisons politiques, donc une décision politique est nécessaire.
Rûdaw: Est-ce du côté turc ou irakien ?
Hoshyar Zebari: Principalement en Irak, mais j'espère que les perdants ressentiront cela, car même le budget qu'ils proposent n'est pas très réaliste. À mon avis, il y a des choses imaginaires dans la loi de finances et cela ne semble pas acceptable. Mais ils se sont bien partagé le gâteau entre eux, chacun a pris sa part. Cependant, il y a des problèmes plus importants. Il y a de grandes différences entre les prix du pétrole et les taux d'emploi, ce qui causera un déficit dans ce budget. Il y a eu une injustice envers la région du Kurdistan à tous égards. Cela inclut les prêts obtenus à partir de l'aide étrangère. Nous avons insisté pour que la part de la région du Kurdistan soit de 17%, mais maintenant ils ont fixé un taux très, très bas. En réalité, c'est une oppression sous tous les aspects.
Rûdaw: Il y a quelques jours, nous avions un économiste comme invité et il a commenté : "C'est le plus grand budget de l'Irak, mais c'est aussi le pire". Qu'en pensez-vous ?
Hoshyar Zebari: Oui, c'est vrai, c'est très mauvais et illogique. Je l'ai déjà expliqué, ils ont calculé le prix du pétrole à 70 dollars. Ils vendent toujours le pétrole irakien 5-6 dollars de moins que le prix mondial du pétrole, qui est de 75 dollars. Si demain le prix du pétrole tombe à 50 ou 60 dollars, ils ne pourront même pas payer les salaires. Le déficit budgétaire sera plus élevé. C'est l'erreur la plus basique dans le budget, malgré le fait que le budget entier est fictif et imaginaire, ils ont vraiment mis des articles illogiques et se sont partagés entre eux; ceux qui sont au pouvoir à Bagdad. Chacun a pris sa part.
Rûdaw: Une petite part du gâteau est-elle allée à la région du Kurdistan ?
Hoshyar Zebari: Malheureusement, une petite part est allée là-bas.
Rûdaw: Le problème est que le budget est sur 3 ans.
Hoshyar Zebari: C'est aussi un problème. Dans le monde entier, le budget est annuel, ici il est sur 3 ans. Mais il sera révisé l'année prochaine.
Rûdaw: Vous faisiez partie de l'Alliance de Gouvernance de l'Etat, pourquoi l'alliance a-t-elle agi de cette manière maintenant ?
Hoshyar Zebari: Comme je l'ai dit au début, ils n'ont pas respecté leurs paroles. Ils n'ont pas respecté l'accord.
Rûdaw: Vous étiez très optimiste au début !
Hoshyar Zebari: Nous étions très optimistes au début, nous avions aussi un rôle à jouer, le président a joué un grand rôle dans la formation de ce gouvernement, nous avons soutenu, nous avons participé. Mais ils n'ont pas été honnêtes sur la question du budget, qui est très sensible aux yeux du public.